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541. (1887) Discours et conférences « Rapport sur les prix de vertu lu dans la séance publique annuelle de l’Académie française »

Le malheur étant venu frapper cette famille, Paula Yvor, sans espoir de récompense, fit vivre celle qui avait été sa maîtresse des gains modiques d’un petit commerce de produits coloniaux, péniblement exploité du haut de sa mansarde. […] Je ne puis que citer Désirée Chardon, à Segré (Maine-et-Loire), simple ouvrière modiste, vrai modèle d’abnégation ; Eucharis Michel, directrice d’asile à Aix ; Hélène Perron, à Saint-Martin-des-Prés (Côtes-du-Nord) ; Alexandrine Nétrelle, à Cormontreuil (Marne) ; Désiré Guillot-Envrard, à la Chapelle-Saint-Sauveur (Saône-et-Loire) ; les époux Joyaux, à la Frette (Seine-et-Oise) ; Sophie Tufféry, à Lajo (Lozère) ; la femme Bertrand Guilhaume, à Clermont-l’Hérault (Hérault) ; Françoise Boulestreau, à Bourgneuf (Maine-et-Loire) ; Anne-Marie Gesnouin, à Saint-James (Manche) ; Olympe Gay, à Thueyts (Ardèche) ; Jenny Marchandeau, à Chaudenay-sur-Dheune (Saône), paralytique des deux jambes, qui n’a que ses mains pour vivre et trouve encore moyen d’être bienfaisante ; enfin, madame veuve Lamoute, la providence de Bergerac, qui emploie tout son bien à secourir les jeunes filles abandonnées. […] Dans son enfance, elle voit l’intempérance du père ruiner la petite industrie qui fait vivre la famille. […] Mais, croyez-moi, aucune autre race n’a dans ses entrailles autant de cette force qui fait vivre une nation, la rend immortelle malgré ses fautes, et lui fait trouver en elle-même, au travers de tous ses désastres et de toutes ses décadences, un principe éternel de renaissance et de résurrection. […] Avons-nous donc tant d’intérêt à prouver que le monde où nous vivons est entièrement pervers ?

542. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « V »

Il y a encore des survivants, à Paris, de la meute qui pourchassa si gaillardement Berlioz, au temps où le maître vivait. […] Non, si Berlioz vivait, il serait révolté de telles louanges, hypocrites, perfides, venues de ses pires ennemis ; car, si le coup de pied de l’âne est odieux, que sera-ce du baiser d’Aliboron ? […] Il prédit que Renée n’aura pas quatre représentations, et, malgré tout, la pièce va jusqu’à la vingt-huitième ; il vaticine le succès de Mademoiselle de Bressier : huit jours après, cette jeune personne cesse de vivre. […] Les belles œuvres ne sauraient plaire à ceux qui vivent des mauvaises, et au besoin s’en engraissent. […] Le grand novateur vivait très retiré, ne recevant guère qu’un couple d’aimables écrivains français (mes compagnons de voyage) et moi.

543. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Hégésippe Moreau. (Le Myosotis, nouvelle édition, 1 vol., Masgana.) — Pierre Dupont. (Chants et poésies, 1 vol., Garnier frères.) » pp. 51-75

Ceux qui nous ont connu et qui nous ont aimé sous cette forme première continuent de nous voir ainsi, et si l’on a le bonheur d’avoir une sœur qui ait continué elle-même de vivre d’une vie simple et uniforme, d’une vie fidèle aux souvenirs, elle nous conserve à jamais présent dans cette pureté adolescente, elle nous garde un culte dans son cœur, elle nous adore tel que nous étions alors sous ces premiers traits d’un développement aimable et pudique. […] Il allait selon toute probabilité, s’il avait vécu, devenir un maître, mais il ne l’était pas encore. […] Hégésippe Moreau a eu le tort d’y trop sacrifier en commençant, et il n’a pas vécu assez pour s’en débarrasser et s’en affranchir. […] Son grand-père, qui vivait à Saint-Brice, près Provins, l’y attirait quelquefois. […] Je voudrais que, sans nuire aux autres conditions du genre qu’il s’est créé, il s’accoutumât à toujours soigner rigoureusement le style, seule qualité qui fasse vivre la poésie écrite et lui assure un lendemain quand le son fugitif est envolé.

544. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Le comte-pacha de Bonneval. » pp. 499-522

C’est ce travail plus ou moins complet de récapitulation de sa vie qu’il eût peut-être entrepris s’il avait assez vécu pour rentrer dans la chrétienté, et si ses amis l’avaient contraint de le dicter. […] Elle vécut assez pour voir celui qu’elle avait aimé renoncer à tout ce qui était du chrétien et du chevalier, à tout ce qui avait fait, à un court moment, son orgueil d’épouse. Au lieu de revenir en France, après ses exploits de Hongrie, Bonneval continua de séjourner à Vienne, où il occupait un haut rang, mais où le ton et l’étiquette régnante devaient, tôt ou tard, amener des désaccords avec sa manière d’être et de vivre. Il vivait en effet librement, comme l’eût fait un convive du Temple, raillant les sots, narguant les coteries, fréquentant peu les églises, et chansonnant volontiers les agents de chancellerie et les bureaux ; il était, en un mot, ce qu’il avait toujours été, gai, cordial, aimable, spirituel et même grivois, insolent et bon enfant. […] Il avait pu écrire à son frère, en un jour de forfanterie et dans un parti pris de gaieté, ce mot significatif qui résume toute une philosophie d’abaissement et d’abandon : Au surplus, portez-vous bien, et souvenez-vous qu’il n’y a que fadaises en ce bas monde, distinguées en gaillardes, sérieuses, politiques, juridiques, ecclésiastiques, savantes, tristes, etc., mais qu’il n’y a que les premières, et de se tenir toujours le ventre libre, qui fasse vivre joyeusement et longtemps.

545. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Beaumarchais. — II. (Suite.) » pp. 220-241

C’est alors que Le Barbier, tel que nous l’avons, se releva et se mit à vivre de sa légère et joyeuse vie, pour ne plus mourir. […] Malgré tout, il y a eu là une infusion d’idées, de hardiesses, de folies et d’observations bien frappées, sur lesquelles on vivra cinquante ans et plus. Il a créé des personnages qui ont vécu leur vie de nature et de société : « Mais qui sait combien cela durera ? […] Enfin, si l’on prend les deux personnages comme types de deux sociétés aux prises et en présence, il y a lieu à hésiter (quand on est galant homme) si l’on n’aimerait pas mieux vivre, après tout, dans une société où régneraient les Almaviva, que dans une société que gouverneraient les Figaro. […] Les pauvres camarades de son mari, touchés de son triste sort, se sont tous cotisés pour la faire vivre un moment.

546. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1881 » pp. 132-169

On se demande : La vivrai-je jusqu’au bout ? […] Thiers, et répétée, ce soir, à notre dîner par Bardoux : « Celui qui n’a pas vécu, pendant les vingt années qui ont précédé la révolution, n’a pas connu la douceur de vivre !  […] Jeudi 15 septembre Je tombe chez Burty, sur le vieux graveur Pollet, un japonisant frénétique, et qui est en train de dire : « Sur les 1 000 francs que j’ai pour vivre par mois, je paye 800 francs aux marchands de japonaiseries… c’est 200 qui me restent… mais j’ai des modèles qui me coûtent dans les 100 francs… donc 100 francs pour vivre… Ma foi, j’ai pris le parti de ne rien payer de mon vivant, je ne paye pas mon tailleur, je ne paye pas mon restaurateur… Il n’y a que mon cordonnier que je paye, parce que c’est un pauvre diable. » * * * — Visite de noces d’une jeune femme rieuse, chez une vieille tante de son mari, affligée d’une tympanite (maladie où l’on p… perpétuellement) et qui est menée par son beau-père, affreusement sourd : « Mais je ne comprends pas ce que la petite a à rire, comme cela, tout le temps… nous nous entretenons cependant de choses assez sérieuses », répète, à tout moment, le sourd intrigué.

547. (1864) William Shakespeare « Conclusion — Livre I. Après la mort — Shakespeare — L’Angleterre »

Une fois morts, ces êtres-là vivent. Comment ont-ils vécu ? […] Vivre seule, aller seule, régner seule, être seule. […] Ces deux livres ne vivent pas en bonne intelligence. […] Il n’y a pas longues années qu’un économiste anglais, homme d’autorité, faisant, à côté des questions sociales, une excursion littéraire, affirmait dans une digression hautaine et sans perdre un instant l’aplomb, ceci : — Shakespeare ne peut vivre parce qu’il a surtout traité des sujets étrangers ou anciens, Hamlet, Othello, Roméo et Juliette, Macbeth, Lear, Jules César, Coriolan, Timon d’Athènes, etc., etc. ; or il n’y a de viable en littérature que les choses d’observation immédiate et les ouvrages faits sur des sujets contemporains. — Que dites-vous de la théorie ?

548. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Notes et éclaircissements. [Œuvres complètes, tome XII] »

Dans un autre endroit, combattant les athées, il dit, à propos des Sauvages qu’on croyait sans Dieu : « Mais on peut insister, on peut dire : Ils vivent en société, et ils sont sans Dieu ; donc on peut vivre en société sans religion.  » En ce cas, je répondrai que les loups vivent ainsi, et que ce n’est pas une société qu’un assemblage de barbares anthropophages, tels que vous les supposez : et je vous demanderai toujours si, quand vous avez prêté votre argent à quelqu’un de votre société, vous voudriez que ni votre débiteur, ni votre procureur, ni votre notaire, ni votre juge, ne crussent en Dieu ?  […] « J’entends par peuple la populace, qui n’a que ses bras pour vivre. […] À quelque noir destin qu’elle soit asservie, D’une étreinte invincible il embrasse la vie, Et va chercher bien loin, plutôt que de mourir, Quelque prétexte ami pour vivre et pour souffrir.

549. (1874) Premiers lundis. Tome II « Revue littéraire »

vivre sans être adorée ! […] Vivre au cœur d’un ami, d’un enfant, d’une femme…   Voilà ton immortalité.

550. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 1, de la necessité d’être occupé pour fuir l’ennui, et de l’attrait que les mouvemens des passions ont pour les hommes » pp. 6-11

Un petit nombre peut apprendre cet art qui, pour me servir de l’expression d’Horace, fait vivre en amitié avec soi-même : quod te tibi reddat amicum. […] Ainsi nous courons par instinct après les objets qui peuvent exciter nos passions, quoique ces objets fassent sur nous des impressions qui nous coutent souvent des nuits inquietes et des journées douloureuses : mais les hommes en general souffrent encore plus à vivre sans passions, que les passions ne les font souffrir.

551. (1888) Impressions de théâtre. Première série

Car, s’il est beau de s’indigner contre la vie, il est excellent de vivre. […] Mounet-Sully a su faire vivre l’autre soir. […] La laisser vivre ? […] il vivait au chemin de fer. Là vivait aussi une jeune fille comme cuisinière.

552. (1927) Approximations. Deuxième série

Dans l’instant fugitif, il comprit fortement qu’il voulait vivre et garder son amour jusqu’à l’inévitable mort. […] Ils n’en tirent que du plaisir, de la douleur, et des actes indispensables, comme de vivre. […] Vous viviez. […] Être loin, vivre du travail de mes mains, rester en tête-à-tête avec moi-même, et peut-être aussi ne plus être aimé ! […] nous vivons pour savoir.

553. (1889) La littérature de Tout à l’heure pp. -383

— On est tenté de répondre : « Non, ce n’est plus la même Église : celle-ci est le spectre funèbre de celle qui vécut dans la joie de sa gloire. […] Le génie chrétien a donc pu vivre — et quelle vie splendide dont l’histoire rayonne !  […] Lui aussi, certes, a vu vivre, — il a rêvé aussi, et de la vie et du rêve il a fait ses fables. […] La Beauté qui console par sa seule présence, ou qui du moins donne encore la force de vivre, n’est-ce pas déjà une Religion ? […] Elle aussi a vécu, mais elle s’était prescrit cette limite.

554. (1939) Réflexions sur la critique (2e éd.) pp. 7-263

De quoi vivra-t-il ? […] Parce qu’il lui fallait le grand décor romantique, il a voulu vivre à Yonville. […] De son tempérament il eût encor vécu. […] Jusqu’en 1870, la critique professionnelle a vécu contre le romantisme, elle a vécu ensuite contre le naturalisme. […] Nous avons vécu un renouvellement prodigieux des techniques.

555. (1922) Nouvelles pages de critique et de doctrine. Tome II

Pendant qu’ils vivaient, ces mémorialistes ne se regardaient pas vivre. […] Ces soi-disant observateurs ne vivent pas, pour cette raison très simple qu’ils ne se laissent pas vivre. […] J’ai vécu du temps de l’Empereur. […] Celle de l’artiste de génie obligé d’improviser pour vivre. […] Ils le vivent.

556. (1889) Les artistes littéraires : études sur le XIXe siècle

N’y a-t-il pas quelque exagération à considérer leurs ouvrages comme un des « principaux aspects » de la pensée contemporaine, ou à insinuer que leur époque a vécu et vivra peut-être grâce à eux ? […] si je pouvais vivre une autre vie encor, Certes, je n’irais pas fouiller dans chaque chose. […] vivre est si doux 260. […] Il n’est ni sarcastique, ni amer, ni désenchanté, ni rien qui rappelle, de près ou de loin, le trouble moral où a vécu notre temps. […] On en fera des imitations plus ou moins savantes et réussies ; on ne ressuscitera pas ce qui a cessé de vivre.

557. (1924) Critiques et romanciers

Bref, « il n’y a plus qu’à se laisser vivre ». […] La réalité nous échappe ; et nous vivons parmi les apparences. […] C’est dommage ; car nous avons à vivre en notre temps et avec nos idées. […] Celle-ci, où tu vécus et où je vis, n’a point changé. […] Peut-être n’a-t-on jamais vécu avec tant de promptitude.

558. (1896) Études et portraits littéraires

La lutte pour la vie, — D’abord, vivre !  […] C’est la vraie manière de vivre avec intensité. […] Vivre, c’est déjà être en acte ; vivre bien, c’est y être pleinement, ne laisser en langueur aucune de ses énergies. […] Vivre bien, c’est vivre bellement. […] La joie de vivre.

559. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. BALLANCHE. » pp. 1-51

L’homme à qui tout succède selon ses vœux oublie de vivre. […] La dynastie restaurée des Bourbons, arbre ainsi replanté, ne vécut jamais qu’à l’extérieur et par l’écorce, ayant dédaigné d’enfoncer ses racines dans la vraie terre. […] Cependant comme j’allais très-peu au bureau du journal, excepté dans les grands jours, et que je vivais d’une vie toute de pensée, de rêverie et d’étude, je ne fus d’abord informé de rien. […] Ceux qui seraient curieux de savoir dans quel courant d’idées morales et de sentiments intimes je vivais alors, trouveraient une allusion à cette récente blessure dans une pièce de vers des Pensées d’août adressée à M. […] Depuis ce temps, il avait vécu sur son capital dix-sept années durant, sans prendre jamais souci du lendemain.

560. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXIe entretien. Socrate et Platon. Philosophie grecque (1re partie) » pp. 145-224

Pouvait-on appeler d’un autre nom que sagesse cette science qui enseigne à l’homme où il est, ce qu’il est, où il va, et comment il doit penser, agir, adorer, vivre, mourir et revivre ? […] Mais, quant à y trouver une divinité parfaite, c’est ce que j’ose affirmer, si l’on peut affirmer quelque chose. » C’est néanmoins de ces consolantes conjectures, et de ces magnifiques probabilités, que le monde vit depuis qu’il est né, et qu’il vivra jusqu’à son dernier jour. Nous vivons sur parole : respectons donc la parole, quand Dieu la met sur les lèvres des grands philosophes tels que Confucius, Socrate ou Platon ; ces philosophes sont les révélateurs de la raison ; ils ne commandent pas impérativement la foi au nom de Dieu, ils la demandent humblement à la conviction raisonnée de l’intelligence et du cœur de l’homme. […] … » Examinant ensuite si l’amende ou l’exil serait une peine plus douce ou plus convenable pour lui : « Ce serait, dit-il, une belle existence pour moi, vieux comme je suis, de quitter mon pays, d’aller errant de ville en ville, et de vivre de la vie d’un proscrit !  […] « Mais il est temps que nous nous quittions, dit-il en finissant, moi pour mourir, vous pour vivre.

561. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXVIIe entretien. Littérature américaine. Une page unique d’histoire naturelle, par Audubon (1re partie) » pp. 81-159

Nous ne sommes point partisans de sa civilisation, que nous regardons comme trop élémentaire et trop brutale : si nous avions vécu du temps de Louis XVI, nous n’aurions pas conseillé à ce prince infortuné de déclarer la guerre aux Anglais pour favoriser à tout prix une nation anglaise d’insurgés contre leurs frères. […] La Fayette vivait, parlait et votait alors. […] Enfant, j’avais voulu la posséder tout entière ; homme fait, le même désir, la même ivresse vivaient dans mon cœur. […] Je l’ignore ; mais, à force de vivre sous ces ombrages et de diriger mon bateau sur ces rivières, un sentiment de tendresse presque passionné et dont plus d’un lecteur blâmera peut-être l’audace, m’avait incorporé cette nature. […] Réduits à vivre du travail de leurs mains, leurs vices, qui n’ont plus d’aliments, s’amortissent et leurs mœurs s’améliorent.

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