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948. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Journal et mémoires du marquis d’Argenson, publiés d’après les manuscrits de la Bibliothèque du Louvre pour la Société de l’histoire de France, par M. Rathery » pp. 238-259

Les contemporains appelaient le marquis d’Argenson (pour le distinguer de son frère plus fin et plus poli) d’Argenson la bête : on conçoit, quand on a lu et vu le marquis en déshabillé avec toutes ses rudesses et ses grossièretés de nature, que des gens du monde, surtout sensibles à la forme, lui aient donné ce surnom-là ; mais il faut convenir que la bête avait de terribles instincts, et qu’elle devinait plus juste bien souvent que les soi-disant spirituels. […] On a remarqué récemment, et l’on a paru découvrir avec un étonnement, selon moi un peu excessif4, qu’il y avait dans l’Ancien Régime, dès le xviie  siècle et depuis Richelieu surtout, des parties déjà très semblables à ce que devait être le gouvernement reconstitué à neuf après la Révolution. […] Il voulut changer toute la répartition accoutumée des impositions arbitraires, et surtout de la capitation. […] C’est surtout un fourrageur d’idées et un chercheur.

949. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Madame Swetchine. Sa vie et ses œuvres, publiées par M. de Falloux. »

Ce qui la séduisit surtout dans cette union fut la certitude que sa petite sœur ne la quitterait pas, qu’elle resterait maîtresse de lui prodiguer ses soins et de lui servir de mère. » « On cita, parmi les seigneurs russes dont ce mariage avait frustré les vœux, un jeune homme auquel la naissance, la fortune et de rares qualités d’esprit ouvraient une grande destinée, le baron, depuis, comte Strogonof. […] J’ai mauvaise grâce assurément de chicaner un éditeur aimable qui rachète de légères inexpériences du métier par des mots spirituels chemin faisant, surtout par la richesse du tissu étranger qu’il développe à nos yeux, par les lettres fort belles qu’il insère à tout moment dans son texte et qui en font le prix. […] Elle a de bonne heure fait le plus sensible des sacrifices pour une femme, surtout pour une femme qui a su et senti ce que c’est que l’amour : elle s’est dit : « Une femme qui n’a point été jolie n’a pas été jeune. » Et elle a sacrifié sa jeunesse, elle s’est jetée à corps perdu du côté de Dieu : « A l’âge de dix-neuf ans, je me jetai entre les bras de Dieu avec une passion telle, que je ne puis rien comparer de ce que j’ai éprouvé à sa vivacité. […] — Qu’est-ce surtout, si derrière la porte, à deux pas de là, vous sentez un oratoire où la pieuse femme est allée s’édifier et se prémunir avant de vous recevoir, et où elle rentrera bientôt pour se réédifier encore !

950. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Sismondi. Fragments de son journal et correspondance »

C’est un bon esprit plus qu’un esprit supérieur, un écrivain laborieux autant qu’éclairé, d’une vaste lecture, d’une sincérité parfaite, sans un recoin obscur ni une arrière-pensée ; c’est surtout une riche nature morale, sympathique, communicative, qui se teint des milieux où elle vit, qui emprunte et qui rend aussitôt. […] Mme d’Albany elle-même le goûtait peu, surtout depuis qu’il eut parlé d’Alfieri et des défauts de sa manière tragique : « J’aime votre vivacité sur Schlegel, lui répondait Sismondi ; c’est, en effet, un pédant présomptueux, et sa manière de porter ses jugements est presque toujours d’une extrême insolence. […] Mais ce qu’avait voulu le docte et impertinent Schlegel dans sa brochure, c’était surtout de se divertir avec ironie et de nous irriter, et comme il l’a dit ensuite lui-même : « C’était une expérience que je m’amusais à faire sur l’opinion littéraire, sachant d’avance qu’un orage épouvantable éclaterait contre moi. » Un autre Allemand, moins distingué et plus bizarre, un hôte de passage, le poète tragique et mystique, Zacharias Werner, qui séjourna à Coppet et qui passa ensuite par Florence, est annoncé par Sismondi à la comtesse en des termes assez piquants, et plus gais qu’on ne l’attendrait d’une plume aussi peu badine ; mais Werner y prêtait : « Werner, disait Sismondi, est un homme de beaucoup d’esprit ; — de beaucoup de grâce, de finesse et de gaieté dans l’esprit, ce à quoi il joint la sensibilité et la profondeur ; et cependant il se considère comme chargé d’aller prêcher l’amour par le monde. […] Il s’agit des confidents de tragédie : « On fait encore, dit Schlegel, un grand mérite à Alfieri d’avoir su se passer de confidents, et c’est en cela surtout qu’on trouve qu’il a perfectionné le système français ; peut-être ne pouvait-il pas mieux souffrir les chambellans et les dames d’honneur sur la scène que dans la réalité. » Il est difficile de ne pas voir là une allusion plus ou moins directe à la petite Cour de la comtesse d’Albany et de Charles-Édouard.

951. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Dominique par M. Eugène Fromentin (suite et fin.) »

Les paysans qui l’ont vu naître et grandir, et qui le retrouvent aux lieux où vivait son père, le respectent et l’aiment ; il s’arrange lui-même pour les aimer assez, surtout pour les servir et ne pas trop voir leurs laideurs et leurs défauts. […] Ils murmuraient doucement à de longs intervalles, surtout par des soirées tièdes, et quand il y avait dans l’air je ne sais quel épanouissement plus actif de sève nouvelle et de jeunesse. […] Mais dans l’hôtel d’Orsel, c’est surtout aux hôtes, c’est aux jeunes et charmants visages qu’il fait attention, et il néglige volontiers le reste. […] C’est à la tombée de la nuit : « le bois sombre de quelques meubles anciens se distingue à peine, l’or des marqueteries ne luit que faiblement ; des étoffes de couleur sobre, des mousselines flottantes, tout un ensemble de choses pâles et douces y répand une sorte de léger crépuscule et de blancheur, de l’effet le plus tranquille et le plus recueilli ; l’air tiède y vient du dehors avec les exhalaisons du jardin en fleur ; mais surtout une odeur subtile, plus émouvante à respirer que toutes les autres, l’habite comme un souvenir opiniâtre de Madeleine ».

952. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Mémoires de Malouet (suite.) »

Le tort de l’abbé est dans la sauce qu’il y a mise, que surtout il y a fait mettre de toutes mains par ses amis, et qui jamais ne lui semblait d’un ragoût philosophique assez relevé. […] Cette barrière, que je n’ai jamais franchie, m’a toujours fait repousser les opinions licencieuses, les déclamations indécentes contre la religion et le gouvernement… Je m’attachai cependant à l’abbé Raynal, quelques années après notre connaissance, mais surtout lorsqu’il m’eut confié ses regrets d’avoir abandonné à Diderot la refonte de son grand ouvrage, où celui-ci a inséré toutes les déclamations qui le déparent. […] Ce fut surtout en ces années passées chez Malouet que ses opinions se modifièrent, et que la peur le prit sérieusement de voir la France mettre en pratique les doctrines de ses livres. […] Demander à l’Assemblée, par une motion spéciale, le rappel à Paris d’un écrivain célèbre, frappé d’un arrêt injuste sous le précédent régime, était chose toute simple et jouable, de la part surtout d’un ami de quinze ans ; mais voir là une occasion de faire la leçon à l’Assemblée, présenter, ériger tout d’un coup un pareil homme en censeur de la Révolution, lui l’écrivain en nom et l’endosseur avoué de tant de tirades révolutionnaires, ce n’était pas une idée heureuse ni un à-propos.

953. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. »

Ce serait un manuel à l’usage de tous les cœurs d’artiste, surtout des cœurs de femmes tendres et fiers, vaillants à la peine, souffrant sans merci et saignant jusqu’à la fin, sans jamais désespérer. […] Elle eut beaucoup de succès dans le rôle de Mme Milville, de l’Habitant de la Guadeloupe, par Mercier ; dans Clary, du Déserteur ; dans Cécile, de l’Honnête criminel, et surtout dans Eulalie, de Misanthropie et Repentir. […] Elle avait joué très jeune, en même temps que l’excellente actrice Mme Gontier, qui avait jadis inspiré une passion à M. de Florian, et qui surtout en avait ressenti une très vive pour ce brillant capitaine de dragons, auteur de jolies arlequinades. […] Mais combien il restait à faire encore à l’aimable et touchante muse pour devenir celle de ses dernières poésies et de ses derniers chants, de ceux surtout qui n’ont paru que depuis sa mort68 !

954. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « GRESSET (Essai biographique sur sa Vie et ses Ouvrages, par M. de Cayrol.) » pp. 79-103

y a-t-il lieu surtout de réformer à quelques égards le jugement établi sur son talent ? […] De telles nuits marquent des âmes beaucoup trop éveillées, et assurément, si je me mêlais de me scandaliser, ma délicatesse serait bien déconcertée par un pareil dérangement, surtout après la grande et pompeuse retraite. […] Le personnage de Valère, de ce jeune homme bien doué et d’un naturel excellent, qui se croit obligé de faire le fat par bon air, n’est pas moins vivement saisi ; cela prête à plus d’une scène heureuse et d’un intérêt assez comique ; mais la diction surtout du Méchant est excellente ; on en peut dire ce que Voltaire disait de la satire des Disputes, que ce sont des vers comme on en faisait dans le bon temps. […] Je sais bien qu’autre chose est l’entière retraite de la campagne, autre chose la ville de province41, surtout l’Académie de l’endroit ; et Gresset, par le genre de vie anodin qu’il adopta, se soumit à la plus redoutable, à la plus assoupissante des épreuves.

955. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « DU ROMAN INTIME ou MADEMOISELLE DE LIRON » pp. 22-41

Par moments, plus tard surtout, je le voudrais autre ; je le voudrais, non plus dévoué, non plus soumis, non plus attentif au chevet de son amie mourante ; Ernest en tout cela est parfait : sa délicatesse touche ; il mérite qu’elle lui dise avec larmes, et en lui serrant la main après un discours élevé qu’elle achève : « O toi ! […] Toute femme organisée pour aimer, toute femme non coquette et capable de passion (il y en a peu, surtout en ces pays), est susceptible d’un second amour, si le premier a éclaté en elle de bonne heure. […] Mlle Aïssé a donc recours à Mme du Deffand et à cette bonne Mme de Parabère, qui l’aide de tout son cœur : « Vous êtes surprise, je le vois, du choix de mes confidentes ; elles sont mes gardes, et surtout Mme de Parabère, qui ne me quitte presque point, et a pour moi une amitié étonnante ; elle m’accable de soins, de bontés et de présents. […] Il croit qu’à force de libéralités il rachètera la vie de son unique amie, et il donne à toute la maison, jusqu’à la vache, à qui il a acheté du foin : « Il donne à l’un de quoi faire apprendre un métier à son enfant ; à l’autre, pour avoir des palatines et des rubans ; à tout ce qui se rencontre et se présente devant lui : cela vise quasi à la folie. » Sublime folie en effet, folie surtout, puisqu’elle dura, et que l’existence entière du chevalier fut consacrée au souvenir de la défunte et à l’établissement de l’enfant qu’il avait eu d’elle !

956. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Jules de Glouvet »

Et là-dessus on cite, à la vérité, de fort beaux paysages, encore que très sobres, de Théocrite, de Lucrèce, d’Horace, de Virgile, surtout l’admirable cri des Géorgiques : « Oh ! […] Je crois que les plus récentes conceptions de l’histoire du monde, surtout la théorie de l’évolution, ont contribué à développer ce sentiment. […] Les lettrés élégants du siècle dernier aimaient les paysans à la façon de citadins : ils en faisaient des peintures enjolivées et convenues, goûtaient surtout la « naïveté » des « villageois » à cause du contraste qu’elle fait avec la « corruption des villes ». […] Surtout la haute stature du berger domine le livre.

957. (1890) L’avenir de la science « XIII »

La vérité est, ce me semble, que les spécialités n’ont de sens qu’en vue des généralités, mais que les généralités à leur tour ne sont possibles que par les spécialités ; la vérité, c’est qu’il y a une science vitale, qui est le tout de l’homme, et que cette science a besoin de s’asseoir sur toutes les sciences particulières, qui sont belles en elles-mêmes, mais belles surtout dans leur ensemble. […] Dans l’état actuel de la science, et surtout des sciences philologiques, les travaux les plus utiles sont ceux qui mettent au jour de nouvelles sources originales. […] Les académies, surtout les académies à travaux communs, telles que l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, répondent au besoin que je signale ; mais, pour qu’elles y satisfassent tout à fait, il faudrait leur faire subir de profondes transformations. […] La perfection du Parthénon consiste surtout en ce que les parties non destinées à être vues sont aussi soignées que les parties destinées à être vues.

958. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Histoire du Consulat et de l’Empire, par M. Thiers. Tome IXe. » pp. 138-158

Mais ce fut surtout dans le jeu terrible des batailles que ce génie extraordinaire l’allait chercher, et qu’il remettait en question coup sur coup les magnifiques résultats obtenus. […] Enfin, dans sa marche tardive, il est embarrassé par ses malades, peu servi par ses jeunes soldats que l’ardeur du climat dévore, mal secondé surtout par ses lieutenants, par le général Védel, qui fait là, en diminutif, ce que Grouchy fera un jour à Waterloo. […] Du Tacite continuel, et surtout du Tacite imité, serait tendu et bien fatigant. […] Pour les habiles en escrime, on l’a remarqué, il n’est pas de duel plus dangereux qu’avec des maladroits, surtout s’ils sont à la fois des furieux et des braves.

959. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Monsieur Bazin. » pp. 464-485

Ce serait une peinture à faire que celle des journaux politiques de la Restauration, et surtout des trois principaux : le Journal des débats, organe du royalisme selon Chateaubriand, et suivant celui-ci en toutes ses métamorphoses ; Le Constitutionnel d’alors, centre du libéralisme pur ; et La Quotidienne. […] Ce qu’était surtout M.  […] Sa conversation littéraire, surtout vers la fin, disent ceux qui en ont joui, était pleine d’intérêt, d’instruction positive, et même de charme quand il se sentait goûté. […] Cette disposition caractéristique à part, et quand il parvenait à triompher des travers où elle le jetait souvent, c’était un esprit judicieux, étendu, supérieur, ferme surtout et fin, un homme jugeant les hommes.

960. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Monsieur Théodore Leclercq. » pp. 526-547

Ces proverbes sans doute pourront eux-mêmes avoir besoin, sur quelques points, de commentaire, mais surtout ils seront eux-mêmes un commentaire vivant et une explication animée des prétentions et des travers d’une époque : c’est là ce que j’appelle les vignettes amusantes et vraies de l’histoire. […] Les ennuis de la comptabilité, l’inquiétude de la responsabilité surtout, la lui firent quitter après moins de deux ans. […] Les sept premiers se rapportent surtout à l’époque que nous indiquons et qui, jusqu’en Juillet 1830, doit être regardée comme le moment de vogue de l’auteur. […] Ce genre de tour plaît surtout aux gens d’esprit dans la conversation : mais, au théâtre, beaucoup de ces mots, qui sont comme des épigrammes, courraient risque de s’évanouir.

961. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Le duc de Lauzun. » pp. 287-308

Les Mémoires de Lauzun en cet endroit, surtout si on les complète par les exemplaires manuscrits qui contiennent quelques détails de plus, tendent à montrer qu’il n’eût tenu qu’à lui, à un certain jour, d’abuser de la tendre préférence que lui témoignait la reine : « Je fus tenté, dit-il, de jouir du bonheur qui paraissait s’offrir. […] Sortie de France pour la seconde fois depuis le commencement de la Révolution, elle eut l’imprudence de revenir d’Angleterre à Paris au printemps de 1794, dans l’espoir de sauver quelque partie de sa fortune qu’elle employait surtout en bienfaits, et elle périt avec tant d’innocentes victimes, mais la plus pure, la plus angélique de toutes. […] Il y a des traits fort spirituels ; il fait surtout plaisir à ceux qui ont connu, non Émilie, comme écrit Mme Necker, mais Amélie, et il fait mal quand on pense que cette excellente femme, recommandée à un Ange pour ses derniers moments, a été livrée au bourreau. […] La vertu des grandes dames de cette fin du xviiie  siècle a trouvé, d’une part, de zélés chevaliers dans la Société des bibliophiles, et surtout dans le président de cette Société (M. 

962. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Monsieur de Bonald, (Article Bonald, dans Les Prophètes du passé, par M. Barbey d’Aurevilly, 1851.) » pp. 427-449

Le but de la philosophie morale est moins d’apprendre aux hommes ce qu’ils ignorent, que de les faire convenir de ce qu’ils savent, et surtout de le leur faire pratiquer. […] Il se demandait encore, et c’est surtout aujourd’hui le cas de nous demander tous avec lui : Que s’est-il donc passé dans la société, qu’on ne puisse plus faire aller qu’à force de bras une machine démontée, qui allait toute seule, sans bruit et sans effort59 ? […] Elle en souffre surtout quant au mode de talent et de nature. […] Bonald restait ce qu’il avait été dès l’abord, l’homme de la tour et du clocher antique et gothique, tandis que Chateaubriand, livré à ses brillants instincts, se faisait déjà l’homme du torrent : C’est le grand champion du système constitutionnel, écrivait Bonald à Joseph de Maistre en 1821 ; il va le prêcher en Prusse, et n’y dira pas de bien de moi, qu’il regarde comme un homme suranné qui rêve des choses de l’autre siècle… C’est un très grand coloriste, et surtout un très habile homme pour soigner ses succès.

963. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mémoires et correspondance de Mallet du Pan, recueillis et mis en ordre par M. A. Sayous. (2 vol. in-8º, Amyot et Cherbuliez, 1851.) — I. » pp. 471-493

C’est l’abbé de Pradt qui a dit cela en tête d’un de ses écrits (Les Quatre Concordats) ; et, sans regarder toutes les paroles que jetait cet homme d’esprit comme autant d’oracles, il est juste de tenir compte de ses jugements, surtout quand il s’agit du style de pamphlets, de brochures politiques, de ce style qui prend et mord sur le public, même en matière sérieuse : l’abbé de Pradt s’y connaissait. […] En arrivant sur le grand théâtre de Paris, il trouva une nation en masse pleine d’illusions, et surtout enivrée dans la personne de ses conducteurs ; une nation en proie aux théories illimitées et à toutes les espérances. […] — « Il est de l’essence de la démocratie, pense-t-il encore, d’aller toucher le pôle tant qu’aucun obstacle ne l’arrête. » Analysant avec une force de dissection effrayante les idées fausses, vagues, les sophismes de divers genres qui ont filtré dans toutes les têtes au milieu d’une nation amollie et de caractères déformés par l’épicuréisme, Mallet du Pan montre comment on n’a jamais opposé au mal que des moyens impuissants et des espérances dont se berçait la présomption ou la paresse : « Cependant on s’endormait sur des adages et des brochures : Le désordre amène l’ordre, disaient de profonds raisonneurs ; l’anarchie recomposera le despotisme. — La démocratie meurt d’elle-même ; la nation est affectionnée à ses rois. » C’est surtout aux émigrés, on le sent, qu’il parle ainsi ; et, tandis que les partis se nourrissaient de leurs illusions et de leurs rêves, les Jacobins seuls marchaient constamment au but : « Les Jacobins seuls formaient une faction, les autres partis n’étaient que des cabales. » Et il montre en quoi consiste cette faction, son organisation intérieure, son affiliation par toute la France, ses moyens prompts, redoutables, agissant à la fois sur toutes les mauvaises passions du cœur humain. […] Mallet, dans une lettre datée du 4 septembre 1793, expliquait au maréchal qu’étant neutre, sans conséquence et parfaitement désintéressé, il avait cru pouvoir développer avec franchise, à l’adresse des cabinets étrangers, plusieurs considérations qu’on n’eût pas écoutées deux minutes dans une autre bouche : J’ai demandé qu’on voulût bien se pénétrer de la certitude et de la profondeur du danger, qu’on le combattit partout, et surtout avec les véritables armes, et qu’on se désabusât de l’idée qu’avec des sièges, des virements systématiques de troupes et quelques prises de possession, on parvint à effleurer le monstre. — Cet écrit, continuait-il, a produit une assez forte sensation sur quelques cabinets : c’est à eux, c’est à quiconque influe sur cette crise, que je m’adressais, et non au vulgaire des insensés et des furieux, à qui le malheur ôte la raison, et dont les emportements ne sont pardonnables qu’en faveur des souffrances qui les occasionnent.

964. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Œuvres de Frédéric le Grand (1846-1853). — I. » pp. 455-475

Aujourd’hui, en m’occupant de la Correspondance de Frédéric selon l’ordre où elle se déroule à nous dans les Œuvres complètes, je m’attacherai surtout à montrer en lui les sentiments du cœur et de l’âme, tels qu’il les avait dans la jeunesse et qu’il les garda jusque sur le trône, au moins tant que ses premiers amis vécurent. […] Il s’est surtout fait une solitude très animée, très conversante et selon ses goûts, à son château de Rheinsberg ou Remusberg qui est près de là : « Nous sommes une quinzaine d’amis retirés ici, qui goûtons les plaisirs de l’amitié et la douceur du repos. » Les occupations y sont de deux sortes, les agréables et les utiles : Je compte au rang des utiles l’étude de la philosophie, de l’histoire et des langues ; les agréables sont la musique, les tragédies et les comédies que nous représentons, les mascarades et les cadeaux que nous donnons. […] Wolff alors était là, Wolff et ses cahiers, commentés surtout et vivifiés par la parole de M. de Suhm. […] Elle mérite de nous arrêter encore ; je n’ai fait que l’effleurer cette fois ; je continuerai à la faire connaître par extraits et à y dégager les belles parties, celles surtout qui sont propres à caractériser en lui l’ami sincère.

965. (1888) La critique scientifique « La critique scientifique — Analyse esthétique »

Il embrasse toutes les valeurs émouvantes, toutes les espèces de qualités par lesquelles les choses réelles, ou concevables sont susceptibles d’exercer sur nous un attrait ou une répulsion. » Or les émotions les plus douloureuses, les plus pathétiques d’un livre, même celles qui mènent les personnes sensibles jusqu’aux larmes, le spectacle d’une mort tragique, quelque lamentable infortune, l’injustice, la violence, la malveillance retentissent bien au fond de l’âme, comme le feraient à peu près des spectacles analogues réels, mais dépouillés de la plus grande partie de leur amertume, et produisant surtout une excitation diffuse de l’esprit qui est plus exaltante en somme que déprimante. […] L’une et l’autre produisent surtout de l’intérêt, quelque transport, de l’enthousiasme, c’est-à-dire tous les degrés divers de la simple excitation neutre et qui reste agréable en tant qu’excitation. […] Le premier exprime surtout des sentiments et des sensations ; le second, des émotions et des idées ; le troisième, des idées II Pratique de l’analyse esthétique. […] Les écrits de Poe font appel surtout à la curiosité et à l’horreur ; ceux de Zola provoquent un sentiment de volonté tendue, de sympathie et de pessimisme ; Delacroix a le pathétique, l’emportement ; Mozart a le charme de la bouté heureuse.

966. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Rivarol » pp. 245-272

Voluptueux aussi en littérature, d’une délicatesse presque morbide, mais naturaliste de fin fond, malgré les convenances morales de la surface, Sainte-Beuve a été séduit sans nul doute par cet enchanteur de Rivarol, qu’il a classé parmi les délicats qu’il aime, et chez lequel le critique du dix-neuvième siècle, assez indifférent· aux idées, a vu surtout les grandes qualités oratoires qui auraient pu devenir si aisément de grandes qualités littéraires. […] cette gloire qui, dans un autre temps que le sien, aurait pu être fièrement et grandement littéraire, avait presque disparu tout entière dans une autre gloire qui semble l’avoir consumée, et c’était la gloire brûlante et sur place du causeur, et du causeur le plus spontané, le plus éclatant, le plus étonnant d’un siècle fameux surtout par la causerie. […] Pourquoi M. de Lescure, très digne par son érudition, par la hardiesse et la sûreté de son goût et surtout par son enthousiasme pour Rivarol, de nous le donner intégral, a-t-il imité, — avec des qualités nouvelles, je le reconnais, — mais a-t-il imité cependant les éditeurs par fragments qui l’ont précédé, au lieu de nous enrichir d’une Édition complète des Œuvres de Rivarol qui va manquer encore, — qui peut-être manquera toujours ? […] L’écrivain est surtout dans les Tableaux de la Révolution.

967. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Ernest Hello » pp. 207-235

Mais s’il avait eu la crainte, il aurait eu la joie. » Écoutez-le enfin et surtout parler de l’honneur, qu’il définit : « Promettre et ne pas tenir », et laissez-le creuser dans sa définition pour en tirer le plus magnifique fragment de ce livre, qui en a plusieurs de superbes et beaucoup aussi de charmants ! […] … Mais lisez surtout le fragment sur Voltaire, Voltaire, que de Maistre, cette perfection de bourreau justicier, avait pourtant si bien exécuté qu’on pouvait ne plus toucher à ce cadavre. […] Lacordaire surtout (rendons-lui cette justice), Lacordaire, dont la tache, restée sur son froc, sera d’avoir trop été un moderne, redevint, en écrivant la Vie de Saint Dominique, un dominicain du xiiie  siècle, un dominicain éternel. […] Il y en a trente-deux, dans ce recueil, de ces figures enlevées, pénétrées et surtout pénétrantes.

968. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre v »

Il y avait dans la situation des Juifs, surtout des Juifs allemands nouvellement immigrés, quelque chose de louche et d’irrégulier, de clandestin et de bâtard. […] Elle m’aura élargi la vue (toute ma vie intérieure est devenue plus facile, plus large — large comme une avenue où j’aimerais voir aller et venir beaucoup de passants) — surtout en me montrant les effets que peuvent avoir sur les autres un visage égal, souriant, accueillant à n’importe quelle heure, et quelques bonnes paroles.‌ […] Ce sont surtout les 1er, 2e, 3e, 4e et 8e zouaves, constitués en Algérie, qui les ont encadrés à l’origine. […] Nous sommes aujourd’hui revenus en arrière pour longtemps de la ligne de feu où nous sommes depuis le 26 août, surtout depuis le 2 septembre.

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