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627. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « La Réforme sociale en France déduite de l’observation comparée des peuples européens, par M. Le Play, Conseiller d’État. »

Propriétaire viager ou, si l’on veut, locataire à vie de la maison qu’il occupe, ayant ainsi le sentiment du chez-soi, l’ouvrier du Hartz, en sa qualité de membre de la corporation des mines, « possède sur les richesses minérales et forestières de ce district une sorte d’hypothèque légale qui le garantit, ainsi que sa famille, contre toutes les éventualités fâcheuses qui peuvent se présenter. » Il a non seulement l’habitation et le jardin qui y tient, il a le droit de récolter à titre gratuit dans les forêts domaniales le bois de chauffage ; le blé lui est assuré à un prix invariable et toujours au-dessous de celui du marché. […] La famille de l’ouvrier vassal, telle qu’elle existe encore dans des contrées du nord et de l’est de l’Europe, se développe dans son humble sphère avec sécurité, et même avec une sorte de majesté. […] Jamais la statistique n’avait encore été traitée de la sorte ni serrée d’aussi près, de manière à rendre tous les enseignements qu’elle contient, et rien que ce qu’elle contient.

628. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Frochot, Préfet de la Seine, histoire administrative, par M. Louis Passy. »

Le préfet de la Seine est une espèce de ministre, tandis que celui de Digne est une sorte de sous-préfet… Il faut aujourd’hui qu’un préfet de Paris, ayant un Conseil de maires et un Conseil municipal, administre sans exception tout ce qui est recette et dépense, et, en général, tout ce qui est matière d’administration. […] Comme le dit son ami Regnaud de Saint-Jean-d’Angély, d’un mot expressif à la fois et indulgent, « ce jour-là et à cette heure-là, Frochot fut frappé d’une sorte d’apoplexie morale. » Il n’en revint, une demi-heure après, que par un autre mouvement excessif, et qui peint bien le désordre de sa pensée ; lorsqu’il apprit que tout ce qu’il avait cru d’abord n’était qu’une déception et qu’un rêve, quand les écailles tout à coup lui tombèrent de dessus les yeux : « Ah ! […] Combien de vieux soldats, de généraux même, après Waterloo, recoururent à la bêche, à la charrue, et y cherchèrent la distraction de la défaite, l’oubli de l’affront national, avec acharnement et une sorte de rage !

629. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre VIII. De l’éloquence » pp. 563-585

Une âme délicate éprouve une sorte de dégoût pour la langue dont les expressions se trouvent dans les écrits de pareils hommes. […] Il faut soutenir chaque absurdité dont est formée la longue chaîne qui conduit à la résolution coupable ; et le caractère resterait, s’il est possible, plus intact encore après des actions blâmables que la colère aurait inspirées, qu’après ces discours dans lesquels la bassesse ou la cruauté se distillent goutte à goutte avec une sorte d’art que l’on s’efforce de rendre ingénieux. […] de mettre enfin au service du pouvoir injuste cette sorte de talent sans conscience, qui prête aux hommes puissants les idées et les expressions comme des satellites de la force, chargés de faire faire place en avant de l’autorité !

630. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Troisième partie. Disposition — Chapitre V. Subordination et proportion des parties. — Choix et succession des idées »

Pascal, dans ses Provinciales, voulant adoucir pour les gens du monde l’amertume de la théologie et en rendre agréable l’austérité, s’y est pris de telle sorte que, faisant une démonstration de l’injustice, des erreurs et des scandales de ses adversaires, il n’a rien dit qui ne serve à cette démonstration : il n’a point mis l’agrément dans son sujet, il l’en a tiré ; ce qui est ornement est aussi argument, et ce qui plaît, prouve. […] Il me semble qu’un livre, un discours, une dissertation, ne doivent être qu’une sorte d’affleurement continu de la pensée, qui permet de suivre la direction et de sonder la richesse de la veine intérieure de l’esprit. […] Par une sorte de mirage, le désert s’était peuplé de clochers, de palais et de forêts.

631. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XV. Commencement de la légende de Jésus  Idée qu’il a lui-même de son rôle surnaturel. »

Mais l’opinion ici lui fit une sorte de violence. […] Une sorte de besoin amenait cette théologie, pour corriger l’extrême rigueur du vieux monothéisme, à placer auprès de Dieu un assesseur, auquel le Père éternel est censé déléguer le gouvernement de l’univers. […] [Greek : Metathronos], c’est-à-dire partageant le trône de Dieu ; sorte de secrétaire divin, tenant le registre des mérites et des démérites : Bereschith Rabba, V, 6 c ; Talm. de Bab., Sanhédr., 38 b ; Chagiga, 15 a ; Targum de Jonathan, Gen., V, 24.

632. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XXI. Dernier voyage de Jésus à Jérusalem. »

lui créait une sorte d’infériorité. […] Des deux sœurs, l’une, nommée Marthe, était une personne obligeante, bonne, empressée 958 ; l’autre, au contraire, nommée Marie, plaisait à Jésus par une sorte de langueur 959, et par ses instincts spéculatifs très développés. […] Car vous ressemblez à des sépulcres blanchis 986, qui du dehors semblent beaux, mais qui au dedans sont pleins d’os de morts et de toute sorte de pourriture.

633. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XIII. Dernière semaine de Jésus. »

Tous les récits sont d’accord pour lui prêter avant son arrestation un moment d’hésitation et de trouble, une sorte d’agonie anticipée. […] Il résulte de ces passages que Bethphagé était une sorte de pomoerium, qui s’étendait au pied du soubassement oriental du temple, et qui avait lui-même son mur de clôture. […] Cela se comprendrait d’autant moins que Jean met une sorte d’affectation à relever les circonstances qui lui sont personnelles ou dont il a été le seul témoin (XIII, 23 et suiv. ; XVIII, 15 et suiv. ; XIX, 26 et suiv., 35 ; XX, 2 et suiv. ; XXI, 20 et suiv.).

634. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Bain — Chapitre I : Des sens, des appétits et des instincts. »

Les mouvements rapides sont une sorte d’ivresse mécanique. […] On peut dire que c’est un pouvoir non appris d’accomplir des actions de toute sorte, et plus particulièrement celles qui sont nécessaires ou utiles à l’animal. […] C’était dans cette obscure région des phénomènes primitifs de la vie affective, qu’il fallait chercher les germes des plaisirs, douleurs, passions de toute sorte, que le jeu de la vie féconde, transforme, affine incessamment.

635. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Journal de la campagne de Russie en 1812, par M. de Fezensac, lieutenant général. (1849.) » pp. 260-274

Dans la première partie du récit, qui va jusqu’à la bataille de la Moskova, et qui n’est qu’une sorte d’introduction, M. de Fezensac, alors chef d’escadron et aide de camp du maréchal Berthier, se borne à bien saisir les faits d’un coup d’œil rapide et précis, selon que le lui permet sa position au centre. […] Les voitures de toutes sortes, et quelques-unes de la plus grande élégance, chargées d’objets précieux, vont pêle-mêle avec les fourgons et les charrettes qui portent les vivres. […] Un parlementaire envoyé par le général russe vint sommer le maréchal de mettre bas les armes ; on y joignait toutes sortes de compliments pour sa personne.

636. (1875) Revue des deux mondes : articles pp. 326-349

C’est une sorte de fête comparable à celle des vendanges, la fiesta de las juvias. […] Dans tous les genres de mort que l’on connaît, il y a toujours vers l’agonie des convulsions, des cris ou des râles indiquant une souffrance et une sorte de lutte entre la vie et la mort. […] Quand on appelait le chien, il répondait à l’appel ; il se levait et venait, après des sommations réitérées et avec une sorte de lassitude. […] Plus tard, le poumon fut considéré comme une sorte de calorifère dans lequel la masse du sang venait tour à tour puiser la chaleur que la circulation était chargée de distribuer à tout le corps. […] La pathologie nous fournit donc encore ici une sorte d’analyse et de synthèse fonctionnelle, comme cela se voit dans les expériences de rédintégration.

637. (1866) Cours familier de littérature. XXII « CXXXIe entretien. Littérature russe. Ivan Tourgueneff » pp. 237-315

Bien qu’il ne pût user de cet appareil britannique sans une sorte de répugnance, il ne croyait pas pouvoir s’en passer. […] Mais il ne riait jamais, ou il lui arrivait d’être saisi d’une sorte de rire convulsif qui le rendait malade. […] Mais il s’arrêta quand il vit Étienne tomber sur le divan dans une sorte d’anéantissement. […] Il entonna un chant qui commençait par des sons plaintifs, puis éclatait en une sorte de mélodie sauvage. […] Son mutisme donnait à son infatigable travail une sorte de gravité solennelle.

638. (1923) Paul Valéry

Et les ayant obtenues par une sorte d’interruption de ma vie (adorable suspens de l’ordinaire durée) je veux encore que je divise l’indivisible et que je tempère et que j’interrompe la naissance même des idées. » Voilà la nature intérieure immobilisée, vérifiée, disciplinée par l’artiste ingénieur, le « génie » adapté à son sens militaire. […] Teste représente une sorte d’hyperbole qui est au Léonard de l’Introduction ce que la géométrie de l’espace à n dimensions est à celle d’Euclide, Mais, au contraire de la géométrie méta-euclidienne, c’est une hyperbole peut-être trop commode. […] « C’est par une sorte d’induction, dit Valéry, par le produit d’images mentales, que toute œuvre d’art s’apprécie. » En d’autres termes le style de l’œuvre a pour effet, sinon pour objet, de déclencher dans le public, dans l’amateur, dans le critique, un style de l’appréciation, du goût, de la sympathie, de la joie. […] Et l’on peut concevoir la critique comme une sorte de philologie comparée, qui établit les racines et les mouvements communs de deux langues ou de deux techniques, dont chacune comporte son développement autonome et a des chances d’être mal parlée par qui en mélangerait l’emploi. […] La critique qui cherche à ramener à un signe algébrique, à un « caractère » unique, des réalités en apparence si distinctes aurait besoin ici d’une sorte d’idée platonicienne (ou de schème dynamique) du feu.

639. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre huitième. L’introduction des idées philosophiques et sociales dans la poésie (suite). Victor Hugo »

Ce n’est plus une sorte de fièvre de douleur, un vertige de désespoir ; c’est la vision illimitée d’un horizon noir où notre moi n’est qu’un point, d’un abîme où nous sommes engloutis. […] Cette bonté de cœur ne s’est point fait jour tout de suite ; le tempérament premier de Victor Hugo était violent et passionné ; ses toutes premières œuvres ne peignent que lutte, coups d’épée, chocs de toutes sortes, y compris les chocs des rimes et des couleurs. […] … » Victor Hugo ne veut point consentir à cette mort, à cette sorte de damnation sociale. […] Hugo et son œuvre sont simplement « monstrueux » l’un et l’autre : « Il est une force indomptable, un élément irréductible, une sorte d’Attila du monde intellectuel, … s’emparant de tout ce qui peut lui servir, brisant ou rejetant tout ce qui ne lui sert plus. […] » Plus tard, le Sunt lacrymae rerum, cette sorte de panégyrique attendri que la mort de Charles X exilé inspire au poète du sacre, venait juste à l’encontre du sentiment populaire.

640. (1920) Action, n° 2, mars 1920

Il est deux sortes de musique : elles vont toutes deux à la connaissance du cœur, mais par des voies différentes. […] Parfois ils acquièrent comme Tolstoï, cette sorte de gloire magnétique qui « civilise » les âmes malgré elles. […] Tout moyen âge nous montre cette sorte d’obstination passive qui sait vaincre les plus désespérantes besognes et qui, seule, sait réaliser le grand œuvre. […] Les plus soignés d’entre ceux-ci provenaient de certains monastères de Chartreux ou de Bénédictins qui s’étaient spécialisés dans ces sortes de travaux. […] L’expressionisme est une sorte de généralisation de toute notre vie d’une influence purement spirituelle.

641. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIe entretien. Vie et œuvres de Pétrarque » pp. 2-79

Vaucluse est une sorte de Tibur des Gaules ; à l’extrémité d’une vallée ombreuse et boisée, tout humide et toute retentissante du murmure des eaux courantes, un rempart de rochers amoncelés et inaccessibles ferme tout à coup l’horizon. […] Je me contente pour ma nourriture du pain noir de mon jardinier, et je le mange même avec une sorte de plaisir ; quand on m’en apporte du blanc de la ville, je le donne presque toujours à celui qui l’a apporté. […] J’éprouvais une sorte de plaisir en y entrant ; mais, je l’avoue, ce plaisir n’était pas sans une certaine voluptueuse terreur. […] On y entend gazouiller toutes sortes d’oiseaux, et on y voit courir des bêtes fauves de toutes espèces. […] « Afin que, semblable à toutes mes pensées qui volent sur ses traces derrière elle, ainsi mon âme affranchie de son poids, libre et joyeuse, la suive, et que je sorte enfin de l’angoisse où je vis.

642. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre onzième »

L’honnêteté de l’utopiste est dans sa tête ; elle y est comme une sorte d’ivresse dans laquelle il oublie ce que commande aux gens de bien l’honnêteté qui vient du cœur. […] L’amour, tel qu’il le peint, n’est qu’une sorte de métaphysique amoureuse, où l’on reconnaît ses deux préoccupations habituelles, prendre le contrepied de son temps et en dire plus qu’il ne sent. […] Il est vrai que Rousseau consentira quelque jour à lui mettre un livre dans les mains ; mais ce ne sera pas le jour où l’âme de l’enfant, s’échappant des liens de cette éducation matérielle, se sentira éprise d’une autre sorte de curiosité que celle qui le porte à briser un joujou ou à casser un meuble. […] C’est une sorte de conscience d’apparat que se donnent tous ceux qui n’ont pas sujet d’être contents de leur véritable conscience. Quand les travers d’un homme d’esprit, ses fautes de conduite, beaucoup d’ambition jointe à beaucoup de paresse, des choses commencées et abandonnées faute de persévérance, du découragement sans repentir, l’ont réduit à la plus pernicieuse sorte d’impuissance, celle d’un homme qui ne peut plus rien pour lui-même, attendez-vous à ce qu’il sorte de là le plus absolu et le plus impatient des réformateurs.

643. (1888) Études sur le XIXe siècle

Lui qui souffre sans cesse de toutes sortes de maux chroniques fort douloureux, il est pris de terreurs indescriptibles, dès qu’il est menacé d’une douleur aiguë. […] La première, datée de 1821, débute par une invocation à la « lyre longtemps oisive » et se termine par une sorte de paraphrase de la Chute des feuilles. […] … » Cet amour, né subitement dans une rencontre de hasard, devait être une sorte de roman héroïque dont Garibaldi ne parle qu’avec une extrême discrétion. […] De cette curiosité nous avons fait une sorte de critère, et, dans toute une partie du public intelligent, on ne trouve pas de plus bel éloge à faire d’un tableau, d’un livre ou d’un poème, que de le proclamer curieux. […] Tronconi crée une sorte de présomption contre lui.

644. (1923) Au service de la déesse

Veuillent nos illuminés de toute sorte en redouter la ressemblance ! […] Le roman de Bouvard et Pécuchet serait donc d’une autre sorte ? […] Alors, qu’est-ce que ce roman d’une troisième sorte et quelle en est la signification ? […] Il y a donc une sorte de vérité qui leur paraît excessive ? […] Il y a une sorte de bien-être qui est nécessaire à la moralité comme à la santé.

645. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Duclos. — II. Duclos historien » pp. 224-245

quelle sorte d’addition et d’innovation a-t-il apportée au premier travail ? […] S’il eut de grands défauts, il eut aussi de très grandes vertus, et la France a eu peu de rois qui eussent eu plus de talents et de qualités nécessaires pour bien gouverner. » Et après une comparaison suivie de Louis XI avec Louis XIII, puis avec Louis XII, il termine de la sorte : Si présentement quelqu’un, dépouillé de toute prévention et pesant tout au poids du sanctuaire, voulait faire le parallèle de ces deux rois, il trouverait qu’après avoir épargné Louis XII sur tout ce qu’il a fait jusqu’à ce qu’il soit monté sur le trône, on n’en pourrait faire que ce qui s’appelle un bonhomme, et que Louis XI, malgré tous les défauts qu’on peut lui reprocher, a été un grand roi. […] Cette demoiselle de Chausseraye, qui était de l’intimité de la duchesse de Ventadour, y entendit parler, sans en avoir l’air, d’un grave projet, d’une sorte de conjuration ecclésiastique qu’on était parvenu à faire accepter au roi : c’était d’enlever l’archevêque de Paris Noailles pendant qu’il irait à sa maison de Conflans, et de l’expédier tout de suite à Rome pour l’y faire déposer de son siège. […] L’adroite Chausseraye saisit le moment et répondit au roi « qu’il était bien bon de se laisser tourmenter de la sorte à faire chose contre son gré, son sens, sa volonté ; que ces bons messieurs ne se souciaient que de leur affaire et point du tout de sa santé, aux dépens de laquelle ils voulaient l’amener à tout ce qu’ils désiraient ; qu’en sa place, content de ce qu’il avait fait, elle ne songerait qu’à vivre et à vivre en repos, les laisserait battre tant que bon leur semblerait, sans s’en mêler davantage ni en prendre un moment de souci, bien loin de s’agiter comme il faisait, d’en perdre son repos et d’altérer sa santé, comme il n’y paraissait que trop à son visage ; que, pour elle, elle n’entendait rien ni ne voulait entendre à toutes ces questions d’école ; qu’elle ne se souciait pas plus d’un des deux partis que de l’autre ; qu’elle n’était touchée que de sa vie, de sa tranquillité, de sa santé… ».

646. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Saint-Martin, le Philosophe inconnu. — II. (Fin.) » pp. 257-278

Sa profession de foi sur la Révolution française est simple, elle est celle d’un croyant : il pense que la Providence s’en mêle soit directement, soit indirectement, et par conséquent il ne doute pas que cette Révolution n’atteigne à son terme, « puisqu’il ne convient pas que la Providence soit déçue et qu’elle recule » : En considérant la Révolution française dès son origine et au moment où a commencé son explosion, je ne trouve rien à quoi je puisse mieux la comparer qu’à une image abrégée du Jugement dernier, où les trompettes expriment les sons imposants qu’une voix supérieure leur fait prononcer, où toutes les puissances de la terre et des cieux sont ébranlées… Quand on la contemple, cette Révolution, dans son ensemble et dans la rapidité de son mouvement, et surtout quand on la rapproche de notre caractère national, qui est si éloigné de concevoir et peut-être de pouvoir suivre de pareils plans, on est tenté de la comparer à une sorte de féerie et à une opération magique ; ce qui a fait dire à quelqu’un qu’il n’y aurait que la même main cachée qui a dirigé la Révolution, qui pût en écrire l’histoire. […] Il voit dans la Révolution française une sorte de Jugement dernier qui doit hâter cette sorte de restauration religieuse et de théocratie libérale, qu’il appelle, qu’il ne définit pas, mais qui sera le triomphe plus ou moins complet de sa doctrine secrète. […] Les grands objets s’annonçaient à lui d’une manière de plus en plus imposante et douce, et proportionnée à son état présent : « J’ai mille preuves réitérées que la Providence ne s’occupe, pour ainsi dire, qu’à me ménager. » Il était d’ailleurs tellement inapplicable et impropre aux choses positives, que dans le second trimestre de l’an IV, ayant été porté sur la liste du jury pour le tribunal criminel de son département, il crut devoir se récuser par toutes sortes de raisons qui, si elles étaient admises, paralyseraient la société : Je ne cachai point mon opinion ; je dis tout haut que, ne me croyant pas le droit de condamner un homme, je ne me croyais pas plus en droit de le trouver coupable, et que sûrement, tout en obéissant à la loi qui me convoquait, je me proposais de ne trouver jamais les informations et les preuves assez claires pour oser disposer ainsi des jours de mon semblable.

647. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Villars — III » pp. 81-102

Saint-Simon, présent à de telles paroles, et qui avec son œil de lynx lisait dans tous les plis de cet amour-propre avantageux et content de soi, content de se déployer au soleil, ne se sentait pas de colère : « Je laisse à penser, écrit-il, en une circonstance pareille, comment ce mot fut reçu venant d’un compagnon de sa sorte, élevé et comblé au point où il se trouvait. » Je doute cependant que l’éloquent duc et pair ait éclaté devant Villars, mais il rentrait chez lui outré, grinçant des dents, la tête fumante, et il couchait sur le papier toutes ses indignations contre cet homme « le plus complètement et le plus constamment heureux de tous les millions d’hommes nés sous le long règne de Louis XIV », et qui prétendait se donner comme heureux en effet sans doute, mais comme n’ayant pas atteint à toute sa fortune. […] « On envoie un empirique, disait-il gaiement, là où les médecins ordinaires ont échoué. » Il prit d’ailleurs sa mission très au sérieux, et eut dès l’abord des idées saines et justes sur l’esprit qu’il convenait d’y apporter : Je me mis dans la tête de tout tenter, d’employer toutes sortes de voies, hors celle de ruiner une des meilleures provinces du royaume ; et même que si je pouvais ramener les coupables sans les punir, je conserverais les meilleurs hommes de guerre qu’il y ait dans le royaume. […] Villars est d’avis d’étouffer le plus qu’on peut ces sortes d’aventures, qui, en éclatant, ne peuvent que mettre en branle les autres fous ou capables de le devenir. […] Villars, très prudent quand il le faut, répond au roi par toutes sortes de raisons bien déduites.

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