Mais, tel qu’il est, il a son accent, et, comme les deux modèles que nous venons de citer, c’est une critique sociale qui s’enveloppe, pour passer partout, dans le manteau flottant et bariolé de la Fantaisie. […] Si ces facettes étaient des faces, si la lumière y papillotait moins parce qu’elle y serait moins brisée, nous aurions un peintre de mœurs et un satirique social de plus, d’une incontestable valeur.
En dehors des actualités sociales, les sujets qu’il préfère par contraste sont les plus doux : l’amour de la femme, la tendresse pour les enfants, et aussi la passion de la nature méridionale ensoleillée sous l’azur.
Mais la grande vue à saisir pour l’historien moderne, c’est le changement que le christianisme a opéré dans l’ordre social.
Comme le moi ainsi réfracté, et par là même subdivisé, se prête infiniment mieux aux exigences de la vie sociale en général et du langage en particulier, elle le préfère, et perd peu à peu de vue le moi fondamental. […] La raison en est que notre vie extérieure et pour ainsi dire sociale a plus d’importance pratique pour nous que notre existence intérieure et individuelle. […] Mais aussi, remarquons-le bien, l’intuition d’un espace homogène est déjà un acheminement à la vie sociale. […] Mais à mesure que se réalisent plus complètement les conditions de la vie sociale, à mesure aussi s’accentue davantage le courant qui emporte nos états de conscience du dedans au dehors : petit à petit ces états se transforment en objets ou en choses ; ils ne se détachent pas seulement les uns des autres, mais encore de nous. […] Une vie intérieure aux moments bien distincts, aux états nettement caractérisés, repondra mieux aux exigences de la vie sociale.
Elle est de nature spatiale, et elle a une utilité sociale. […] Il ne faut pas croire que la vie sociale soit une habitude acquise et transmise. […] La pensée sociale ne peut pas ne pas conserver sa structure originelle. […] Théoriquement, en effet, la conversation ne devrait porter que sur les choses de la vie sociale. […] Cette consolidation est d’autant plus parfaite que l’activité sociale est plus intelligente.
Mais justement, cette intrigue traditionnelle de la comédie, Molière l’a fait servir à la défense sociale. […] Molière a-t-il fait servir à la « défense sociale » l’intrigue traditionnelle de la comédie ? […] Il lui déplaisait que fût raillé ce rythme d’accession, d’ascension qui entretenait en France la santé du corps social. […] Le professionnel représente une valeur sociale, et la société lui impose son langage professionnel. […] Mais par-delà cette chaleur il aperçoit le foyer, par-delà l’énergie sociale, l’énergie absolue qui coïncide avec la mystique.
Le sociologue, lui, dans l’histoire bien faite d’une littérature trouvera des lois démontrées, qui, lorsqu’un travail analogue aura été opéré sur d’autres littératures nationales, lui seront des éléments précieux pour une philosophie de l’évolution littéraire et même, comme les diverses parties d’une civilisation sont solidaires, de toute l’évolution sociale.
Soit qu’il peigne en lui le Guerrier, le Législateur ou l’Homme social, ses couleurs sont toujours naturelles & son style toujours intéressant, par les charmes que son pinceau répand sur tous les objets.
Si l’on envisage le signe dans la vie sociale, le caractère de signe paraît consister dans la possibilité pour un état interne d’être matériellement réalisé, et, par suite, rendu sensible à autrui ; un signe social est un signe commun, et un signe commun est un signe matériel ; quand un état doit servir de signe commun à plusieurs consciences, il faut qu’il puisse être reproduit ou tout au moins imité par les muscles dont l’action est sous la dépendance de ces consciences ; bien plus, cette réalisation doit être également à la portée de tous les individus qui sont réunis en une même société. […] Si de la vie sociale nous passons à la vie individuelle, que suppose la vie sociale, le signe nous apparaît sous un aspect un peu différent. […] La signification, ainsi restreinte, cesse d’être, à proprement parler, une fonction ; elle n’est plus qu’une qualité ; le signe extérieur seul, et dans la vie sociale seulement, a un rôle ; il sert d’intermédiaire entre plusieurs apparitions d’une même idée dans des consciences distinctes ; c’est grâce à lui que l’individu psychique peut se répandre dans autrui et s’accroître des pensées d’autrui ; mais rien de tel ne peut être affirmé du signe intérieur. En apparence pourtant, il fait l’unité de notre vie individuelle, comme le signe extérieur fait l’unité de la vie sociale : il sert d’intermédiaire entre plusieurs apparitions d’une même idée dans la même conscience ; sans lui, nous oublierions nos idées, et notre passé s’évanouirait à mesure ; les mots gardent pour l’avenir nos pensées d’autrefois ; à notre appel, ils nous les rendent, et nous permettent ainsi de nous en servir comme de matériaux pour de nouvelles entreprises intellectuelles ; les mots semblent la matière propre de la remémoration et, par suite, l’unité empirique de notre existence, dont la loi du souvenir est l’unité formelle. […] Souvent aussi, ce qui s’intitule libre pensée n’est que la soumission aux idées d’une petite secte, indépendante à coup sûr par rapport aux groupes sociaux plus vastes qui l’entourent, mais hostile à tout individualisme, à toute indépendance intérieure ; la liberté de l’esprit ne s’est alors exercée qu’une fois, et sur une seule question, le choix d’une autorité.
. — Et puis n’est-ce donc rien que la vie sociale et les qualités qui en font l’agrément ?
Tandis que les écrits de la première sorte s’attachent, en effet, à critiquer, à juger, à prononcer catégoriquement sur la valeur de tel ou tel ouvrage, livre, drame, tableau, symphonie, ceux de la seconde poursuivent, comme on sait, un tout autre but, tendent à déduire des caractères particuliers de l’œuvre, soit certains principes d’esthétique, soit l’existence chez son auteur d’un certain mécanisme cérébral, soit une condition définie de l’ensemble social dans lequel elle est née, à expliquer par des lois organiques ou historiques les émotions qu’elle suscite et les idées qu’elle exprime.
Zola et de ses disciples en vidange littéraire est dépassée et ne peut plus désormais s’adresser qu’à des couches sociales et à des peuples arriérés. […] Que l’on enlève à celui-là la faculté particulière par laquelle il est un génie, et il restera toujours encore un homme capable, souvent d’une intelligence et d’une habileté supérieures, moral, apte à discerner, qui saura partout tenir sa place dans notre engrenage social. […] Nous oublions que le langage a été formé par l’espèce uniquement comme moyen d’entente entre les individus et de communication d’émotions, qu’il est une fonction sociale, non une source de connaissance. […] A cela il faut ajouter que les classes dominantes ne donnèrent jamais l’exemple de l’indifférence en matière de foi, mais firent systématiquement de la religiosité une marque de distinction sociale, à l’opposition de la France, où la noblesse du xviiie siècle fit du voltairianisme la marque distinctive d’une condition sociale supérieure. […] Ils cherchèrent, dans ce but, une marque distinctive qui fit voir immédiatement en eux des membres d’une élite sociale, et ils la trouvèrent dans le cléricalisme.
N’ayant pas besoin des hommes, il évolue en dehors des conditions sociales ; il est très souvent au-dessus de son temps et toujours à côté. […] Il y a une grande vertu dans le récit d’une vie qui évolue au-dessus des contingences sociales. […] Mais il y a parmi les hommes d’un même groupe social de nombreux degrés de sensibilité. […] C’est une œuvre seigneuriale, plus encore qu’une œuvre sociale. […] Le fait dépasse de beaucoup la matière linguistique ; son importance est sociale.
De 1806 à 1870 — depuis Iéna jusqu’à Sedan — la vie littéraire, en Allemagne, fut confondue avec la vie politique et sociale. […] Rattachant les effets aux causes, le critique qui examine cette société de ce point de vue général, conclut que l’entente savante du plaisir, le scepticisme délicat, l’énervement des sensations, l’inconstance du dilettantisme ont été les plaies sociales de l’empire romain et seront, en tout autre cas, des plaies sociales destinées à miner le corps tout entier. Ainsi raisonnent les politiciens et les moralistes qui se préoccupent de la quantité de force que peut produire le mécanisme social. […] Le voyageur aurait montré au rhéteur l’infirmité de la théorie jacobine et les sophismes du Contrat social. […] Une guerre sociale semble imminente, où les appétits passeront avant les sentiments.
Le mariage moderne est, par ses origines, une institution plus chrétienne encore que sociale. […] On ne voit pas bien comment l’égalité des droits entre elles et nous entraînerait la similitude des fonctions et aptitudes naturelles et, par suite, des devoirs sociaux. […] Là encore ses croyances religieuses et son zèle pour la conservation sociale l’ont rendu clairvoyant. […] Brieux poursuit, au théâtre, la revue des « questions sociales », qui est aussi la revue des travers, vices, erreurs et plaies de notre démocratie. […] Que le « contrat social » ne soit pas un vain mot, et que ce contrat soit effectivement accepté de tous, on peut estimer que c’est là un postulat assez audacieux.
Quant à la science sérieuse et philosophique, qui répond à un besoin de la nature humaine, les bouleversements sociaux ne sauraient l’atteindre, et peut-être la servent-ils en la portant à réfléchir sur elle-même, à se rendre compte de ses titres, à ne plus se contenter de jugement d’habitude sur lequel elle se reposait auparavant.
Rousseau, presque de nos jours, écrivit de verve trois livres d’un style entraînant qui vous empêche de réfléchir : un livre chimérique sur l’éducation, appelé Émile ; un livre immoral et raisonneur sur l’amour, appelé Héloïse ; enfin un livre de fanatique, sur la législation des empires, appelé le Contrat social, livre où toutes les lois sont faites à l’inverse de l’homme, un livre qui exalte la liberté et finit par la plus atroce des tyrannies. […] La glorification du bourreau par M. de Maistre ne va pas si loin, car le philosophe de Chambéry fait du bourreau l’ ultima ratio du droit social dans les mains de la justice humaine, et il fait du supplice un vengeur de Dieu. […] L’évêque pousse l’incapacité jusqu’à la disette du peuple en matière d’économie sociale, comme il la pousse jusqu’au crime en matière de démocratie. […] À ses pieds ce qu’on peut cultiver et recueillir ; sur sa tête ce qu’on peut étudier et méditer : quelques fleurs sur la terre, et toutes les étoiles dans le ciel. » XII Nous venons de voir ce que c’est que le paradoxe en matière de sentiment sous la plume d’un écrivain de génie : une absolution de mauvais exemple chantée comme un Te Deum aux excès et aux forfaits de la démagogie de 1793 sur les lèvres d’un saint ; des maximes pernicieuses de fausse économie sociale dans la bouche d’un homme charitable égaré par sa passion de soulager le pauvre peuple.
L’antithèse du gentilhomme et du bourgeois, si tranchée et si flagrante autrefois, n’est plus guère, a l’heure qu’il est, qu’une nuance sociale qui va s’affaiblissant et s’effaçant tous les jours. […] Je sais bien qu’elle touche à des choses brûlantes : mais le bourgeois qu’elle met en scène représente bien moins une classe sociale qu’un vice caractéristique : celui de la sottise ambitieuse, mesquine, égoïste, pétrie de vulgarités et de prosaïsmes, aussi étrangères aux idées de générosité et de grandeur d’âme qu’un peintre chinois peut l’être aux lois de la perspective. […] Il y avait une curieuse étude à faire à propos de cet aigrefin aimé pour lui-même, sur ce type étrange qu’il faudrait appeler le mâle de la courtisane, son camarade de chasse sociale : habitant, comme elle, les zones interlopes, doué des mêmes instincts et du même zèle carnassier. […] On n’est pas préparé à son caprice de fille aspirant à redescendre, quatre à quatre, le faite social où elle est montée ; on s’en étonne au lieu d’en frémir.
Le classique en effet, dans son caractère le plus général et dans sa plus large définition, comprend les littératures à l’état de santé et de fleur heureuse, les littératures en plein accord et en harmonie avec leur époque, avec leur cadre social, avec les principes et les pouvoirs dirigeants de la société ; contentes d’elles-mêmes, — entendons-nous bien, contentes d’être de leur nation, de leur temps, du régime où elles naissent et fleurissent (la joie de l’esprit, a-t-on dit, en marque la force ; cela est vrai pour les littératures comme pour les individus) ; les littératures qui sont et qui se sentent chez elles, dans leur voie, non déclassées, non troublantes, n’ayant pas pour principe le malaise, qui n’as jamais été un principe de beauté. […] que si un jour, dans notre belle patrie, dans notre cité principale de plus en plus magnifique, qui nous la représente si bien, nous nous sentions heureux, sincèrement heureux d’en être ; que si surtout les jeunes âmes touchées d’un bon souffle, atteintes de ce contentement louable et salutaire qui n’engendre pas un puéril orgueil, et qui ne fait qu’ajouter à la vie de l’émulation, se sentaient heureuses de vivre dans un temps, dans un régime social qui permet ou favorise tous les beaux mouvements de l’humanité75 ; — si elles ne se constituaient pas dès le début en révolte, en fronde, en taquinerie, en aigreur, en regrets ou en espérances d’en arrière ou d’au-delà, si elles consentaient à répandre et à diriger toutes leurs forces dans le large lit ouvert devant elles ; — oh ! alors l’équilibre entre les talents et le milieu, entre les esprits et le régime social, se trouverait rétabli ; on se retrouverait à l’unisson ; la lutte, la maladie morale cesseraient, et la littérature d’elle-même redeviendrait classique par les grandes lignes et par le fond (c’est l’essentiel) ; — non pas qu’on aurait plus de talent, plus de science, mais on aurait plus d’ordre, d’harmonie, de proportion, un noble but, et des moyens plus simples et plus de courage pour y arriver.
Il est, dans la sphère humaine, dans le domaine de la pensée comme dans l’ordre social, des couches profondes, des cercles extrêmes qu’il faut avoir visités et traversés, qu’il faut sans cesse oser pénétrer du regard, sans quoi l’on n’est jamais un philosophe achevé ni même un parfait et consommé politique. […] On pourrait, au contraire, en choisissant les matières,, ne présenter que des sujets qui eussent des rapports plus ou moins directs avec notre état social et politique. […] Ni l’ordre social ni le Gouvernement ne sont assis ; tout s’écroulerait au premier choc.
Le hasard même a frappé leur figure de quelques désavantages repoussants ; ils se vengent sur l’ordre social de ce que la nature leur a refusé. […] L’amour de la patrie est une affection purement sociale. […] De la littérature dans ses rapports avec le bonheur On a presque perdu de vue l’idée du bonheur au milieu des efforts qui semblaient d’abord l’avoir pour objet ; et l’égoïsme, en ôtant à chacun le secours des autres, a de beaucoup diminué la part de félicité que l’ordre social promettait à tous.