Désintéressé des buts illusoires que s’obstine à convoiter une entité imaginaire, il est donc plus aisé de s’attacher, ainsi qu’on a résolu de le faire ici, aux phénomènes qui, parmi l’écoulement des individus, demeurent à travers la durée sur la scène du monde, à ces fins que réalise le désir humain détourné des objets chimériques pour lesquels il se consume : la vie de l’Espèce et la Connaissance.
Elles paroissent les unes après les autres sur la scène, y parlent leur différent langage.
Les comparaisons homériques sont prolongées par des circonstances incidentes : ce sont de petits tableaux suspendus au pourtour d’un édifice, pour délasser la vue de l’élévation des dômes, en l’appelant sur des scènes de paysages et de mœurs champêtres.
Depuis la perte de notre ami commun, mon âme a beau s’agiter, elle reste enveloppée de ténèbres, au milieu desquelles une longue suite de scènes douloureuses se renouvellent.
. — Les professions mises en scène. — But des fables indigènes. — Sont-ce des satires sociales ?
On ne se dit pas seulement : « Cela est bon, cela est mauvais ; je suis amusé ou ennuyé ; » on refait, on converse en soi-même ; on revoit en action les caractères, non pas au point de vue de la scène, mais selon le détail de la réalité ; Tartufe suggère Onuphre. […] De jolies scènes domestiques, des intérieurs de famille, et la continuité aisée des caractères, attestent d’ailleurs cette portion de faculté dramatique, cette science de mise en scène et en dialogue dont Mme Guizot a fait preuve en bien d’autres ouvrages, dans ses Contes, dans l’Écolier, et jusque dans ses Lettres sur l’Éducation.
C’était le moment où l’intérêt diplomatique du monde était reporté tout entier en Espagne, à Naples, à Turin, et où le congrès de Vérone devait bientôt appeler sur la scène des négociations toutes les cours de la Sainte-Alliance. […] À chaque île, il faudrait citer une scène et un vers ! […] XLI Quand on a participé à cette illusion des grandes âmes, et qu’on l’a vue s’éteindre, on a trop vécu ; on prend en dégoût l’Europe où ces scènes se sont passées, on désire oublier ou renouveler sa vie dans un autre continent !
Des romanciers se sont plu à mettre en scène la femme de quarante ans, et ils ont eu beau se montrer sympathiques pour des souffrances qui ne dépendent pas du nombre des années, on voit percer une secrète ironie dans leurs peintures. […] Une admirable actrice italienne, rivale plus débordante de feu que Mlle Rachel, Mme Ristori, est venue à Paris et à Londres représenter devant le pays de Racine et de Shakespeare quelques scènes de ces tragédies toscanes d’Alfieri. […] Myrrha a fait pleurer sur son amour néfaste, mais Myrrha tout entière n’était qu’une scène, un dialogue entre la passion et l’impossible dont le coup de poignard est le seul dénouement, une métaphysique en conversation, une frénésie en vers blancs.
Dans le cercle étroit qu’elle parcourt, son activité lui semble vaine, et sa science du délire ; un désir invincible la presse de s’élancer vers des régions élevées dans des sphères plus libres ; elle croit qu’au terme de sa carrière un rideau va se lever pour lui découvrir des scènes de lumière : mais quand la mort touche son corps périssable, elle jette un regard en arrière vers les plaisirs terrestres et vers ses compagnes mortelles. […] « Le cygne : Ma vie tranquille se passe dans les ondes, elle n’y trace que de légers sillons qui se perdent au loin, et les flots à peine agités répètent comme un miroir pur mon image sans l’altérer. » « L’aigle : Les rochers escarpés sont ma demeure, je plane dans les airs au milieu de l’orage ; à la chasse, dans les combats, dans les dangers, je me fie à mon vol audacieux. » « Le cygne : L’azur du ciel serein me réjouit, le parfum des plantes m’attire doucement vers le rivage, quand, au coucher du soleil, je balance mes ailes blanches sur les vagues pourprées. » « L’aigle : Je triomphe dans la tempête quand elle déracine les chênes des forêts, et je demande au tonnerre si c’est avec plaisir qu’il anéantit. » « Le cygne : Invité par le regard d’Apollon, j’ose me baigner dans les flots de l’harmonie ; et reposant à ses pieds, j’écoute les chants qui retentissent dans la vallée de Tempé. » « L’aigle : Je réside sur le trône même de Jupiter : il me fait signe et je vais lui chercher la foudre ; et pendant mon sommeil, mes ailes appesanties couvrent le sceptre du souverain de l’univers. » « Le cygne : Mes regards prophétiques contemplent souvent les étoiles et la voûte azurée qui se réfléchit dans les flots, et le regret le plus intime m’appelle vers ma patrie, dans le pays des cieux. » « L’aigle : Dès mes jeunes années, c’est avec délices que dans mon vol j’ai fixé le soleil immortel ; je ne puis m’abaisser à la poussière terrestre, je me sens l’allié des dieux. » « Le cygne : Une douce vie cède volontiers à la mort : quand elle viendra me dégager de mes liens et rendre à ma voix sa mélodie, mes chants jusqu’à mon dernier souffle célébreront l’instant solennel. » « L’aigle : L’âme, comme un phénix brillant, s’élève du bûcher, libre et dévoilée ; elle salue sa destinée future, le flambeau de la mort la rajeunit en la consumant. » XLVIII Mais rien ne surpasse son analyse et sa traduction du drame de Faust, par Gœthe, et cette scène à laquelle ni l’antiquité ni Shakespeare n’ont de scène tragique à opposer.
Les troubles de la cour d’Édimbourg l’avaient attiré à Holyrood ; il y avait pressenti une plus large scène pour ses ambitions ou pour ses forfaits. […] Elle laisse les conjurés à Craig Millur ; elle se rend, contre toute convenance et contre toute vraisemblance, à Glascow, elle y trouve Darnley convalescent de la petite vérole ; elle le comble de tendresse ; elle passe les jours et les nuits au chevet de son lit ; elle renouvelle les scènes d’Holyrood après le meurtre de Rizzio ; elle consent aux conditions conjugales que Darnley implore. […] On supposa que le roi et son page, entendant, au commencement de la nuit, les pas des sicaires, étaient descendus au jardin, avaient voulu fuir par le verger, et, poursuivis et étranglés par les bourreaux de Bothwell, avaient été laissés sur la scène du meurtre, par négligence ou par ignorance de l’explosion qui devait les engloutir eux-mêmes avec leurs victimes ; on ajoute que Bothwell, croyant les cadavres de Darnley et du page dans la maison, avait fait allumer inutilement la mine pour tout ensevelir dans ce cratère, qu’il était rentré à Holyrood après l’explosion, croyant qu’il ne restait aucun vestige de meurtre et qu’on attribuerait tout à un amas de poudre involontairement allumé par l’imprudence du roi.
Et ce pamphlétaire enragé trouve des traits, des scènes que lui envierait un moraliste impartial : il trouve l’accent, le geste éternellement humains, le mouvement qu’impriment à l’humaine poupée l’ambition, l’avarice, la vanité. […] De là les fortes parties des Tragiques : cette sorte de psaume où le croyant appelle son Dieu, et crie vers lui pour qu’il se montre et se venge ; ces chants de triomphe en l’honneur des martyrs qui ont vaincu l’iniquité, les tourments et la mort ; ces scènes d’épopée lyrique qui placent d’Aubigné entre Dante et Milton, celle où la Justice et la Paix portent leurs plaintes à Dieu, celle surtout qu’a dictée à la fin le désespoir de l’irrémédiable défaite, quand, à la trompette de l’Ange, les morts s’éveillent, les éléments de la nature viennent témoigner de l’infâme abus qui a tourné entre les mains des hommes les excellentes oeuvres de Dieu en instruments d’injustice ; et Dieu, appelant les élus, qui ont souffert pour lui, aux délices éternelles, envoie les maudits aux gouffres ténébreux d’où il ne sort Que l’éternelle soif de l’impossible mort. […] Testu, chevalier du guet, chez qui on lit les comédies destinées à la scène.
Cette scène est pompeuse, grandiose, vraiment impériale. […] Sachez ce que vous voulez et finissons de telles scènes ! […] Une imposante mise en scène avait transformé, d’une pompeuse façon, la grande cour du Luxembourg. […] Le décor, la mise en scène, les figurants, tout était disposé pour frapper l’imagination des spectateurs. […] Paul et Victor Margueritte ont mis en scène le commandant en chef de l’armée du Rhin.
Ne serait-ce pas une belle scène que celle où le père la presserait de s’ouvrir à lui, où Aménaïde ne pourrait lui répondre ? […] Pourquoi ne vois-je pas sur la scène le même groupe ? […] Il n’y a pas une de ces scènes dont avec un peu de talent on ne fît une grande chose. […] Je crois, monsieur, qu’elle pourrait réussir sur votre théâtre, si vous aviez la bonté de la traduire et de l’accommoder à votre scène. […] Sous ce titre paradoxal, elle offre la mise en scène d’un épisode très-émouvant des dernières persécutions exercées contre les Réformés.
Cette scène répondait exactement aux besoins esthétiques d’une petite fille de six ans. […] Il y avait des jours où le pauvre homme pouvait à peine se mouvoir sur la scène. […] — cette scène est d’une chasteté exemplaire. […] Pour moi, je suis émerveillé des quarante scènes de la Tentation. […] La scène se passe dans un petit rez-de-chaussée de l’avenue Marceau.
Dans son admiration pour Louis XII, il s’est plu à développer ce point de vue d’une entière liberté accordée à la scène. […] [NdA] Voir à la fin de ce volume l’Appendice où je cite une curieuse scène inédite de Roederer
Mais ce qu’on sait moins, ce qu’un observateur moraliste peut seul avoir saisi sur le fait et nous rendre ensuite comme il l’a senti, c’est quel était au moment même et quelques heures après, dans cette même soirée, l’effet de cette scène déplorable sur ce qu’on appelait la bonne compagnie, qui n’est bien souvent qu’une autre espèce de peuple. […] Il prédit, il dessine à l’avance un futur rival romantique de Racine et de Corneille ; nous aussi nous le croyons possible, mais nous l’attendons toujours : Les tragédies de Corneille, de Racine, de Voltaire (en nommant Voltaire à côté des précédents, il paie tribut au siècle) semblent devoir durer éternellement ; mais si un homme de génie donnait plus de mouvement à ses drames, s’il agrandissait la scène, mettait en action la plupart des choses qui ne sont qu’en récit, s’il cessait de s’assujettir à l’unité de lieu, ce qui ne serait pas aussi choquant que cela paraît devoir l’être, ces hommes auraient un jour dans cet auteur un rival dangereux pour leur gloire.
Un jour, dans une de ses courses en Algérie, il avait fait une première remarque : il lisait la Bible, et voyant une jeune femme arabe venir chercher de l’eau à un puit, il crut avoir sous les yeux la parfaite représentation de Rebecca à la fontaine, lorsque la fille de Bathuel, portant sa cruche sur son épaule gauche, la laissait glisser sur son bras droit pour donner à boire au serviteur d’Abraham : c’est ainsi du moins qu’il s’expliquait ce mouvement et ce jeu de scène. […] Au diable le Chateaubriand, le Forbin et autres marchands d’esprit qui n’ont su s’exalter que sur des restes de pierre et qui n’ont pas compris que les scènes qui se représentaient à chaque minute sous leurs yeux étaient la représentation vivante de l’Ancien et du Nouveau Testament !
Auguste Colbert, dès vingt-trois ans, était en pleine lumière, et il y resta ; il ne cessa de combattre sur une scène en vue, sous l’œil de César, en soldat de la grande armée, et sa mort sur le champ de bataille illustrait à jamais aux yeux de la patrie. […] Leurs gestes étaient significatifs ; ils n’annonçaient rien de moins que le désir de voir tomber nos têtes. » De telles scènes, on en conviendra, en dépit de toutes les descriptions d’un Chateaubriand, sont bien faites pour gâter la poésie du lieu et l’enchantement de la perspective.
Davout, averti, ne pouvait entrer en scène qu’au milieu du jour. […] La tragédie a beau être bien dessinée à l’avance, il y a des scènes entières de manquées dans le dernier acte.
Toutes les scènes qui ont pour cadre l’Italie, principalement dans les secondes Méditations, ne se rapportent donc pas originairement à l’idée d’Elvire, à laquelle je les crois antérieures ; ou bien elles auront été combinées, transposées sur son souvenir par une fiction ordinaire aux poëtes. […] Là, l’élégie, la scène circonscrite, la particularité individuelle, n’existent presque plus ; je n’entends qu’une voix générale qui chante pour toutes les âmes encore empreintes, à quelque degré, de christianisme.
Si parfois de mon sein s’envolent mes pensées, Mes chansons par le monde en lambeaux dispersées ; S’il me plaît de cacher l’amour et la douleur Dans le coin d’un roman ironique et railleur ; Si j’ébranle la scène avec ma fantaisie, Si j’entre-choque aux yeux d’une foule choisie D’autres hommes comme eux, vivant tous à la fois De mon souffle, et parlant au peuple avec ma voix ; Si ma tête, fournaise où mon esprit s’allume, Jette le vers d’airain, qui bouillonne et qui fume, Dans le rhythme profond, moule mystérieux, D’où sort la Strophe, ouvrant ses ailes dans les cieux ; C’est que l’amour, la tombe, et la gloire, et la vie, L’onde qui fuit, par l’onde incessamment suivie, Tout souffle, tout rayon, ou propice ou fatal, Fait reluire et vibrer mon âme de cristal, Mon âme aux mille voix, que le Dieu que j’adore Mit au centre de tout comme un écho sonore ! […] On se rappelle, en effet, les scènes délicieuses de cet ouvrage étrange, la pureté virginale d’Ordener, le baiser d’Éthel dans le long corridor ; le reste n’eût été qu’un fond noirci, un repoussoir pour faire ressortir le tableau, une ombre passagère et orageuse de désespoir.