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1591. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Paul Meurice » pp. 231-241

— dit-il — peut cependant être regardé par la pensée, comme par les yeux l’abime et le soleil. » Car ils ont beau se mettre un instant les pieds en l’air, comme Hérodiade dansant devant Hérode, ces culs-de-plomb, pour se faire légers !

1592. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Avant-propos de la septième édition »

Notre premier chapitre définit cette manière de regarder la matière ; notre quatrième chapitre en tire les conséquences.

1593. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XIII. Éloges donnés aux empereurs, depuis Auguste jusqu’à Trajan. »

» Et ensuite une prière à la fortune, pour qu’elle veuille bien permettre « qu’un si grand empereur remédie aux maux du genre humain désolé… Si elle regarde Rome en pitié, si elle n’a pas encore résolu d’anéantir le monde, ce prince, envoyé pour consoler l’univers, sera aussi sacré pour elle, qu’il l’est déjà pour tous les mortels26 ».

1594. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre V. Du gouvernement de la famille, ou économie, dans les âges poétiques » pp. 174-185

C’est par rapport aux sources vives dont nous avons parlé, que les politiques regardent la communauté des eaux comme l’occasion de l’union des familles.

1595. (1824) Épître aux muses sur les romantiques

vous me regardez !

1596. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Jean-Jacques Ampère »

On raconte que, le lendemain de son arrivée à Paris, déjeunant en tête-à-tête avec son père, qui le regardait fixement et en silence, tout à coup le naïf savant s’échappa à dire : « C’est drôle, Jean-Jacques, j’aurais cru que ça m’aurait fait plus de plaisir de te revoir. » Un verre d’eau fraîche, jeté brusquement au visage, ne ferait pas, convenons-en, un autre effet. […] Je le regardais, je l’écoutais avec recueillement ; j’admirais en silence la vivacité de ses souvenirs, les grâces de son esprit, la sérénité de son âme ; il me montrait les grands arbres qui s’élevaient au-dessus de nos têtes. « On est bien hardi de planter un arbre », disait-il en souriant. […] Il ne regardait pas ses auditeurs, même quand il relevait ses lunettes ; la direction de son regard comme de sa parole semblait se retourner sur lui-même comme dans un soliloque. […] Ampère observait peu directement : il n’était pas organisé par la nature pour regarder à fond et pour exprimer puissamment ce qu’il avait devant les yeux ; c’était un lettré en voyage : il lui fallait de l’accessoire tiré des livres ; un souvenir, un rapprochement, une allusion, lui étaient nécessaires et venaient bien à propos se joindre à ce qu’il voyait pour le compléter et l’orner ; quand il avait trouvé son trait, il était content. […] Ampère sans doute pouvait faire théoriquement profession de républicanisme, mais c’était un pur républicain de salon qui n’avait jamais, il faut bien le savoir, écrit dans sa vie un seul article politique, comme nous tous avions fait plus ou moins : lui, il s’était toujours abstenu ; je le répète, ni sous la Restauration, ni durant les dix-huit années de Louis-Philippe, Ampère n’avait jamais imprimé une seule ligne de politique, ce qui n’empêchait pas qu’il ne fût fort vif en causant et fort sincère, qu’il ne tînt même à faire acte de présence au National du temps de Carrel les jours d’émotion ou d’émeute, sauf à regarder brusquement à sa montre et à se rappeler qu’il n’avait plus que juste le temps de courir à l’École normale faire une conférence sur Gongora ou le cavalier Marini.

1597. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Mémoires du général La Fayette (1838.) »

Le Directoire, divisé, déconsidéré, le laissa d’autant plus facilement arriver, que Barras le regardait encore comme son protégé, et que Sieyès espérait en faire son instrument. […] En arrivant à Olmütz, on lui confisque quelques livres que les Prussiens lui avaient laissés, notamment le livre de l’Esprit et celui du Sens commun  ; sur quoi La Fayette demande poliment si le Gouvernement les regarde comme de contrebande. […] La Fayette, en 1799, écrivait à merveille sur les périls du dehors qu’on exagérait : « Dans tout ce qui regarde l’opposition aux étrangers, il y a toujours un moment où notre nation semble rebondir et dérange toutes les espérances de la politique. » Il avait pu oublier en 1830, au lendemain des trois jours, cette maxime inverse et qui n’est pas moins vraie, que, dans tout ce qui concerne la pratique intérieure et l’organisation sérieuse des garanties, il y a toujours un moment où notre nation, si près qu’elle en soit, échappe et déconcerte toutes les espérances du patriotisme. […]  —  Sa tante, madame de Tessé, me disait hier : « Je n’aurais jamais cru qu’on pût être aussi fanatique de vos opinions et aussi exempte de l’esprit de parti. » En effet, jamais son attachement à notre doctrine n’a un instant altéré son indulgence, sa compassion, son obligeance pour les personnes d’un autre parti ; jamais elle ne fut aigrie par les haines violentes dont j’étais l’objet, les mauvais procédés et les propos injurieux à mon égard, toutes sottises indifférentes à ses yeux du point où elle les regardait et où sa bonne opinion de moi voulait bien me placer […] Nos vieilles ardeurs sont trop d’accord avec les siennes là-dessus pour que notre triste impartialité d’aujourd’hui y veuille regarder de plus près.

1598. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre III. La critique et l’histoire. Macaulay. »

Si l’on veut juger d’une philosophie, il faut regarder ses effets ; ses œuvres ne sont point ses livres mais ses actes. […] Hamilton, il est sceptique en métaphysique ; il n’a lu les philosophes allemands que pour les réfuter ; il regarde la philosophie spéculative comme une extravagance de cerveaux creux, et il est obligé de demander grâce à ses lecteurs pour l’étrangeté de la matière, lorsqu’il essaye de tâcher de leur faire entendre quelque chose des conceptions de Hegel. […] Là il serait demeuré, torturé par son humeur diabolique, affamé de mettre au pilori et de mutiler les protestants, tourmentant les cavaliers, faute d’autres, par sa sottise et son aigreur, s’acquittant dans la cathédrale de ses génuflexions et de ses grimaces, continuant cet incomparable journal que nous ne regardons jamais sans que l’imbécillité de son intelligence nous fasse oublier les vices de son cœur, notant minutieusement ses rêves, comptant les gouttes de sang qui coulaient de son nez, surveillant de quel côté tombait le sel et écoutant les cris de la chouette. […] Là, Siddons, dans toute la fleur de sa majestueuse beauté, regardait avec émotion une scène qui surpassait toutes les imitations du théâtre. […] Il décrit les hautes terres d’Écosse, demi-papistes et demi-païennes, les voyants enveloppés dans une peau de bœuf, attendant le moment de l’inspiration, des hommes baptisés faisant aux démons du lieu des libations de lait ou de bière ; les femmes grosses, les filles de dix-huit ans labourant un misérable champ d’avoine, pendant que leurs maris ou leurs pères, hommes athlétiques, se chauffent au soleil ; les brigandages et les barbaries regardés comme de belles actions ; les gens poignardés par derrière ou brûlés vifs ; les mets rebutants, l’avoine de cheval et les gâteaux de sang de vache vivante offerts aux hôtes par faveur et politesse ; les huttes infectes, où l’on se couchait sur la fange, et où l’on se réveillait à demi étouffé, à demi aveuglé et à demi lépreux.

1599. (1904) Zangwill pp. 7-90

Le monde moderne, l’esprit moderne, laïque, positiviste et athée, démocratique, politique et parlementaire, les méthodes modernes, la science moderne, l’homme moderne, croient s’être débarrassés de Dieu ; et en réalité, pour qui regarde un peu au-delà des apparences, pour qui veut dépasser les formules, jamais l’homme n’a été aussi embarrassé de Dieu. […] Nous regarderons alors ses organes en exercice ; nous essayerons de découvrir de quelle façon elle recueille le pollen des fleurs, comment elle l’élabore, par quelle opération intérieure elle le change en cire ou en miel. […] « Plus on les regarde, plus on trouve que leurs gestes, les formes de leurs visages annoncent une race à part. […] Or rien n’autorise à regarder l’univers comme un être organisé, même à la manière du dernier zoophyte. […]   Ce dernier mot de la pensée moderne en tout ce qui tient à l’histoire, je sais qu’il n’est aujourd’hui aucun de nos historiens professionnels qui ne le désavouera ; et comment ne le renieraient-ils point ; nous sommes aujourd’hui situés à distance du commencement ; nous avons reçu des avertissements que nos anciens ne recevaient pas ; ou sur qui leur attention n’avait pas été attirée autant que la nôtre ; nous avons reçu du travail même et de la réalité de rudes avertissements ; du travail même nous avons reçu cet avertissement que le détail, au contraire, est au fond le grand ennemi, que ni l’indéfinité, l’infinité du détail antérieur, ni l’indéfinité, l’infinité du détail intérieur, ni l’indéfinité, l’infinité du détail de création ne se peut épuiser ; et de la réalité nous avons reçu ce rude avertissement que l’historien ne tient pas encore l’humanité ; qui soutiendrait aujourd’hui que le monde moderne est le dernier monde, le meilleur, qui au contraire soutiendrait qu’il est le plus mauvais ; s’il est le meilleur ou le pire, nous n’en savons rien ; les optimistes n’en savent rien ; les pessimistes n’en savent rien ; et les autres non plus ; qui avancerait aujourd’hui que l’humanité moderne est la dernière humanité, la meilleure, ou la plus mauvaise ; les pessimismes aujourd’hui nous paraissent aussi vains que les optimismes, parce que les pessimismes sont des arrêts comme les optimismes, et que c’est l’arrêt même qui nous paraît vain ; qui aujourd’hui se flatterait d’arrêter l’humanité, ou dans le bon, ou dans le mauvais sens, pour une halte de béatitude, ou pour une halte de damnation ; l’idée que nous recevons au contraire de toutes parts, du progrès et de l’éclaircissement des sciences concrètes, physiques, chimiques, et surtout naturelles, de la vérification et de la mise à l’épreuve des sciences historiques mêmes, de l’action, de la vie et de la réalité, c’est cette idée au contraire que la nature, et que l’humanité, qui est de la nature, ont des ressources infinies, et pour le bien, et pour le mal, et pour des infinités d’au-delà qui ne sont peut-être ni du bien ni du mal, étant autres, et nouvelles, et encore inconnues ; c’est cette idée que nos forces de connaissance ne sont rien auprès de nos forces de vie et de nos ressources ignorées, nos forces de connaissance étant d’ailleurs nous, et nos forces de vie au contraire étant plus que nous, que nos connaissances ne sont rien auprès de la réalité connaissable, et d’autant plus, peut-être, auprès de la réalité inconnaissable ; qu’il reste immensément à faire ; et que nous n’en verrons pas beaucoup de fait ; et qu’après nous jamais peut-être on n’en verra la fin ; que le vieil adage antique, suivant lequel nous ne nous connaissons pas nous-mêmes, non seulement est demeuré vrai dans les temps modernes, et sera sans doute vrai pendant un grand nombre de temps encore, si, même, il ne demeure pas vrai toujours, mais qu’il reçoit tous les jours de nouvelles et de plus profondes vérifications, imprévues des anciens, inattendues, nouvelles perpétuellement ; que sans doute il en recevra éternellement ; que l’avancement que nous croyons voir se dessiner revient peut-être à n’avancer que dans l’approfondissement de cette formule antique, à lui trouver tous les jours des sens nouveaux, des sens plus profonds ; qu’il reste immensément à faire, et encore plus immensément à connaître ; que tout est immense, le savoir excepté ; surtout qu’il faut s’attendre à tout ; que tout arrive ; qu’il suffit d’avoir un bon estomac ; que nous sommes devant un spectacle immense et dont nous ne connaissons que d’éphémères incidents ; que ce spectacle peut nous réserver toutes les surprises ; que nous sommes engagés dans une action immense et dont nous ne voyons pas le bout ; que peut-être elle n’a pas de bout ; que cette action nous réservera toutes les surprises ; que tout est grand, inépuisable ; que le monde est vaste ; et encore plus le monde du temps ; que la mère nature est indéfiniment féconde ; que le monde a de la ressource ; plus que nous ; qu’il ne faut pas faire les malins ; que l’infime partie n’est rien auprès du tout ; que nous ne savons rien, ou autant que rien ; que nous n’avons qu’à travailler modestement ; qu’il faut bien regarder ; qu’il faut bien agir ; et ne pas croire qu’on surprendra, ni qu’on arrêtera le grand événement.

1600. (1888) Impressions de théâtre. Deuxième série

Par là, « il se sauve », et si vous ne regardez que l’intérêt particulier de M.  […] Émile Moreau a voulu nous rendre sensible ce phénomène moral par lequel l’écrivain se détache de ses propres sentiments pour les observer et les définir, et, au fort même de la passion, se regarde et regarde les autres. […] Il jouit profondément de se sentir regardé, sous un éclairage spécial, par des milliers d’yeux. […] Qu’un critique soit totalement dépourvu de beauté plastique, cela ne regarde personne. […] Mais regardez-y de près : tout cela revient à dire que l’homme et son œuvre furent proprement monstrueux.

1601. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Joseph de Maistre »

Quand il viendra quelque grivois d’apôtre vous prêcher un Credo de sa façon, au lieu de s’embarquer dans de grands alibi-forains qui font tourner la tête, vous n’avez, qu’à le regarder bien attentivement ; je veux ne moissonner de ma vie si vous ne découvrez pas sur sa personne quelque chose d’hérétique, ne fût-ce qu’un bouton de veste. […] On y regardera désormais à deux fois, on s’avancera en vue du brillant et provoquant défenseur, sous l’inspection de sa grande ombre. […] mais, quoique je regarde comme sûr que ce moment arrivera, cependant son importance me persuade « qu’il est encore fort éloigné. » On n’est pas fâché de surprendre son opinion sur Napoléon et les généraux alliés qui le combattent (1814)  : Au moment où je vous écris, je n’ai point encore de lettres de Rodolphe. […] Et pour parler à sa manière, on ne craindrait pas de dire, dût-on faire regarder d’un certain côté, que le disciple qui s’attache aux termes mêmes de De Maistre et le suit au pied de la lettre est bête. […] Quelques-uns des purs de l’extrême xviiie  siècle, qui y avaient regardé de très-près (comme Daunou), estimaient moins Bacon, mais c’était un secret qu’on se gardait.

1602. (1891) Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle. Première série

Mais si nous regardons en philosophes le monde et l’histoire du monde, nous verrons bien que jamais les hommes n’ont compris la divinité autrement que comme injuste. […] L’Église est le grand miroir humain de la lumière divine ; c’est dans ce miroir que les rois doivent incessamment la regarder. […] Il en est par son manque de sens critique, par son aptitude admirable à ne voir qu’un côté des choses, ou, s’il en voit deux, ce qui lui arrive, à se ramener sans peine à n’en regarder qu’un. […] Il y avait en lui une intelligence claire, droite et vigoureuse, et rigoureuse, en face de passions désordonnées, une pensée froide témoin d’une âme trouble, et un homme qui regardait un enfant. […] Il y en a un dans Adolphe, c’est Benjamin Constant ; pour nous le peindre, il n’a eu qu’à se regarder, à se regarder, d’ailleurs, et je l’ai dit, d’un œil dont personne n’a jamais égalé la délicatesse et la puissance.

1603. (1927) Des romantiques à nous

Il dit que, pour connaître un homme, il faut regarder de quelle manière il part chaque matin « pour la chasse au bonheur ». […] Il l’a même été assez sensiblement dans la réalité de sa vie, quand on y regarde de près. […] Ceux-ci ne regardent pas trop à la substance des dogmes, ni à la preuve par les miracles qu’ils sentent, au moins d’instinct, dangereuse. […] C’est de nouveaux sujets d’adorer qu’il y doit trouver, au contraire, de nouvelles terrasses, si j’ose dire, d’où regarder les lueurs de l’infini. […] Regardez son œuvre !

1604. (1925) Portraits et souvenirs

Ce regard ne fait pas que regarder, il se souvient. […] Les yeux clairs regardaient d’un regard à la fois aigu et distrait. […] Ils le regardaient passer avec une sorte de commisération attendrie. […] Pendant qu’il nous parlait, je le regardais. […] Je les dispose en bon ordre ; je les regarde avec amitié et non sans quelque émotion.

1605. (1864) Études sur Shakespeare

Si les sonnets de Shakespeare devaient être regardés comme l’expression de ses sentiments les plus habituels et les plus chers, on s’étonnerait de n’y jamais rencontrer un seul mot relatif à son pays, à ses enfants, pas même au fils qu’il perdit à l’âge de douze ans. […] Cette singulière omission du nom de la femme de Shakespeare, si légèrement réparée, indique peut-être plus que de l’oubli ; on est tenté de la regarder comme le signe d’un éloignement ou d’un ressentiment dont l’approche seule de la mort a pu engager le poëte à adoucir un peu la manifestation. […] Si, de concert avec Davenant, Dryden avait refait les ouvrages de Shakespeare, Pope, dans l’édition qu’il en donna en 1725, se contente d’en retrancher ce qu’il ne peut se résoudre à regarder comme l’œuvre du génie auquel il rend du moins cet hommage. […] Il s’arrête, il regarde ; sa disposition naturelle, ses souvenirs, ses pensées viennent se grouper autour de l’idée principale qui s’offre à ses yeux, et développent en lui par degrés l’émotion toujours croissante qui va bientôt le dominer. […] Dans Hamlet, dans Macbeth, Shakespeare, inattentif au cours du temps, le laisse passer sans y regarder.

1606. (1858) Du vrai, du beau et du bien (7e éd.) pp. -492

Regardez-le au moment où il vient de prendre cette résolution magnanime ; sa figure vous paraîtra belle. […] Maintenant, regardez Les Muses : d’autres scènes, d’autres beautés, le même génie. […] Regardez surtout L’Extrême-Onction ! […] Un étonnement naïf se peint sur la figure du jeune pâtre qui regarde avec bonheur sa belle compagne. […] En face, la mère Agnès, à genoux, la regarde avec une joie reconnaissante.

1607. (1857) Causeries du samedi. Deuxième série des Causeries littéraires pp. 1-402

Chaque parti d’ailleurs entend son honneur à sa manière, et l’on ne doit pas blâmer ceux qui regardent certaines alliances comme plus compromettantes et plus onéreuses que certaines inimitiés. […] Malgré l’exemple de Gœthe, qui s’était assez désintéressé de lui-même pour voir juste partout où il regardait, malgré les tentatives peu concluantes de lord Byron et de Chateaubriand, les poëtes ne sont pas des critiques. […] Si vous jugez de la gravité d’un crime par le mal qu’il fait à sa victime, par la valeur du bien qu’il lui arrache, regarderez-vous l’infraction à la liberté de penser comme plus grave que l’attentat à la liberté de croire ? […] Regardez de près Constantin : vous reconnaîtrez en lui tous ces caractères. […] À y regarder de près, et à tous les points de vue, religieux, politique, moral, qui fut plus coupable et plus funeste que Marie Stuart ?

1608. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE LA FAYETTE » pp. 249-287

Elle me dit qu’elle étoit chagrine, et la mauvaise humeur dont elle parloit auroit fait les belles heures des autres femmes, tant elle avoit de douceur naturelle et tant elle étoit peu capable d’aigreur et de colère… Après le dîner, elle se coucha sur des carreaux… ; elle m’avoit fait mettre auprès d’elle, en sorte que sa tête étoit quasi sur moi… Pendant son sommeil elle changea si considérablement, qu’après l’avoir longtemps regardée j’en fus surprise, et je pensois qu’il falloit que son esprit contribuât fort à parer son visage… J’avois tort néanmoins de faire cette réflexion, car je l’avois vue dormir plusieurs fois, et je ne l’avois pas vue moins aimable. » Et plus loin : « Monsieur étoit devant son lit ; elle l’embrassa, et lui dit avec une douceur et un air capable d’attendrir les cœurs les plus barbares : Hélas ! […] Rœderer a mille fois raison au sujet des relations de Molière avec le monde de Mmes de Sévigné, de La Fayette, et en montrant que la pièce des Femmes savantes ne les regardait en rien. […] Ainsi, ma chère madame, nous regardons cette communion, qu’elle avoit accoutumé de faire à la Pentecôte, comme une miséricorde de Dieu, qui nous vouloit consoler de ce qu’elle n’a pas été en état de recevoir le viatique. » — Ainsi mourut et vécut dans un mélange de douceur triste et de vive souffrance, de sagesse selon le monde et de repentir devant Dieu, celle dont une idéale production nous enchante.

1609. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre premier. La structure de la société. — Chapitre III. Services locaux que doivent les privilégiés. »

L’administration du village ne le regarde pas, il n’en a pas même la surveillance : répartir l’impôt et le contingent de la milice, réparer l’église, rassembler et présider l’assemblée de la paroisse, faire des routes, établir des ateliers de charité, tout cela est l’affaire de l’intendant ou des officiers communaux que l’intendant nomme ou dirige60. […] Depuis des siècles, la haute noblesse s’obère par son luxe, par sa prodigalité, par son insouciance, et par ce faux point d’honneur qui consiste à regarder le soin de compter comme une occupation de comptable. […] Tu ne saurais penser le plaisir que j’ai eu les jours de fête de voir le peuple entier partout dans le château, et de bons petits paysans et petites paysannes venir regarder le bon patron sous le nez et presque lui tirer sa montre pour voir les breloques, tout cela avec l’air de fraternité sans familiarité.

1610. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre quatrième. La connaissance des choses générales — Chapitre premier. Les caractères généraux et les idées générales. » pp. 249-295

Car, certainement, chacun des araucarias que j’ai vus a provoqué alors en moi une sensation visuelle distincte ; il n’y a pas deux plantes absolument semblables dans la nature ; j’ai regardé peut-être vingt ou trente araucarias ; sans aucun doute, chacun d’eux différait des autres en grandeur, en grosseur, par les angles plus ou moins ouverts de ses branches, par les saillies plus ou moins fortes de ses écailles, par le ton de son tissu ; partant, mes vingt ou trente sensations visuelles ont été différentes. […] On le tenait dans les bras, et il regardait un abat-jour posé sur une bougie, où des figures de chiens, bien éclairées, se dessinaient en noir. […] Nous le détachons et nous le notons au moyen de symboles, qui tantôt sont les noms de surface, ligne et point, tantôt sont une classe d’objets sensibles, fort maniables, choisis pour tenir lieu de tous les autres, la surface réelle d’un tableau noir ou d’un papier blanc, le mince tracé d’un trait de craie ou d’encre, la très petite tache que laisse sur le papier ou sur le tableau l’attouchement momentané de la plume ou du crayon. — La tache étant exiguë, nous sommes tentés de ne point faire attention à sa longueur ni à sa largeur, qui sont réelles ; par cette omission, nous en faisons involontairement abstraction, et nous n’avons pas de peine à traiter la tache comme un point. — Le tracé étant fort effilé, nous sommes disposés à ne point nous inquiéter de sa largeur, qui est réelle ; par cette omission, nous la retranchons, et, sans efforts, nous en venons à considérer le trait comme une ligne. — Le tableau et le papier étant tout à fait plats et unis pour notre œil et notre main, nous n’éprouvons aucune sensation qui nous avertisse de leur épaisseur ; par cette omission, nous la supprimons, et nous sommes tout portés à regarder le tableau et le papier comme de vraies surfaces. — De cette façon, le tableau, le trait étroit, la petite tache de craie deviennent des substituts commodes.

1611. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIIe entretien. Vie et œuvres de Pétrarque (2e partie) » pp. 81-155

« Les prés sourient et l’azur du ciel se rassérène, comme si le Créateur se réjouissait de regarder la terre sa fille ; les airs, les eaux, le firmament frémissent, tout ivres et tout palpitants d’amour ; tout ce qui vit éprouve l’instinct d’aimer et de doubler sa vie en aimant ; mais moi, misérable ! […] J’ai des amis que je regarde comme mon bien le plus précieux, pourvu que leurs conseils ne tendent pas à me priver de ma liberté. […] Pendant qu’elle me faisait ces offres, je vois arriver votre petite bien-aimée d’un pas bien plus modeste qu’il ne convenait à son âge ; elle me regarde en riant avant de me connaître, et moi je la prends dans mes bras, comblé de joie.

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