Dès le premier éveil de la réflexion, c’est elle qui pousse en avant, droit sous le regard de la conscience, les problèmes angoissants, les questions qu’on ne peut fixer sans être pris de vertige. […] Le mobile fuit sans cesse sous le regard de la science ; celle-ci n’a jamais affaire qu’à de la mobilité. […] Mais de la mobilité du mouvement nous détournons le plus possible notre regard : ce qui nous intéresse, c’est, comme nous le disions plus haut, le dessin immobile du mouvement plutôt que le mouvement même. […] La preuve en est que je puis, à mon gré, faire varier la rapidité du flux de l’univers au regard d’une conscience qui en serait indépendante et qui s’apercevrait de la variation au sentiment tout qualitatif qu’elle en aurait : du moment que le mouvement de T participerait à cette variation, je n’aurais rien à changer à mes équations ni aux nombres qui y figurent. […] Aussi, quand un penseur surgit qui annonça une doctrine d’évolution, où le progrès de la matière vers la perceptibilité serait retracé en même temps que la marche de l’esprit vers la rationalité, où serait suivie de degré en degré la complication des correspondances entre l’externe et l’interne, où le changement deviendrait enfin la substance même des choses, vers lui se tournèrent tous les regards.
Je le vis se tourner d’un air suppliant vers ceux qui la lui avaient si souvent donnée, les priant du regard de le tromper une fois encore. […] C’est par un regard souriant que j’en avais la confidence. […] Tout ce que je puis dire, c’est que, par la prestigieuse adresse de ses mains, par la sûreté de son regard, par la docilité de la matière, il avait l’air de créer ce qu’il annonçait, et d’être le législateur des lois qu’il découvrait. […] Dans sa tranquille main pèsera votre gloire, Et verra d’un regard aussi prompt que subtil. […] Au lieu de paroles, nous échangeâmes, Claude Bernard et moi, sur le procédé du personnage, un regard qui disait toute notre pensée, et nous nous séparâmes.
Hennequin remplit quatre pages de noms mis en regard qui représentent, comme ceux-là, mêmes nations et mêmes époques et qui s’opposent aussi nettement. […] Il détaille les finauderies, les équivoques, les regards de biais, les façons obliques, l’art d’offrir un verre de vin pour éluder une question. […] Dépourvu du sentiment et du souci du beau, il afflige le regard par un désordre tumultueux ou un laisser aller sans grâce. […] La psychologie de Berryer, il la pénètre ; d’un regard exercé d’analyste, il la détaille, il en dégage la dominante, sans songer un instant à assimiler cette opération spirituelle à un démontage mécanique. […] … Je me figure que l’éclat, trop dur parfois, de son regard s’y adoucirait, que sa bouche y sourirait à jamais de ce sourire très bon qui la détendait aux minutes heureuses.
Mandez-moi quels livres vous me conseillez de lire. » Antérieurement à cette époque, on a des lettres d’elle à ces mêmes religieuses ; chaque malheur, je l’ai dit, y ramenait involontairement son regard ; elle leur avait écrit lorsqu’elle avait perdu une petite fille, et à la mort aussi de Mme la Princesse sa mère. […] Mais, à ne voir encore qu’humainement et au seul point de vue d’observation psychologique, de telles pièces méritent tout regard (respectus).
L’aspect de cette vallée de Cachemire de l’Occident éblouit ses regards, peu habitués jusque-là, par les plaines de la Beauce ou par les sables de la Prusse, aux grandeurs et aux charmes de la nature. […] L’astre qui fit lever la première fois le jour sur l’univers ne créa pas l’univers, mais il le reproduisit aux regards en l’éclairant.
Les critiques de Desmarets contre les anciens méritent un regard de l’histoire, à titre de préjugés littéraires propres à une époque, et de travers d’esprit intermittents. […] Il honore Perrault, il le loue même, mais d’une plume avare, et non sans jeter sur lui un dernier regard de travers ; et quand on lui annonce sa mort, « il n’y prend, dit-il, d’autre intérêt que celui qu’on prend à la mort de tous les honnêtes gens5. » La différence entre cette réconciliation un peu maussade et le traité de paix accepté par Lamotte ne s’explique pas seulement par l’humeur des deux hommes.
J’en voyais qui jetaient des regards d’orfèvre à sa couronne fleuronnée ; d’autres pesaient des yeux les bagues de ses doigts et les diamants de sa chape ; d’autres encore semblaient calculer sur les grains de leur rosaire, le prix des perles de ses colliers et des joyaux de ses bracelets. […] Là, j’aurais voulu voir cette enfant gâtée de la vie parisienne, enfermée dans de grandes salles séculaires remplies de portraits de famille aux vastes perruques, aux mines renfrognées, aux regards sévères.
Mais la conscience n’est pas ainsi un ensemble de perceptions séparées, dans un milieu vide et neutre ; percevoir en même temps deux cubes rapprochés sous un même regard, ce n’est nullement être affecté ni réagir de la même manière que si on regardait un cube seul, puis l’autre, en oubliant le premier devant le second. De Hartmann sépare artificiellement ce qui est uni et continu dans la conscience, puis il invoque l’inconscient pour pouvoir souder les fragments qu’il avait séparés : « Puisque, dit-il en termes platoniciens, toute âme d’homme ou d’animal possède en réalité l’idée de la similitude et de l’égalité, il ne reste plus qu’à admettre que l’ensemble d’opérations qui y aboutit se déroule, en sa partie essentielle, hors de la conscience ; et que le résultat auquel il conduit, la notion d’égalité et le jugement que A et B sont égaux, tombe seul sous le regard de la conscience. » Cette mythologie, par laquelle le métaphysicien allemand se tire d’embarras, est aussi peu scientifique que l’hypothèse platonicienne de la réminiscence.
On la rencontre toujours irritée ou animée par quelque passion de l’âme, en bas, en haut, dans les coins, — cela donnant au regard un caractère fiévreusement étrange. […] C’était lui, dans le corps d’un nain de Velasquez, avec la peau du visage, comme galuchatisée par l’alcoolisme et d’affreuses maladies, et en même temps, avec un doux et humble regard qui me demandait de le reconnaître.
Aux regards de Buffon, sans voile, sans obstacles. […] Il nous dira que la terre a ouvert aux regards de Buffon Scs germes, ses coteaux, dépouilles de Téthys.
Le philosophe qui embrasse la Nature entière d’un regard, oublie l’infinie diversité des détails pour ne voir que l’unité de plan révélée par les grandes lois qui la régissent. […] Il pose donc en regard l’une de l’autre la thèse de la liberté et l’antithèse de la nécessité, appuyant celle-ci sur la loi de causalité qui régit toute la nature, celle-là sur une loi de la raison.
Dans le groupe d’hommes supérieurs ou distingués qui formaient son cortège, Frochot n’a rien qui le signale au regard, et il ne se remarque que par la profondeur et la fidélité de son attachement.
Ce vaisseau noir à l’extrémité de l’aile droite du camp domine tout ; les regards à chaque instant s’y retournent comme vers une divinité muette ; il recèle la foudre presque à l’égal de l’Ida.
Peut-être en de plus heureux temps J’ai moi-même, à l’aspect des pleurs de l’infortune, Détourné mes regards distraits ; A mon tour aujourd’hui mon malheur importune : Vivez, amis, vivez en paix42.
Quand on est moraliste et qu’on n’observe que des hommes faits, on court risque de tourner au La Rochefoucauld et au La Bruyère ; si le regard se reporte au contraire sur une jeunesse honnête et chaque jour renouvelée, on garde la fraîcheur du cœur jusque dans la connaissance du fond, la consolation dans les mécomptes, une vue plus juste de la nature morale dans ses ressources et dans son ensemble.
feraient-ils baisser ces regards que la présence d’un honnête homme ne trouble plus ?
L’écrivain qui se fait lire est un inconnu : l’amitié, le respect n’insinuent point ses doctrines dans l’esprit du lecteur ; il n’a pas même l’avantage si puissant de la simple présence et l’autorité physique de la voix et du regard.
Mais c’est là le contraire de l’entraînement d’un « tempérament », et la vanité, chose toute cérébrale, n’a rien à voir avec l’émotion primesautière de don Juan, quand son regard se croise avec celui d’une femme, qu’il voit désormais seule là où il s’est rencontré avec elle… Ne faisons pas à l’amoureux l’injure de mettre de la vanité dans ce besoin de plaire, de connaître et de posséder, que nous flairons en lui à première vue, odor d’amore.
Si l’on réfléchit qu’à cette merveilleuse faculté Gautier unit une immense intelligence innée de la correspondance et du symbolisme universel, ce répertoire de toute métaphore, on comprendra qu’il puisse sans cesse, sans fatigue comme sans faute, définir l’attitude mystérieuse que les objets de la création tiennent devant le regard de l’homme… Il y a, dans le style de Théophile Gautier, une justesse qui ravit, qui étonne, et qui fait songer à ces miracles produits dans le jeu par une profonde science mathématique… Nos voisins disent : Shakespeare et Goethe !
Le poète des Méditations a en horreur tout ce qui n’est pas poésie éthérée, regard noyé dans l’azur, ravissement dans l’espace.
Il en parut une édition avec une traduction française en regard du texte italien, à Paris, chez Matthieu Guillemot, en 1609.