Par leurs facultés diverses, souvent opposées, les nations servent à l’oeuvre commune de la civilisation ; toutes apportent une note à ce grand concert de l’humanité, qui, en somme, est la plus haute réalité idéale que nous atteignions.
Or, c’est un mauvais calcul que de peindre la réalité sous de trop belles et de trop séduisantes couleurs. […] Ces écrivains devancent et ils dominent l’impression reçue de la réalité. […] Et cette réalité lui apparaîtra divisée en tableaux ou en actes, dont chacun forme un tout isolé et complet. […] Mais qui parle de réalité, et de quelle réalité parle-t-on, s’il est vrai qu’elle apparaisse différente à chaque individu ? […] Il ne croit à rien, en dehors des réalités présentes.
Il faut bien se rendre compte qu’il existe une autre réalité que celle de la Garçonne et du Journal d’une femme de chambre. […] On dira que, si la réalité est laide, il ne faut pas la peindre telle qu’elle est, parce que cette peinture ne saurait être belle. […] Un peintre ne peint jamais la réalité, mais sa propre interprétation. […] Des fantaisistes, comme Théodore de Banville, peuvent seuls déconseiller l’étude de la réalité. […] Autant l’érudition allemande, est inorganique, autant l’érudition française possède le sens de la réalité et le souci de la couleur.
Il en est temps, parce que, l’art étant toujours un choix fait par l’artiste, selon son humeur, dans les traits multiples de l’objet qu’il veut peindre, le premier artiste, celui qui regardait le réel même, a déjà éliminé un certain nombre de parties de la réalité qui lui déplaisaient ; le second, qui fait son choix dans un premier choix écarte encore une certaine quantité de réel, et le champ du vrai va se réduisant indéfiniment, jusque-là que le dernier venu des imitateurs n’imite plus qu’une pure abstraction ou une convention creuse. […] On imite, par exemple, les habitudes d’esprit et le tour de composition des anciens, et dans cette manière de moule on verse beaucoup de matière puisée dans la réalité moderne qu’on observe. […] Etre peu capable d’idées, ne pas repousser le lieu commun, et y glisser même d’une pente naturelle ; avoir une sensibilité limitée et qui n’est jamais déliée et fine ; voir les choses dans un incroyable relief, les sentir vivre et être comme obsédé de cette palpitation universelle ; avoir le don des images à ce point que si toute réalité aperçue s’illumine et vibre sous le regard, toute pensée aussi se transfigure, du moment qu’elle naît, en une vision : tout cela se ramène à une prédominance extraordinaire de tout ce qui est forme sur tout ce qui est pensée pure. […] Créer de nouvelles images, puisque les anciennes sont les cendres de flammes éteintes ; ne pas dire « l’aube aux doigts de rose », mais, comme Théophile Gautier ; « Déjà le matin aux yeux gris descend des collines » ; et ensuite avoir assez de puissance pour pousser la métaphore jusqu’à l’allégorie sans être froid, et l’allégorie jusqu’au symbole sans être forcé, et le symbole jusqu’à cette coordination vivante de symboles qui se fait accepter de l’imagination échauffée comme une réalité, c’est-à-dire jusqu’au mythe. […] Les Orientales, qu’il faut étudier de très près, car c’est là qu’est le germe du Victor Hugo futur, marquent un effort qu’il a fait, pour éveiller en lui la faculté de voir les objets dans leur réalité vivante et colorée.
Mais, quand Platon voulut transporter sur la terre ses rêves impossibles et introduire ses fantaisies dans le domaine des réalités, Aristote le plaignit, repoussa modestement ses doctrines politiques, aigrit son maître, qui tenait plus à ses chimères qu’aux vraies doctrines de Socrate, et s’éloigna respectueusement de lui. […] IX Pendant ces événements domestiques Aristote succéda à Platon, et, au lieu de suivre la route des chimères, professa à Athènes la raison des choses et les réalités de la vie. […] Ce n’est pas un homme de style, c’est l’homme des réalités. […] Il y a dans les faits une réalité occulte qui est aux choses politiques ce que la gravitation est aux choses physiques, et qui leur assigne leur poids et détermine leur équilibre divin. […] Qu’est-ce, à côté de cette sublime réalité, que les sophismes antiques et modernes de Platon ou de J.
Incontestablement cette vie de Jésus en plus de cent tableaux, cette représentation où se mêle à une habile retrouvaille de la réalité des milieux, des localités, des races, des costumes, le mysticisme du peintre, produit à la longue, par le nombre et la lente succession de ces études, un grand apitoiement, et même fait monter en vous une tristesse, au souvenir de ce juste, une tristesse attendrie qu’aucun livre ne vous apporte. […] Messieurs, Après notre grand Balzac, le père et le maître à nous tous, Flaubert a été l’inventeur d’une réalité, peut-être aussi intense que celle de son précurseur, et incontestablement d’une réalité plus artiste, d’une réalité qu’on dirait obtenue comme par un objectif perfectionné, d’une réalité qu’on pourrait définir du d’après nature rigoureux, rendu par la prose d’un poète.
Que si un fantôme d’elle alors leur apparaît et pose devant eux, si une image du passé, se dérobant à la tombe, semble se relever et marcher, est-il étonnant que ces âmes poétiques prennent leur rêve pour une réalité ? […] La poésie que je sens encore dans sa réalité, c’est la poésie intime, la grande élégie de Joseph Delorme : un enfant de génie, qui a cru à cette égalité dont on a assourdi ses oreilles dès le berceau ; un homme qui se sent le cœur grand, les passions énergiques et la tête puissante ; qui rêve, dans une société équitable, la gloire et les plaisirs qui lui sont dus, et qui se trouve, lui poète, dans un hôpital, occupé à disséquer des cadavres ; qui se plonge dans l’athéisme obscur de Bichat et de Cabanis, se dessèche avec Locke et Condillac, jette un regard sur leurs successeurs parlant de liberté, de devoir et de vertu, et ne trouve en eux que des sophistes ; homme du peuple, plein de sympathie pour ce peuple qu’il voit traité comme un vil troupeau, plein de dégoût pour toutes ces distinctions de rangs fondées sur une absurdité et sur une iniquité ; cherchant avec enthousiasme la vertu pour l’honorer, et ne sachant à quel signe la découvrir ; à la fois emblème de la souffrance de l’artiste et de celle du peuple ; et qui finit par prendre en mépris le monde et l’Humanité, ne voit dans l’univers qu’un destin aveugle, et, relevant sa tête hors du tombeau où il est déjà couché, et où, brisé par la souffrance, il hésite devant le suicide, exhale ses derniers moments en sanglots étouffés, en plaintes arides, en ironie amère, entremêlés de chants sublimes et d’efforts qui touchent à la folie. Byron dans tous ses ouvrages et dans toute sa vie, Goethe dans Werther et Faust, Schiller dans les drames de sa jeunesse, Chateaubriand dans René, Benjamin Constant dans Adolphe, Senancourf dans Oberman, Sainte-Beuve dans le livre que nous venons de caractériser, une innombrable foule d’écrivains anglais et allemands, et toute cette littérature de verve délirante, d’audacieuse impiété et d’affreux désespoir qui remplit aujourd’hui nos romans, nos drames et tous nos livres, voilà l’école ou plutôt la famille de poètes que nous appelons Byronienne : poésie inspirée par le sentiment vif et profond de la réalité actuelle, c’est-à-dire de l’état d’anarchie, de doute et de désordre où l’esprit humain est aujourd’hui plongé par suite de la destruction de l’ancien ordre social et religieux (l’ordre théologique-féodal) et de la proclamation du principe de l’Égalité, qui doit engendrer une société nouvelle. […] Ces deux poésies, qui se sont montrées simultanément en France, en Angleterre, en Allemagne, rentrent tout à fait dans le principe que nous avons émis sur la loi du développement de l’art ; car toutes deux sont l’expression de l’époque, toutes deux ont été engendrées par la réalité actuelle, par la nature du temps où nous vivons.
Mais, comme j’avais l’esprit juste, je vis en même temps que l’idéal et la réalité n’ont rien à faire ensemble ; que le monde, jusqu’à nouvel ordre, est voué sans appel à la platitude, à la médiocrité ; que la cause qui plaît aux âmes bien nées est sûre d’être vaincue ; que ce qui est vrai en littérature, en poésie, aux yeux des gens raffinés, est toujours faux dans le monde grossier des faits accomplis. […] Plus une solution politique fut chétive, plus elle me parut dès lors avoir de chances pour réussir dans le monde des réalités. […] Enthousiaste, je le suis autant que personne ; mais je pense que la réalité ne veut plus d’enthousiasme, et qu’avec le règne des gens d’affaires, des industriels, de la classe ouvrière (la plus intéressée de toutes les classes), des juifs, des Anglais de l’ancienne école, des Allemands de la nouvelle, a été inauguré un âge matérialiste où il sera aussi difficile de faire triompher une pensée généreuse que de produire le son argentin du bourdon de Notre-Dame avec une cloche de plomb ou d’étain. […] Le commerce des âmes est la plus grande et la seule réalité.
Offenbach, en faisant chanter à Mlle Schneider le Sabre de mon père, creva les belles phrases du romantisme et rétablit la réalité au théâtre. […] Chateaubriand, dans son premier ouvrage, l’Essai sur les révolutions, étreint par la poignante et triviale réalité, écrivit sous la dictée de ses angoisses : — J’ai faim ! […] Mais quand René écrivit son autobiographie, l’heure des réalités triviales était passée pour lui ; leur souvenir ne revenait que dans un demi-jour lointain ; il sut n’en préserver que ce mirage nuageux, teinté par les sentiments du présent. […] Des convoitises ardentes, chauffées à blanc par la vue du succès et comprimées par les réalités de leurs positions, torturaient les plus médiocres des fils de la bourgeoisie, subitement émancipée ; pour endormir leurs appétits irrités que rien ne parvenait à rassasier, ils s’enivraient d’idéal, ainsi que d’un opium, ils s’embarquaient pour le pays des chimères, pour le monde du mensonge et de la poésie.
c’est dans la réalité des choses humaines qu’il existe un tel bonheur et toute la terre en est privée, et presque jamais l’on ne peut rassembler les circonstances qui le donnent ! […] À côté des malheurs, causés par le sentiment, c’est peu que les circonstances extérieures qui peuvent troubler l’union des cœurs ; quand on n’est séparé que par des obstacles étrangers au sentiment réciproque, on souffre, mais l’on peut et rêver et se plaindre : la douleur n’est point attachée à ce qu’il y a de plus intime dans la pensée, elle peut se prendre au-dehors de soi ; cependant des âmes d’une vertu sublime, ont trouvé dans elles-mêmes des combats insurmontables ; Clémentine peut se rencontrer dans la réalité, et mourir au lieu de triompher.
Mais quand l’esprit de parti, dans toute sa bonne foi, rendrait indifférent aux succès de l’ambition personnelle, jamais cette passion, considérée d’une manière générale, n’est complètement satisfaite par aucun résultat durable ; et si jamais elle pouvait l’être, si elle atteignait jamais ce qu’elle appelle son but, il n’est point d’espoir qui fut plus détrompé, qui cessa plus sûrement au moment de la jouissance ; car il n’en est point dont les illusions aient moins de rapport avec la réalité ; il y a quelque chose de vrai dans les satisfactions que donnent la puissance, la gloire, mais lorsque l’esprit de parti triomphe, par cela même il est détruit. […] Aussi se réveilleront-ils un jour ceux qui seuls sont sincères, ceux qui seuls méritent les regrets ; accablés de mépris, tandis qu’ils auraient besoin de considération ; accusés du sang et des pleurs, tandis qu’ils seront encore capables de pitié ; isolés dans l’univers sensible, tandis qu’ils pensaient s’unir à toute la race humaine ; ils éprouveront ces douleurs alors que les motifs qui les ont entrainés auront perdu toute réalité, même à leurs yeux, et ne conserveront de la funeste identité, qui ne leur permet pas de se séparer de leur vie passée, que les remords pour garants ; les remords, seuls liens des deux êtres les plus contraires ; celui qu’ils se sont montrés sous le joug de l’esprit de parti ; celui qu’ils devaient être par les dons de la nature.
Bonaparte, par les épiques promenades de ses armées, offre à Gros des sujets modernes : Abonkir, Jaffa, Eylau, les Pyramides ; et sons la contrainte de la réalité prochaine, le peintre est conduit à caractériser les types ethniques, à s’inquiéter d’une couleur locale. […] Nous devons enfin considérer comme circonstance favorable la chute de l’empire qui, fermant brusquement la réalité aux activités inquiètes et aux ambitions énormes, les dériva vers le rêve et l’exercice de l’imagination.
Une œuvre ne se borne pas toujours à décrire ou à exprimer la réalité. […] Sont-elles un prolongement qui se superpose à la réalité ?
Il constate, implacable : « Les fantaisies de Lycurgue coûtèrent à Sparte son intelligence ; les hommes y furent beaux comme des chevaux de course et les femmes y marchaient nues drapées de leur seule stupidité ; l’Athènes des courtisanes et de la liberté de l’amour a donné au monde moderne sa conscience intellectuelle. » Ce redoutable destructeur des apparences, seules divinités adorées par la tourbe, cet amoureux de l’unique réalité, l’individu, a bien conscience d’être un monstre fort haïssable non seulement pour la foule, mais aussi pour les « âniers innocents qui accompagnent mais ne guident pas la caravane ». […] Tout vient ici d’une source unique dans les profondeurs quoique doublement jaillissante : le sentiment de la réalité de l’individu le sentiment de l’irréalité de tout le reste.
En premier lieu, il est incontestable que l’être animé, quel qu’il soit, se veut lui-même ; et s’il conçoit plus ou moins vaguement son moi (soit par une intuition profonde de sa vraie réalité, soit par une simple illusion d’optique), ses désirs et volitions se trouvent concentrés vers ce foyer intérieur- : le vouloir-vivre spontané devient une volonté réfléchie de soi-même. […] Et plus l’être se croira un, simple, indivisible, intangible, plus il s’érigera en atome spirituel, insécable et inviolable, plus il accroîtra sa force réelle, plus il se rapprochera en fait de cet idéal qu’il prend dès à présent pour une réalité.
Il en résulte que ces principes ou rapports, une fois trouvés, sont acceptés par l’esprit comme des vérités absolues, c’est-à-dire indépendantes de la réalité. […] Alors ils raisonnent logiquement et sans expérimenter, et arrivent, de conséquence en conséquence, à construire un système qui est logique, mais qui n’a aucune réalité scientifique. […] Il n’y a aucune réalité objective dans les mots vie, mort, santé, maladie. […] Il est impossible de supposer un corps absolument isolé dans la nature ; il n’aurait plus de réalité, parce que, dans ce cas, aucune relation ne viendrait manifester son existence. […] Mais, au lieu de me préoccuper de la validité de la théorie, je ne m’occupai que du fait dont je cherchai à bien établir la réalité.
Il nous faut du grand, diront-ils, mais ce grand à quoi ils rêvent sans cesse, ils ne sauraient le trouver eux-mêmes ni l’inventer ; ils sont en peine des voies et moyens, et resteraient bien empêchés tous seuls à le réaliser ; il faut qu’on le leur prépare, qu’on le leur présente tout fait, et alors ils l’acceptent, sans trop de discernement toutefois, sans distinguer toujours le fond de l’apparence et le simulacre d’avec la réalité.
Quand vous rappelez des objets dégoûtants, vous excitez une impression fâcheuse, qu’on fuirait avec soin dans la réalité ; quand vous changez la terreur morale en effroi physique, par la représentation de scènes horribles en elles-mêmes, vous perdez tout le charme de l’imitation, vous ne donnez qu’une commotion nerveuse, et vous pouvez manquer jusqu’à ce pénible effet, si vous avez voulu le pousser trop loin : car au théâtre, comme dans la vie, quand l’exagération est aperçue, on ne tient plus compte même du vrai.
On se heurte de nouveau à la réalité ; on la trouve plus rude qu’auparavant, et l’on s’irrite.
Je n’ai jamais lu (sauf peut-être Daniel Valgraive… le Lys rouge… l’Arche… les Antibel…) de livre aussi frissonnant, aussi pénétrant, ni qui nous donne un contact plus direct avec la réalité de la vie.
La plupart possèdent cette intelligence rudimentaire qui suffit à faire vite reconnaître que les avantages vont aux apparences non aux réalités, aux diplômes non à la science, à l’intrigue non au talent.