Ils ont été fort loin en morale et en politique. […] Sur la politique, sur la métaphysique, sur tous les objets, il y a là des vues, des idées, de la pensée. […] Et il en revient à désigner son grand coupable politique, après Calonne, après Brienne, et plus funeste qu’eux tous, c’est-à-dire M. […] C’étaient deux débris politiques qui se consolaient par l’esprit, et dont le moins caduc, le plus ferme et le plus élégant, encore debout, disait à l’autre : Vous n’auriez convenu qu’à moi si, au lieu d’être un petit souverain de quatre ou cinq lieues en carré, j’en avais été un grand. […] » Pour nous, qui ne pouvons juger M. de Meilhan que par ses écrits, nous avons cru n’être que juste en lui accordant un souvenir, en lui assignant un rang élevé parmi les moralistes pour ses Considérations sur l’esprit et les mœurs (1787), et, parmi les politiques, pour son ouvrage Du gouvernement, des mœurs et des conditions en France avant la Révolution (1795).
Malgré ce vice de composition, c’est le plus beau traité d’éducation et de politique qui existe dans les temps modernes, et ce traité a de plus le mérite d’être en même temps un poëme. […] Fénelon, sûr de l’orthodoxie de madame Guyon, et touché des persécutions qui la menaçaient, la justifia devant Bossuet avec plus de magnanimité que de politique. […] C’était la vengeance des peuples, la leçon des rois, l’inauguration de la philosophie et de la religion dans la politique. […] Ses réformes politiques avaient passé de la poésie dans la réalité ; mais elles s’y étaient dépouillées des chimères qui les décréditaient dans le Télémaque, et elles y portaient l’empreinte de la maturité, de la réflexion et de la pratique. […] Sa poésie enchante notre enfance, sa religion respire la douceur ; sa politique même n’a que les erreurs et les illusions de l’amour trompé ; sa vie tout entière est le poëme de l’homme de bien aux prises avec les impossibilités des temps.
À propos de chaque chose sérieuse, en politique, en morale, en religion, il avait quelque apologue, quelque bon conte à faire, un conte gai, fou, imprévu, qui vous faisait rire à chaudes larmes, comme il disait, et qui recelait souvent une moralité profonde. […] En politique, l’abbé Galiani n’avait pas des idées moins originales et moins à part de celles de presque tous les philosophes du xviiie siècle. […] En fait de politique, il avait coutume de dire : « Les sots font le texte, et les hommes d’esprit font les commentaires. » Les livres comme ceux de l’abbé Raynal (Histoire des deux Indes) lui faisaient pitié au fond : « Ce n’est pas mon livre, disait-il ; en politique je n’admets que le machiavélisme pur, sans mélange, cru, vert, dans toute sa force, dans toute son âpreté. » Ce machiavélisme dont il était imbu et qu’il affichait beaucoup trop, il l’a pratiqué jusqu’à un certain point. […] Quand on l’entendait causer politique, on dit qu’il était aussi charmant que lumineux. […] Galiani avait pris à dessein cette forme du dialogue, comme plus française : « Cela est naturel, disait-il ; le langage du peuple le plus social de l’univers, le langage d’une nation qui parle plus qu’elle ne pense, d’une nation qui a besoin de parler pour penser, et qui ne pense que pour parler, doit être le langage le plus dialoguant. » Quant au fond, en combattant les idées absolues et les raisonnements des économistes, Galiani visait à faire entrevoir les idées politiques qui doivent régir et dominer même ces matières.
Il me semble pourtant que, généralement, on ne se fait pas de l’abbé Maury, comme écrivain et comme littérateur, une idée très nette, et que son caractère politique également laisse dans l’esprit quelque chose de louche. […] À cette date de 1787, l’abbé Maury, qui avait passé la quarantaine, doué d’un talent actif et robuste, d’une faculté puissante, propre à tout, et d’une grande force d’application, en cherchait l’emploi du côté de la politique, qui commençait à agiter tous les esprits. […] On voit que l’abbé Maury était quelque chose de plus qu’un prédicateur chrétien, et qu’il avait de grandes prédispositions à être un orateur politique quand la Révolution commença. […] L’abbé Maury avait pourtant peu de vocation pour le martyre, même pour le martyre politique. […] En général, pour comprendre ce genre d’éloquence politique de l’abbé Maury, il ne suffit pas de lire les lambeaux de discours qu’on a conservés, il faut en avoir la clef, et le marquis de Ferrières nous la donne, ou du moins nous l’indique, à un endroit de ses Mémoires.
monsieur le maréchal, répondit-il, avec des garanties écrites, avec un ordre politique qui fondera nos droits, qu’y a-t-il à redouter ? […] N’ayant en tout ceci d’autre désir que d’être vrai et d’autre rôle que d’exposer fidèlement un caractère auquel le mot de traître ne convient pas, un de ceux auxquels il s’applique le moins, je demande à bien définir la question politique d’alors, telle que nos souvenirs calmés nous la laissent voir à cette distance, et je veux d’abord l’élever à sa juste hauteur. […] En 1817, la conduite du duc de Raguse à Lyon caractérise sa ligne politique, ligne de modération et d’humanité. […] En politique, dans ces actes extraordinaires, tout dépend de la manière, du but et du moment. […] Si des politiques étaient tentés aujourd’hui de les trouver excessives, je rappellerai encore une fois que tout est relatif dans ces situations extraordinaires.
Au premier aspect, l’invasion française de 1796 était pour l’Italie, non pas un joug étranger de plus, mais une renaissance nationale et politique. […] Bientôt cette voix, plus austère et plus forte, atteignit à la grandeur de l’ode politique, à l’autorité de l’anathème moral fulminé même contre la gloire par une éloquente poésie. […] Au-delà de l’Océan, dans les deux idiomes transplantés d’Espagne et d’Angleterre, on imitait avec ardeur les Méditations, les Orientales, les Messéniennes, et tel autre chant de notre court trajet de liberté politique. […] Si, depuis cet éclat du génie de l’Espagne égal à la grandeur même de sa politique, il y eut de longues stérilités, ce n’est pas à dire que le fond de la race ait changé et qu’elle n’ait pas pour les arts une puissance originale, dont les traits se retrouvent jusque dans le génie maniéré de Gongora. […] Dans sa trentième année cependant, touchée de l’attachement profond que ressentait pour elle un jeune et célèbre député des cortès, élevé par la révolution au titre de chef politique de Madrid, elle lui donna sa main ; mais ce choix ne devait être que la consolation et l’orgueil d’un mourant.
car il est allé choisir exprès ces deux grands noms (tome I, page 40). imaginez, au contraire, que, tout à côté, les lettres de Béranger remettent les choses à leur juste point : cet homme de sens, tout coquet qu’il est par moments, ne se surfait pas d’une ligne en politique ni en littérature. […] Sur son rôle en politique, de même : il s’en fait une idée très-nette, très-bien définie. […] Sa théorie de l’utilité de l’art, et d’un but public et politique à lui donner, laisse bien à dire ; elle distingue essentiellement Béranger des artistes proprement dits et marquera plus tard sa séparation d’avec la nouvelle école littéraire. […] Il passa en un instant de la position de tirailleur à celle de spectateur, d’avocat politique consultant (il se lassa vite de ce dernier rôle), de causeur avisé, curieux de tous sujets, et qui avait son franc parler sur chacun au coin du feu. […] Un jour, en 1815, au milieu de l’effervescence des passions politiques, entrant chez des amis, comme on lui demandait ce qu’il avait vu en venant, il lui arriva de répondre : « Ça va mal, ils chantent la Marseillaise !
Études de politique et de philosophie religieuse par M. […] Ce n’est pas à nous, — ce n’est pas à moi du moins qui ne fais point et qui n’ai jamais fait (ou qu’à peine) de politique proprement dite, — d’insister sur ce peu de chose qui est la grosse question ; je ne voulais que remarquer qu’il y a, à l’heure qu’il est, bien des rôles remplis dans ce mouvement croissant de la presse actuelle ; et que, parmi ces rôles, M. […] Il le faut pourtant, car la politique ne saurait être longtemps affaire d’enthousiasme, et les choses de tous les jours se doivent traiter par le bon sens. […] Développons, autant qu’il est en nous, l’intelligence, la moralité, les habitudes de travail dans toutes les classes de la société française ; cela fait, nous pourrons mourir tranquilles ; la France sera libre, non de cette liberté absolue qui n’est point de ce monde, mais de cette liberté relative qui seule répond aux conditions imparfaites, mais perfectibles, de notre nature. » C’est fort sensé, et du moins, on l’avouera, très spécieux ; mais cela ne satisfait point peut-être ceux qui sont restés entièrement fidèles à la notion première et indivisible de liberté, et je ne serai que vrai en reconnaissant qu’il subsiste, toutes concessions faites, une ligne de séparation marquée entre deux classes d’esprits et d’intelligences : Les uns tenant ferme pour le souffle de flamme généreux et puissant qui se comporte différemment selon les temps et les peuples divers, mais qui émane d’un même foyer moral ; estimant et pensant que tous ces grands hommes, même aristocrates, et durs et hautains, que nous avons ci-devant nommés, étaient au fond d’une même religion politique ; occupés avant tout et soigneux de la noblesse et de la dignité humaines ; accordant beaucoup sinon à l’humanité en masse, du moins aux classes politiques avancées et suffisamment éclairées qui représentent cette humanité à leurs yeux. […] On aura aisément, deviné, dans cette énumération que je viens de faire à l’occasion du rédacteur en chef de l’Opinion nationale, la couleur et la nuance distincte des principaux journaux politiques passés en revue : — la Gazette de France ; — le Progrès de Lyon, et le Courrier du Dimanche ; — le Journal des Débats ; — le Temps ; — le Siècle ; — la France ; — et enfin le Constitutionnel lui-même.
Les institutions politiques masquent les plaies sociales : dans l’intervalle des institutions, ces plaies cachées et inhérentes à toute société apparaissent à nu et s’étalent ; chaque passant se propose volontiers pour guérisseur ; on ne sait à qui entendre. […] Il a la religion politique de l’avenir. […] Dans ces questions toutes politiques et qui ne sont pas de notre ressort, nous le louerons seulement d’une chose : c’est d’avoir désintéressé le principe même du Gouvernement impérial ; c’est, lorsqu’il contredisait, de l’avoir fait sans aucune arrière-pensée maligne, sans aucun esprit de dénigrement et sans un soupçon de venin. […] Certains écrivains politiques s’exagèrent leur importance et s’enflent dans l’idée qu’ils ont d’eux-mêmes : raillez-les, remettez-les à leur place, montrez-leur qu’ils se chatouillent l’amour-propre et qu’ils se rengorgent plus que de raison. […] Le goût littéraire, plus scrupuleux et plus vite lassé que le talent politique, ne l’avertit pas de cesser.
Il fait remarquer le rapport constant qui s’est établi entre le déclin et le retour des vrais principes politiques et des principes religieux pendant le cours de la Révolution française ; le Concordat n’est pas maudit. […] Les doctrines religieuses, morales et politiques, les lois et les institutions qu’elles avaient consacrées, formaient comme un vaste édifice, demeure commune de la grande famille européenne. […] Prêtre austère, âme de génie, il a gardé sous ses cheveux gris tous ses trésors de foi et de jeunesse ; il a dépouillé d’un coup ses préjugés politiques, non inhérents à la vraie foi. […] » Je ne propose pas ce raisonnement comme modèle aux philosophes et politiques, aux gens du monde, aux littérateurs et artistes ; mais je le trouvais tout naturel et facile dans l’esprit d’un catholique croyant comme l’était l’abbé de La Mennais. […] Or, la Papauté, en manquant l’à-propos, et en proclamant alors certains principes politiques serviles, s’engageait dans une voie d’où elle ne pourrait plus revenir en aucun temps.
Lui, l’observateur intègre et rigoureux, qui excellait à approfondir, à analyser et à décrire une situation politique, et à chercher les racines des choses bien au-dessous des surfaces, il n’est pas douteux que, s’il avait vécu jusque-là et s’il eût conservé jusqu’à la fin sa fermeté de pensée, il eût plus d’une fois froncé le sourcil et remué la tête aux discours de ceux qui se seraient félicités devant lui d’avoir à jamais conquis et de posséder pleinement et sûrement le régime tant souhaité. […] Mallet était déjà dans ces dispositions très peu espérantes quand il publia à Hambourg, en 1796, quelques mois après les événements du 13 Vendémiaire, sa brochure intitulée Correspondance politique pour servir à l’histoire du républicanisme français. […] Or, l’impression que produit Rousseau en politique est toute contraire : il fait que chacun, après l’avoir lu, est plus mécontent de son état. Cette épidémie de constitutions politiques, « qui succéda alors en France et en Europe aux pantins et aux aérostats » (deux modes du jour), date de lui : Pas un commis-marchand formé par la lecture de l’Héloïse, dit Mallet du Pan, point de maître d’école ayant traduit dix pages de Tite-Live, point d’artiste ayant feuilleté Rollin, pas un bel esprit devenu publiciste en apprenant par cœur les logogriphes du Contrat social, qui ne fasse aujourd’hui une constitution… Cependant la société s’écroule durant la recherche de cette pierre philosophale de la politique spéculative ; elle reste en cendres au fond du creuset. […] Il y dressa aussitôt sa batterie de guerre, son Mercure britannique, publication destinée à combattre avec suite, et par des tableaux mêlés de discussions, la politique du Directoire : « L’expérience est perdue, disait Mallet, si on ne la grave pas au moment même par des écrits qui en fixent l’impression. » La passion déclarée et le parti pris de l’attaque n’empêchent point dans ce Mercure la sagacité et, jusqu’à un certain point, l’impartialité des jugements.
Cet épicurisme politique n’était pas une simple affaire de calcul ou d’indifférence : il y avait mieux chez lui ; sans préjugés surannés, sans passions profondes, doué d’une conception éminemment prompte et lucide, Dumouriez était fait pour comprendre à merveille les divers partis de la scène révolutionnaire, et, si l’on excepte les jacobins stoïquement féroces, il lui était aisé de sympathiser plus ou moins vivement avec tous. […] Mais ce qui est inouï, ce qui caractérise au naturel l’incapacité de cette émigration, sa mesquinerie de vues, sa lésinerie de moyens, ses rancunes invétérées, en un mot toute l’étroitesse de son bigotisme politique, c’est l’accueil hostile et outrageux qu’elle fît au général éminent qui avait tenté de relever, en y inscrivant le mot de Constitution, une bannière dépopularisée. […] Il avait pour unique ressource la vente des ouvrages qu’il publiait sur la politique.
XII Voulant joindre tous les agréments, ce journal s’intitule politique et littéraire. Mais qui se passionne à la politique ? […] Il touchait au monde politique, savait les dessous des gens en place, les faisait transparaître.
Il a repris ses travaux de prédilection, avant même d’en avoir tout-à-fait fini avec les petits adversaires politiques qui sont venus le distraire il y a deux mois. […] Aussi compte-t-il bien mener de front désormais la lutte politique, tant que besoin sera, et l’œuvre littéraire. […] Le Roi s’amuse et Lucrèce Borgia ne se ressemblent ni par le fond, ni par la forme, et ces deux ouvrages ont eu chacun de leur côté une destinée si diverse que l’un sera peut-être un jour la principale date politique et l’autre la principale date littéraire de la vie de l’auteur.
Cet abbé était l’abbé de Châteauneuf ; il s’honorait, comme l’abbé de Chaulieu, de fréquenter les courtisanes politiques d’Athènes. […] Cette époque fut la véritable crise de ses croyances religieuses, de ses opinions politiques et de son génie. […] Voltaire, bien qu’il fût violemment choqué par l’étrangeté quelquefois barbare de cette scène shakespearienne, en sentit néanmoins la moelle humaine, les proportions gigantesques, l’audace politique, la profondeur, l’élévation, l’étendue. […] Ses connaissances et son style décoraient leur faiblesse politique. […] Il était en politique de l’école expérimentale et historique de Machiavel, de Montesquieu, du grand Frédéric.
Ainsi l’anarchie politique prépare l’anarchie morale. […] Jésuites sur la morale et la politique de ces Pères. […] Pascal rend justice à la pureté de la vie des Pères, et ne leur prête nulle part le dessein exprès de favoriser la corruption : il dit que la Société poursuit un but politique, la domination des consciences pour le compte de Rome, et fait plier la morale de l’Évangile à sa politique, pour attirer les âmes par la religion aimable et le salut facile. […] Ses idées sur la religion, au fond, n’ont rien de nouveau : pas même ses idées morales, politiques, sociales. […] D’autres théories de Pascal sont celles du temps : sa doctrine politique, au fond, se réduit à des opinions assez répandues parmi le tiers état intelligent depuis la fin du xvie siècle, et elle se retrouvera, l’accent seulement étant changé, dans la Politique de Bossuet.
Le règne de Louis XIV avait trop duré : la dernière partie de ce règne produisit un bon nombre d’esprits, très sensibles aux défauts, aux abus et aux excès d’un si long régime, qui passèrent à une politique tout opposée et rêvèrent une amélioration sociale moyennant la paix, par de bonnes lois, par des réformes dans l’État et par toutes sortes de procédés et d’ingrédients philantrophiques. […] Après trois ou quatre ans donnés à la physique, à laquelle il eût été propre peut-être plus qu’à aucun autre objet, désirant surtout faire servir ses progrès personnels au bonheur des hommes, il suivit l’exemple de Pascal et de Socrate, il passa à l’étude de la morale ; et comme celle-ci ne trouve guère son application en grand et son développement qu’à l’aide des lois et des institutions civiles, il fut conduit nécessairement à s’occuper de politique : car nul esprit n’était plus docile que le sien à mettre en pratique et à suivre jusqu’au bout la série de conséquences qui s’offraient comme justes. […] Cette similitude du Français et de l’enfant, qui ne se bornait pas à un simple aperçu comme en ont les gens d’esprit, mais qui était l’idée favorite de l’abbé, revient continuellement dans ces notes de Rousseau : « Il était mal reçu des ministres et, sans vouloir s’apercevoir de leur mauvais accueil, il allait toujours à ses fins ; c’est alors surtout qu’il avait besoin de se souvenir qu’il parlait à des enfants très fiers de jouer avec de grandes poupées. » — « En s’adressant aux princes, il ne devait pas ignorer qu’il parlait à des enfants beaucoup plus enfants que les autres, et il ne laissait pas de leur parler raison, comme à des sages. » Rousseau, à qui tant de gens feront la leçon pour sa politique trop logique et ses théories toutes rationnelles, sent très bien le défaut de l’abbé de Saint-Pierre et insiste sur la plus frappante de ses inconséquences : « Les hommes, disait l’abbé, sont comme des enfants ; il faut leur répéter cent fois la même chose pour qu’ils la retiennent. » — « Mais, remarquait Rousseau, un enfant à qui on dit la même chose deux fois, bâille la seconde et n’écoute plus si on ne l’y force. […] C’est bien lui qui, lorsqu’il crut devoir passer de l’étude de la morale à celle de la politique, et qu’il eut acheté pour cela une charge de Cour (celle de premier aumônier de Madame, mère du duc d’Orléans), ne considéra cette espèce de sinécure auprès d’une princesse restée à demi protestante, que comme une petite loge à un beau spectacle, comme une entrée de faveur pour approcher plus aisément ceux qui gouvernaient, et se mit à les regarder, à les étudier à bout portant, bientôt à les aborder et à les harceler de questions, en attendant qu’il les poursuivît, sous la Régence, de ses projets et de ses conseils. C’est lui qui, un jour qu’un homme en place, excédé de son procédé, lui en faisait sentir l’inconvenance, répondait sans s’émouvoir ; « Je sais bien, monsieur, que je suis, moi, un homme fort ridicule ; mais ce que je vous dis ne laisse pas d’être fort sensé, et, si vous étiez jamais obligé d’y répondre sérieusement, soyez sûr que vous joueriez un personnage plus ridicule encore que le mien. » C’est lui qui, s’apercevant un jour qu’il était de trop dans un cercle peu sérieux, ne se gêna pas pour dire : « Je sens que je vous ennuie, et j’en suis bien fâché ; mais moi, je m’amuse fort à vous entendre, et je vous prie de trouver bon que je reste. » Tout cela est bien de l’homme dépeint par La Bruyère dans son portrait chargé, mais reconnaissable, de celui même que le cardinal de Fleury, à son point de vue de Versailles, appellera un politique triste et désastreux ; malencontreux, du moins, et intempestif, qui avait reçu le don du contretemps comme d’autres celui de l’à-propos, et qui, lorsqu’il se doutait du léger inconvénient, prenait tout naturellement son parti de déplaire, pourvu qu’il allât à ses fins.
À tous ces présents de la nature, il a joint d’heureux accidents de fortune ; de bonne heure, il a attiré sur lui l’attention des hommes et conquis une place élevée dans le mouvement des lettres et de la politique ; mais rien de parfaitement solide et de complètement initiateur n’est résulté de son action et de ses travaux. Il y avait en lui plus d’intuition que de réflexion, plus de sentiment que d’idée, plus d’impétuosité que de raison, en un mot, à mon sens, il a été, en politique, un philosophe, et en littérature, un merveilleux improvisateur, parfois sublime, le plus étonnant que la France ait jamais possédé, mais un improvisateur. […] Jamais rien de médiocre n’entra dans cet esprit ; jamais le moindre grain de rancune ou de haine, même en ce monde de haine et d’envie qu’on nomme la politique. […] Ferdinand Brunetière Depuis quelque temps on découvre non seulement que le politique avait vu plus loin qu’on ne croyait, mais encore que, dans ses erreurs mêmes, il n’y avait rien eu que de noble et de généreux comme lui, de libéral et de prodigue, de magnifique et de fastueux. […] Il l’écrivit, dit-il, sans effort, comme en se jouant, pour se reposer de ses luttes politiques.
ce siècle admirable, où se constitue définitivement l’esprit moderne, est le siècle de la lutte de tous contre tous : luttes religieuses, luttes politiques, luttes littéraires, luttes scientifiques. […] Ne sent-on pas dans Milton le blessé des luttes politiques ? […] Jamais mœurs politiques ne furent plus violentes, jamais la sécurité des personnes ne fut moindre. […] Concevons-nous que le Parthénon et les Propylées, les statues de Phidias, les dialogues de Platon, les sanglantes satires d’Aristophane aient été l’œuvre d’une époque fort ressemblante à 1793, d’un état politique qui entraînait, proportion gardée, plus de morts violentes que notre première révolution à son paroxysme ? […] Il faudrait être bien naïf pour croire que, depuis qu’il y a une conférence du quai d’Orsay, il y aura de plus grands orateurs politiques.
Ce changement fut-il l’effet de la persuasion ou de la politique ? […] C’était là le grand objet de toutes les nations ; et il se mêlait tantôt sourdement, tantôt avec éclat, aux malheurs de la guerre et aux fureurs politiques. […] Cette disposition était l’effet naturel de la fermentation des esprits, des malheurs des peuples, des grands intérêts politiques et religieux ; enfin de ce système des génies, imaginé ou puisé chez les Chaldéens par Platon, et renouvelé alors avec le plus grand succès. […] On a beau dire, je ne puis croire que sa politique seule fît sa superstition. La politique a moins de zèle, et n’a pas surtout cette activité inquiète et curieuse.
Quand la langue italienne fut cultivée, elle eut des politiques, des historiens et des poètes. […] Parcourez tous les états d’Italie ; est-ce à Venise, dont l’aristocratie sévère est fondée sur la crainte ; où la politique inquiète et soupçonneuse marche quelquefois dans la nuit entre des inquisiteurs d’état et des bourreaux ; où tout est couvert d’un voile ; où le gouvernement est muet comme l’obéissance ; où la barrière qui sépare la noblesse et le peuple défend aux talents de s’élever ; où le plaisir même est un instrument de politique ; où, par système, on a substitué à la liberté qui élève les âmes, la licence qui les amollit ; Venise, où tout ce qui serait grand serait suspect ; où enfin le caractère de tous les principes de gouvernement est d’être immobile et calme, et où, depuis des siècles, tout tend à la conservation et à la paix, rien à l’agrandissement et à la gloire ? […] Poètes, peintres, sculpteurs, philosophes, savants dans les langues anciennes, historiens, politiques, tout a été célébré, tout a eu sa portion d’immortalité dans quelques lignes écrites au bas de leurs noms. […] Je ne parle pas de ces gazettes où les écrivains politiques, animés par une faction ou par leur propre caractère, vantent toutes les semaines, à tant par feuilles, un projet ou un homme.