/ 1910
1062. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre V. Des ouvrages d’imagination » pp. 480-512

Cette différence ne consiste pas, je le crois, uniquement dans le rang des personnages que l’on représente, mais dans la grandeur des caractères et la force des passions que l’on sait peindre. […] Les personnages obscurs de Shakespeare parlent en prose, ses scènes de transition sont en prose ; et lors même qu’il se sert de la langue des vers, ces vers n’étant point rimés, n’exigent point, comme en français, une splendeur poétique presque continue.

1063. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Madame de La Tour-Franqueville et Jean-Jacques Rousseau. » pp. 63-84

Mme de La Tour avait une amie intime dont on ignore le nom ; ces deux femmes, en lisant le roman nouveau, crurent se reconnaître, l’une dans le personnage de Claire, l’autre dans celui de Julie : elles se récrièrent d’étonnement et de plaisir. […] Mais, dès cette première lettre, il prend ses précautions et se peint déjà avec ses variations bizarres : « J’espère, madame, malgré le début de votre lettre, que vous n’êtes point auteur, que vous n’eûtes jamais intention de l’être, et que ce n’est point un combat d’esprit auquel vous me provoquez, genre d’escrime pour lequel j’ai autant d’aversion que d’incapacité. » Il entre alors très au sérieux dans ce jeu prolongé des Claire, des Julie et des Saint-Preux ; il ne fait pas semblant, comme ce serait de bon goût à un écrivain bien appris, de traiter légèrement les personnages de son invention ; il continue de leur porter respect, et d’en parler dans le tête-à-tête comme s’ils étaient de vrais modèles : À l’éditeur d’une Julie, vous en annoncez une autre, une réellement existante, dont vous êtes la Claire.

1064. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Diderot. (Étude sur Diderot, par M. Bersot, 1851. — Œuvres choisies de Diderot, avec Notice, par M. Génin, 1847.) » pp. 293-313

L’abbé Arnaud disait à Diderot : « Vous avez l’inverse du talent dramatique ; il doit se transformer dans tous les personnages, et vous les transformez tous en vous. » Mais si Diderot n’était rien moins qu’un poète dramatique, s’il n’était nullement suffisant à ce genre de création souveraine et de transformation tout à fait impersonnelle, il avait en revanche au plus haut degré cette faculté de demi-métamorphose, qui est le jeu et le triomphe de la critique, et qui consiste à se mettre à la place de l’auteur et au point de vue du sujet qu’on examine, à lire tout écrit selon l’esprit qui l’a dicté. […] J’y trouve mille idées hardies, profondes, vraies peut-être, folles et libertines souvent, une contradiction si faible qu’elle semble une complicité entre les deux personnages, un hasard perpétuel, et nulle conclusion, ou, qui pis est, une impression finale équivoque.

1065. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Fontenelle, par M. Flourens. (1 vol. in-18. — 1847.) » pp. 314-335

Il semble, au premier abord, que ce soit une ironie de la nature de l’avoir fait naître neveu de celui qui créa ces âmes héroïques de Polyeucte, du vieil Horace, et de tant d’autres personnages au cœur impétueux et sublime ; car il était l’âme la plus égale, la plus froide, la plus exempte de passion et de flamme qui fut jamais. […] Le grand Corneille, à travers ses hautes qualités, avait, je ne dirai pas beaucoup d’esprit, mais prodigieusement de bel esprit ; quand ils ne sont point passionnés et grandioses, et même alors, une fois que leur mot sublime est lâché, ses personnages continuent de raisonner, et ils le font avec subtilité et à outrance ; ils parlent de tête ; le cerveau chez eux prend la place du cœur ; ils raffinent et quintessencient les idées et les choses.

1066. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Le duc de Lauzun. » pp. 287-308

Il avait vingt-huit ans alors, et passait dans ce monde oisif pour un personnage extraordinaire, et dont la destinée avait été des plus bizarres. […] Il est remarquable pourtant que cet homme qui, par bel air, ne paraît s’occuper que de femmes, et qui croirait déroger à son personnage s’il ne prenait note du moindre minois qu’il rencontre, n’entre pas dans plus de développements quand il aborde les choses sérieuses et les hommes considérables.

1067. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Madame de Motteville. » pp. 168-188

Et d’ailleurs, si Mme de Motteville, se tenant à son rôle de femme, ne disant que ce qu’elle a appris par elle-même ou de bonne source, n’essaye pas de pénétrer les secrets du cabinet (dont elle devine pourtant très bien quelques-uns), elle nous peint au naturel l’esprit général des situations et le caractère moral des personnages : c’est ce côté durable que le temps a dégagé en elle, et qui la place désormais à un rang si distingué et si bien établi. […] Lorsqu’elle revient à la Cour en 1643, Mme de Motteville nous décrit les divers personnages en scène, les divers intérêts des cabales ; elle se montre à nous au milieu de ces grandes intrigues comme un simple spectateur placé dans un coin de la meilleure loge et parfaitement désintéressé : Ainsi je ne songeais pour lors qu’à me divertir de tout ce que je voyais, comme d’une belle comédie qui se jouait devant mes yeux, où je n’avais nul intérêt. — Les cabinets des rois, dit-elle encore, sont des théâtres où se jouent continuellement des pièces qui occupent tout le monde ; il y en a qui sont simplement comiques ; il y en a aussi de tragiques dont les plus grands événements sont toujours causés par des bagatelles.

1068. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Franklin. — I. » pp. 127-148

Son avis comptait pour beaucoup, et les personnages du pays ne se faisaient faute, au besoin, de le consulter. […] Montesquieu, dans les Lettres persanes, a parlé d’un de ces personnages au ton tranchant et absolu comme nous en connaissons encore : « Je me trouvai l’autre jour, écrit Rica à Usbek, dans une compagnie où je vis un homme bien content de lui.

1069. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Grimm. — II. (Fin.) » pp. 308-328

Mais, là où il le trouve incomparable, c’est dans l’art de dessiner des caractères, et de donner à tous ses personnages un air de vérité : Quel génie a pénétré jamais plus profondément dans tous les caractères et dans toutes les passions de la nature humaine ? […] Grimm explique très bien comment et pourquoi Voltaire n’est point comique dans ses comédies, dans L’Écossaise, par exemple, il n’est point parvenu à faire de son Frélon, qui se dit à lui-même toutes sortes de vérités, un personnage comique : « On voit dans cette comédie, et en général dans tous les ouvrages plaisants de M. de Voltaire, qu’il n’a jamais connu la différence du ridicule qu’on se donne à soi-même, et du ridicule qu’on reçoit des autres. » Et c’est ce dernier qui est le vrai comique.

1070. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Monsieur Arnault, de l’Institut. » pp. 496-517

Aussi Cazalès n’obtenait-il guère en société qu’une faveur de souvenir… Les portraits qu’Arnault a donnés des personnages de sa connaissance, et qu’il s’est amusé à tracer dans les années de sa vieillesse, sont animés de ces traits heureux et vraiment spirituels, qui sortent tout à fait du commun. […] Il ne prend ses personnages ou acteurs que pour amener le trait piquant et acéré, et tout est dit.

1071. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XIX » pp. 76-83

Par suite de la même activité, qui se porte actuellement sur de l’inédit, Cousin a publié ses Fragments littéraires, anciens discours académiques, ou éloges mortuaires, auxquels il a ajouté pour assaisonnement les lettres inédites de madame de Longueville (chassant ainsi sur mes terres et me tuant sans façon mon gibier) ; il a ajouté un petit commentaire à ces lettres, dont il s’est, je crois, exagéré un peu l’importance littéraire ; comme étude d’âme et de confessionnal, c’est curieux, (et j’en avais tiré parti dans mon étude). « Au fond, il n’y a de véridique, dit-il, si quelque chose l’est entièrement, que les correspondances intimes et confidentielles, les mémoires eux-mêmes sont toujours destinés au public, et ce regard au public, même le plus lointain, gâte tout ; on s’y défend ou on attaque, on se compose un personnage, on pense à soi, on ment. » — Ceci est dit à merveille comme Cousin sait dire, dans sa langue excellente et digne du xviie  siècle ; mais que serait-ce si on appliquait cette vérité à son éclectisme officiel, qu’il défendait et qu’il préconisait hier tout en attaquant Pascal ?

1072. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « [Addenda] »

Mais on s’explique maintenant très bien qu’il y ait de si jolies choses, et propres à être citées, dans cette première partie de la Correspondance ; les gentillesses sur la Du Barry ; le mot attribué à Marie-Antoinette, « Française jusqu’au bout des ongles », qui répond si bien à l’accusation d’être Autrichienne : les croquis du comte de Provence, du comte d’Artois, qui ne sont que les portraits connus, un peu rajeunis, de ces personnages ; tout cela a été assez artistement contrefait pour séduire à première vue.

1073. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. A. Thiers : Histoire de la Révolution française. Ve et VIe volumes. »

C’est à cette manière si naïve de voir et de peindre qu’on doit tant de figures originales, piquantes ou, pour mieux dire, effrayantes de contrastes, et jusqu’ici envisagées trop absolument d’un seul côté : Danton, Desmoulins, Chaumette, Clootz, Saint-Just, Robespierre lui-même : un roman de Walter Scott n’offre pas des personnages plus vivants.

1074. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre V. Figures de construction et figures de pensées. — Alliances de mots et antithèses »

Hugo, une ample pièce n’est qu’une antithèse amplifiée ; et les caractères des personnages de ses drames tiennent presque tous dans une antithèse, qui en est la formule.

1075. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Guy de Maupassant »

Maupassant, presque toujours, se borne à noter les signes extérieurs  actes, gestes ou discours  des sentiments de ses personnages, et use peu de l’analyse directe, qui a ses périls, qui quelquefois invente sa matière, et l’embrouille pour avoir le mérite et le plaisir de la débrouiller… Mais enfin vous entrevoyez peut-être combien est curieuse l’évolution d’un écrivain qui, ayant commencé par la Maison Tellier, finit par Notre Coeur.

1076. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Laurent Tailhade à l’hôpital » pp. 168-177

Dubois-Desaulle m’affirme qu’ils sont exacts, qu’il s’est borné à transcrire, sans y rien ajouter, tout ce dont il a été le témoin ; qu’il n’a pas même déguisé le nom de ses personnages.

1077. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « L’état de la société parisienne à l’époque du symbolisme » pp. 117-124

. — Connaître au moins de vue et de nom les personnages de “la fête” à Paris. — N’aller déjeuner et dîner que dans les restaurants connus. — Faire semblant d’avoir tout lu. — Savoir tous les potins. — Couper les livres des auteurs qui dînent chez vous. — Dîner beaucoup en ville et aller à la messe. — Retenir d’une exposition les tableaux des gens qu’on rencontre dans le monde. — Éviter le solennel et prendre la vie à la blague. » * *   * Étrange société où connaître les gens qui font « la fête » suffit pour conférer un titre d’excellence.

1078. (1890) L’avenir de la science « XX »

Le goût du riche, en effet, faisant le prix des choses, un jockey, une danseuse qui correspondent à ce goût sont des personnages de plus de valeur que le savant ou le philosophe, dont il ne demande pas les œuvres.

1079. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XVIII » pp. 198-205

Ceci est une injure contre les précieuses dans l’intention du personnage ; mais elle porte à faux, parce que ce n’est pas le défaut d’une précieuse d’être ingénue.

1080. (1913) Le bovarysme « Troisième partie : Le Bovarysme, loi de l’évolution — Chapitre II. Bovarysme essentiel de l’être et de l’Humanité »

Mais le sentiment même de cette liberté originelle, lorsqu’elle apparaît en quelques individualités héroïques, les condamne à connaître en même temps la minutieuse fatalité qui les contraint à jouer leur rôle individuel, tel qu’ils se rappellent l’avoir eux-mêmes composé naguère, strictement délimité par le rôle précis d’une infinité d’autres personnages et par le contour inflexible des décors.

1081. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre cinquième. La Bible et Homère. — Chapitre III. Parallèle de la Bible et d’Homère. — Termes de comparaison. »

La narration de la Bible est rapide, sans digression, sans discours : elle est semée de sentences, et les personnages y sont nommés sans flatterie.

1082. (1900) Taine et Renan. Pages perdues recueillies et commentées par Victor Giraud « Taine — VII »

Enveloppé d’un par-dessus de fourrure grise, avec ses lunettes, sa barbe grisonnante, il semblait un personnage du vieux temps, un alchimiste hollandais.

/ 1910