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2173. (1902) L’humanisme. Figaro

C’est pourquoi mainte théorie, qui n’était d’abord que poétique, a fini par résumer toute la pensée d’une époque : ainsi pour la Renaissance, ainsi pour le Romantisme. […] Mais, bien qu’ils y revinssent toujours comme en leur citadelle inexpugnable, les parnassiens sortirent souvent de la belle tour close où ils adoraient à l’écart l’idole hiératique : témoin Leconte de Lisle, dont la poésie, si impassible qu’elle veuille être, laisse souvent deviner la pensée généreuse et entendre le cœur palpitant ; témoin Sully Prudhomme, si préoccupé de justice et de bonheur, et qui loua André Chénier d’avoir uni Le laurier du poète à la palme du juste ; et Anatole France, dont les Noces corinthiennes ont pu sembler, vingt ans après avoir été écrites, une pièce d’actualité ; et le tendre et nostalgique Dierx, et Catulle Mendès, dont la fantaisie est si moderne, et Coppée, penché sur les humbles, et Heredia enfin, le somptueux conquistador épris des époques reculées et des rivages lointains, qui un jour, se souvenant qu’il était un homme d’aujourd’hui et appartenait à un « peuple libre », consentit à dresser un beau « trophée » en plein Paris, sur le pont Alexandre.

2174. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre II. Mademoiselle Mars a été toute la comédie de son temps » pp. 93-102

Ni le roman intime (feu le roman intime, faudrait-il dire), ni feu le drame moderne, toujours escortés de quelques héros mystérieux sans explication et sans nom, et tout noir, n’ont jamais préoccupé la curiosité et la sagacité du lecteur, autant que l’a fait ce bel Alceste, créé tout exprès et mis au monde par Molière, quand Molière voulut dire à tous et à chacun, enfin, les plus secrètes pensées de son esprit et de son cœur. […] Le parterre s’était mis à adopter ce Baron comme le dernier confident des pensées du maître, et jusqu’à la fin de sa vie il l’entoura d’attentions et de respects.

2175. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 13, de la saltation ou de l’art du geste, appellé par quelques auteurs la musique hypocritique » pp. 211-233

Ainsi l’on peut croire que les professeurs qui l’enseignoient, suggeroient non-seulement tous les moïens imaginables de se faire entendre à l’aide du geste naturel, mais qu’ils montroient encore comment on pouvoit dire sa pensée en se servant des gestes d’institution pour l’exprimer. […] Ciceron disputoit même quelquefois avec Roscius à qui exprimeroit mieux la même pensée en plusieurs manieres differentes, chacun des contendans se servant des talens dans lesquels il excelloit particulierement.

2176. (1824) Notice sur la vie et les écrits de Chamfort pp. -

Mais Chamfort qui s’indignait à la seule pensée de dépendance, n’éprouva plus que le besoin de briser les liens dont il se croyait garrotté : d’abord il remit son brevet d’appointements ; et bientôt, se trouvant mal à l’aise dans un palais où tout lui parlait de grandeurs, il voulut aller respirer ailleurs l’air de la liberté. […] Maximes et Pensées, tom. 

2177. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XX. Mme Gustave Haller »

Elle fait une classe à part. » Mais cette pauvre phrase qui, après avoir affirmé l’amitié entre homme et femme, la nie et en fait une classe à part ; cette phrase peu honorable pour la netteté d’esprit de La Bruyère, — moraliste du reste plus piquant que profond et dont habituellement l’expression pique plus que la pensée, « ne pouvait engendrer rien de bien lucide, dans la tête, qui l’est très peu, de Mme Haller. […] Seulement, un jour, cette amitié consolatrice et sufficiente est, tout à coup, brisée — et je ne dirai pas de quelle sotte manière ; je vous l’épargnerai. — Alors, le pauvre ami, aussi malheureux que le pauvre amant, meurt d’un désespoir, compliqué, il est vrai, d’un fort anévrisme, et c’est ainsi que Mme Gustave Haller prouve du même coup la puissance de l’amitié chez son héros, et chez elle, la puissance de l’invention et de la pensée !

2178. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XXIV. Mme Claire de Chandeneux »

Réminiscences qui ne comptent pas ou qui comptent trop, Si on les ôtait de sa pensée et de ses œuvres, que resterait-il à Mme de Chandeneux ? […] Elle « formule des compliments ; elle formule des impressions renaissantes ; elle formule dans sa pensée des réquisitoires ».

2179. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Le Sahara algérien et le Grand Désert »

Ce n’est pas uniquement parce que l’habitude de l’action influe sur l’habitude de la pensée, et qu’apprendre à se décider, c’est aussi apprendre à bien voir. […] Elle continuait toujours l’éternelle et grande légende, et démontrait une fois de plus cette prédestination nationale de la pensée française, qu’elle soit bonne ou mauvaise, hélas !

2180. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Les civilisations »

Des naturalistes avaient eu déjà cette pensée ; mais d’historien qui en eût fait un principe absolu, je n’en connais pas. […] Quoique, dans d’autres temps, elle ait été la terre des plus effroyables despotismes, elle devait être un jour la terre des républiques et de la libre pensée, et on l’aime pour cette raison, même dans le passé !

2181. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Le comte du Verger de Saint-Thomas »

Dans la pensée de Richelieu, le cardinal équestre du siège de la Rochelle, dont l’âme était certainement belliqueuse, le duel ne fut guères qu’un prétexte pour casser des épées toujours prêtes à sortir du fourreau contre la royauté. […] Rien de plus médité, d’une raison plus haute, plus politique et en même temps plus chrétienne dans la pensée.

2182. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Les Femmes d’Amérique » pp. 95-110

Mais cette hauteur de raillerie impénétrable et glacée ne tenterait qu’un esprit grandiose, et, il faut bien l’avouer, la vulgarité abaissée de l’expression, le style, enfin, cette voix qui trahit un homme quand il aurait tous les déguisements autour de sa pensée, attestent assez haut que Bellegarrigue est sérieux, qu’il est naïf dans sa dégradante apothéose. […] Nous pourrions multiplier les citations du livre, mais nous pensons que nous en avons dit suffisamment et que le lecteur en a assez, de cette pensée et de ce style.

2183. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Madame de Montmorency » pp. 199-214

Elle se dépouilla des derniers songes, et, quand ce fut fini, cette veuve de saint Paul, à la fidélité immortelle, ne crut pas manquer de foi à son époux, cet époux sanglant du billot de Toulouse qu’elle avait toujours dans la pensée, en choisissant un autre époux, sanglant aussi, le divin Époux de la Croix. […] Mais il a pourtant aussi sa perfection, ce livre de pureté dans le style et dans la pensée, d’attendrissement contenu, de reflets charmants et même d’intelligence chrétienne.

2184. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Les Femmes et la société au temps d’Auguste » pp. 293-307

Ces travaux d’esclave ne sont pas faits pour ces patriciens de la Pensée et de la Forme… L’amour sévère et consciencieux du vrai n’est point une vertu païenne. […] la vérité a toujours tenté la pensée : un jour ou l’autre elle en aura un.

2185. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « La Papesse Jeanne » pp. 325-340

Selon Emmanuel Rhoïdis, la chose à lire de son livre, c’est le roman, et cela n’est vrai ni dans sa pensée ni hors de sa pensée.

2186. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « IV. M. Henri Martin. Histoire de France » pp. 97-110

Mais l’ubiquité de la pensée diabolique est pour les sots autant que pour les gens qui ont le plus d’esprit, et les égalise dans une perversité de génie. […] Martin écrit Jeanne d’Arc, pour la démocratiser, et dont il fait un Jésus-Christ en femme (que Dieu me pardonne de répéter le blasphème d’une telle pensée !)

2187. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. le vicomte de Meaux » pp. 117-133

Cela a été assez pour M. de Meaux, et même cela a ravi sa pensée ! […] Les protestants, qui n’ont pas été écrasés, eux, mais admis au partage de la France, sont, contre l’Église, devenus des protestants d’un bien autre calibre que les premiers. — Ils sont devenus les négateurs impies du xviiie  siècle, ils sont devenus la Libre Pensée, et la Révolution française et toutes les autres révolutions qui l’ont suivie et qui vont suivre : Que de filles, grand Dieu !

2188. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « MM. Jules et Edmond de Goncourt » pp. 201-216

Edmond de Goncourt ne sont pas, pour lui, le ruisseau de Narcisse, et qu’il a l’esprit de se juger et la courageuse volonté de se corriger, la correction devrait aller jusqu’au retranchement absolu d’un système qu’il a tant de peine à s’arracher de la pensée. […] Le portrait qu’il en trace n’est pas du xviiie  siècle… On n’y a jamais peint dans cette manière juste, méprisante, inflexible : « Un singulier homme, ce jeune mari, — dit-il, — ce jeune souverain, que, hors la chasse et les chiens, rien n’intéressait, n’amusait, ne fixait, et que le cardinal — (le cardinal de Fleury) — promenait vainement d’un goût à un autre, de la culture des laitues à la collection d’antiques du maréchal d’Estrées, du travail du tour aux minuties de l’étiquette et du tour à la tapisserie, sans pouvoir attacher son âme à quelque chose, sans pouvoir donner à sa pensée et à son temps un emploi… Imaginez un roi de France, l’héritier de la régence, tout glacé et tout enveloppé des ombres et des soupçons d’un Escurial, un jeune homme, à la fleur de la vie et à l’aube de son règne, ennuyé, las, dégoûté, et, au milieu de toutes les vieillesses de son cœur, traversé des peurs de l’enfer qu’avouait, par échappées, sa parole alarmée et tremblante.

2189. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Émile de Girardin » pp. 45-61

L’homme politique n’a pas cru déroger à sa pensée en écrivant La Fille du millionnaire. […] La Misère, cette sœur de la Douleur, que nous ne voulons pas, nous, chasser du monde, ni dans les intérêts du cœur ni dans les intérêts de la pensée, la Misère étendait sa main de Muse sur le front du pauvre secrétaire de Florence, délaissé des hommes, et y versait les fleurs de flamme de l’inspiration qui console.

2190. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Auguste Vacquerie » pp. 73-89

La plupart des chapitres furent des feuilletons, auxquels on ne prendrait pas garde si l’auteur ne les regardait pas lui-même, comme l’expression définitive de sa pensée, puisqu’il les publie après correction et côte-à-côte avec d’autres chapitres qui sont datés de 1855 et même de 1856. […] Tant que ceci durera, la fonction du poète sera plus qu’une magistrature et presque un sacerdoce. » C’était déjà satisfaisant pour un faiseur de comédies, mais pour Vacquerie, qui n’a guères la modestie de sa fonction, la pensée de Hugo n’avait ni assez de relief ni assez de vérité saisissante.

2191. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Lamennais »

Sous le masque de lave de la plus impétueuse pensée auquel la réflexion ait jamais attaché ses rides et ses ombres, sous la fière moulure du lutteur le plus redoutable qui ait jamais terrassé l’ennemi, ce n’est pas tout que d’avoir trouvé une âme à laquelle nous ne pouvions guères nous attendre. […] Hormis une phrase que nous avons trouvée, il y a quelques années, dans ses Pensées diverses, une phrase charmante sur les sots et dont nous lui avons su un gré infini, nous n’avions rien de Lamennais qui pût faire croire qu’il était spirituel comme de Maistre, par exemple, qui l’est, lui, comme s’il n’était pas Savoyard !

2192. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Madame de Sabran et le chevalier de Boufflers »

La lettre était une forme de la pensée qu’il adorait. […] la forme de la lettre fut comme un joug jeté sur la pensée.

2193. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Agrippa d’Aubigné »

Il l’a écrite pour ses enfants et à la troisième personne, et la prose de ce poète, qui a coulé la sienne dans ce moule à balles du vers, du vers qui concentre si fort la pensée, prouve une fois de plus que c’est avec des poètes qu’on fait les plus grands prosateurs ! […] Corneille et d’Aubigné font des choses différentes, mais ce sont des esprits de même race, qui diffèrent bien plus par la forme, par la langue, par l’heure de la langue qu’ils parlent, que par le fond de la pensée.

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