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1617. (1765) Articles de l’Encyclopédie pp. 11-15754

S’abandonner à ses passions. […] A ces trois différences, que nous venons d’observer dans la prononciation, il faut encore ajoûter la variété du ton pathétique, comme dans l’interrogation, l’admiration, l’ironie, la colere & les autres passions c’est ce que M. l’Abbé d’Olivet appelle l’accent oratoire. […] Il y a autant de sortes d’interjections, qu’il y a de passions différentes. […] On peut seulement observer qu’il y a des noms, des verbes, & des adverbes, qui étant prononcés dans certains mouvemens de passions ont la force de l’interjection, courage, allons, bon-Dieu, voyez, marche, tout beau, paix, &c. c’est le ton plûtôt que le mot qui fait alors l’interjection. […] Si nous passions aux auteurs de la basse latinité, nous trouverions encore un plus grand nombre d’exemples : de coelis Deus, Dieu des cieux ; pannus de lanâ, un drap, une étoffe de laine.

1618. (1774) Correspondance générale

L’Amour eût marqué dans un pareil monument, comme dans le vôtre, que ce héros, de même que votre Maréchal, avait eu la passion des femmes, et que cette passion lui avait ôté la vie au milieu de ses triomphes. […] C’est alors que les passions se développent, et qu’on sent le besoin d’une compagne. […] Il n’y a point de malhonnêteté à exposer un galant homme à toutes les suites d’une passion malheureuse ? […] Rien ne l’attache à son pays, ni passions, ni intérêts. […] Son amour pour Mme d’Houdetot ; cette passion date du printemps 1757.

1619. (1842) Discours sur l’esprit positif

Les plus éminents penseurs peuvent alors constater leur propre disposition naturelle au plus naïf fétichisme, quand cette ignorance se trouve momentanément combinée avec quelque passion prononcée. […] La réorganisation totale, qui peut seule terminer la grande crise moderne, consiste, en effet, sous l’aspect mental qui doit d’abord prévaloir, à constituer une théorie sociologique propre à expliquer convenablement l’ensemble du passé humain : tel est le mode le plus rationnel de poser la question essentielle, afin d’y mieux écarter toute passion perturbatrice. […] La nouvelle philosophie peut seule » établir aujourd’hui, au sujet de nos divers devoirs, des convictions profondes et actives, vraiment susceptibles de soutenir avec énergie le choc des passions. […] Or, tel est l’important avantage que l’absence d’éducation scolastique procure aujourd’hui à nos prolétaires, et qui les rend, au fond, moins accessibles que la plupart des lettrés aux divers sophismes perturbateurs, conformément à l’expérience journalière, malgré une excitation continue, systématiquement dirigée vers les passions relatives à leur condition sociale. […] Les préjugés et les passions propres aux classes supérieures ou moyennes, s’opposent conjointement à ce qu’elle y soit d’abord suffisamment sentie, parce qu’on y doit être ordinairement plus touché des avantages inhérents à la possession du pouvoir que des dangers résultés de son vicieux exercice.

1620. (1861) La Fontaine et ses fables « Deuxième partie — Chapitre I. Les personnages »

« Un homme qui sait la cour est maître de son geste, de ses yeux, de son visage, il est profond, impénétrable ; il dissimule les mauvais offices, sourit à ses ennemis, contraint son humeur, déguise ses passions, dément son coeur, parle et agit contre ses sentiments. »48 Sans ce talent, comment se soutiendrait-il ? […] Car il est exclu de toutes les idées et de toutes les passions qui sont grandes, en France du moins où il a fleuri mieux qu’ailleurs. […] Notre tête était pleine de formes, de couleurs, d’accents, de mouvements ; le spectacle des passions vivantes éveillait en nous des passions vivantes. […] Il veut toucher les deux ou trois passions éternelles qui mènent l’homme, les quelques facultés maîtresses qui composent la race, les quelques circonstances générales qui façonnent la société et le siècle.

1621. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre I. Les origines. — Chapitre I. Les Saxons. » pp. 3-71

La passion mugit ici comme une énorme bête informe, et puis c’est tout ; elle surgit et sursaute en petits vers abrupts ; point de barbares plus barbares. […] La société, en se formant, amenait avec soi l’idée de la paix et le besoin de la justice, et les dieux guerriers languissaient dans l’imagination des hommes, en même temps que les passions qui les avaient faits. […] Nul développement ; ils sont incapables de contenir ou d’expliquer leur passion ; elle éclate ; ce ne sont que transports à l’aspect du Dieu tout-puissant. […] Quand Clovis eut écouté la Passion, il s’écria : « Que n’étais-je là avec mes Francs !  […] Cette année Londres fut brûlée, la nuit d’avant l’Assomption de sainte Marie, si terriblement qu’elle ne l’avait jamais été autant depuis qu’elle fut bâtie. » Ainsi parlent avec une sécheresse monotone les pauvres moines qui, après Alfred, compilent et notent les gros événements visibles ; de loin en loin, quelques réflexions pieuses, un mouvement de passion, rien de plus.

1622. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre I. Les origines. — Chapitre III. La nouvelle langue. » pp. 165-234

La féodalité turbulente s’était énervée comme la théocratie oppressive, et les deux grandes passions maîtresses, privées de leur séve et retranchées de leur tige, s’alanguissaient jusqu’à laisser la monotonie de l’habitude et le goût du monde germer à leur place et fleurir sous leur nom. […] À travers ces dévergondages d’esprit, parmi ces exigences raffinées et cette exaltation inassouvie de l’imagination et des sens, il y avait une passion, l’amour, qui, les réunissant toutes, s’était développée à l’extrême, et montrait en abrégé le charme maladif, l’exagération foncière et fatale, qui sont les traits propres de cet âge, et que la civilisation espagnole reproduisit plus tard en florissant et en périssant. […] L’amour ne peut rien refuser à l’amour186. » Cette recherche de la sensation excessive avait abouti aux extases et aux transports de Guido Cavalcanti et de Dante, et l’on avait vu s’établir en Languedoc une compagnie d’enthousiastes, les pénitents de l’amour, qui, pour prouver la violence de leur passion, s’habillaient l’été de fourrures et de lourdes étoffes, l’hiver de gaze légère, et se promenaient ainsi dans la campagne, tellement que plusieurs d’entre eux en devinrent malades et moururent. […] La pente du caractère français fait de l’amour, non une passion, mais un joli festin, arrangé avec goût, où le service est élégant, la chère fine, l’argenterie brillante, les deux convives parés, dispos, ingénieux à se prévenir, à se plaire, à s’égayer et s’en aller. […] Même dans ses contes de Cantorbéry, il se répète, il se traîne en développements naïfs, il oublie de concentrer sa passion ou son idée.

1623. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1866 » pp. 3-95

* * * — La beauté du visage ancien était la beauté de ses lignes ; la beauté du visage moderne est la physionomie de sa passion. […] * * * — Quand la nature veut faire la volonté chez un homme, elle lui donne le tempérament de la volonté : elle le fait bilieux, elle l’arme de la dent, de l’estomac, de l’appareil dévorant de la nutrition, qui ne laisse pas chômer un instant l’activité de la machine ; et sur cette prédominance du système nutritif, elle bâtit au dedans de cet homme un positivisme inébranlable aux secousses d’imagination du nerveux, aux chocs de la passion du sanguin. […] 30 août La passion des choses ne vient pas de la bonté ou de la beauté pure de ces choses, elle vient surtout de leur corruption. […] C’est le Hollandais Gika, le marchand de perles, et ce sont des colliers, des unions, des fils aux éclairs argentés, des perles grosses comme des noisettes, deux boutons de 14 000, une perle de 21 000 francs, tout un doux et laiteux ruissellement qu’il remue sous les yeux de la princesse, dont les perles sont la passion, et qui succombe et finit par se donner une perle de 8 000 francs. […] Quel est le fait de la Révolution que le patriotisme, la passion des partis, le journalisme, n’ont pas rendu légendaire ?

1624. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface de « Cromwell » (1827) »

Dans ce partage de l’humanité et de la création, c’est à lui que reviendront les passions, les vices, les crimes ; c’est lui qui sera luxurieux, rampant, gourmand, avare, perfide, brouillon, hypocrite ; c’est lui qui sera tour à tour Iago, Tartufe, Basile ; Polonius, Harpagon, Bartholo ; Falstaff, Scapin, Figaro. […] Du jour où le christianisme a dit à l’homme : « Tu es double, tu es composé de deux êtres, l’un périssable, l’autre immortel, l’un charnel, l’autre éthéré, l’un enchaîné par les appétits, les besoins et les passions, l’autre emporté sur les ailes de l’enthousiasme et de la rêverie, celui-ci enfin toujours courbé vers la terre, sa mère, celui-là sans cesse élancé vers le ciel, sa patrie » ; de ce jour le drame a été créé. […] Certes, si l’on veut autre chose que ces tragédies dans lesquelles un ou deux personnages, types abstraits d’une idée purement métaphysique, se promènent solennellement sur un fond sans profondeur, à peine occupé par quelques têtes de confidents, pâles contre-calques des héros, chargés de remplir les vides d’une action simple, uniforme et monocorde ; si l’on s’ennuie de cela, ce n’est pas trop d’une soirée entière pour dérouler un peu largement tout un homme d’élite, toute une époque de crise ; l’un avec son caractère, son génie qui s’accouple à son caractère, ses croyances qui les dominent tous deux, ses passions qui viennent déranger ses croyances, son caractère et son génie, ses goûts qui déteignent sur ses passions, ses habitudes qui disciplinent ses goûts, musclent ses passions, et ce cortège innombrable d’hommes de tout échantillon que ces divers agents font tourbillonner autour de lui ; l’autre, avec ses mœurs, ses lois, ses modes, son esprit, ses lumières, ses superstitions, ses événements, et son peuple que toutes ces causes premières pétrissent tour à tour comme une cire molle.

1625. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIIe entretien. Sur le caractère et les œuvres de Béranger » pp. 253-364

Il faut dire aussi, à la gloire du poète des révolutions, que son talent, d’abord badin et moqueur, grandit avec les circonstances, et qu’après avoir joué avec l’opinion il finit par frémir avec elle ; la passion publique le trouva à la hauteur de ses colères. […] Enfin il concevait un amour sévère, intelligent, mais efficace et ardent, du peuple : c’était la passion innée de ce bon et grand citoyen ; c’était l’âme cachée de son opposition à tous les régimes qui ne réalisaient pas sa pensée ; c’était le feu sacré de ses poésies comme de sa vie ; c’était sa philosophie politique ; c’était tout son républicanisme. […] On a enseveli avec lui les passions de sa jeunesse, mais on n’a pas enseveli sa vertu publique : elle percera les pierres de son tombeau, et elle refleurira tant qu’il y aura une âme du peuple en France pour la recueillir ! […] Il ne faut chanter au peuple que des vérités utiles ou des passions pratiques, telles que la patrie, la liberté, la charité fraternelle entre les classes et entre les citoyens. […] XXX Dans ces dernières années il s’était tellement rapproché de moi que nous passions rarement deux jours sans nous voir ; c’était tantôt chez moi, au milieu du jour, lorsque les affaires, les travaux ou les tristesses me retenaient forcément dans ma chambre d’angoisse ; tantôt chez lui, à l’heure où le tumulte des rues de Paris rend plus intime et plus recueilli l’entretien deux à deux au coin du feu d’un solitaire ; tantôt dans les allées désertes alors du bois de Boulogne, où les paroles tombaient çà et là et à demi-voix de sa bouche comme les feuilles jaunies sous le vent d’automne.

1626. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Vernet » pp. 130-167

Là, nous allons contrefaire un moment le rôle du sauvage, esclaves des usages, des passions, jouer la pantomime de l’homme de nature. […] — Oui, l’abbé, le génie, et puis le bon choix des sujets, l’homme de nature opposé à l’homme civilisé, l’homme sous l’empire du despotisme, l’homme accablé sous le joug de la tyrannie, des pères, des mères, des époux, les liens les plus sacrés, les plus doux, les plus violens, les plus généraux, les maux de la société, la loi inévitable de la fatalité, les suites des grandes passions. […] Le peuple baloté par ses passions et par ses erreurs, n’aura point de mœurs, car il n’y a de mœurs que là où les lois, bonnes ou mauvaises, sont sacrées ; car c’est là seulement que la conduite générale est uniforme. […] — C’est que la société leur a fait un goût et des beautés factices. — Il me semble que la logique de la raison a fait bien d’autres progrès que la logique du goût. — Aussi celle-ci est-elle si fine, si subtile, si délicate, suppose une connaissance si profonde de l’esprit et du cœur humain, de ses passions, de ses préjugés, de ses erreurs, de ses goûts, de ses terreurs, que peu sont en état de l’entendre, bien moins encore en état de la trouver. […] Ce sont ces idées accessoires nécessairement liées à la nuit et aux ténèbres qui empêchent de porter la terreur dans le cœur d’une jeune fille qui s’achemine vers le bosquet obscur où elle est attendue ; son cœur palpite, elle s’arrête, la frayeur se joint au trouble de sa passion, elle succombe, ses genoux se dérobent sous elle ; elle est trop heureuse de rencontrer les bras de son amant, pour la recevoir et la soutenir, et ses premiers mots sont : est-ce vous ?

1627. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « L’abbé Fléchier » pp. 383-416

Les passions ne le transportaient pas ; un feu pur et doux l'animait. […] M. de Caumartin nous représente, dans ces Grands Jourss de Clermont, l’homme éclairé, un magistrat de cour, probe, poli, non pédant, sans passion ni prévention, humain et toujours prêt à graduer la justice, à l’adoucir sans l’énerver. […] Nous retrouvons là très visibles et dans leur lustre des qualités et des avantages que Fléchier contribua certainement à développer et qu’il possédait lui-même avec modestie. — C’est dans les conversations de ce M. de Caumartin devenu vieux, et pendant un voyage qu’il fit chez lui au château de Saint-Ange, que Voltaire jeune se prit d’un goût vif pour Henri IV et pour Sully, dont le vieillard ne parlait qu’avec passion ; il en rapporta l’idée et même des parties commencées de sa Henriade.

1628. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. DE VIGNY (Servitude et Grandeur militaires.) » pp. 52-90

de ces observations fines et âcres, et d’un reste immortel de fraîcheur naïve et de passion adorable, naquit Stello. […] Mais ce qui est beau sans mélange, c’est la prison, le réfectoire, c’est cette galanterie refleurissant à Saint-Lazare, comme une île de verdure sur un marais croupissant ; c’est le noble André, brusque et tendre, Mlle de Coigny et sa coquetterie boudeuse, Mme de Saint-Aignan et sa passion décente, ensevelie, et la destinée mélancolique du portrait. […] Chatterton est un ouvrage émouvant, mais pointilleux, vaniteux, douloureux ; de la souffrance au lieu de passion ; cela sent des pieds jusqu’à la tête le rhumatisme littéraire… » J’ai aussi entendu nommer très-spirituellement cette maladie d’espèce nouvelle dont sont atteints de jeunes talents, la chlorose littéraire.

1629. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « MME DESBORDES-VALMORE. » pp. 124-157

De là, dans les premiers chants surtout, qui lui sont échappés avant aucune lecture, quelque chose de particulier et d’imprévu, d’une simplicité un peu étrange, élégamment naïve, d’une passion ardente et ingénue, et quelques-uns de ces accents inimitables qui vivent et qui s’attachent pour toujours, dans les mémoires aimantes, à l’expression de certains sentiments, de certaines douleurs. […] Mme Valmore, en avançant, aura, par accès peut-être, des cris plus déchirants, des éclairs plus perçants et plus aigus, comme aux approches de l’ombre ; mais ici ce sont de doux éclairs du matin, de jolis rayons d’avril, les lilas aimés, le réséda dans sa senteur, et déjà s’exhalent pourtant, à travers des gémissements tout mélodieux ces beaux élans de passion désolée oui la mettent tant au-dessus et à part des autres femmes, de celles même qui ont osé chanter le mystère. […] » Elle a une modique pension qu’elle touchait d’abord avec une sorte de pudeur ; elle s’en confesse et s’en humilie : « (26 octobre 1847)… Il y a deux jours enfin, j’ai reçu le trimestre qui me semblait autrefois si pénible à recevoir, par des fiertés longtemps invincibles, et que j’ai vu arriver depuis d’autres temps comme si le Ciel s’ouvrait sur notre infortune… « Ne nous laissons pas abattre pourtant, il faut moins pour se résigner à l’indigence quand on sent avec passion la vue du soleil, des arbres, de la douce lumière, et la croyance profonde de revoir les aimés que l’on pleure… « En ce moment, je n’obtiendrais pas vingt francs d’un volume : la musique, la politique, le commerce, l’effroyable misère et l’effroyable luxe absorbent tout… « Mon bon mari te demande de prier pour lui au nom des pontons d’Écosse.

1630. (1875) Premiers lundis. Tome III « Les poètes français »

Mais si l’on se reporte au fond de la situation, que de pathétique, que de passions et d’émotions naturelles en présence, dans ce déchirant spectacle ! […] On le voit en rassembler avec passion etmanie les richesses et déjà les reliques, si bien qu’on pourrait le définir avec exactitude le premier en date des antiquaires. […] Poète d’esprit plutôt que de génie et de grand talent, mais tout plein de grâce et de gentillesse, qui n’a point la passion, mais qui n’est pas dénué de sensibilité, il a des manières à lui de conter et de dire, il a le tour ; c’est déjà l’homme aimable, l’honnête homme obligé de plaire et d’amuser, et qui s’en acquitte d’un air dégagé, tout à fait galamment.

1631. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Introduction. » pp. -

Quand on a établi la filiation des dogmes, ou la classification des poëmes, ou le progrès des constitutions, ou la transformation des idiomes, on n’a fait que déblayer le terrain ; la véritable histoire s’élève seulement quand l’historien commence à démêler, à travers la distance des temps, l’homme vivant, agissant, doué de passions, muni d’habitudes, avec sa voix et sa physionomie, avec ses gestes et ses habits, distinct et complet comme celui que tout à l’heure nous avons quitté dans la rue. […] Si maintenant la conception générale à laquelle la représentation aboutit est poétique, mais non ménagée, si l’homme y atteint, non par une gradation continue, mais par une intuition brusque, si l’opération originelle n’est pas le développement régulier, mais l’explosion violente, alors, comme chez les races sémitiques, la métaphysique manque, la religion ne conçoit que le Dieu roi, dévorateur et solitaire, la science ne peut se former, l’esprit se trouve trop roide et trop entier pour reproduire l’ordonnance délicate de la nature, la poésie ne sait enfanter qu’une suite d’exclamations véhémentes et grandioses, la langue ne peut exprimer l’enchevêtrement du raisonnement et de l’éloquence, l’homme se réduit à l’enthousiasme lyrique, à la passion irréfrénable, à l’action fanatique et bornée. […] Tout le système des passions humaines, toutes les chances de la paix et de la sécurité publiques, toutes les sources du travail et de l’action dérivent de là.

1632. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXIIIe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (4e partie) » pp. 1-63

Le cœur manque à ce buste de femme politique, comme il manque à presque toutes les femmes qui affectent une passion métaphysique et populaire faute d’une passion individuelle et tendre qui nourrisse leur âme au lieu de nourrir leur vanité. […] Plus les crimes politiques s’éloignent des passions qui les font commettre, plus ils baissent et pâlissent devant la postérité.

1633. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLVe entretien. Vie de Michel-Ange (Buonarroti) »

C’est le moment de sa vie où le dégoût de l’esprit de parti et l’horreur des compétitions de pouvoir entre les Médicis et leurs rivaux le rejetèrent de plus en plus dans la pure passion de la liberté républicaine. Cette généreuse passion devait le tromper comme les autres. […] Mais un platonique et mystérieux amour, plus semblable à un culte qu’à une passion, lui laissait depuis longtemps un pan de ciel encore ouvert à travers les nuages de sa vie.

1634. (1895) Histoire de la littérature française « Seconde partie. Du moyen âge à la Renaissance — Livre I. Décomposition du Moyen âge — Chapitre II. Le quinzième siècle (1420-1515) »

Commynes eut de l’ordre, de l’économie, de l’application à ses affaires : il faisait des aumônes régulières ; sans passion, sans vice, il n’eut dans la vie privée que le souci de sa fortune : il travailla à l’augmenter par toutes voies légales. […] Ce fut une joie pour lui de servir un homme avec qui la politique était une science, avec qui nulle intervention de sentimentalité, d’honneur, de passion même mauvaise, toutes choses gênantes pour un bon joueur, ne venait brouiller l’échiquier avant les beaux coups longuement médités. […] Il y a des intérêts généraux et des sentiments publics, des intérêts privés et des passions personnelles : voilà les réalités qu’il aimait et sur lesquelles il opère.

1635. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « M. Paul Verlaine et les poètes « symbolistes » & « décadents ». »

Et l’orgue exprime la monotonie, le doute et la simplesse (sic) ; la harpe, la sérénité ; le violon, la passion et la prière ; la trompette, la gloire et l’ovation ; la flûte, l’ingénuité et le sourire. […] Et ce sonnet est joli, et j’en aime les deux tercets : Mais dans ton cher cœur d’or, me dis-tu, mon enfant, La fauve passion va sonnant l’oliphant. […] Or, me reportant à ce mystérieux traité, j’y vois que les sons o et on correspondent aux « cuivres glorieux », et non pas aux violons ; que ceux-ci sont représentés par les voyelles e, é, è et par les consonnes s et z et qu’ils traduisent non pas la tristesse, mais la passion et la prière.., A qui donc entendre ?)

1636. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « De l’influence récente des littératures du nord »

C’est au bagne, où il était pour un crime de passion, que, forcément seul avec lui-même, il a connu la vérité. « Le secret de la destinée humaine, sans cet enfer, je ne l’aurais jamais goûté… Cette surabondance d’énergie, qui s’allait cramponnant aux dangers et aux fatigues vulgaires de la vie sociale, s’assouvit enfin quand elle fut aux prises avec les angoisses de la vie expiatoire… » Et enfin, la nouvelle religion, le christianisme naturel, celui qu’Ibsen prophétise sans l’expliquer clairement nulle part, ce qu’il appelle le « troisième état humain », qui sera fondé « sur la connaissance et sur la croix » (le second étant fondé seulement sur la croix et le premier seulement sur la connaissance), ai-je besoin de vous avertir que vous en rencontrerez du moins, dans George Sand et ses contemporains, de vastes et vagues esquisses ? […] Mais ce nihilisme n’est jamais accepté sans révolte ; cette âme n’est jamais impénitente ; on l’entend gémir et chercher : elle se reprend finalement et se sauve par la charité ; charité plus ou moins active chez Tourguenief et Tolstoï, affinée chez Dostoïewsky jusqu’à devenir une passion douloureuse. » 2º « Avec la sympathie, le trait distinctif de ces réalistes est l’intelligence des dessous, de l’entour de la vie. […] le romantisme, ce n’est pas, seulement le décor moyen-âgeux ni, au théâtre, la suppression des trois unités ou le mélange du tragique et du comique : c’est le sentiment de la nature, c’est la reconnaissance des droits de la passion, c’est l’esprit de révolte, c’est l’exaltation de l’individu : toutes choses dont les germes, et plus que les germes, étaient dans la Nouvelle Héloïse, dans les Confessions et dans les Lettres de la Montagne… Dans cette circulation des idées, on sait de moins en moins à qui elles appartiennent.

1637. (1830) Cours de philosophie positive : première et deuxième leçons « Première leçon »

On conçoit, relativement aux phénomènes moraux, que l’homme puisse s’observer lui-même sous le rapport des passions qui l’animent, par cette raison anatomique, que les organes qui en sont le siège sont distincts de ceux destinés aux fonctions observatrices. Encore même que chacun ait eu occasion de faire sur lui de telles remarques, elles ne sauraient évidemment avoir jamais une grande importance scientifique, et le meilleur moyen de connaître les passions sera-t-il toujours de les observer en dehors ; car tout état de passion très prononcé, c’est-à-dire précisément celui qu’il serait le plus essentiel d’examiner, est nécessairement incompatible avec l’état d’observation.

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