Nous risquons d’être injustes et de cette façon-même que prévoyait l’illustre écrivain : peut-être taxons-nous de faiblesse ce qui ne fut que prudence ; mais il ne faut pas s’exagérer l’importance d’une injustice en matière littéraire, c’est le procédé de tous les petits-fils vis-à-vis de leurs grands-parents.
Si cela est vrai, comme nous le disons, des hautes époques et des Siècles de Louis XIV, cela ne l’est pas moins des époques plus difficiles où la grande gloire est plus rare, et qui ont surtout à se défendre contre les comparaisons onéreuses du passé et le flot grossissant de l’avenir par la réunion des nobles efforts, par la masse, le redoublement des connaissances étendues et choisies, et, dans la diminution inévitable de ce qu’on peut appeler proprement génies créateurs, par le nombre des talents distingués, ingénieux, intelligents, instruits et nourris en toute matière d’art, d’étude et de pensée, séduisants à lire, éloquents à entendre, conservateurs avec goût, novateurs avec décence. […] Non, dans les arts, dans la poésie, non plus qu’en diverses matières humaines, le succès n’est pas la bonne mesure, et l’applaudissement soudain, décerné à bon droit à quelques-uns, ne prouve pas contre la lutte ou l’isolement prolongé de quelques autres. […] Ce discours devra donc fournir matière à plus d’une discussion approfondie dont nous ne nous sentons pas ici le goût ni la force.
Le centre de l’œuvre est un abîme, l’abîme de la matière. […] La matière sourit bienveillante à sa jeunesse et à sa force. […] Le poète, par exemple, dit de son âme élancée vers la matière : Ce fut la nef que nul récif ne désempare, Et dont on adorna la coque de métal.
. — Rien n’est plus vrai, et le savant ne doit jamais oublier qu’il a affaire, dans le cerveau, à de la matière vivante, non à une substance inorganique ; mais ce n’en est pas moins là une vérité toute relative à notre ignorance. […] La matière organique est à la fois sentante et agissante, à la différence des pures machines. […] Les physiologistes croient se dispenser d’admettre l’élément psychologique en attribuant comme propriété à la matière vivante l’irritabilité, mais cette irritabilité dont ils parlent tant est un mot vague qui désigne deux choses différentes, quoique inséparables : d’une part, la sensibilité intérieure, d’autre part, le mouvement extérieur.
La bonté de Dieu a été limitée par l’infirmité de la matière. […] C’est sur leur modèle qu’il a, de la matière lourde et informe, tiré tout ce qu’il a créé et qui compose l’univers. […] Elle doit déjà être très pénétrée, en son fond, de moralité, parce que c’est un art qui prend des hommes pour sa matière. […] C’est votre façon d’être matière d’art. […] Il y a un Sénat qui « dans les matières importantes contrebalance encore le pouvoir des rois ».
Le mot fameux de saint Antoine : « Être la matière ! […] S’il ne vise pas à dominer sa matière, c’est qu’il n’en a pas besoin, puisqu’il y mêle consubstantiellement sa pensée. […] Paul Sabatier et Henry Thode, très érudit lui aussi, et qui renouvelle la matière par une charmante fraîcheur d’impressions. […] Pas plus de surprises amusantes dans le rythme que dans la matière. […] Blancheurs rayonnantes et pétries de clarté, les chairs surnaturelles palpitaient d’une vie auguste, comme libérées de la matière — devenues des formes pures.
C’est la matière de votre œuvre qui a changé. La matière domine l’ouvrier en ce sens qu’elle le limite. […] Sans croire la matière éternelle, ils la croient bien ancienne et ayant accompli bien des révolutions. […] Vous en cherchez la matière bien loin. […] Il n’a que la triste matière, sèche et terne, dont les Chateaubriand font des poèmes.
Il a dicté aux pères comme aux mères leur devoir : il leur a proposé l’éducation des êtres qui leur devaient la vie et en qui reposait la destinée de l’humanité future comme une matière de graves soucis et de constante attention. […] Cependant, dans l’ensemble, son éloquence est sincère et chaude ; son style est d’une matière solide et d’un beau timbre. […] Ce grand orateur, au lieu de chercher dans la raison universelle les matières de son raisonnement, les extrait de son moi le plus intime et le plus singulier : il transpose en arguments, en systèmes toutes les passions, toutes les vibrations de son cœur. […] Tant que l’homme seul était la matière du livre, on le prenait par le dedans : maintenant la nature partage avec lui l’attention de l’écrivain, et il s’ensuit que, le prenant avec la nature, on le prend dans la nature, c’est-à-dire par le dehors.
Mais la somme des dénudations que les strates ont subies en beaucoup d’endroits, indépendamment de la vitesse d’accumulation des matières transportées, offre peut-être les preuves les plus sûres de la longueur des temps écoulés. […] La présence de nodules de phosphate et de matières bitumineuses en quelques-unes des roches dites azoïques inférieures, semble indiquer qu’à cette époque existaient des êtres vivants. […] Néanmoins elle a dû s’effectuer lorsque les eaux formaient encore autour du globe une enveloppe d’une profondeur partout à peu près égale, parsemée d’îles rares, mais sans doute vastes et plates, dont les rivages ont fourni la matière des sédiments dont se sont revêtus peu à peu les schistes et les autres roches métamorphiques. […] Mais avant l’émersion de ces mêmes terres, toutes les conditions d’une formation puissante et riche en fossiles manquaient à la fois ; et les dépôts, formés à cette époque, ne pouvant provenir que des matières que la couche océanique tenait en suspension, devaient être partout égaux en puissance et se former partout à la fois sur le fond uni des mers, y laissant tout au plus la trace des stratifications feuilletées que nous retrouvons dans les schistes.
Relégué par l’indifférence sur ces hautes matières dans les grandes études théologiques de son état, le prêtre ne peut guère en sortir. […] Il est bon de le dire à un siècle qui, de toutes les qualités de l’esprit, ne fait plus cas que de l’étendue, et qui, hébété de philosophie comme les Chinois le sont d’opium, a traité Audin et ses livres comme il traite les matières religieuses, avec l’indifférence distraite de sa propre superficialité ! […] Il se proposait de commencer par les réformateurs d’une époque où la révolte naissait de la révolte, et réalisait, dans la sphère morale, la divisibilité impossible de la matière à l’infini. […] C’est un savant relevé d’un artiste, qui, pour la première fois peut-être, a fait entrer un agrément prodigieux dans les matières les plus hautes sans les abaisser jamais et sans nuire à leur solidité.
Y a-t-il dans le texte, en effet, ces mots qui se rapportent à l’exposé de la doctrine des stoïciens : « Dieu, la Matière, la Fatalité ne font qu’Un », Chateaubriand écrit en marge : « Voilà mon système, voilà ce que je crois. […] C’est à la page 516 de la première édition de l’Essai (Londres, 1797) qu’en regard de ces mots du texte imprimé : « Dieu, la Matière, la Fatalité, ne font qu’Un », Chateaubriand écrit en marge : Voilà mon système, voilà ce que je crois.
Bossuet n’est pas de ces talents ingénieux qui ont l’art de traiter excellemment des sujets médiocres et d’y introduire des ressources étrangères ; mais que le sujet qui s’offre à lui soit vaste, relevé, majestueux, le voilà à son aise, et plus la matière est haute, plus il va se sentir à son niveau et dans sa région. […] L’arbitre gallican, en ces matières périlleuses, est trouvé.
Sa manière, qui se rapporte bien à celle des traducteurs de son siècle, qui ont Perrot d’Ablancourt pour chef, est large, facile, coulante, naturelle : « Il n’y a rien de gêné, disait Boileau d’une des traductions de Maucroix ; tout y paraît libre et original. » Maucroix aimait cette habitude et ce train de traduire, même lorsqu’il l’appliquait à des matières assez ingrates : Pour écrire, disait-il, il me faudrait un grand fonds de science et peu de paresse. […] Mon auteur est savant pour moi : les matières sont toutes digérées ; l’invention et la disposition ne me regardent pas : je n’ai qu’à m’énoncer.
Si j’osais traduire toute mon idée en des matières qui ne sont pas miennes, je dirais que le médecin Chanet défend le sens général et le sens commun en philosophie, l’opinion des demi-savants et du peuple, par des raisons qui, légèrement rajeunies un siècle plus tard, seront assez celles de l’école écossaise. […] Montaigne, de mieux en mieux lu et compris, et qui est autant un poète qu’un philosophe, a dispensé de Charron qui, à bien des égards, n’a fait autre chose que donner une édition didactique des Essais, une table bien raisonnée des matières, et qui n’avait point ce qui fait vivre.
Il est en quête de sujets, et ne trouve pas en lui matière à vaste conception ; il médite sa Franciade qu’il combine assez froidement et pour laquelle il attend des encouragements et récompenses, faute de quoi il ne l’achèvera jamais. […] En tout il est plus grec et français que latin. — Je laisse de côté bien d’autres aménités dont on le gratifia dans cette querelle de littérature et de théologie mêlées ; il y eut de ces fines injures qui allaient jusqu’à la moelle, et dont le xvie siècle, sur la matière que Fracastor a célébrée, n’était jamais avare.
Pendant qu’une commission instituée par décret de l’empereur, sur le rapport du ministre d’État, et composée des hommes les plus autorisés et les plus compétents, travaille sans relâche et avec le sentiment de sa haute mission à recueillir non seulement les lettres, mais les ordres, les annotations, les décisions et pensées de toutes sortes de l’empereur Napoléon Ier, tout ce qui s’offre avec sa marque visible, avec son cachet personnel immédiat, et non seulement les documents relatifs à des matières de gouvernement et aux actes du souverain, mais aussi les écrits qui peuvent éclairer le caractère intime de l’homme ; pendant qu’on met à contribution les dépôts publics et les collections particulières de quelques familles considérables ; qu’à l’heure qu’il est près de vingt mille documents sont rassemblés, et que, la question de classement une fois résolue, on espère, dans un an ou quinze mois, être en mesure de livrer les premières feuilles à l’impression ; pendant ce temps-là, la publication des Œuvres de Frédéric le Grand, commencée depuis plusieurs années par ordre du gouvernement prussien sous la direction de M. […] Vous auriez besoin d’en faire beaucoup dans votre conduite ; mais je compte m’expliquer une autre fois sur cette matière.
Il n’est pas un point de l’histoire de Mme des Ursins, et pouvant de près ou de loin s’y rapporter, qui n’ait été l’objet, de sa part, d’un examen approfondi, et qui ne lui ait fourni la matière d’un chapitre ou plutôt d’une sorte de mémoire raisonné et de dissertation. […] M. l’ambassadeur d’Espagne vint me voir deux jours après : nous traitâmes à fond cette matière.
Je ne suis pas de ceux qui, par une estime exagérée, mettent les pièces et les matériaux au-dessus de l’œuvre définitive ; mais comme les monuments historiques vraiment dignes de ce nom sont rares, comme ils se font longtemps attendre, et comme d’ailleurs ils ne sont possibles et durables qu’à la condition de combiner et de fondre dans leur ciment toutes les matières premières, de longue main produites et préparées, il n’est pas mauvais que celles-ci se produisent auparavant et soient mises en pleine lumière ; ceux qui aiment à réfléchir peuvent, en les parcourant, s’y tailler çà et là des chapitres d’histoire provisoire à leur usage ; ce ne sont pas les moins instructifs et les moins vrais. […] Et ce qu’il a eu encore de plus admirable et comme particulier en lui, c’est d’avoir approché les rois sans médiateur, d’avoir amassé des richesses sans avarice, d’être parvenu aux grandes charges sans ambition, d’avoir bâti une bonne maison avec peu de matière, d’avoir eu beaucoup de prospérité sans orgueil, d’avoir, aimant la douceur et la tranquillité, vécu trente-cinq ans de suite dans la Cour, fait sa retraite vingt ans avant de mourir, sans aucune disgrâce précédente, d’avoir vécu soixante et seize ans d’une santé très parfaite, rarement troublée de maladies, d’avoir joui en repos des biens qu’il avait amassés, d’avoir reçu de l’honneur aux charges qu’il a exercées, d’avoir fait grande quantité d’amis et point d’ennemis, d’avoir habité les maisons qu’il avait bâties, s’être promené à l’ombre des bois qu’il avait plantés, d’avoir reçu de ses enfants le contentement qu’il en pouvait espérer.
Les érudits en ces matières l’avaient signalé depuis quelques années comme particulier et peut-être unique en son genre : il offre, en effet, le premier exemple d’un genre de drame historique national, trop peu cultivé de tout temps, quoique si indiqué, dont les rares productions se comptent, et qui n’a eu son retour tardif qu’au xviiie siècle dans le Siège de Calais de du Belloy, et dans les Templiers de Raynouard, sous le premier Empire. […] L’Église, en autorisant ces variantes et ce luxe de la liturgie, recommençait, ai-je dit, le théâtre : il est donc tout naturel que de savants religieux de notre temps, tels que le Père Cahour et aussi l’un des Bénédictins de Solesmes, Dom Piolin, se soient occupés presque en critiques littéraires, et avec prédilection, de cette branche dramatique sacrée : quand tout se passe et se joue devant l’autel et que rien ne dépasse le jubé, les La Harpe, les Duviquet peuvent être très convenablement des clercs et des religieux ayant stalle au chœur. — Un autre écrivain très-versé en ces matières du moyen âge, et qui a même porté dans ses travaux sur les chants d’Église une sagacité originale et une investigation de première main, M.
C’est fâcheux, car ce serait le meilleur exemple à nous offrir de ces sortes de compositions dramatiques, si tant est que les érudits en telle matière ne se trompent pas en nous le déclarant le plus parfait en son genre. […] C’est encore, pour tout dire, comme si l’on comparait tel ou tel lambeau ou segment de ces vieilles tapisseries ou toiles peintes retrouvées à Reims avec un chef-d’œuvre de Paros : matière et art, tout diffère.
Mais enfin, si on le veut absolument, on peut tenter l’entreprise, à la condition toutefois qu’il y ait matière, et que les livres ou les monuments nous fournissent quelque chose. […] Le roman historique est un moule suspect et ambigu, qui ne peut nous rendre, en telle matière, qu’une médaille en grande partie fictive et controuvée.