La Ferinda vaut un peu mieux : c’est une comédie chantée, une sorte d’opéra-comique, dans lequel sept ou huit dialectes se livrent bataille : le mauvais allemand, le français corrompu, le patois vénitien, napolitain, génois, ferrarais, le langage pédantesque, sans compter un bègue qui ne peut, lui, parler aucune langue.
On déchiffrerait peut-être aujourd’hui, sur l’inscription de Behistoun, le nom de Miltiade, à la suite de ceux des rebelles mèdes que Darius se vante d’avoir mutilés de sa propre main : — « Phraorte fut pris et amené devant moi, je lui coupai le nez, les oreilles, la langue.
« Vous êtes muet, lui dit-il un jour ; & quand vous auriez une langue, vous ne vous défendriez pas mieux. » Virgile, piqué, se contenta de répondre : « Mes ouvrages parlent pour moi. » Auguste applaudit à la repartie, & dit à Filistus : « Si vous connoissiez l’avantage du silence, vous le garderiez toujours. » Cornificius, autre insecte odieux, déchiroit Virgile.
Il passa quelque temps en Italie, en Espagne, & fit, dans la langue de ces deux nations, des vers d’une diction si pute, qu’on les prit pour ceux de leurs meilleurs poëtes.
Je paye mes dettes ; je crois en dieu & dis mes prières. » La langue Angloise est redevable à cet excellent écrivain d’un caractère qu’elle n’avoit pas.
On ne croyoit pas même que notre langue put s’élever jusqu’à l’épopée.
Ensuite le petit ornement s’appelle mouche en français, et autrement dans une autre langue.
C’est qu’au lieu de lécher d’une langue efféminée cette blessure, qui saigne au flanc du siècle, on l’aurait débridée, élargie ; on n’eût pas craint de porter dans sa profondeur un fer courageux ou la flamme.
Balzac devait venir tard… Depuis que la langue française a dit distinctement son premier mot dans le monde, elle a eu toujours des poètes, des historiens et des philosophes.
Toutes les langues comme toutes les nations ne parlent-elles pas de liberté, de devoirs et de droits ? […] Connaissez-vous une langue, un peuple, qui ne possède le mot de vertu désintéressée ? […] Tous ces noms, avec leur sens bien reconnu, sont dans toutes les langues, et constituent un fait certain et universel. […] Toutes les langues contiennent les mots d’estime et de mépris. […] Cherchez une langue qui ne le contienne pas.
C’est d’ailleurs dans une langue littéraire assez récente que les termes d’allégorie et de symbole en sont venus à diverger ainsi. […] Tel était le thème du premier grand roman d’aventures, fort curieux, qu’il y ait eu dans notre langue, le Polexandre de Gomberville. […] La propagation de la langue anglaise marche depuis vingt ans avec une rapidité incroyable. […] Peut-être plus : la langue n’a pas d’équivalent féminin du terme de viveur. […] Composition latine ou française, en langue scolaire, équivaut à discours latin et discours français.
Écrire vivement, franchement, clairement, c’est le point capital de notre langue et pour peu qu’on examine les titres de la prose française à la gloire méritée dont elle jouit, on y trouvera celui-ci tout au premier rang. […] Théophile Gautier nous parle incessamment de festins où on servait des langues de phénicoptères et des foies de scarrus, quand il nous montre de belles dames vêtues de conopoeums et de calasiris, nous avouons humblement que notre plaisir est fort médiocre. […] Et en outre l’amour-propre non moins que les traditions de la langue se trouvaient mis de côté. […] Singulièrement dur et rocailleux, peu riche d’idées et pédant au pardessus, le gentilhomme vendômois eût, sans doute, la rare vertu d’aimer sincèrement les lettres et le courage d’entreprendre une métamorphose complète de la langue. […] Une nuance ajoutée à l’expression d’un sentiment suffit à dénaturer tout à fait ce qu’elle prétend rendre et quand traduire exactement est déjà si difficile, que devient le texte, le texte vrai si vous ajoutez encore à la peine d’en transporter le vers muet dans une langue étrangère, l’infidélité de lui faire dire ce qu’il ne dit pas ?
La langue roumaine offre des analogies avec le latin. […] Toulet ; on entendait toutes les langues que la timbale secouée du faiseur de « cocktails » tentait en vain de dominer. […] Il se tire tout le jour la langue dans les glaces ; c’est qu’il se croit malade, et qu’ensuite il prétend qu’il se moque de lui. […] Alors il se souvint qu’il savait leur langue, mais non sans inquiétude, car s’il parlait l’anglais, il le parlait comme un Français. […] Léon Bérard s’opposa radicalement à l’espéranto, qu’il considérait comme un instrument de l’internationalisme et concurrent potentiel de la langue française, alors langue de la diplomatie.
Si, comme on l’a dit en effet, nous ne saurions « rien confier d’éternel à des langues toujours changeantes » [Cf. […] Pour les traductions de l’anglais, l’énumération seule en tiendrait ici plusieurs pages ; et l’on peut avancer sans exagération que, de 1725 à 1750, tout Pope et tout Addison, tout Swift et tout Richardson, sans parler des moindres, ont passé de leur langue en français [Cf. […] Autant en dirons-nous de la langue. […] Et il est vrai que, de franche et d’un peu rude, mais de pleine, et de libre, et de familière qu’elle était jadis, en même temps qu’éloquente, la langue s’est transformée pour subvenir aux besoins de leur propagande. […] Moraliste sensible, et sincère, quoique d’ailleurs égoïste, homme a projets, homme à succès, dont les galanteries sont mêlées d’un onctueux et déplaisant patelinage, c’est un admirable écrivain que Bernardin de Saint-Pierre ; et on ne sait pas assez de quel agrément et de quel éclat de coloris, dans ses Études de la nature, ou de quelle délicatesse et de quelle infinie variété de nuances il a diversifié la langue de la description : on aurait envie de dire : « la palette ».
Qu’est-ce que Panurge, expert en tous cas, savant en toutes langues mortes et vivantes, ayant dents aiguës, ventre vide, gorge sèche, appétit strident, salmigondinant les prieurés et les bénéfices, mangeant son blé en herbe, et ne faisant que trois pas et un saut, du lit à la table ? […] L’objet de la comédie, dira l’un, n’est-il pas de faire passer des leçons utiles à la faveur du divertissement et des ris. — Mais vous manquez ce but, répondra l’autre, puisque je ne saisis pas l’objet de vos masques fantastiques, et que je ne comprends rien à vos jeux de mots et à vos équivoques multipliées. — Peut-être est-ce votre faute et non la mienne : il est douteux premièrement que vous ayez appris ma langue, et rien n’est plus difficile à entendre dans tous les idiomes que les finesses des locutions familières. […] Je m’exempterai donc d’un facile étalage d’érudition en vous citant ce que Quintilien, Macrobe, saint Jérôme, et le docte Scaliger, écrivirent en faveur de Plaute, qu’ils estimèrent en son genre comme un prince de la langue latine. […] Cependant si je hasardais de parler sa langue sans scrupule ; si je m’imaginais que l’impureté est dans les choses, et non dans les mots ; si j’essayais de prouver que nous avons exclu le comique, en rejetant la propriété des termes, et que nous n’avons rien gagné pour les mœurs et la politesse à notre susceptibilité exagérée, peut-être acquerrais-je le droit, sans vous scandaliser trop fort, d’analyser nettement les meilleures scènes de notre philosophe, et de vous nommer sa risible pièce, non sous le titre faux et triste du mari trompé, mais sous son vrai et plaisant titre du Cocu imaginaire… Le grand mot est lâché ! […] Pourrions-nous oublier que ce même auteur, et que Thomas Corneille, qui versifia la prose de son Festin de Pierre, furent tous deux redevables aux muses de l’Espagne du Dom Juan, trompeur de Séville, portrait accompli de l’Athée, caractère par excellence, en ce qu’il appartient à tous les siècles et à l’univers, et que, traduit dans toutes les langues, on l’a joué chez toutes les nations avec un même succès.
On avait tout dit, tout pensé, tout rêvé ; on avait exprimé les idées et les recherches en toute espèce de style, dans une langue en général forte, mais chargée et bigarrée à l’excès. […] Il fallait pour cet échange mutuel entre tout le monde et quelques-uns et pour ce second travail de la dissémination des lumières la lente action de deux siècles, une langue à l’usage de tous, non plus latine ni pédantesque, l’influence paisible et bienfaisante des chefs-d’œuvre, un frottement prolongé de société, et la coopération gracieuse d’un sexe que les Saumoise de tout temps n’ont apprécié que trop peu ; en un mot il fallait, après Scaliger, que vinssent Mme de La Fayette et Voltaire. […] Mais Naudé, nous l’avons dit, ne faisait aucun cas des romans et contes en langue vulgaire, et ne daignait s’enquérir de leur plus ou moins d’agrément ; s’il s’est montré quelque peu savant en us, ç’a été par cet endroit. […] Dans un Advis imprimé (1651) à l’adresse de nos Seigneurs du Parlement, il exhale les sentiments dont il est plein : « … Et pour moi qui la chérissois comme l’œuvre de mes mains et le miracle de ma vie, je vous avoue ingénuement que, depuis ce coup de foudre lancé du ciel de votre justice sur une pièce si rare, si belle et si excellente, et que j’avois par mes veilles et mes labeurs réduite à une telle perfection que l’on ne pouvoit pas moralement en désirer une plus grande, j’ai été tellement interdit et étonné, que si la même cause qui fit parler autrefois le fils de Crésus, quoique muet de sa nature, ne me délioit maintenant la langue pour jeter ces derniers accents au trépas de cette mienne fille, comme celui-là faisoit au dangereux état où se trouvoit son père, je serois demeuré muet éternellement.
« De même que l’écriture n’est pas identique pour tous les hommes, de même les langues ne sont pas non plus semblables. […] Quoiqu’on ne puisse juger d’une langue morte aussi sûrement que de la sienne, le style d’Horace paraît non-seulement plus élégant, mais aussi plus propre au sujet qu’il traite. […] L’Europe compte à elle seule cinq ou six langues qui depuis plusieurs siècles ont produit des œuvres considérables de tout ordre ; et nos yeux peuvent s’étendre de l’Europe à toutes les autres contrées, dont quelques-unes, sans rivaliser avec elle, valent bien du moins qu’elle les connaisse, ne serait-ce que pour y retrouver ses propres origines. […] L’âme est donc l’achèvement du corps, sa perfection, son acte, et, pour parler la langue aristotélique, son entéléchie5.
Et puis, celle-là savait sa langue. […] Il remarque que l’homme n’habite que sa tête et son cœur ; que la langue est une corde et la parole une flèche ; que l’âme est une vapeur allumée dont le corps est le falot ; que certaines âmes n’ont pas d’ailes, ni même de pieds pour la consistance, ni de mains pour les œuvres ; que l’esprit est l’atmosphère de l’âme, qu’il est un feu, dont la pensée est la flamme ; que l’imagination est l’œil de l’âme. […] Assurément je voudrais qu’il écrivît une langue moins difficile et d’une syntaxe plus sûre. […] C’est d’une de celles-là, mêlée, sous son crêpe de deuil, aux divertissements de quelque villégiature aristocratique, qu’une méchante langue dit un jour : « Oui, c’est bien ainsi que ce pauvre un tel aurait voulu être pleuré. » Il y a celles qui étaient au moins égales, par l’esprit et le talent, au mari qu’elles pleurent, et qui, tant qu’il vécut, se sont tues, se sont cachées, ont suivi ses succès, du fond de leur retraite volontaire, comme des mères indulgentes.
Enfin, on a la conclusion très exacte, très judicieuse, et le dernier mot dans le passage suivant écrit par Mme Du Deffand au moment où il a pris congé d’elle : (26 octobre)… Pour le Gibbon, c’est un homme très raisonnable, qui a beaucoup de conversation, infiniment de savoir, vous y ajouteriez peut-être, infiniment d’esprit, et peut-être auriez-vous raison ; je ne suis pas décidée sur cet article : il fait trop de cas de nos agréments, il a trop de désir de les acquérir ; j’ai toujours eu sur le bout de la langue de lui dire : Ne vous tourmentez pas, vous méritez l’honneur d’être Français. […] Mme de Genlis (une assez méchante langue, il est vrai) nous le dit ; elle raconte que Gibbon épris de Mme de Crousaz, depuis Mme de Montolieu (l’auteur des romans), et s’étant un jour oublié jusqu’à tomber à ses pieds, fut assez mal reçu dans sa déclaration ; mais on avait beau lui dire de se relever, il demeurait à genoux. — « Mais relevez-vous donc, monsieur !
Elle correspondait avec Leibniz, qui l’assurait qu’elle n’écrivait pas mal l’allemand, ce qui lui fait grand plaisir, car elle ne peut souffrir, dit-elle, de voir des Allemands qui méprisent et méconnaissent leur langue maternelle. […] C’est ainsi qu’apprenant que cette princesse s’est évanouie de douleur à la nouvelle subite de la mort de l’électeur palatin, son père, Mme de Sévigné badine là-dessus : « Voilà Madame à crier, dit-elle, à pleurer, à faire un bruit étrange, on dit à s’évanouir, je n’en crois rien ; elle me paraît incapable de cette marque de faiblesse ; c’est tout ce que pourra faire la mort que de fixer tous ses esprits. » Fixer tous ses esprits, parce que ses esprits (dans la langue de la physique du temps) étaient toujours en mouvement et en grande agitation.
Fromentin a un privilège que je n’ai encore vu personne posséder à un degré égal : il a deux muses ; il est peintre en deux langues ; il n’est pas amateur dans l’une ou dans l’autre, il est artiste consciencieux, sévère et fin dans toutes deux. […] Fromentin se dédommage en le traduisant dans son autre langue.