Sérieux au fond, ayant des goûts à lui et qui parurent bientôt très prononcés, aimant les lectures de toutes sortes, l’histoire, les estampes et l’instruction qu’elles procurent sur les mœurs du temps passé, jugeant sainement des choses et des hommes qu’il avait sous les yeux, et soucieux de l’amélioration de l’espèce dans l’avenir, il fut de tout temps très naturel, au risque même de ne point paraître essentiellement élégant ni très élevé, il avait en lui un principe de droiture et le sentiment de la justice qu’il cultiva et fortifia sans cesse, loin de travailler à l’étouffer. […] Mon père prenait avec eux des manières cavalières ; il allait vite sur les formes afin d’aller grandement sur l’essentiel et le grand de la justice ; il accommodait des procès, il épargnait des épices ; il faisait le plus de bien qu’il pouvait au genre humain.
Villars, dans ses Mémoires, parle avec grand dédain et pitié de cette campagne de 1711, si peu féconde en entreprises et en résultats, et où l’on se ruinait misérablement en détail : l’historien des Mémoires militaires, qui a suivi de près le général dans ses moindres mouvements et dans ses lettres au roi et au ministre, lui rend plus de justice pour « la fermeté de ses vues, la justesse de ses combinaisons et la précision de ses manœuvres », pour être parvenu aussi à rétablir le bon esprit et la confiance dans l’officier et le soldat : « En résumant, dit-il, les détails contenus dans ce Mémoire, et en se rappelant non seulement les progrès que les alliés avaient faits la campagne précédente sur les frontières du royaume, mais aussi les vastes projets que leurs généraux avaient formés pour celle-ci, il est difficile de refuser à M. le maréchal de Villars la gloire d’avoir, pour la troisième fois, sauvé la France. » II. […] Les lignes de communication, de Marchiennes à Denain, s’appelaient insolemment « le chemin de Paris. » Louis XIV, il faut lui rendre cette justice, écrivait de Fontainebleau, le 17 juillet, au maréchal de Villars, cette lettre qui en suppose une autre antérieure sur le même sujet : « Ma première pensée avait été, dans l’éloignement où se trouve Landrecies de toutes les autres places d’où les ennemis peuvent tirer leurs munitions et convois, d’interrompre leur communication en faisant attaquer les lignes de Marchiennes (ou de Denain), ce qui les mettrait dans l’impossibilité de continuer le siège ; mais, comme il m’a paru que vous ne jugez pas cette entreprise sur les lignes de Marchiennes praticable, je m’en remets à votre sentiment par la connaissance plus parfaite que vous avez étant sur les lieux… » Le ministre de la guerre, M.
Je ne peux pas dire qu’il me traite en dessous et en enfant, et qu’il ait de la défiance pour moi : au contraire ; il lui échappait l’autre jour un long discours devant moi et comme s’il parlait à lui-même sur les améliorations à introduire dans les finances et dans la justice ; il disait que je devais l’aider, que je devais être la bienfaisance du trône et le faire aimer, qu’il voulait être aimé ; mais il n’a pas énuméré ses moyens d’action, soit qu’il ne les ait pas encore combinés, soit qu’il les garde pour ses ministres ; il leur écrit beaucoup ; c’est au vrai un homme qui est tout en lui, qui a l’air d’être fort inquiet de la tâche qui lui est tombée tout à coup sur la tête, qui veut gouverner en père. […] Quand on le lui annonça, elle ne pouvait y croire ; elle accusa la justice française ; elle plaignit ceux qui y étaient soumis.
Et nous tous, qui que nous soyons, nés heureusement à une époque d’égalité, — de presque égalité, — quand nous avons à juger ces régimes antérieurs et les hommes qui en font partie, qui nous les représentent par des aspects criants, justice est que nous nous disions : Qu’aurions-nous été nous-mêmes, qu’aurions-nous fait, si nous étions venus dans des conditions pareilles où l’on se croit tout permis ? […] C’est ici que se place l’influence du marquis de Valfons, quelque temps major général du prince : dans ses Souvenirs publiés et qu’on a lus avec plaisir, il n’a eu garde d’omettre les conseils qu’il avait donnés en toute occasion, et il ne s’est pas oublié ; on y prend une idée fidèle de l’état-major du prince, de son caractère indécis, de sa bienveillance un peu molle, en même temps qu’il y est rendu toute justice à son courage à la tranchée et dans l’action.
Sans doute, en considérant avec détail les maîtres, on aurait pu trouver plus d’une fois que l’imitateur n’avait pas tout rendu, qu’il était resté au-dessous ou pour la concision ou pour une certaine simplicité qui ne se refait pas ; c’est l’inconvénient de tous ceux qui imitent, et Horace, mis en regard des Grecs, aurait à répondre sur ces points non moins que Chénier ; mais tout à côté on aurait retrouvé chez celui-ci les avantages, là où il ne traduit plus à proprement parler, et où seulement il s’inspire ; on aurait rendu surtout justice en pleine connaissance de cause à cet esprit vivant qui respirait en lui, à ce souffle qu’on a pu dire maternel, à cette fleur de gâteau sacré et de miel dont son style est comme pétri, et dont on suivrait presque à la trace, dont on nommerait par leur nom les diverses saveurs originelles ; car, à de certains endroits aussi, ne l’oublions pas, l’aimable butin nous a été livré avant la fusion complète et l’entier achèvement. […] Le critique, en voulant rapprocher, sans justice, André Chénier de Roucher, de Delille et des descriptifs du temps, recherche et accumule les métaphores d’ivoire, d’albâtre et de rose qu’il extrait de ses vers, pour les confondre dans un blâme commun.
Pardonnez-leur, mon Dieu, ils ne savent ce qu’ils font ; pardonnez-leur sans qu’ils aient à faire retour sur eux-mêmes, sans que ce pardon me soit compté pour une vertu, puisqu’il n’est qu’une justice ; mais ayez pitié de moi, et enseignez-moi à n’aimer que vous, et donnez-moi le repos. […] Mais ces différents degrés dans le pardon chrétien, ce premier degré où l’on pardonne pour être pardonné, c’est-à-dire par crainte ou par espoir, cet autre degré où l’on pardonne parce qu’on se reconnaît digne de souffrir, c’est-à-dire par humilité, celui enfin où l’on pardonne par égard au précepte de rendre le bien pour le mal, c’est-à-dire par obéissance, ces trois manières, qui ne sont pas encore le pardon tout-à-fait supérieur et désintéressé, m’ont remis en mémoire ce qu’on lit dans l’un des Pères du désert, traduit par Arnauld d’Andilly : « J’ai vu une fois, dit un saint abbé du Sinaï, trois solitaires qui avoient reçu ensemble une même injure, et dont le premier s’étoit senti piqué et troublé, mais néanmoins, parce qu’il craignoit la justice divine, s’étoit retenu dans le silence ; le second s’étoit réjoui pour soi du mauvais traitement qu’il avoit reçu, parce qu’il en espéroit être récompensé, mais s’en étoit affligé pour celui qui lui avoit fait cet outrage ; et le troisième, se représentant seulement la faute de son prochain, en étoit si fort touché, parce qu’il l’aimoit véritablement, qu’il pleuroit à chaudes larmes.
Quant aux lettres de Frédéric, on leur a rendu plus de justice ; en lisant dans la correspondance de Voltaire celles que le roi lui adressait, entremêlées à celles qu’il recevait en retour, on trouve que non seulement elles soutiennent très bien le voisinage, mais qu’à égalité d’esprit, elles ont encore pour elles une supériorité de vue et de sens qui tient à la force de l’âme et du caractère. […] Avec des sentiments de justice relative et même d’humanité, Frédéric manquait absolument d’idéal, comme tout son siècle : il ne croyait pas à quelque chose qui valût mieux que lui.
Dans son admiration pour Voltaire, il y avait une part de vérité et de justice, et il entrait aussi une part d’erreur et d’illusion. […] Le roi n’était pas seulement l’homme le plus aimable de son royaume ; si l’on excepte le Milord Maréchal, il était le seul : « Il est presque la seule personne de son royaume, dit d’Alembert, avec qui on puisse converser, du moins de ce genre de conversation qu’on ne connaît guère qu’en France, et qui est devenu nécessaire quand on le connaît une fois. » D’Alembert ne tarit pas sur l’affabilité, la gaieté du roi, les lumières qu’il porte en tout sujet, sa bonne administration, son application au bien des peuples, la justice et la justesse qui se marquent en tous ses jugements.
Le maréchal de Berwick, qui se tient au-dessus de toutes ces tracasseries odieuses, rend plus de justice à Orry, et tout porte le lecteur impartial à penser que Mme des Ursins était encore plus nette sur ce chapitre, et qu’elle se sentait, comme elle le dit, très dégagée dans sa taille : « Je suis gueuse, il est vrai, écrivait-elle à la maréchale de Noailles en entrant en Espagne, mais je suis encore plus fière. » Racontant plus tard à Mme de Maintenon les indignités de ce genre dont on les chargeait toutes deux, elle en parle avec un ton de haute ironie et de souverain mépris qui semble exclure toute feinte. […] C’est Saint-Simon qui nous le dit, et il lui rend toute justice d’ailleurs pour ses vives et hautes qualités.
Tout en rendant justice à ses belles et saines parties, nous ne le fîmes point avec plénitude ni en nous associant de cœur à l’esprit même de l’homme : Boileau, personnage et autorité, est bien plus considérable que son œuvre, et il faut de loin un certain effort pour le ressaisir tout entier. […] Il faudrait relire ici en entier l’Épître à Racine après Phèdre (1677), qui est le triomphe le plus magnifique et le plus inaltéré de ce sentiment de justice, chef-d’œuvre de la poésie critique, où elle sait être tour à tour et à la fois étincelante, échauffante, harmonieuse, attendrissante et fraternelle.
Eh bien, mon ami, nous mourrons donc sans nous être parfaitement connus ; et vous n’aurez point obtenu de moi toute la justice que vous méritiez. […] N’oubliez pas parmi les obstacles à la perfection et à la durée des beaux-arts, je ne dis pas la richesse d’un peuple, mais ce luxe qui dégrade les grands talents, en les assujettissant à de petits ouvrages, et les grands sujets en les réduisant à la bambochade ; et pour vous en convaincre, voyez la vérité, la vertu, la justice, la religion ajustées par La Grenée pour le boudoir d’un financier.
Du reste, rendons-lui cette justice, il n’y a rien de formel ni de bien audacieux dans Mme Stern. […] Mme de Staël, que des critiques sans observation et sans justice se sont permis d’appeler une virago, avait dans sa grosse tête, — et de femme, malgré sa grosseur, — plus d’homme cent fois que Mme Stern n’en a dans la sienne.
Quelle sanction sublime auraient reçue les fragments de vérité, les éclairs de sentiment moral, les premiers cris de justice et d’humanité mêlés souvent aux erreurs de sa philosophie et aux pernicieux exemples de son siècle corrompu ! […] Mais, depuis que la terre s’est imprégnée de meurtres criminels, et que les hommes ont chassé la justice de leurs âmes avides, des frères ont souillé leurs mains du sang de leurs frères.
Par-là Coleridge, très admiré de son temps, surtout dans son pays, poëte extraordinaire plutôt que grand poëte, assorti dans sa maladie même aux imaginations effarées par la guerre et la Terreur, a p^ du dans l’estime d’une époque plus calme ; mais il est encore un témoin éclatant du passé, l’image d’une grande puissance exercée sur les âmes, l’exemple salutaire d’un retour à la justice et à la raison, inspiré par le spectacle même des abus de la force et des iniquités de la conquête. […] Puisse enfin le nom et l’exemple de Réginald Héber revenir aujourd’hui sans cesse à la mémoire de ses compatriotes dans l’Inde, pour calmer leur esprit de vengeance, pour humaniser leur victoire, et leur faire expier, par une modération et une justice croissantes, les cruautés que leur a coûtées tant de puissance !
Cet Essai me semblait incomplet, trop classique, ne rendant pas justice aux derniers grands poëtes de l’Angleterre que M. de Chateaubriand ne semblait pas connaître.
Les grands hommes ne leur manqueront pas, elles peuvent le croire ; l’âge brillant des poëtes n’est peut-être pas fermé encore ; l’infatigable humanité n’a peut-être pas épuisé tous ses génies ; mais, en laissant à la Providence le soin de susciter les génies en leur temps, les générations nouvelles, en présence de ces tombes glorieuses dont elles sont appelées à sceller les pierres, doivent y contracter le saint engagement de ne pas s’arrêter dans la route de la civilisation et des lumières bienfaisantes, de rester probes, sincères, amies de tout progrès, de toute liberté, de toute justice.
Et c’est envers des contemporains connus de près qu’on peut s’acquitter avec le plus de certitude de cette justice de détail, qui n’est qu’un fond plus vrai donné au tableau littéraire d’un temps.
Il faut rendre à M. de Persigny cette justice qu’il a dans le cœur ce je ne sais quoi d’élevé qui répond bien à un tel sentiment, qui y sollicite et peut y rallier même des adversaires, qui va chercher en chacun ce qui est vibrant, et que le sentiment napoléonien historique et dynastique tel qu’il le conçoit dans son esprit et dans son culte, tel qu’on l’a entendu maintes fois l’exprimer avec une originalité saisissante (toute part faite à un auguste initiateur), est à la fois ami de la démocratie, sauveur et rajeunisseur des hautes classes, animateur de la classe moyenne industrielle en qui il tend à infuser une chaleur de foi politique inaccoutumée.
Il ne peut être question de bonheur positif obtenu par elle, puisqu’elle ne doit sa naissance qu’à une grande douleur, qu’on croit adoucir en la faisant partager à celui qui l’a causée ; mais il n’est personne qui, dans diverses circonstances de sa vie, n’ait ressenti l’impulsion de la vengeance ; elle dérive immédiatement de la justice, quoique ses effets y soient souvent si contraires : faire aux autres le mal qu’ils vous ont fait, se présente d’abord comme une maxime équitable ; mais ce qu’il y a de naturel dans cette passion ne rend ses conséquences ni plus heureuses, ni moins coupables ; c’est à combattre les mouvements involontaires qui entraînent vers un but condamnable, que la raison est particulièrement destinée ; car la réflexion est autant dans la nature que l’impulsion.
Prenons-en notre parti ; faisons ce sacrifice à l’idée de justice.
Mais, pour avoir accompli trop brusquement ce grand acte de justice, je mis dans l’embarras beaucoup de propriétaires ; et la plupart des esclaves affranchis ne surent que faire de leur liberté inopinée.