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368. (1859) Cours familier de littérature. VII « XLIIe entretien. Vie et œuvres du comte de Maistre » pp. 393-472

Mais on peut décrire la vie du gentilhomme savoyard de ces vallées quand on a eu, comme moi, le hasard et le bonheur de vivre avec eux et de leur vie dans sa jeunesse. […] Il avait passé sa jeunesse dans les camps ; il passait son âge mûr dans sa douce retraite, qui servait de halte et d’asile à tous les parents, et là il savourait l’amour d’une cousine adorée et adorable qu’il avait épousée tard et qu’il possédait avec délices, comme les bonheurs longtemps suspendus. […] Sans doute son frère est un merveilleux jouteur de plume ; nous avons nous-même subi l’éblouissement de son style dans la première jeunesse, à cet âge où l’on reçoit sur parole les admirations et les cultes de famille, et où l’audace du paradoxe passe pour l’intrépidité de la raison. […] Il consultait tout le monde, et même moi, malgré le disparate de mon extrême jeunesse avec ses années. […] Mais ce vengeur rajeunissait par la jeunesse de son style la vieillesse des choses.

369. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre troisième »

Il redescend vers les obscurs amis de sa jeunesse ; il rend service à ses bienfaiteurs. […] L’antiquité païenne est plus souvent et plus longtemps en commerce avec la jeunesse ; elle paraît avoir seule la parole. […] Heureux esprit, Fleury fut toujours, et dès sa jeunesse, aux meilleurs endroits et sous les meilleurs guides pour s’instruire et se former. […] Je n’en lis pas une page sans retrouver avec reconnaissance les conseils que j’ai suivis dans ma jeunesse, avec regret ceux que j’aurais dû suivre. […] Dans le même livre, où il me remet sous les yeux ma jeunesse d’écolier, il m’instruit de mes devoirs de père et de maître.

370. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XVIII. J.-M. Audin. Œuvres complètes : Vies de Luther, de Calvin, de Léon X, d’Henri VIII, etc. » pp. 369-425

L’excuse d’Audin fut ce qui excuse tout, la jeunesse. […] Il est chaud, coloré, cherchant incessamment l’effet pittoresque, la jeune manie d’un siècle de vingt-neuf ans, qui est resté le vétéran de toutes les manies de sa jeunesse. […] C’est à cause de cela, sans doute, que les hommes qui l’ont lu autrefois et qui ne sont pas revenus à sa lecture, s’imaginent qu’il a dû passer comme le temps et comme eux ; l’idée de la jeunesse étant éternellement liée dans l’esprit des hommes à l’idée contraire. Mais la jeunesse du talent d’Audin n’est pas de celles que le temps emporte ; elle ne tient pas aux formes de l’imagination de son époque ; car chaque époque a son genre d’imagination comme son genre de sensibilité. […] On a dit que dans sa jeunesse Audin s’essaya aux comédies ; mais il se détourna bien vite de ces amusettes, la grande affaire des peuples qui meurent dans un ennui affreux.

371. (1859) Critique. Portraits et caractères contemporains

Janin, qui a pris en cause, contre M. de Balzac lui-même, la défense de la jeunesse ? […] Homme heureux qui n’a été jeune que du meilleur côté de la jeunesse ! […] Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait ! […] Dans ces murs, la mère de famille était née ; elle y a passé son enfance, sa jeunesse, son âge mûr ; elle y est morte. […] Ce fut le beau moment de ce père vieillissant et de ce fils qui était en pleine possession de sa jeunesse.

372. (1886) Le roman russe pp. -351

Ceux-là le savent qui regardent du côté de la jeunesse. […] Un esprit d’inquiétude travaille cette jeunesse lettrée, elle cherche dans le monde des idées un point d’appui nouveau. […] Mais le roman russe a trouvé son vrai public dans la jeunesse studieuse de toute condition. […] Rousslan et Ludmila, le poème de jeunesse qui engagea la bataille romantique, est imité de l’Arioste. […] Son histoire intellectuelle nous est contée dans toutes ses phases, éducation, jeunesse, stage dans l’administration.

373. (1905) Études et portraits. Portraits d’écrivains‌ et notes d’esthétique‌. Tome I.

Alfred de Vigny était né en 1797, et sa première jeunesse s’écoula, comme toutes les jeunesses de ce début de siècle, dans la vision de l’Homme qui remplissait alors l’horizon avec ses maréchaux et sa grande armée. […] De là dérive cet aspect d’immortelle jeunesse intérieure. […] Ses amis de jeunesse s’en allaient l’un après l’autre. […] Il a été ouvrier dans sa jeunesse. […] Je l’ai connu dans ma prime jeunesse, au bureau d’un petit journal littéraire où je collaborais timidement.

374. (1863) Causeries parisiennes. Première série pp. -419

Elles sont franches, viriles, et respirent cette éternelle jeunesse qui est le privilège des âmes honnêtes. […] Saluerai-je, à mon tour, ce qu’on a nommé si pompeusement le réveil de la jeunesse ? […] Loin de moi la pensée d’attaquer la jeunesse ! […] Renan au collège de France. — Réveil de la jeunesse. — Les crèches. […] Les générations se succèdent sans interrègne sur ce trône charmant : la jeunesse est morte, c’est-à-dire elle est vieille, c’est-à-dire elle est nous ; vive la jeunesse !

375. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « [Chapitre 5] — II » pp. 112-130

Son ambition n’est qu’un acheminement fin, délié et spirituel vers le grand, où rien ne l’étonne, et, de jeunesse, il a eu ce sentimennt. […] Certes les sens appâtent la beauté ; la débauche, ce faux amour, règne plus que jamais ; ce ne sont que liaisons apparentes ; mais je ne vois plus, surtout dans notre jeunesse, qu’on fasse usage de son cœur ; nuls amis, peu d’amants ; dureté de cœur, ou simulation partout… Où cela va-t-il ? […] — Il me semble qu’il n’y a plus aujourd’hui d’hommes d’esprit et de conversation, comme dans ma jeunesse. […] J’ai vu dans ma jeunesse que l’on n’était pas plus philosophe que cela ; mais, grâce à Dieu, la philosophie nous éclaire davantage, et nous le devons à la liberté anglaise.

376. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La marquise de Créqui — II » pp. 454-475

Le prince de Ligne aurait voulu que M. de Meilhan, dans l’émigration, écrivît ses mémoires : Écrivez, lui disait-il, des souvenirs, des mémoires de votre jeunesse, ministériels, et de Cour et de société ; — vos brouilleries et vos raccommodements de Rheinsberg, la vie privée et militaire du prince Henri, ses valets de chambre comédiens français, ses houzards matelots, ses chambellans philosophes ; et puis les zaporogues et les évêques du prince Potemkim, et ensuite vos conversations avec le prince de Kaunitz ; — ce sera un ouvirage charmant. […] Ce Saint-Alban père a la passion de l’indépendance ; à peine maître de lui-même, dès sa jeunesse, il s’est affranchi de la gêne des devoirs de la société et s’est livré à un goût raisonné pour le plaisir, avec un petit nombre d’amis ou de complaisants qui formaient une petite secte de philosophes épicuriens dont il était le chef : Le goût des plaisirs, le mépris des hommes, et l’amour de l’humanité et de tous les êtres sensibles, formaient la base de leur système ; mon père (c’est son fils qui parle) méprisait les hommes en théorie par-delà ce qu’on peut imaginer, et cédait à chaque instant à un sentiment de bienveillance et d’indulgence qui embrassait les plus petits insectes. […] Mais, en vivant de cette vie obscurément délicieuse et amollie, à la fois sentimentale et très sensuelle, il est arrivé au dégoût final, au néant ; en perdant les enchantements de la jeunesse, il a perdu ses illusions de tout genre qui, même dans l’ordre de l’esprit, avaient besoin d’elle pour se colorer. […] L’ambition est une passion dangereuse et vaine, mais ce serait un malheur pour la plupart des hommes que d’en être totalement dénués ; elle sert à occuper l’esprit, à préserver de l’ennui qui naît de la satiété ; elle s’oppose dans la jeunesse à l’abus des plaisirs, qui entraînerait trop vivement ; elle les remplace en partie dans la vieillesse, et sert à entretenir dans l’esprit une activité qui fait sentir l’existence et ranime nos facultés.

377. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Benjamin Constant. Son cours de politique constitutionnelle, ou collection de ses divers écrits et brochures avec une introduction et des notes, par M. Laboulaye »

Il regrette que nous n’ayons pas sa jeunesse et sa foi : — la jeunesse et la foi de Benjamin Constant ! […] On a eu par lui, dans des lettres adressées à une amie, toutes ses confidences de jeunesse, et le dernier mot de son cœur et de ses sentiments en ces belles années. […] On était injuste, je le crois ; on était sévère comme la jeunesse ; on ne raisonnait pas son impression, et l’on ne songeait pas trop à s’expliquer pourquoi, en présence d’une intelligence si éminente, se produisait cette moindre estime.

378. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Théophile Gautier. »

Printemps au dehors, jeunesse au dedans, soleil sur le gazon, sourire sur les lèvres, neige de fleurs à tous les buissons, blanches illusions épanouies dans nos âmes, pudique rougeur sur nos joues et sur l’églantine, poésie chantant dans notre cœur, oiseaux cachés gazouillant dans les arbres, lumière, roucoulements, parfums, mille rumeurs confuses, le cœur qui bat, l’eau qui remue un caillou, un brin d’herbe ou une pensée qui pousse, une goutte d’eau qui roule au long d’un calice, une larme qui déborde au long d’une paupière, un soupir d’amour, un bruissement de feuille… — quelles soirées nous avons passées là à nous promener à pas lents, si près du bord que souvent nous marchions un pied dans l’eau et l’autre sur terre ! […] Je me demande, — je commence à me demander (et cette question je me la ferai plus d’une fois en relisant Gautier poète) pourquoi, tandis que les poésies parallèles de Musset, les moindres couplets de Marcloche, de Namouna coururent aussitôt le monde, la jeunesse plus ou moins viveuse et lettrée, et finirent même par gagner assez tôt les salons, le succès de Gautier s’est longtemps confiné et se renferme encore dans un cercle d’artistes et de connaisseurs. […] Baour mêmement ; il croyait au quatrain du marquis de Saint-Aulaire, à la jeunesse des ingénuités du théâtre, aux conversions de M.  […] La jeunesse s’exalta pour l’amoureux passionné qu’elle ne discuta plus et elle s’écria, quand elle le perdit : Adieu, notre grand poète !

379. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Anthologie grecque traduite pour la première fois en français et de la question des Anciens et des Modernes »

Dehèque (car c’est lui), un savant modeste, aimable, qui n’a cessé, dès sa tendre jeunesse, de cultiver les lettres grecques au milieu des soins d’une administration laborieuse, et que l’Institut a fini par reconnaître et adopter pour l’un des siens ; M.  […] Il s’adresse avec un regard de satisfaction à l’objet insensible de ses feux, mais dont il se voit vengé, car il a suffi d’une ou de deux saisons pour lui ôter sa grâce première : « Tu te souviens sans doute, tu te souviens que je t’ai dit cette parole sacrée : La jeunesse est la plus belle chose, et la jeunesse est aussi la plus fugitive ; le plus rapide des oiseaux dans l’air ne vole pas plus vite que la jeunesse.

380. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. » p. 232

Le court séjour qu’elle y fit, et pendant lequel elle écrivait de charmantes lettres collectives à ses trois enfants à Paris, réveilla en elle des traces de jeunesse, et lui apporta, malgré tout, quelque diversion heureuse, un loisir relatif et comme une allégresse d’imagination. […] Entre ses amitiés de femmes Mme Valmore en avait eu une toute première, tout angélique, Albertine (Gantier), qu’elle a célébrée dans ses vers et qui fut ravie dans la fleur de la jeunesse. […] Mme Duchambge, habituée dès sa jeunesse au luxe, à toutes les élégances et les délicatesses de la vie, eut le retour d’autant plus amer, le déclin rude et pénible. […] Mme Duchambge, que je n’ai connue que déjà passée, qui avait dû être des plus agréables, et qui, toute ridée qu’elle était, rappelait, par les mille petits plis de son fin et mignon visage, certaine jolie vieille de l’Anthologie : De ses rides les petits plis De nids d’amours sont tout remplis ; Mme Duchambge avait eu pour dieu de sa jeunesse l’aimable enchanteur Auber, dont elle adorait toujours l’étoile de plus en plus brillante, inconstante et légère.

381. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamartine — Lamartine »

La lecture de Bernardin de Saint-Pierre produit une délicieuse impression dans la première jeunesse. […] Il fut ensuite à Paris, s’y laissa aller, bien qu’avec décence, à l’entraînement des amitiés et de la jeunesse, distrait de ses principes, obscurci dans ses croyances, jamais impie ni raisonneur systématique ; versifiant beaucoup dès lors, jusque dans ses lettres familières, songeant à la gloire poétique, à celle du théâtre en particulier ; d’ailleurs assez mécontent du sort et trouvant mal de quoi satisfaire à ses goûts innés de noble aisance et de grandeur. […] La jeunesse emportée et d’humeur indiscrète  Est la meilleure encor ; sous un souffle jaloux  Elle aime à rassembler tout ce qui flotte en nous  De vif et d’immortel ; dans l’ombre ou la tempête Elle attise, en marchant, son brasier sur sa tête : L’encens monte et jaillit ! […] Oui, la jeunesse est bonne ; elle est seule à sentir  Ce qui, passé trente ans, meurt, ou ne peut sortir, Et devient comme une âme en prison dans la nôtre ; La moitié de la vie est le tombeau de l’autre ; Souvent tombeau blanchi, sépulcre décoré, Qui reçoit le banquet pour l’hôte préparé. 

382. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « LE COMTE XAVIER DE MAISTRE. » pp. 33-63

Tandis que le comte Joseph, dans de fortes études qui semblaient tenir tout d’une pièce à l’époque d’Antoine Favre et du xvie  siècle, suivait en magistrat gentilhomme la carrière parlementaire et sénatoriale, le comte Xavier entra au service militaire ; sa jeunesse se passa un peu au hasard dans diverses garnisons du Piémont. […] Des arrêts pour un duel, un voyage à la Montgolfier, voilà de grandes vivacités de jeunesse. […] Hamilton, tout Irlandais qu’il était, avait du moins passé sa jeunesse à la cour de France, ou, ce qui revient presque au même, à celle de Charles II. […] Moins de flots ont roulé sur les sables de Laisse40, Moins de rides d’azur ont sillonné son sein, Et, des arbres vieillis qui couvraient ta jeunesse, Moins de feuilles d’automne ont jonché le chemin !

383. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Madame de Krüdner et ce qu’en aurait dit Saint-Évremond. Vie de madame de Krüdner, par M. Charles Eynard »

Elle n’a pas alors moins de trente-sept ans ; elle les déguise avec art sous une grâce divine que les femmes mêmes sont forcées d’admirer ; mais elle sent que le moment est venu d’appeler à son aide les succès de l’esprit et de prolonger la jeunesse par la renommée. […] Il y a lieu pourtant de trouver que c’est bien dommage, car le talent de Mme de Krüdner, à l’heure dont nous parlons, s’était dégagé des vagues déclamations de sa première jeunesse, et devenait un composé original d’élévation et de grâce. […] « On cherche tout hors de soi dans la première jeunesse ; nous faisons alors des appels de bonheur à tout ce qui existe autour de nous, et tout nous renvoie au dedans de nous-même peu à peu. […] « Dire aux hommes ne suffit pas, il faut redire, et puis redire encore ; l’enfance n’écoute pas, la jeunesse ne veut pas écouter, et si la vérité est enfin accueillie, c’est que de sa nature elle est infatigable, et qu’après avoir été tant rebutée, elle trouve enfin accès par sa persévérance.

384. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre II »

On n’aime pas à voir la vieillesse s’afficher ainsi devant la jeunesse. […] D’une fleur repliée qui s’entr’ouvre il sort des parfums et non des pétards et des fusées volantes : or, à peine réveillée de ce long sommeil du cœur et des sens où elle a dormi la grasse matinée de sa jeunesse, Philiberte se met à faire de l’esprit comme si c’était son métier, de l’esprit à pile ou face, envers et contre tous, en veux-tu, en voilà, de l’esprit rédigé, limé, aiguisé, barbelé, pointu par les deux bouts. […] La toile tombe, et l’acte est charmant malgré toutes nos critiques ; il amuse, il intéresse, il a la beauté du diable et la gaieté de la jeunesse, et, si la suite tenait tout ce qu’il promet, nous aurions là, à coup sur, une très piquante et très agréable comédie. […] Arrache les fibres de ton cœur et les cordes de ta lyre… Et le misérable y consent ; bien plus, il chasse, avec le bâton ignare de Gorgibus, les musiciens que ce brave Spiegel, qui jouissait d’avance de sa surprise, avait engagés pour jouer sa symphonie, et il enlève des mains de son ami cette partition, chef-d’œuvre de sa pauvreté et de sa jeunesse, et il la déchire en mille pièces, et il piétine sur les lambeaux.

385. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — CHAPITRE VII »

Le père a un maître, l’art ; le fils a une maîtresse, madame Léa de Clère, une jeune femme séparée de son mari, qu’il aime avec le feu de la jeunesse et l’emportement d’un premier amour. […] une éternité dont l’amant compte les minutes, attendant une lettre qui n’arrive pas, croyant entendre, à chaque instant, ce frémissement d’une robe de soie qui fait sur l’escalier de la jeunesse un bruit plus doux que le battement des ailes de l’ange sur l’échelle du songe de Jacob. […] — Les femmes ont rendu sur le jeune Beaubourg un arrêt pareil : elles le déclarent « trop commun. » Il a la jeunesse, la gaieté, la fortune ; mais il lui manque la ligne, la race, le contour, le chic le je ne sais quoi. […] Elle a passé dans la pauvreté les premières années de sa jeunesse, obscure et dédaignée, comme une Cendrillon.

386. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Mme de Caylus et de ce qu’on appelle Urbanité. » pp. 56-77

Les portraits qu’on a d’elle dans sa jeunesse répondent bien à l’idée qu’ont donnée de sa beauté Saint-Simon, l’abbé de Choisy et Mme de Coulanges. […] Quand on voit dans les ouvrages de Cicéron et ailleurs, particulièrement dans Quintilien, a remarqué un grand esprit (Bolingbroke), les soins, les peines, l’application continuelle, qui allaient à former les grands hommes de l’Antiquité, on s’étonne qu’il n’y en ait pas eu plus ; et quand on réfléchit sur l’éducation de la jeunesse de nos jours, on s’étonne qu’il s’élève un seul homme capable d’être utile à la patrie. […] Il y aurait peut-être dans ce mot de charmes et dans cette comparaison avec Hélène de quoi effrayer d’abord et donner le change, si l’on ne savait que ce portrait de Mme de Caylus a été tracé dans les dernières années et après sa jeunesse, et que tout s’y rapporte à l’enchantement de l’esprit. […] Mme de Maintenon, si agréable par l’esprit, avait un fonds sérieux, triste et même austère ; elle avait amassé des trésors d’ennui à amuser les autres, elle s’était desséché l’âme à plaire à de plus grands qu’elle dès sa jeunesse.

387. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Œuvres de Condorcet, nouvelle édition, avec l’éloge de Condorcet, par M. Arago. (12 vol. — 1847-1849.) » pp. 336-359

Ses amis d’alors, à cette époque si regrettable de sa jeunesse, au moment où il entrait si brillamment dans le monde (1770), nous l’ont peint sous cette première forme intéressante et expansive, se multipliant à plaisir, se distribuant volontiers à tous : M. de Condorcet est chez madame sa mère, écrivait Mlle de Lespinasse à M. de Guibert ; il travaille dix heures par jour. […] L’idée de Turgot et de Condorcet, et qui d’ailleurs, dans ses termes les plus généraux, ne leur est point particulière, est celle-ci : l’humanité, considérée dans son ensemble et depuis ses origines, peut se comparer à un homme qui a passé successivement par un état d’enfance, puis par un état de jeunesse et de virilité. […] Il avait cru observer dans sa première jeunesse « que l’intérêt que nous avons à être justes et vertueux était fondé sur la peine que fait nécessairement éprouver à un être sensible l’idée du mal que souffre un autre être sensible ». […] J’ai eu souvent, dans ma jeunesse, l’occasion d’apprécier et d’étudier ce genre de mérite de Condorcet dans la personne de M. 

388. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « L’abbé de Choisy. » pp. 428-450

L’abbé de Choisy aimait à se déguiser ; dans son enfance et dans sa jeunesse on l’avait accoutumé à s’habiller en fille ; il en garda le goût, et l’on assure que bien plus tard même, et à l’âge où il rougissait le plus de cette manie efféminée, il s’enfermait encore pour se mettre en douairière, soupirant, hélas ! […] L’abbé de Choisy poussait les choses beaucoup plus loin, et je me garderai bien de le suivre dans les incroyables épisodes de sa jeunesse. […] Vieux et soi-disant converti, l’abbé de Choisy trouvait encore un indicible plaisir à raconter ces aventures de sa jeunesse à de graves amis, tels que d’Argenson, qui l’écoutaient avec étonnement, ou même à des dames philosophes, telles que Mme de Lambert, qui le questionnaient avec indulgence. […] Ce voyage de Siam réhabilita jusqu’à un certain point l’abbé de Choisy dans l’opinion et acheva de le rendre singulier, mais d’une singularité moins compromettante que celle qu’il s’était faite dans sa jeunesse.

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