On permettait bien aux femmes de sacrifier les occupations de leur intérieur au goût du monde et de ses amusements ; mais on accusait de pédantisme toute étude sérieuse ; et si l’on ne s’élevait pas, dès les premiers pas, au-dessus des plaisanteries qui assaillaient de toutes parts, ces plaisanteries parvenaient à décourager le talent, à tarir la source même de la confiance et de l’exaltation. […] Si les Français pouvaient donner à leurs femmes toutes les vertus des Anglaises, leurs mœurs retirées, leur goût pour la solitude, ils feraient très bien de préférer de telles qualités à tous les dons d’un esprit éclatant ; mais ce qu’ils pourraient obtenir de leurs femmes, ce serait de ne rien lire, de ne rien savoir, de n’avoir jamais dans la conversation ni une idée intéressante, ni une expression heureuse, ni un langage relevé ; loin que cette bienheureuse ignorance les fixât dans leur intérieur, leurs enfants leur deviendraient moins chers lorsqu’elles seraient hors d’état de diriger leur éducation.
Aussi, quand de l’armée arrivèrent les détails de sa mort, quand affluèrent les renseignements des témoins oculaires, Mme de Sévigné, lisant, écoutant tout avec émotion, coordonnant les détails dans son esprit si net, dressant toutes les circonstances dans son imagination si vive, ne fit que décrire à sa fille la vision intérieure qu’elle avait du fait en ses moindres particularités. […] Ne vous piquez point de raconter, si vous ne vous sentez cette puissance de représentation intérieure, ce don de voir par l’esprit une action complète dans ses divers moments, avec son mouvement continu, dans son détail à la fois et son ensemble.
Et leur dialectique repose sur deux métaphores : dans la conscience et hors de la conscience, — comme si la conscience était une sphère matérielle où pénètrent des rayons du dehors et que tout rayon saisi par la conscience lui fût nécessairement intérieur. […] En outre, nous avons vu qu’ils assimilent métaphoriquement et géométriquement la conscience à un intérieur, à un dedans, le monde à un extérieur, à un dehors ; ils posent donc le problème en termes d’espace, — ce qui le rend insoluble, puisqu’il faudrait alors sortir hors de soi.
Tous les hommes, à l’aide du sentiment intérieur qui est en eux, connoissent sans sçavoir les regles, si les productions des arts sont de bons ou de mauvais ouvrages, et si le raisonnement qu’ils entendent conclut bien. […] On en juge par un mouvement intérieur qu’on ne sçauroit bien expliquer.
Pour le morceau où l’on voit l’intérieur d’une cour de village ; cela est si faible, si uni, si léché, qu’on croirait que c’est une copie.
Or la politique a toujours deux aspects souvent très différents : un aspect extérieur, sur lequel le vulgaire juge par les apparences ; un aspect intérieur et intime, sur lequel les hommes d’élite jugent sur les réalités. […] Le monde ne pouvait échapper à une telle supériorité, servie par la fortune et par l’infériorité de tous les hommes avec lesquels il avait à se mesurer ; car il faut remarquer que Bonaparte, à l’intérieur, n’avait à se mesurer qu’avec des hommes généralement médiocres, lassés et usés par la Révolution ; l’échafaud, la mort naturelle, les proscriptions avaient fauché la France. […] Il y avait dans les troupes de Hollande, de Vendée et de l’intérieur, les éléments épars, éloignés, d’une troisième armée ; mais une habileté administrative supérieure pouvait seule la réunir à temps, et surtout à l’improviste, sur le point où sa présence était nécessaire. […] Thiers dans ces tableaux d’intérieur. […] Le régicide par assassinat, l’assassinat politique dénouant le nœud compliqué de la situation de l’Europe, y sont des scènes d’intérieur et des scènes diplomatiques dans lesquelles le pinceau de l’historien n’a ni tremblé ni pâli.
Le vrai roman est de l’histoire condensée et systématisée, dans laquelle on a restreint au strict nécessaire la part des événements de hasard, aboutissant à stériliser la volonté humaine ; c’est de l’histoire humanisée en quelque sorte, où l’individu est transplanté dans un milieu plus favorable à l’essor de ses tendances intérieures. […] Ces événements constituent de simples moyens empiriques de mesurer la catastrophe intérieure, de calculer la hauteur de la chute ou la profondeur de la blessure qu’ils n’ont provoquée qu’indirectement. […] Or, dans la réalité, il est des larmes tout intérieures, et ce ne sont pas les moins poignantes ; il est des choses, pensées, qu’on ne saurait dire, et ce ne sont pas toujours les moins significatives. […] Cette qualité intérieure, Hegel l’appelait l’idée du groupe ; Taine l’appelle un caractère dominateur. […] C’est presque un dicton populaire que les hommes paraissent plus mauvais qu’ils ne sont ; si donc nous les jugeons uniquement par leurs actes, lesquels sont déterminés par une foule de chocs et de circonstances qui ont fait dévier l’impulsion première, nous ne pourrons trouver en eux que matière à réflexions pessimistes. — Mais que m’importe, dira-t-on, l’homme intérieur, si je n’ai affaire qu’à l’homme extérieur ?
Quand on prend ainsi à son terme l’évolution intérieure des grands mystiques, on se demande comment ils ont pu être assimilés à des malades. […] Pour plus de clarté, et surtout pour sérier les difficultés, nous avons raisonné comme si le mystique chrétien, porteur d’une révélation intérieure, survenait dans une humanité qui ne connaîtrait rien d’elle. […] C’est d’elle pourtant que viendrait la lumière, si jamais devait s’éclairer l’intérieur de l’élan vital, sa signification, sa destination. […] Ce corps intérieur et central, relativement invariable, est toujours présent. […] La société suit sans doute certaines suggestions de l’expérience intérieure quand elle parle de l’âme ; mais elle a forgé ce mot, comme tous les autres, pour sa seule commodité.
Les poètes anglais du foyer, Cowper, Wordsworth, ont-ils jamais rendu plus délicieusement les joies d’un intérieur pur, la félicité domestique, ce ressouvenir de l’Éden, que le voyageur qui s’asseyant un moment sous un toit béni, a su dire : Le Val, 20 décembre. — Je ne crois pas avoir jamais senti avec autant d’intimité et de recueillement le bonheur de la vie de famille. […] Lui aussi il était, mais il n’était qu’à demi de la race de René, en ce sens qu’il ne se croyait pas une nature supérieure : bien loin de là, il croyait se sentir pauvre, infirme, pitoyable, et dans ses meilleurs jours une nature plutôt écartée que supérieure : Pour être aimé tel que je suisa, se murmurait-il à lui-même, il faudrait qu’il se rencontrât une âme qui voulût bien s’incliner vers son inférieure, une âme forte qui pliât le genou devant la plus faible, non pour l’adorer, mais pour la servir, la consoler, la garder, comme on fait pour un malade ; une âme enfin douée d’une sensibilité humble autant que profonde, qui se dépouillât assez de l’orgueil, si naturel même à l’amour, pour ensevelir son cœur dans une affection obscure à laquelle le monde ne comprendrait rien, pour consacrer sa vie à un être débile, languissant et tout intérieur, pour se résoudre à concentrer tous ses rayons sur une fleur sans éclat, chétive et toujours tremblante, qui lui rendrait bien de ces parfums dont la douceur charme et pénètre, mais jamais de ceux qui enivrent et exaltent jusqu’à l’heureuse folie du ravissement. Ses amis luttaient le plus qu’ils pouvaient contre cette disposition découragée, dont il leur exprimait parfois les accès, les flux et reflux intérieurs, avec une délicatesse exquise, avec une lucidité effrayante ; ils le pressaient, à cette entrée dans la vie pratique, de se faire un plan d’études, de vouloir avec suite, d’appliquer et de concentrer ses forces intellectuelles selon une méthode et sur des sujets déterminés.
La vie de ces deux êtres si finement doués fut bien simple et tout intérieure. […] Elle en vint par la suite à admirer, mais elle ne put jamais prendre sur elle d’aimer et de goûter ces autres génies incontestables, mais dont les écrits ont des laideurs qui choquent l’œil d’une femme . « Je déteste de rencontrer, disait-elle, ce que je ne veux pas voir. » Bientôt elle fit des vers elle-même ; elle avait reçu de la nature le rythme intérieur et la mélodie. […] La sœur parfaite, à la longue, se forme et se compose de bien des sacrifices intérieurs.
Cette restitution ingénieuse, qu’on admirerait si elle s’appliquait à une maison romaine du temps d’Auguste ou de Trajan ou à un intérieur de châtelaine du Moyen-Âge, ne mérite pas moins d’éloge et d’estime, se rapportant au xviie siècle, qui est déjà pour nous une antiquité ; c’est un parfait tableau d’intérieur, digne en son genre de Mazois ou de Viollet-le-Duc ; on me saura gré de le donner ici : « Les époux Poquelin occupaient dans la maison de la rue Saint-Honoré une boutique avec salle à la suite servant de cuisine et probablement de salle à manger, et au-dessus de cette salle une soupente ; entre le rez-de-chaussée et le premier étage se trouvait une sorte d’entre-sol dans lequel étaient la chambre à coucher et un cabinet ; le premier étage était transformé en magasin. […] Enfin la chambre des époux Poquelin est tendue d’une tapisserie de Rouen sur laquelle sont accrochés cinq tableaux et un miroir de glace de Venise. » Ce sont là les objets qui frappaient habituellement la vue de Molière enfant ; il ne naquit nullement dans un intérieur pauvre ou mesquin, et tout sentait autour de lui le marchand à son aise et le bourgeois cossu.
Le séjour de Metz se prolongea tout un mois encore jusqu’au 28 septembre, avec toutes sortes de vicissitudes intérieures plus ou moins dissimulées. […] Mais vous concevez également le plaisir qu’eurent le duc de Bouillon et le duc de Richelieu à parler au roi de celui qu’on lui préparait dans l’intérieur du palais de la reine. […] Et d’abord, pour comprendre ce qu’il pouvait y avoir de distraction et de soulagement pour elle dans un intérieur si uni et si peu accidenté, il faut se bien rendre compte de la gêne et de l’ennui immense, solennel, qu’apportait en ce temps-là l’étiquette de Cour dans une journée dont tous les actes étaient réglés et consacrés par des cérémonies invariables.
Dix années, et plus de dix années, se passèrent en effet sans qu’elle se mêlât directement et essentiellement de politique ; elle contribua à faire M. de Castries ministre de la marine (1780), et, peu après, elle fit remplacer M. de Montbarey à la Guerre par M. de Ségur : son monde intérieur la détermina à intervenir activement dans ces deux cas. […] On en a vu de très vives et agréables sur son intérieur, quand elle n’était que Dauphine ; il ne paraît pas qu’elle ait continué avec ce détail depuis qu’elle était reine. […] C’est ainsi qu’on se perd, qu’on s’annule quand on est roi, et qu’avec toute la droiture intérieure on démoralise sa propre action.
le temps se passe, des difficultés surviennent, des troubles à l’intérieur du pays ; et puis, la diffusion de l’esprit nuit à l’œuvre, la science opprime un peu le nerf de l’art. […] Mais c’était le drame de la Passion, dans toutes ses circonstances, qui devenait particulièrement l’objet de ces préoccupations mentales, de ces représentations intérieures. […] Ses livres peuvent attirer et forcer l’admiration pendant quelques pages, mais bientôt leur monotonie fatigue ; car ils sont le contraire de ces écrits chers à Montaigne, pleins de suc et de moelle intérieure, pétris d’expérience et d’indulgence, qui gagnent à être exprimés et pressés, et qui de tout temps ont fait les délices des hommes de sens, des hommes de goût, des hommes vraiment humains… Au résumé, c’est un militant ; il l’est en tout et partout ; comme tel, il laissera dans l’histoire des guerres politiques et religieuses de ce temps une trace lumineuse : Lacordaire et lui, deux lieutenants de La Mennais, et qui ont continué de tenir brillamment la campagne après que leur général avait passé à l’ennemi.
Il en est du théâtre de Marivaux comme du théâtre de Racine : l’action est tout intérieure. […] Telle est cette comédie de Marivaux, si peu comique au sens ordinaire du mot, si solide et si substantielle en son extrême subtilité, d’une pénétrante sentimentalité qui n’est jamais fade ni fausse, puissante parfois par un pathétique intérieur et contenu, où l’on ne sent jamais la tricherie d’un adroit faiseur. […] Un plaidoyer pour le commerce contre la morgue nobiliaire, un plaidoyer contre le duel se dérobent adroitement sous une action vraisemblable et intéressante : c’est une situation touchante que celle de ce père qui, maudissant le préjugé de l’honneur, envoie son fils unique se battre ; et c’est un joli tableau de mœurs du xviiie siècle que cet intérieur d’un grand négociant, où éclatent les solides vertus et les douces affections de la famille bourgeoise.
La fréquence des suicides a pour cause l’anomie sociale, source d’anarchie intérieure, d’inquiétude et de trouble. […] La division du travail, avec sa spécialisation à outrance, avec sa canalisation des activités dans certaines directions, n’assure nullement aux individus une vie intérieure plus riche, plus intense, plus profonde, ni plus originale. […] Ce mensonge est une machine de guerre, un instrument de domination aux mains du groupe : un moyen de défense du groupe contre les causes extérieures ou intérieures de destruction.
Il existait, dans les dernières années du précédent régime, deux atmosphères très distinctes, celle de l’intérieur de la Chambre et celle du dehors. […] Guizot avait régné à l’intérieur, quand elle avait rempli et refait cette atmosphère artificielle, on croyait avoir conjuré les orages. […] Je pourrais choisir encore quelques autres assertions aussi absolues, aussi gratuites, et qui me font douter de la raison intérieure de cette philosophie imposante.
Pascal fait porter en effet tout son raisonnement sur la contradiction intérieure, inhérente à la nature de l’homme, qui, selon lui, n’est qu’un assemblage monstrueux de grandeur et de bassesse, de puissance et d’infirmité, et qu’il veut convaincre à ses propres yeux d’être, sans la foi, une énigme inexplicable. […] On ne voit pas qu’il ait été occupé des femmes dans les années où il écrit, et le peu qu’il en dit nous montre un homme revenu : « Les femmes ne peuvent comprendre, dit-il, qu’il y ait des hommes désintéressés à leur égard. » Il semble que, brisé avant l’âge par les maladies, il se soit retranché sur ce point jusqu’aux regrets stériles : « Ceux qui ne sont plus en état de plaire aux femmes et qui le savent, s’en corrigent. » Sans être insensible aux lumières de son temps et sans y fermer les yeux, il était loin de s’en exagérer l’importance, et il se préoccupait du perfectionnement moral intérieur, bien plus que de cette perfectibilité générale à laquelle il est si commode de croire et de s’abandonner. […] » Telle était la conviction raisonnée de l’homme qui travailla le plus à son perfectionnement moral intérieur : rien n’eût été plus antipathique à Vauvenargues que le faux Condorcet.
Il sut conserver au milieu des écueils de cette vie universitaire sa fleur de pureté et de chasteté, se livrant dès ce temps-là à des méditations et à des préparations intérieures pour avancer dans la poursuite de la piété et de la vertu. […] Lui, il est le contraire de ces natures-là ; il est le plus doux, le plus égal, le plus actif à la fois et le plus pacifique des cœurs, le plus adroit à tout convertir en mieux ; il se mêle à ceux des autres pour y verser la consolation et l’amour ; il est amoureux des âmes pour les guérir ; il s’y insinue pour y faire entrer cette « dévotion intérieure et cordiale, laquelle rend toutes les actions agréables, douces et faciles ». […] Voyons saint François de Sales tel qu’il était, et ne nous prenons pas, comme les enfants, au-dehors et au détail ; voyons-le dans sa force et dans son élan intérieur, démêlons le jet de la source à travers son imagination vive, abondante, et si riante qu’elle paraît d’abord enfantine ; car il a non seulement de l’Amyot dans sa parole, il a du Joinville du temps de saint Louis.
Aussi est-il juste de comparer, avec William James, le mécanisme de la pensée au phénomène électrique qu’on appelle l’aurore boréale, où l’équilibre entre l’électricité terrestre et celle des particules glacées de l’atmosphère est sans cesse rompu et rétabli, où les inductions électriques sont perpétuelles, de manière à produire des irradiations sur des points continuellement changeants : les rayons lumineux qui jaillissent successivement, l’un ici, l’autre là, sont associés entre eux comme le sont nos idées, c’est-à-dire qu’en réalité ils ne se produisent pas l’un l’autre, mais sont produits l’un après l’autre par une cause commune, la tension générale, et par les conditions particulières qui la font se décharger successivement ici et là ; chaque idée est comme une irradiation sur un point particulier, révélant à la fois la tension générale et la décharge particulière du magnétisme intérieur. […] Selon Spencer, cette rupture des associations primitives et cette sélection des ressemblances cachées se ferait simplement par la variation des circonstances extérieures, qui nous présentent les mêmes objets dans des groupes différents ; mais il est clair qu’il faut aussi considérer l’influence de ce milieu intérieur qui est la conscience même, sous les trois formes de l’intelligence, de la sensibilité, de la volonté. […] La conscience n’est donc ni si haut ni si bas que la placent ses admirateurs ou ses détracteurs : elle n’est pas une puissance indépendante du mécanisme naturel, mais elle n’est pas non plus un simple effet accidentel et superficiel de ce mécanisme ; elle est l’intérieur dont le mécanisme est l’extérieur.
Bien des gens n’apercevront pas, derrière cette insouciance des dehors, la dignité intérieure ; bien des gens ne sauront pas voir, dans les mystificateurs du café Momus, cette vivacité et cet imprévu de l’esprit qui feront plus tard l’originalité de l’œuvre de l’artiste. — Le chef de bureau décoré qui économise sur les robes de sa femme et l’éducation de ses enfants pour entretenir discrètement une drôlesse à un petit théâtre, le magistrat cravaté de blanc qui vit en concubinage réglé avec sa cuisinière, crieront au scandale ! […] J’aime l’intérieur allemand de Mozart et le ménage bourgeois de Corneille. […] Alors le contour de la phrase est ferme et bien arrêté ; nulle épithète vague qui flotte dans l’intérieur ou qui déborde au dehors.