Dans ce petit corps très bien taillé et très joli, ce n’était qu’esprit, grâce, saillie et sel pur ; la gaieté du masque couvrait bien du bon sens et des idées profondes. […] Vers l’an 1750, dit Voltaire, la nation rassasiée de vers, de tragédies, de comédies, d’opéras, de romans, d’histoires romanesques, de réflexions morales plus romanesques encore, et de disputes théologiques sur la grâce et sur les convulsions, se mit enfin à raisonner sur les blés. […] On ne peut se faire idée aujourd’hui du succès de ces Dialogues ; les femmes en raffolaient, elles croyaient comprendre ; elles étaient alors économistes, comme elles furent depuis pour l’électricité, comme elles avaient été précédemment pour la grâce, comme elles sont aujourd’hui quelque peu socialistes : toujours la mode du jour ou celle de demain. […] Il y faudrait peut-être graver, comme emblème, un Silène, une tête de Platon, un Polichinelle, et une Grâce.
Mais une fois jeté en prison (avril 1794), détenu au Luxembourg, La Harpe, avec cette âpre personnalité qu’on lui connaît, s’étonna plus qu’un autre d’avoir été atteint ; l’idée de la mort lui apparut, son imagination lui fit tableau ; il fut en proie à un grand tumulte, et, dans ce bouleversement de tout son être, il sentit une révolution s’opérer en lui : il eut le coup de foudre, ce qu’on appelle le coup de la grâce, qui le renversa et le retourna. […] J’ai sous les yeux une lettre écrite par lui à Mme Récamier, qui, avec sa bonne grâce de tous les temps, avait essayé de se porter médiatrice : Vous savez mieux que personne, lui écrivait La Harpe, combien, dans cette malheureuse affaire, mes intentions étaient pures, quoique ma conduite n’ait pas été prudente. […] Tout bien considéré, et après avoir beaucoup cherché, il m’a semblé que ce que La Harpe a écrit de plus fait pour trouver grâce aujourd’hui devant tous est cette Prophétie de Cazotte, quelques pages restées dans ses papiers et qu’on en a données après sa mortf. […] Le dernier supplicié qui en aura un par grâce, sera… » Il s’arrêta un moment : — « Eh bien !
C’est sans doute que leur obscurité fait leur grâce et leur force ; ils disent ce que l’écrivain ne sait pas dire, quoi qu’il sente ; ils font croire à celui qui en est ému que celui qui les profère abrège par un signe connu la longue litanie de ses émotions, tandis que celui qui les écrit revêt placidement son impuissance d’une forme dont il connaît, pour l’avoir éprouvée, la vertu communicative et tyrannique. […] Il faut très longtemps pour que L’oeuvre ainsi tuée par une sorte d’envoûtement renaisse à la vie littéraire ; il faut que toute la littérature intermédiaire et imitatrice disparaisse dans l’oubli ; alors l’œuvre primitive, lavée et réhabilitée, s’offre à nouveau dans sa grâce première. […] Sans doute, mais Télémaque eut cependant une grâce qu’il eût conservée si les imitateurs avaient été moins empressés à effacer sous leurs grossières caresses le velouté du fruit. […] Ensuite, de même que certaines fleurs qui se veulent seules pour briller, elles pâlissent et se rident, dès qu’elles sont deux ou trois — dissemblables des Grâces.
Grâce au moins pour elles ! […] « Non, pas de grâce, jamais, jamais ! […] … Grâces soient rendues à ces amateurs éclairés… Laissez-moi donc tranquille, riposte M. […] Partout une grâce facile. […] Une grâce imposante et douce.
… J’y ai cherché vainement une phrase qui eût de la grâce, de la grâce, ce dernier développement de la force qui lève sa massue avec légèreté !
Il a de la grâce comme nous en avons en France, quand nous en avons, C’est dans un verre mousseline qu’il boit la neige rose de ses glaciers maternels, dorés par l’Aurore, et si quelque chose se mêle à ces primitives et simples saveurs, c’est une goutte, une innocente goutte de vin du Rhin, une influence de ce père des choses rêveuses et naïves ; car Topffer est aussi Allemand que Français. […] Malgré les grâces de sa diction, malgré ce qui chante dans cet humouriste en gaieté, dans ce pèlerin du matin ou de la vesprée, après avoir parcouru avec lui les sites qu’en passant il enlève à la pointe de son crayon, on est toujours tenté de dire le mot froid et terrible : « Eh bien, après ?
» Ni M. de Coislin, ni ce fameux capitaine de vaisseau qui mourut d’une révérence en reculant, pour son troisième salut, sur un pont trop étroit, et qui tomba à la mer, n’eurent de leur temps des grâces plus onctueuses, et ne s’escrimèrent en révérences plus circonflexes et plus respectueuses que celles de Véron à l’assemblée dont il entend bien ne pas cesser de faire partie… Seulement, les questions qu’il soulève seront-elles aussi agréables au Corps législatif que les révérences qu’il lui fait ? […] Il est des gens qui remuent toujours, qui ne savent pas se tenir tranquilles, qui gâtent, en se mêlant d’agir, toutes les bonnes grâces de la fortune, amoureuse parfois des endormis !
Je connaissais le Monselet de la gaieté, de la bonne humeur, de la grâce nonchalante, la pierre à feu qu’on peut battre éternellement du briquet pour en tirer d’infatigables étincelles ; je connaissais l’historien de Grimod de la Reynière, — qui est mort sans l’avoir eu à souper, le malheureux ! […] Il a dit encore, dans ce recueil, avec une modestie pleine de grâce, qu’il n’avait pas de lyre, mais une lyrette… Et qu’importe, d’ailleurs, lyre ou lyrette, si nous sommes touchés !
Était-ce là ce chantre célèbre des Muses et des Grâces chez le peuple le plus ingénieux de la terre, cet Athénien de l’île de Téos, attiré avec de si grands honneurs à la cour du tyran de Samos et de Pisistrate, usurpateur d’Athènes ? […] Mais il se conserve encore de lui le début d’un hymne à Diane, moins gracieux que les vers d’Euripide, mais d’un ton chaste et noble : « Je suis à tes genoux, puissante chasseresse, blonde fille de Jupiter, Artémis, reine des hôtes sauvages des forêts, soit que maintenant, près des flots tourbillonnants du Léthé, tu regardes avec joie la ville habitée par des hommes aux cœurs courageux ; car tu n’es pas la bergère d’un peuple féroce, soit que… » Le goût peut se plaire à recueillir ces moulures tombées des fresques antiques du véritable Anacréon, et à les comparer aux ornements et aux grâces du recueil moderne.
Les deux autres ont le mérite de l’élégance, de la douceur, de l’harmonie et de la grâce, et c’est quelque chose que cela. […] Son Britannicus tomba ; sa Phèdre fut abandonnée ; son Athalie fut conspuée ; son humanité, son amour pour le peuple lui fit perdre les bonnes grâces du roi. […] Il fallait que le janséniste Arnaud fût bien rebelle à la grâce, pour n’être pas touché de celle qui hait les femmes. […] Grâce au ciel, sa conscience est tranquille ; il n’a rien à faire qu’à s’admirer : tous ses critiques ne sont que des envieux et des méchants. […] Il nous fait rire aux dépens de la sotte vanité d’une mère qui sèche de dépit de voir à ses côtés une jeune fille dont le voisinage lui donne des années et lui ôte des grâces.
Quand, dans le moyen âge de Rome papale, la belle et infortunée Cinci devint complice de la mort d’un tyran féodal, féroce et incestueux, qui était son père, et quand la juste inflexibilité du pape refusa la grâce d’une coupable, grâce que toute l’Italie demandait à cause de la fatalité, de l’innocence et de la beauté de la victime, un peintre illustre saisit son pinceau et retraça, pendant qu’elle marchait à l’échafaud, la figure angélique et la pâleur livide de la Cinci ; ce portrait rendit à la condamnée une vie immortelle. […] Quel peintre, même madame Lebrun, a porté plus de grâce et plus d’attendrissement sur cette figure ? […] La dignité naturelle de son port n’enlevait rien à la grâce de ses mouvements ; son cou, bien détaché des épaules, avait ces magnifiques inflexions qui donnent tant d’expression aux attitudes. […] La facilité, cette grâce du génie, assouplissait tout en lui, talent, caractère, attitude.
Il se détachait de lui-même et de son temps, s’éprenait tout naïvement des grâces de la vie primitive chez une belle race, se faisait une âme grecque ou plutôt, mystérieux atavisme, retrouvait cette âme en lui. […] Relisez-le, de grâce, et vous verrez si l’âme triste, généreuse et insoumise du XIXe siècle n’y est pas tout entière. […] Tandis qu’il songe le monde, tandis qu’il nous ravit par la grâce des mille vierges qui se baignent à ses pieds parmi les lotus et qu’il nous épouvante par le grincement des dents du géant pourpre qui à sa gauche broie et dévore l’univers ; tandis que sa seule inertie est la source de l’Être, qu’il s’incarne dans les héros, que les sages rentrent dans son sein par l’inaction lui se demande tranquillement s’il ne serait pas le Néant. […] Par la parole ou par les contours ils ont traduit les énergies de la Nature et celles du corps et de l’âme sous une forme qui les glorifie sans les altérer, où la plénitude et la spontanéité de l’impression produisent la grâce, qui est la marque de ces divins artistes. […] La Nature a chez nous l’ondoiement et la grâce, quelque chose qui rit, qui flotte et se renouvelle.
Les livres de Mme de Staël, virils par l’ambition des sujets et par les mots, ne sont pas toujours d’une femme par la grâce de l’imagination, le naturel, la finesse, le bonheur des choses trouvées. […] On ne connaîtrait ni toute la hauteur, ni certaines grâces exquises de l’art des vers au dix-neuvième siècle, si l’on n’avait pas lu Moïse, Éloa, et surtout la Colère de Samson, où, dans un cadre plus restreint, les beautés pressées laissent à peine voir quelques légères taches voulues ou non évitées. […] Nous avons vu l’histoire sous d’autres formes également goûtées, tantôt comme une ingénieuse et facile reproduction des chroniques140, tantôt comme une discussion approfondie et sévère des témoignages, où le récit n’est qu’un exposé lumineux des preuves ; tantôt avec les grâces d’un poème et les infidélités d’un roman141. […] Si son objet est élevé, si elle ne fait tort ni à l’esprit humain, qu’elle étudie dans son imposante unité, ni au génie de la France, qu’elle veut montrer toujours semblable à lui-même, ni à notre langue, qu’elle défend contre les caprices de la mode, il faut avouer qu’elle se prive des grâces que donnent aux trois premières sortes de critique la diversité, la liberté, l’histoire mêlée aux lettres, la beauté des tableaux, la vie des portraits, les rapprochements de la littérature comparée. […] Des aventures touchantes, les mœurs de la vie des champs, des paysages frais dans quelque coin de notre belle France, des villageois auxquels l’écrivain prête sa langue élégante, non comme Fontenelle a prêté la sienne à ses bergers, pour leur faire parler le beau langage de la ville, mais pour les aider à mieux rendre leurs sentiments ; le style des Confessions, avec plus d’aisance et de grâce ; le pinceau de Bernardin de Saint-Pierre retrouvé, ont rendu certaines pastorales aussi populaires que Paul et Virginie ; et de même que Paul et Virginie a plus fait pour la gloire de Bernardin de Saint-Pierre que ses Études et ses Harmonies, ainsi ces pastorales seront plus comptées à leur illustre auteur que les plus ingénieuses de ses utopies sociales.
Dédaignant les grâces feintes et la futile ironie, il ne se souciait pas de plaire à ceux qui lui déplaisaient. […] Taine est classique, les professeurs la lisent et la commentent, les élèves, non seulement en France, mais en Angleterre, en Italie, en Allemagne, l’étudient ; les mondains même la feuillettent, les jeunes gens l’admirent ; il y a toute une école historique qui suit sa méthode ; Nietzsche ne cache point l’influence que Taine a eue sur lui, et c’est l’un de ses rares contemporains auxquels il fasse grâce ; enfin deux romanciers bien différents, mais dont l’action opposée fut presque aussi forte sur les lecteurs cosmopolites, M. […] Il voulait protester contre des événements et une existence si misérables, et il réclamait le secours de la Grâce pour bien mourir. […] Par exemple, quand vous lisez La Fontaine, lecteur bénévole, vous vous plaisez à voir vivre devant vous cette nature et cette humanité peintes avec tant de franchise et de grâce, vous regardez les hommes, les animaux, les paysages, vous sentez les allusions quand il y en a, et vous ne les cherchez pas, quand il n’y en a point. […] La grâce de l’esprit léger, ce sourire léger et adorable qui illumine jusqu’au dictionnaire de Bayle, le pesant magister les avait proscrits de notre littérature.
Et comme il peint cette princesse, Riche de grâce et de jeunesse, Tout à coup arrêtée au sein du plus beau sort, Et des sommets riants d’une gloire croissante, Et d’une santé florissante, Tombant dans les bras de la mort ! […] Puisque vos cœurs sont attendris, et qu’une ardente charité en a fondu la glace et amolli la dureté, allons donc tous ensemble nous jeter aux pieds de l’Empereur : ou plutôt prions le Dieu de miséricorde de l’adoucir, en sorte qu’il nous accorde la grâce entière. » Ce discours eut son effet, et saint Chrysostome sauva la vie à Eutrope. […] Je suis demeurée ferme parmi ces orages et ces tempêtes ; et, me confiant surtout en la grâce de Dieu, je me suis résolue de souffrir tous ces troubles que le veuvage apporte avec soi. […] Pour tout cela je ne vous demande qu’une grâce : ne me rendez pas veuve une seconde fois. […] Grâce à lui, le blasphème, et piquant et frivole, Circulait embelli des traits de la gaîté ; Au bon sens il ôta sa vieille autorité, Repoussa l’examen, fit rougir du scrupule, Et mit au premier rang le titre d’incrédule.
Mais au dénouement, quand le bandit redevenu grand seigneur a dépouillé ses guenilles de salteador, Delaunay, rentré dans son milieu de grâce et d’élégance, joue admirablement la scène d’amour et d’agonie. […] La préface, un chef-d’œuvre de grâce, de finesse et d’ironie, abonde en idées nouvelles alors qui le sont encore aujourd’hui. […] Il était moelleux, velouté, câlin comme un de ces tigres dont il excelle à rendre la grâce souple et formidable, et, dans les salons, tout le monde disait : « Quel dommage qu’un homme si charmant fasse de semblable peinture ! […] Renaud dans les jardins d’Armide, les Noces de Gamache et les peintures faites pour la salle à manger de Froment-Meurice, étaient pourtant des merveilles de grâce et de couleur. […] la chanson d’une grâce si plaintive : Heureux les matelots !
Cela grince autant que cela chante : il y a là-dedans non seulement de la grâce, mais la moquerie même de cette grâce. […] Quoiqu’il les représente avec grâce et pénétration, elles ne constituent pas son auditoire : on ne se représente pas M. […] Bataille, il a dès longtemps renoncé à cette grâce divine, mais modeste. […] Un esprit superficiel l’enjolive de ses grâces papillotantes. […] Grâce à elle, on voit clair : on définit.
À mon avis, la série des pensées qui se succèdent dans cette pièce est pleine de grâce et de naturel. […] Grâce à la souplesse du genre, le roman s’adresse en effet à toutes les classes de la société. […] Sandeau plusieurs chapitres pleins de grâce et d’élégance. […] J’ai omis, pour laisser au récit toute sa simplicité, plusieurs épisodes pleins de fraîcheur et de grâce. […] Il est impossible de réunir plus de grâce et de finesse, plus de malice et de pureté ; elle mérite vraiment son nom.
Il est surtout un passage de son récit qui m’a paru charmant au milieu de sa recherche, et bien touchant d’invocation à travers sa grâce un peu affectée ; je vais le traduire aussi fidèlement que possible : on y verra un contraste parfait avec la manière et le ton de Villehardouin ; ce sont les deux civilisations et les deux littératures en présence. […] Ils n’estiment rien que la vaillance, dit toujours Nicétas des Français d’alors et de ceux qu’il appelle Barbares, mais c’est la vaillance séparée des autres vertus ; ils la revendiquent pour eux comme infuse par nature et corroborée par un long usage, et ne souffrent qu’aucune autre nation puisse se comparer à eux en ces choses de guerre ; d’ailleurs étrangers aux Muses et n’ayant aucun commerce avec les Grâces, ils sont d’un naturel farouche, et ont la colère plus prompte que la parole. […] On était trop prompt, au xiiie siècle et depuis, à tout refuser en fait de Muses et de Grâces à ceux qui étaient nés par-delà certaines rivières et certains monts : « Ne me parlez point, écrivait à l’un de ses amis de Paris Paul-Louis Courier devenu Grec et Romain en 1812, ne me parlez point de vos environs ; voulez-vous comparer Albano et Gonesse, Tivoli et Saint-Ouen ?
Mme de Sévigné, je l’ai dit plus d’une fois, semble s’être dédoublée dans ses deux enfants ; le chevalier léger, étourdi, ayant la grâce, et Mme de Grignan, intelligente, mais un peu froide, ayant pris pour elle la raison. Leur mère avait tout ; on ne lui conteste pas la grâce, mais à ceux qui voudraient lui refuser le sérieux et la raison, il n’est pas mal d’avoir à montrer Mme de Grignan, c’est-à-dire la raison toute seule sur le grand pied et dans toute sa pompe. […] Vauvenargues, voulant exprimer le charme qu’a pour le talent un premier succès et un début heureux dans la jeunesse, a dit avec bien de la grâce : « Les feux de l’aurore ne sont pas si doux que les premiers regards de la gloire. » De même pour le critique qui étudie un talent, il n’est rien de tel que de le surprendre dans son premier feu, dans son premier jet, de le respirer à son heure matinale, dans sa fleur d’âme et de jeunesse.
Térence, grâce en partie au naufrage qui a emporté tant d’antiques trésors, est un des cinq ou six poëtes anciens qui, sauvés comme par miracle, nous donnent l’idée immortelle d’une certaine perfection. […] Il me rappelle à quelques égards cet Hamiiton qui, sans être Français, a été un modèle de la grâce et de la raillerie française dans ses Mémoires de Grammont. […] » — Pour le bien expliquer, il faut, dit le père, reprendre les choses dès l’origine. » Et ici commence tout un récit fort admiré des Anciens, proposé comme un modèle de narration aux orateurs eux-mêmes par Cicéron, qui y fait remarquer le développement approprié, le mouvement dramatique, le parfait naturel des personnages introduits et des paroles qu’on leur prête, et, par instants, mais par instants seulement, la brièveté excellente, qui à toute cette abondance persuasive ajoute une grâce.