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1089. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « M. Fiévée. Correspondance et relations avec Bonaparte. (3 vol. in-8º. — 1837.) » pp. 217-237

Né à Paris le 10 avril39 1767, fils d’un riche restaurateur qui tenait de plus un somptueux hôtel garni, et d’une mère fort belle, le septième de seize enfants, il put voir, dès son enfance, l’ancien grand monde de fort près, et il s’accoutuma à l’observer d’autant mieux qu’il était à la fois tout à côté et en dehors : il le voyait passer devant lui. […] Fiévée nie que ce soit là une exacte conséquence : « Il serait fort extraordinaire, dit-il, que quatorze siècles de monarchie ne puissent plus servir en France qu’à faire opposition même au gouvernement d’un seul. » Il montre qu’entre ce retour aux vrais principes de gouvernement et un retour à l’Ancien Régime, il y a toujours un énorme obstacle qui s’interpose, à savoir la masse d’intérêts créés par la Révolution. […] Cet écrivain tombera à mesure que les choses sérieuses reprendront de l’ascendant et autant que la société se trouvera bien gouvernée ; mais toutes les fois qu’elle entrera en opposition contre le gouvernement, quel qu’il soit, Voltaire retrouvera tout son crédit, parce qu’il est fort amusant à lire pour ceux qui sont mécontents. […] Sans doute plus d’une des causes secrètes qui le firent agir alors et varier, lui qui se pique toujours si fort d’indépendance et de paresse, nous échappe aujourd’hui : tenons-nous à l’ensemble des idées.

1090. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Monsieur Michaud, de l’Académie française. » pp. 20-40

Michaud aimait fort à causer avec ceux du parti royaliste qui avaient du mouvement et de l’indépendance. […] Michaud, et qu’il soutint fort dignement. […] À force même de regarder de son coin et d’observer, il trouvait des mots politiques assez forts et assez pénétrants. […] Il fut répondu à cet article par une lettre fort mesurée d’un ami de M.  […] Sa poésie, qui n’était pas assez forte pour se produire toute seule, s’était comme répandue sur son esprit. »

1091. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Franklin. — I. » pp. 127-148

Benjamin, dans son humble sphère première, tenait donc d’une forte et saine race ; il en fut le rejeton émancipé, et il la perfectionna en lui. […] Dès le premier regard qu’il porta autour de lui sur ces congrégations plus ou moins émanées de Calvin, Franklin ne put en accepter les dogmes antinaturels et écrasants ; il fut esprit fort et déiste, et d’abord il le fut avec ce premier feu et ce besoin de prosélytisme qu’a aisément la jeunesse. […] Franklin, qui n’a, du reste, à se reprocher que des fautes assez légères, s’accuse moins fort et ne se vante pas du tout. […] Cet ouvrage, tiré à un petit nombre d’exemplaires, le met en relation avec quelques esprits forts. […] Ç’a été de voir que, dans le temps où il était décidément esprit fort, il a manqué à la fidélité d’un dépôt, et que deux ou trois autres libres penseurs de sa connaissance se sont permis des torts d’argent ou de droiture à son égard : « Je commençai à soupçonner, dit-il, que cette doctrine, bien qu’elle pût être vraie, n’était pas très profitable. » Il revient donc à la religion elle-même par l’utilité.

1092. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre IV : La philosophie — II. L’histoire de la philosophie au xixe  siècle — Chapitre II : Rapports de l’histoire de la philosophie avec la philosophie même »

Cette explication est démentie en outre par la plus forte de toutes les raisons, par l’expérience, car on ne voit pas qu’il y ait une liaison nécessaire entre les doctrines et les mœurs, et l’on a vu trop souvent en philosophie de graves erreurs soutenues par des hommes d’une conduite irréprochable. […] C’est là un des dangers les plus manifestes des époques très-éclairées, qui connaissent trop le fort et le faible de toutes les thèses, le pour et le contre de toutes les questions. […] Même dans le désir si louable de me conserver de fortes croyances, je ne dois pas imputer une erreur à mes semblables, si ce n’est point une erreur, ni même me fermer les yeux sur la part de vérité que cette erreur peut contenir. […] Souvent aussi la réalité est plus forte que le système et s’y fait sa place. […] Cette manière d’envisager la philosophie peut paraître assez peu satisfaisante, et j’avoue qu’elle me laisse moi-même fort peu satisfait ; qu’y faire cependant ?

1093. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « X. Ernest Renan »

Renan, l’humanité a le sentiment religieux ou le sentiment du surnaturel, plus fort ici que là, dans certaines races que dans certaines autres, mais elle l’a incontestablement. […] En ces Études d’histoire religieuse, la négation dans le détail n’est ni plus imposante ni plus forte que l’affirmation dans les points de départ et les conclusions, de sorte que le livre, qui contient ces travaux construits avec tant de petites notions si laborieusement accumulées et qui se maintient avec tant de peine, entre toutes les opinions, dans un équilibre favorable à son influence, croule, pour peu qu’on le touche d’une main ferme, de tous les côtés à la fois ! […] En vain le récite-t-on fort bas, ce symbole, on l’entend. […] Ces simples et fortes notions, que le dix-huitième siècle avait troublées, furent reprises au commencement du dix-neuvième, et posées comme bases d’un système auquel le génie de M. de Bonald donna de sa propre solidité. […] Dans le mal, on a vu plus fort, soit comme action, soit comme intelligence ; nous avons eu Vergès et Stendhal, et il ne viendra qu’après eux.

1094. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre III. “ Fantômes de vivants ” et “ recherche psychique ” »

Et ce fait, j’en garantis l’authenticité, car il m’a été raconté par une dame fort intelligente, dont la parole m’inspire une confiance absolue. […] La supputation des probabilités, à laquelle on fait appel, nous montrerait que c’est impossible, parce qu’une scène où des personnes déterminées prennent des attitudes déterminées est chose unique en son genre, parce que les lignes d’un visage humain sont déjà uniques en leur genre, et que par conséquent chaque personnage — à plus forte raison la scène qui les réunit — est décomposable en une infinité d’éléments indépendants pour nous les uns des autres : de sorte qu’il faudrait un nombre de coïncidences infini pour que le hasard fît de la scène de fantaisie la reproduction d’une scène réelle 7 : en d’autres termes, il est mathématiquement impossible qu’un tableau sorti de l’imagination du peintre dessine, tel qu’il a eu lieu, un incident de la bataille. […] Aussi une modification cérébrale légère, une intoxication passagère par l’alcool ou l’opium par exemple — à plus forte raison une de ces intoxications durables par lesquelles s’explique sans doute le plus souvent l’aliénation — peuvent-elles entraîner une perturbation complète de la vie mentale. […] Si cette inter-communication existe, la nature aura pris ses précautions pour la rendre inoffensive, et il est vraisemblable que certaine mécanismes sont spécialement chargés de rejeter dans l’inconscient les images ainsi introduites, car elles seraient fort gênantes dans la vie de tous les jours. […] L’humanité s’est passée d’elles pendant fort longtemps ; et elles n’auraient peut-être jamais paru dans le monde s’il ne s’était rencontré jadis, en un coin de la Grèce, un petit peuple auquel l’à-peu-près ne suffisait pas, et qui inventa la précision 8.

1095. (1857) Causeries du samedi. Deuxième série des Causeries littéraires pp. 1-402

On est soi, et, comme on est fort, on se suffit ; et, comme on a du génie, on ne croit plus qu’à soi-même. […] Au commencement, Voltaire est très froid ; il paraît fort effrayé de la responsabilité de l’entreprise. […] « Je crains fort que ces vers ne soient de vous, écrit M.  […] Cousin, a été, pour nous servir d’un mot fort prodigué, une époque transitoire. […] La reine, interrogée séparément, après avoir tout nié d’abord, finit par faire des aveux fort graves, mais incomplets.

1096. (1875) Premiers lundis. Tome III « Du point de départ et des origines de la langue et de la littérature française »

— pour quelques qualités fortes et généreuses, pour la fraîcheur du souffle ou la franchise de la sève, seront des œuvres du XIIe siècle ou des premières années du XIIe, Villehardouin pour l’histoire, la Chanson de Roland ou telle autre chanson de Geste pour la poésie. […] Villon, Marot, à plus forte raison Ronsard, étaient, de fait, plus éloignés que nous du moyen âge, dans ce sens qu’ils y étaient plus étrangers. […] Je n’imagine pas que, hormis la théologie polémique, il y ait rien d’aussi rebutant que cette étude : il est heureux que quelques gens veuillent s’y adonner, et je loue fort les Du Cange et Muratori qui, se dévouant comme Curtius, se sont précipités dans ce gouffre ; mais je serais peu curieux de les imiter22. […] Que si, pour limiter la question au sujet qui surtout nous intéresse, on veut que les langues d’oc et d’oïl se soient fort rapprochées à l’origine et aient moins différé alors que dans la suite, ce n’a pu être qu’à la manière de deux sources qui, sortant d’un même marais (le latin corrompu), étaient naturellement plus voisines, au moment où elles en sortaient, que lorsqu’elleseurent parcouru un long chemin, chacune dans sa direction propre. […] Prenez-le pour ce qu’il vaut, c’est-à-dire pour fort peu de chose, mais attachez-y, je vous prie, le souvenir de mes sentiments bien dévoués. » « E.

1097. (1859) Cours familier de littérature. VII « XLIIe entretien. Vie et œuvres du comte de Maistre » pp. 393-472

Sa taille était forte sans embonpoint. […] La tête, quoique naturellement forte, paraissait ainsi plus grosse encore que nature ; son front large et haut sortait plus ample de ce nuage de frisure et de poudre. […] Il faut savoir ce que décidera le temps, que j’appelle le premier ministre de la Divinité au département des souverainetés ; mais, en attendant, Monsieur le Chevalier, nous ne sommes pas plus forts que Dieu. […] Le métier n’allait pas à une tête si forte et si active. […] Il est présenté dans une maison où je suis fort lié, M. de Laval, Français résidant à Pétersbourg et chambellan de l’empereur Alexandre.

1098. (1922) Enquête : Le XIXe siècle est-il un grand siècle ? (Les Marges)

Mais suprême intelligence, Montfort, vous allez fort ! […] Leur action reste fort limitée, et leur écho ne saurait être qu’éphémère : d’ailleurs, leur manque de mesure diminue singulièrement leur portée. […] En toute époque qui n’est pas barbarie pure, avec l’appui de conditions favorables ou en dépit de conditions défavorables, quelques riches et fortes individualités réussissent à s’exprimer. […] Fort peu. […] C’est très drôle, évidemment, et cela ressemble à ces plaisanteries un peu fortes que des parlementaires débraillés se débitent à la buvette de la Chambre.

1099. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « VIII »

, 1885, 289, et 1886, 73) ; cela est fort probable, mais je n’oserais l’affirmer, n’en ayant eu aucune preuve positive en mains. […] Mais arrivé au troisième acte, l’obsession devait nécessairement le reprendre, et de plus fort. […] Wagner nous expose, volume IX, 359-565, qu’il était fort embarrassé pour savoir comment nommer les œuvres de sa maturitébf. […] Déjà la première scène, entre Isolde et Brangaene, est fort intéressante à examiner. […] Tristan et Isolde chantent fort souvent des paroles différentes, en même temps ; c’est la règle.

1100. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre IX : Insuffisance des documents géologiques »

Les vagues ne les rongent que lorsqu’elles sont chargées de sables et de graviers ; car on a de fortes preuves que l’eau seule est impuissante à user ou à dégrader les roches. […] Ces changements sont donc encore une forte preuve des longs intervalles de temps qui se sont écoulés entre chacune des formations superposées dans un même lieu. […] Lorsqu’on regarde de ce point de vue les objections que nous venons d’examiner, ne semblent-elles pas moins fortes, si même elles ne disparaissent complétement ? […] Or, il est constaté que fort souvent l’affaissement d’une côte est en réalité une augmentation d’inclinaison du sol qui a pour contre-partie un mouvement ascensionnel de ce même continent en quelque autre point. […] Il faut dire, de plus, que ces dépôts de sédiments précipités devant avoir fort à peu près la même composition minéralogique que beaucoup des roches métamorphiques qu’ils ont recouvertes, puisqu’ils ont été tenus en suspension dans les mêmes mers et formés par les mêmes moyens, quoique un peu plus récemment, peut-être, il serait fort difficile de les distinguer de ces mêmes roches, avec lesquelles ils doivent partout se retrouver en contact immédiat.

1101. (1916) Les idées et les hommes. Troisième série pp. 1-315

Elle sera plus forte que les hasards. […] Goschen trouva le chancelier fort agité. […] Mais ils sont forts. […] L’Allemagne s’en montra fort satisfaite. […] Elle a poussé, dans plusieurs directions, de fortes ramures.

1102. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre quatrième »

Ses sœurs, qui étaient fort pieuses, suivaient avec le plus tendre intérêt ses progrès dans cette nouvelle voie. […] Car qui peut estimer sa raison plus forte que celle dont Pascal a fait le sacrifice à la foi ? […] L’un d’eux, le père Noël, le fit prier de ne s’en point donner la fatigue, à cause de sa santé, qui était fort mauvaise ; un entretien, disait-il, dissiperait les difficultés qui les séparaient. […] Tantôt il joue si bien l’étonné, que le père, prenant ses exclamations pour des cris d’adhésion involontaire, s’empresse de compléter la révélation qui l’a si fort ému. Tantôt il feint l’indignation, pour rendre plus fortes les apologies du père ; tantôt il loue, comme sagesse, l’odieuse complaisance de certaines maximes, pour exciter le père à en citer d’autres qui vont encore plus loin.

1103. (1870) La science et la conscience « Chapitre I : La physiologie »

Chapitre I : La physiologie Il n’est pas nécessaire d’être fort au courant des questions philosophiques du temps pour savoir qu’il n’y a point entente entre la science et la métaphysique. […] C’est encore là, nous le reconnaissons, une méthode excellente d’éducation, bien que fort incomplète. […] Littré n’a rien dit de plus fort contre le libre arbitre. […] Cependant la confusion absolue serait quelque chose de si fort qu’on hésite à leur attribuer une thèse aussi étrange. […] Quelle est leur véritable thèse sous les mots forts équivoques de leur vocabulaire ?

1104. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Duclos. — III. (Fin.) » pp. 246-261

Dans son genre et dans le cercle qu’il s’est tracé, il a de bonnes et utiles remarques de détail, et il justifie pleinement, quand il écrit, l’axiome de son temps qu’il professe avec Condillacj : « En s’appliquant à parler avec précision, on s’habitue à penser avec justesse. » Ses conversations étaient d’une tout autre nature et échappaient à cette loi ; bien qu’il y parlât fort net, je ne sais s’il en pensait toujours plus justement. […] Là-dessus, il se mit à entamer une série d’histoires plus fortes et plus incroyables les unes que les autres, si bien que la comtesse de Rochefort l’arrêta en souriant : « Prenez garde, Duclos ! […] En revenant en France, la douleur dans l’âme, il écrivait à l’un de ses amis : « Croiriez-vous, ce qui est fort en pensant à une personne centenaire, que l’espoir de la revoir, après l’erreur où j’ai été, ne s’efface que successivement de mon esprit ? » Duclos, fort et robuste comme il était, mourut avant le temps, le 26 mars 1772, à l’âge de soixante-huit ans.

1105. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Appendice » pp. 453-463

Quand ce sont les académies qui encouragent, c’est une sorte de protection encore, protection fort adoucie et ornée, assez imposante toujours, et qui peut même intimider quelquefois le talent par l’idée qu’on attache à des conventions de rigueur ou à des doctrines régnantes. […] Il y a, à cet endroit, de fort belles strophes, et qui expriment énergiquement la protestation de l’antique frugalité à la vue des poursuivants modernes de la richesse et des adorateurs du veau d’or ; j’en veux citer une seule, qui a bien du souffle et de la verdeur : Généreuse aristocratie Des grands cœurs sur terre envoyés, Ô Caton, ô La Boëtie, Fiers de vos indigents foyers ! […] Les juges étaient fort dissemblables et venus d’écoles ou, si l’on veut, de camps très différents. […] Je ne veux pas dire que ce premier jugement soit toujours mauvais et faux, mais il est hasardeux, et il court risque fort souvent de ressembler à de la prévention.

1106. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) «  Œuvres et correspondance inédites de M. de Tocqueville — II » pp. 107-121

Molé, alors président du Conseil des ministres, qui aimait et estimait fort M. de Tocqueville, le porta ou avait dessein de le porter comme candidat du gouvernement ; dès que M. de Tocqueville le sut, il s’empressa de repousser toute attache officielle, revendiquant non pas le droit d’attaquer le pouvoir, mais celui de ne l’appuyer que librement, dans la mesure de ses convictions. […] Molé provoqua une fort belle réponse de cet homme d’État ; je la citerai ici tout entière, parce qu’en y faisant la part d’une certaine vivacité qui tenait aux circonstances et aussi à la délicatesse chatouilleuse des deux personnes, on y trouve une leçon gravement donnée, et d’un ton fort digne ; il y respire un sentiment fort élevé de la puissance publique que M. 

1107. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Entretiens sur l’histoire, par M. J. Zeller. Et, à ce propos, du discours sur l’histoire universelle. (suite.) »

Tous ces miracles tiennent plus de la bonté que de la puissance, et ne surprennent pas tant les spectateurs qu’ils les touchent dans le fond du cœur. » Quant à la doctrine, il la montre également humaine, appropriée, et tempérant la hauteur par la condescendance : « C’est du lait pour les enfants et tout ensemble du pain pour les forts. […] Bossuet apprécie dignement cette juste et forte proportion que portait en tout cette Grèce heureuse ; il loue chez elle la passion de la liberté et de la patrie comme s’il n’était pas l’auteur de la Politique sacrée. […] A l’entendre nous développer le secret de ce peuple-roi dans sa discipline, dans son ordre et sa tactique, dans son courage exempt du faux point d’honneur, comparer ensemble la phalange macédonienne et la légion romaine, puis pénétrer dans les conseils de son Sénat, dans cette conduite si forte au dehors, si ferme au dedans, Bossuet se montre historien philosophe, comme auparavant il était historien prophète. […] Ce qui les forme, ce qui les achève, ce sont des sentiments forts et de nobles impressions qui se répandent dans tous les esprits et passent insensiblement de l’un à l’autre… Durant les bons temps de Rome, l’enfance même était exercée par les travaux ; on n’y entendait parler d’autre chose que de la grandeur du nom romain… Quand on a commencé à prendre ce train, les grands hommes se font les uns les autres ; et si Rome en a porté plus qu’aucune autre ville qui eût été avant elle, ce n’a point été par hasard ; mais c’est que l’État romain constitué de la manière que nous avons vue était, pour ainsi parler, du tempérament qui devait être le plus fécond en héros. » La guerre d’Annibal est très-bien touchée par Bossuet ; et quand il a bien saisi et rendu le génie de la nation, la conduite principale qu’elle tint les jours de crise, et le caractère de sa politique, il ne suit pas l’historique jusqu’au bout, comme l’a fait et l’a dû faire Montesquieu.

1108. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Mémoires de madame de Staal-Delaunay publiés par M. Barrière »

Il suit aussi de cette forte avance qu’elle avait trente-cinq ans lors de ses amours à la Bastille avec le chevalier de Ménil, et qu’elle ne se maria enfin avec le baron de Staal que dans sa cinquante et unième année. […] Lemontey a cherché grande malice dans quelques mots d’elle sur l’abbé de Chaulieu, lorsqu’elle le va voir en sortant de la Bastille, et qu’elle le trouve si différent de ce qu’il était par le passé : « Il étoit déjà fort mal, dit-elle, de la maladie dont il mourut trois semaines après. […] La seule ressource que j’imagine seroit une occupation forte et satisfaisante par la dignité de l’objet : l’amour n’en a point de telles. […] Les premières séances comme femme de chambre à la toilette de la duchesse du Maine sont aussi fort plaisantes.

1109. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre I. Littérature héroïque et chevaleresque — Chapitre IV. Poésie lyrique »

Cet homme de Schopenhauer, « qui n’aurait été conduit ni par son expérience personnelle, ni par des réflexions suffisamment profondes, jusqu’à reconnaître que la perpétuité des souffrances est l’essence même de la vie ; qui au contraire se plairait à vivre, qui dans la vie trouverait tout à souhait ; qui de sens rassis consentirait à voir durer sa vie telle qu’il l’a vue se dérouler, sans terme, on à la voir se répéter toujours ; un homme chez qui le goût de la vie serait assez fort pour lui faire trouver le marché bon, d’en payer les jouissances au prix de tant de fatigues et de peines dont elle est inséparable », cet homme-là ne se répandrait guère en chants lyriques ; et cet homme-là, c’est nous. […] Peu de chose peut-être, car il ne paraît pas qu’on les ait fort estimés : on ne songea même pas à les recueillir. […] À la fin du xie  siècle se forma l’art des troubadours70 : art subtil et savant, plus charmant que fort, plus personnel et plus passionné au début, plus large aussi et embrassant dans la variété de ses genres la diversité des objets de l’activité et des passions humaines, puis de plus en plus restreint au culte de la femme, à l’expression de l’amour, et dans l’amour de plus en plus affranchi des particularités du tempérament individuel, soustrait aux violences de la passion, aux inégalités du cœur, de plus en plus soumis à l’intelligence fine et raisonneuse, et encadrant dans des rythmes toujours divers des lieux communs toujours les mêmes. […] « L’amour est une grande chose, un grand bien, qui rend tout fardeau léger… L’amour pousse aux grandes actions, et excite à désirer toujours une perfection plus haute… Rien n’est plus doux que l’amour, rien n’est plus fort, ni plus liant, ni plus large, ni plus doux, ni plus plein, ni meilleur au ciel ni sur la terre… L’amour vole, court, il a la joie.

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