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2012. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre sixième »

Malherbe ne s’y trompait-il pas lui-même, et faut-il croire que ces méchants vers n’aient été que des flatteries intéressées ? […] » «   Je ne crois point qu’une déesse Nous éclairât d’un tel flambeau. […] Par exemple, à qui croit-on qu’il écrive ceci : « Votre sujétion est si noble et si glorieuse, que les Muses mêmes et les Grâces voudraient faire ce que vous faites ?  […] Aujourd’hui que le danger est passé, il est commode de le croire moins sérieux qu’il n’a été. […] La moquerie était d’autant plus vive, que lui-même (qui le croirait ?)

2013. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Entretiens de Gœthe, et d’Eckermann »

Porchat attendent, l’un ou l’autre, le signal : l’honorable éditeur qui est leur ami a différé jusqu’ici de le donner et de croire l’instant propice ; et il sait mieux que personne ces sortes d’instants. […] Remarquez qu’on a également traduit en anglais ces Entretiens 47 et que là aussi on a cru devoir les abréger. […] Mais à son retour en Allemagne, et lorsqu’il se croyait en voie de devenir un artiste et un peintre, une indisposition physique, résultat de ses fatigues et de ses marches forcées, l’arrêta brusquement : ses mains tremblaient tellement qu’il ne pouvait plus tenir un pinceau. […] S’il était occupé d’une grande idée, ses paroles coulaient avec une inépuisable richesse ; on croyait alors être au printemps, dans un jardin où tout est en fleur, où tout éblouit et empêche de penser à se cueillir un bouquet. […] Puis je le revoyais, et je retrouvais un jour d’été avec tous ses sourires ; je croyais entendre dans les bois, dans les buissons, dans les haies, tous les oiseaux me saluer de leurs chants ; le ciel bleu était traversé par le cri du coucou, et dans la plaine en fleur bruissait l’eau du ruisseau.

2014. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Entretiens sur l’architecture par M. Viollet-Le-Duc (suite et fin.) »

Roger Bacon, ce moine de génie, aborde les sciences, envisage en face l’autorité et la réduit à ce qu’elle est : « L’autorité n’a pas de valeur, dit-il, si l’on n’en rend compte : elle ne fait rien comprendre, elle fait seulement croire. » Lui, il ne veut plus croire, mais vérifier ; et, arrachant à l’antiquité son titre même, le retournant au profit de l’avenir, il pose ce principe du progrès moderne, que « les plus jeunes sont en réalité les plus vieux ». […] Ce serait pourtant mal connaître le cœur humain que de le croire si disposé à rendre justice à ce qui est bien, même quand ce qui est bien ne barre le chemin de personne et augmente le savoir de tous. […] Viollet-Le-Duc ; et s’il a, comme je crois l’avoir vu, le portrait du premier Mansart, du seul digne de renom, dans son cabinet et sur sa cheminée, il faut même que ce soit un pinceau bien habile et bien cher qui le lui ait fait accepter : autrement il eût préféré, sans nul doute, un maître de la pure Renaissance. […] Mérimée, inspecteur alors des monuments historiques, crut devoir consulter auparavant M.  […] En un mot, on peut dire de lui ce que je crois avoir lu quelque part, au sujet d’un maître d’autrefois, qu’il tient également bien   Le compas, le crayon, la truelle et la plume.

2015. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Mémoires de Malouet (suite et fin.) »

La mort de Mirabeau, survenue le 2 avril 1791, dut en effet donner le coup de cloche, et l’on crut peut-être avoir trouvé cette occasion propice dans la discussion qui s’éleva sur les principes de la liberté religieuse. […] Il n’était pas éloigné de croire, par exemple, que si la retraite de Louis xvi auprès de M. de Bouillé avait réussi, et que si le roi était redevenu libre à la tête de cette armée, lui, Malouet, aurait pu réussir comme porteur de paroles au nom de l’Assemblée, et de la part de la gauche modérée ; qu’il eût pu être le fondé de pouvoirs et le médiateur d’une conciliation constitutionnelle. […] « J’ai dû vous paraître bien jeune, me dit-il, mais je vous assure que j’ai beaucoup vieilli depuis quelques mois. » Je lui répondis qu’en effet je le croyais maintenant arrivé à la maturité de l’âge dont il lui restait la vigueur ; qu’il était temps d’en faire un bon usage, et qu’il en avait les moyens. […] En mettant le pied sur la terre d’exil, Malouet ne sait pas se défendre des premières illusions du proscrit et de l’émigré : il croit que c’est pour peu de temps, et que l’excès du mal en amènera le remède. […] Je ne crois pas que la meilleure manière de servir la mémoire de Malouet soit d’exagérer ses mérites ni d’amplifier son influence, et encore moins de chercher auprès de lui une occasion banale de déclamer contre la Révolution ; mais il manquerait quelque chose à la connaissance de ces temps orageux, si on ne l’écoutait et si l’on ne tenait grand compte de son témoignage.

2016. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Œuvres françaises de Joachim Du Bellay. [II] »

Tout ce qu’il croit savoir, c’est que la négligence de nos ancêtres a laissé notre langue « si pauvre et si nue, qu’elle a besoin présentement des ornements et comme des plumes d’autrui ». […] — Et je crois me rappeler à ce propos qu’un classique très ingénieux de nos jours, M.  […] Là où il présume un peu trop, c’est de croire toujours qu’on traite les langues à volonté ; que l’on peut, par exemple, leur conférer artificiellement des pieds et des nombres. […] En ce qui est du français, de cette langue qui n’est ni ronflante, ni étranglée, ni fredonnée, ni sifflante, et qui se prononce sans qu’on ait à se tordre et se déformer la bouche, il se rabat à croire qu’à la bien manier et appliquer, on peut, sinon égaler les Anciens, du moins leur succéder dignement. […] Je relis le titre III de sa Lettre à l’Académie française, où il se plaint de la gêne et de l’appauvrissement que notre langue a subis depuis cent ans environ, et où il ose proposer le remède : c’est à croire, en vérité, qu’en écrivant ce chapitre, Fénelon se ressouvenait, sans le dire, de celui de Du Bellay dans l’Illustration.

2017. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. ULRIC GUTTINGUER. — Arthur, roman ; 1836. — » pp. 397-422

Laissez-les, croyez-moi, sans trouble et sans tourments, Grandir sous les lambris de vos châteaux normands. […] Mais non ; car sur ton sein j’ai cru souvent entendre Les mêmes accents dans ton cœur. […] je n’étais pas malheureux alors ; je commençais à me fatiguer du tourbillon où mon inconstance m’avait entraîné, et à croire qu’il était temps de songer à une demi-retraite… Je me plaisais à mes maux, à mes pleurs, au faible murmure de mon repentir. […] Aujourd’hui la terre est trop bello, Je n’en détache plus les yeux, Je t’y vois, et crois dans ces lieux Commencer la vie immortelle. […] Crois-tu qu’une race inconnue Peuple ces mondes radieux ?

2018. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre I. Littérature héroïque et chevaleresque — Chapitre III. L’Histoire »

« Or pouvez vous savoir que ceux-là regardèrent fort Constantinople, qui jamais ne l’avaient vue : car ils ne pouvaient croire que si riche ville put être en tout le monde, quand ils virent ces hauts murs et ces riches tours dont elle était close tout autour à la ronde, et ces riches palais et ces hautes églises, dont il y avait tant que nul ne l’aurait pu croire, s’il ne l’eût de ses yeux vu, et la longueur et la largeur de la ville qui sur toutes les autres était souveraine. […] Il ne faut pas qu’on sache que cet abbé des Vaux de Cernay qui ne veut pas aller ailleurs qu’en Terre Sainte ou en Egypte, parle au nom du pape, et avoué par lui : il faut qu’on croie que Home n’a eu que des pardons et de la joie pour ses enfants qui lui ont rendu l’empire grec. […] Il le dit, et il le croit. […] Mais rien n’est charmant comme le geste affectueux du roi, venant appuyer les deux mains sur les épaules du sénéchal, auquel il n’a pas parlé de tout le dîner, et qui, tristement retiré près d’une fenêtre grillée, se croit en disgrâce pour avoir parlé selon l’honneur et selon la vérité. […] Il est de ces âmes qui font les miracles, à force de croire et d’espérer.

2019. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre II. La première génération des grands classiques — Chapitre II. Corneille »

Corneille315 n’a pas de biographie : il n’importe à son œuvre qu’il ait déménagé de Rouen à Paris en 1662, et qu’il se soit installé rue d’Argenteuil après 1676, non plus tôt comme certains l’ont cru. […] Il n’a pas usé non plus des reconnaissances ; il a fait parfois revenir des gens qu’on croyait morts comme Sévère dans Polyeucte : mais l’espèce de reconnaissance de Sévère et de Pauline pose le problème psychologique de la pièce, elle est nécessaire, naturelle ; elle produit des évolutions de sentiments, non des ricochets d’intrigue. […] Corneille a toujours cru que les sujets d’invention pure ne convenaient pas à la tragédie, et de là vient ce mot, qu’on a si souvent mal compris et incriminé : « Les grands sujets doivent toujours aller au-delà du vraisemblable. » Ce qui veut dire, non pas du tout que l’invraisemblance est de règle, mais que la vérité matérielle, historique des faits, est nécessaire. […] Au fond, toutes les fois qu’il a cru pouvoir le faire sans qu’on s’en aperçût, et avec quelque utilité théâtrale, Corneille a travesti la vérité historique. […] Ni l’un ni l’autre aussi ne songe à y renoncer : même poursuivant Rodrigue, Chimène se croit le droit, le devoir de l’aimer.

2020. (1765) Articles de l’Encyclopédie pp. 7761-7767

On croit d’abord qu’il suffiroit de connoître les diverses sources de nos plaisirs, pour avoir le goût, & que quand on a lu ce que la Philosophie nous dit là-dessus, on a du goût, & que l’on peut hardiment juger des ouvrages. […] Vous croyez voir un enfant qui croit & s’éleve comme un géant. […] Suétone nous décrit les crimes de Néron avec un sang froid qui nous surprend, en nous faisant presque croire qu’il ne sent point l’horreur de ce qu’il décrit ; il change de ton tout-à-coup & dit : l’univers ayant souffert ce monstre pendant quatorze ans, enfin il l’abandonna : tale monstrum per quatuordecim annos perpessus terrarum orbis tandem destituit. […] Nous sommes touchés de ce qu’une personne nous plaît plus qu’elle ne nous a paru d’abord devoir nous plaire ; & nous sommes agréablement surpris de ce qu’elle a sû vaincre des défauts que nos yeux nous montrent, & que le coeur ne croit plus : voilà pourquoi les femmes laides ont très souvent des graces, & qu’il est rare que les belles en ayent ; car une belle personne fait ordinairement le contraire de ce que nous avions attendu ; elle parvient à nous paroître moins aimable ; après nous avoir surpris en bien, elle nous surprend en mal : mais l’impression du bien est ancienne, celle du mal nouvelle ; aussi les belles personnes font elles rarement les grandes passions, presque toûjours reservées à celles qui ont des graces, c’est-à-dire des agrémens que nous n’attendions point, & que nous n’avions pas sujet d’attendre. […] Quand Florus dit : « Sore & Algide, qui le croiroit !

2021. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre quatrième »

Où l’on voyait les règles de l’épopée appliquées avec un goût timide, on croyait lire un poème épique. […] C’est encore sa personne, mais sur un théâtre, ou plutôt du haut de cette chaire bâtarde près de laquelle il n’y a point d’autel, et où l’on se croit par moments à la comédie. […] Le Discours sur la liberté nous laisse libres de croire qu’elle n’existe pas. […] C’est l’homme lui-même, à nous croire en sa présence. […] André Chénier croit aux dieux de Théocrite et de Virgile, autant qu’ils y ont cru eux-mêmes, de cette foi du vrai poète dans les choses qu’il crée.

2022. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre VIII. L’antinomie économique » pp. 159-192

Un tribunal croit opportun que la France continue à commettre chaque année cent vingt mille crimes et délits à procès, ce nombre étant nécessaire pour alimenter les cours criminelles. […] Nous ne le croyons pas. […] Gobineau, grand seigneur, croit qu’il faut de la fortune pour tenir un rang social supérieur. […] Lichtenberger croit qu’il fut une époque où cette désintégration n’existait pas et où l’individualité s’épanouissait plus harmonieusement. […] On peut croire en tous cas que même dans les conditions les plus favorables, cet idéal d’humanité ne s’est jamais réalisé qu’en un assez petit nombre d’individualités privilégiées. — Quoi qu’il en soit, le portrait de l’homme moderne s’éloigne aussi loin que possible de cet idéal.

2023. (1887) Discours et conférences « Rapport sur les prix de vertu lu dans la séance publique annuelle de l’Académie française »

Elle crut trouver chez les jeunes garçons pervertis plus de droiture, de franchise, d’aptitude au relèvement que chez les jeunes filles, prises au même étiage de démoralisation. […] Qui croirait qu’il y a un monde des enfants trouvés ? […] Oui, certes, elle a de graves défauts : c’est de s’éprendre trop vite pour l’utopie généreuse, c’est de trop croire au bien et de se laisser surprendre par le mal, c’est de rêver le bonheur du monde et d’obliger des ingrats ! Mais, croyez-moi, aucune autre race n’a dans ses entrailles autant de cette force qui fait vivre une nation, la rend immortelle malgré ses fautes, et lui fait trouver en elle-même, au travers de tous ses désastres et de toutes ses décadences, un principe éternel de renaissance et de résurrection. […] Je n’étais pas à la séance quand l’affaire est revenue ; je crois que les règles établies ne vous ont point permis d’accepter.

2024. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XII. La littérature et la religion » pp. 294-312

Mais elle se relève, se réorganise au quinzième et elle peut croire qu’elle fait périr sur le bûcher de Jean Huss les projets de réforme et le libre examen ; elle peut s’imaginer qu’elle sort de la bataille plus forte et plus invincible que jamais. […] On croirait entendre déjà les sarcasmes des réformateurs ou même les plaisanteries voltairiennes. […] Les nations réformées ont (ce n’est pas un vain jeu de mots) l’esprit réformiste ; elles concilient la tradition et l’innovation ; elles ne croient pas qu’il faille créer un abîme entre l’avenir et le passé ; en détruisant les choses surannées devenues gênantes, elles conservent ce qui est inoffensif ou ce qui a sa raison d’être ; elles avancent ainsi à petits pas, sans brusque secousse, mais aussi presque sans recul. […] On doit l’honorer et le prier, sans croire jamais qu’un Dieu placé si haut s’occupe du sort des individus, sinon de certains individus privilégiés qui sont des princes chargés par lui de présider aux destinées des nations. […] Je crois peu utile de démontrer qu’elle a souvent opéré sur la foi comme un acide dissolvant.

2025. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Monsieur de Broglie. » pp. 376-398

Ils donnent leur avis et finissent par en avoir un, par croire qu’il est fondé en raison. […] C’est à dater de ce moment, je le crois, qu’on pourrait apercevoir non pas une diminution, mais une combinaison nouvelle dans le libéralisme de M. de Broglie : il tiendra désormais plus de compte de ce qu’on appelle dans le style politique l’élément gouvernemental. […] Les puissances avaient signifié que, si elles croyaient avoir à secourir leurs alliés (il s’agissait surtout de l’Italie), elles le feraient sans tenir compte de l’opposition de la France, et elles donnaient à entendre qu’une intervention armée de sa part serait considérée comme une hostilité directe contre chacune d’elles. […] Ayant subi un échec sur la question des indemnités réclamées par les États-Unis d’Amérique, M. de Broglie crut devoir se retirer du cabinet en avril 1834 ; mais il y rentra en mars 1835, y retrouvant ses mêmes principaux collègues, et avec le portefeuille des Affaires étrangères il eut cette fois la présidence du Conseil. […] J’ai peu réfléchi, je l’avoue, sur les moyens qui étaient de nature à faire durer le dernier gouvernement ; mais je ne puis croire que les lois de septembre lui aient nui ; il est aujourd’hui plus que probable, ce me semble, qu’elles l’ont fait durer.

2026. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « La Grande Mademoiselle. » pp. 503-525

Son père, Monsieur, était à Paris, d’où il croyait ne pouvoir s’éloigner sans de graves inconvénients. […] Il me dit : « Vous voyez un homme au désespoir, j’ai perdu tous mes amis ; MM. de Nemours, de La Rochefoucauld et Clinchamp, sont blessés à mort. » Je l’assurai qu’ils étaient en meilleur état qu’il ne les croyait… Cela le réjouit un peu, il était tout à fait affligé ; lorsqu’il entra, il se jeta sur un siège, il pleurait et me disait : « Pardonnez à la douleur où je suis. » Après cela, que l’on dise qu’il n’aime rien ; pour moi, je l’ai toujours connu tendre pour ses amis et pour ce qu’il aimait. […]  » Quand elle alla trouver ce lâche père pour savoir s’il avait ordre en effet de quitter le Luxembourg, et ce qu’elle avait à faire elle-même, il lui dit qu’il ne se mêlait point de ce qui la regardait, et il désavoua tout ce qu’elle avait fait en son nom : Ne croyez-vous pas, Mademoiselle, reprit-il avec cette ironie méprisante et couarde qui lui était familière, que l’affaire de Saint-Antoine ne vous ait pas nui à la Cour ? […] Elle répondit avec fierté et dignité : Je ne crois pas vous avoir plus mal servi à la porte Saint-Antoine qu’à Orléans. […] Mademoiselle fut dans l’état qu’on peut croire, mais sans oser encore blasphémer contre le roi.

2027. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « L’abbé Maury. Essai sur l’éloquence de la chaire. (Collection Lefèvre.) » pp. 263-286

Non seulement on claqua des mains en pleine chapelle, mais l’Académie crut devoir adresser une députation au cardinal chargé de la feuille des bénéfices, pour lui recommander le jeune abbé. […] Maury devant notre illustre Académie, écrivait Voltaire, je croyais, à l’article des Croisades, entendre ce Cucupiètre ou Pierre l’Ermite, changé en Démosthène et en Cicéron. […] » répliqua de sa place l’abbé Maury. — Comme il arrive à tous ceux qui disent volontiers de ces choses plaisantes, je crois bien, au reste, qu’on lui en prêtait aussi. […] On peut croire que ce séjour d’Italie contribua à le gâter. […] Il me tira à part dans une embrasure de fenêtre ; je crus qu’il voulait me communiquer quelque chose qu’il avait imaginé pour me tirer de l’abîme où je suis tombé. — Il sortit de sa poche trois pommes qu’on venait de lui donner, et dont il me fit présent pour mes enfants.

2028. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Rivarol. » pp. 62-84

On ne nous demande d’abord qu’un léger sacrifice ; bientôt on en commande de très grands ; enfin on en exige d’impossibles. » L’idée secrète, la passion qui donne à toutes les questions d’alors la fermentation et l’embrasement, il la devine, il la dénonce : Qui le croirait ? […] L’image chez lui s’ajoute à l’idée pour la mieux faire entrer ; il ne dit volontiers les choses qu’en les peignant ; ainsi, pour rendre cette fureur de nivellement universel : « On a renversé, dit-il, les fontaines publiques sous prétexte qu’elles accaparaient les eaux, et les eaux se sont perdues. » Voici quelques pensées que ne désavouerait ni un Machiavel ni un Montesquieu : La populace croit aller mieux à la liberté quand elle attente à celle des autres. […] Il nous prouve très bien, par l’exemple des langues, que la métaphore et l’image sont si naturelles à l’esprit humain, que l’esprit même le plus sec et le plus frugal ne peut parler longtemps sans y recourir ; et, si l’on croit pouvoir s’en garder en écrivant, c’est qu’on revient alors à des images qui, étant vieilles et usées, ne frappent plus ni l’auteur ni les lecteurs. […] On croyait jusqu’alors que le mot de fanatisme ne s’appliquait qu’aux idées et aux croyances religieuses : il était réservé à la fin du xviiie  siècle de montrer qu’il ne s’appliquait pas moins à la philosophie, et il en est résulté aussitôt des effets monstrueux. […] Ils ont cru cependant, ces philosophes, que définir les hommes, c’était plus que les réunir ; que les émanciper, c’était plus que les gouverner, et qu’enfin les soulever, c’était plus que les rendre heureux.

2029. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Bernardin de Saint-Pierre. — I. » pp. 414-435

Les éditeurs crurent pourtant devoir y faire quelques suppressions, et la veuve de Bernardin de Saint-Pierre, en particulier, demanda avec instances, avec larmes, au possesseur des lettres de lui permettre d’en détruire cinq ou six qui présentaient sous un jour trop triste la situation morale du grand écrivain. […] Mais l’homme sensé ajoute ces paroles qui montrent que chez Bernardin le romanesque n’étouffait pas le positif : Toutes ces fêtes-là, écrit-il, ne m’amusent pas tant que vous croyez bien. […] Bernardin, dans son illusion facile, crut à l’instant avoir trouvé en lui un protecteur puissant, tandis qu’il ne retrouvait en effet qu’un ami sage, fidèle, solide, essayant de le servir avec suite et pas à pas, mais n’étant lui-même, à l’égard des ministres, que dans une position subordonnée et secondaire. […] Je l’ai donnée à mon copiste qui n’a pu l’expédier que ce matin. » Bernardin, qui vit dans la solitude, dont les nerfs sont excités, qui n’a pas de cesse qu’il n’ait reçu réponse, a le tort de se croire des droits là où il ne peut demander encore que des grâces. […] — J’avais cru, comme tout le monde, que votre nom de famille était Bernardin.

2030. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Voltaire et le président de Brosses, ou Une intrigue académique au XVIIIe siècle. » pp. 105-126

Le président répond à ses propositions point par point, avec exactitude et précision, en homme d’affaires et en y mêlant de l’homme d’esprit ; il touche très bien l’endroit délicat, et qui fait désirer à Voltaire de n’être pas tout entier à la merci de Genève : « Il faut être chez soi… Il ne faut pas être chez les autres… Vous ne sauriez croire combien cette république me fait aimer les monarchies. » À la réponse précise et catégorique du président, Voltaire semble oublier ce qu’il a proposé lui-même ; il recule, il hésite, et substitue comme par négligence d’autres propositions aux premières. […] Le curé de Moëns, paroisse voisine de Ferney, a soutenu un procès à Dijon contre les pauvres de sa paroisse, qui se croyaient en possession de je ne sais quelle dîme (bien que, d’après l’ancien droit, une communauté d’habitants fût incapable de posséder une dîme) ; Voltaire prend feu, il fait appel au président : « Ayez compassion des malheureux, vous n’êtes pas prêtre. […] Et c’est toujours en homme lésé et dupé, en homme généreux et désintéressé, ne visant qu’au bien d’autrui et ne marchandant pas d’ailleurs son plaisir, que Voltaire fait des siennes dans cette terre de Tourney, et qu’il se passe tous ses dégâts et toutes ses lésines : Je mets mon plaisir à rendre fertile un pays qui ne l’était guère, et je croirai, en mourant, n’avoir point de reproches à me faire de l’emploi de ma fortune… Je continue très certainement à faire le bien de la terre en agrandissant les prés aux dépens de quelques arbres… J’ai tout lieu de me flatter que vous ne me troublerez pas dans les services que je vous rends, à vous et votre famille. […] Je puis produire ces belles choses à l’Académie, et je ne crois pas qu’un tel homme vous convienne. […] C’était assez pour que les chefs de l’ordre, ceux même qui n’avaient nul grief personnel contre lui, se crussent dispensés à son égard, dans l’occasion, de tout procédé et de toute justice.

2031. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Loutherbourg » pp. 258-274

Le poëte a sa palette comme le peintre, ses nuances, ses passages, ses tons, il a son pinceau et son faire ; il est sec, il est dur, il est cru, il est tourmenté, il est fort, il est vigoureux, il est doux, il est harmonieux et facile. […] Tableau cru, dur, sans mérite, sans effet, peint de réminiscence de plusieurs autres, plagiat. […] Si les ciels, les eaux, les nuées de Loutherbourg sont durs et crus, c’est la suite de sa vigueur affectée et de la difficulté de mettre d’accord, quand on a forcé de couleur quelques objets. […] Si vous exagérez, vous serez éclatant, mais dur, mais cru : si vous restez en deçà, vous serez peut-être doux, moelleux, harmonieux, mais faible. […] D’ailleurs croit-on que la crainte de n’être que le second n’excitât pas de l’émulation entre les artistes, et ne les portât pas à quelques efforts de plus ?

2032. (1907) L’évolution créatrice « Chapitre I. De l’évolution de la vie. Mécanisme et finalité »

Le changement est bien plus radical qu’on ne le croirait d’abord. […] Ou l’hypothèse d’une finalité immanente à la vie doit être rejetée en bloc, ou c’est dans un tout autre sens, croyons-nous, qu’il faut la modifier. […] Il le faut surtout, croyons-nous, si l’on veut arriver à une cause de variations régulièrement héréditaires. […] Ceci posé, admettons que le soma puisse influencer le germen, comme on le croit quand on tient les caractères acquis pour transmissibles. […] En creusant au-dessous d’elles, on trouverait, croyons-nous, une différence plus profonde.

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