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492. (1880) Goethe et Diderot « Gœthe »

Quoiqu’il s’y fût inspiré en matière d’art de Winckelmann, comme en art dramatique il s’inspira plus tard de Shakespeare, il s’y montra pourtant critique plus dextre, plus pénétrant, plus personnel qu’il ne devait jamais être, le critique littéraire, dans Gœthe, n’étant digne que de la plus profonde pitié. […] Il croyait cependant en avoir une, — une âme ; ce qui prouve, du reste, qu’il n’était pas un plus grand critique sur lui que sur les autres. […] Quand la gloire d’un homme est très discutée, les critiques et les biographies affluent de toutes parts. […] Henry Lewes, qui a fait une Vie de Gœthe visant à l’importance, en Angleterre, ce pays classique de la biographie ; et finalement M. le professeur Faivre, en France, moins biographe, il est vrai, que critique, et qui, en sa qualité de critique et de savant, a su, un peu mieux que les autres, échapper aux bassesses de l’adoration universelle. […] Lewes, n’est ni un savant, ni un critique, ni un philosophe ; c’est tout simplement un biographe, et, je l’ai déjà dit, dont la biographie sort de l’autobiographie de Gœthe comme un enfant sort de sa mère.

493. (1929) Amiel ou la part du rêve

Un critique lucide, un critique tragique. […] Réserve, bon sens, critique défiante né lui feront jamais défaut. […] Et d’abord critique acharné de lui-même. […] Genève est une ville de critique : critique d’autrui dans le bas, critique de soi-même dans le haut, — surveillance partout. […] Tout cela forme une nature, un pays, où la critique circule, a ses repères.

494. (1924) Souvenirs de la vie littéraire. Nouvelle édition augmentée d’une préface-réponse

Albalat, lui, est un critique. […] Paul Souday, parce que j’étais « un critique », M. Lièvre est malheureusement lui aussi « un critique ». […] Ce maître de la critique n’était sensible à aucune espèce de critique. […] Jules Lemaître serait une sorte de Pierre Loti de la critique.

495. (1865) Introduction à l’étude de la médecine expérimentale

Plus une science est complexe, plus il importe, en effet, d’en établir une bonne critique expérimentale, afin d’obtenir des faits comparables et exempts de causes d’erreur. […] Le déterminisme devient ainsi la base de tout progrès et de toute critique scientifique. […] Mais la critique scientifique, faite littérairement, ne saurait avoir aucune utilité pour la science. […] La critique dans chaque science, pour être vraiment utile, doit être faite par les savants eux-mêmes et par les maîtres les plus éminents. […] En un mot, la critique expérimentale met tout en doute, excepté le principe du déterminisme scientifique et rationnel dans les faits (p. 88-109).

496. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Académie française — Réception de M. Jules Sandeau » pp. 322-326

Il intéresse l’auditoire qui est témoin, il l’entraîne avec lui dans le large courant de sa louange ou dans les sinuosités habiles de sa critique : on sourit, on est charmé. […] L’Académie ne pouvant espérer de les comprendre jamais, ces talents ou même ces génies d’écrivains, dans ses appels et ses récompenses, ne peut vouloir les atteindre seulement par sa critique, si fine que soit cette critique, si spirituelle que soit l’épigramme.

497. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre VI. Recherche des effets produits par une œuvre littéraire » pp. 76-80

Les articles des journaux, les jugements des critiques sont en l’occurrence de précieux éléments d’information. […] Lemaître, Brunetière, Anatole France, critiques si différents d’ailleurs, dont l’accord sur ce point est d’autant plus significatif. […] Voir : Les princes de la jeune critique, pp. 229-264, ou bien la Nouvelle Revue, 1er février 1890.

498. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Méry »

Savant, non pas comme un bénédictin, mais comme une congrégation de bénédictins tout entière, il n’en a pas moins été spirituel comme un Champcenetz et un Rivarol, satirique, auteur dramatique, critique littéraire, dilettante fébrilement exquis, dont la sensation équivaut à une création dans les arts. […] Aujourd’hui, la Critique n’a pas autre chose à faire qu’à les noter une fois de plus. Mais ce que nous avons vu avec bonheur, et ce que la Critique marquera comme un affermissement de l’intelligence de Méry dans une voie où cette intelligence devait s’avancer hardiment en raison même de l’élévation de sa nature, c’est la mâle et saine manière de penser sur les choses religieuses qui sont le fond de cette grande histoire, que Gibbon, malgré un talent qui approchait du génie, n’a pas su juger parce qu’il n’était pas chrétien.

499. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 février 1886. »

C’est une chose généralement admise par les philosophes et les critiques que la musique doit exciter dans l’âme certaines émotions, et que chacun des signes musicaux se trouve lié à une émotion de l’âme qu’il excite en se produisant. […] Car chez nous aussi, lorsque notre grand critique Seroff développa ces idées wagnériennes, il eut à soutenir une averse de moqueries et d’injures. […] Alexander Séroff (1820-1871) est un compositeur et un critique russe. […] Connu pour ses opéras et ses mélodies, il est très critique envers Lohengrin et plus indulgent envers Tannhäuser. Il rencontre le compositeur à Bayreuth lors de la création de la Tétralogie et consacre à cet événement une série d’articles intitulée « Der Ring des Nibelungen : une étude critique ».

500. (1898) Émile Zola devant les jeunes (articles de La Plume) pp. 106-203

Brunetière, voyez tous ces critiques qui, tour à tour, ont bafoué Hugo, Nietzsche, Emerson, Zola ! […] Comment la critique a-t-elle pu confondre ainsi l’art de ces naturalistes qui vinrent se grouper autour de M.  […] Je ne sais point de plus mauvais panégyrique ; les critiques de M.  […] Il n’a pas ouvert la Critique de la Raison pure, avant même de connaître le goût des pommes mûres ou l’incisive senteur des verveines. […] Rien n’est donc plus malaisé, pour le Critique, que de s’aventurer dans la forêt romantique.

501. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « À M. Vacherot » p. 1

Vacherot Mon cher Professeur, C’est à vous que je dois mes meilleures idées sur la critique. […] Vous m’avez communiqué le goût des questions de critique générale, et, ce qui est plus, beaucoup d’idées : je vous devais ce livre.

502. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « George Sand — George Sand, Lélia (1833) »

Comme il était arrivé qu’aux approches et aux environs de Lélia le mot de roman intime avait été prononcé par je ne sais qui, et sans qu’on eût, je le crois bien, la pensée de faire à Lélia l’application de ce mot, les plus subtils et les plus clairvoyants critiques ont à l’instant dénoncé l’œuvre nouvelle comme un formidable signal d’invasion, comme le monstre du genre. […] Je me garderai bien de répéter ici les accusations voilées que la pudeur de ces autres critiques n’osait articuler sur le sens ineffable du livre : il faut laisser certaines pensées où elles sont nées. Deux ou trois passages de Lélia pouvaient mériter, à coup sûr, des reproches et soulever des scrupules par une grande nudité d’aveu ; mais le sérieux continu et l’élévation du sentiment rendaient ces passages mêmes beaucoup plus chastes que les trois quarts des scènes triviales qu’admirent et célèbrent nos critiques dans les romans de chaque jour. Aussi ç’a été un curieux spectacle que ce débordement soudain de continence et de chasteté virginale de la part des vigoureux convertis ; chaque critique, subitement recouvert du bouclier de diamant de la vertu, est venu en accabler à son tour l’impie, l’effrontée Tarpéia. 

503. (1874) Premiers lundis. Tome II « Jouffroy. Cours de philosophie moderne — I »

Elle passe alternativement par des époques critiques et des époques fondatrices, alors qu’un dogme est renversé et qu’un autre commence. « Aujourd’hui nous sommes arrivés à une de ces époques critiques où l’ancienne solution, l’ancien dogme ne suffisent plus. […] Les époques où un dogme règne, dans lesquelles l’humanité connaît sa destination et y croit ; et les époques où un dogme finit, dans lesquelles l’humanité ne se conçoit plus de destination, doute et cherche : les premières, il les appelle des époques fondatrices ; les secondes, des époques critiques. Voici le texte de ce qui a été dit à ce sujet, par l’école de Saint-Simon, dans le volume d’exposition qu’elle a publié cette année : « La loi du développement de l’humanité, révélée au génie de Saint-Simon et vérifiée par lui sur une longue série historique, nous montre deux états distincts et alternatifs : l’un, que nous appelons état organique, où tous les faits de l’activité humaine sont classés, prévus, ordonnés par une théorie générale, où le but de l’action sociale est nettement défini ; l’autre, que nous nommons état critique, où toute communion de pensée, toute action d’ensemble, toute coordination a cessé, et où la société ne présente plus qu’une agglomération d’individus isolés et luttant les uns contre les autres. » (Vol.

504. (1874) Premiers lundis. Tome II « Des jugements sur notre littérature contemporaine à l’étranger. »

W. de Schlegel, cet illustre critique, a toujours été assez injuste, et, malgré les années qu’il a vécu ici, toujours assez mal informé à notre égard. […] Le grand critique Tieck a fait, il y a quelque temps, une sortie contre notre littérature actuelle ; il n’y tenait compte que des excès, et l’anathème portait à faux. […] M. de Vigny doit se féliciter d’avoir échappé, tant par ses drames que par ses romans, productions d’un talent si rare et si fin, à cette critique quelque peu cyclopéenne. […] Ceci soit dit sans faire bon marché pour notre nation de cette faculté de vraie critique qu’elle a toujours possédée et dont elle n’est pas si dénuée aujourd’hui.

505. (1890) L’avenir de la science « IX »

Il était d’ailleurs difficile au XVIIe siècle de deviner la haute critique et le grand esprit de la science. Leibniz le premier a réalisé dans une belle harmonie cette haute conception d’une philosophie critique, que Bayle n’avait pu atteindre par trop de relâchement d’esprit. […] Cousin sera d’avoir proclamé la critique comme une méthode nouvelle en philosophie, méthode qui peut mener à des résultats tout aussi dogmatiques que la spéculation abstraite. […] Je n’entends point que ce soit là une critique.

506. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « IV. Saisset »

… Le livre d’aujourd’hui est divisé en deux parties : la première est l’histoire discursive et critique des philosophes antérieurs et contemporains et de leurs systèmes, Descartes, Mallebranche, Spinosa, Newton, Leibnitz, Kant, Fichte, Schelling et Hegel, et dans un temps où la philosophie n’est plus que l’histoire de la philosophie, cette partie du livre, dans laquelle il y a l’habitude des matières traitées qui singe assez bien le talent, se recommande par l’intérêt d’une discussion menée grand train et avec aisance ; mais d’importance de sujet, elle est bien inférieure à cette seconde partie où l’esprit s’attend à trouver contre toutes les erreurs et les extravagances signalées par l’auteur dans toutes les philosophies, un boulevard doctrinal solide, et s’achoppe assez tristement contre ces infiniment petits philosophiques : — le déisme de la psychologie et ses conséquences inductives et probables, ce déisme dont Bossuet disait, avec la péremptoire autorité de sa parole, « qu’il n’est qu’un athéisme déguisé !  […] Saisset est d’une si profonde nullité dans sa partie affirmative, nous serons assez juste pour revenir et pour insister sur la valeur de la partie négative ou critique de son ouvrage. […] Saisset, qui ne fut jamais rien de beaucoup plus qu’un joli sujet en philosophie, n’en a pas moins exercé la magistrature du bon sens et de la raison, en maint endroit de ses critiques, contre des hommes de l’imposance d’un Leibnitz, d’un Descartes, d’un Kant, d’un Spinosa. […] L’enthousiasme du mandarin, et je dirai plus, de l’écolier, est ici plus fort que le bon sens primitif et met un défaut de proportion des plus choquants entre la critique qu’on s’est permise et l’admiration qu’on garde encore… Eh bien !

507. (1902) Propos littéraires. Première série

Ni l’un ni l’autre ne devait absolument rien à la critique. La critique n’avait jamais parlé ni de l’un ni de l’autre. […] Et, donc, il lui faut des poèmes, des romans, des livres de philosophie et des critiques littéraires et des critiques dramatiques. […] Comme divertissement littéraire, il a lu le critique. […] C’est une démarche de candidature au sacerdoce critique.

508. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « LES JOURNAUX CHEZ LES ROMAINS PAR M. JOSEPH-VICTOR LE CLERC. » pp. 442-469

La folle insolence de la critique journalière s’est portée ailleurs ; ils sont protégés par notre légèreté même. […] Il a de l’invention en critique, une invention très-inquisitive et très-destructive. […] Les critiques à idées poussent trop loin ; en attendant, les critiques judicieux et sages font du chemin : le juste milieu se déplace. […] Les critiques comme Niebuhr, ces provocateurs d’idées et de génie, servent à faire produire en définitive aux doctes judicieux et ingénieux ces écrits qui, sans eux et leur assaut téméraire, ne seraient peut-être jamais sortis. […] Dans les trois morceaux suivants, où le critique aborde des ouvrages plus ou moins historiques, il se disposait insensiblement à en venir aux portraits de quelques historiens contemporains.

509. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLXIe Entretien. Chateaubriand »

Il n’y a pas besoin de critique pour admirer, la nature sait tout et dit tout. […] Celle-ci crut devoir, en tête de la seconde édition de son ouvrage, répondre quelques mots à cette critique légère et cavalière qui prétendait trancher toute la question de la perfectibilité par les vers du Mondain. […] XXIII Les critiques sont comme les mouches qui s’attachent sur les raisins cueillis dans le panier de la vendange, parce qu’ils sont parfumés et sucrés. […] XXIV M. de Sainte-Beuve parle avec un juste dédain de ces critiques de l’abbé Morellet et de Marie-Joseph Chénier. […] La première supériorité du critique est de reconnaître l’avénement d’une puissance, la venue d’un Génie.

510. (1890) L’avenir de la science « XIX » p. 421

Nos éditeurs, compilateurs, abréviateurs, philologues, critiques répondraient aux rhéteurs, grammairiens, scoliastes d’Alexandrie, de Rhodes, de Pergame. […] Mais les vrais critiques n’emploient qu’avec une extrême réserve ce mot si trompeur de décadence. […] Mendelssohn déjà célèbre, déjà l’un des premiers critiques de l’Allemagne, était encore facteur dans une boutique de soieries. […] Je pousse si loin le respect de l’individualité que je voudrais voir les femmes introduites pour une part dans le travail critique et scientifique, persuadé qu’elles y ouvriraient des aperçus nouveaux, que nous ne soupçonnons pas. Si nous sommes meilleurs critiques que les savants du XVIIe siècle, ce n’est pas que nous sachions davantage, mais c’est que nous voyons de plus fines choses.

511. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Armand Carrel. — II. (Suite.) Janvier 1830-mars 1831. » pp. 105-127

Je ne tiens qu’à bien faire comprendre et à bien décrire un personnage remarquable, et, malgré les restes de flamme qui peuvent s’attacher à son nom, à le mettre à son rang dans ce monde froid et durable où une critique respectueuse s’enquiert de tout ce qui a eu bruit et éclat parmi les hommes. […] Le poète, à la lecture du premier article de Carrel sur les représentations d’Hernani, lui avait écrit une lettre explicative, et dans laquelle il lui rappelait les singulières prétentions des soi-disant classiques du jour ; Carrel y répondit par une lettre non moins développée qui commençait en ces termes : « Je suis pour les classiques, il est vrai, monsieur, mais les classiques que je me fais honneur de reconnaître pour tels sont morts depuis longtemps. » Dans la critique de l’Othello de M. de Vigny, il se faisait fort de prouver « que toute la langue qu’il faut pour traduire Shakespeare est dans Corneille, Racine et Molière ». […] « On ne peut attaquer par trop d’endroits à la fois une production pareille, disait Carrel en concluant sur Hernani, quand on voit par la préface des Consolations la déplorable émulation qu’elle peut inspirer à un esprit délicat et naturellement juste. » L’éloge ici rachète certes la critique, et, venant d’un esprit aussi rigoureux, il honore. […] Pendant le mois écoulé, Le National avait un peu flotté au hasard, ou plutôt il avait été purement gouvernemental, ce qui lui avait attiré bien des critiques de la part des feuilles plus vives. […] Il critique sans doute la Chambre : elle se conduit trop comme si le ministère Polignac avait été vaincu tout bonnement par le refus de l’impôt, et comme si une révolution à main armée ne s’était pas accomplie ; mais il ne critique point le gouvernement ; bien plutôt il le défend ; il l’excuse de tâtonner.

512. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Pommier. L’Enfer, — Colifichets. Jeux de rimes. »

I L’un des meilleurs profits de la Critique, c’est de pouvoir replacer un homme et un livre dans l’atmosphère d’attention et de sympathie qui n’auraient jamais dû leur manquer. […] II Telle est la grande critique, la grande objection qu’on peut adresser à son livre. […] Puisqu’il faut des exemples aux critiques sans initiative, pour justifier M.  […] VI Après le plaisir qu’elle a eu, la première chose que la Critique ressente en présence du livre de M.  […] Il faut donc revenir à l’impression faite par cette poésie sur l’âme individuelle du critique, mais, je dois le dire, je veux être d’autant plus juste que je suis charmé et que le critique est comme le juge.

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