Car le défaut de la Pléiade, c’était le pastiche, l’artificiel ; et il ne fut pas mauvais que les poètes fussent rappelés à l’actualité, sollicités de vivre de la vie de leur temps, de tirer de leurs âmes les communes émotions de toutes les âmes contemporaines. […] Les Discours sur les misères de France ou sur le tumulte d’Ambroise, la Remontrance au peuple de France, et la Réponse aux calomnies des prédicans, l’Institution pour l’adolescence du roi Charles IX, débordent tantôt d’indignation patriotique, tantôt de passion catholique, et tantôt de dignité blessée : quand Ronsard montre l’héritage de tant de générations, de tant de vaillants hommes et de grands rois, follement perdu par les furieuses discordes de ses contemporains, quand il oppose le néant de l’homme à l’énormité prodigieuse de ses passions, quand il donne aux peuples, aux huguenots, au roi des leçons de bonne vie, quand enfin il dépeint fièrement son humeur, ses goûts, ses actes, alors il est vraiment un grand poète.
Vauvenargues n’a pas eu d’action sur ses contemporains, dont trois ou quatre seulement, Mirabeau, Voltaire, Marmontel, l’ont connu529. […] Il y a quelques-uns de leurs contemporains qui eurent leur heure de gloire ou de tapage.
Mais l’est-il donc à l’exclusion de tous ses contemporains ? […] Villiers de l’Isle-Adam, le joli portrait des derniers précieux de la littérature contemporaine, et que je voudrais citer tout entier !
Un vrai classique, comme j’aimerais à l’entendre définir, c’est un auteur qui a enrichi l’esprit humain, qui en a réellement augmenté le trésor, qui lui a fait faire un pas de plus, qui a découvert quelque vérité morale non équivoque, ou ressaisi quelque passion éternelle dans ce cœur où tout semblait connu et exploré ; qui a rendu sa pensée, son observation ou son invention, sous une forme n’importe laquelle, mais large et grande, fine et sensée, saine et belle en soi ; qui a parlé à tous dans un style à lui et qui se trouve aussi celui de tout le monde, dans un style nouveau sans néologisme, nouveau et antique, aisément contemporain de tous les âges. […] Il y a plus : il n’est pas bon de paraître trop vite et d’emblée classique à ses contemporains ; on a grande chance alors de ne pas rester tel pour la postérité.
Cette introduction, dans laquelle l’autéur défendait la philosophie du xviiie siècle avec l’aigreur d’un homme piqué contre le catholicisme de ses contemporains, nous avait paru (et nous l’avions dit) d’un esprit sec qui grimaçait en se donnant les airs de pincer la lèvre comme Montesquieu. […] — cette voyoue de toutes les publications contemporaines ; car, faute d’idées dans ce temps vide, tout le monde éreinte la même à force de grimper dessus !
Dans la poésie, maintenant que l’on disposait d’un instrument plus souple, nous avions donc espéré que l’on voudrait imiter et serrer de plus près l’exact contour de la réalité ; nous avions cru qu’au théâtre, on pourrait se débarrasser des conventions inutiles, pour n’en respecter que les nécessaires, qui ne sont pas plus de deux ou trois ; et, dans le roman, nous avions cru que la vie contemporaine était assez complexe, assez curieuse à étudier pour que l’imitation en pût suffire à plus d’un chef-d’œuvre. […] C’est ce que je souhaite à mes contemporains, aisément consolé à ce prix de la banqueroute du naturalisme, ou plutôt, et naturaliste moi-même, trop heureux alors de la catastrophe, puisque, indépendamment de beaucoup d’autres choses, s’il en est une dont manquent surtout les romans de M.
Et en vérité, il ne fit que visiter les contemporains de Louis XIV. […] On ne sait plus ce qu’est devenue la raison raisonnante ; des formes, des couleurs se tracent sur le champ décoloré où la pensée abstraite ordonnait ses syllogismes ; on aperçoit des gestes, des attitudes, des changements de physionomie ; peu à peu le personnage ressuscite ; il semble qu’on l’ait connu ; on prévoit ce qu’il va faire, on entend d’avance le cri de sa passion blessée ; on ne le juge pas, on l’aime ou le hait, ou plutôt on sent avec lui et comme lui ; on quitte son siècle, on devient son contemporain, on devient lui-même.
N’y a-t-il point autre chose, soit antérieur, soit contemporain ? […] L’histoire contemporaine, les débats judiciaires nous prouvent à chaque instant l’inanité des témoignages. […] Les maîtres de la philosophie française contemporaine n’ont pas encore osé en faire autant. […] Le nu de l’art contemporain est un nu d’hydrothérapie. […] On comprend rarement ses contemporains.
Les voilà redevenus nos chefs, nos contemporains : Blaise Pascal l’est bien aussi ; comment Voltaire ne le serait-il pas ?
On lit dans un manuel d’Histoire de France : «… Ici se place un incident sans importance réelle, mais qui fit grand bruit, si l’on en croit les contemporains.
Je demande, quand mon cœur se soulève de dégoût, de pouvoir résister à l’exotisme sans être méprisé de mes contemporains, psychologues, impressionnistes ou simples snobs.
À plus forte raison a-t-on fait cette enquête pour ceux qui sont plus voisins de nous, plus accessibles, pour ainsi dire, et qui passeront pour nos contemporains, quand les siècles futurs les apercevront à la même distance d’où nous autres nous voyons Homère.
Et si l’on veut remonter plus haut, si l’on réfléchit quel abîme sépare la littérature française de ce siècle de celle des époques passées, on trouvera au pessimisme contemporain assez d’ascendants pour se convaincre que la tristesse est l’essence même du nouvel art, et peut-être de tout art noble.
L’espoir de ramener ses contemporains, de leur apprendre à penser, à distinguer les beautés réelles de ce qu’il jugeoit n’en avoir que l’apparence, lui fit interrompre les fonctions les plus graves, pour se jetter dans des discussions littéraires.
Parfois j’ai songé, — c’était ma réflexion à chaque tome qu’il publiait de ses Origines de la France contemporaine, — qu’une bonne explication de lui sur sa situation philosophique, confiée à quelque reporter intelligent, éclairerait le public qui se passionnait à le traiter tantôt d’infâme réactionnaire, tantôt d’athée sans principe.
S’il est vrai que ce caractère lui a donné dans notre nation une gloire plus aimable que celle de ses contemporains, à cause de toutes ses complaisances pour notre sens propre, on verra tout à l’heure qu’il l’a jeté dans des erreurs pour lesquelles l’esprit de liberté même doit le désavouer. […] Il en donne pour raison les sacrifices de pensée qu’on fait à la richesse de la rime, quoique le contraire éclate à toutes les pages de tous les grands poètes contemporains. […] C’est comme si un contemporain de Cicéron ou de Virgile eût blâmé, dans la langue latine, l’usage des inversions et l’incommodité du sens suspendu, et demandé le langage direct. […] Il a toutes les qualités des plus illustres : le goût du vrai, qui perce jusque dans ses erreurs, lesquelles n’en sont le plus souvent que l’excès ; l’amour de la règle, qu’il porte jusque dans les insurrections du sens propre ; l’accord du caractère et des écrits, par où les grands esprits de ce siècle en sont aussi les plus honnêtes gens ; l’éducation par les deux antiquités chrétienne et païenne : par la première, pour la science de l’homme ; par la seconde, pour la méthode et l’art ; enfin, toutes les qualités du langage qui font durer les livres français : la clarté, la précision, la propriété, avec un tour vif et facile, qui paraît comme la physionomie de ce grand homme dans sa ressemblance avec ses illustres contemporains. […] Homère et Virgile avaient trouvé les traits de leurs dieux, comme Raphaël l’ineffable beauté de ses Vierges, au fond des esprits et des cœurs de leurs contemporains.
Tout âge, dit Elisabeth Browning, eu raison même de sa perspective trop rapprochée, est mal aperçu de ses contemporains. […] La folie de Rousseau a contribué à le faire souffrir énormément dans la vie ; c’est par là qu’elle a servi à son succès et à son influence, car ce qu’il y a d’original en lui, c’est précisément qu’il a souffert plus que tous les écrivains ses contemporains, et que cette souffrance a été assez poignante pour se faire jour dans ses œuvres, pour s’y traduire en un accent nouveau. […] Plus tard, il devait emprunter à saint Augustin, un autre Crique, l’idée et le titre de ses Confessions, et on peut voir dans ces Confessions comme la première ébauche, tantôt informe et mesquine, tantôt déjà puissante et rythmée, de la poésie lyrique contemporaine. […] Rousseau, par tempérament, comme beaucoup de détraqués, est insociable, sauvage, porté à la vie solitaire ; mais il n’a eu nulle conscience dès causes pathologiques de cette insociabilité, et ses contemporains, pas davantage. […] Dans le célèbre duo d’amour qui a servi de modèle à tous ceux de la littérature contemporaine, on retrouve l’accent chaud et passionné du Cantique des cantiques, et on pressent cette tendresse qui deviendra douloureuse chez Musset : « Lorsque je suis fatigué, ta vue me délasse… Quelque chose de toi que je ne puis te dire reste pour moi dans l’air où tu passes, sur l’herbe où tu t’assieds… Si je te touche seulement du bout du doigt, tout mon corps frémit de plaisir… Dis-moi par quel charme tu as pu m’enchanter. » A cette poésie s’ajoutent des traits d’observation psychologique : « Ô mon frère, je prie Dieu tous les jours pour ma mère, pour la tienne, pour toi ; mais, quand je prononce ton nom, il me semble que ma dévotion augmente. » Tout cela encadré dans des détails de réelle familiarité : « — Pourquoi vas-tu si loin et si haut me chercher des fruits et des fleurs ?
Même au xixe siècle, cette exégèse a été retardée par divers préjugés d’école, les uns médicaux, les autres philosophiques, et Socrate186 n’a guère eu plus à se louer de nos contemporains que des premiers Pères de l’Église. […] Enfin, si, comme il est vraisemblable, Platon a rendu plus fidèlement que Xénophon certains côtés du caractère de Socrate, celui-ci a dû souvent évoquer en souriant le signe divin et le mêler par ironie à des événements sans importance205 ; il a pu quelquefois présenter à ses amis les conseils réfléchis de sa prudence comme des avis mystérieux de la sagesse divine, afin d’éviter une discussion qui, malgré toute son habileté, eût risqué d’être moins persuasive206 ; sans doute aussi, il y avait une part d’ironie dans les rapprochements qu’il aimait à faire entre les grossiers procédés de divination de ses contemporains et le subtil oracle qu’il savait si bien interpréter. […] Aujourd’hui encore, la parole intérieure morale, avec sa soudaineté, sa concision, son silence sur les motifs d’agir ou de s’abstenir, est sans doute chez nos contemporains en raison inverse du développement intellectuel. […] n’est-ce pas aussi parce qu’elle ne correspond plus à rien de réel chez les esprits auxquels s’adresse l’éloquence contemporaine ? […] Un romancier contemporain a peint avec beaucoup de bonheur l’innocent travers des imaginaires : « M.
Telle est l’injustice des contemporains. […] Il n’y paraît très différent, ni de ses prédécesseurs, ni de ses contemporains. […] Guillem de Castro était un Espagnol contemporain, qui venait de mourir en 1630. […] Mais tout cela paraissait vraisemblable alors, à cause des événements contemporains. […] Éloge rare en son ingénuité sincère, de contemporain à contemporain, de poète à poète, d’artiste à artiste.
La Revue d’histoire moderne et contemporaine propose un rapide compte rendu des débats (tome 8, années 1906-1907). […] Sur le plan esthétique, c’est un classique, admirateur du XVIIe siècle mais aussi, on l’a vu, de Goethe, qui représente pour lui ce que doit être le grand écrivain contemporain. […] Jean-Jacques apportait aux imaginations de ses contemporains des plaisirs nouveaux. […] N’y voyons qu’un épouvantail dont il effarouche ses contemporains et s’enfièvre lui-même, comparable à ce catholicisme terroriste et théâtral du haut duquel un autre homme de lettres, Barbey d’Aurevilly, a foudroyé le XIXe siècle. […] Rousseau proposait à la sensibilité de ses contemporains un plus séduisant objet de nostalgie dans sa description de la société primitive soutenue par la libre union des cœurs, comme l’état « civilisé » devait l’être plus tard par la cruauté des lois.
Mais ce que nous voudrions surtout suggérer à un talent aussi net et aussi naturel d’expression, aussi tourné par vocation, ce semble, aux choses de théâtre, ce serait d’agrandir, avant tout, le champ de son observation, non pas de vieillir (cela se fait tout seul et sans qu’on se le dise), mais de vivre, de se répandre hors du cercle de ses jeunes contemporains, de voir le monde étendu, confus, de tout rang, le monde actuel tel qu’il est, de le voir, non pas à titre de jeune auteur déjà en vue soi-même, mais d’une manière plus humble, plus sûre, plus favorable au coup d’œil, et comme quelqu’un de la foule ; c’est le meilleur moyen d’en sortir ensuite avec son butin, et de dire un jour à quelque ridicule, à quelque vice pris sur le fait : Le voilà !