Si l’Académie des sciences morales et politiques n’avait pas la langue si pâteuse, elle n’aurait dit qu’un mot qui les valait tous : « Quelles sont les causes de l’anarchie contemporaine ? » Les causes de l’anarchie contemporaine, c’est toute l’histoire contemporaine.
Les noms d’Hercule, d’Évandre et d’Énée passèrent donc de la Grèce dans le Latium, par l’effet de quatre causes que nous trouverons dans les mœurs et le caractère des nations : 1º les peuples encore barbares sont attachés aux coutumes de leur pays, mais à mesure qu’ils commencent à se civiliser, ils prennent du goût pour les façons de parler des étrangers, comme pour leurs marchandises et leurs manières ; c’est ce qui explique pourquoi les Latins changèrent leur Dius Fidius pour l’Hercule des Grecs, et leur jurement national Medius Fidius pour Mehercule, Mecastor, Edepol. 2º La vanité des nations, nous l’avons souvent répété, les porte à se donner l’illustration d’une origine étrangère, surtout lorsque les traditions de leurs âges barbares semblent favoriser cette croyance ; ainsi, au moyen âge, Jean Villani nous raconte que Fiesole fut fondé par Atlas, et qu’un roi troyen du nom de Priam régna en Germanie ; ainsi les Latins méconnurent sans peine leur véritable fondateur, pour lui substituer Hercule, fondateur de la société chez les Grecs, et changèrent le caractère de leurs bergers-poètes pour celui de l’Arcadien Évandre. 3º Lorsque les nations remarquent des choses étrangères, qu’elles ne peuvent bien expliquer avec des mots de leur langue, elles ont nécessairement recours aux mots des langues étrangères. 4º Enfin, les premiers peuples, incapables d’abstraire d’un sujet les qualités qui lui sont propres, nomment les sujets pour désigner les qualités, c’est ce que prouvent d’une manière certaine plusieurs expressions de la langue latine. […] Cependant toute tradition vulgaire doit avoir originairement quelque cause publique, quelque fondement de vérité.… Ce sont les Grecs qui, chantant par tout le monde leur guerre de Troie et les aventures de leurs héros, ont fait d’Énée le fondateur de la nation romaine, tandis que, selon Bochart, il ne mit jamais le pied en Italie, que Strabon assure qu’il ne sortit jamais de Troie, et qu’Homère, dont l’autorité a plus de poids ici, raconte qu’il y mourut et qu’il laissa le trône à sa postérité.
Quelque temps après, le thane de Cawdor ayant été mis à mort pour cause de trahison, son titre fut conféré à Macbeth, qui commença, ainsi que Banquo, à ajouter grande foi aux prédictions des sorcières et à rêver aux moyens de parvenir à la couronne. […] Le roi fut, en conséquence, regardé par eux comme ennemi des nobles et indigne de les gouverner, étant, disaient-ils, uniquement dévoué aux intérêts du peuple et du clergé, qui faisaient, en ce temps, cause commune contre l’oppression des grands seigneurs. […] Gillette s’en retourna en Roussillon d’où elle envoya dire au comte que, si sa présence était la cause de son exil volontaire, elle s’éloignerait pour toujours. […] On en ignore quelque temps la vraie cause. […] Si le poëte n’a pas donné à l’usurpateur cette physionomie odieuse qui produit la haine et les passions dramatiques, il suffit de lire l’histoire pour en comprendre la cause.
Le suicide de Robert y est ramené à ses vraies causes : un de ses frères s’était tué en 1825.
Il s’y exprime avec autant de goût que de chaleur, & il y présente les plus beaux traits de l’Eloquence, en découvrant en même temps les causes de sa corruption chez les Romains.
La cause de cet oubli vient naturellement de ce que les sujets qu’ils traitent ont été remaniés depuis par des Ecrivains plus habiles.
Pendant la servitude alternative de l’Italie aux Français et aux Allemands, les Vénitiens continuent à rester libres et à triompher tantôt de la France, tantôt de l’Allemagne, sans s’avilir jamais jusqu’à la neutralité, cet égoïsme honteux des nations inertes ; on les voit partout où il y a un équilibre à rétablir en Italie, de la tyrannie étrangère à combattre, de la gloire navale ou militaire à conquérir au nom de Venise ; leur trésor paye les Suisses, qui pèsent la justice des causes au poids de leur solde ; la victoire de Marignan laisse les Vénitiens inébranlables dans leur patriotisme italien. […] Ils avaient deux religions dans leur cœur, leurs princes et leurs prêtres ; superstitieux chez eux, héroïques dehors, bons et honnêtes partout, aussi propres à subir le joug de la conquête sans le secouer qu’à imposer ce joug à leurs voisins, quand l’inquiétude de la maison de Savoie les mettait à la solde des grands alliés auxquels on inféodait leur sang pour des causes toutes personnelles à ces princes. […] Plusieurs fois chassés de Turin par les Français, ils avaient embrassé et vaillamment servi la cause de l’empereur d’Allemagne contre nous. […] Ses excellents soldats, indifférents à la cause pourvu que l’honneur, la gloire et la victoire la consacrent, sont les meilleurs auxiliaires de Napoléon. […] Votre cause est italienne, que vos inspirations soient italiennes aussi.
« Dès les premiers jours, notre ministre me présenta dans plusieurs maisons ; et, soit à cause des spectacles publics, soit pour le nombre des fêtes particulières et la variété des amusements, le carnaval me parut plus brillant et plus agréable qu’aucun de ceux que j’eusse encore vus à Turin. […] Aussi, lorsque j’entrai à Paris par ce misérable faubourg Saint-Marceau, et qu’il me fallut ensuite avancer comme à travers un sépulcre fétide et fangeux vers le faubourg Saint-Germain, où j’allais loger, mon cœur se serra fortement, et je n’ai pas souvenance d’avoir éprouvé, dans ma vie, pour cause si petite, une plus douloureuse impression. […] Ce fut le 1er janvier 1768, un jour plus intéressant à cause des différentes cérémonies qui s’y pratiquent. […] Il fuit à travers les Orcades, et, après de tragiques aventures, il débarque en Bretagne, près de Morlaix, et se rend à Paris avec quelques amis compromis dans sa cause. […] Ses amis murmurèrent et le sommèrent de renvoyer miss Clémentine, infidèle, disaient-ils, à sa cause.
Sans parler de la tendresse d’imagination d’une nation si jeune encore, la cause la plus générale de cette disposition au merveilleux fut le contact avec l’Orient et la lecture des traductions des ouvrages orientaux. […] « J’ai maisons diverses, dit Faux-Semblant ; mais, ajoute-t-il, je n’ose m’ouvrir, à cause des moines mes confrères. » Le dieu insiste : « Eh bien ! […] Jean de Meung tenait pour l’Université ; c’était la cause des libres penseurs. […] La Conscience remplit le rôle de greffier. ; elle est chargée d’exposer les causes. […] Mais le plus souvent le succès est la cause des censures, et c’est le succès qu’il faut d’abord expliquer.
La propriété considérée comme une permission du peuple souverain qui peut, s’il lui plaît, l’abolir, et qui, en l’abolissant, ferait disparaître le brigandage, les rapines et la violence ; la destination de l’homme, qui n’est pas de travailler et de mériter, mais de jouir ; le luxe, comme cause unique de la pauvreté ; le bonheur, non par le devoir ni par la raison, mais par le tempérament : toutes ces doctrines ont reparu, et, pour la dernière fois plaise à Dieu ! […] Et si vous ne parvenez à étouffer dans le cœur de l’homme le désir d’acquérir pour lui et les siens ; si vous ne lui liez les bras en présence des forces de la nature ; si vous ne pouvez empêcher que sa lutte avec elle, nécessaire sous peine de périr, ne suscite les arts et les sciences, et par eux la richesse ; comment, dans votre impuissance absolue d’anéantir la cause, supprimerez-vous ou modérerez-vous l’effet ? […] La cause réelle de l’esprit d’utopie n’est pas le désir naturel du mieux, tel que l’éprouvent de très honnêtes gens qui savent se faire estimer, et se rendre relativement heureux dans la société où ils vivent ; c’est en général une fureur de perfection absolue, où s’emportent les gens incapables du bien qui est à la portée de tous. […] » En cherchant dans la vie et dans les livres de Rousseau les causes et les effets de l’esprit d’utopie, je n’ai pas voulu faire le procès à sa personne. […] Et si cette utopie a pour cause première une faute contre la nature et l’honneur, il ne faut pas craindre de la discréditer en en signalant la cause.
« J’étais le père des nécessiteux, et, quand la cause que j’avais à juger m’était obscure, je ne négligeais aucune peine pour la bien connaître. » VIII Et le monde tout entier, tel qu’il est, avec ses injustices, ses reproches, ses impatiences contre l’infortune qui se plaint, et même contre celle qui se tait, n’apparaît-il pas dans toute sa vérité par la voix des amis faux ou durs de l’homme juste, abattu devant eux dans la poussière ? […] Il n’y a pas à discuter sur cette existence, mère des existences ; il n’y a qu’à ouvrir les yeux et à étendre la main, ou à respirer : vous voyez, vous touchez, vous respirer par tous vos sens matériels ce qu’on appelle un Dieu, c’est-à-dire une cause, et votre sens intellectuel le conclut avec la même certitude que vos sens matériels le perçoivent. […] Mais comprendre Dieu, elle ne le peut pas ; Dieu, c’est-à-dire une cause qui n’a pas eu de cause, et qui s’engendre de soi-même. […] L’effet sans cause, ou Dieu, est absurde, et, si cet être sans cause n’était pas nécessaire, on pourrait le nier ; mais, comme il est nécessaire et évident, il faut le reconnaître, et reconnaître, par le même acte de foi et d’humilité, que notre sublime intelligence n’est cependant pas infinie, et que, toute vaste qu’elle soit, cette intelligence a une borne, et que cette borne est Dieu.
— Les nombreuses lacunes de nos archives géologiques résultent encore d’une autre cause beaucoup plus importante que les précédentes ; c’est que les différentes formations ont été séparées l’une de l’autre par de longs intervalles de temps. […] Hopkins, développant son point de vue, ne peut croire qu’une couche de sédiment sensiblement horizontale et d’une certaine étendue soit aisément détruite ; mais j’ai moi-même admis que des formations puissantes, solides et d’une grande étendue, résistent aux causes de dénudation. […] Il ne sera pas inutile de résumer les observations précédentes sur les causes de l’insuffisance des documents géologiques, au moyen d’un exemple supposé. […] Si, au contraire, le fond de la mer reste stationnaire, à mesure que la formation devient plus puissante, la vitesse d’accumulation doit progressivement diminuer ; mais elle doit aussi progressivement s’enrichir en formes organiques, et les espèces doivent encore changer, sans que leur changement ait pour cause leur transformation par sélection naturelle. […] Les causes d’intermittence dans la formation des dépôts sous-marins sont donc si nombreuses, qu’il faut attribuer à leur nombre même la difficulté et presque l’impossibilité où l’on est de distinguer leurs divers effets.
Il faut citer quelque chose de ces pages, qui égalent sur ce grand sujet ce qu’on a pu dire de mieux : Je ne suis pas de ceux, dit-il, qui, ayant dessein, comme vous dites, de convertir des éloges en brevets, font des miracles de toutes les actions de M. le cardinal, portent ses louanges au-delà de ce que peuvent et doivent aller celles des hommes, et, à force de vouloir trop faire croire de bien de lui, n’en disent que des choses incroyables ; mais aussi n’ai-je pas cette basse malignité de haïr un homme à cause qu’il est au-dessus des autres, et je ne me laisse pas non plus emporter aux affections ni aux haines publiques, que je sais être quasi toujours fort injustes. […] Et, à votre avis, l’aimeront-ils ou l’estimeront-ils moins, à cause que de son temps les rentes sur l’hôtel de ville se seront payées un peu plus tard, ou que l’on aura mis quelques nouveaux officiers dans la chambre des comptes ? […] Voltaire sérieux sous ses badinages, ou du moins passionné pour ou contre certaines idées et certaines institutions sociales, y mettant à tout instant la main comme l’enfant imprudent et terrible, mais parfois aussi comme l’ami de l’humanité, ne saurait être ramené et diminué jusqu’à Voiture, qui n’a jamais épousé dans sa vie aucune cause, et qui n’a été que le héros de la bagatelle.
Les médecins liront avec intérêt toute cette description mémorable en son genre, et même, quand on est à demi profane, on partage presque l’enthousiasme du savant et pieux Vallot qui dit en finissant : « Cette évacuation (une très abondante sécrétion finale par les voies urinaires) continua neuf jours de cette même force, et fut tellement avantageuse qu’elle acheva ladite guérison de Sa Majesté, sans aucun accident et sans aucune rechute, et même sans aucun ressentiment de la moindre incommodité du monde ; de manière qu’après cette parfaite guérison, le roi s’est trouvé beaucoup plus fort, beaucoup plus vigoureux et plus libre de toutes ses actions, tant du corps que de l’esprit, et l’on peut dire avec vérité que Dieu a conduit cet ouvrage par des voies si extraordinaires et par des secours et des grâces si particulières, s’étant servi des causes secondes en une conjoncture qui semblait devoir être plutôt destinée au miracle qu’à l’industrie et l’expérience des médecins. » Vallot ne fait là que délayer le mot d’Ambroise Paré : « Je le traitai, Dieu le guarit. […] La cause reste inconnue ; il ne faut la chercher ni dans l’exercice d’une glissoire, espèce de montagne russe, que le jeune roi avait fait établir exprès dans le parc de Versailles, et où il se livrait au plaisir d’entraîner et d’émouvoir Mlle de La Vallière : il dut bientôt y renoncer d’ailleurs, par défense du médecin. Plus de quarante ans après (1705), s’étant mis un jour à remuer et à feuilleter un grand nombre d’anciennes lettres d’amour et d’anciens papiers très-parfumés, il sentit redoubler ses vapeurs ; mais ce sont là des incidents et non des causes : elles nous échappent.
Amis de l’ancien régime et partisans du droit divin, qui en étiez venus, en désespoir de cause, à préconiser le suffrage universel ; à qui (j’aime à le croire) la conviction était née à la longue, à force de vous répéter, et qui vous montrez encore tout prêts, dites-vous, mais moyennant, j’imagine, certaine condition secrète, à embrasser presque toutes les modernes libertés ; — partisans fermes et convaincus de la démocratie et des principes républicains, polémistes serrés et ardents, logiciens retors et inflexibles, qui, à l’extrémité de votre aile droite, trouvez moyen cependant de donner la main parfois à quelques-uns des champions les plus aigris de la légitimité ; — amis du régime parlementaire pur, et qui le tenez fort sincèrement, nonobstant tous encombres, pour l’instrument le plus sûr, le plus propre à garantir la stabilité et à procurer l’avancement graduel de la société ; — partisans de la liberté franche et entière, qui ne vous dissimulez aucun des périls, aucune des chances auxquelles elle peut conduire, mais qui virilement préférez l’orage même à la stagnation, la lutte à la possession, et qui, en vertu d’une philosophie méditée de longue main dans sa hardiesse, croyez en tout au triomphe du mieux dans l’humanité ; — amis ordinaires et moins élevés du bon sens et des opinions régnantes dans les classes laborieuses et industrielles du jour, et qui continuez avec vivacité, clarté, souvent avec esprit, les traditions d’un libéralisme, « nullement méprisable, quoique en apparence un peu vulgaire ; — beaux messieurs, écrivains de tour élégant, de parole harmonieuse et un peu vague, dont la prétention est d’embrasser de haut et d’unir dans un souple nœud bien des choses qui, pour être saisies, demanderaient pourtant à être serrées d’un peu plus près ; qui représentez bien plus un ton et une couleur de société, des influences et des opinions comme il faut, qu’un principe ; — vous tous, et j’en omets encore, et nous-mêmes, défenseurs dévoués d’un gouvernement que nous aimons et qui, déjà bon en soi et assez glorieux dans ses résultats, nous paraît compatible avec les perfectionnements désirables ; — nous tous donc, tous tant que nous sommes, il y a, nous pouvons le reconnaître, une place qui resterait encore vide entre nous et qui appellerait, un occupant, si M. […] Guéroult, cet esprit, ce cœur si dévoué à la cause moderne, a été élevé religieusement ; il a passé par le séminaire. […] Nous n’en sommes plus au temps où l’on confondait sous ce nom commun de liberté la cause de Thraséas, celle de Brutus et des Gracques, celle du Lacédémonien Agis, celle des patriciens de Venise, celle du Grand-Pensionnaire de Hollande, de Witt, celle de lord Chatham, tous noms des plus respectables et des moins médiocres assurément ; mais nous est-il permis pourtant de distinguer ?
La mémoire du peuple a retenu le nom de deux des condamnés, de Jean-Jacques Pau, et surtout d’Avinens, soit que leur attitude fut plus ferme, plus imposante que celle des autres, et qu’ils eussent une beauté virile qui frappait les assistants, soit à cause du cri final républicain que poussa l’un d’eux sur l’échafaud. […] Fiévée, justifiant cette Chambre de 1815, a prétendu qu’après les événements antérieurs qui avaient brisé, trituré ou détrempé tant de caractères, s’il restait quelques espérances de talents applicables aux circonstances dans lesquelles on se trouvait au second retour de Louis XVIII, « ce ne pouvait être que parmi les royalistes qui avaient vécu, disait-il, hors du tourbillon qui entraînait l’Europe, réfléchissant sur l’inconstance des événements, en recherchant les causes, comparant le passé à ce qu’ils voyaient, faisant la part des hommes et des choses, et trouvant dans des pensées toujours refoulées un exercice qui doublait leurs forces : « J’ai toujours cru et je crois encore, écrivait-il en 1819, que la Chambre de 1815 offrait plusieurs hommes de cette trempe. […] Il y avait des niais et quelques sots panachés dont je ne parle pas, ils vivent peut-être encore ; puis, à côté, les malins : — et ce Vitrolles, hardi, osé, peu scrupuleux, qui avait un pied dans les camps les plus opposés, qui visait à un premier rôle, qui jouait son va-tout sur une seule carte, la confiance intime de Monsieur ; qui perdit et qui se fera beaucoup pardonner un jour en jugeant dans ses Mémoires avec esprit les gens qui l’ont mal payé de son zèle ; — et Michaud ; engagé parmi les violents du parti, on ne sait trop pourquoi, si ce n’est parce qu’il s’en était mis de bonne heure et de tout temps ; raisonnable et même assez philosophe dans ses écrits historiques et dans ses livres, incorrigible dans ses feuilles ; de qui Napoléon avait dit que c’était « un mauvais sujet » ; avec cela homme d’esprit et les aimant, indulgent même pour la jeunesse ; journaliste avant tout et connaissant son arme, muet dans les assemblées et pour cause, avec un filet de voix très-mince, un rire voltairien, et qui passa sa vie à se rendre compte des sottises qu’il favorisait, qu’il provoquait même, et qu’il voyait faire41.
Sans doute, le courant de ce qu’on appelle l’opinion publique se décide par la suite et le concours de tant de causes générales et particulières, que chacune des particulières compte pour infiniment peu, — ou très-peu. Il en est du courant des opinions comme des vents en météorologie : la cause des vents et de leurs variations reste inconnue ; tant d’influences y concourent, qu’il a été jusqu’ici impossible de déterminer la part exacte de chacune. […] Chez les modernes, il y a progrès : les oracles sont muets ; la voix des dieux et de ceux qui les faisaient parler n’est plus fatalement obéie ; les peuples pensent : et pourtant il y a toujours l’empire des mots, la puissance des déclamations de tout genre, des sophismes spécieux, ces autres formes d’idoles ; il y a la mobilité naturelle aux hommes, le jeu presque mécanique des actions et des réactions, mille causes combinées d’où résultent on ne sait comment, à certains jours, des souffles généraux qui deviendront plus tard des tempêtes ; et lorsqu’une fois il s’est établi parmi les peuples un mauvais courant de pensées et de sentiments, oracle ou non, il y a danger, si une main bien prudente et bien ferme n’est au gouvernail, qu’ils n’y obéissent en aveugles comme à un mauvais génie.
Il y a des lois auxquelles la spontanéité humaine ne saurait se soustraire ; elle peut, selon son génie primitif, tirer plus ou moins parti de certaines conditions extérieures, non s’y dérober ; laissez-lui le temps, laissez-la croître et s’étendre et mûrir selon le cours des saisons et des âges, laissez les causes complexes agir, se produire et se combiner : tout, à la fin, s’harmonise et concorde, tout se coordonne. […] Association de pères de famille, agriculteurs et guerriers, qui couvre peu à peu les sept collines, ayant au-dessous d’elle des clients nombreux, la cité est d’abord un patriciat jaloux qui retient d’une manière incommunicable, non-seulement le gouvernement, mais le culte, le droit civique, et comme la famille même et la propriété. » On sait toutes les crises par où l’on dut passer avant de forcer une à une les barrières : patriciat hautain et féroce, révoltes populaires, sécessions à main armée et droits conquis, puissance des tribuns ; puis, en dehors de Rome, le travail des peuples latins et italiens, leur révolte aussi, la guerre sociale, et les alliés vaincus faisant irruption pourtant dans la cité et gagnant en définitive leur cause. […] Zeller, avec plus de précision et résumant le sens politique de toute la conduite romaine dans ces mêmes siècles, dira : « Vous avez cet admirable gouvernement où la sagesse du Sénat tempère l’élan de la place publique ; où la monarchie temporaire, sous le nom de dictature, empêche ou modère les luttes ou les excès de l’aristocratie et de la démocratie ; où les Consuls conservent toujours un pouvoir fort ; où les assemblées n’ont que la délibération et la sanction, le contrôle et les appels des grandes causes politiques ; cette société, enfin, où le mariage et la propriété constituent en quelque sorte la cité même, où la famille est réglée comme un État, où l’État et la religion se pénètrent au point que le gouvernement fait un avec le culte, et que l’amour des dieux est le culte même de la patrie, et le culte de la patrie l’amour des dieux !
En ma qualité d’ancien novateur et révolutionnaire romantique qui est de temps en temps repris d’une velléité de mouvement, j’ai regretté dans ces derniers mois de ne pouvoir aller soutenir à l’Académie la cause de l’innovation ; mais elle est soutenue bien mieux que par moi par le respectable et docte M. […] Ne nous le dissimulons pas : il s’est fait depuis quelques années, et pour bien des causes, une sorte d’intimidation générale de l’esprit humain sur toute la ligne. […] Et formuler (car je me fais en ce moment, par supposition, l’avocat de toutes les causes sinon mauvaises, du moins douteuses, non pas tant pour les faire prévaloir que pour montrer dans quel sens elles peuvent être défendues) : on abuse aujourd’hui de ce mot formuler, on l’emploie indifféremment pour exprimer, énoncer.
Je ne m’attacherai donc pas ici à l’analyse des effets semblables, qui devaient naître des mêmes causes. […] C’eût été peut-être encourager les faiblesses, que d’en démêler les causes, tandis que les Romains voulaient en ignorer jusqu’à la possibilité. […] La principale cause de l’admiration qui nous saisit en lisant le petit nombre d’écrits qu’il nous reste de la première époque de la littérature romaine, c’est l’idée que ces écrits nous donnent du caractère et du gouvernement des Romains.
Buffon, grand seigneur, juge le cerf dans ses rapports avec les grands seigneurs, et il y voit la cause finale des chasses à courre. […] » Oserais-je dire des dégoûts de Buffon pour certains objets de son étude, que la cause principale est que Dieu y manque ? […] Tandis que la plupart des hommes supérieurs, soit fatigue, soit défiance mélancolique dans les vues de l’esprit si souvent démenties, finissent par le détail, le fait, et s’éteignent dans les timides plaisirs de l’érudition, c’est le temps pour Buffon de l’invention, des affirmations hardies, de la foi dans l’esprit, de la passion pour cette recherche des causes où Virgile rêvait le bonheur du sage.