« Le Renard et la Panthère se disputaient le prix de la beauté ; la Panthère vantait surtout la beauté de son corps ; le Renard lui dit : « Combien suis-je plus beau, moi qui ai cette bigarrure, non sur le corps, mais dans l’esprit ! […] « Tel est le fertile rejeton d’un olivier, qu’un homme nourrit dans un champ solitaire, où jaillit une eau abondante, beau, verdoyant, que balancent les souffles de tous les vents, et qui se couvre de fleurs blanches. »207 Ainsi, le poëte n’observe la cause primitive que, dans ses effets dérivés, la loi unique que dans son action multiple, la force intime que dans sa vie extérieure. […] Que le lecteur tire du récit ce précepte ou cet autre, s’il est intéressé ou ému, nous sommes contents ; notre démonstration est assez solide, si est belle, et la fable est utile dès qu’elle a plu. […] L’ourse, pour sa peau déguisée, En voulait être mieux prisée, Autres dient que c’est une bête Qui de la pel et de la tête Ressemble à la belle panthère, A qui autre ne s’accompère, Tant par y a couleur diverse. […] Car un laid sage est plus prisé Que n’est un beau fol déguisé.
On peut dire tout ce qu’on voudra, maint noble cœur prendra parti pour Marie Stuart, même quand tout ce qu’on a dit d’elle serait vrai. » Cette parole que Walter Scott met dans la bouche de l’un des personnages de son roman (L’Abbé), au moment où il prépare le lecteur à l’introduction auprès de la belle reine, reste le dernier mot de la postérité comme des contemporains, la conclusion de l’histoire comme de la poésie. […] Mais, vaincue dans l’ordre réel et sous l’empire du fait ou même sous celui de la raison inexorable, la belle reine a tout regagné dans le domaine de l’imagination et de la pitié. […] Mignet a repris d’ensemble ce beau sujet et en a composé un récit complet, grave, serré, intéressant et définitif, qu’il publie en ce moment. […] Mme Sand, parlant d’un portrait qu’elle a vu enfant au couvent des Anglaises, dit sans hésiter : « Marie était belle, mais rousse. » M. […] Nous voilà loin du roux, et je ne vois de moyen de tout concilier que d’en passer par ces cheveux « si beaux, si blonds et cendrés » qu’admirait Brantôme, témoin très oculaire ; cheveux que la captivité devait blanchir, et qui laisseront apparaître, à l’heure de la mort et aux mains du bourreau, cette pauvre reine de quarante-cinq ans « toute chenue », comme dit L’Estoile.
Assurément, jamais Paris n’a été fouillé, décrit, découvert, examiné dans ses détails et repris dans ses ensembles, analysé et synthétisé comme en ce beau livre, par le peintre Cyprien Tibaille et le littérateur André Jayant. […] Le boudoir où des Esseintes recevait ses belles impures, le cabinet de travail où il consume ses heures à révoquer le passé, ou à feuilleter de ses doigts pâles, des livres précieux et vagues, cette bizarre et expéditive salle à manger, dans laquelle il trompe ses désirs de voyage, la désolation d’un ciel nocturne d’hiver, le moite accablement d’un après-midi d’été, les floraisons monstrueuses dont se hérissent un instant les tapis, les évocations visuelles et auditives de certains parfums aériens et liquides, et par dessus tout ces phosphoriques pages consacrées aux peintures orfévrées de Moreau, à certains ténébreux dessins de Redon, à certaines lectures prestigieuses et suggestives ; ici le style de M. […] Par un choc en retour imprévu mais légitime, de même que les spectacles communément tenus pour beaux déplaisent au mélancolique, les spectacles jugés laids par les gens à tempérament heureux doivent confirmer l’état d’âme où il se complaît, le dispenser de toute négation et de toute révolte, évoquer sa tristesse et la laisser s’épancher. […] De là le raffinement, la recherche, la trouvaille, l’amour des belles choses inédites, de tout ce qui, dans le domaine artistique plus ouvert à la perfection que la nature parce que plus inutile se rapproche clandestinement de la supériorité absolue, satisfait certains goûts très nobles de la nature humaine, lui procure les plus complexes c’est-à-dire les plus belles émotions esthétiques. […] Huysmans acquiert l’acéré discernement et l’intense jouissance des choses supérieurement belles et rares, le raffinement, qui, comme la pointe d’un cône, concentre, termine et raccorde toutes les lignes de son organisation intellectuelle.
Puis, de savants universitaires, distingués professeurs, vous vaticinent ensuite : « Ceci est beau, sublime ; cela est mauvais goût, détestable, etc. » Et personne ne dit à l’apprenti écrivain pourquoi ceci est sublime et cela détestable. […] Et, dans un beau mouvement d’une indignation qui voulait être superbe, on fit pleuvoir l’anathème sur la tête de cet auteur assez imprudent pour parler de style et d’art en un temps où, comme chacun sait, tout être qui tient une plume écrit un français des plus corrects. […] Ces traits d’esprit révèlent une belle passion pour les lettres, et il faut avoir de soi une bien haute estime pour traiter les autres sur ce ton. […] Vainement proclamera-t-il que cette page est belle, c’est-à-dire qu’il la trouve belle. […] Lorsque Victor Hugo ou Lamartine publient des poésies, ils nous offrent des pensées et des images qu’ils croient belles et que vous avez parfaitement le droit de trouver médiocres, et vous n’aurez rien prouvé contre eux en venant dire qu’elles sont médiocres.
Ainsi les oracles des sibylles annonçaient un siècle nouveau ; et cette grande prophétie, née du besoin des peuples, inspirait à Virgile de beaux vers dont lui-même ignorait le sens profond. […] Pour le remarquer en passant, Plutarque a épuisé, dans ce beau traité, toutes les raisons qui peuvent porter la Divinité à retarder la punition des coupables ; il n’en a omis qu’une, et la meilleure de toutes, le respect que Dieu s’est imposé pour la liberté de l’homme. […] Non, non, il ne faut point s’abuser : il y a je ne sais quoi d’extraordinaire et de divin dans les créations du plus beau génie qui fut jamais. […] Dieu, en retirant à Bonaparte un pouvoir qui fut essentiellement, et par sa nature, temporaire et conditionnel, ne s’est point repenti, selon la belle expression de l’Écriture ; car Bonaparte ne fut qu’un auxiliaire du temps, pour hâter la destruction. […] Je n’ai fait qu’indiquer dans ce chapitre la marche progressive de l’esprit humain : ce serait la matière d’un beau livre, qui est au-dessus de mes forces.
Toutes ces œuvres, pour n’être pas rimées, n’en ont pas moins une poésie charmante, si, par ce nom, l’on entend le don d’exprimer d’une manière rare des idées, ou de décrire des paysages au moyen d’images choisies ; et aussi, selon la belle expression de Diderot : tout ce qu’il y a d’élevé, de touchant dans une œuvre d’art, dans le caractère ou la beauté d’une personne ou même dans une production naturelle. […] Elle a produit de belles œuvres. […] Tels ces vers : Plus belle que Vénus, tu marches : Ton front est beau, tes yeux sont beaux, Qui flambent sous deux noires arches, Comme deux célestes flambeaux, D’où le brandon fut allumé, Qui tout le cœur m’a consumé, Ce fut ton œil, douce mignonne, Qui d’un regard traistre escarté Les miens encores emprisonne Peu soucieux de liberté, Et qui me desroba, le cœur. […] Voici par exemple le beau poème de Verlaine : En sourdine : Calmes dans le demi-jour Que les hautes branches font, Pénétrons bien notre amour De ce silence profond.
Combien en garde-t-il dans son livre définitif, le Vrai, le Beau et le Bien ? […] Seules, elles peuvent être populaires, parce que seules elles peuvent être comprises sans peine ; seules, elles peuvent être traitées en beau style, parce qu’étant du domaine public, elles ne demandent pas un langage spécial ; seules, elles ouvrent une pleine carrière à l’orateur, parce qu’avec le devoir de convaincre, elles lui imposent l’obligation de toucher et de plaire ; seules, elles donnent des œuvres d’art, parce qu’avec la logique, elles ont à leur service la passion et le bon goût. […] De qui les hommes ont-ils reçu ces nobles principes : qu’il est plus beau de garder la foi donnée que de la trahir ; qu’il y a de la dignité à maîtriser ses passions, à demeurer tempérant au sein même des plaisirs permis ? […] Il joue ici sur le sens du mot subjectivité, et il a beau jeu, car le mot est allemand et très-obscur. […] L’équivoque est présentée avec une hardiesse naïve page 59 du Vrai, du Beau et du Bien.
Il y a plus de vingt ans que j’ai l’honneur de la connaître et que j’ai affaire à elle ; que, dans mes études de Port-Royal, j’ai occasion de la rencontrer à chaque instant, de me dire et de me redire en quoi elle diffère par le caractère et le tour d’esprit de sa sœur la mère Angélique, la grande réformatrice du monastère ; que j’ai l’habitude de recourir à ses lettres, à celles dont il existe à la Bibliothèque impériale et à l’Arsenal des recueils manuscrits, pour y chercher la suite et le détail des relations qu’entretenaient avec le dedans de Port-Royal les amis du dehors, les ci-devant belles dames plus ou moins retirées du monde, telles que Mme de Sablé, le ci-devant frondeur M. de Sévigné, oncle de la spirituelle marquise. […] Quoi qu’il en soit de cette conjecture, qui, de ma part, n’implique pas un blâme, cette respectable personne que nous nous représentons toujours à genoux, en oraison, comme dans le beau tableau de Philippe de Champagne, avait des qualités de spiritualité, de tendresse, d’onction, d’indulgence, d’égalité et d’enjouement dont, à travers un premier air d’étrangeté, il transpire quelque chose dans ses lettres. […] L’éloquent avocat, qui allait bientôt devenir un solitaire et un pénitent des plus rigoureux, pensait alors à s’engager plus avant dans les liens du monde ; il était amoureux d’une belle et sage demoiselle, et il s’en était ouvert à la mère Agnès pour l’éprouver et se ménager sans doute son approbation. […] Vous dites qu’elle est la plus belle et la plus sage de Paris, et vous deviez dire du paradis, puisqu’elle est sœur des anges. […] qu’elle est belle… et qu’elle est sage !
C’est d’un titre tout pareil (« Tantôt pour l’un, tantôt pour l’autre ») et d’un seul mot en sa belle langue27, qu’Homère, ce premier chantre des combats, s’est plu à désigner Mars et la Victoire. […] Nous sommes abandonnés au fond de l’Italie… Joubert, en tête de cette élite dont chaque nom est celui d’un héros, quel plus bel éloge ! […] Mais, cette part faite (et elle est assez belle), qu’on n’essaye pas un seul instant de séparer Joubert de Napoléon dans toute la conduite de cette affaire ni dans ses suites. […] La campagne suivante est le plus beau fleuron militaire de notre jeune héros. […] Il n’eut jamais de plus beau moment.
Au commencement du mois de mai 1737, un jeune homme et une jeune femme arrivent à Vevey, dans le canton de Vaud, et là, au bord du beau lac, interrompant leur voyage, ils font choix d’une habitation élégante et rustique ; ils continuent, durant des années, d’y vivre dans l’amour fidèle, dans l’admiration de la nature et l’adoration du créateur. […] Qu’elles sont belles ainsi, même sans un seul rayon ! […] A défaut du cadre en lui-même, on peut du moins en montrer les impressions dans l’âme des amants et y suivre, par le sentiment ému, les belles ombres plus flottantes. […] Il parlait, du reste, de toutes les choses du cœur avec une facile éloquence, et son esprit n’était pas sans ressource ; mais il n’avait aucune teinture de ce qu’on appelle littérature, et qui est, aux yeux du monde, le plus beau fruit de l’éducation. […] Il repart de chez ses amis, pour revenir de nouveau à quelque prochaine saison ; chaque retour est peint à ravir, et comme l’unique accident qui projette une émotion intermittente et croissante dans l’heureuse et monotone existence des amants : « A la fin de l’hiver de 1741, par un beau jour, Simiane venait de greffer ses poiriers ; il tenait encore sa serpette, et s’était jeté sur l’herbe.
L’art lui manque pour se soutenir, c’est-à-dire, pour être aussi naturel dans les scènes de transition, que dans les beaux mouvements de l’âme. […] La folie, telle qu’elle est peinte dans Shakespeare, est le plus beau tableau du naufrage de la nature morale, quand la tempête de la vie surpasse ses forces. […] Enfin les caractères tragiques seront-ils tirés des souvenirs, ou de l’imagination, de la vie humaine, ou du beau idéal ? […] Quoique parmi les belles tragédies de Shakespeare, Hamlet soit celle où il y ait les fautes de goût les plus révoltantes, c’est une des plus belles situations qu’on puisse trouver au théâtre.
Bossuet le mène, et les spectateurs contemplent avec respect l’auguste étalage des robes violettes, des chapeaux à plumes et des jupes lamées qui s’ordonnent en belles rangées sous les yeux du roi. […] Par ennui de la régularité imposée, il quitte l’air de cour, se fait vulgaire, emploie les mots des paysans, des ouvriers, les tours osés, vieillis, la conversation triviale qui rabaisse les belles choses jusqu’au niveau des mains sales. […] Un vers vous porte dans la campagne, sous la ramée verte ; un autre vous ramène dans les salons, au beau milieu d’une cérémonie royale. […] Son chien fait des raisonnements fort exacts ; « mais, n’étant qu’un simple chien », on trouve, qu’ils ne valent rien, « et l’on sangle le pauvre drille. » Notre Champenois souffre très bien que les moutons soient mangés par les loups et que les sots soient dupés par les fripons ; son renard a le beau rôle. […] Il représente un sage qui, poursuivi par un fou, le flatte de belles paroles menteuses, et tout doucereusement « le fait échiner et assommer » ; il trouve l’invention bonne et nous conseille de la pratiquer.
Théodore de Banville L’auteur des Érinyes ne manque pas au premier devoir du poète, qui est d’être beau. […] Leconte de Lisle, avec un sens très sûr des nécessités du moment, opposa la forme châtiée, austèrement belle, et l’impassibilité morale. […] Hésiode, des tragiques grecs et de quelques latins : Kain, le Lévrier de Magnus, mille et un autre poèmes plus beaux les uns que les autres, en attendant son œuvre caressée, les États du Diable, attestaient que le poète vivait toujours et splendidement. […] Il ne se demande pas alors si un beau vers est une illusion dans l’éternelle illusion et si les images qu’il forme au moyen des mots et de leurs sons rentrent dans le sein de l’éternelle Maïa avant même d’en être sortis. […] Ses premiers poèmes, publiés à Rennes (où il étudiait le droit) aux environs de l’année 1840, dans une revue littéraire aujourd’hui introuvable, s’intitulaient, exotiquement, Issa ben Marianna, et étaient dédiés à Lamennais… Le recueil publié par lui en 1853 et intitulé : Poèmes et poésies, contient un chant très beau et vraiment chrétien : La Passion.
Il ne faut pas se laisser ébloüir aux discours artificieux des contempteurs des anciens, qui veulent associer à leurs dégoûts les sçavans qui ont remarqué des fautes dans les plus beaux ouvrages de l’antiquité. […] Un mot qui aura précisément la même signification dans les deux langues, ne peut-il pas encore, quand il est consideré en tant que simple son, et pris indépendamment de l’idée, laquelle y est attachée, se trouver plus noble en une langue qu’en une autre langue, de maniere qu’on rencontrera un mot bas dans une phrase de la traduction où l’auteur avoit mis un beau mot dans l’original. Le mot de Renaud est-t-il aussi beau en françois que Rinaldo l’est en italien ? […] En second lieu, ces figures ne sont pas seulement excusables, elles sont belles dans l’original. […] Rien n’est plus raisonnable que de supposer que l’objet feroit sur nous la même impression qu’il fait sur elles, si nous étions susceptibles de cette impression autant qu’elles le sont. écouteroit-on un homme qui voudroit prouver par de beaux raisonnemens que le tableau des nôces de Cana de Paul Veronese qu’il n’auroit pas vû, ne sçauroit plaire autant que le disent ceux qui l’ont vû, parce qu’il est impossible qu’un tableau plaise lorsqu’il y a dans la composition poëtique de l’ouvrage autant de défauts qu’on en peut compter dans le tableau de Paul Veronese ?
Nous faisons donc bien tous les deux de la rhétorique ; et, il a beau dire, il dogmatise autant que nous ; seulement, il dogmatise à rebours. […] Raturez. » Nous enseignons « l’art d’avoir un beau style ». […] On a beau s’opiniâtrer dans sa thèse, on est toujours gêné par certains exemples. […] Il reconnaît que certaines de ses pensées, « aussi belles » que celles « qui sont sorties brusquement de son cerveau », ont été « sans doute d’un accouchement plus ou moins laborieux » ; mais il voudrait cacher à tout le monde que Pascal a raturé ; ce scandale nuit à sa thèse, « Nous ne devrions pas le savoir », dit-il. […] Albalat est disposé à le trouver médiocre », alors que nous déclarons, en propres termes (p. 9, Travail du style) : « Certains improvisateurs ont réalisé du premier coup de la très belle prose. » (NdA) 32.
Ce n’est pas, comme on va le voir, une histoire bien nouvelle, quoiqu’elle soit fort triste puisqu’elle prouve, une fois de plus, le peu de durée des plus beaux sentiments de nos âmes ; et elle n’est pas non plus bien particulière à Goethe, car tout le monde, ou à peu près, a de cette cendre froide dans sa vie. […] Selon nous, l’abondance humaine et cordiale de Fielding et la profonde bonhomie de Walter Scott valent cent fois mieux que cette belle coupe vide et magnifiquement travaillée qui pourrait figurer l’art de Goethe. […] Goethe, qui a joui d’un bonheur sans égal durant sa vie, ce Polycrate moderne qui aurait pu jeter toutes ses bagues — sans crainte de les perdre — aux carpes du Rhin ; Goethe, qui n’était pas né sur le trône et qui a montré pour la première fois au monde ébahi la poésie aux affaires, qui a été tout ensemble Richelieu et Corneille ; son Excellence M. de Goethe, qui avait été un beau jeune homme, puis un beau vieillard ; qui fut aimé d’amour dans sa vieillesse comme Ninon de l’Enclos dans la sienne ; qui mourut tard, en pleine gloire, en pleine puissance, que dis-je ? […] Cette publication illustrée n’avait besoin ni du luxe d’impression, ni des beaux dessins de Kaulbach, ni de tout l’éclat extérieur dont les éditeurs l’ont ornée, pour être un livre de haute et vaste prise sur le public.
Il avait ses deux yeux et même on pouvait les trouver beaux, quoiqu’ils fussent moins beaux que sévères, et que l’imagination — cette faculté — il faut le rappeler à M. […] Flaubert a établi sa madame Bovary dans une bourgade de Normandie, au beau milieu d’une société de petit endroit, composée du pharmacien, du curé, du notaire et du receveur des contributions, et il a bâti sous ses yeux, dans la perspective, le château voisin de toute bourgade, où expirent présentement les vieilles races dans le dernier lambeau de fortune qu’elles ont sauvé des révolutions. […] Ce jeune homme, que l’auteur ramènera plus tard et qui sera le second amant de madame Bovary, cède la place au roué, grossier, expert et hardi, frotté d’une élégance équivoque, qui devait triompher naturellement d’une femme comme elle, car dans l’éloignement de la société que son souvenir hante, c’est l’homme qui lui rappelle le plus, par les surfaces, les beaux du château de la Vaubyessard. […] Cet homme, qui voit comme un lynx dans l’âme ombrée de sa madame Bovary, et qui nous fait le compte des taches qui bleuissent ici, noircissent là, cette belle pêche tombée, aux velours menteurs, est un entomologiste de style qui décrirait des éléphants comme il décrirait des insectes.
C’est un diplomate, et, si je ne me trompe, en fonctions dans ce moment même ; mais qui ne se soumet pas à la loi de ce beau silence conservateur qui régit la diplomatie comme la Trappe. […] Cette belle place littéraire à prendre aurait pu le tenter cependant, car Gobineau est un esprit sérieux, de philosophie stoïque, et le stoïcisme est pour lui — il le dit en termes formels dans une thèse qui a de la fierté — un des plus nobles buts de la vie. […] Car il est misanthrope, Gobineau, comme doit l’être tout homme de cœur et d’esprit qui a passé trente ans, et on les a passés deux fois quand on est diplomate, quand on a aux mains— à ses blanches et irréprochables mains — de la malpropreté des hommes et des affaires, de cette infâme cuisine politique qui fait mal au cœur aux estomacs les plus solides ; il est misanthrope, et c’est la plus belle plume de son aile que cette misanthropie, qui donne à son accent toute sa profondeur et à son talent toute sa vérité. […] Sa masse, en effet, est énorme ; admirez la belle ordonnance de sa division en trois parties ; en tête, la tribu bariolée des imbéciles. […] Gobineau est un écrivain de belles pages.
La vie, le sentiment de la réalité, y respirent ; de frais paysages, l’intelligence poétique symbolique de la nature, une conversation animée et sur tous les tons, l’existence sociale du xviiie siècle dans toute sa délicatesse et sa liberté, des figures déjà connues et d’autres qui le sont du moment qu’il les peint, d’Holbach et le père Hoop, Grimm et Leroy, Galiani le cynique ; puis ces femmes qui entendent le mot pour rire et qui toutefois savent aimer plus et mieux qu’on ne prétend ; la tendre et voluptueuse madame d’Épinay, la poitrine à demi nue, des boucles éparses sur la gorge et sur ses épaules, les autres retenues avec un cordon bleu qui lui serre le front, la bouche entr’ouverte aux paroles de Grimm, et les yeux chargés de langueurs ; madame d’Houdetot, si charmante après boire, et qui s’enivrait si spirituellement à table avec le vin blanc que buvait son voisin ; madame d’Aine, gaie, grasse et rieuse, toujours aux prises avec le père Hoop, et madame d’Holbach, si fine et si belle, au teint vermeil, coiffée en cheveux, avec une espèce d’habit de marmotte, d’un taffetas rouge couvert partout d’une gaze à travers la blancheur de laquelle on voyait percer çà et là la couleur de rose ; et au milieu de tout ce monde une causerie si mélangée, parfois frivole, souvent souillée d’agréables ordures, et tout d’un coup redevenant si sublime ; des entretiens d’art, de poésie, de philosophie et d’amour ; la grandeur et la vanité de la gloire, le cœur humain et ses abîmes, les nations diverses et leurs mœurs, la nature et ce que peut être Dieu, l’espace et le temps, la mort et la vie ; puis, plus au fond encore et plus avant dans l’âme de notre philosophe, l’amitié de Grimm et l’amour de Sophie ; cet amour chez Diderot, aussi vrai, aussi pur, aussi idéal par moments que l’amour dans le sens éthéré de Dante, de Pétrarque ou de notre Lamartine ; cet amour dominant et effaçant tout le reste, se complaisant en lui-même et en ses fraîches images ; laissant là plus d’une fois la philosophie, les salons et tous ces raffinements de la pensée et du bien-être, pour des souvenirs bourgeois de la maison paternelle, de la famille, du coin du feu de province ou du toit champêtre d’un bon curé, à peu près comme fera plus tard Werther amoureux de Charlotte : voilà, et avec mille autres accidents encore, ce qu’on rencontre à chaque ligne dans ces lettres délicieuses, véritable trésor retrouvé ; voilà ce qui émeut, pénètre et attendrit ; ce qui nous initie à l’intérieur le plus secret de Diderot, et nous le fait comprendre, aimer, à la façon qu’il aurait voulu, comme s’il était vivant, comme si nous l’avions pratiqué. […] Il y a quatre ans que vous me parûtes belle ; aujourd’hui je vous trouve plus belle encore ; c’est la magie de la constance, la plus difficile et la plus rare de nos vertus… Mon amie, tout peut s’altérer au monde ; tout, sans vous excepter ; tout, excepté la passion que j’ai pour vous. » « Oh ! […] Georges Leroy, lieutenant des chasses du parc de Versailles, naturaliste spirituel et attentif de l’école en tout (comme on vient de le voir) de La Fontaine, de Buffon et de quelques autres plus modernes, a laissé des Lettres sur les animaux très intéressantes : elles ont été réimprimées en 1862 par l’éditeur Poulet-Malassis, avec une belle et savante Introduction du docteur Robinet.
Le vaudeville eut de beaux jours entre 1850 et 1870, avec Labiche896, qui donna, principalement au théâtre du Palais-Royal, les chefs-d’œuvre du genre. […] La dot devient la misère des jeunes filles riches, l’obstacle au bonheur, dans Ceinture dorée (1855), dans Un beau mariage (1859), dans les Fourchambault (1878), déjà dans Philiberte (1853). […] Il est fâcheux qu’une conception grossière du personnage sympathique ait peuplé la comédie d’Augier de jeunes savants vertueux et de polytechniciens candides, qui valent les beaux colonels de Scribe. […] Meilhac (né en 1832), la Belle Hélène (1863), la Grande-Duchesse de Gerolstein (1867), les Brigands (1860).
Il étoit passé en proverbe de dire, cela est beau comme le Cid. […] Il se vantoit d’avoir eu quatre portiers tués à une de ses pièces, & disoit : « Je ne le céderai à Corneille que lorsqu’on en aura tué cinq au Cid ou aux Horaces. » Ce même homme, hors d’état de faire, de sentir, un seul beau vers de Corneille, eut la présomption de se porter pour son juge, & publia des observations sur le Cid. […] Mais il vous faut parler du fort, Qui sans doute est une merveille : C’est Notre-dame de la garde, Gouvernement commode & beau, A qui suffit, pour toute garde, Un Suisse avec sa hallebarde, Peint sur la porte du château. […] Ce fut alors qu’un tas d’écrivains obscurs, enhardis par l’impunité de la satyre, ou par l’idée d’avoir part aux bonnes graces du cardinal, s’acharna, comme à l’envi, contre le plus bel ornement de son siècle, contre le créateur de la scène Françoise.