Si quelqu’un eût pu s’opposer à la publication de ces Lettres, — qui ne sont pas une Correspondance puisque les réponses n’y sont pas, — c’eût été tout au plus quelque parent de Benjamin Constant, pour peu qu’il eût tenu au genre de renommée qu’a laissée derrière lui l’auteur d’Adolphe… L’idée, en effet, qu’on a de Benjamin Constant, comparé pour l’esprit par ses contemporains à rien moins que Voltaire, se trouve légèrement entamée par ces lettres, qui nous le montrent tout à coup sous l’aspect étonnant d’un sentimental aussi niais que le premier amoureux venu ! […] Elle lui dit qu’il n’était plus Benjamin Constant, qu’il se dissolvait, qu’il tombait par morceaux, qu’il était changé à faire peur, qu’il perdait son talent, qu’il n’avait plus d’esprit, qu’il devenait bête et idiot, lui, le Voltaire du temps !
par se croire Voltaire. […] S’il y avait quelque chose qui ressemblât à du respect dans sa pensée, ce serait pour Condillac et pour Voltaire.
Nous dire cela ne peut être réservé qu’à des poètes sortis directement des trois grands peuples qui se pressent l’un contre l’autre au centre de l’Humanité, la France, l’Allemagne et l’Angleterre ; qu’à des poètes qui auront porté avec douleur les graves pensées de notre âge ; qu’à des poètes qui auront senti l’impulsion des philosophes du Dix-Huitième Siècle, ces prédécesseurs des poètes actuels ; qu’à des poètes, enfin, qui nous montreront leur ligne de parenté avec Rousseau, Diderot et Voltaire, la Révolution Française et Napoléon, soit qu’ils se soient mis en lutte ouverte ou qu’ils vivent en harmonie avec tous ou quelques-uns de ces grands colosses qui avaient dernièrement en eux la vie du monde, et qui, glacés dans leur tombeau, tiennent encore en main le sceptre de l’avenir. […] Goethe cependant l’avait précédé de bien des années ; mais Goethe, dans une vie plus calme, se fit une religion de l’art, et l’auteur de Werther et de Faust, devenu un demi-dieu pour l’Allemagne, honoré des faveurs des princes, visité par les philosophes, encensé par les poètes, par les musiciens, par les peintres, par tout le monde, disparut pour laisser voir un grand artiste qui paraissait heureux, et qui, dans toute la plénitude de sa vie, au lieu de reproduire la pensée de son siècle, s’amusait à chercher curieusement l’inspiration des âges écoulés ; tandis que Byron, aux prises avec les ardentes passions de son cœur et les doutes effrayants de son esprit, en butte à la morale pédante de l’aristocratie et du protestantisme de son pays, blessé dans ses affections les plus intimes, exilé de son île, parce que son île antilibérale, antiphilosophique, antipoétique, ne pouvait ni l’estimer comme homme, ni le comprendre comme poète, menant sa vie errante de pays en pays, cherchant le souvenir des ruines, voulant vivre de lumière, de lumière éclatante, et se rejetant dans la nature comme autrefois Rousseau, fut franchement philosophe toute sa vie, ennemi des prêtres, censeur des aristocrates, admirateur de Voltaire et de Napoléon ; toujours actif, toujours en tête de son siècle, mais toujours malheureux, agité comme d’une tempête perpétuelle, en sorte qu’en lui l’homme et le poète se confondent, que sa vie intime répond à ses ouvrages ; ce qui fait de lui le type de la poésie de notre âge. […] Enfin on se fait une religion vaporeuse, qui ne ressemble pas plus au Christianisme, quand il vivait, que les muses et les nymphes de la poésie mythologique de Boileau et de Voltaire ne ressemblaient au Paganisme. […] Voltaire n’est pas poète quand, pour peindre l’amour, il emploie tous les termes abstraits ou toutes les métaphores usées du dictionnaire ; mais l’auteur du Cantique des Cantiques, dont Voltaire se moquait, est poète quand il compare les dents de sa maîtresse à de petits moutons blancs qui sortent en rang du lavoir.
Hoffmann, qui en ont élaboré le texte, auront plus avancé l’œuvre que Voltaire flanqué de tout le XVIIIe siècle. […] Voltaire avait raison, à son point de vue, de se moquer d’Ézéchiel 104 comme Perrault et quelques critiques d’Alexandrie avaient raison de déclarer Homère ridicule, et quand Mme Dacier et Boileau veulent défendre Homère, sans sortir de cette étrange manière d’envisager l’antiquité, ils ont tort. […] Parmi les œuvres de Voltaire, celles-là sont bien oubliées où il a copié les formes du passé. […] Voltaire ne faisait d’ailleurs que suivre les traces des apologistes. Ceux-ci prenaient la Bible comme une œuvre absolue, en dehors du temps et de l’espace ; Voltaire la critique comme il eût fait d’un livre du XVIIIe siècle, et, de ce point de vue, il y trouve bien entendu des absurdités.
On ne peut cependant se dissimuler qu’il n’ait rendu des services essentiels à la Religion & aux mœurs, en décréditant Voltaire, leur plus dangereux ennemi ; car de tous les Ouvrages publiés contre ce célebre Ecrivain, aucun n’a autant contribué, que le tableau de ses erreurs, à lui faire perdre l’espece d’autorité que ses talens lui avoient acquise sur l’opinion publique.
Voltaire, diront-ils, en a fait l’éloge. Il s’agit bien de ce que Voltaire en aura dit dans une ode anacréontique ! […] « Qu’il y a de grands rapports entre Sénèque et Voltaire. » Tant mieux pour l’un et pour l’autre ; et je ne crois pas qu’on fit un mauvais compliment au plus fameux de nos aristarques, si on lui disait qu’il y a de grands rapports entre Voltaire, Sénèque et lui. […] 19° « Qu’il a défendu Voltaire, Sénèque, Raynal, comme un énergumène. […] 21° Et puis voilà le même grand homme, Voltaire, traité d’Idole à la mode par les mêmes critiques.
Il est aussi peu sensé au Lexicographe de dire, en se contrariant, que ce même Ouvrage seroit plus digne des Gens de goût, si quelque homme instruit vouloit le corriger sur l'Histoire du Siecle de Louis XIV de M. de Voltaire.
Il n’en alla plus ainsi dès qu’il voulut étendre sa galerie et portraiturer un Voltaire, par exemple, un Molière, un Racine. […] Ceux de Mme de Lafayette, de l’abbé Prévost, de Voltaire, de Balzac, que je citais tout à l’heure, sont du nombre. […] Au nom de quoi la patrie, si les armées sont ce que Voltaire nous montre ? […] « Cultive ton jardin », conclut Voltaire. […] Voltaire a reculé devant cette conséquence de ses misérables prémisses.
On avait celle de Le Tourneur, un normand qui aimait l’énergie et un prêtre ; — car il fallait être prêtre au xviiie siècle pour se risquer à traduire le barbare ivre que Voltaire, qui faisait tout trembler de sa plaisanterie, avait bafoué. […] Pichot et Guizot, il n’y avait peut-être qu’après 1830 qu’on pouvait traduire Shakespeare dans une langue renouvelée, qui ne fût ni celle de Racine, ni celle de Voltaire, ni celle de ce pauvre Ducis, qui, avec un talent bien voisin du génie, n’avait pu rompre cette toile d’araignée de la vieille expression classique et y était mort étouffé. […] Voltaire, l’auteur du barbare ivre , Voltaire, en France, n’eût pas fait mieux. […] Pour mon goût, j’aimais mieux l’ancien, le barbare, comme disaient les badauds après ce finaud de Voltaire ! […] Ces raisons sont, je le reconnais, un peu subtiles, et assez semblables à du coton filé trop fin et qui doit casser, mais enfin, telles qu’il a pu les trouver, il nous les a données, et il les a même couronnées par une preuve morale qui ne me paraît pas non plus sans réplique, mais que j’aime dans sa profondeur incertaine : c’est que la Jeanne d’Arc du Henri VI était une calomnie insultante pour la Jeanne d’Arc de l’Histoire, et que cette lâcheté-là était encore plus indigne du génie de Shakespeare qu’un mauvais drame ; et de cette insulte déshonorante qui l’aurait souillée, il a essuyé respectueusement la gloire de Shakespeare, ne voulant pas qu’il eût, en plein front, son grand homme vénéré, la même tache de boue que Voltaire !
Paul Féval converti fait un apostolat inconnu aux Apôtres, — l’apostolat de la séduction, — et il le fait comme il faut le faire en France, où les Apôtres ne jouissent pas d’une excessive popularité… Je l’ai écrit plus haut : jamais, depuis Voltaire et Beaumarchais, on n’a été, de tournure d’esprit, plus français que lui. Voltaire n’a dit qu’un mot en faveur des Jésuites, — ce qui, par parenthèse, aurait dû apprendre à réfléchir à Béranger, — mais il aurait écrit pour eux à pleine plume qu’il n’aurait pas été, en les défendant, plus spirituel et plus gai que Paul Féval. […] J’ai parlé de Voltaire, mais lisez l’introduction étincelante de Jésuites ! […] Le Paul Féval de ce livre, c’est Voltaire et Beaumarchais christianisés dans un homme, pour prouver au monde qu’en esprit et en gaîté ceux qui ont Dieu au cœur valent bien ceux qui ont le diable au corps. […] De Maistre, qui aimait Voltaire tout en lu maudissant, parce qu’il avait autant d’esprit que Voltaire, et que l’Esprit est toujours un Narcisse qui aime à se mirer et à se revoir dans l’esprit des autres ; de Maistre, qui était capable de rire, n’a ri que deux ou trois fois dans ses œuvres.
Nous n’avons rien à répondre, si ce n’est qu’il y aurait deux Voltaire, car nous prenons pour juges les connaisseurs les plus distingués en poésie et nous leur demandons si aucun d’eux oserait donner la préférence à l’auteur des Trois Manoirs ou à l’auteur des Trois Plaids. […] Une seule pièce peut autoriser un doute, c’est le conte des Trois Manoirs, si semblable à l’admirable conte de Voltaire. Mais il y a une réponse bien difficile à réfuter, c’est que le conte de madame de Surville est supérieur même à ce conte inimitable de Voltaire. […] Il est possible que Voltaire ait eu connaissance du fabliau original et se soit inspiré de ce délicieux pastiche, mais à coup sûr il ne l’a pas surpassé.
Voltaire y présente des mémoires sur le feu. […] C’est Voltaire qui compose son Essai sur les mœurs et l’esprit des nations. […] Voltaire avait le droit de railler les audaces naïves de ceux qui s’aventuraient au hasard dans les mystères de l’étymologie. […] On comprend ces moqueries) quand on entend, cinquante ans après Voltaire, le bon Nodier déclarer que le mot luron vient sans doute de tra deri dera, attendu qu’on dit un joyeux luron et qu’un homme joyeux fredonne volontiers un refrain.
Quoiqu’Eleve de M. de Voltaire, M.
Collé, de sa personne, était et reste, à nos yeux, le plus parfait exemple, et peut-être le dernier, de la pure race gauloise non mélangée ; c’est le dernier des Gaulois : ennemi de l’anglomanie, de la musique italienne, des innovations en tout genre, ennemi des dévots et des Jésuites, il ne pouvait non plus souffrir Voltaire, trop brillanté selon lui, trop philosophique, trop remuant, un Français du dernier ton et trop moderne, il l’appelait « ce vilain homme », et il abhorrait aussi Jean-Jacques à titre de charlatan. […] Si Rousseau est la bête noire de Collé, Voltaire ne lui agrée guère davantage ; il ne se contente pas de le juger sévèrement à la rencontre, il avait entrepris une réfutation en règle de ses tragédies, et M. […] Il est bon, lorsqu’on prétend juger les hommes célèbres et d’un grand talent, vers qui, pourtant, on ne se sent pas porté de goût, de se contrarier un peu, de faire effort pour être juste ; il est bon, en un mot, d’être un peu gêné ; et Collé, n’écrivant contre Voltaire que pour lui seul ou pour des amis intimes, ne se gêne pas du tout.
de réaction en réaction, ce jeune homme en vint, chose monstrueuse en 1829, à admirer et à préconiser les vers de Voltaire. […] Les rimes sont partout réduites à leur minimum, griser et lévrier par exemple, Danaé et tombé : le poëte en cela a trouvé moyen de renchérir sur Voltaire. […] Plus tard, il s’est acquis quelque chose de très-semblable à la fantaisie shakspearienne ; il y a joint des poussées d’essor lyrique à la Byron, il a surtout refait du Don Juan avec une pointe de Voltaire.
Voltaire est de tous les écrivains celui dont les ouvrages servent le mieux à démontrer combien un ordre politique raisonnable ôterait de ressources à la plaisanterie. Voltaire met sans cesse en opposition ce qui devrait être et ce qui était, la pédanterie des formes et la frivolité des esprits, l’austérité des dogmes religieux et les mœurs faciles de ceux qui les enseignaient, l’ignorance des grands et leur pouvoir. […] Voltaire n’a pu produire en ce genre aucun effet théâtral, quelque piquante que soit la tournure habituelle de son esprit.
Craignant que les railleries de Voltaire n’eussent une part dans ses opinions religieuses, et se regardant comme responsable de sa théologie à l’égard de ses enfants, il reprit avec le plus grand sérieux la question des croyances. […] La zone de notre protection littéraire est bien large ; elle s’étend depuis Bossuet jusqu’à Voltaire. […] Pour être apte à jouir de ces vérités, qu’on aperçoit, non de face, mais de côté et comme du coin de l’œil, il faut la culture variée de l’esprit, la connaissance de l’humanité, de ses états, divers, de ses faiblesses, de ses illusions, de ses préjugés, à tant d’égards fondés, en raison de ses respectables absurdités ; — il faut l’histoire de la philosophie, qui parfois rend religieux, l’histoire de la religion, qui souvent rend philosophe, l’histoire de la science, qui devrait toujours rendre modeste ; — il faut la connaissance d’une foule de choses qu’on apprend uniquement pour voir que ce sont des vanités ; — il faut, par-dessus tout, l’esprit, la gaieté, la bonne santé intellectuelle d’un Lucien, d’un Montaigne, d’un Voltaire.
Il lui faut une âme assez large pour goûter un sermon de Bossuet et un roman de Voltaire, une fable de La Fontaine et une méditation de Lamartine. […] On s’accordera, je pense, à reconnaître qu’une description de Théophile Gautier est saisissante pour les yeux ; que la Nuit d’Octobre est émouvante ; qu’un roman de Voltaire fait penser ; que le Qu’il mourût du vieil Horace est d’une héroïque vigueur ; que le Corbeau d’Edgar Poe emporte l’imagination bien au-delà du monde réel. […] Ainsi encore un poème mystique ou un conte fantastique, s’il déroule un chapelet d’aventures extravagantes que ne rattache aucun lien logique ; s’il nous montre des êtres avec lesquels nous ne pouvons pas sympathiser, parce qu’ils n’ont plus rien de commun avec nous ; si, au lieu d’être un prolongement ou une transfiguration du réel, il se met en pleine contradiction avec lui, ce n’est plus qu’une chevauchée dans l’absurde et dans l’impossible, la folle aberration d’un cerveau malade. « Je veux qu’un conte, disait Voltaire avec raison34, soit fondé sur la vraisemblance et qu’il ne ressemble pas toujours à un rêve.
Ce qu’elle était encore en ces années de plénitude et de déclin, mais un jour d’altération et de souffrance, ce n’est plus Diderot, ce n’est pas Jean-Jacques, c’est Voltaire qui nous le dira. […] Voltaire pourtant, qui regardait surtout à l’esprit, à la physionomie, et qui, auprès des femmes, était moins matériel que Rousseau, la trouvait fort à son gré. […] Voltaire disait d’elle encore au docteur Tronchin : Votre malade est vraiment philosophe ; elle a trouvé le grand secret de tirer de sa manière d’être le meilleur parti possible ; je voudrais être son disciple ; mais le pli est pris… Qu’y faire ?
Voltaire eut le malheur de s’en charger, et tout son siècle celui d’y applaudir. […] Ce n’est pas le moment de venir faire de la morale à Voltaire pour un tort si universellement senti, et dont lui-même aujourd’hui aurait honte. […] Michelet a bien saisi la pensée même du personnage, qu’il a rendu avec vie, avec entrain et verve, le mouvement de l’ensemble, l’ivresse de la population, ce cri public d’enthousiasme qui, plus vrai que toute réflexion et toute doctrine, plus fort que toute puissance régulière, s’éleva alors en l’honneur de la noble enfant, et qui, nonobstant Chapelain ou Voltaire, n’a pas cessé de l’environner depuis.
Voltaire, qui n’a fait qu’assister à la naissance de ce style et qui s’en est raillé, ne l’a pas vu dans son développement et dans tout son beau ; il était venu à temps, dans sa jeunesse, pour corriger le goût public du précieux de Fontenelle : il a fait défaut, un siècle après, pour percer à jour cette forme de bel esprit plus sérieuse, et pour faire opposition, par son exemple, à des Fontenelle bien autrement prépondérants. Après Necker et son école, il nous a donc manqué un Voltaire. […] On peut dire que l’esprit français a fait insensiblement l’office d’un Voltaire universel, qui a eu raison, à la fin, du savant défaut dont il s’agit.