Imiter Shakespeare serait aussi insensé qu’imiter Racine serait bête.
Il y a, dans le critique-poète dramaturge Euripide, du Voltaire, du Heine, du Racine, du Musset, du Dumas fils, — et du d’Ennery. […] Sur le Racine mort le Campistron pullule, a dit Hugo. […] La forme convenable à une action dramatique de ce genre, le « moule » nécessaire, c’était le moule de Racine. […] Ce sont celles d’un homme pour qui Racine est dieu, et qui n’était plus tout jeune quand il lut les Trois Mousquetaires et Monte-Cristo. […] Ces objections, on pourrait les faire encore, et elles seraient très solides, et bien peu de personnages de Corneille, et même de Racine, et surtout de Molière, y résisteraient.
La France éloquente et mondaine, dans le siècle qui a porté le plus loin l’art des bienséances et du discours, trouve pour écrire ses tragédies oratoires, et peindre ses passions de salon, le plus habile artisan de paroles, Racine, un courtisan, un homme du monde, le plus capable, par la délicatesse de son tact et par les ménagements de son style, de faire parler des hommes du monde et des courtisans. […] Ce n’est point le discours ou le récit qui peut manifester leur état intérieur, c’est la mise en scène ; ainsi que les inventeurs du langage, ils jouent et miment leurs idées ; l’imitation théâtrale, la représentation figurée est leur vrai langage ; toute autre expression, le chant lyrique d’Eschyle, le symbole réfléchi de Gœthe, le développement oratoire de Racine, leur serait impraticable. […] Monuments, statues et peintures, théâtre, éloquence et poésie, de Sophocle à Racine, ils ont coulé toute leur œuvre dans le même moule, et produit la beauté par le même moyen. […] Racine met sur le théâtre une action unique, dont il proportionne les parties, et dont il ordonne le cours ; nul incident, rien d’imprévu, point d’appendices ni de disparates ; nulle intrigue secondaire.
Racine peint une héroïne qui, partagée entre sa fidélité à l’ombre de son mari et la nécessité de sauver son fils, trouve une conciliation dans ceci : épouser celui qui veut tuer son fils et se tuer immédiatement après. […] Mais Racine sait parfaitement que le public n’y verra qu’une femme qui veut se faire épouser et qui y réussit et cataloguera immédiatement Andromaque : grande coquette ; ramènera immédiatement le personnage original et imprévu à l’un des types grossiers auxquels il est habitué. […] » Ils n’ont pas laissé de la prendre pour cela, la plupart, car les habitudes d’esprit sont terriblement contraignantes, mais cependant Racine avait pris des précautions assez véhémentes, si je puis dire, pour que quelques-uns aient pris Andromaque pour ce qu’elle était. […] — Autant en pourrait-on dire de Corneille, Racine, Boileau et La Fontaine. […] Il fait exactement le contraire de ce que fait Corneille souvent et de ce que fait quelquefois Racine.
Aicard, s’il avait du génie, n’eût pas traduit Othello, il l’eût refait, comme l’ingénu Racine refaisait les tragédies d’Euripide. […] Racine offre l’exemple singulier d’un silence de vingt ans coupé juste au milieu par deux œuvres qui n’ont qu’une ressemblance formelle avec celles de sa phase première. […] De Racine à Vigny, la France ne produisit aucun grand poète. […] Il ne s’agit pas qu’un poète dise l’impression que lui fait la vie : il faut qu’il regarde Racine et qu’il escalade la montagne. […] S’il y a encore quelques poètes, ils useront du latin ou de telle vieille forme séculaire : on écrira en Victor Hugo, en Racine, en Ronsard.
Bien des choses après tout, fort heureusement, et avant toutes les autres, la beauté inaltérée de ces maîtres du théâtre : Racine, toujours humain, Corneille, toujours altier, Molière, toujours vivant. […] « À l’époque de la lutte intellectuelle que la littérature allemande a été forcée de soutenir contre l’influence écrasante de l’école française, Racine, Corneille et toute la littérature de cette période ont été condamnés sans jugement, et Molière n’a pas été exclu de ce verdict. […] D’ailleurs, pourra-t-on se dispenser de rendre le même hommage à Corneille et à Racine ? […] Armande Béjart, Racine, qu’il obligea de sa bourse et aida de ses conseils, Racine dont il reçut la première pièce et qui porta plus tard sa tragédie d’Alexandre au théâtre rival, en enlevant Mlle Du Parc, l’excellente actrice, à Molière ; Baron, qu’il aima comme un fils ; Corneille vieux, dont il reçut l’Attila en le payant 2 000 livres ; autant de noms illustres qui témoignent de sa générosité devant l’avenir. […] Racine l’enleva à Molière pour lui faire jouer Andromaque.
Pour la langue proprement dite, la date de la naissance de Bossuet nous avertit qu’il devra parler la langue de la première moitié du siècle, celle de Corneille et de Retz plutôt que de Racine et de La Bruyère. […] Cette misérable dégénérescence de l’éloquence religieuse trouve son expression parfaite dans l’abbé Maury, le plus fleuri, le plus harmonieux, le plus froid, le plus vide et ie moins sincère des orateurs que, par habitude, on continue d’appeler chrétiens : Maury est à Bossuet ce que Fontanes est à Racine.
La Fatalité, cette interprétation religieuse des phénomènes dont on ne sait découvrir les causes ; la Fatalité dont les Romantiques de 1830 usèrent et abusèrent si libéralement, était alors autre chose qu’un expédient littéraire, fraîchement retrouvé des Grecs : si Racine se servait des Romains et des Grecs pour déguiser les courtisans de Versailles, qui sont les personnages de ses tragédies, il ne recourait pas à la Fatalité pour expliquer leur actions. […] Jamais Racine et Hugo n’auraient été proclamés par leurs contemporains des grands génies, si leurs œuvres, ainsi que des miroirs, n’avaient reflété les hommes de leur milieu social, avec leur manière de voir, de sentir, de penser et de s’exprimer.
Mais nous allons lire et commenter avec vous un chef-d’œuvre de poésie à la fois épique et dramatique, qui réunit dans une seule action ce qu’il y a de plus pastoral dans la Bible, de plus pathétique dans Eschyle, de plus tendre dans Racine. […] « Vois », dit le prince à son écuyer dans un langage aussi harmonieux que celui de Racine, aussi imagé et aussi naïf que celui d’Homère, « vois comme ce faon nous a fait déjà parcourir un immense espace ; vois avec quelle grâce il incline de temps en temps sa souple encolure pour jeter un regard furtif sur le char rapide qui le poursuit !
Raphaël, dont on parlait tout à l’heure, n’a pas été crucifié, ni Michel-Ange non plus, ni Léonard de Vinci, ni Virgile, ni l’Arioste, ni Pétrarque, ni Pindare dans l’antiquité, ni Sophocle, malgré un petit procès de famille sur ses derniers jours, ni Racine, malgré son accident final.
Par lui, Racine certainement, Molière lui-même, je n’ose ajouter La Fontaine, ont été et sont devenus plus correct ?
Ainsi la petite société de Boileau, Racine, La Fontaine et Molière vers 1664, à l’ouverture du grand siècle : voilà le groupe par excellence, — tous génies !
Et d’abord elle n’a rien fait en art dramatique qui ajoute à notre glorieux passé littéraire des deux siècles : Corneille, Molière, Racine, sont demeurés debout de toute leur hauteur et hors d’atteinte.
En un mot, dans cette carrière ouverte au commencement du siècle par Racine fils et par Voltaire, et suivie si activement en des sens divers par Le Tourneur et Ducis, par Suard et l’abbé Arnaud, Léonard à son tour fait un pas ; il est de ceux qui tendent à introduire une veine des littératures étrangères modernes dans la nôtre.
Elle ne sera délogée et reléguée entre les conventions surannées que par Racine, qui retrouvera l’amour douloureux, l’antique désir, enveloppé et compliqué de tout ce que quinze ou vingt siècles ont ajouté au fond naturel de l’homme.
La Fontaine Si l’on veut se rendre compte des restrictions que comporte la théorie des milieux, de l’effrayant inconnu que nulle détermination scientifique des œuvres littéraires ne peut réduire, il ne faut que considérer les deux plus purs poètes de notre xviie siècle : La Fontaine et Racine.
Et personne mieux que Leconte de Lisle ne fut « le bon poète », comme le définissait, je crois, Racine : « un bon père de famille qui fait de beaux vers ».
N’oublions pas que Racine faillit être impliqué dans un procès de sorcellerie, qu’on l’accuse d’avoir pris part à l’affaire des messes noires, au temps de la Montespan, ce qui lui valut la disgrâce royale et que Victor Hugo, adepte du spiritisme, se plaisait à faire tourner les tables à Guernesey, ce qui démontre une fois de plus la pente irrésistible du génie à s’égarer dans les avenues du mystère.
On ferait un piquant chapitre de mœurs sur les personnes de bel air, les enthousiastes à la suite, qui l’ont adopté avec engouement, les mêmes qui auraient admiré, il y a vingt-cinq ans, des vers alexandrins, parce qu’ils les auraient crus jetés dans le moule de ceux de Racine, et qui exaltent aujourd’hui les moindres bagatelles du brillant poète, à l’égal de ce qu’il a fait de mieux et de réellement bon.
Tel de nous en mettra plus dans un couplet de chanson, que la plupart des prédicateurs dans tout leur carême. » Chéminais est onctueux : on l’appelle le Racine des prédicateurs, comme Bourdaloue en est le Corneille.
De même, chez nous au xviie siècle, Corneille et Racine indiquent tout de suite de la sorte quel est le personnage saillant de la tragédie.