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1889. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Le Palais Mazarin, par M. le comte de Laborde, de l’Institut. » pp. 247-265

Mazarin, qui devait être l’âme de ce Conseil, s’attacha à faire entendre à la reine qu’il importait assez peu à quelles conditions elle recevrait la régence, pourvu qu’elle l’eût du consentement du roi, et qu’ensuite, ce point obtenu, il ne lui manquerait pas de moyens pour dégager son autorité et gouverner seule. […] Il n’avait pas l’âme royale, ce seul mot en dit assez. […] alors tout se décide, et la peur, à laquelle on avait tant résisté, se fait jour dans toutes les âmes.

1890. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Œuvres de Mme de Genlis. (Collection Didier.) » pp. 19-37

Tous ces goûts, tous ces talents divers, tous ces arts d’agrément, tous ces métiers (car elle n’omettait pas même les métiers), faisaient d’elle une Encyclopédie vivante qui se piquait d’être la rivale et l’antagoniste de l’autre Encyclopédie ; mais ce qui donnait l’âme et le mouvement à cette multitude d’emplois, c’était une vocation qui les embrassait, les ordonnait et les appliquait dans un certain sens déterminé. […] Ton âme et tes talents, voilà tes justes droits ! […] En tout, ce qui lui manquait, c’était l’élévation dans l’âme et dans le talent, c’était la vérité et la nature ; d’ailleurs elle avait les finesses, les adresses et les grâces de la société.

1891. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Franklin. — III. Franklin à Passy. (Fin.) » pp. 167-185

Franklin avait le bon sens gai, net et brillant ; il appelait la mauvaise humeur, la malpropreté de l’âme. […] J’ai, il est vrai, par-ci par-là un petit remords en réfléchissant que je perds le temps si paresseusement ; mais une autre réflexion vient me soulager, en murmurant tout bas à mon oreille : « Tu sais que l’âme est immortelle : pourquoi donc serais-tu chiche à ce point d’un peu de temps, quand tu as toute une éternité devant toi ?  […] La dernière pensée de Franklin en eût été couverte d’un voile funèbre, et son âme sereine, avant de renaître selon son espérance, eût connu dans un jour toute l’amertume.

1892. (1864) William Shakespeare « Deuxième partie — Livre III. Zoïle aussi éternel qu’Homère »

Votre intelligence, ils la dépassent ; votre imagination, ils lui font mal aux yeux ; votre conscience, ils la questionnent et la fouillent ; vos entrailles, ils les tordent ; votre cœur, ils le brisent ; votre âme, ils l’emportent. […] Quiconque n’a pas une vigoureuse éducation d’âme les évite volontiers. […] Pourtant, quand on s’y enfonce et quand on les lit, rien n’est plus hospitalier pour l’âme à de certaines heures que ces esprits sévères.

1893. (1912) L’art de lire « Chapitre VIII. Les ennemis de la lecture »

S’il est un idéaliste, il vous présente des héros de vertu, de courage et de grandeur d’âme qu’il prétend être, du moins qu’il a l’air de prétendre être, puisqu’il était capable de les concevoir. […] Cette estime trop haute, cette suspension momentanée du pendule critique n’était qu’un artifice pour prendre à la pipée l’âme d’une chose. » Il faut donc être un lecteur armé, qui désarme par méthode et pour comprendre, qui reprend ses armes pour discuter, qui désarme enfin de nouveau quand l’examen critique lui a prouvé qu’il est en face d’une chose dont la vérité ou la beauté est indiscutable. […] Il jouissait de toute son âme.

1894. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Philarète Chasles » pp. 111-136

Car je ne pense pas que l’influence de l’âme d’un père tombe impunément sur l’âme de son fils. […] L’humble religieuse lui aurait pour toujours engravé dans l’âme ce Christianisme fécondant sans lequel il n’y a dans la vie intellectuelle ni consistance, ni force réelle, ni grandeur, ni même gravité, et il aurait plus tard retrouvé, à coup sûr, toutes ces puissances-là, à l’heure où se déclara son ardente vocation littéraire.

1895. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Fervaques et Bachaumont(1) » pp. 219-245

Les chroniqueurs d’habitude se marquent, en ce fourmillement de faits, par l’absence de jugement supérieur sur les événements et les choses, de repli d’âme, de réflexion sur ces faits qu’on n’a souci que de raconter en les peignant de couleurs vives. Toutes les couleurs y sont, excepté la couleur de l’âme des auteurs. […] … Il a mieux aimé le mutisme d’âme et l’écourté de Flaubert ?

1896. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — T — Tessyl, Paul-Henri »

Et « revêtus de tuniques souples et blanches, les jeunes poètes agitent leurs âmes ainsi que des étendards où ils convient les hommes à la fête de beauté ».

1897. (1925) Comment on devient écrivain

Vous ne trouverez pas un mot sur les chants, les offices et les orgues, qui sont pourtant l’âme d’une église. […] Mon âme est déchirée. […] On sent un talent bien plus qu’une âme dans l’œuvre de Maupassant, qui ne travaillait pourtant pas beaucoup sa prose. […] Quelles merveilleuses fresques d’âmes, de faits et de couleurs ! […] L’intérêt s’est évanoui ; vous n’y retrouvez plus votre âme d’enfant.

1898. (1890) Nouvelles questions de critique

Et pareillement, en tant que document sur l’homme, ou, comme on dit, sur « l’âme » du xe  siècle, la Chanson de Roland peut fort bien n’être pas moins instructive que la tragédie de Corneille ou de Racine sur l’âme du xviie  siècle. […] Le Petit doit être une bonne âme, qui n’admire que ce qu’il approuve, qui se croit même obligé d’approuver tout ce qu’il admire : Voltaire était un peu plus compliqué. […] Ils n’en percent pas encore l’écorce ; ils ne peuvent pas en atteindre l’âme, encore moins la dégager. […] « Un paysage est un état de l’âme » ; on se rappelle ce mot d’Amiel : c’est le seul que l’on ait sauvé du naufrage de son Journal intime. Cela ne veut pas du tout dire, comme je vois pourtant qu’on le croit, qu’un paysage change d’aspect avec l’état de l’âme, aujourd’hui mélancolique et demain souriant, selon que nous sommes tristes ou joyeux nous-mêmes.

1899. (1905) Propos de théâtre. Deuxième série

Mais elle veut aussi dominer celui de ses fils qui sera roi ; elle a une âme de régente. […] Or, l’intérêt de curiosité, c’est l’âme même du mélodrame ; c’est le tout du mélodrame. […] Elle affranchit l’auteur de la pudeur de l’âme ; il en affranchit le parterre. […] Quelle grandeur d’âme ! […] C’était l’âme même de la comédie.

1900. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Les nièces de Mazarin et son dernier petit-neveu le duc de Nivernais. Les Nièces de Mazarin, études de mœurs et de caractères au xviie  siècle, par Amédée Renée, 2e éd. revue et augmentée de documents inédits. Paris, Firmin Didot, 1856. » pp. 376-411

Napoléon, pour la composition de son caractère, pour la combinaison des éléments primitifs qui y entraient et auxquels le génie donna le sens et l’âme, est certainement mieux connu, lorsque autour de lui, et avant de le suivre en toute sa carrière, on a parcouru et épuisé le cercle de ses frères et sœurs. […] Le duc de Nivernais était, en effet, plus propre que personne à servir d’exemple ; à une époque où l’on se piquait avant tout d’être, non pas féroce, mais ce qu’on appelait un homme aimable et même un petit-maître, et en l’étant lui-même, il n’avait rien négligé de ce qui orne intérieurement l’esprit, il se préparait à devenir insensiblement raisonnable ; il savait toutes les langues vivantes, il lisait les auteurs étrangers et en tirait des imitations faciles ; il ne songeait qu’à embellir, à égayer honorablement une grande et magnifique existence, et, sans le savoir, il ménageait à son âme des consolations imprévues pour son extrême vieillesse, dans la plus violente crise sociale qui ait assailli les hommes civilisés. […] Délivré par le 9 thermidor, rentré dans son hôtel délabré, il n’avait rien perdu de sa gaieté ni de sa tranquillité d’âme. […] À sa manière, ce petit-neveu de Mazarin n’a pas fait honte au courage d’esprit de son grand-oncle, et il a montré que, s’il aima de tout temps les muses légères, il avait bien réellement en lui une parcelle de l’âme d’Horace. […] La simplicité de ses mœurs annonce la candeur de son âme.

1901. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre quatrième. La propagation de la doctrine. — Chapitre II. Le public en France. »

Vers le café arrive la question de l’immortalité de l’âme et de l’existence de Dieu. […] Cela fait frémir… » Déjà, dans le monde, le rôle d’un ecclésiastique est difficile ; il semble qu’il y soit un pantin ou un plastron506. « Dès que nous y paraissons, dit l’un d’eux, on nous fait disputer ; on nous fait entreprendre, par exemple, de prouver l’utilité de la prière à un homme qui ne croit pas en Dieu, la nécessité du jeûne à un homme qui a nié toute sa vie l’immortalité de l’âme ; l’entreprise est laborieuse, et les rieurs ne sont pas pour nous. » — Bientôt le scandale prolongé des billets de confession et l’obstination des évêques à ne point souffrir qu’on taxe les biens ecclésiastiques soulèvent l’opinion contre le clergé et, par suite, contre la religion. « Il est à craindre, dit Barbier en 1751, que cela ne finisse sérieusement ; on pourrait voir un jour dans ce pays-ci une révolution pour embrasser la religion protestante507. » — « La haine contre les prêtres, écrit d’Argenson en 1753, va au dernier excès. […] Heureusement pour eux, pauvres âmes ! […] Les paroles sont devenues des actions, et tous les cœurs sensibles vantent avec transport un mémoire que l’humanité anime et qui paraît plein de talent, parce qu’il est plein d’âme ». […] À ce moment, dit un contemporain547, « la pitié la plus active remplissait les âmes ; ce que craignaient le plus les hommes opulents, c’était de passer pour insensibles ».

1902. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre premier »

Il y a tout un Achille que Boileau ne semble pas avoir plus connu que Perrault ; il y a le fils qui donne au souvenir de son père des larmes plus précieuses que celles que Boileau aime à lui voir verser pour un affront ; il y a l’ami de Patrocle, plus fidèle à l’amitié qu’à la colère ; il y a un sage aimable qui apaise les disputes parmi les hommes et console les vaincus ; il y a un homme qui, dans la solitude de sa tente, a beaucoup pensé sur le bien et le mal, sur la vie, sur la destinée, sur lui-même, le premier type de cette mélancolie que l’âme d’Homère a connue avec tous les sentiments qui sont de l’homme. […] Elle veillait seule en lui, quand toutes les autres facultés de son âme sommeillaient, ou plutôt elle était son âme tout entière, réveillée par quelque apparition des beautés admirées toute sa vie et qu’il s’était comme incorporées. […] Il est impossible, selon lui, de prouver par « moyens humains » l’existence de Dieu et l’immortalité de l’âme. […] Mais il fallait son âme pour ses vertus.

1903. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre III »

A partir de ce moment, il devient sauvage, ce vieux Poirier, et je sais gré à la comédie de l’énergie avec laquelle il nous montre ce que peuvent contenir de fiel et de haine les âmes basses et les cœurs étroits. […] Je sais bien qu’elle touche à des choses brûlantes : mais le bourgeois qu’elle met en scène représente bien moins une classe sociale qu’un vice caractéristique : celui de la sottise ambitieuse, mesquine, égoïste, pétrie de vulgarités et de prosaïsmes, aussi étrangères aux idées de générosité et de grandeur d’âme qu’un peintre chinois peut l’être aux lois de la perspective. […] Le Poirier, au contraire, vous représente un de ces types ordinairement et régulièrement ignobles qui donnent à l’âme des nausées morales. […] Cette fille perdue qui médite de se perdre encore, cette mère, crapuleuse et bouffonne, qui lui sert à la fois de jouet et d’idole, pareille à ces manitous que les sauvages adorent et cassent tour à tour, cet aigrefin qui s’est fait son chevalier… d’industrie, cette conversation qui respire la gaieté malsaine des cabinets particuliers et des tables d’hôtes équivoques, tout cela est peint à cru, calqué sur le vif ; tout cela est d’un comique amer qui donne à l’âme la nausée de l’empoisonnement. […] Comme si le fatal privilège des passions qu’allument « les yeux pleins d’adultères » dont parle saint Paul, n’était pas précisément d’anéantir pour longtemps, dans l’âme qu’elles foudroient, la possibilité des chastes amours.

1904. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Béjot, Alfred »

Rien de plus poétique, rien de plus dramatique, quand on songe que les Rimes maladives d’Alfred Béjot ne sont pas la forme fantaisiste d’une fiction cérébrale, un symbole d’une âme seulement douloureuse, mais qu’elles constituent le testament authentique d’un jeune écrivain mort plein d’avenir, à trente ans.

1905. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — N — Ned, Édouard (1873-1949) »

Ned, qui a une âme très vibrante, très poétique, nous donnera des œuvres.

1906. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Rambert, Eugène (1830-1886) »

Il est devenu lettré, instituteur, professeur, écrivain et poète ; il ne lui est rien resté du paysan, si ce n’est l’amour de la terre natale et le goût de la vie simple : Je reste vigneron et paysan dans l’âme, écrit-il encore plus tard.

1907. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — T — Tastu, Amable (1798-1885) »

C’est une âme pure et distinguée, qui lutte avec une tristesse paisible contre sa laborieuse destinée.

1908. (1930) Physiologie de la critique pp. 7-243

La concurrence est l’âme du commerce et la dispute l’âme de la littérature. […] Mais nulle part elle n’avait été vive, féconde, pénétrante, et, si je puis dire, elle n’avait pas trouvé son âme. […] Le ‘manuscrit était périssable, et emportait avec lui l’âme, l’œuvre. […] Elle n’est plus qu’âme. […] Il se flatte d’être une âme sans corps.

1909. (1883) Le roman naturaliste

Daudet intervient lui-même au récit par une exclamation qu’il jette en terminant, comme si tout à coup l’âme du personnage vibrait et palpitait en lui. « Petite âme aimante, dira-t-il de l’enfant-roi, — qui pleurait derrière les feuillets d’un gros album, silencieusement désespéré que son père fût parti sans l’embrasser, — petit âme aimante, à qui ce père jeune, spirituel, souriant, faisait l’effet d’un grand frère à frasques et à fredaines, un grand frère séduisant, mais qui désolait leur mère !  […] Jamais le droit divin de l’amour, l’union prédestinée des âmes qui s’appellent à travers l’espace, et qui se rejoignent par-dessus les obstacles, que sais-je encore ? […] Il le savait sans doute, puisqu’il l’a dit encore lui-même : « Comme si la plénitude de l’âme ne débordait pas quelquefois par les métaphores les plus vides ». […] Une sympathie profonde pour ces « monotones existences », et pour ces « vulgaires laboureurs » qu’il aime à mettre en scène est l’âme même du naturalisme anglais.

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