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27. (1900) Taine et Renan. Pages perdues recueillies et commentées par Victor Giraud « Renan — II »

»‌ Il repassa ainsi toute la suite de son développement intellectuel, et je ne sais pas de problème psychique sur lequel on possède de meilleurs renseignements que sur cette vie intérieure de l’auteur des Souvenirs d’enfance et de jeunesse.‌ […] A ces hautes préparations il avait donné toute l’énergie de sa jeunesse, sans rien en dissiper aux frivolités ordinaires.‌ […] Cependant les circonstances le contraignaient à fréquenter le monde des publicistes, auxquels il est permis de croire que son âpre jeunesse répugnait, et il sut encore tourner à profit des fréquentations qu’il n’avait acceptées d’abord que comme des conditions regrettables de son indépendance. […] Peut-être une partie de la jeunesse, mal à l’aise (comme nous voyons encore aujourd’hui) dans le courant positiviste, allait-elle revenir à la formule catholique.

28. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre IV. De l’amour. »

Si l’Être Tout-Puissant, qui a jeté l’homme sur cette terre, a voulu qu’il conçut l’idée d’une existence céleste, il a permis que dans quelques instants de sa jeunesse ; il put aimer avec passion, il put vivre dans un autre, il put compléter son être en l’unissant à l’objet qui lui était cher. […] C’est par le secours de la réflexion, c’est en écartant de moi l’enthousiasme de la jeunesse que je considérerai l’amour, ou, pour mieux m’exprimer, le dévouement absolu de son être aux sentiments, au bonheur, à la destinée d’un autre, comme la plus haute idée de félicité qui puisse exalter l’espérance de l’homme. […] Enfin, à quelque époque de l’âge qu’on transportât un sentiment qui vous aurait dominé depuis votre jeunesse, il n’est pas un moment où d’avoir vécu pour un autre, ne fut plus doux que d’avoir existé pour soi, où cette pensée ne dégageât tout-à-la-fois des remords et des incertitudes. […] qu’il est beau ce sentiment qui, dans l’âge avancé, fait éprouver une passion peut-être plus profonde encore que dans la jeunesse ; une passion qui rassemble dans l’âme tout ce que le temps enlève aux sensations ; une passion qui fait de la vie un seul souvenir, et dérobant à sa fin tout ce qu’a d’horrible, l’isolement et l’abandon, vous assure de recevoir la mort, dans les mêmes bras qui soutinrent votre jeunesse, et vous entraînèrent aux liens brûlants de l’amour. […] Mais, en effet, tant de mouvements passagers ressemblent à l’amour, tant d’attraits d’un tout autre genre prennent, ou chez les femmes par vanité, ou chez les hommes dans leur jeunesse, l’apparence de ce sentiment, que ces ressemblances avilies, ont presque effacé le souvenir de la vérité même.

29. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Poésies nouvelles de M. Alfred de Musset. (Bibliothèque Charpentier, 1850.) » pp. 294-310

La jeunesse, qui en telle matière ne se trompe guère, l’a senti tout d’abord. […] … Je parle de la jeunesse d’il y a plus de dix ans. […] J’ai voulu relire à côté les deux célèbres pièces de la jeunesse de Milton, L’Allegro, et surtout le Penseroso. […] Ce poète blessé au cœur, et qui crie avec de si vrais sanglots, a des retours de jeunesse et comme des ivresses de printemps. […] Pourtant le génie a en lui des renaissances et des sources de jeunesse dont M. de Musset a connu plus d’une fois le secret, et qu’il n’a pas épuisées encore.

30. (1887) La Terre. À Émile Zola (manifeste du Figaro)

À Émile Zola Naguère encore, Émile Zola pouvait écrire, sans soulever de récriminations sérieuses, qu’il avait avec lui la jeunesse littéraire. […] Lui, cependant, allait, creusant son sillon ; il allait, sans lassitude, et la jeunesse le suivait, l’accompagnait de ses bravos, de sa sympathie si douce aux plus stoïques ; il allait, et les plus vieux ou les plus sagaces fermaient dès lors les yeux, voulaient s’illusionner, ne pas voir la charrue du Maître s’embourber dans l’ordure. […] la jeunesse voulait pardonner la désertion physique de l’homme ! […] Il est nécessaire que, de toute la force de notre jeunesse laborieuse, de toute la loyauté de notre conscience artistique, nous adoptions une tenue et une dignité en face d’une littérature sans noblesse, que nous protestions au nom d’ambitions saines et viriles, au nom de notre culte, de notre amour profond, de notre suprême respect pour l’Art.

31. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXVIIIe entretien. Revue littéraire de l’année 1861 en France. M. de Marcellus (1re partie) » pp. 333-411

Il passa sa première jeunesse au château de Marcellus, dirigé dans ses études par son père, aussi classique que lui. […] Canning, qui avait écrit dans sa jeunesse l’Antijacobin, élève de Pitt, ami de Burke, avait changé en avançant en âge, comme M. de Chateaubriand devait bientôt changer lui-même. […] La lecture de ces deux civilisations, la Bible, l’Évangile, l’Odyssée dans les mains, est un cours d’histoire, de poésie, de jeunesse en action, qui retrempe l’âme dans l’âpre senteur de l’Archipel. […] Éternelle jeunesse de la poésie de l’histoire, de la nature, de l’amour, se répercutant dans la jeunesse du navigateur ! Le caractère de ce livre, c’est la jeunesse, c’est l’ivresse, c’est la fête du cœur et de l’esprit.

32. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Gérard de Nerval  »

Ses amis de ce temps-là, devenus maintenant ce que Balzac, qui agrandissait tout, appelait des maréchaux littéraires, se sont souvenus et ont parlé de lui comme de vieux maréchaux de l’Empire auraient pu parler du jeune Marceau, quoiqu’il ne fût, ni par le mérite ni par la jeunesse, un Marceau littéraire quand il mourut. […] L’un est la jeunesse dans sa fraîcheur d’impression première ; l’autre peut être la jeunesse encore, mais déjà mûrie au feu des besoins ou des intérêts, et cachant les rides hypocrites de la spéculation dans le plus suspect des sourires. […] Seulement, après y avoir regardé, elle ne trouve dans ce Gérard de Nerval, exagéré par ses compagnons de jeunesse, que des qualités secondaires, — que (tout au plus !) […] Que Gérard de Nerval ait été un aimable garçon ; qu’il ait offert à ses contemporains le phénomène que nous offre Monselet en ce moment de n’avoir pas eu un ennemi, — ce qui put lui être agréable pendant sa vie, et ce qui lui est, comme vous le voyez, utile encore après sa mort ; qu’il ait été bambin avec des célèbres et qu’il ait joué aux petits jeux de l’amour et de la poésie avec des gens qui ont fait là-dessus leurs Poésies de jeunesse et qui vont faire maintenant là-dessus leurs Poésies de vieillesse, — car les choses sont plus belles quand on se retourne, et les lointains, à mesure qu’ils s’éloignent, se veloutent d’un si joli bleu !

33. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XXXIII » pp. 133-140

On le dit convenable, sensé, assez raisonnable ; il ne l’est même que trop pour nous Français, et on remarque avec ironie qu’il n’a encore fait parler de lui par aucune aventure de jeunesse ; pour un petit-fils de Henri IV et pour le fils du duc de Berry, il est le plus irréprochable des bons sujets. […] C'est un des hommes qui ont le plus agi sur la jeunesse durant cet intervalle. […] Saint-Marc Girardin ne semble pas avoir eu beaucoup de jeunesse, ni avoir ressenti bien vivement aucune des passions qui agitent d’ordinaire cet âge et qui ont particulièrement secoué le nôtre. […] Si d’autres, au même moment, soufflaient chaud à tort et à travers, on peut dire de lui qu’il a soufflé froid sur la jeunesse.

34. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — H — Houssaye, Arsène (1815-1896) »

Il aura, jusqu’à la fin de sa vie, incarné une génération disparue, une jeunesse depuis longtemps défunte, la libre et élégante jeunesse des poètes de la rue du Doyenné, des Gérard de Nerval, des Gautier, des Nanteuil, des Camille Roqueplan. […] Sainte-Beuve avait dit d’Arsène Houssaye, que Gautier compare à Diaz : « C’est le poète des roses et de la jeunesse ».

35. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXIXe entretien. Conversations de Goethe, par Eckermann (1re partie) » pp. 241-314

Il lui fit épouser une jeune fille charmante et tendre qui fut pour lui comme une seconde jeunesse en son cœur. […] Il avait lu Werther dans sa jeunesse et Faust dans sa maturité. […] Je voudrais que vous voulussiez bien examiner avec soin ces travaux de jeunesse, pour me dire ce que vous en pensez. […] J’ai connu ces troubles dans ma jeunesse par moi-même, et je ne les dois ni à l’influence générale de mon temps, ni à la lecture de quelques écrivains anglais. […] Mais avec la jeunesse s’en vont la poésie et le charme !

36. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — D — Dorchain, Auguste (1857-1930) »

Dorchain, Auguste (1857-1930) [Bibliographie] La Jeunesse pensive (1881). — Conte d’avril, comédie shakespearienne en quatre actes et six tableaux (1885). — Maître Ambos, drame en vers, en collaboration avec François Coppée (1886) […] — À Racine, à-propos en vers (1888). — Sans lendemain, poésie (1890). — La Jeunesse pensive, avec préface de Sully Prudhomme (1893). — Vers la lumière, poésies (1894). — Rose d’automne, comédie en un acte, en vers (1894) […] Dorchain n’a donné, jusqu’ici (1888), qu’un recueil : La Jeunesse pensive.

37. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVIIe entretien. Littérature latine. Horace (1re partie) » pp. 337-410

Toute la jeunesse aristocratique de Rome y passait quelques années, occupée à entendre les cours de philosophie, de poésie, d’éloquence, de la bouche des plus célèbres pédagogues. […] Recherché par elles pour sa jeunesse, récompensé pour son talent, redouté pour ses épigrammes, il était le modèle et l’envie des jeunes débauchés de Rome, une espèce d’Alcibiade latin, un Voltaire dans sa jeunesse, à l’époque où Voltaire, étourdi, satiriste et libertin, vivait dans la société des Vendôme, des Ninon de l’Enclos, des Chaulieu et des abbés Courtin, ces épicuriens du Temple à Paris. […] Soigneux de sa santé morale après quelques débauches de jeunesse, il s’était mis au régime des sentiments qui n’ont point de lie. […] Il y a de l’éternelle jeunesse dans Horace comme il y a de l’éternelle enfance dans La Fontaine ; seulement j’aime mieux l’éternelle jeunesse de l’un que l’éternelle enfance de l’autre. La jeunesse d’Horace devint maturité en vieillissant : il vécut voluptueux et mourut philosophe ; La Fontaine mourut aussi enfant qu’il avait vécu.

38. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIe entretien. Conversations de Goethe, par Eckermann (3e partie) » pp. 5-96

Cette illumination divine, cause des œuvres extraordinaires, est toujours liée au temps de la jeunesse et de la fécondité. […] — J’ai eu dans ma jeunesse un temps où je pouvais exiger de moi chaque jour la valeur d’une feuille d’impression, continua-t-il, et j’y parvenais sans difficulté. […] Villemain, qui faisait alors un cours littéraire à la jeunesse française. […] Telle avait été l’influence de Shakespeare pendant la jeunesse de Goethe. […] — On peut s’en convaincre surtout en vieillissant, dit-il, car la jeunesse croit que tout doit se faire en un jour.

39. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 3, que l’impulsion du génie détermine à être peintre ou poëte, ceux qui l’ont apporté en naissant » pp. 25-34

Le génie ne se rebute point, parce que ses premieres impulsions n’auroient pas eu d’effet : il presse avec perseverance, et il sçait enfin se faire jour à travers l’inapplication et la dissipation de la jeunesse. […] Aucun d’eux n’étoit même engagé dans l’emploi d’instruire la jeunesse, ni dans les autres fonctions, qui conduisent insensiblement un homme d’esprit jusques sur le Parnasse. […] Le lecteur croira même sans peine que les solitaires qui éleverent son enfance, et qui instruisirent sa jeunesse, ne l’avoient jamais excité à travailler pour le théatre. […] Bernoulli, qui s’étoit acquis dès la jeunesse une si grande réputation, et qui mourut il y a vingt-sept ans, professeur en mathematiques dans l’université de Basle, s’étoit livré à cette science malgré les efforts que son pere avoit faits durant long-temps pour l’en détourner.

40. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « Mme de Girardin. Œuvres complètes, — Les Poésies. »

Mme de Staël, ce grand poète en prose, — comme on peut l’être en prose, — qui avait fait chanter Corinne, n’existait plus… Tout à coup, comme pour nous consoler de cette perte et pour la réparer, se mit à jaillir dans la vie (le mot n’est pas trop fort pour dire l’impétuosité de cette jeunesse) une jeune fille qui, elle, chantait de vraies poésies, car elle parlait cette langue des vers que rien, dans l’ordre poétique, ne peut remplacer. […] Elle a peint ce moment de sa jeunesse dans des vers que M.  […] Au lieu de cet être poétique dont la prétention n’avait pas fait sourire et qui avait l’émotion de la jeunesse, quoiqu’elle la prit un peu trop pour la palpitation du génie, Mme de Girardin devint une femme littéraire, surabondamment littéraire, noircissant infatigablement du papier, comme le font tous les hommes et toutes les femmes de ce temps de production facile. […] Certes, Mme Delphine Gay valait mieux avec la spontanéité de sa jeunesse, travaillée déjà, car elle a toujours un peu posé, la Muse de la patrie, mais pas autant que quand elle eut un salon, ce fameux salon vert-de-mer où ce teint de blonde assassinait les brunes, ses amies, idée de femme que je trouve très jolie, et que je ne lui reproche pas, comme je lui reproche d’y avoir trop posé, dans ce salon, en Mme de Staël. […] Il s’en va avec la beauté et la jeunesse, laissant aux femmes qui ont vécu par lui les yeux pleins de ces larmes qui tacheraient l’honneur de la vieillesse, si on osait les essuyer avec des cheveux blancs !

41. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLVIe entretien. Ossian fils de Fingal, (suite) »

Ma fille, prête l’oreille aux chants d’Ossian ; il se rappelle les jours heureux de sa jeunesse. […] Cher amant, je ne te vois plus revenir de la chasse avec les grâces de la jeunesse. […] Tel revenait Comhal des combats de sa jeunesse. […] « Mais pourquoi rappeler les combats de ma jeunesse ? […] Réjouis-toi donc, ô soleil, dans la force de ta jeunesse.

42. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Œuvres inédites de P. de Ronsard, recueillies et publiées par M. Prosper Blanchemain, 1 vol. petit in-8°, Paris, Auguste Aubry, 1856. Étude sur Ronsard, considéré comme imitateur d’Homère et de Pindare, par M. Eugène Gandar, ancien membre de l’École française d’Athènes, 1 vol. in-8°, Metz, 1854. — I » pp. 57-75

Une surdité qui lui survient et qui l’afflige dès la jeunesse lui est un premier temps d’arrêt, un premier rappel intérieur qui le sollicite à la retraite. […] Ce mouvement de la Renaissance, comme on l’a vu du mouvement de 89, était un de ces puissants et féconds orages auxquels la jeunesse ne résiste pas. […] Dès ce moment la réputation de Ronsard, aidée de ce concours des doctes et de quelques hautes protections en cour, triompha de toute résistance ; Mellin de Saint-Gelais avait rendu les armes, et dans les années suivantes Ronsard, goûté des princes et adopté de la jeunesse, n’eut plus qu’à développer et à varier les applications de son talent. […] Ce qui me frappe chez Ronsard poète, et poète si honorable, si laborieux et même si modeste après son accès de fougue première, c’est comme il se casse de bonne heure, comme il devient vite incapable d’autre chose que de courtes poussées, et comme il a le sentiment que la poésie ainsi que la jeunesse gît toute dans la chaleur du sang, et s’évanouit avec elle. […] Cet esprit gaillard et ce cœur généreux (c’est ainsi qu’il se qualifie avec raison) n’a pas su assez dégager la poésie de la fougue même du tempérament ; sa santé s’est fatiguée avant qu’il ait régulièrement mûri ; il n’a pas eu deux jeunesses.

43. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Œuvres de M. P. Lebrun, de l’Académie française. »

Lebrun, dans sa jeunesse, sans précisément s’endormir, perdit, en effet, du temps à rêver et à être heureux : il faut en tout genre, quand on aime la gloire, être prompt à saisir, à remplir sa destinée. […] La jeunesse croit avoir l’éternité devant elle, et l’heure est rapide, l’occasion est fugitive ! […] Comme toute autre maîtresse La Muse aime la jeunesse ; Et mon front s’agrandit, et l’âge sérieux De cheveux grisonnants sème mes noirs cheveux ! […] avec tant d’autres illusions de ma jeunesse. […] Il a de la jeunesse je ne sais quelle idée qui la lui fait paraître plus longue et plus inépuisable qu’elle ne l’est.

44. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « La génération symboliste » pp. 34-56

Chaque génération a vu sa jeunesse et son élite moissonnées dans leur fleur. […] La coutume barbare de l’internat est une vieille institution, mais s’il y a là des épreuves communes à la jeunesse de tous les temps, il faut reconnaître qu’à aucune époque, l’enfance n’avait eu l’âme si impressionnable et ne s’en était montrée si douloureusement affectée. […] Jadis, l’enseignement se préoccupait d’ouvrir l’entendement de la jeunesse, d’aiguiser son discernement, de lui inculquer des principes, une règle de conduite. […] Les vues de la jeunesse en étaient brouillées d’autant plus que tout ce qui se passait autour d’elle contribuait à élargir la fissure et à empirer le gâchis. […] Carl Vogt, cela vaut mieux que d’être un Adam dégénéré. » Et des souffles nouveaux traversent l’espace, font tressaillir la jeunesse studieuse, derrière ses grilles.

45. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Étienne de La Boétie. L’ami de Montaigne. » pp. 140-161

Comme toute la jeunesse de son temps, et l’un des premiers, il prit feu au signal poétique donné par Du Bellay et par Ronsard, et il fit des sonnets dans leur genre. […] Étienne de La Boétie a de plus qu’eux de mêler, au milieu de son découragement et de sa douleur, une verte sève de jeunesse, un accent un peu rude, mais franc, de poésie. […] Il est permis de penser que plus tard leur liaison, en se formant toujours, n’eût point eu cet ardent et absolu caractère ; on ne se fond ainsi sous la même écorce que dans la jeunesse. […] L’avantage de ces sortes de liaisons, c’est de pouvoir commencer bien plus tard que les amitiés d’hommes, lesquelles, pour être tout à fait vives et profondes, ont besoin de s’être nouées dans la jeunesse. Ici, c’est le contraire ; c’est sur le déclin, c’est quand les orages de la jeunesse ne nous troublent plus et sont déjà loin, que ces attachements sensibles et permis ont plus de chance pour prendre sans péril et pour durer.

46. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « La femme au XVIIIe siècle, par MM. Edmond et Jules de Goncourt. » pp. 2-30

Il ne faudrait pas essayer de faire l’histoire de Mme de Boufflers, dans sa jeunesse ; ses mœurs furent celles du grand monde de son temps, c’est-à-dire plus que légères. […] » A défaut de portraits gravés ou peints, on a un portrait d’elle à cette date de jeunesse encore, — de seconde jeunesse, — par Mme du Deffand : « Mme la duchesse de Boufflers est belle sans avoir l’air de s’en douter ; sa physionomie est vive et piquante, son regard exprime tous les mouvements de son âme ; il n’est pas besoin qu’elle dise ce qu’elle pense, on le devine aisément, pour peu qu’on l’observe. […] On peut dire : C’est une belle jeunesse !  […] Grâce à elle et malgré les souvenirs de licencieuse jeunesse qui se rattachaient à son nom, qui se chantonnaient encore à voix basse à la cantonade, qui ne nuisaient en rien cependant à sa considération dernière, et qui peut-être, auprès de générations très-gâtées, y aidaient plutôt (car on la savait d’une expérience suprême), grâce donc à la maréchale de Luxembourg, l’ancienne société, l’ancien salon français resta jusqu’à la fin marqué d’un caractère propre et unique pour l’excellence du ton. […] La jeunesse de qualité prenait ses grades d’esprit à l’hôtel de Luxembourg.

47. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Le comte de Ségur »

Lui, le vicomte de Ségur son frère, La Fayette, Narbonne, Lauzun, et quelques autres, ils étaient ce que Fontanes appelait les princes de la jeunesse. […] avoir vingt ans en 1774, quand on tenait à Versailles et à la cour, c’était moins grandiose, mais bien flatteur encore : on avait là devant soi quinze années à courir d’une vive, éblouissante et fabuleuse jeunesse. […] A son retour, il entre dans la vie déjà sérieuse et dans la seconde jeunesse. […] Il avait de plus quelques autres raisons sans doute, comme on peut supposer qu’en suggère aisément la morale ou la jeunesse. […] Les Mémoires de M. de Ségur finissent là aussi, comme s’il avait voulu les clore sur les derniers souvenirs de sa belle et vive jeunesse.

48. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLXIe Entretien. Chateaubriand »

Ce fut la première apparition de ce génie de la mélancolie à nos jeunesses. […] Fontanes amena son jeune ami au futur empereur ; c’était lui amener, dans un même homme, l’imagination de la jeunesse et des femmes, la religion et la pitié de la France : les trois prestiges de tout pouvoir nouveau. […] Chateaubriand, que je n’ai connu que vieux, était alors dans le modeste éclat de sa jeunesse. […] Mais le petit salon de madame de Beaumont, à peine éclairé, nullement célèbre, fréquenté seulement de cinq ou six fidèles qui s’y réunissaient chaque soir, offrait tout alors : c’était la jeunesse, la liberté, le mouvement, l’esprit nouveau, comprenant le passé et le réconciliant avec l’avenir. […] « Les femmes qui accompagnaient la troupe témoignaient pour ma jeunesse une piété tendre et une curiosité aimable.

49. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Madame Necker. » pp. 240-263

Elle était belle, de cette beauté pure, virginale, qui a besoin de la première jeunesse. […] Elle n’eut point, comme tant d’autres femmes, le regret de la jeunesse qui fuyait et de la beauté évanouie. Un jour pourtant (elle venait d’avoir trente-cinq ans), elle laisse échapper comme une plainte légère : J’ai bien de la peine, écrit-elle à une amie, à m’habituer à tous changements ; l’âge, qui vient si lentement en apparence, m’a surprise précisément par cette marche sans bruit ; je crois être dans un monde nouveau, et je ne sais si l’instant de ma jeunesse fut un songe, ou si c’est à présent que le rêve commence. Mais bientôt son parti est pris, et les ressources de l’âge mûr sont toutes préparées : Ayant eu des goûts extrêmement différents, dans ma jeunesse, de ceux qui m’occupent à présent, j’ai peu senti les inconvénients du passage ; il s’est fait par nuances, et j’ai toujours trouvé des remplacements. […] Forte de son exemple, des vertus et de la religion de toute sa vie, elle vient plaider pour l’indissolubilité du mariage ; elle ne conçoit pas qu’on livre ainsi une institution fondamentale à la merci des caprices humains et des attraits : Car le premier attrait de la jeunesse n’est, dit-elle, qu’un premier lien qui soutient deux plantes nouvellement rapprochées jusqu’à ce qu’ayant pris racine l’une à côté de l’autre, elles ne vivent plus que de la même substance. — Dans l’âge mûr, pense-t-elle délicatement, la femme qui doit plaire le plus est celle qui nous a consacré sa jeunesse.

50. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Rollin. » pp. 261-282

Ce n’est point seulement l’aversion que j’ai pour la polémique, qui m’en tiendrait éloigné, c’est l’idée très haute que je me suis formée des talents et des vertus qu’il faut pour l’enseignement de la jeunesse. […] Dans les discussions qu’excita la bulle Unigenitus, et par suite du rôle qu’il y prit, il en vint à compromettre et à sacrifier cette œuvre d’enseignement de la jeunesse, qui était chez lui un art et un don. […] Rollin, dans sa modestie qui descend à l’humilité, ne se donne jamais que pour un traducteur, un divulgateur, un colporteur de belles choses tirées des anciens, et qu’il tâche d’assortir avec choix, en les appropriant à la jeunesse chrétienne. […] Où est la jeunesse de la France ? […] Ils ont franchi brusquement toutes les époques du premier âge, et se sont assis parmi les anciens, qu’ils ont étonnés par une maturité précoce, mais sans y trouver ce qui avait manqué à leur jeunesse.

51. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « VICTORIN FABRE (Œuvres mises en ordre par M. J. Sabbatier. (Tome II, 1844.) » pp. 144-153

Victorin Fabre avait des qualités de jeune homme, et supérieures à celles que cet âge présente d’ordinaire : il avait la générosité de la jeunesse, il y joignait un esprit grave, une application constante, une faculté d’analyse et d’examen qui, dans l’expression, savait se revêtir de nombre et d’un certain éclat. Mais il n’eut de la jeunesse rien de ce qui lui appartient surtout en propre, rien de ce qui rafraîchit et renouvelle. […] Quand la maturité, ou ce qui en a l’air, usurpe la place de la jeunesse, il est toujours à craindre qu’une certaine pesanteur n’occupe l’âge de la maturité. […] Il était habituellement maladif, bien qu’avec les dehors et presque l’éclat de la santé, d’une allure assez alourdie, très-sédentaire, très-laborieux, d’un accueil bienveillant pour la jeunesse qui s’adressait à lui, et tenant évidemment à perpétuer ces traditions de politesse et de bon patronage dont il avait autrefois profité.

52. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre V. Le mouvement régionaliste. Les jeunes en province » pp. 221-231

Charles Maurras devaient, quinze ans plus tard, entraîner dans le régionalisme toute une jeunesse inquiète, et qui, lasse du renanisme sceptique, cherchait un appui, se cherchait elle-même ses origines, ses racines, les moyens de se développer et de grandir. […] Voici, à titre d’exemple, le programme d’une ces jeunes revues63 : celle-ci « prétend refléter l’âme nouvelle de la jeunesse, ses préoccupations sociales sans s’inféoder à aucune politique, son souci d’art national, simple, vigoureux, méthodique, suivant le sens de l’esprit latin. […] Ces périodiques, ces groupements ont eu une influence heureuse sur la jeunesse de ce temps. […] Par cela même qu’elles propageaient le culte du pays natal, le goût de l’action, la recherche des méthodes naturelles d’évolution, elles éloignaient la jeunesse d’un art obscur, subtil où elle avait failli se perdre — (après y avoir d’ailleurs au début connu des beautés nouvelles). — Ici, nous n’avons qu’à constater cette floraison des provinces nouvelles.

53. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Louis XIV et le duc de Bourgogne, par M. Michelet. (suite et fin.) »

Ceux qui opposent si complaisamment l’un à l’autre aiment surtout, dans celui qu’ils regrettent, le souvenir déjà de leur propre jeunesse. […] Serait-ce que ceux à qui la vraie jeunesse a manqué en sa saison sont plus sujets que d’autres à ces après-coup et à ces revenez-y de jeunesse ?

54. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « LOUISE LABÉ. » pp. 1-38

Voilà une explication qui concilierait à merveille la considération dont Louise ne cessa de jouir de son vivant, avec la vivacité de certains aveux élégiaques et avec la publication de ce qu’elle appelait ses jeunesses. […] Mercure, au contraire, plaide les avantages et les prérogatives de Folie, cette fille de Jeunesse, et son alliance intime, naturelle et nécessaire avec Amour. […] Il conclut d’un ton d’aisance légère en faveur de sa cliente : « Ne laissez perdre cette belle Dame, qui vous a donné tant de contentement avec Génie, Jeunesse, Bacchus, Silène, et ce gentil Gardien des jardins. […] Elle avait environ vingt-neuf ans à la date de cette publication ; elle vécut jusqu’en 1566, et mourut à l’âge où les cœurs passionnés n’ont plus rien à faire en cette vie, ayant vu se coucher à l’horizon les derniers soleils de la jeunesse. […] A peine de l’enfance Ta jeunesse hâtive eut perdu les liens, L’Amour te prit sans peur, sans débats, sans défense ; Il fit tes jours, tes nuits, tes tourments et tes biens.

55. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Victor Hugo — Victor Hugo, Les Feuilles d'automne, (1831) »

À la verte confiance de la première jeunesse, à la croyance ardente, à la virginale prière d’une âme stoïque et chrétienne, à la mystique idolâtrie pour un seul être voilé, aux pleurs faciles, aux paroles fermes, retenues et nettement dessinées dans leur contour comme un profil d’énergique adolescent, ont succédé ici un sentiment amèrement vrai du néant des choses, un inexprimable adieu à la jeunesse qui s’enfuit, aux grâces enchantées que rien ne répare ; la paternité à la place de l’amour ; des grâces nouvelles, bruyantes, enfantines, qui courent devant les yeux, mais qui aussi font monter les soucis au front et pencher tristement l’âme paternelle ; des pleurs (si l’on peut encore pleurer), des pleurs dans la voix plutôt qu’au bord des paupières, et désormais le cri des entrailles au lieu des soupirs du cœur ; plus de prière pour soi ou à peine, car on n’oserait, et d’ailleurs on ne croit plus que confusément ; des vertiges, si l’on rêve ; des abîmes, si l’on s’abandonne ; l’horizon qui s’est rembruni à mesure qu’on a gravi ; une sorte d’affaissement, même dans la résignation, qui semble donner gain de cause à la fatalité ; déjà les paroles pressées, nombreuses, qu’on dirait tomber de la bouche du vieillard assis qui raconte, et dans les tons, dans les rhythmes pourtant, mille variétés, mille fleurs, mille adresses concises et viriles à travers lesquelles les doigts se jouent comme par habitude, sans que la gravité de la plainte fondamentale en soit altérée. […] L’échelle lumineuse qu’avait rêvée dans sa jeunesse le fils du patriarche, et que le Christ médiateur a réalisée par sa croix, n’existe plus pour le poëte : je ne sais quel souffle funèbre l’a renversée. […] Quand la jeunesse est morte, Laissons-nous emporter par le vent qui l’emporte À l’horizon obscur. […] Et pourtant il s’était écrié autrefois, dans les Actions de Grâces rendues au Dieu qui avait frappé d’abord, puis réjoui sa jeunesse :  J’ai vu sans murmurer la fuite de ma joie ; Seigneur, à l’abandon vous m’aviez condamné.

56. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Victor Hugo — Victor Hugo, romans (1832) »

Les romans ne sont pas l’œuvre propre de la première jeunesse. […] Le bel âge dans la vie pour écrire des romans, autant qu’il me semble, c’est l’âge de la seconde jeunesse ; ce qui répond, dans une journée d’été, à cette seconde matinée de deux à cinq heures qui est peut-être le plus doux temps à la campagne, sur un sopha, le store baissé, pour les lire. La seconde jeunesse me semble donc une saison très-convenable à ce genre de composition, animée qu’elle est et chaude encore, se teignant de teintes plus larges et plus changeantes au soleil de l’imagination à mesure qu’il décline au couchant, nourrie de souvenirs, se développant volontiers, reposée sans être appesantie, capable de tout comprendre. […] Puis, lorsque plus tard encore il vit sans doute qu’illusions pour illusions il ne fallait pas être trop dédaigneux des premières, il revint à Bug, le remania, conserva le cadre, mais le redora en mille manières, enrichit le paysage de ces couleurs où la Muse lui avait récemment appris à puiser, compliqua les événements, introduisit entre ses personnages le seul sentiment qui ait un attrait souverain pour la jeunesse, et d’où sortent les rivalités, les perfidies, les sacrifices, les incurables blessures ; il mit l’amour, il montra la douce Marie. […] Sans être de l’école d’Escobar ou de Machiavel, on pourrait, je crois, qualifier ces scrupules de gloriole hors de saison et de préjugé formaliste : c’est un travers naïf de l’entière et puritaine bonne foi de la jeunesse.

57. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Réception de M. Vitet à l’Académie française. »

Que son Ombre se résigne pourtant, qu’elle nous pardonne du moins si ces quelques vers de sa jeunesse sont restés gravés préférablement dans bien des cœurs. […] Il est assez ordinaire, on le sait, d’être bon dans la première partie de la vie ; cette première bonté tient à la nature, à la jeunesse, à ce superflu de toutes choses qu’on sent au-dedans de soi ; on a de quoi prêter et rendre aux autres. […] De même, pour le talent de l’artiste et du poëte, je dirai qu’il y a une certaine générosité inhérente qui lui est assez ordinaire dans la jeunesse ; mais le développement ultérieur qu’il prendra dépend étroitement de l’usage du premier fonds. […] Qu’on se demande, au contraire, où n’irait pas un talent vrai, fortifié par des habitudes saines, et recueilli, au sortir de la jeunesse, au sein d’une vertueuse maturité. […] » — Soumet était, caressant et malin, un peu creux d’idées, voulant par moments faire croire à je ne sais quelle métaphysique qu’il ne possédait pas, très-aimable quand il ne parlait que de vers, pourtant très-comédien toujours, même dans les moindres circonstances de la vie, ne s’étant jamais consolé de la fuite de la jeunesse, et en prolongeant l’illusion jusqu’à la fin.

58. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — Essai, sur, les études en Russie » pp. 419-428

C’est une grande question que de savoir si la seule étude des langues anciennes vaut le temps qu’on lui consacre, et si cette époque précieuse de la jeunesse ne pourrait pas être employée à des occupations plus importantes. […] L’étude du droit public du saint Empire et des lois qui ont fait subsister ce corps, tant bien que mal, jusqu’à ce jour, fait aussi une grande partie de l’occupation de la jeunesse ; et c’est cette chaire, suivant qu’elle est bien ou mal remplie, qui décide en partie de la réputation de l’université. […] Il est donc bon de les établir dans des villes qui ne soient ni capitales, ni résidences, ni port, parce que la présence du souverain absorbe tout, parce que le trop grand mouvement et le bruit ne causent que des distractions, parce qu’il est bon que l’université soit tout dans les endroits où elle est établie, et que l’habitant regarde l’étudiant avec quelque considération, ce qui arrivera toutes les fois que la ville tirera un profit sensible du séjour de la jeunesse. […] On sent aussi que la vie des membres d’une telle faculté doit être laborieuse, puisqu’indépendamment des soins qu’ils donnent à l’instructin de la jeunesse, ils sont encore les oracles des tribunaux intérieurs et étrangers, et que toutes leurs décisions, devant être motivées, demandent un travail raisonné. […] J’ose recommander très-particulièrement M. le docteur Ernesti, à Leipsick, homme d’un mérite éminent, qui, ayant été toute sa vie occupé de l’éducation de la jeunesse dans toutes les espèces d’écoles, est plus capable que qui que ce soit de dresser un plan excellent.

59. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — A — Augier, Émile (1820-1889) »

. — La Jeunesse, cinq actes en vers (1858). — Les Lionnes pauvres, avec Ed.  […] À vingt-quatre ans, il faisait acclamer la Ciguë par une jeunesse née, comme lui, de la veille, à la poésie et à l’enthousiasme. […] Le premier avait éclaté, irrésistible, avec la Ciguë ; il nous a donné coup sur coup l’Aventurière, Gabrielle, Philiberte ; il a fini par la Pierre de touche, ayant eu cependant encore, depuis la Pierre de touche, deux belles explosions de la nature primitive : la Jeunesse et Paul Forestier.

60. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Le père Lacordaire orateur. » pp. 221-240

Il était malade du mal du temps, du mal de la jeunesse d’alors ; il pleurait sans cause comme René ; il disait : « Je suis rassasié de tout sans avoir rien connu. » Son énergie refoulée l’étouffait. […] On peut dire qu’à la résumer dans cette idée, l’œuvre entreprise en 1831 par M. de Lamennais et ses disciples d’alors, même en étant sitôt interrompue, n’a pas totalement échoué, et qu’en effet, dès lors, la jeunesse a pu se convaincre que l’adhésion à un symbole religieux n’entraînait pas nécessairement l’adhésion à une forme politique. […] C’est à l’aide de ces qualités mêmes, que quelques-uns nommeraient des défauts, qu’il prend d’autant mieux sur la jeunesse. […] Dès le début, celui qui avait pour vocation presque naturelle de prêcher la jeunesse du xixe  siècle, cette jeunesse dont il avait été et dont, par l’accent, il ne cessera jamais d’être, se sentit en plein dans son élément. […] Dans l’intervalle, il était allé prêcher à Metz, cité guerrière et patriotique, et y avait enflammé l’enthousiasme de la jeunesse militaire.

61. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Madame de Maintenon. » pp. 369-388

La voilà donc à dix-sept ans (1652), dans sa première fleur de beauté, mariée à un mari infirme et qui ne pouvait lui être de rien, au milieu d’une société joyeuse et la moins scrupuleuse de propos comme de mœurs : il lui fallut tout un art précoce et un sentiment vigilant pour se faire considérer et respecter de cette jeunesse de la Fronde. […] Vieille et au comble des honneurs, elle parlait de ces années de jeunesse et de pauvreté comme des plus heureuses de sa vie : Tout le temps de ma jeunesse a été fort agréable, disait-elle à ses filles de Saint-Cyr : je n’avais nulle ambition, ni aucune de ces passions qui auraient pu troubler le penchant que j’avais à ce fantôme de bonheur (le bonheur mondain). […] En ces années de jeunesse, le trait principal de son caractère et de sa position dans le monde me paraît avoir été celui-ci : elle était de ces femmes qui, dès qu’elles ont un pied quelque part, ont à l’instant l’art et le génie de se faire bien venir, de se rendre utiles, essentielles, indispensables en même temps qu’agréables en toutes choses. […] Les hommes me suivaient parce que j’avais de la beauté et les grâces de la jeunesse. […] C’est son œuvre à elle, son travail propre et chéri, presque maternel : « Rien ne m’est plus cher que mes enfants de Saint-Cyr ; j’en aime tout, jusqu’à leur poussière. » C’est toujours une si belle chose qu’une fondation destinée à élever dans des principes réguliers et purs la jeunesse pauvre, qu’on hésite à y apporter de la critique, même la plus respectueuse.

62. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXVIe entretien. Biographie de Voltaire »

Son génie, en effet, commença par la grâce, ce don féminin qui est la jeunesse de l’esprit. […] Le régent donnait le signal et l’exemple de tous les débordements, son interrègne était le règne de la jeunesse contrastant avec le règne de la caducité. […] La mort de cette compagne de sa jeunesse, de ses travaux, de sa gloire, à laquelle il avait consacré sa vie, le plongea, sinon dans un désespoir, au moins dans un vide éternel. […] Le libertinage d’esprit avait dissipé sa jeunesse ; la passion de la gloire avait occupé son âge mûr ; le zèle de la vérité et de l’humanité se développa en lui dans sa verte vieillesse. […] Quelque chose de la grâce et des vices d’Alcibiade lui était resté de sa jeunesse, de la cour, de la société, du théâtre.

63. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre VI » pp. 50-55

On y voit aussi la princesse de Condé, cette Charlotte de Montmorency, si belle dans sa jeunesse, et pour qui Henri IV fit les plus insignes folies de sa vie et les plus indignes de lui. […] Ne voulant pas souscrire au jugement porté sur Voiture par une multitude d’écrivains qui ne l’ont pas lu, j’ai courageusement entrepris de le lire, et voici ce que j’ai recueilli de ma lecture : Voiture, dans sa première jeunesse, écrivit à la manière du temps, avec recherche et affectation. […] Le corbeau de Voiture est mort… » Les lettres des dernières années de Voiture sont incomparablement plus simples, plus naturelles, et de plus d’esprit véritable que celles de sa jeunesse.

64. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE RÉMUSAT » pp. 458-491

Cette bienveillance a prolongé la jeunesse de ses sentiments et de ses goûts. […] Aussi Mme d’Houdetot disait-elle souvent : Les plaisirs m’ont quittée, mais je n’ai point à me reprocher de m’être dégoûtée d’aucun. — Cette disposition la rendait indulgente dans l’habitude de la vie, et facile avec la jeunesse. […] Les réflexions graves lui vinrent avant l’âge, et sa maturité data du cœur même de sa jeunesse. […] Dès qu’ils sont au monde, osez vous dire que votre jeunesse va passer dans la leur ; ô mères ! […] Il manque très-peu à cette nouvelle pour être digne de se glisser entre telle agréable production de Mme Riccoboni et telle autre de Mme de Souza : il y manque un certain duvet de jeunesse, même d’ancienne jeunesse, c’est-à-dire tout simplement peut-être d’être sortie à temps du tiroir, d’avoir su éclore en sa saison et d’avoir essuyé un air de soleil.

65. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Madame Swetchine. Sa vie et ses œuvres, publiées par M. de Falloux. »

— M. de Falloux, dans le récit qu’il nous a donné de la jeunesse de Mme Swetchine, élude la principale de ces questions ; ne trouvant chez lui aucun indice précis, aucune explication satisfaisante, j’ai pourtant voulu savoir, j’ai interrogé, et il m’a été répondu : « Mme Swetchine a eu un orage de jeunesse : elle avait inspiré une grande passion au comte de Strogonof, un des hommes les plus aimablesde la Russie, et elle l’avait ressentie elle-même. » On ne s’en douterait pas en lisant M. de Falloux. […] Mmc Swetchine, dès sa jeunesse, ne lisait que la plume à la main et faisait d’abondants extraits de ses lectures ; on en possède, sans compter ce qui s’est perdu, 35 cahiers reliés. […] Ces lettres de la jeunesse de Mme Swetchine nous révèlent une âme ardente, impétueuse, que la difficulté, l’âpreté même de l’effort moral tente et convie, et qui ne s’est jetée vers Dieu avec tant de passion que de peur de se laisser prendre trop vivement aux choses de la terre. Une des amies de jeunesse de Mme Swetchine était Mlle Roxandre Stourdza ; d’origine grecque, l’une des demoiselles d’honneur de l’impératrice. […] Elle a de bonne heure fait le plus sensible des sacrifices pour une femme, surtout pour une femme qui a su et senti ce que c’est que l’amour : elle s’est dit : « Une femme qui n’a point été jolie n’a pas été jeune. » Et elle a sacrifié sa jeunesse, elle s’est jetée à corps perdu du côté de Dieu : « A l’âge de dix-neuf ans, je me jetai entre les bras de Dieu avec une passion telle, que je ne puis rien comparer de ce que j’ai éprouvé à sa vivacité.

66. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Œuvres de Barnave, publiées par M. Bérenger (de la Drôme). (4 volumes.) » pp. 22-43

Il gagna vite en autorité malgré sa jeunesse, et grandit dans les discussions ; il compta dans toutes les délibérations importantes. […] Dans cette intelligente et patriotique province du Dauphiné, la jeunesse sérieuse de Barnave trouvait des sujets d’inspiration et d’exercice ; sa vie politique commença avant l’âge. […] Les chefs l’accueillaient avec bienveillance ; et lui, avec cette illusion confiante à laquelle n’échappe aucune noble jeunesse, il voulut user d’abord de cette espèce d’influence qu’ils paraissaient lui accorder, pour tenter de les réunir : « Ainsi, dit-il, je fis de vains efforts pour rapprocher Mounier et l’abbé Sieyès, entreprise bien digne d’un jeune homme à l’égard de ces hommes impérieux, qui étaient arrivés pour faire prévaloir des systèmes opposés. » Lui-même il se forma vite et se décida sur la ligne à suivre. […] Après tout, mourir à trente-deux ans, au comble d’une vie si remplie, au moment où la jeunesse rayonne encore, où l’expérience acquise n’a pas encore achevé de flétrir en nous l’espérance et la foi à la régénération de la société et aux futures destinées humaines, ce n’est peut-être pas un sort si lamentable. […] Le voilà immortel dans la mémoire des hommes ; il y est fixé à jamais dans l’attitude de la jeunesse, du talent, de la vertu retrouvée à travers les erreurs et les épreuves, et du sacrifice suprême, enviable, qui épure et rachète tout.

67. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Sylvain Bailly. — I. » pp. 343-360

On a publié de ses chansons et de ses vers de jeunesse : Prologue pour la fête de Mme Martinot, joué le 24 juin 1755 ; Prologue pour la fête de Mme la présidente Audiguier, joué le 23 août 1755, etc., etc. […] C’est l’objet des vœux et des regrets du monde : des regrets supposent nécessairement une perte un changement, un ancien état détruit. » Il analyse ce qui pour chacun en particulier, à mesure qu’on avance dans la vie, peut s’appeler l’âge d’or : Qui ne regrette pas, s’écrie-t-il, le temps de sa jeunesse ? […] Si les poètes étaient des vieillards, l’âge d’or ne serait que l’image de cette jeunesse toujours regrettée. […] La jeunesse, bannie de son pays, ne l’a point quitté sans douleur ; elle a trouvé un ciel plus beau, une terre plus fertile, mais ce n’était pas le sol natal ; ce n’était plus ce ciel dont la lumière avait d’abord frappé sa vue, ce n’était plus cette terre où bon avait commencé à vivre, cette terre témoin des soins paternels, des jeux de l’enfance, où l’on avait reçu les premières impressions du plaisir et du bonheur. […] Letronne, composé par ce savant dans sa jeunesse et quand il partageait encore quelques-unes des illusions scientifiques du xviiie  siècle.

68. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Les Gaietés champêtres, par M. Jules Janin. » pp. 23-39

Peut-il exister en dehors des divers systèmes politiques, aux confins des doctrines qui se combattent et se font la guerre, un terrain plus ou moins neutre, une sorte de lisière, où l’on est bien venu à errer un moment, à rêver, à se souvenir de ces choses vieilles comme le monde et éternellement jeunes comme lui, du printemps, du soleil, de l’amour, de la jeunesse ; à se promener même (si la jeunesse est passée) un livre à la main, et à vivre avec un auteur d’un autre âge, sauf à en raffoler tout un jour et à demander ensuite, en rentrant dans la ville, à chaque passant qu’on rencontre : L’avez-vous lu ? […] Janin maintient ce droit, et je le maintiens avec lui, bien que j’aie de moins bonnes raisons pour cela, et que depuis longtemps je ne hante plus guère, même de loin, printemps ni jeunesse ; mais je tiens à ce que le promeneur et le rêveur ait toujours droit de lire le vieux livre, fût-ce le livre le plus indifférent à nos querelles du jour, et de s’y absorber un moment. […] J’essaierai pourtant de donner idée de ce récit souvent interrompu, dont l’inspiration dans les meilleures parties me paraît être de faire sentir tout ce qu’il y a de frais, de léger, de fugitif et d’oublieux dans la jeunesse. […] Janin, qui intervient à chaque moment en tiers avec ses amoureux, relève ces riens par de jolis traits, par des fraîcheurs de plume comme il en a volontiers : un sang rose à la joue, une goutte de rosée au front, un rire étincelant, l’élan naturel et le découplé de la jeunesse. […] En général, ces personnages du romancier sont fragiles : ils ne sont point bâtis ni constitués d’une argile terrestre bien forte, ni embrasés d’une étincelle du ciel bien ardente ; ils sont nés d’un souffle, animés d’un caprice, humides d’une goutte de rosée ; leur nom est jeunesse, beauté de dix-huit ans, facilité volage, oubli.

69. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Madame la duchesse d’Angoulême. » pp. 85-102

Elle s’était fixée durant les années mêmes qui sont pour toute jeunesse celles de la légèreté, de la joie et de la première fleur, durant ces trois ans et quatre mois de captivité au Temple où elle vit mourir, l’un après l’autre, son père, sa mère, sa tante et son frère. […] Mais à la fin de cette année 1795, si l’enveloppe gardait en elle quelque chose de la première jeunesse, l’âme était mûre, elle était faite et aguerrie désormais. […] Ou bien, s’il avait pu s’en mêler un peu à l’origine, ce peu disparut tout à fait dans les épreuves de cette enfance et de cette jeunesse si opprimée et si désolée. […] Y eut-il jamais place, dans ce cœur qui avait été saturé d’agonie dès sa tendre jeunesse, à une pure et véritable joie ? […] Elle ne parlait jamais des choses pénibles et saignantes de sa jeunesse, sinon à très peu de personnes de son intimité.

70. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Madame, duchesse d’Orléans. (D’après les Mémoires de Cosnac.) » pp. 305-321

Il y eut, dans ces années (1661-1662), des saisons uniques de fraîcheur et de jeunesse, et qui se peuvent proprement appeler le printemps du règne de Louis XIV. […] C’était dans le milieu de l’été : Madame s’allait baigner tous les jours ; elle partait en carrosse à cause de la chaleur, et revenait à cheval, suivie de toutes les dames, habillées galamment, avec mille plumes sur leur tête, accompagnées du roi et de la jeunesse de la Cour. […] Pour s’expliquer qu’au milieu de ces pièges et de ces périls où elle se jouait, Madame n’ait point failli, pour qu’elle ait pu dire sincèrement à Monsieur, à l’article de la mort : « Monsieur, je ne vous ai jamais manqué », il faut se rappeler et les difficultés de sa situation si observée, et aussi son âge avec cette sorte d’innocence qui accompagne les imprudences de la première jeunesse. Pour moi, toutes ces grandes et toutes ces demi-passions qui n’aboutissent pas, telles que Mme de La Fayette nous les montre dans son histoire, et telles que j’y crois, ne s’expliquent, en effet, que par cette jeunesse première. Quand le comte de Guiche fut exilé en 1664, Madame, qui avait vingt ans, était déjà devenue plus prudente : « Madame, nous dit Mme de La Fayette, ne voulait pas qu’il lui dît adieu, parce qu’elle savait qu’on l’observait, et qu’elle n’était plus dans cet âge où ce qui était périlleux lui paraissait plus agréable. » Tous ces aimables engagements, ces hasards, ces entrecroisements de désirs et d’intrigues de cœur se rapportent donc surtout à sa jeunesse d’avant vingt ans.

71. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « M. de Montalembert orateur. » pp. 79-91

Sa longue jeunesse, à laquelle on est accoutumé depuis dix-huit ans, n’est pas close encore ; né en 1810, il n’a que trente-neuf ans. Jamais il n’y eut jeunesse ni adolescence plus écoutée. […] Mais, à voir sa jeunesse, sa bonne grâce et son aisance, la netteté élégante et incisive de sa parole et de sa diction, on oubliait naturellement, et les juges étaient les premiers de tous à oublier, qu’on avait affaire à un accusé ; on ne voyait que les commencements d’un orateur. […] Il put y faire entendre en toute franchise les accents les plus passionnés pour cette liberté dont l’amour fut le seul excès de sa jeunesse ; il put y développer sans interruption ses théories absolues, qui eussent fait frémir dans une autre bouche, mais qui plaisaient presque dans la sienne. […] C’est ce caractère moral qui, répandu sur toute une vie, contribue beaucoup à l’autorité dès la jeunesse.

72. (1880) Une maladie morale : le mal du siècle pp. 7-419

Il est emprunté à la jeunesse de Napoléon Ier. […] On sait quelles furent son éducation intellectuelle, et les vicissitudes de sa jeunesse. […] Sa jeunesse, d’ailleurs, n’est pas exempte de folies. […]  » On y remarque un tableau curieux des mœurs de la jeunesse du temps. […] Comme ses premiers vers étincellent de verve et de jeunesse !

73. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXXe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins » pp. 185-304

A-t-on jamais vu une seule nation (excepté les Abdéritains, peuple fou qui voulait rire) mettre sa jeunesse dans son sénat, demander leurs lumières à ceux qui n’ont rien appris, et leur expérience à ceux qui n’ont pas encore vécu ! […] Le monde recommencerait tous les jours, et cette succession de folies de jeunesse ne serait qu’une succession de catastrophes dans l’histoire des nations. […] Molé, homme rompu aux crises de gouvernement, avait par son nom, par sa fortune, par sa haute élégance personnelle, plus de décorum monarchique que de dévouement aux trois monarchies qu’il avait servies dans sa jeunesse. […] Gozlan ayant eu la délicatesse de venir désavouer toute intention malveillante contre moi dans ce journal, voici la lettre que j’ai cru devoir adresser aux représentants de cette noble jeunesse. […] La jeunesse a le sens du juste.

74. (1823) Racine et Shakspeare « Naïveté du Journal des Débats »

… Ô temps heureux où le parterre était composé presque en entier d’une jeunesse passionnée et studieuse, dont la mémoire était ornée d’avance de tous les beaux vers de Racine et de Voltaire ; d’une jeunesse qui ne se rendait au théâtre que pour y compléter le charme de ses lectures !

75. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 44, que les poëmes dramatiques purgent les passions » pp. 435-443

C’est ainsi que le spectacle imaginé par les lacedemoniens, pour inspirer l’aversion de l’ivrognerie à leur jeunesse, faisoit son effet. […] L’auteur dont je parle, expose ce mistere d’iniquité sur la scene comique, sans le rendre plus odieux que Terence cherche à rendre odieux les tours de jeunesse des eschines et des pamphiles, que le boüillant de l’âge précipite malgré leurs remords dans des foiblesses que le monde excuse, et dont les peres eux-mêmes ne sont pas toûjours aussi desesperez qu’ils le disent. […] Mais la barbarie d’un pere qui veut sacrifier ses enfans à une passion, que la jeunesse ne sçauroit plus excuser en lui, ne peut être regardée que comme un crime énorme, et tel à peu près que celui de Médée.

76. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre ii »

Un jeune soldat a pu rencontrer un aumônier, et puis d’autres soldats, qui appartiennent comme lui à l’Association de la Jeunesse catholique française 1 ; il s’en réjouit : « C’est si bon de vivre un peu la vie de l’A. […] On parle du lendemain, de l’attaque, de la vie, de la mort, du bon Dieu, et l’on se sépare après avoir fait ensemble la prière du soir. » (Bulletin de l’Association de la jeunesse catholique française.) […] En juillet 1914 la Jeunesse Catholique comptait dans ses 4000 groupes, 100.000 adhérents.

77. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « M. Jouffroy »

Et puis, nous l’avouerons, comme science, la philosophie nous affecte de moins en moins : qu’il nous suffise d’y voir toujours un noble et nécessaire exercice, une gymnastique de la pensée que doit pratiquer pendant un temps toute vigoureuse jeunesse. […] Son grand-père, qui vécut tard, et dont la jeunesse s’était passée en quelque charge de l’ancien régime, avait conservé beaucoup de solennité, une grandeur polie et presque seigneuriale dans les manières. […] Chacun, en se souvenant bien, chacun a eu de la sorte son Sinaï dans sa jeunesse, sa mystérieuse montagne où la destinée s’est comme offerte aux yeux, mieux éclairée seulement qu’elle ne le sera jamais depuis. […] Jouffroy en était, en ces années-là, à cette période heureuse où luit l’étoile de la jeunesse, à la période de nouveauté et d’invention ; il se sentait, à l’égard de chaque vérité successive, dans la fraîcheur d’un premier amour ; depuis, il se répète, il se souvient, il développe. […] Jouffroy, qui n’y est pas nommé, l’une à M*** : Ô vous qui lorsque seul, etc., etc. ; et l’autre qui a pour titre : Le Soir de la Jeunesse.

78. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Duranty » pp. 228-238

Sa jeunesse pouvait l’excuser. […] La jeunesse a des admirations qui, — tout le temps qu’elle dure, — ont le charme de sa faiblesse, car, excepté les grands génies originaux qui n’imitent personne, chacun part d’un autre pour arriver… enfin à soi. […] Seulement, si ces ivres admirations de la jeunesse font souvent tache, pour toute la vie, sur l’originalité qui s’en essuie plus tard sans en effacer l’influence ; si ces admirations imitatrices sont toujours en raison inverse de la force qu’on a, l’objet, d’ailleurs, en serait-il Gœthe, Lord Byron ou Balzac, je demande ce qu’elles prouvent et ce qu’elles annoncent, quand leur objet n’est qu’un écrivain d’un ordre infime, malgré des prétentions exorbitantes. […] Leur gaieté même est âpre, quand ils plaisantent, et l’on voit, à travers la jeunesse de l’un et la maturité de l’autre, la tête de mort d’un siècle vieux… Enfin, — et c’est là le plus grand reproche qu’on puisse leur adresser, — observateurs de la vie sensible et descripteurs acharnés et presque chirurgicaux du défaut et du vice humain, pour tout ce qui tient à la vie morale, ce sont d’indifférents sourds-muets.

79. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Corneille. Le Cid (suite.) »

Le Cid est une pièce de jeunesse, un beau commencement, — le commencement d’un homme, le recommencement d’une poésie et l’ouverture d’un grand siècle. […] La Jeunesse du Cid, de Guillem de Castro, pièce en trois journées, était sa matière première : quel fut au juste le profit qu’il en tira ? […] ayons toutes les qualités, s’il se peut, et le moins possible les défauts de nos divers âges ; mais gardons-nous, tout en faisant pour la forme nos légers mea culpa, de prétendre retoucher à notre jeunesse, — aux œuvres et aux actes de notre jeunesse ; — et surtout si ç’a été celle du grand Corneille. […] Il plaint sa jeunesse. […] La jeunesse et l’à-propos du Cid à son heure, voilà mon sujet.

80. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « M. Joubert »

Sa jeunesse dut être celle d’alors : « Mon âme habite un lieu par où les passions ont passé, et je les ai toutes connues », nous dit-il plus tard ; et encore : « Le temps que je perdais autrefois dans les plaisirs, je le perds aujourd’hui dans les souffrances. » Les idées philosophiques l’entraînèrent très-loin : à l’âge du retour, il disait : « Mes découvertes (et chacun a les siennes) m’ont ramené aux préjugés. » Ce qu’on appelle aujourd’hui le panthéisme était très-familier, on a lieu de le croire, à cette jeunesse de M.  […] Il était de cette jeunesse délirante contre qui La Harpe fulminait. […] Il se débarrassa vite pourtant de ce qui n’était pas digne de lui dans ce premier enthousiasme de la jeunesse ; cette boue des Mercier et des Rétif ne lui passa jamais le talon : il réalisa de bonne heure cette haute pensée : « Dans le tempéré, et dans tout ce qui est inférieur, on dépend malgré soi des temps où l’on vit, et, malgré qu’on en ait, on parle comme tous ses contemporains. […] Les illustres Mémoires ont déjà fixé en traits d’immortelle jeunesse cette petite et admirable société d’alors, soit au village de Savigny, soit dans la rue Neuve-du-Luxembourg, Fontanes, M.  […] Il continua de lire, de rêver, de causer, de marcher, bâton en main, aimant mieux dans tous les temps faire dix lieues qu’écrire dix lignes ; de promener et d’ajourner l’œuvre, étant de ceux qui sèment, et qui ne bâtissent ni ne fondent : « Quand je luis, je me consomme. »  — « J’avais besoin de l’âge pour apprendre ce que je voulais savoir, et j’aurais besoin de la jeunesse pour bien dire ce que je sais. » Au milieu de ces plaintes, sa jeunesse d’imagination rayonnait toujours sur de longues perspectives : De la paix et de l’espérance Il a toujours les yeux sereins, disait de lui Fontanes en chantant sa bienvenue à Courbevoie.

81. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Huet, évêque d’Avranches, par M. Christian Bartholmèss. (1850.) » pp. 163-186

Il passa donc toute sa jeunesse en savant dégagé et libre, se promenant avec une curiosité infatigable dans le champ du savoir et de l’esprit humain, véritable amateur, au sens antique, parcourant toutes les sciences sans s’attacher à aucune, n’excluant rien, ne méprisant rien, mais se gardant aussi de surfaire. […] Voici un gracieux portrait qui lui rend témoignage, et qui nous le montre tel qu’il paraissait aux dames avant les grandeurs de l’épiscopat et dans sa jeunesse. […] Cette passion, qui n’était que dans le ton, tenait au feu de la jeunesse ; cette première rudesse, que l’abbesse voudrait enlever, se polira vite dans le monde et à la Cour. […] À propos des poésies latines ou françaises qu’échangent entre eux Huet et Ménage, on se plairait à saisir quelques saillies de jeunesse du futur prélat, quelque filet de verve gauloise et rabelaisienne. […] Chaque génération de jeunesse tient à y mettre du sien et à faire acte de présence à son tour.

82. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mémoires de Marmontel. » pp. 515-538

À travers ces incertitudes et ces projets flottants de la jeunesse, il voyage dans le pays, et il n’est, chemin faisant, nièce de curé qu’il ne trouve moyen de comparer à une Vierge du Corrège. […] Parlant de Jean-Jacques Rousseau qu’il voyait dans ce temps-là, du temps que celui-ci était nouvellement célèbre : Le fruit que je retirai de son commerce, dit-il, et de son exemple, fut un retour de réflexion sur l’imprudence de ma jeunesse. […] Sa vieillesse eut plus de force que n’en avait eu sa jeunesse. […] Et, en effet, le volume d’Œuvres posthumes de Marmontel, publié en 1820, fait voir qu’en décrivant ses pétulances de jeunesse dans sa prose, il les a beaucoup adoucies. […] Une instruction variée, des observations de détail ingénieuses, des nuances bien démêlées dans la pensée, une synonymie fine dans la diction, en font un livre qu’on parcourt toujours avec plaisir, et que la jeunesse non orgueilleuse peut lire avec fruit.

83. (1857) Cours familier de littérature. IV « XIXe entretien. Littérature légère. Alfred de Musset (suite) » pp. 1-80

Nous écrivons pour la chaste jeunesse et pour les sages, nous n’écrivons pas pour les voluptueux. […] La jeunesse de Londres et de Paris ne rêvait que Dulcinées d’Andalousie. […] On sent que la richesse d’imagination et la jeunesse encore saine du cœur s’agitent en lui sous la froide ironie du sceptique. […] Poëte, prends ton luth ; le vin de la jeunesse Fermente cette nuit dans les veines de Dieu. […] Et qu’as-tu donc fait de ta jeunesse et de ton talent, que nous n’ayons plus ou moins fait nous-même, quand nous commencions à trébucher comme des enfants sans lisière sur tous les achoppements de la jeunesse, de la beauté, de la sensibilité et du génie ?

84. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Œuvres complètes d’Hyppolyte Rigault avec notice de M. Saint-Marc Girardin. »

Il n’avait aucun entraînement, nul abandon de jeunesse, et semblait de bonne heure fort préoccupé du but : ses camarades, dans l’idée qu’ils avaient de sa prévoyance, disaient de lui qu’il ne regardait pas à droite ni à gauche au hasard, qu’il ne faisait rien indifféremment. […] Nous sommes obligés de connaître Rome, comme des petits-fils de connaître leur vieille mère. » Il montrait que ce n’est pas tant à l’Université qu’il faut s’en prendre des maladies morales de la jeunesse qu’aux familles elles-mêmes, à l’esprit public et à l’air vicié du dehors, à la littérature enfin ; et faisant allusion à la grande plaie, selon lui régnante, au roman, il appelait de ses vœux un roman pareil à Don Quichotte, c’est-à-dire qui mît à la raison tous les mauvais romans du jour ou de la veille, et en sens inverse de Don Quichotte ; car, en ce temps-là, c’était la chevalerie, avec sa fausse exaltation idéale, qui était la maladie à la mode, et du nôtre c’est le contraire : « c’est le goût du bien-être personnel, c’est l’amour des jouissances positives, c’est l’égoïsme, c’est Sancho, en un mot, et non pas Don Quichotte. […] Dans le second discours, prononcé à Louis-le-Grand, s’inquiétant moins des attaques du dehors, il disait agréablement et en famille bien des vérités à la jeunesse : non pas qu’il fut décidé à louer le passé en tout aux dépens du présent : « Cette élégie sur la décadence perpétuelle du genre humain est d’ancienne date, disait-il ; elle a probablement précédé l’Iliade, et j’affirmerais volontiers que l’aïeul de Nestor lui a reproché plus d’une fois de n’être, en comparaison du vieux temps, qu’un parfait mauvais sujet. » Mais, tout en se gardant des banalités du lieu commun, il opposait, dans un parallèle ingénieux, l’éducation sévère ef terrible d’autrefois à celle d’aujourd’hui, si molle et si propre à faire de petits sybarites ; l’élève choyé de Louis-le-Grand était mis en présence de l’écolier si souvent fouetté et si affamé de Montaigu : « Et cependant, dans ces séjours terrifiés, on voyait accourir en foule une jeunesse prête à tout souffrir, la faim, le froid et les coups, pour avoir, le droit d’étudier. […] C’est le temps où Agrippa d’Aubigné savait quatre langues et traduisait le Criton de Platon « avant d’avoir vu tomber ses dents de lait. » Aujourd’hui les mœurs scolaires sont plus douces, et vos maîtres s’en applaudissent les premiers ; la place du grand fouetteur Tempête est supprimée dans l’Université, et le délicat Érasme vanterait les bons lits et la bonne chère de la jeunesse moderne. […] Soyez un homme pur, moral, régulier, adonné dès vos jeunes ans à tous les justes devoirs, à toutes les bonnes et louables habitudes, à tous les nobles exercices qui entretiennent et qui préservent la santé de l’esprit, et vous êtes frappé dans la force de la jeunesse ; vous l’êtes comme ne l’est pas toujours celui qui s’est livré à tous les excès, qui a usé et abusé de tout !

85. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Monsieur Droz. » pp. 165-184

Il garda de cette éducation commencée sous les belles années de Louis XVI, la faculté d’espérance sociale et de bienveillance universelle, une vue riante de l’humanité, une teinte de philanthropie dont il avait en lui le principe et le foyer, mais dont la couleur se ressentait de la date de son enfance et de sa première jeunesse. […] Cependant la guerre éclatait, et la jeunesse courait aux frontières. […] C’est un roman par lettres, tout pastoral, qui sent la candeur de la jeunesse et presque de l’adolescence. […] Un antique poète21, qui passe cependant pour sage, a dit : « Insensés et bien puérils les hommes qui pleurent la mort, et qui ne pleurent point la fleur envolée de la jeunesse !  […] Au reste, Mirabeau lui-même a donné hautement raison à l’excellent historien, lorsque, maudissant cette réputation d’immoralité qui s’attachait à ses pas, qui compromettait et corrompait à leur source ses meilleurs actes, il s’est écrié plus d’une fois, dans le sentiment de sa force : « Je paie bien cher les fautes de ma jeunesse… Pauvre France !

86. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « La reine Marguerite. Ses mémoires et ses lettres. » pp. 182-200

Il y eut au xvie  siècle les trois Marguerite : l’une, sœur de François Ier et reine de Navarre, célèbre par son esprit, ses Contes dans le genre de Boccace, et ses vers moins amusants ; l’autre Marguerite, nièce de la précédente, sœur de Henri II, et qui devint duchesse de Savoie, très spirituelle, faisant aussi des vers, et, dans sa jeunesse, la patronne des nouveaux poètes à la Cour ; la troisième Marguerite enfin, nièce et petite-nièce des deux premières, fille de Henri II, première femme de Henri IV, et sœur des derniers Valois. […] Marguerite en donne très gentiment une raison toute naturelle : Mais lors l’âge ancien de votre tante et mon enfantine jeunesse avaient plus de convenance, étant le naturel des vieilles gens d’aimer les petits enfants, et de ceux qui sont en âge parfait, comme était lors votre cousine, de mépriser et haïr leur importune simplicité. […] Sa sœur désormais eut tort auprès de lui, et c’est avec son dernier frère, le duc d’Alençon, que Marguerite renouera bientôt et suivra, tant qu’elle le pourra, une liaison de ce genre, qui laissait place à tous les sentiments et à toutes les activités ambitieuses de la jeunesse. […] Un historien qui a bien connu Marguerite et qui ne lui est point hostile, Dupleix, a dit d’elle : « Elle avait aimé Henri duc de Guise, qui fut tué à Blois, et avait logé si avant dès sa jeunesse toutes les affections de son cœur en ce prince qui avait des conditions attrayantes, qu’elle n’aima jamais le roi de Navarre, depuis roi de France, de très heureuse mémoire, qu’on lui fit haïr du commencement, et enfin épouser malgré elle et contre les lois canoniques. » Nous n’en sommes pas encore au roi de Navarre. […] Marguerite, à cette fleur de sa jeunesse, était, selon tous les témoignages, d’une ravissante beauté.

87. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface d’« Hernani » (1830) »

La liberté dans l’art, la liberté dans la société, voilà le double but auquel doivent tendre d’un même pas tous les esprits conséquents et logiques ; voilà la double bannière qui rallie, à bien peu d’intelligences près (lesquelles s’éclaireront), toute la jeunesse si forte et si patiente d’aujourd’hui ; puis, avec la jeunesse et à sa tête, l’élite de la génération qui nous a précédés, tous ces sages vieillards qui, après le premier moment de défiance et d’examen, ont reconnu que ce que font leurs fils est une conséquence de ce qu’ils ont fait eux-mêmes, et que la liberté littéraire est fille de la liberté politique. […] Grâces lui soient donc rendues, ainsi qu’à cette jeunesse puissante qui a porté aide et faveur à l’ouvrage d’un jeune homme sincère et indépendant comme elle !

88. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLVIIIe entretien. De la monarchie littéraire & artistique ou les Médicis (suite) »

Persécuté comme je l’ai été dès ma jeunesse, peut-être me pardonnera-t-on d’avoir cherché quelque consolation dans ce genre de travail. » Dans la suite de ses Commentaires, il a cru devoir donner quelques détails sur sa situation particulière. […] Cette faveur, si importante par elle-même, le devient plus encore par les circonstances qui l’ont accompagnée, et particulièrement par la considération de votre jeunesse et de notre situation dans le monde. […] Ce serait, en effet, une chose aussi humiliante pour vous que contraire à vos devoirs et à mes espérances, si vous veniez à oublier les préceptes de votre jeunesse et à quitter le sentier où vous avez marché jusqu’ici. […] Vous devez comprendre vous-même que l’envie ne vous a pas vu avec indifférence parvenir si jeune à une si éminente dignité, et ceux qui n’ont pu réussir à vous exclure de cet honneur feront jouer toutes sortes d’intrigues pour le flétrir entre vos mains, en vous faisant perdre l’estime publique, et tâchant de vous entraîner dans le gouffre de turpitudes où ils sont eux-mêmes tombés ; et sur ce point la considération de votre jeunesse redouble leur confiance. […] Quant à vos opinions dans le consistoire, je crois qu’il sera plus convenable et plus louable de vous en rapporter, dans toutes les circonstances, aux sentiments et à l’avis de Sa Sainteté, alléguant votre jeunesse et votre inexpérience, qui a besoin d’être guidée par sa prudence et sa profonde sagesse.

89. (1893) Alfred de Musset

En 1827, le romantisme fermentait dans les veines de la jeunesse. […] Au moment où Mme de Musset-Pathay traçait ces lignes, la jeunesse de son fils était finie. […] Non, non, j’en jure par ma jeunesse et par mon génie, il ne poussera sur ta tombe que des lys sans tache. […] Aucun des poèmes de Musset n’a plus contribué à lui conquérir la jeunesse. […] Et il avait le plus précieux des dons qui puissent séduire une civilisation vieillie, la jeunesse.

90. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « L’abbé Fléchier » pp. 383-416

Un manuscrit de la Bibliothèque impériale (Suppl. fr., n° 1016 in-fol.), qui a appartenu à M. de Boze, porte en marge à la première page : Juvenilia Flecheriana 80 ; et en tête : Divertissements, jeux d’esprit ou passe-temps de la jeunesse d’une des premières plumes de ce siècle, et au-dessous : Amusements de la jeunesse d’un homme illustre. […] Tout y est juste, poli, judicieux… » Fléchier n’eut jamais honte de jeter un regard en arrière vers le premier idéal poétique qu’il avait conçu et cultivé dans sa jeunesse. […] Un peu de jeunesse et un peu d’amour-propre leur fait aimer ce qu’elles mépriseront un jour, mais elles aiment déjà ce qu’elles aimeront un jour davantage. […] D’autres défauts pourtant tenaient à sa jeunesse, et ils disparaîtront avec l’âge. […] Le fils, dès sa première jeunesse, s’était mis par là dans les compagnies les plus choisies et les plus à la mode de ce temps-là.

91. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — CHAPITRE IX »

Le jeune poète pleure comme il raille, avec la spontanéité, la fougue, la séduisante mobilité de la jeunesse. […] quelle connaissance prématurée de la passion humaine, quel éperdument de verve et de jeunesse ! […] Le drame dégageait une flamme de jeunesse, une fièvre de passion, une chaleur de vie qui étourdissaient la tête, en troublant le cœur. […] Et pourtant un corbeau jette des cris de mauvais augure aux oreilles de ces deux jeunesses. […] Il s’agit de renouer un premier amour de jeunesse interrompu par un mariage.

92. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE DURAS » pp. 62-80

M. de Talleyrand retrouvait là, avec plus de jeunesse, une image des cercles de la maréchale de Luxembourg et de la maréchale de Beauvau ; mais il se plaignait galamment de ce trop de jeunesse, et qu’il lui fallût attendre quinze ans au moins encore, disait-il, pour que cela ressemblât tout à fait. […] C’est qu’au fond tout était lutte, souffrance, obstacle et désir dans cette belle âme, ardente comme les climats des tropiques où avait mûri sa jeunesse, orageuse comme les mers sillonnées par Kersaint ; c’est qu’elle était une de celles qui ont des instincts infinis, des essors violents, impétueux, et qui demandent en toute chose à la terre ce qu’elle ne tient pas ; qui, ingénument immodérées qu’elles sont, se portent, comme a dit quelque part l’abbé Prévost, d’une ardeur étonnante de sentiments vers un objet qui leur est incertain pour elles-mêmes ; qui aspirent au bonheur d’aimer sans bornes et sans mesure ; en qui chaque douleur trouve une proie facile ; une de ces âmes gênées qui se heurtent sans cesse aux barreaux de la cage dans cette prison de chair. […] Une de ses pensées habituelles était que, pour ceux qui ont subi jeunes la Terreur, le bel âge a été flétri, qu’il n’y a pas eu de jeunesse, et qu’ils porteront jusqu’au tombeau cette mélancolie première. […] Dans cette ruine successive des organes, son cœur sembla redoubler jusqu’au bout d’ardeur et de jeunesse. […] L’attrait d’un intérêt nouveau, le changement des cœurs, l’inconstance, l’ingratitude, la mort, dépeuplent peu à peu ce monde enchanté dont la jeunesse faisait son idole…Aimer Dieu, c’est adorer à leur source les perfections que nous espérions trouver dans les créatures et que nous y avons vainement cherchées.

93. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXVIIIe entretien. Tacite (1re partie) » pp. 57-103

J’ai essayé souvent, dans mes notes de jeunesse, de me rendre compte à moi-même des impressions que je recevais de cet historien selon mon cœur. […] Rome vieillit ; car, malgré les illusions toujours déçues et toujours renaissantes des utopistes, les nations vieillissent comme l’homme, unité mortelle dont elles parcourent toutes les phases avec plus de lenteur, mais avec la même vicissitude de naissance, de jeunesse, de maturité, de caducité et de mort. […] « L’âge même de Galba était un texte de dérision et d’impopularité pour ceux qui étaient accoutumés à la jeunesse de Néron, et qui, suivant le préjugé du vulgaire, ne jugeaient de leur maître qu’à la beauté et à la grâce du corps. […] « Tu es parvenu à cet âge où l’on a déjà échappé aux passions de la jeunesse ; ta vie est telle que tu n’as aucune indulgence à demander pour ton passé. […] ces Germains, que Vitellius pousse contre Rome, ne l’auront pas osé eux-mêmes ; et vous, enfants privilégiés de l’Italie, vous, jeunesse vraiment romaine, vous demanderiez le sang et le massacre d’un corps dont la splendeur et la gloire font toute notre supériorité sur la bassesse et l’obscurité des Vitelliens.

94. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Mémoires d’outre-tombe, par M. de Chateaubriand. Le Chateaubriand romanesque et amoureux. » pp. 143-162

Quant aux autres émotions de ses jeunes années, M. de Chateaubriand s’est contenté de les confondre poétiquement dans un nuage, et de les mettre en masse sur le compte d’une certaine Sylphide, qui est là pour représenter idéalement les petites erreurs d’adolescence ou de jeunesse que d’autres auraient décrites sans doute avec complaisance, et que M. de Chateaubriand a mieux aimé couvrir d’une vague et rougissante vapeur. […] Ce que voulait M. de Chateaubriand dans l’amour, c’était moins l’affection de telle ou telle femme en particulier que l’occasion du trouble et du rêve, c’était moins la personne qu’il cherchait que le regret, le souvenir, le songe éternel, le culte de sa propre jeunesse, l’adoration dont il se sentait l’objet, le renouvellement ou l’illusion d’une situation chérie. […] On nous a assuré que, quand il voulait plaire, il avait pour cela, et jusqu’à la fin, des séductions, des grâces, une jeunesse d’imagination, une fleur de langage, un sourire qui étaient irrésistibles, et nous le croyons sans peine. […] Il lui dit : Un grand malheur m’a frappé dans ma première jeunesse ; ce malheur m’a fait tel que vous m’avez vu. […] S’il peut s’échapper encore un instant, s’il peut se traîner, un jour de soleil, au Jardin des plantes auprès de celle qui du moins sait l’égayer dans un rayon et lui rendre le sentiment du passé, il s’anime, il renaît, il se reprend au printemps, à la jeunesse ; il se ressouvient de Rome, il s’y revoit comme par le passé : « Voyez-vous toujours ce chemin fleuri qui part de l’Obélisque de Saint-Jean-de-Latran ? 

95. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — P. — article » pp. 560-561

Madame le Prince de Beaumont y a d’autant plus de droit, que, sans aucune prétention, elle offre à la Jeunesse de quoi s’instruire, s’amuser, & se former. […] Il y aura toujours une très-grande différence entre les honneurs décernés par une Postérité sage aux plumes vertueuses consacrées à l’amour du bien général, sur-tout dans une partie aussi essentielle que l’éducation de la Jeunesse, & l’atroce célébrité de tant de Productions funestes, que le vain appareil du talent ne sera jamais capable de sauver de l’indignation des Siecles moins corrompus que le nôtre.

96. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Chateaubriand — Note »

Je dirai de plus que le caractère de mes relations avec M. de Chateaubriand a été tout à fait méconnu et défiguré à plaisir par des critiques, venus depuis et qui ne se sont pas rendu compte des vrais rapports naturels entre une ardente jeunesse qui s’élève et une gloire déclinante qui vieillit. — Je ne désirai jamais être présenté à M. de Chateaubriand : ce fut M. […] Le détail de cette jeunesse et de cette famille est enchanté. […] Bien est-il heureux pour ma probité littéraire, monsieur, que ma jeunesse fût achevée dans mes Mémoires, car je vous aurais certainement volé.

97. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Couyba, Charles-Maurice (1866-1931) »

Dans le recueil que nous donne aujourd’hui le nouveau poète que j’ai le plaisir de vous présenter, vous trouverez l’émotion, la belle candeur, tour à tour forte et charmante de la jeunesse — la jeunesse !

98. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Laurent Pichat »

Le poète des Réveils, qui n’avait plus précisément la jeunesse de l’alouette du matin, nous l’annonce, à nous autres, gens du couchant. […] Ironie charmante de la Providence à laquelle il ne veut pas croire, l’athéisme de Pichat est d’un talent qui se fonce tout à coup quand il traduit en vers, souvent très beaux, les croyances de sa jeunesse, et que l’accent exécré, l’accent catholique plus fort que lui, passe à travers la langue de sa poésie, — cet accent qu’il finit toujours par renier, quand il s’en est le mieux servi… Ce qui n’est pas reconnaissant ! […] Pauvre clé rose, elle a roulé Dans les torrents de ma jeunesse. […] Tu ne crois pas beaucoup aux ardeurs, même à celles            De la jeunesse dans les cœurs.

99. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Alfred de Vigny »

Il n’a pas chanté la jeunesse perdue que chantent tant de poètes au déclin, vieux Titons amoureux d’Aurores ; cette jeunesse que Chateaubriand voulut inutilement retenir avec les bras du désespoir. […] Il n’a pas dans ses poèmes posthumes — je le sais aussi bien que ceux qui le crient sur les toits — la plénitude, la fraîcheur et le rayon des poésies de sa jeunesse, mais il s’y trouve une profondeur d’impression, une âpreté poignante dont l’effet me prend souverainement le cœur et me le déchire. […] Je vois mieux ainsi ce sincère glorificateur du silence, ce trappiste de la Poésie, qui s’était créé comme une solitude monastique sous les rideaux et les persiennes de son salon de la rue des Écuries-d’Artois, si plein des portraits et des souvenirs de sa jeunesse, et dans lequel il s’était, de si longue main et de si bonne grâce, préparé à ce qu’il admirait le plus : — silencieusement mourir !

100. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Vicq d’Azyr. — II. (Fin.) » pp. 296-311

Nous l’avons vu parler de la jeunesse avec feu et sympathie, en s’identifiant avec elle ; il ne parle pas moins bien de l’âge mûr et de la vieillesse. […] L’ardente jeunesse se presse de vivre ; elle prodigue des années pour quelques moments de gloire, et jamais elle ne se plaint lorsqu’elle a frappé ce but. […] Par exemple, dans l’Éloge de M. de Montigny, amateur des sciences et des arts et administrateur éclairé, il nous le fait voir dans sa jeunesse tout près d’entrer dans une compagnie célèbre3 qui façonnait tous ses membres à son usage, mais contrarié heureusement dans son désir et se félicitant plus tard d’avoir échappé au danger des sectes, dont le grand inconvénient, dit Vicq d’Azyr, est « de ne voir dans le monde entier que deux partis, l’un pour lequel on ose tout, et le parti opposé contre lequel on se permet tout ». […] À ces juges impétueux et qui sont sujets à secouer du geste la balance, il y aurait, s’ils daignaient écouter, à opposer maint passage excellent de ton, irréprochable de pensée et de goût : tel est, dans l’Éloge de M. de Lassone, ce morceau exquis sur Fontenelle et que peu de personnes ont lu, car l’Éloge de Lassone n’a pas même été recueilli dans les Œuvres de Vicq d’Azyr : Plusieurs médecins, dit-il, se sont vantés d’avoir compté Fontenelle parmi leurs malades, quoique ce philosophe si paisible et qui a vécu si longtemps n’ait dû que rarement avoir besoin des secours de notre art : M. de Lassone se félicitait seulement de l’avoir eu pour protecteur dans sa jeunesse, et pour ami dans un âge plus avancé. […] et pourquoi voudrait-on que la jeunesse et la vigueur de l’âme obéissent à des lois que nul n’a droit de leur dicter ?

101. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Chateaubriand, jugé par un ami intime en 1803, (suite et fin) » pp. 16-34

Royer-Collard qui les avait connues, et qui parlait d’elles dans leur première jeunesse comme de quelque chose de charmant et de mélodieux, comme d’un nid de rossignols. […] À propos d’une de ces associations dont faisait partie Thomas Moore dans sa jeunesse, à l’université de Dublin, un critique judicieux a dit : « Toutes les fois qu’une association de jeunes gens est animée d’un généreux souffle et se sent appelée aux grandes vocations, c’est par des associations particulières qu’elle s’excite et se féconde. […] Vauvenargues, voulant exprimer le charme qu’a pour le talent un premier succès et un début heureux dans la jeunesse, a dit avec bien de la grâce : « Les feux de l’aurore ne sont pas si doux que les premiers regards de la gloire. » De même pour le critique qui étudie un talent, il n’est rien de tel que de le surprendre dans son premier feu, dans son premier jet, de le respirer à son heure matinale, dans sa fleur d’âme et de jeunesse. […] On connaît ses origines bretonnes, sa famille, sa race ; on le suit dans les divers groupes littéraires qu’il a traversés dès sa jeunesse, dans ce monde du xviiie  siècle qu’il n’a fait que côtoyer et reconnaître en 89, et plus tard dans son cercle intime de 1802, où il s’est épanoui avec toute sa fleur.

102. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « M. Octave Feuillet »

Jeune, on lit tout naturellement les romans de sa jeunesse ; on en lit à tort et à travers, on lit tout : mur, on peut ne pas perdre de vue et suivre encore avec intérêt ce genre agréable chez ceux qui mûrissent avec nous et qui ne font que continuer. […] La pudeur, la rougeur, cet apanage de la première jeunesse, leur a passé il y a beau jour ; l’audace va naître tout d’un coup, même chez les plus timides ; elles sont femmes désormais à faire les avances. […] La nature de son esprit aussi bien que l’éducation première qu’il a reçue, son milieu d’enfance et de jeunesse, l’ensemble de ses, habitudes et de ses mœurs, le disposaient à être tout d’abord le peintre le plus distingué de l’honnête et élégante bourgeoisie, de la bonne compagnie de province, de la noblesse qui vit encore dans ses châteaux. […] Vous avez vu quelquefois un beau jeune homme de trente-cinq à trente-neuf ans environ : il a encore toute la physionomie de la jeunesse ; son œil est vif, sa tempe marquée à peine, sa moustache brune, toute son expression souriante. Son front même est ombragé de cheveux noirs comme dans sa première jeunesse, et l’on ne se douterait pas que la main du temps y a passé.

103. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Mémoires de madame de Staal-Delaunay publiés par M. Barrière »

A ce livre de La Bruyère, qui semble avoir donné son cachet à leur esprit, ajoutez encore, si vous voulez, qu’elles ont lu dans leur jeunesse la Pluralité des Mondes et la Recherche de la Vérité. […] Elle se trouvait ainsi de neuf ans plus âgée qu’on ne l’a supposé ; non pas qu’elle ait dissimulé son âge ; elle n’indique point, il est vrai, dans ses Mémoires, la date précise de sa naissance (les dates, sous la plume des femmes, c’est toujours peu élégant) ; mais elle mentionne successivement dans le récit de sa jeunesse certaines circonstances historiques qui pouvaient mettre sur la voie. Il résulte de ces neuf années de plus qu’elle a sans les paraître , que le temps qu’elle passe au couvent et avant son entrée à la petite cour de Sceaux remplit toute la durée de sa première jeunesse ; qu’elle a vingt-sept ans bien sonnés lorsqu’elle entre chez la duchesse du Maine, et qu’elle est déjà une personne faite qui pourra souffrir de sa condition nouvelle, mais qui n’y prendra aucun pli que celui de la contrainte. […] Elle n’a point été aimée de qui elle aurait voulu, elle n’a pas eu sa jeunesse remplie à souhait, elle a souffert : beaucoup d’autres sont ainsi, mais elle a eu avec les années la satisfaction de la pensée et les jouissances réfléchies de l’observation ; elle a vu juste, et il lui a été donné de le rendre. […] Nous n’avons personne été élevés au couvent, nous n’avons pas vécu à la petite cour de Sceaux ; mais quiconque a ressenti les vives impressions de la jeunesse, pour voir presque aussitôt ce premier charme se défleurir et la fraîcheur s’en aller au souffle de l’expérience, puis la vie se faire aride en même temps que turbulente et passionnée, jusqu’à ce qu’enfin cette aridité ne soit plus que de l’ennui, celui-là, en lisant ces Mémoires, s’y reconnaît et dit à chaque page : C’est vrai.

104. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Monsieur Walckenaer. » pp. 165-181

Walckenaer, frais, vif, rose et riant, peint par Greuze, menant de front les plaisirs et le travail, ardent à l’étude, au monde, à la société, sensible aux passions, présentant l’image d’une jeunesse à la fois sérieuse et amoureuse ; nous ne pouvons que le deviner, mais littérairement il se trahit, et toujours il gardera dans son style, dans sa manière de dire, même quand il voudra peindre le siècle de Louis XIV, quelque chose de ce qui caractérise l’époque de Louis XVI. […] Maucroix, chanoine de Reims et poète, naïf comme La Fontaine, et, dans sa jeunesse, un peu plus romanesque que lui ; ce Champenois de l’Île-de-France, qui parlait un français si pur, qui a trouvé quelques vers heureux dans la veine de Racan, et qui a du La Fontaine en lui, au génie près, mais qui en tient pour la bonhomie et pour le cœur ; Maucroix, l’ami aussi de Patru et de d’Ablancourt, était de cette race bourgeoise bien parlante, bien clouée et paresseuse. […] Walckenaer est classique, mais il l’est à travers le goût de son temps et de sa jeunesse, et il y a une teinte première dont il ne s’est jamais débarrassé. […] Il a de ces anachronismes de ton qu’on ne sait comment s’expliquer ; lorsqu’il dira, par exemple, à propos de Mme de Maintenon entrant dans le monde à cette date brillante de sa jeunesse : « Ce qu’on appelle le monde, le beau monde, est un Diorama. » Je ne sais si Mme de Maintenon, exacte et stricte comme elle est, lui aura pardonné ces discordances ; mais je suis bien sûr que Mme de Sévigné n’y regarde pas de si près avec un tel ami, avec un d’Hacqueville si serviable et si nécessaire. […] Mais ce qu’il était surtout, c’était la droiture, l’antique probité, la candeur et la conscience même, une bonhomie éclairée pourtant de finesse ; laborieux jusqu’à la fin et infatigable ; aimant les lettres, aimant la jeunesse et ce qui le chassait peu à peu et allait lui succéder ; prenant intérêt à ces recherches curieuses et innocentes qui dénotent la simplicité du cœur et l’intégrité conservée de l’esprit.

105. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XVI. »

Peut-être, dès la première jeunesse, les avait-il murmurés sous les platanes de l’Académie d’Athènes, quand le hasard le jeta dans une cause qu’il ne devait pas suivre longtemps. […] Octave, cruel sans passion, souillé de crimes et de perfidies dans la jeunesse, sans grandeur dans la victoire et portant même dans la politique moins de génie que d’astuce, fut célébré par les plus rares esprits de son temps et transformé par leurs louanges, au point d’avoir ébloui et en partie trompé le jugement de l’avenir. […] « Elle n’était pas née de semblables parents cette jeunesse qui rougit la mer de sang carthaginois, et abattit Pyrrhus, le grand Antiochus et l’implacable Annibal. […] La vraie beauté de cette ode, c’est même, dans la bouche du chantre épicurien de l’empire, le retour aux grands souvenirs de la liberté romaine, à cette vaillante jeunesse née de soldats laboureurs ; c’est, avec une admirable concision, l’abrégé des victoires de la république ; puis la dernière strophe semble aujourd’hui pour nous une prédiction trop vraie arrachée au poëte, comme à ce prophète de l’ancienne loi qui maudit en voulant bénir. […] Je n’aurais pas souffert cela dans le feu de la jeunesse, sous le consulat de Plancus190. » Le poëte était-il vrai tout à l’heure, dans sa triomphale apothéose du vainqueur de l’Espagne ?

106. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — D — Dumas, Alexandre (1824-1895) »

Dumas, Alexandre (1824-1895) [Bibliographie] Péchés de jeunesse (1857). — Les Aventures de quatre femmes et d’un perroquet (1846-1847). […] Maurice Tourneux Il avait à peine dix-huit ans quand la Chronique, revue mensuelle (1842), inséra ses premiers vers, réimprimés depuis dans un recueil de poésies, intitulé d’abord Préface de la vie, puis Péchés de jeunesse (1847).

107. (1888) Portraits de maîtres

C’est à la jeunesse tout entière que s’adresse cet enseignement par l’exemple. […] Qu’il serait fructueux pour l’éducation de la jeunesse de posséder tous ces cours dans leur suite ! […] Voilà le langage qu’il faut faire entendre à la jeunesse. […] Chez lui l’enfance a donné toutes les promesses qu’ont tenues la jeunesse, l’âge mûr, la vieillesse si verte encore. […] on y perdrait la maîtrise de la jeunesse française, abandonnée au scepticisme et à l’indifférence, sinon livrée aux influences hostiles.

108. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. VINET. » pp. 1-32

Alexandre Vinet se distingua de bonne heure, et par son application, et par des qualités plus en dehors, plus hardies ou plus gaies qu’il semble n’appartenir à son caractère habituel ; mais toute jeunesse a sa pointe qui dépasse à émousser. […] Il est probable qu’à cette période de jeunesse plus hardie, il accueillait les productions de M. de Chateaubriand et de Mme de Staël, et applaudissait à ce mouvement de la littérature extra-impériale, plus vivement qu’il n’a fait à celui de 1825 à 1830, qui le trouva déjà mûr, et auquel il a dès l’abord moins cru. […] La Chrestomathie française n’est, comme son nom l’indique, qu’un recueil, un choix utile de morceaux de vers et de prose, tirés des meilleurs auteurs français, distribués et gradués en trois volumes pour les âges : 1° l’enfance, 2° l’adolescence, 3° la jeunesse et l’âge mûr. […] Quoiqu’il ait écrit des vers dans sa jeunesse et qu’il ait tout ce qu’il faut pour les sentir, M. […] Ces jours où ma jeunesse a fait souffrir les cœurs, Je n’en pourrai gémir que seul avec moi-même… Que lorsqu’il n’est plus temps de dire à ceux qu’on aime : « A genoux !

109. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Murger, Henry (1822-1861) »

. — Scènes de la vie de jeunesse (1851). — Le Bonhomme jadis, un acte (1852). — Propos de ville et Propos de théâtre (1853 et 1859). — Scènes de campagne (1854). — Le Roman de toutes les femmes (1854). — Ballades et fantaisies (1854). — Le Sabot rouge (1860). — Le Serment d’Horace (1860). — Les Nuits d’hiver (1861). […] Il a peint avec une verve, un esprit et un sentiment qu’on ne dépassera pas, les mœurs exceptionnelles et fantasques d’une jeunesse qui, depuis, s’est peut-être un peu trop corrigée.

110. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre I — Chapitre troisième »

Tous ces couples qui forment le cortège de l’Amour, ce sont toutes les qualités séduisantes de la jeunesse qui est la saison d’aimer. […] Le seul air de famille qui leur soit demeuré, c’est qu’ils semblent être les mêmes personnages se moquant, dans leur âge mûr, de ce qu’ils ont aimé dans leur jeunesse. […] Il convoque tous ses barons : ce sont dames Oyseuse, Noblesse de cœur, Franchise, Simplesse, Pitié, Largesse, Hardiesse, Honneur, Courtoisie, Déduyt, Sûreté, Jeunesse, Patience, Humilité, Bien-Celer. […] Jeunesse l’avait conduit dans l’empire de l’Amour, auquel il avait laissé son coeur en gage. […] Où sont les galants qu’il suivait dans sa jeunesse, Si bien çhantans si bien parlans ?

111. (1856) Cours familier de littérature. II « VIIe entretien » pp. 5-85

Je connaissais de jeunesse le caractère hésitant, repentant, puis récidivant, extemporané enfin, pour me servir du mot latin, de Charles-Albert. […] La première jeunesse des yeux de l’imagination et du cœur est la naturalisation pour le poète comme pour l’homme. […] une âme de feu, de langueur, d’enthousiasme, d’antiquité, de jeunesse, de mélancolie et d’héroïsme à la fois ! […] Comme poète, comme amant, comme citoyen, le comte Alfieri était pour moi une triple illusion de jeunesse qu’aucune réflexion n’avait encore dissipée. […] Qu’on le pardonne à ma jeunesse !

112. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre VI » pp. 394-434

disait un poète en se contemplant lui-même, qu’ai-je fait, malheureux, des vices éclatants de ma jeunesse ? […] Elle, comme une femme d’esprit, s’en est consolée bien vite en redoublant de jeunesse et de bonne grâce. […] Vous régnez du droit despotique de votre jeunesse et vous voilà, de prime abord, au niveau de toutes les adorations humaines, au-dessus de tous les blâmes ! […] Elle a été patiente outre mesure ; elle a attendu longtemps sa beauté, son esprit, sa jeunesse, sa grâce, son charme enfin. […] Mademoiselle Mars n’a pas vu son héritière en jeunesse, en beauté, en charme, cette admirablement belle Madeleine Brohan !

113. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamartine — Lamartine, Jocelyn (1836) »

Lamartine, Jocelyn (1836) Bien des talents poétiques, des demi-talents, après les premiers succès et un éclat passager d’espérances, ne survivent pas à la jeunesse ; ou même une première et seule production heureuse les épuise, comme ces beautés fragiles qu’un premier enfant détruit. […] Pour ne prendre que les génies lyriques, c’est-à-dire ceux qui excellent à revêtir toutes les émotions de leur âme par l’image et par le nombre, leur faculté n’est jamais plus grande, plus au complet qu’après la jeunesse et durant le milieu de la vie. […] Ne vous étonnez pas de cette promptitude à la félicité : c’est ainsi qu’est faite naturellement la jeunesse[…] Double triomphe, admirablement senti, perpétuellement vrai, de la jeunesse et de la nature, en face du désastre ardent de la société ! […] Après une jeunesse pleine de misère, étant entré lui-même dans cette humble condition de recteur de village ou de bourg, il en a retracé les alentours, les accidents de ridicule, de sujétion ou de souffrance, avec une vigueur sagace et mordante.

114. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « DÉSAUGIERS. » pp. 39-77

Alors tu coules dans ses veines et tu lui donnes une jeunesse magique ; tu ramènes sur ses paupières brûlantes un sommeil pur, et tu fais descendre tout l’Olympe à sa rencontre dans des rêves célestes. […] On a, depuis, brodé sur cette époque de la jeunesse de Désaugiers, car il a eu et il a sa légende, comme il convient à un type jovial et populaire ; on a inventé mainte anecdote sur lui non moins que sur Rabelais, non moins que sur La Fontaine, et il est devenu matière à vaudevilles à son tour. […] Il y eut ces gais dîners de la jeunesse de Boileau et de Racine, où faisaient assaut La Fontaine et Molière : Chapelle n’y laissait pas dormir le refrain. […] Je puis assurer les élégiaques et les rêveurs que Lamartine, qui effleura cette vie de l’Empire dans sa jeunesse, apprécie fort et sait très-bien rappeler à l’occasion certaines des plus belles chansons de Désaugiers. […] Tendrement aimé de la jeunesse, il la favorisait avec zèle.

115. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Le Vavasseur, Gustave (1819-1896) »

Jules Claretie Le Vavasseur, qui meurt septuagénaire, avait eu ses heures de poésie en sa jeunesse verdoyante comme les haies de son pays normand. […] Comme on ne peut supposer que Baudelaire ait crayonné son portrait par pure amitié, il faut admettre qu’il avait plus d’intelligence que de talent et qu’il fit, au temps de sa jeunesse, des promesses pour lui impossibles à tenir.

116. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « L’abbé de Bernis. » pp. 1-22

Et puis, cette prompte et facile consolatrice, la jeunesse, lui tenait lieu de tout ; nul n’était fait pour en jouir mieux que lui ; tous les contemporains nous ont parlé des avantages de sa personne et des agréments de sa figure : « Je me souviens toujours de vos grâces, de votre belle physionomie, de votre esprit », lui écrivait Voltaire après des années. […] » Dans sa pièce de début, À mes Pénates, Bernis avait parlé assez sévèrement de Voltaire, et l’avait apostrophé comme si ce brillant esprit avait été dès lors en décadence : il revint très vite sur ce jugement de jeunesse ; ils se lièrent, et Voltaire, tout en l’applaudissant et le caressant beaucoup, lui donna un de ces sobriquets qu’il excellait à trouver, et qui renferment tout un jugement. […] À ma mort, quelque âme charitable purifiera ces amusements de ma jeunesse, qu’on a cruellement maltraités et confondus avec toutes sortes de platitudes. […] Dans son discours de remerciement, il rappela avec modestie sa jeunesse qui, « loin de lui nuire, avait parlé en sa faveur ». […] [NdA] « Dans sa jeunesse, l’abbé de Bernis avait langui dans la misère, ne vivant que du produit du travail qu’il faisait pour un libraire dont la femme lui était chère, et recevant quelquefois de ses amis ou de ses amies de quoi payer son fiacre. » (Tiré d’une notice manuscrite qui est en tête du Recueil des lettres de Bernis à Choiseul, dont il sera parlé ci-après.)

117. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Roederer. — I. » pp. 325-345

. — Sa jeunesse ; période d’enthousiasme. — Noble ambition ; sa vocation financière. — Conseiller au parlement de Metz. — Député aux États généraux. — Ses travaux à la Constituante. — Explication avec Mirabeau. — Il est nommé procureur général syndic. — Moment de l’expérience ; épreuve de la démocratie […] Mais lorsque ces sentiments qui, à des degrés différents, sont plus ou moins ceux de toute jeunesse, continuent de s’exalter à des époques où il suffirait d’améliorer et de vivre sans avoir à régénérer, il importe qu’on les contienne et qu’on les détourne sans y trop abonder et sans y donner jour en tous sens : autrement la vie sociale ne serait qu’une révolution continuelle, et chaque génération, en y entrant, ferait explosion à son tour. […] Je vis cette ombre s’étendre au loin autour de moi et marquer partout mon néant 49 … Ici un découragement moral s’empara de lui et le fit peu à peu déchoir de cette hauteur vertueuse où il n’est pas donné à la jeunesse stoïque de se maintenir : Il n’y a qu’un principe de vices pour un homme bien né et à qui la raison a parlé, disait-il à ceux de sa famille avec qui il s’épanchait, c’est l’ennui, le dégoût des circonstances auxquelles il est soumis, c’est le néant du cœur ; au nom de Dieu, ne me laissez pas plus longtemps exposé à cet état. […] Elle applique assez pour distraire ; elle n’exige pas assez d’application pour être impossible à un homme dont le malheur n’a pas affaibli la raison. 2º Depuis longtemps je désirais m’exercer à la langue latine que j’ai mal apprise dans ma jeunesse : ce que je comprends de Tacite, de Tite-Live, de Salluste, d’Horace et de Virgile m’a donné une grande curiosité pour le reste. 3º Hobbes m’a paru avoir un mérite éminent comme écrivain politique, etc. […] [NdA] Notice du baron Roederer sur sa famille et en particulier sur son père durant ces années de jeunesse, antérieures à la vie politique (1849).

118. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Réminiscences, par M. Coulmann. Ancien Maître des requêtes, ancien Député. »

En parlant des amours de ce temps-là, des amourettes de sa jeunesse, je regrette qu’il en prenne occasion (tome 1, page 43) de déclamer contre les amourettes de ce temps-ci : il invoque même contre les mœurs nouvelles des autorités bien imposantes, — celle d’un célèbre directeur de l’École normale. — Je ferai remarquer que, quand on a été jeune en 1814 et qu’on parle de la jeunesse de 1864, on n’est pas très en position de comparer par soi-même et de mesurer exactement la différence qu’il peut y avoir entre les deux jeunesses. […] Coulmann, tenant à une famille impérialiste, se trouvait toutefois de cette jeunesse dégoûtée de la guerre et vouée à la paix, qui ne demandait pas mieux, on le voit, que d’être favorable aux Bourbons. […] Une femme d’esprit disait en parlant d’un ancien amant qui avait pris toute sa jeunesse : « Il m’a laissée là quand il m’a vue flétrie ; mais je me suis dit : Je vais me venger et lui jouer un bon tour, je resterai son amie. » Mme Dufrenoy avait pensé à peu près la même chose, mais elle l’avait dit sans un malin sourire et d’un ton plus élégiaque et tout sentimental : Amour, redonnez-lui le dessein de me plaire ; Mais, quoi que l’ingrat puisse faire, Ne sortez jamais de mon cœur ! […] Coulmann voyagea dans sa jeunesse ; il fit les pèlerinages et les stations les plus remarquables et les plus indiquées de Suisse et d’Italie.

119. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Œuvres inédites de F. de La Mennais »

Si quelqu’un avait pu se figurer une enfance et une jeunesse de La Mennais orageuse, passionnée et romanesque dans le genre de celle de Chateaubriand, il en faut bien rabattre : avec quelques-uns des mêmes éléments au fond et plus d’un signe interne de la même race, tout y est triste au dehors, sans lueur aimable et sans éclair décevant. […] Il nous racontait son origine bretonne et, par les femmes, quelque peu irlandaise, origine qui jette un certain jour sur la nature de son génie, son enfance presque sauvage, ses études solitaires au bord do la mer, sa passion pour le cheval, la chasse, les armes, et son audacieux défi à Surcouf, le fameux corsaire qui faisait trembler l’océan Indien : sa jeunesse opulente (?) […] Ce qui est certain, c’est que la Correspondance de La Mennais lui-même, contemporaine des choses de sa jeunesse, n’a pas cette vivacité de teinte ; elle s’offre à nous assez terne et sans aucun charme. […] Quant aux passions naturelles à la jeunesse, il se les interdit de bonne heure et les supprima ; si l’on essaie de regarder de ce côté, on entrevoit qu’il en a senti seulement la violence et l’âpreté, non la tendresse. […] Le poète, durant toute la jeunesse de La Mennais, ne se montre pas ; il nous présente de son état intérieur des analyses expressives : il ne trouve de lui-même ni tableau ni couleurs.

120. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « GRESSET (Essai biographique sur sa Vie et ses Ouvrages, par M. de Cayrol.) » pp. 79-103

Le plus court et le plus sûr est de le renvoyer, car les Nouvelles ecclésiastiques 30 triompheront sur un homme de ce caractère… » J’ai cité cette lettre parce qu’elle me paraît caractériser à merveille, dans le ton paterne du bon octogénaire, le genre de libertinage, comme il disait, dont la muse de Gresset s’était rendue coupable ; c’est un petit libertinage léger et sans trop de fond, une gaieté de jeunesse très-émoustillée, et qui ne tire pas tellement à conséquence qu’elle ne fasse encore sourire le digne cardinal au moment où il la condamne : on sent que, s’il ne faut plus garder Gresset chez les jésuites, il n’est pas perdu sans ressources pour cela, et qu’il pourra revenir à résipiscence, comme y revint ce Vert-Vert lui-même qu’il a si gentiment chanté. […] Il y a des esprits et des talents qui n’ont que de la jeunesse, et encore de la première jeunesse : Gresset en eut de bonne heure le pressentiment. […] La première veine de jeunesse dissipée, la matinée à peine finie et midi sonnant, Gresset n’eut plus rien à dire, et ne put que se replier dans Amiens : car je suis fort de l’avis de Diderot, qui remarque quelque part que, lorsqu’un poëte peut prendre si aisément sur lui de se taire, c’est qu’il n’a plus guère à parler. […] Quelques hommes distingués avaient perfectionné cet art misérable, qui était devenu leur fonds de nature, et la jeunesse, comme toujours, s’y portait à leur suite par imitation et singerie. […] Cet Hamilton que Gresset, dans sa jeunesse, avait beaucoup lu, et qu’il prétendait continuer, ne vécut pas toujours, tant s’en faut, à Paris ou à Saint-Germain, et les délicieux Mémoires de Grammont sont donnés comme venant de la plume d’un campagnard, de quelqu’un qui se dit rouillé par une longue interruption de commerce avec la cour.

121. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Œuvres de Louis XIV. (6 vol. in-8º. — 1808.) » pp. 313-333

L’impression que fait la lecture de ses écrits, et surtout de ceux qui datent de sa jeunesse, est bien propre à redoubler pour lui le respect. […] Mais au début, et dans les sept ou huit premières années de sa jeunesse, il me semble que Louis XIV échappe à ce reproche. […] Notez bien cet esprit solide et agissant, revêtez-le d’éclat et de majesté, voilà la meilleure définition qui se puisse donner de lui dans sa jeunesse. […] Pourtant il ne l’entendait pas ainsi dans sa jeunesse. […] [NdA] Un jour, dans la jeunesse de Louis XIV, la Cour étant à Lyon, Brienne lisait à la reine mère dans sa chambre, à sa toilette, un projet de lettres patentes pour la translation des reliques de sainte Madeleine.

122. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Franklin. — I. » pp. 127-148

Dès le premier regard qu’il porta autour de lui sur ces congrégations plus ou moins émanées de Calvin, Franklin ne put en accepter les dogmes antinaturels et écrasants ; il fut esprit fort et déiste, et d’abord il le fut avec ce premier feu et ce besoin de prosélytisme qu’a aisément la jeunesse. […] » Cette méthode un peu scotique et sophistique, à laquelle Socrate lui-même ne me paraît pas avoir entièrement échappé, fut un des travers de jeunesse de Franklin ; il s’en guérit peu à peu, se bornant à garder volontiers dans l’expression de sa pensée la forme dubitative et à éviter l’apparence dogmatique. […] Benjamin, qui le voyait faire, qui entendait causer ceux qui y contribuaient de leur plume, et qui lui-même travaillait à l’imprimer, eut l’idée de donner quelques articles ; mais, sentant bien qu’on les refuserait avec dédain à cause de sa jeunesse, si on l’en savait l’auteur, il les fit arriver d’une manière anonyme et en déguisant son écriture. […] Les aveux que Franklin nous fait de ses fautes (et nous en trouvons trois ou quatre dans ces années de jeunesse) ont un caractère de sincérité et de simplicité qui ne laisse aucun doute sur la disposition qu’il exprime. […] Le dévouement d’un chevalier d’Assas, la passion d’un chevalier Des Grieux, la poésie de Parisina ou d’Ariel, tout cela se tient dans la pensée, et il nous semble, au moins dans la jeunesse, que c’est manquer d’ailes et d’essor que de ne point passer à volonté d’un de ces mondes à l’autre.

123. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Henri Heine »

Tout en était nouveau, ardent de jeunesse et de génie, enivrant, enivré, audacieux d’une immense audace, cette herbe si rare que les honnêtes moutons de Dindenaut ne broutent pas, mais qu’ils aiment assez à voir brouter. […] voilà certainement, pour qui le connaît bien, Henri Heine tel qu’il a été dès sa jeunesse, tel qu’il est de constitution et d’essence, malgré lui-même, malgré l’Allemagne, malgré les Universités, malgré Hegel, malgré tous les milieux qu’il a traversés et qui l’ont dominé, quoiqu’ils lui fussent très inférieurs. […] il y a toujours eu de ces philosophies dans le monde ; il y en avait, même en Allemagne, du temps de la jeunesse de Heine. […] … Et quelle meilleure raison de le croire et de l’espérer que de le voir fouler aux pieds avec un mépris presque joyeux toutes les idées, les opinions et les passions de sa jeunesse ? […] Un jour, Henri Heine, dans sa floraison de jeunesse, écrivit, comme s’il eût senti les murmures en lui de cet horrible mal sous lequel il devait succomber, que « tout homme de génie était nécessairement malade et même que le génie n’était qu’à ce prix », et les gens qui se portaient bien trouvèrent la chose insolente et lui en firent la guerre.

124. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « À M. le directeur gérant du Moniteur » pp. 345-355

Y a-t-il quelque part encore de la verve, de l’ardeur, de la jeunesse et de l’avenir ? […] Laissez-vous faire, ne craignez pas tant de sentir comme les autres, n’ayez jamais peur d’être trop commun ; vous aurez toujours assez dans votre finesse d’expression de quoi vous distinguer. » Mais je n’aurais pas affecté non plus de paraître plus prude que je ne le suis et qu’il ne convient de l’être à ceux qui ont commis, eux aussi, leurs poésies de jeunesse et qui ont lu les poètes de tous les temps ; j’aurais ajouté de grand cœur : « J’aime plus d’une pièce de votre volume ; les Tristesses de la lune, par exemple, joli sonnet qui semble de quelque poète anglais, contemporain de la jeunesse de Shakespeare. […] Cette histoire, où l’on ne sent pas seulement la fidèle observation des lieux, mais où perce aussi une vérité de fond et de récit, cette histoire commencée et finie au son du merveilleux carillon de Bruges, et où se déroule toute la vie d’enfance et de jeunesse de Catherine, de cette pauvre enfant « si cruellement meurtrie et de si bonne heure », intéressera.

125. (1874) Premiers lundis. Tome II « Chronique littéraire »

Oui, nous sommes encore et nous resterons, je l’espère, quelque chose de tout cela ; à ceux qui pensent que notre jeunesse est en train de se faire doctrinaire, à ceux qui craignent que la future République n’affecte trop un jour le goût américain, nous répondrons par ce carnaval de 1833. […] Qui l’eût dit, quand une jeunesse aristocratique, sortie de Saint-Acheul ou des séminaires, se glissait dans les affiliations dévotes ; qui l’eût dit, que hors d’elle, au sein même du carbonarisme farouche, il se préparait quelque chose qui deviendrait de transformation en transformation, et après une révolution nouvelle, le sanctuaire non moins mystique, le Sacré-Cœur, en vérité, de la jeunesse républicaine et prolétaire ? […] Il a jugé convenable d’en exclure un écrit de jeunesse qui parut en 1801 et qui avait pour titre, du Sentiment : c’était un pur essai vaguement expansif, comme tous les jeunes gens sont tentés d’en imprimer, la tête encore échauffée de leurs premières lectures.

126. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre II. Mademoiselle Mars a été toute la comédie de son temps » pp. 93-102

Elle, cependant — tant elle a poussé loin l’admirable et inépuisable coquetterie de son talent — elle redouble de grâce, d’esprit, de vivacité, de jeunesse ; elle accable ses amis et ses ennemis de toutes ses qualités charmantes ; elle ranime d’un souffle puissant les vieux chefs-d’œuvre qui vont disparaître avec elle ! […] Ô la jeunesse ! la jeunesse ! […] Ô la jeunesse !

127. (1874) Premiers lundis. Tome II « E. Lerminier. Lettres philosophiques adressées à un Berlinois »

Dans les six dernières années de la Restauration, après l’épuisement des générations aux prises dès 1815, après la mauvaise réussite des tentatives violentes de la jeunesse et le triomphe indéfini d’un pouvoir hypocrite et corrupteur, il s’était formé, à la fois par désespoir du présent et par besoin d’espérance lointaine à l’horizon, une école de philosophie politique qui avait entrepris la réforme et l’émancipation du pays au moyen des idées ; c’est-à-dire en répandant toutes sortes de connaissances, d’études et de théories propres à féconder l’avenir. […] Les maîtres célèbres, qui, dans ces dernières années, avaient convoqué une avide jeunesse autour de leurs chaires retentissantes, ayant jugé convenable de se taire tous ensemble, M.  […] Lerminier sont d’une utilité inappréciable pour mettre la jeunesse dans les vraies voies, pour la diriger de front aux difficultés sérieuses qu’il importe de vaincre.

128. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section II. Des sentiments qui sont l’intermédiaire entre les passions, et les ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre III. De la tendresse filiale, paternelle et conjugale. »

Les parents ont, pour se faire aimer de leurs enfants dans leur jeunesse, beaucoup des avantages et des inconvénients des rois ; on attend d’eux beaucoup moins qu’on ne leur donne ; on est flatté du moindre effort, on juge tout ce qu’ils font pour vous d’une manière relative, et cette sorte de mesure comparative est bien plus aisément satisfaite ; ce n’est jamais d’après ce qu’on désire, mais d’après ce qu’on a coutume d’attendre, qu’on apprécie leur conduite avec vous ; et il est bien plus facile de causer une agréable surprise à l’habitude, qu’à l’imagination. […] Bientôt les événements dans leur réalité nous présentent nos enfants élevés par nous, pour d’autres que pour nous-mêmes, s’élançant vers la vie, tandis que le temps nous place en arrière d’elle, pensant à nous par le souvenir, aux autres par l’espérance ; quels parents sont alors assez sages, pour considérer les passions de la jeunesse comme les jeux de l’enfance, et pour ne pas vouloir occuper plus de place parmi les unes que parmi les autres ? […] Il est heureux, dans la route de la vie, d’avoir inventé des circonstances qui, sans le secours même du sentiment, confondent deux égoïsmes au lieu de les opposer ; il est heureux d’avoir commencé l’association d’assez bonne heure pour que les souvenirs de la jeunesse aidassent à supporter, l’un avec l’autre, la mort qui commence à la moitié de la vie ; mais indépendamment de ce qu’il est si aisé de concevoir sur la difficulté de se convenir, la multiplicité des rapports de tout genre qui dérivent des intérêts communs, offre mille occasions de se blesser, qui ne naissent pas du sentiment, mais finissent par l’altérer.

129. (1888) La critique scientifique « Appendice — Plan d’une étude complète d’esthopsychologie »

— Parmi les lecteurs : une forte proportion de la jeunesse instruite. […] Parmi les liseurs : faible proportion de l’extrême jeunesse instruite. […] Conclusions générales De 1830 à 1888, la plupart et les mieux doués des lettrés français ont accusé fortement ou faiblement une prédominance d’idées verbales sur les idées réelles ; les liseurs : une prédominance semblable moins accusée, atteignant spécialement la jeunesse ; les auditeurs théâtrals : une atonie et une infériorité mentale générale, marquée par un irréalisme, une inexpérience et une irréflexion complètes, accompagnées d’une prédilection sensible pour les moyens d’émotion purement sensuels ; les décors, les costumes, la sonorité des mots.

130. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre quatrième. Éloquence. — Chapitre V. Que l’incrédulité est la principale cause de la décadence du goût et du génie. »

Ne nous parlez plus de mystères de l’âme, du charme secret de la vertu : grâces de l’enfance, amours de la jeunesse, noble amitié, élévation de pensées, charme des tombeaux et de la patrie, vos enchantements sont détruits ! […] Les plus belles choses qu’un auteur puisse mettre dans un livre sont les sentiments qui lui viennent, par réminiscence, des premiers jours de sa jeunesse. […] Si Montesquieu, dans un ouvrage de sa jeunesse, laissa tomber sur la religion quelques-uns des traits qu’il dirigeait contre nos mœurs, ce ne fut qu’une erreur passagère, une espèce de tribut payé à la corruption de la Régence204.

131. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Eugène Gandar »

Les uns meurent à la fleur de la jeunesse, au printemps des espérances ; on leur rêvait tout un avenir de bonheur ou de gloire, et ils disparaissent : leur image continue de nous sourire de loin, à demi voilée, du haut d’un nuage. […] « Ulysse répondait : “Ithaque est escarpée, mais elle nourrit une brave jeunesse. […] Enfin il roulait à la fois dans son esprit, comme il arrive dans la première jeunesse, plus de choses qu’il n’en devait produire. […] Laissant de côté cet épisode local, qui tient une assez grande place dans la jeunesse de Gandar, je ne dirai ici que quelques mots encore de son second voyage en Grèce. […] J’ai déjà raconté la jeunesse de Pascal, fait l’histoire de sa famille et, en dernier lieu, cherché à éclaircir l’histoire de sa vie pendant l’intervalle de ses deux conversions.

132. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — C — Croisset, Francis de (1877-1937) »

Elles ont ceci de précieux pour moi, qu’elles sont bien réellement le cri, et, malgré l’artifice ici et là, le jaillissement spontané de votre jeunesse, l’expression naïve quelquefois à force d’être insolemment jeune, de vos rêves — et de nos rêves — d’adolescent. elles ont le trouble fiévreux, la violence de possession, le charme impur, et c’est ce qu’il faut, des pubertés qui s’éveillent et qui dans une seule et multiple étreinte voudraient conquérir tout l’amour… en elles, et c’est par là que je les aime, je me revois parmi les images de ma jeunesse, paysages, figures, rêves, de très vieilles choses, déjà un peu effacées aujourd’hui…, impuretés, désespoirs, négations et blasphèmes, tout cela si candide !

133. (1823) Racine et Shakspeare « Préface » pp. 5-7

Enfin ce grand jour arrivera, la jeunesse française se réveillera ; elle sera étonnée, cette noble jeunesse, d’avoir applaudi si longtemps, et avec tant de sérieux, à de si grandes niaiseries.

134. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préface et poème liminaire des « Contemplations » (1856-1859) — Préface (1859) »

C’est l’existence humaine sortant de l’énigme du berceau et aboutissant à l’énigme du cercueil ; c’est un esprit qui marche de lueur en lueur en laissant derrière lui la jeunesse, l’amour, l’illusion, le combat, le désespoir, et qui s’arrête éperdu « au bord de l’infini ». […] La joie, cette fleur rapide de la jeunesse, s’effeuille page à page dans le tome premier, qui est l’espérance, et disparaît dans le tome second, qui est le deuil.

135. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « M. Ampère »

Mais un sentiment supérieur, le sentiment le plus cher et le plus universel de la jeunesse, manquait encore, et le cœur allait éclater. […] Jeunesse des hommes simples et purs, jeunesse du vicaire Primerose et du pasteur Walter, revenez à notre mémoire pour faire accompagnement naturel et pour sourire avec nous à cette autre jeunesse ! […] Jeunesse à jamais regrettée, qui, à l’entrée de la carrière, sous le ciel qui lui verse les rayons, à demi penchée hors du char, livre des deux mains toutes ses râpes et pousse de front tous ses coursiers ! […] Ampère, dès le temps de sa jeunesse, était l’abondance d’idées, l’opulence de moyens, plutôt que le parti pris et le choix. […] Ballanche, au reste, sera la dernière pièce confidentielle que nous nous permettrons : elle termine pour nous la jeunesse de M.

136. (1860) Cours familier de littérature. X « LVIe entretien. L’Arioste (2e partie) » pp. 81-160

L’Arioste n’y avilit pas la poésie jusqu’au libertinage, mais il l’amollit jusqu’à la volupté ; le feu de sa jeunesse coule dans ses stances. […] Il ne fallait rien moins que tant de jeunesse, de vie et de beauté dans les hôtesses de ce palais, pour qu’un tel séjour n’assombrît pas notre société de plaisir. […] La Fontaine l’a imité à sa manière dans le volume ordurier de ses Contes ; mais ce volume, feuilleté par le seul libertinage, est soigneusement écarté des yeux de l’enfance et de la jeunesse. […] Il n’y a que de la jeunesse et de la gaieté dans Arioste, il y a de la vieillesse et du cynisme dans les Contes de la Fontaine. […] — Précisément, reprit-il : ce n’est pas le poète de l’adolescence ni de la jeunesse, c’est le poète du soir de la vie.

137. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Charles-Victor de Bonstetten. Étude biographique et littéraire, par M. Aimé Steinlen. — I » pp. 417-434

Bonstetten, en son premier temps, aux belles années du xvie  siècle, avait eu, il est vrai, une jeunesse fervente, enthousiaste, engouée, selon la forme d’idées et de sentiments qui régnaient alors, avec des teintes de Jean-Jacques et des reflets de Werther ; mais cela lui avait passé : il s’était rassis ; il était devenu vieux ; vers l’âge de trente-cinq à quarante ans, il était redevenu Bernois ou avait tâché de le redevenir, de se faire un homme sérieux, un homme politique, un bailli, un syndic ou syndicateur (comme ils disent), un aspirant au conseil souverain de son canton ; il s’acclimatait petit à petit à l’ennui ; en un mot, à l’exemple du commun des hommes, il était en train de vieillir, et il y réussissait par le cours naturel des ans et des choses, quand les événements qui, à la suite du grand mouvement de 89, bouleversèrent son pays, vinrent le secouer lui-même et le déranger, le déconcerter et l’affliger d’abord ; mais bientôt il se remit, il voyagea, il trouva des oasis et des asiles, des cercles heureux où l’amitié lui vint rendre la joie, l’espérance et l’harmonie de sentiments à laquelle il aspirait par sa nature : et c’est alors qu’il rajeunit tout de bon. […] Et ce n’est pas seulement en sautant par la fenêtre que Bonstetten, en cet âge avancé, fait acte de jeunesse ; il en donne de meilleures marques par son esprit libre, ouvert, affranchi de tout lien rétrograde. […] Le père de Bonstetten, qu’on désignait du nom de sa charge le trésorier de Bonstetten, ne démentait pas en lui ce caractère ; c’était un homme instruit qui, dans sa jeunesse, avait étudié en Allemagne sous le philosophe Wolf, et il s’occupa avec sollicitude de l’éducation de son fils. […] Puisqu’il eut la vieillesse si sympathique, que ne devait-il pas être dans sa jeunesse ! […] Il a exprimé, dans une page heureuse et que je veux citer, l’idéal de l’éducation libre comme il l’entendait et comme il avait commencé de la recevoir : On croit la jeunesse indomptable, parce qu’on se fait une fausse idée de l’autorité.

138. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLXe Entretien. Souvenirs de jeunesse. La marquise de Raigecourt »

Souvenirs de jeunesse. […] Elle savait que la jeunesse a besoin d’indulgence et que la discrétion est la vertu des mères. […] En me retournant, je fus surpris de voir le duc de Laforce en habit de garde national, la baïonnette au bout du fusil, marcher résolument et plein d’enthousiasme patriotique derrière mon cheval ; cela me frappa : je sentis qu’un pays où l’élite de la jeunesse opulente se dévouait ainsi par l’énergie du sang pour sauver l’ordre au risque de sa vie ne périrait jamais. […] Depuis cette perte, il alla plusieurs fois en pèlerinage à Jérusalem, et vécut dans une modeste obscurité, après avoir passé son enfance dans toutes les promesses des cours, et sa jeunesse dans toutes les opulences et dans toutes les délices de son double mariage. […] Il a, dans cette image, l’air d’éternelle jeunesse qu’il avait dans ses plus beaux jours ; sa physionomie le nomme.

139. (1860) Ceci n’est pas un livre « Une croisade universitaire » pp. 107-146

Certes, il ne peut trouver mauvais que vous l’appeliez le père du « bon style » et que vous invitiez la jeunesse littéraire à venir faire ses dévotions sur sa tombe. […] Tu conclus en donnant pour excuse « ta grande jeunesse » : la justification ne justifie rien, mon ami. […] Je n’ignore pas que « sa grande jeunesse » l’excuse. […] Le vieux capitaine Durand, qui fut sous le Directoire l’amant d’une ex-déesse Raison, et à qui les réquisitoires contre le « parti prêtre » viennent de causer un retour de jeunesse en lui rappelant Le Constitutionnel de 1825, fera voter pour toi tous ses métayers. — Il va résilier son abonnement à L’Indépendant de Quévilly pour prendre L’Opinion nationale. […] Il avait, dans sa jeunesse, tourné assez gentiment le madrigal à la Boufflers et collaboré à la Guerre des dieux du chevalier de Parny. — On assure qu’il fit plus d’un acrostiche mythologique sur les beaux yeux de madame Tallien, et que le Mercure de France fut, à une époque, tout fleuri de ses bouquets à Chloris.

140. (1900) Le lecteur de romans pp. 141-164

Car, c’est une observation qui fait honneur à l’instinct de la jeunesse : les jeunes filles de vingt ans dédaignent les livres qu’elles ont dévorés en sortant de pension. […] Cette collaboration, que la jeunesse ne peut lui donner, est nécessaire à toute grande œuvre, elle est un élément avec lequel l’écrivain doit compter. […] Et la jeunesse a sans doute d’autres privilèges, mais elle n’a pas celui-là. […] S’il y a, en effet, une sorte d’incompatibilité et de disconvenance entre l’esprit de la jeunesse et le caractère moral du roman, il me semble qu’on peut en dire autant lorsque l’on considère le roman, non plus comme une œuvre morale, mais comme une œuvre d’art. Là encore la jeunesse, l’inexpérience du lecteur est un grave défaut.

141. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — G — Gille, Valère (1867-1950) »

Et je sors de cette lecture tout parfumée d’antiquité, tout revivifié par l’audacieuse jeunesse du monde, moi qui en ai soixante. Aube, sourire immense, ô jeunesse du monde !

142. (1835) Critique littéraire pp. 3-118

Sa jeunesse déborde, ses sens longtemps contenus se déchaînent. […] Cependant la jeunesse d’Amaury s’écoule dans ces alternatives de triomphes par l’âme, et de chutes par les sens. […] Quand il s’amende, c’est que sa jeunesse est à bout. […] Qui de nous, fervent catholique pendant quelques rapides années de sa première jeunesse, n’a ressenti ce vide affreux que laisse dans le cœur la perte de ces illusions sacrées ? […] Jacquemont était arrivé dans l’Inde avec une confiance robuste dans sa jeunesse, dans sa santé, et, toute superstition à part, dans son étoile.

143. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Saint-Martin, le Philosophe inconnu. — I. » pp. 235-256

Tout annonçait en lui la chasteté et la pudeur : Dans mon enfance et dans ma jeunesse, dit-il, j’ai eu une figure et des yeux assez remarquables pour m’avoir attiré des regards et même des éloges embarrasants pour moi qui étais timide, notamment à Nantes, de la part de Mmes de La Musanchère et de Menou ; et cela en pleine table ; et quelquefois dans les rues de la part des passants. […] Un jour, il avait vingt-deux ans, il allait rejoindre le régiment de Foix à Bordeaux ; se trouvant dans une auberge, à Poitiers, avec un officier d’un autre corps qui avait trente-six ans, il fut d’un étonnement extrême de voir cet homme faire encore le galant auprès du sexe et le séducteur ; il ne pouvait se persuader qu’à trente-six ans ces façons de jeunesse ne fussent point mises de côté pour des soins plus sérieux, et il dit à ce sujet des choses d’une grande innocence peut-être, mais d’une belle et pure élévation. Il remarque que ce n’est pas tout à fait une illusion à la première jeunesse de croire ainsi que l’âge mûr, par rapport à elle, est déjà vieux et doit se comporter comme tel : ce sont nos vanités, nos amours-propres, nos passions acquises et déjà tournées en vices, qui le plus souvent prolongent les légèretés d’un âge dans un autre ; le coup d’œil plus pur de la jeunesse ne s’y trompe pas, en nous montrant ces séductions premières comme devant cesser plus tôt et ne pas abuser l’homme plus longtemps. […] Si cette tendre plante était mieux cultivée, la jeunesse ne serait-elle pas pour elle le plein exercice de cette vertu ? […] Cette vue en faveur de la jeunesse le menait à dire encore que, dans les relations de maître à élève, l’élève, quand il était bon, était celui des deux qui valait le mieux, surtout quand il n’avait pas eu le malheur de se gâter l’esprit par les systèmes.

144. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « François Villon, sa vie et ses œuvres, par M. Antoine Campaux » pp. 279-302

Antoine Campaux, homme de cœur et d’imagination, qui s’est épris du poète, qui l’a de bonne heure lu, relu, imité peut-être dans des vers de jeunesse et pour ses parties avouables59 ; qui l’aime comme un fils indulgent et innocent, avocat désintéressé d’un père prodigue, et qui, concentrant sur lui toute l’affection et l’érudition dont il est capable, a résumé, poussé à fond et comme épuisé les recherches à son sujet. […] Vieilli avant l’âge, sans en être devenu plus fort contre les vices de sa jeunesse, le cœur encore mal guéri de l’amour dont il avait tant souffert, sans ressource, sans espoir, dénoncé au mépris public par son passé et par sa prison récente ; — dans de pareilles circonstances, croyant en avoir fini avec la vie, et comme s’il eût déjà été étendu sur son lit de mort, il dicta le poème qui porte le titre de Grand Testament… Le Petit Testament contenait les adieux et les legs de Villon à ses amis en 1456 : Le Grand Testament renferme aussi une longue suite de legs satiriques ; mais ces legs, au lieu de constituer le fond même du poème, comme ils constituent celui du Petit Testament, n’en sont en réalité que le prétexte et que la partie accessoire. […] Et pourtant, dans sa jeunesse, ne s’était-il donc jamais arrêté par quelque jour de printemps devant le frais et verdoyant spectacle que présentait dans toute sa longueur, sur son revers méridional, la montagne Sainte-Geneviève ? […] Et Charles qui, dans la fleur de sa jeunesse, faisoit trembler l’Italie ? […] Toujours, quand il sera question de la rapidité et de la fuite des générations des hommes qui ressemblent, a dit le vieil Homère, aux feuilles des forêts ; toujours, quand on considérera la brièveté et le terme si court assigné aux plus nobles et aux plus triomphantes destinées : Stat sua quaeque dies, breve et irreparabile tempus Omnibus est vitae… mais surtout lorsque la pensée se reportera à ces images riantes et fugitives de la beauté évanouie, depuis Hélène jusqu’à Ninon, à ces groupes passagers qui semblent tour à tour emportés dans l’abîme par une danse légère, à ces femmes du Décaméron, de l’Heptaméron à celles des fêtes de Venise ou de la cour de Ferrare, à ces cortèges de Diane, — de la Diane de Henri II, — qui animaient les chasses galantes d’Anet, de Chambord ou de Fontainebleau ; quand on évoquera en souvenir les fières, les pompeuses ou tendres rivales qui faisaient guirlande autour de la jeunesse de Louis XIV : Ces belles Montbazons, ces Châtillons brillantes, Dansant avec Louis sous des berceaux de fleurs ; quand, plus près encore, mais déjà bien loin, on repassera ces noms qui résonnaient si vifs et si frais dans notre jeunesse, les reines des élégances d’alors, les Juliette, les Hortense, ensuite les Delphine, les Elvire même et jusqu’aux Lisette des poètes, et quand on se demandera avec un retour de tristesse : « Où sont-elles ? 

145. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Entretiens de Gœthe, et d’Eckermann »

Petit commis, puis secrétaire d’une mairie dans l’un de ces départements de l’Elbe nouvellement incorporés à l’Empire français, il se vit relevé, au printemps de 1813, par l’approche des Cosaques, et il prit part au soulèvement de la jeunesse allemande pour l’affranchissement du pays. […] Je voudrais que vous voulussiez bien examiner avec soin ces travaux de jeunesse, pour me dire ce que vous en pensez ; je désire savoir s’ils méritent d’entrer dans la prochaine édition de mes Œuvres. […] Je lui ai conseillé de faire des chansons d’ouvrier, et surtout des chansons de tisserand ; et je suis persuadé qu’il réussira, car il a vécu depuis sa jeunesse parmi des tisserands ; il connaît à fond son sujet, et il sera maître de sa matière. […] Gœthe avait beaucoup aimé Ovide dans sa jeunesse : c’était alors son poëte préféré. […] Celui-ci avait gardé des premières ferveurs révolutionnaires et antisociales de sa jeunesse et de son drame des Brigands un certain goût de cruauté.

146. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXVe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (6e partie) » pp. 129-176

Des mots entrecoupés de ses dernières pages le révèlent : à son enfant, à son mari, vieillard accoutumé à cet appui et incapable de faire un pas de plus dans la vie sans elle ; à sa jeunesse vainement altérée d’amour, consumée dans le feu des ambitions politiques ; à ces amis dont l’image la poursuivait et lui faisait seule regretter la vie s’ils vivaient encore, aspirer à la mort s’ils l’avaient devancée dans l’éternité. […] IX « On coupa ensuite ses longs cheveux blonds, qui tombèrent à ses pieds comme la couronne de sa jeunesse. […] La beauté de la princesse transfigurée par la paix intérieure, son innocence de tout ce qui avait dépopularisé la cour, sa jeunesse sacrifiée à l’amitié qu’elle portait à son frère, son dévouement volontaire au cachot et à l’échafaud de sa famille, en faisaient la plus pure victime de la royauté. […] Chaste au milieu des séductions de la beauté et de la jeunesse, pieuse et pure dans une cour légère, humble dans les grandeurs, patiente dans les cachots, fière devant le supplice, Madame Élisabeth laissa par sa vie et par sa mort un modèle d’innocence sur les marches du trône, un exemple à l’amitié, une admiration au monde, un opprobre éternel à la république. » Amnistier de tels crimes sous prétexte des nécessités révolutionnaires, ce serait déshonorer à jamais toutes les révolutions, car aucune révolution ne vaut le sang d’un juste ; et quand le juste est une femme, sans autre crime que son nom, sa beauté, son innocence, sa jeunesse, dont on a immolé toute la famille, l’histoire qui atténuerait l’horreur contre ce forfait serait pire que les bourreaux qui le commirent. […] Mais, en ce qui concerne l’Histoire des Girondins, je ne me reproche en conscience que les cinq ou six pages que j’ai signalées ici moi-même à la vindicte des belles âmes, et je désire que ce commentaire expiatoire reste attaché au texte et fasse corps à cette édition du livre, pour prémunir les lecteurs, et surtout la jeunesse et le peuple, contre le danger de quelques sophismes qui pourraient fausser une idée dans leur esprit, ou atténuer dans leur cœur la sainte horreur de la vérité même, contre l’immoralité des moyens.

147. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres de Goethe et de Bettina, traduites de l’allemand par Sébastien Albin. (2 vol. in-8º — 1843.) » pp. 330-352

Goethe avait alors cinquante-huit ans ; il avait un peu aimé dans sa jeunesse la mère de Bettina. […] Le fait est que, douée d’une vive imagination, d’un sens poétique exquis, d’un sentiment passionné de la nature, elle personnifiait tous ses goûts et toutes ses inspirations de jeunesse dans la figure de Goethe, et qu’elle l’aimait avec transport comme le type vivant de tout ce qu’elle rêvait. […] Le privilège des dieux est, comme on sait, une éternelle jeunesse : même à cinquante-huit ans, Goethe n’eût pas sans doute été un vieillard assez aguerri pour supporter tous les jours, sans danger, le voisinage et les familiarités, les agaceries innocentes de Bettina. […] comme alors tu traversais bruyamment les régions de la jeunesse, et comme tu coules maintenant, fleuve tranquille, à travers les prairies !  […] Bettina fit peu à peu des reliques de tout ce qui avait été le parfum et l’encens de sa jeunesse.

148. (1912) Pages de critique et de doctrine. Vol I, « I. Notes de rhétorique contemporaine », « II. Notes de critique psychologique »

Taine a passé son adolescence et sa première jeunesse. […] De là cette adolescence ardemment, frénétiquement vouée à l’étude, puis cette jeunesse et cet âge mûr abîmés dans le travail. […] Trois ou quatre essais de jeunesse : Ce qui ne meurt pas, la Bague d’Annibal, l’Amour impossible. […] Mais cette dualité et cette contradiction, n’était-ce pas le raccourci même de votre jeunesse ? […] Il était phtisique depuis sa jeunesse.

149. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Victor Hugo — Note »

Que si ma pensée se reporte, non plus sur le poëte, mais sur l’homme auquel tant de liens de ma jeunesse m’avaient si étroitement uni et en qui j’avais mis mon orgueil, ressongeant à celui qui était à notre tête dans nos premières et brillantes campagnes romantiques et pour qui je conserve les sentiments de respect d’un lieutenant vieilli pour son ancien général, je me prends aussi à rêver, à chercher l’unité de sa vie et de son caractère à travers les brisures apparentes ; je m’interroge à son sujet dans les circonstances intimes et décisives dont il me fut donné d’être témoin ; je remue tout le passé, je fouille dans de vieilles lettres qui ravivent mes plus émouvants, mes plus poignants souvenirs, et tout à coup je rencontre une page jaunie qui me paraît aujourd’hui d’un à-propos, d’une signification presque prophétique ; je n’en avais été que peu frappé dans le moment même. […] Je n’y allais pas non plus pour m’offrir d’en parler, ni pour faire des avances : j’étais trop critique, même dans ma jeunesse, pour aller d’emblée me jeter à la tête des auteurs dont je pouvais avoir à parler. […] Une période tout enthousiaste de trois années commença pour moi (1827–1830) ; elle acheva de se consacrer dans mon culte intérieur par le recueil des Consolations qui est resté à mes yeux comme le sanctuaire ardent et pur des plus belles heures de ma jeunesse.

150. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « I — L’avenir du naturalisme »

L’avenir du naturalisme La situation d’Emile Zola vis-à-vis de la jeunesse littéraire française, a, depuis peu, changé brusquement4. […] Au début de sa carrière, dans une chaude Lettre à la jeunesse, écrite au lendemain de la première représentation de Ruy-Blas à la Comédie-Française et de la réception de Renan à l’Académie, Zola engageait ardemment la neuve génération à se détourner de l’idéalisme et de la rhétorique. Après l’éphémère fortune du naturalisme, une autre jeunesse, se libérant à son tour des tutelles et des méthodes, est venue manifester son goût profond du rêve et son dégoût non moins profond de la vie. […] Le jeune homme timide et réservé — car tel a été, dit-on le caractère de Zola, dans la jeunesse comme dans l’âge mûr — était enfermé avec ses fraîches énergies dans une mansarde, d’où le panorama du monde de Paris se déployait au-dessous de lui. […] Cet article était écrit avant le procès intenté à Emile Zola au cours d’une récente et retentissante affaire judiciaire, et par conséquent cette phrase ne contient aucune allusion aux nouvelles sympathies que lui attira, parmi la jeunesse comme parmi le monde entier, la belle et significative énergie de sa conduite.

151. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — S — Séverin, Fernand (1867-1931) »

Sa lyre est enguirlandée d’un laurier qui — pour n’être pas héroïque — n’en est pas moins verdoyant de candide jeunesse. […] La triple série de ces nobles poèmes (1887 à 1889) synthétise le poétique fruit de toute une jeunesse vouée au grand art.

152. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Charles Labitte »

Charles Labitte « La mort a dépouillé ma jeunesse en pleine récolte… J’étais au comble de la muse et de l’âge en fleur, — hélas ! […] Il était à peine mûr de la veille ; il était à cette plénitude de la jeunesse où la saison des fruits commence à peine d’hier et où quelques tours de soleil achèveront, où l’on n’a plus enfin qu’à produire pour tous ce qu’on a mis tant de labeur et de veilles à acquérir pour soi. […] La poésie est proprement le génie de la jeunesse ; la critique est le produit de l’âge mûr. […] Il en résulta de bonne heure des crises fréquentes, passagères, que recouvraient vite les apparences de la santé et les couleurs de la jeunesse ; mais lui ne s’y trompait pas : « Je n’ai pas deux jours de bons sur dix (écrivait-il de Paris à M.  […] (Pièces de théâtre inédites de sa jeunesse et du temps de la Révolution ; lettres autographes.)

153. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXIVe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (5e partie) » pp. 65-128

Je me dois à moi-même de ne pas laisser à la jeunesse qui nous suit la faible autorité de mon nom sur ces axiomes, dont l’adoption trompe et ruine le peuple. […] Le peu de solidité de son esprit l’excuse, l’enivrement de sa beauté et de sa jeunesse l’innocente, la grandeur de son courage l’ennoblit. […] Seule contre tous, innocente par son sexe, sacrée par son titre de mère, une reine inoffensive désormais est immolée sur une terre étrangère par un peuple qui ne sait pardonner ni à la jeunesse, ni à la beauté, ni au vertige de l’adoration ! […] Le prince, sans répondre, regarda longtemps les fenêtres de cette demeure où il avait fomenté tous les germes de la Révolution, savouré tous les désordres de sa jeunesse et cultivé tous les attachements de la famille. […] Le prince était vêtu avec élégance et avec cette imitation du costume étranger qu’il avait affectée dès sa jeunesse.

154. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLVe entretien. Vie de Michel-Ange (Buonarroti) »

Un des membres du gouvernement, Aldovrandi, s’intéressa à sa jeunesse, le délivra de sa captivité et lui donna pendant un an l’hospitalité dans son palais. […] Ce fut sur la jeunesse du christianisme, la puberté du moyen âge, le jubilé donné par la papauté au monde. […] Sa vie, tout opposée à celle de Raphaël, ivre de jeunesse, d’amour et de luxe, était celle d’un cénobite. Jusque-là il n’avait point aimé ; une femme qu’il avait épousée et perdue dans sa jeunesse lui avait laissé, si l’on en juge par quelques expressions de ses lettres, un souvenir amer du mariage. […] Mais avant de s’élever sur les traces de Vittoria Colonna jusqu’à la hauteur mystique des célestes amours qu’elle lui révéla, Michel-Ange avait aimé dans sa jeunesse.

155. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Appendice. »

Dès les premiers instants de sa jeunesse, parmi ses camarades, il était incontestablement le chef et le premier. Tel il fut au lycée, dans les concours ; tel, à l’École normale dans cette première génération qui datait de la fondation même : partout le plus en vue, le plus désigné, l’âme et la vie, le prince de la jeunesse pensante, le grand promoteur et agitateur dans l’ordre des idées. […] « Dans sa jeunesse, il a fait longtemps une illusion complète à ses premiers amis et disciples ; il régnait sur eux, il les poussait aux grandes choses, aux grands travaux, aux nobles pensées, voire même aux conspirations généreuses. […] Elle émigra, en Italie d’abord, avec sa famille ; elle connut à Naples la jeune princesse qui fut depuis la duchesse d’Orléans, la reine Marie-Amélie, et y noua avec elle une véritable amitié de première jeunesse.

156. (1914) Boulevard et coulisses

Que de fois, dans ma jeunesse, j’ai entendu dire cette phrase : « Ah ! […] C’est dire de quel prestige ils jouissaient dans la jeunesse et l’extraordinaire situation de leurs principaux rédacteurs. […] Mais elles ont besoin tout de même, de gagner leur vie et le théâtre leur apparaît naturellement comme le seul lieu où leur jeunesse, leur beauté, leur instruction, puissent leur servir à quelque chose. […] On vient de lui présenter un petit employé de commerce, mal habillé, sans esprit et sans jeunesse. […] que ce soit la ville de la jeunesse et de l’étude !

157. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Théocrite »

Lui qui a si ingénieusement et si justement comparé la suite des âges et des siècles à la vie d’un seul homme, lequel, existant depuis le commencement du monde jusqu’à présent, aurait eu son enfance, sa jeunesse, sa maturité, comment n’a-t-il pas reconnu que cet âge de jeunesse qu’il rejetait dans le passé était en effet le plus propre à un certain épanouissement naturel et riant, dont l’à-propos ne se retrouve plus ? […] Thalie signifie la verde, agréable et gentille beauté : à savoir celle des linéaments bien conduits et des traits, desquels la verde jeunesse est coutumière de plaire. […] Car cette Thalie, comme il l’appelle, cette verte et agréable beauté de la muse pastorale, à quel âge du monde ira-t-on la demander, si ce n’est à sa jeunesse ? et Théocrite nous représente bien cette jeunesse finissante, qui se retourne une dernière fois et ressaisit comme d’un coup d’œil tous ses charmes avant de s’en détacher. […] L’idylle qui en est le tableau se rapporte au séjour de Théocrite dans l’île de Cos ; c’est un souvenir de ses années de jeunesse et de florissant bonheur qu’il veut consacrer, et qu’il dédie à ses amis, à ses hôtes.

158. (1859) Cours familier de littérature. VII « XXXVIIe entretien. La littérature des sens. La peinture. Léopold Robert (2e partie) » pp. 5-80

C’est en effet à ces jours heureux de sa jeunesse que se reportent la conception et la lente exécution de son tableau qu’on peut appeler le portrait de l’Italie : les Moissonneurs. […] La famille, l’amour, le travail, l’enfance, la jeunesse, la maturité, la sainte vieillesse, la récolte après la moisson, la mort dans l’espérance, après la vie dans la sueur. […] Enfin ils étaient jeunes, et les révolutions sont l’instinct de la jeunesse, parce qu’elles pressent le pas du temps et parce qu’elles arrachent violemment à l’avenir le mot du destin. […] L’impatience est le défaut, mais aussi la vertu de la jeunesse. […] Il dit l’orgueil de son premier embarquement pour une grande traversée et la présomption de la jeunesse qui ne peut pas croire à la mort. — Et que dit la jeune mariée, debout, son nouveau-né dans le pli de son manteau sur ses bras ?

159. (1860) Cours familier de littérature. X « LVe entretien. L’Arioste (1re partie) » pp. 5-80

II C’est un privilège unique de l’Italie entre toutes les nations d’avoir eu deux jeunesses. […] Il n’y a, disons-nous, qu’une exception unique à cette loi de l’irrémédiable décadence des lettres et des arts : c’est la seconde jeunesse et la seconde littérature de l’Italie au quinzième et au seizième siècles, après quatorze ou quinze cents ans de dégradation. […] Ferrare était le salon de l’Italie ; la noblesse, la jeunesse, la beauté, la modestie d’Arioste, le rendaient, comme le Tasse le fut bientôt après lui, l’ornement et le favori des hommes et des femmes de cette cour. […] Quand le vent de Libecio agitait les vagues, on voyait frissonner la mer et courir l’écume avec ce sentiment de gaieté et d’immortalité que donne au regard cette surabondante vie et cette renaissante jeunesse des éléments qui semblent vivre et qui vivent en effet d’une nouvelle vie tous les matins. […] Il aurait fallu un autre cœur que le mien pour refuser une si agréable hospitalité, à une époque de première jeunesse et de première impression où l’on croit aimer tout ce qu’on admire.

160. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Madame Dacier. — II. (Fin.) » pp. 495-513

Au même moment, d’autres champions de tout caractère et de taille diverse entraient en scène, et la mêlée devint générale : il y avait la vraie jeunesse du temps, les malins et les espiègles armés à la légère, comme l’abbé de Pons, comme Marivaux ; il y avait ceux qui ne riaient pas et les esprits rectilignes comme l’abbé Terrasson, membre de l’Académie des sciences. […] La jeunesse du temps fut pour lui presque à l’unanimité : Les jeunes gens, s’écriait Mme Dacier dès les premières pages de son livre sur la Corruption du goût, sont ce qu’il y a de plus sacré dans les États, ils en sont la base et le fondement ; ce sont eux qui doivent nous succéder et composer après nous un nouveau peuple. […] La jeunesse des premières années du xviiie  siècle ne répondit pas, comme il aurait fallu, à cette parole de cœur où palpitait le zèle d’une amie : « M. de La Monnoye, écrivait Brossette à J. […] Rousseau (avril 1715), me mande que toute la jeunesse est déclarée contre le divin poète, et que si l’Académie française prenait quelque parti, la pluralité serait certainement pour M. de La Motte contre Mme Dacier. » Le xviiie  siècle fut puni de cette partialité ; en perdant tout sentiment homérique, il perdit aussi celui de la grande et généreuse poésie ; il crut, en fait de vers, posséder deux chefs-d’œuvre, La Henriade et La Pucelle ; il faudra désormais attendre jusqu’à Bernardin de Saint-Pierre, André Chénier et Chateaubriand pour retrouver quelque chose de cette religion antique que Mme Dacier avait défendue jusqu’à l’extrémité, et la dernière du siècle de Racine, de Bossuet et de Fénelon. […] Il n’est pas à croire qu’elle le fût ; mais on a vu par un mot de la reine Christine que, dans sa jeunesse, elle dut être une assez belle personne, et sans doute assez agréable d’ensemble.

161. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Œuvres de Frédéric-le-Grand Correspondance avec le prince Henri — I » pp. 356-374

La première guerre de Frédéric, qui était un coup d’ambition et de jeunesse, la seconde guerre qui n’en était qu’une conséquence, ne passèrent point, même en Prusse, sans beaucoup de contradictions et de rumeurs. […] Dans la seconde guerre, en 1745, la correspondance de Frédéric nous le montre plein de bonne grâce et d’attention pour ses frères, ayant encore l’élan de cœur de la jeunesse ; il écrit à la reine sa mère, du champ de bataille de Friedberg (4 juin 1745) : « Madame, nous venons de remporter une très grande victoire sur l’ennemi. […] Les premières lettres de Frédéric à son frère Henri, et qui se rapportent à l’extrême jeunesse de celui-ci, nous le montrent assez dissipé, rappelé à l’ordre par le jeune roi, et tiède dès lors et très froid à son égard : Le peu d’amitié que vous me témoignez dans toutes les occasions, lui écrivait Frédéric (1746), ne m’excite pas à faire de nouveaux efforts de tendresse en faveur d’un frère qui a si peu de retour pour moi… Il faut, si vous m’aimez, que votre amitié soit métaphysique, car je n’ai jamais vu aimer les gens de la sorte, sans les regarder, sans leur parler, sans leur donner le moindre signe d’affection. […] Le roi fait bâtir à son frère un palais à Berlin ; il lui donne en propriété le domaine et le château de Rheinsberg, où lui-même avait passé une partie de sa jeunesse. […] Il a besoin de toute sa rhétorique pour imprimer cette doctrine dans la tête du prince Henri, et, lui rappelant la fable des deux médecins Tant-pis et Tant-mieux : « J’ai, lui disait-il, un malade à traiter, qui a une fièvre violente : dans un cas désespéré, je lui ordonne de l’émétique, et vous voulez lui donner des anodins. » Les défauts du prince Henri, tempérés ou, pour mieux dire, stimulés pendant la guerre de Sept Ans par tant d’aiguillons, par ce qu’il avait de jeunesse et par l’impérieuse nécessité des conjonctures, apparaîtront plus à nu et se prononceront sans réserve lorsqu’il vieillira et durant la campagne de 1778.

162. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Madame Swetchine. Sa vie et ses œuvres publiées par M. de Falloux. »

Elle a debonne heure retourné le monde ; elle a pris le contre pied de la nature ; elle a fait ce que défend un ancien sage, elle a déclaré la guerre à la vie : « Du petit au grand, écrivait-elle à une amie dans sa jeunesse, j’ai beaucoup étudié, beaucoup appliqué le dogme du sacrifice, auquel la pauvre Jeanne Gray avait tant de foi. […] Un grand géomètre, qui avait de la sensibilité31, a dit que « la philosophie s’est donné bien de la peine pour faire des traités de la vieillesse et de l’amitié, parce que la nature fait toute seule les traités de la jeunesse et de l’amour ». […] « Ce sont les mœurs, a-t-elle dit, qui font les malheurs, et non pas la vieillesse… Préparez-vous, ma fille, une vieillesse heureuse par une jeunesse innocente. » Et avec le conseil moral, la consolation religieuse vient à la suite comme une dernière auxiliaire. […] J’ai relu même quelques charmantes pensées de Mme de Tracy sur les douceurs de l’âge d’argent, cet âge qui sépare la dernière jeunesse de la première vieillesse, et où la femme entre en pleine possession de son indépendance. […] Mais la correspondance, désormais complète, avec Mlle Roxanne Stourdza me paraît devoir satisfaire à la plus exigeante curiosité psychologique : elle permet d’étudier à nu l’âme et l’esprit de Mme Swetchine, dans les années décisives de la seconde jeunesse.

163. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. Ernest Renan »

Dieu m’est témoin, vieux pères, que ma seule joie, c’est que parfois je songe que je suis votre conscience, et que, par moi, vous arrivez à la vie et à la voix. » Et voilà l’homme qu’une partie de la jeunesse française refuserait d’écouter avec respect, parlant dans sa chaire des études et des lettres religieuses et sacrées, sous prétexte qu’il a, comme critique, des opinions particulières ! […] J’aurais aimé, du moins, au sujet des Essais, là où je me sens un peu plus sur mon terrain, à indiquer ceux qui me paraissent dans leur genre des morceaux accomplis ou charmants (le Lamennais, les Souvenirs d’un vieux professeur allemand, sur l’Art italien catholique, sur l’auteur de l’Imitation de Jésus-Christ, etc.) ; mais je me hâte et ne crains pas d’aborder un seul et dernier point, celui qui intéresse le plus vivement, à l’heure qu’il est, le public et la jeunesse. […] Pour moi (et j’ai le droit, ayant souffert, à mon heure et vu ma faible voix étouffée, d’avoir un avis sur ces questions de la parole publique), il me semble que devant des générations vraiment libérales dans le sens le plus large et le plus civilisé, devant une jeunesse en qui le sentiment religieux, sincère ne serait pas redevenu un fanatisme, il ne devrait y avoir nulle difficulté après réflexion, et que le malentendu entre M.  […] Je sais la part qu’il faut faire à une première émotion, à la fougue et à l’entraînement naturels à toute jeunesse ; mais les chefs de cette jeunesse, car elle en a, ils réfléchissent plus qu’elle, et ils peuvent la conseiller.

164. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Vie de Jésus, par M. Ernest Renan »

Un savant historien, Sismondi, très-épris dans sa jeunesse des doctrines du XVIIIe siècle, se portait d’abord, par de fréquentes sorties, à l’attaque de l’établissement chrétien ou catholique, et des diverses croyances qui s’y rattachent. […] J’ai cependant rencontré dans ma jeunesse deux hommes au moins qui s’étaient dit que l’histoire des origines du christianisme était un grand sujet, et qui se promettaient de le traiter quelque jour dans l’esprit du XIXe siècle, c’est-à-dire avec respect et science. […] Gustave d’Eichthal, une intelligence élevée, consciencieuse, tenace, imbue d’une religiosité forte et sincère, en quête, dès la jeunesse, de la solution du grand problème théologique moderne sous toutes ses formes, s’était appliqué avec une incroyable patience à une comparaison textuelle des Évangiles et en avait tiré des conséquences ingénieuses qui ont, à la fois, un air d’exacte et rigoureuse, vérité2. […] Son clergé plus instruit, plus discipliné, plus belliqueux ; ses fidèles plus soumis et marchant en armée comme un seul homme ; des auxiliaires sur les ailes, jusque dans la jeunesse dorée ou dans le monde bohème, par ton et par genre ; le tout présentait un ensemble imposant et une ligne rangée qui défiait l’adversaire et qui semblait provoquer le combat. […] Comme preuve de l’intérêt soutenu et passionné qu’apporte en ce sujet la jeunesse sérieuse, je citerai aussi la remarquable série d’articles d’un ami, M. 

165. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Mathurin Regnier et André Chénier »

Une voix pure, mélodieuse et savante, un front noble et triste, le génie rayonnant de jeunesse, et, parfois, l’œil voilé de pleurs ; la volupté dans toute sa fraîcheur et sa décence ; la nature dans ses fontaines et ses ombrages ; une flûte de buis, un archet d’or, une lyre d’ivoire ; le beau pur, en un mot, voilà André Chénier. […] La poésie d’André Chénier n’a point de religion ni de mysticisme ; c’est, en quelque sorte, le paysage dont Lamartine a fait le ciel, paysage d’une infinie variété et d’une immortelle jeunesse, avec ses forêts verdoyantes, ses blés, ses vignes, ses monts, ses prairies et ses fleuves ; mais le ciel est au-dessus, avec son azur qui change à chaque heure du jour, avec ses horizons indécis, ses ondoyantes lueurs du matin et du soir, et la nuit, avec ses fleurs d’or, dont le lis est jaloux. […] Il le sentait bien, et ne se livrait à elles que par instants, pour revenir ensuite avec plus d’ardeur à l’étude, à la poésie, à l’amitié. « Choqué, dit-il quelque part dans une prose énergique trop peu connue44, choqué de voir les lettres si prosternées et le genre humain ne pas songer à relever sa tête, je me livrai souvent aux distractions et aux égarements d’une jeunesse forte et fougueuse : mais, toujours dominé par l’amour de la poésie, des lettres et de l’étude, souvent chagrin et découragé par la fortune ou par moi-même, toujours soutenu par mes amis, je sentis que mes vers et ma prose, goûtés ou non, seraient mis au rang du petit nombre d’ouvrages qu’aucune bassesse n’a flétris. […] Cela ne sera vu que de moi, et je suis sûr que j’aurai un jour quelque plaisir à relire ce morceau de ma triste et pensive jeunesse. » Oui, certes, Chénier relut plus d’une fois ces pages touchantes, et lui qui refeuilletait sans cesse et son âme et sa vie, il dut, à des heures plus heureuses, se reporter avec larmes aux ennuis passés de son exil. […] Dans tout ce qui précède, j’avais supposé, d’après la Notice et l’Édition de M. de Latouche, qu’André Chénier devait être à Londres en décembre 1782, et que les vers et la prose où il en maudissait le séjour étaient du même temps et de sa première jeunesse.

166. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre VI. Science, histoire, mémoires »

Cette histoire dégagée de toute philosophie a priori comme de toute fantaisie subjective, j’en trouve les premiers traits dans les excellents travaux de Mignet937, non pas sa Révolution française, œuvre de jeunesse et trop voisine de 1830, mais son Charles-Quint, sa Succession d’Espagne, où malheureusement l’impersonnalité scientifique de la forme tourne en insignifiance littéraire : puis dans les exactes et sévères études de M.  […] Du christianisme de sa jeunesse il avait retenu une certitude, que toute son expérience de savant confirma : que la morale n’est point affaire de science, mais article de foi, que le bien et la vertu tirent leur valeur de ce qu’on les choisit librement, gratuitement, et qu’enfin, si on ne courait chance d’être dupe en se désintéressant, en se sacrifiant, ni le désintéressement ni le sacrifice n’auraient grand mérite. […] J’aimerais mieux, à vrai dire, qu’il nous ait laissé le soin de le constater ; et dans ses exquis Souvenirs de jeunesse, l’optimiste contentement de soi, enveloppé d’une douceur un peu dédaigneuse, contriste par endroits les plus amicaux lecteurs. […] Lavisse (né en 1842) : Origines de la monarchie prussienne, in-8 ; Études sur l’Hist. de Prusse, in-18, 1879 ; Essai sur l’Allemagne impériale, in-8, 1887 ; la Jeunesse de Frédéric II, in-8, 1889, etc. […] Pendant la publication de ces deux grands ouvrages : Questions contemporaines, 1868, in-8 ; Dialogues philosophiques, 1876, in-8 ; Nouvelles Études d’histoire religieuse, 1884, in-8 ; Mélanges d’histoire et de voyages, in-8, 1878 ; Drames philosophiques (Caliban, l’Eau de Jouvence, le Prêtre de Némi, l’Abbesse de Jouarre, 1878-1886), in-8 ; Conférences d’Angleterre, in-18, 1880 ; Souvenirs d’Enfance et de Jeunesse, in-8, 1883 ; Feuilles détachées, in-8, 1892 ; Discours et Conférences, in-8, 1887, etc. — A consulter : J.

167. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Œuvres de Mme de Genlis. (Collection Didier.) » pp. 19-37

Agréable et brillante dans sa jeunesse, elle ne se bornait pas à un seul goût, à un seul talent ; elle les briguait tous et en possédait réellement quelques-uns. […] Quelque opinion qu’on puisse garder d’elle en définitive, on conviendra qu’à cet âge elle dut être une enfant séduisante : les défauts ne se marquent comme tels que plus tard, la jeunesse couvre tout, et, puisque avec Mme de Genlis nous sommes à moitié dans la mythologie, je dirai : la jeunesse prête à nos défauts des ailes qui les empêchent de se faire trop sentir et de peser. […] De la grâce, de l’élégance dans la forme, une grande affabilité sociale, le discernement mondain des caractères et le talent de s’y insinuer, une teinte universelle de sentiment qui colorait et dissimulait la pédanterie, c’étaient là ses charmes dans la jeunesse. […] Sa journée, invariablement réglée et remplie à tous les instants, commençait encore par quelques gammes sur la harpe, comme dans la jeunesse, et de là se distribuait en mille emplois avec une activité persistante.

168. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « De la retraite de MM. Villemain et Cousin. » pp. 146-164

Fortoul, a fait tout ce qu’on pouvait attendre d’un homme dont la jeunesse a été nourrie des vives leçons de cet enseignement littéraire élevé. […] On ne saurait dire non plus que cette retraite, qui prive les listes semestrielles de la faculté des plus beaux noms qui les décoraient, soit « un malheur public pour la jeunesse des Écoles » qui n’entendra plus désormais ces voix éloquentes ; car il y a vingt-deux ans que ces illustres maîtres avaient cessé de professer, et qu’ils ne remplissaient plus leurs chaires que par leurs lieutenants. […] Cousin n’a-t-il pas exprimé, en causant, cette noble envie de reprendre tout simplement son cours, de se remettre en communication directe avec cette jeunesse qui ne le connaissait plus que par ses écrits, de la ramener sur bien des points où on l’égarait ! […] Ils auraient montré à cette jeunesse, que de faux déclamateurs enivraient, ce que c’est que le vrai talent littéraire et historique quand il s’est encore aguerri dans la pratique, même incomplète, des affaires, et dans l’expérience de la vie. […] Mais, pourrait-on dire aujourd’hui à plusieurs de ceux qui ont le plus cultivé les lettres dès leur jeunesse, qu’y avez-vous gagné pour la morale même et pour la pratique libérale de la vie ?

169. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « LEOPARDI. » pp. 363-422

Les travaux philologiques et les excursions érudites de Leopardi, vers cette époque de son adolescence et de sa première jeunesse, feraient une longue et trop sèche énumération, si on la voulait complète ; singulier prélude, ouverture bien austère, à la destinée toute poétique qui suivra. […] Pour qui donc combat dans ces champs la jeunesse italienne ? […] Et rire et jeunes ans qui vont si bien ensemble, Et toi, frère enflammé de la jeunesse, amour, Délicieux orage au matin d’un beau jour ! […] La jeunesse du lieu, dans ses atours de fête, Sort des maisons, s’épand sur les chemins, s’arrête Regardant, se montrant, doux et flatteur orgueil ! […] ) De même que la lune en se couchant laisse désertes et sombres ces campagnes et ces eaux que l’instant d’auparavant elle argentait et qu’elle peuplait de flottantes images, de même la jeunesse en s’enfuyant laisse la vie toute déserte et ténébreuse.

170. (1864) Cours familier de littérature. XVII « CIIe entretien. Lettre à M. Sainte-Beuve (2e partie) » pp. 409-488

La jeunesse emportée et d’humeur indiscrète Est la meilleure encor ; sous son souffle jaloux Elle aime à rassembler tout ce qui flotte en nous De vif et d’immortel ; dans l’ombre ou la tempête Elle attise en marchant son brasier sur sa tête : L’encens monte et jaillit ! […] Les noms de ces premiers patrons, et aussi celui de Varus, décorent les essais bucoliques du poète, leur impriment un caractère romain, avertissent de temps en temps qu’il convient que les forêts soient dignes d’un consul, et nous apprennent enfin à quelles épreuves pénibles fut soumise la jeunesse de celui qui eut tant de fois besoin d’être protégé. […] Comme eux, accoutumé aux armes dès sa jeunesse, il trouvait enfin le bonheur dans une retraite sauvage, que ses travaux avaient transformée en un lieu de délices.” […] Il semble avoir eu dans sa jeunesse des passions vives auxquelles ces imperfections naturelles purent mettre des obstacles. […] « Tout cela est deviné à ravir et de poète à poète : mais l’amour-propre en souffrance et les passions non satisfaites me semblent des conjectures très hasardées : parlons seulement de l’âme délicate et sensible de Virgile et de ses malheurs de jeunesse.

171. (1874) Premiers lundis. Tome I « Diderot : Mémoires, correspondance et ouvrages inédits — II »

Il y a toujours sans doute beaucoup de tendresse et de douce intimité dans les lettres du philosophe à sa maîtresse ; mais la passion éclatante, épurée, et par moments sublime, a disparu dans une causerie plus molle, plus patiente, plus désintéressée ; les nouvelles, les anecdotes, les conversations sur toutes choses, s’y trouvent comme auparavant ; une analyse ingénieuse et profonde du cœur y saisit toujours et y amuse ; mais la verve de l’esprit supplée fréquemment à la flamme attiédie de la passion ; un gracieux commérage, si l’on peut parler ainsi, occupe et remplit les heures de l’absence ; on s’aime, on se le dit encore, on ne sera jamais las de se le dire ; mais par malheur les cinquante ans sont là qui avertissent désagréablement le lecteur et le désenchantent sur le compte des amants ; les amants eux-mêmes ne peuvent oublier ces fâcheux cinquante ans qui leur font l’absence moins douloureuse, la fidélité moins méritoire, et qui introduisent forcément dans l’expression de leurs sentiments les plus délicats, je ne sais quelle préoccupation sensuelle qui les ramène à la terre et les arrache aux divines extases de l’âme où s’égare et plane en toute confiance la prodigue jeunesse. […] Pour l’amour noble, idéal, comme pour la poésie, il n’y a que deux âges, jeunesse et vieillesse ; dans l’intervalle, quand l’amour profond et passionné existe, il faut qu’il se cache et se garde des témoins ; il intéresse malaisément un tiers ; il se complique de mille petitesses et misères du corps et de l’âme, d’obésité, d’ambition : on a peine à y croire, on ne peut l’admirer. […] Nous trouvons cette sorte d’amour énergiquement exprimée dans une pièce de vers inédits adressée à un jeune homme qui se plaignait d’avoir passé l’âge d’aimer : Va, si tu veux aimer, tu n’as point passé l’âge ; Si le calme te pèse, espère encore l’orage ; Ton printemps fut trop doux, attends les mois d’été ; Vienne, vienne l’ardeur de la virilité, Et, sans plus t’exhaler en pleurs imaginaires, Sous des torrents de feu, au milieu des tonnerres, Le cœur par tous les points saignant, tu sentiras, Au seuil de la beauté, sous ses pieds, dans ses bras, Tout ce qu’avait d’heureux ton indolente peine Au prix de cet excès de la souffrance humaine ; Car l’amour vrai, tardif, qui mûrit en son temps, Vois-tu, n’est pas semblable à celui de vingt ans, Que jette la jeunesse en sa première sève, Au blondi duvet, vermeil et doré comme un rêve ; C’est un amour profond, amer, désespéré, C’est le dernier, l’unique ; on dit moins, j’en mourrai ; On en meurt ; — un amour armé de jalousie, Consumant tout, honneur et gloire et poésie ; Sans douceurs et sans miel, capable de poison, Et pour toute la vie égarant la raison.

172. (1864) Le roman contemporain

J’ai rencontré également deux de ses filles, Nathalie et Éveline, dans les œuvres de la jeunesse de l’auteur. […] Sa jeunesse était dans sa fleur au moment de la révolution de 1830, et le Témoin de la vie de M.  […] Fanny n’a pas, comme Fernande, à alléguer l’entrainement de la jeunesse vers la jeunesse et l’ignorance de la vie ; elle a trente-cinq ans, elle est mère de plusieurs enfants ; c’est une pécheresse d’arrière-saison. […] Champfleury, alors à son début, était animé d’un souffle de jeunesse qu’il a depuis perdu. […] La jeunesse est faite pour le plaisir, la gaieté, la parure, comme la plante pour le soleil.

173. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des romans — Préfaces de « Han d’Islande » (1823-1833) — Préface de 1833 »

Quand la première saison est passée, quand le front se penche, quand on sent le besoin de faire autre chose que des histoires curieuses pour effrayer les vieilles femmes et les petits enfants, quand on a usé au frottement de la vie les aspérités de sa jeunesse, on reconnaît que toute invention, toute création, toute divination de l’art doit avoir pour base l’étude, l’observation, le recueillement, la science, la mesure, la comparaison, la méditation sérieuse, le dessin attentif et continuel de chaque chose d’après nature, la critique consciencieuse de soi-même ; et l’inspiration qui se dégage selon ces nouvelles conditions, loin d’y rien perdre, y gagne un plus large souffle et de plus fortes ailes. […] Shakespeare et Michel-Ange ont laissé sur quelques-uns de leurs ouvrages l’empreinte de leur jeunesse, la trace de leur vieillesse sur aucun.

174. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre X. Machines poétiques. — Vénus dans les bois de Carthage, Raphaël au berceau d’Éden. »

» Il s’avance dans le jardin du bonheur, au travers des bocages de myrtes, et des nuages de nard et d’encens ; solitudes de parfums, où la nature, dans sa jeunesse, se livre à tous ses caprices… Adam, assis à la porte de son berceau, aperçut le divin Messager. […] Son regard est plus beau que le matin d’un printemps, plus doux que la clarté des étoiles, lorsque, brillantes de jeunesse, elles se balancèrent près du trône céleste avec tous leurs flots de lumière.

175. (1894) Les maîtres de l’histoire : Renan, Taine, Michelet pp. -312

Taine, ses folies de jeunesse. […] Et qui, plus que lui, eut le don d’éternelle jeunesse ? […] Dans sa vie entière ont retenti les échos de cette passion de sa jeunesse. […] Souvenirs de jeunesse. […] Voyez Ma jeunesse.

176. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XIII » pp. 53-57

… La jeunesse qui va aux cours de Michelet et de Quinet et qui fait tapage est froide au fond, indifférente, sans principes, sans même le nerf qui est le propre de la jeunesse.

177. (1864) Cours familier de littérature. XVII « XCVIIIe entretien. Alfieri. Sa vie et ses œuvres (3e partie) » pp. 81-152

Mme d’Albany avait cinquante et un ans lorsque Alfieri mourut, Fabre n’en avait que trente-sept ; la jeunesse de Fabre, jointe à un mérite qu’on ne peut nier, fut peut-être ce qui captiva le plus l’amante si longtemps soumise du misanthrope Alfieri. […] Elle avait eu et gardé longtemps un merveilleux éclat de jeunesse, un teint éblouissant, quelque chose de ces fraîches carnations de Rubens, son compatriote et son peintre favori. […] Son extérieur un peu vulgaire n’avait rien qui motivât la passion, que la jeunesse. […] Mais avait-elle dû, dans sa première jeunesse, être assez belle pour allumer dans l’âme d’un Piémontais, résolu à être un grand homme, une de ces passions classiques qui complètent le grandiose d’un poète en Italie ? […] Mais, en totalité, il pouvait avoir paru beau dans sa jeunesse à une femme transplantée en Italie, qui cherchait la forme de la force dans un protecteur de sa faiblesse.

178. (1860) Cours familier de littérature. X « LVIIIe entretien » pp. 223-287

V Mais tant d’ambition ne me sera jamais permis dans mon pays, et j’y serai éternellement puni par l’ostracisme de Platon pour le crime impardonné et impardonnable d’avoir soupiré quelques bons vers, poèmes lyriques ou amoureux, dans le temps de la jeunesse, de l’enthousiasme et de l’amour. […] — « Tu as rêvé quelques beaux vers dans ta jeunesse, quand tu n’avais rien autre chose à faire qu’à rêver, à prier, à aimer : donc tu ne seras qu’un rêveur, un mystique et un amant pendant tout le reste de ta vie. […] Il sera de plus un poète sérieux, ayant le respect de ceux qui l’écoutent, et non un de ces poètes moqueurs et siffleurs, tels que nous venons d’en voir vivre et mourir deux ou trois, qui mêlent le fifre au concert des anges, et qui soufflent la froide ironie dans l’âme de la jeunesse, au lieu du saint enthousiasme, seul thème véritable des chants immortels ! […] La cloche plus sonore au loin lançant mieux l’heure, Le vent d’automne humain aussi comme nos voix, Les arbres nus pleurant leur jeunesse effeuillée, Les sapins balançant leur deuil sur la vallée, Les grands brouillards rêveurs flottant le long des bois, Le ciel bleuâtre ainsi que des veines pâlies, Les feuilles gémissant sous le rythme des pas, Couvrent tout de mystère et de mélancolie ; La vallée attendrit et ne désole pas. […] Comme on rouvre son cœur oppressé par la veille, À ce vent de jeunesse et d’immortalité !

179. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Gibbon. — I. » pp. 431-451

À peine il la sentit consommée en lui, qu’il résolut de la déclarer et d’en faire profession : « La jeunesse, dit-il, est sincère et impétueuse, et un éclair passager d’enthousiasme m’avait élevé au-dessus de toutes les considérations humaines. » On peut juger du scandale : un élève d’Oxford se convertir au papisme ! […] C’était exactement, à quelques années près, ce qu’avait fait Bayle dans sa jeunesse. […] Dès sa jeunesse, il était donc singulier d’aspect et de tournure, et il le savait un peu. […] D’ailleurs aucun Anglais n’était moins disposé que lui, même dans la solitude de sa jeunesse, à l’ennui, au vague du cœur et au spleen. […] C’est bien le même homme qui, se jugeant plus tard à l’âge de cinquante-quatre ans, presque au terme de sa carrière, disait de lui encore : « Le sol primitif a été considérablement amélioré par la culture ; mais on peut se demander si quelques fleurs d’illusion, quelques agréables erreurs n’ont pas été déracinées avec ces mauvaises herbes qu’on nomme préjugés. » Culture, suite, ordre, méthode, une belle intelligence, froide, fine, toujours exercée et aiguisée, des affections modérées, constantes, d’ailleurs l’étincelle sacrée absente, jamais le coup de tonnerre : c’est sous ces traits que Gibbon s’offre à nous en tout temps et dès sa jeunesse.

180. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Duclos. — I. » pp. 204-223

Après avoir jeté en passant quelques idées sensées et pratiques sur la réforme à faire dans les études, il arrive à ses années de jeunesse proprement dite : elles furent plus ardentes que romanesques et délicates. […] Parlant de ces cafés de sa jeunesse, Duclos, au moment où il écrit, nous dit qu’il y a plus de trente-cinq ans qu’il n’y est entré. […] M. de Forcalquier a tracé de Duclos en 1742, c’est-à-dire quand celui-ci était déjà un homme de lettres en pied et un académicien des Inscriptions, un portrait qui conserve encore et laisse voir quelques airs de jeunesse : « L’esprit étendu, l’imagination bouillante, le caractère doux et simple (ceci est pour le moins douteux), les mœurs d’un philosophe, les manières d’un étourdi. […] Il est pourtant vrai qu’ayant fort bien étudié dans ma première jeunesse, j’avais un assez bon fonds de littérature que j’entretenais toujours par goût, sans imaginer que je dusse un jour en faire ma profession. Deux grands hommes du siècle, Montesquieu et Buffon, ce dernier surtout, furent aussi très libertins dans leur jeunesse et depuis ; mais l’un et l’autre avaient ce que Duclos ne soupçonnait pas, un idéal : il y avait une partie élevée d’eux-mêmes qui dominait les orages des sens et qui ne s’y laissa jamais submerger.

181. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Le marquis de la Fare, ou un paresseux. » pp. 389-408

Il assista au combat de Saint-Gotthard, fut blessé à Vienne comme second dans un duel, et revint à la Cour en avril 1665 en veine de succès et même de faveur : le roi, formant une compagnie de gendarmes pour le Dauphin son fils, choisit La Fare parmi toute la jeunesse de sa cour pour lui en donner le guidon. […] Il y a souvent en l’homme un défaut dominant et profond, un vice caché qui se dissimule, qui est honteux de paraître ce qu’il est, qui aime à se déguiser dans la jeunesse sous d’autres formes séduisantes, à se donner des airs de noble et belle passion : attendez les années venirt, le vice caché va s’ennuyer des déguisements et des détours, ou si vous l’aimez mieux, il va hériter de ces autres passions plus faibles et éphémères qui se jouaient devant lui ; il va les dévorer et grossir en les absorbant en lui-même et les engloutissant : alors on le verra se démasquer tout à la fin et se montrer crûment sans plus de honte, laid, difforme, et, pour tout dire, monstrueux. […] Louis XIV, même dans sa jeunesse et dans son train de galanterie, prétend-il établir un peu de décorum à la Cour, de la réserve dans les rapports extérieurs des hommes et des femmes, La Fare ne voit en lui qu’un roi d’une humeur naturellement pédante et austère, qui, en nuisant à l’ancienne galanterie, en viendra à ruiner la politesse et à introduire par contrecoup l’indécence. […] Sur Vardes si mêlé aux intrigues de la cour de Madame, et qui n’était plus de la première jeunesse, « mais plus aimable encore par son esprit, par ses manières insinuantes, et même par sa figure, que tous les jeunes gens » ; — sur Lauzun, « le plus insolent petit homme qu’on eût vu depuis un siècle », excellent comédien, non reconnu tout d’abord ; — sur Bellefonds qui était creux et faux en tout, « faux sur le courage, sur l’honneur et sur la dévotion » ; — sur La Feuillade « fou de beaucoup d’esprit, continuellement occupé à faire sa cour, et l’homme le plus pénétrant qui y fût, mais qui souvent passait le but » ; — sur Marcillac, fils de La Rochefoucauld, c’est-à-dire de l’homme de son temps le plus délié et le plus poli, et qui lui-même réussit dans la faveur, « étant homme de mérite, poli, et sage de bonne heure, caractère que le roi a toujours aimé » ; — sur le chevalier de Rohan, au contraire, qui fut décapité pour crime de lèse-majesté, « l’homme de son temps le mieux fait, de la plus grande mine, et qui avait les plus belles jambes » (car il ne faut pas mépriser les dons de la nature, pour petits qu’ils soient, quand on les a dans leur perfection)75 ; — sur tous ces originaux et bien d’autres le témoignage de La Fare est précieux, de même que son expression est parfaite. […] Revenant en idée sur cet amour délicat et tendre qui avait honoré son passé, sur ce souvenir qui aurait dû lui être sacré de Mme de La Sablière, il ne craignait pas de le comparer et de le sacrifier aux images de cette vie sans retenue et sans scrupule qui l’envahissait désormais tout entier : De Vénus-Uranie, en ma verte jeunesse,       Avec respect j’encensai les autels, Et je donnai l’exemple au reste des mortels       De la plus parfaite tendresse.

182. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « William Cowper, ou de la poésie domestique (I, II et III) — II » pp. 159-177

Il a aussi de temps en temps de petites lettres pour le seul de ses premiers amis et camarades d’école et de jeunesse qu’il ait conservé, Joseph Hill, à qui il rappelle le temps où celui-ci, dans leurs promenades, « couché tout de son long sur les ruines d’un vieux mur au bord de la mer », s’amusait à lire la Jérusalem ou le Pastor Fido. […] Mais auparavant il y eut des heures uniques où, dans cette compagnie riante, excité et rassuré à la fois, il jouissait, à cet âge tardif, d’une jeunesse inattendue, et où son talent comme son cœur trouvait enfin son épanouissement. — Et aussi ne nous figurons point Cowper toujours affublé de cette espèce de bonnet de nuit bizarre sous lequel on nous le représente invariablement dans ses portraits. […] Aucun sopha alors ne m’attendait à mon retour, et je n’avais point besoin de sopha alors ; la jeunesse répare la dépense de ses esprits et de ses forces en un rien de temps ; par un long exercice elle n’amasse qu’une courte fatigue ; et quoique nos années, à mesure que la vie décline, s’enfuient bien rapidement et qu’il n’y en ait point une seule qui ne nous dérobe en s’en allant quelque grâce de jeunesse que l’âge aimerait à garder, une dent, une mèche brune ou blonde22, et qu’elle blanchisse ou raréfie les cheveux qu’elle nous laisse, toutefois le ressort élastique d’un pied infatigable qui monte légèrement le degré champêtre où qui franchit la clôture ; ce jeu des poumons, cette libre et pleine inhalation et respiration de l’air qui fait qu’un marcher rapide ou qu’une roide montée ne sont point une fatigue pour moi ; tous ces avantages, mes années ne les ont point encore dérobés ; elles n’ont point encore diminué mon goût pour les belles vues naturelles ; ces spectacles qui calmaient ou charmaient ma jeunesse, maintenant que je ne suis plus jeune, je les trouve toujours calmants et toujours ayant le pouvoir de me charmer.

183. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Instruction générale sur l’exécution du plan d’études des lycées, adressée à MM. les recteurs, par M. Fortoul, ministre de l’Instruction publique » pp. 271-288

Cette réforme, étant une des choses les plus considérables qu’on ait tentées depuis longtemps dans l’éducation de la jeunesse, et devant avoir l’influence la plus directe et la plus profonde sur l’avenir de la société, mérite d’être exposée dans son esprit, et je tâcherai de le faire en dégageant cet examen de tout ce qui pourrait le masquer ou l’embarrasser, et sans y rien mêler qui puisse paraître injuste envers personne. […] Le temps seul peut confirmer et louer dignement des réformes de ce genre : je ne veux que reconnaître et signaler l’etïort, l’attention ingénieuse et vigilante, la compréhension étendue et flexible, la sollicitude patiente qui témoigne d’une véritable piété pour toute connaissance humaine et divine, et d’un intérêt affectueux pour la jeunesse. […] Les personnes qui avaient pu s’effaroucher d’abord en craignant que ces études sérieuses trop multipliées ne vinssent peser sur l’esprit de la jeunesse et l’accabler tristement, devront se rassurer en voyant le sens et la proportion dans lesquels elles sont enseignées. […] Mieux vaut restreindre ces études aux grands objets et y faire pénétrer d’une main sûre la jeunesse de nos lycées, que de les étendre hors de propos sur des détails qu’aucun lien logique ne rattache au plan général… Aussi, les professeurs des lycées, convaincus que leur mission n’est pas de former quelques chimistes, mais bien de faire circuler dans la masse même de la nation les connaissances chimiques les plus générales et les plus utiles, ne s’élonneront pas d’avoir à revenir trois fois, en trois ans, sur l’exposition des principes. […] C’est ainsi que l’influence de Charlemagne s’est fait sentir pendant plusieurs siècles, et que même aujourd’hui l’éducation de la jeunesse obéit encore à l’impulsion donnée par ce grand homme.

184. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « II » pp. 21-38

Linguet veut expliquer à ses contemporains comment Voltaire a pu être et paraître si universel, et par quel enchaînement de circonstances, par quelle suite d’événements qui ne furent des épreuves que le moins possible, la destinée le favorisa en lui donnant une jeunesse si aisée, si répandue, si bien servie de tous les secours, et en lui ménageant à Ferney une longue vieillesse si retirée et si garantie du tourbillon : « La jeunesse de presque tous les écrivains célèbres, disait Linguet, se consume ordinairement, ou dans les angoisses du malaise, ou dans les embarras attachés à ce qu’on appelle le choix d’un état. […] Il n’en a pas été ainsi de M. de.Voltaire… Et, en effet, on se rend compte aussitôt de la différence : sa jeunesse fut toute portée, toute favorisée par les circonstances, et il ne cessa d’avoir le zéphyr en poupe, depuis le jour où Ninon lui légua de quoi acheter des livres jusqu’au jour, le premier tout à fait sérieux et douloureux de sa vie, où il eut son aventure avec le chevalier de Rohan. […] Ce que je dois à ma religion, à ma patrie, à l’Académie française, à l’honneur que j’ai d’être un ancien officier de la Maison du roi, et surtout à la vérité, me force de vous écrire ainsi… Voltaire, absent de Paris depuis des années, et qui depuis sa première jeunesse n’y avait jamais, à l’en croire, demeuré deux ans de suite, avait contre ce monde parisien dont il était l’idole une prévention invétérée : « L’Europe me suffit, disait-il un peu impertinemment ; je ne me soucie guère du tripot de Paris, attendu que ce tripot est souvent conduit par l’envie, par la cabale, par le mauvais goût et par mille petits intérêts qui s’opposent toujours à l’intérêt commun. » Il croyait sincèrement à la décadence des lettres, et il le dit en vingt endroits avec une amère énergie : « La littérature n’est à présent (mars 1760) qu’une espèce de brigandage. […] Alphonse François est de ces esprits délicats et de ces hommes heureux qui, dès leur jeunesse, ont pris le parti de goûter les belles choses et les choses exquises, plutôt que de se fatiguer à en produire ; c’est un dilettante classique dont je puis parler pertinemment, car, d’un âge approchant du mien, mais de bonne heure très mûr, il a eu autrefois des bontés pour mon enfance.

185. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Maurice et Eugénie de Guérin. Frère et sœur »

Ainsi, pour exprimer le galop, fougueux, et les délices de cette course effrénée ; éperdue, au sein des fleuves, à travers ; les forêts — (c’est le Centaure vieilli qui parle et qui est censé raconter les plus chères sensations de sa jeunesse à un homme venu dans sa caverne pour l’interroger) : « L’usage de ma jeunesse, dit-il, fut rapide, et rempli d’agitation. […] Ainsi ma vie, à l’interruption subite des carrières impétueuses que je fournissais à traversées vallées, frémissait dans tout mon sein… « La jeunesse est semblable aux forêts verdoyantes tourmentées par les vents : elle agite de tous côtés les riches présents de la vie, et toujours quelque profond murmure règne dans son feuillage. […] Voici donc le pendant de ce beau morceau du Centaure, mais en prose gauloise, digne des vieux aïeux rabelaisiens de la terre bourguignonne ; ce n’est plus un Centaure qui parle ici, mais un paysan (notez-le bien), un manant, fils et petit-fils de manants, d’anciens soldats redevenus bûcherons et un peu braconniers ; c’est l’ancien bouvier devenu trop citadin à son tour, et qui regrette les heures rustiques de sa jeunesse. […] elle y vit, beaucoup, pendant son séjour ; un des meilleurs amis, — le meilleur ami de son frère, — Barbey d’Aurevilly, jeune alors et dont les façons si tranchées pouvaient ne sembler encore qu’un des travers passagers de là jeunesse : sa conversation brillante exerça incontestablement sur elle une espèce de séduction..

186. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Le père Lacordaire. Les quatre moments religieux au XIXe siècle, (suite et fin.) »

C’est ainsi que Rivarol, blâmant les forfanteries de l’impiété dans la jeunesse, disait : « L’impiété est la plus grande des indiscrétions. » Mais ce n’était pas seulement en ce sens trop fin et malin que la France du XIXe siècle entendait blâmer les licences de ses pères ; elle les réprouvait en elles-mêmes comme fausses et funestes, et contraires au bon régime des sociétés humaines ; elle comptait bien, d’ailleurs, emprunter au XVIIIe siècle tout ce qui était progrès, résultat utile, lui prendre ses méthodes, mais pour les perfectionner ou les rectifier, à la lumière des grands événements historiques qui avaient éclairé son berceau : elle entendait le continuer en le corrigeant, en se garantissant avec soin surtout de ses conclusions tranchantes et précipitées. […] Mitis, de ses Père Joseph ; je ne parle pas même de Béranger avec ses Missionnaires et ses Hommes noirs, déjà un peu effacés ; mais lorsque plus tard un romancier célèbre, à l’imagination robuste, a jeté dans la circulation le type odieux de Rodin qui, toutes les fois qu’on le lui représente encore, émeut le peuple bien autrement que Tartuffe parce que c’est un type plus réellement contemporain, il ne fit que s’inspirer des animosités et des rancunes de sa jeunesse. […] C’est, redirai-je d’après lui à mon tour, c’est être ou avoir été amis, avoir eu, à une certaine heure de jeunesse, des sentiments vifs et purs en commun ; avoir eu volontiers mêmes vues à l’horizon, mêmes perspectives et mêmes vœux, par le seul fait de cohabitation morale dans un même navire ; ou, dans des navires différents, avoir fait route quelque temps de conserve sous les mêmes astres, avoir jeté l’ancre un moment côte à côte dans de belles eaux ; s’être connus et goûtés dans des saisons meilleures ; sentir, même en s’éloignant, qu’on est, malgré tout, de la même escadre, qu’on flotte ensemble, qu’on est à bord d’une même expédition, qui s’appelle pompeusement le siècle, qui comprend environ un quart, de siècle et qui, pour la plupart, n’ira guère au-delà. […] On rend aux familles des jeunes gens aussi bien élevés en apparence et mieux conservés : il ne s’y laisse à désirer qu’un certain souffle mâle que l’éducation publique développe et qui manque trop souvent à cette jeunesse fleurie. […] Je sais que les esprits généreux aiment à avoir à faire et à lutter ; il se forme aujourd’hui, dans la libre et studieuse jeunesse, bien des intelligences.

187. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Gavarni (suite et fin.) »

Gavarni, en ses années de jeunesse, était comme le centre d’un tourbillon ; il vivait dans un monde d’artistes, de joyeux amis ; — joyeux, entendons-nous bien, et n’exagérons pas. […] Mais j’ai vu en Angleterre d’admirables tableaux, etc. » Cet éloge de Charlet s’applique bien aux dessins de Gavarni, tant qu’il fut le chroniqueur malin et gracieux du monde élégant et de la jeunesse : une seconde manière viendra, que ne soupçonnait pas Charlet. […] Son faire devenait plus sûr et plus décisif en même temps que ses observations s’étendaient à d’autres travers encore qu’à ceux de la jeunesse. […] C’est ainsi que l’artiste appelle tous ceux qui ont largement usé de la jeunesse et qui sont arrivés à l’heure ingrate et fatale où l’illusion n’est plus possible et où l’on se répète tout bas, avec M. de Parny : « C’en est fait, j’ai cessé de plaire !  […] dans ses Invalides du sentiment, il en a pourtant oublié un, ce me semble, l’invalide content, celui qui ne regrette rien, qui trotte toujours, qui n’a perdu que sa jeunesse et ses écus, et qui serait prêt, si on le lui offrait, à recommencer à l’instant sa ruine.

188. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « UN FACTUM contre ANDRÉ CHÉNIER. » pp. 301-324

En un mot, il y aurait eu, il y aurait pour un esprit qui, dans sa jeunesse, aurait aimé de passion Chénier, et qui arriverait ensuite aux Anciens, à démontrer de plus en plus ce rejeton imprévu, le dernier et non pas le moins désirable des Alexandrins, ou encore, si l’on veut, un délicieux poëte qui a su marier le xviiie  siècle de la Grèce au xviiie  siècle de notre France, et qui a trouvé en cette greffe savante de singuliers et d’heureux effets de rajeunissement. […] Parmi les exemples qu’il cite, on en verrait d’abord qui ne sont pas si répréhensibles qu’il paraît croire : ainsi De la jeunesse en fleur la première étamine me semble très-bien rendre le prima lanugine malas des Latins. […] Chénier a eu d’abord et il n’a pas du tout perdu une qualité que les Grecs prisaient fort et qu’ils ne cessent d’exprimer, de varier, d’appliquer à toutes choses, je veux dire la jeunesse, la fraîcheur et la fleur, le èáëåñüí, si l’on me permet de l’appeler par son nom, le novitas florida de Lucrèce. […] Lui, comme tous les chantres de la jeunesse, de la beauté et de l’amour, il forme un vœu plus doux, il rêve une gloire plus charmante, quelque Françoise de Rimini au fond : Ut tuus in scamno jactetur sæpe libellus, Quem legat expectans sola puella virum96. […] La jeunesse l’aime, elle lui sourit ; cette vogue, qui passe si vite pour les auteurs, se renouvelle pour lui depuis déjà bien des printemps ; l’heure de réaction que vous appelez, et contre laquelle nul autre en nos jours n’est garanti, n’a pas encore sonné, ne vous en déplaise.

189. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « CHRISTEL » pp. 515-533

Chaque génération de jeunesse recommence comme dans Éden, et t’invente avec le charme et la puissance des premiers dons. […] La jeunesse va penser que ces chers orages ne sont complets que pour elle : attendez ! […] Quand la correspondance allait bien, quand les cachets de Paris marquaient une pensée (car décidément, si royalistes qu’on les voulût faire, cela ne pouvait ressembler à un lys), quand chaque courrier avait une réponse d’Hervé, Christel le sentait avec une anxiété cruelle, et il lui semblait que le courrier qui emportait cette réponse lui arrachait, à elle, le plus tendre de son âme, le seul charmant espoir de sa jeunesse. […] On t’a vue, quand tu te prends à la jeunesse et à la beauté, t’y acharner avec violence, y revenir coup sur coup, pour les ébranler, comme avec sa hache le bûcheron furieux, et leur livrer de longs assauts dans des agonies terribles. […] ceci importe moins ; les hommes, même les meilleurs souvent, et les plus sensibles, ont tant de ressources en eux, tant de successives jeunesses !

190. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « M. Émile Zola, l’Œuvre. »

Pour documents il n’a (car il s’agit toujours, ne l’oubliez pas, du second empire) que les souvenirs et les impressions de sa jeunesse, des impressions nécessairement incomplètes et effacées ou déformées par le temps. […] Vous trouverez aussi deux ou trois scènes qui ne sont peut-être que mélancoliques : celle où Dubuche, l’homme qui a fait un riche mariage, passe sa journée, dans le morne château où il est méprisé des valets, à envelopper de couvertures et à suspendre à un petit trapèze ses deux petits enfants rachitiques, et le dîner où le brave Sandoz a le sentiment amer de la dispersion et de la mort des amitiés de jeunesse… Mais plutôt vous trouverez, presque à chaque page, une tristesse affreuse, une violence de vision hyperbolique qui accable et fait mal. […] cette odeur de jeunesse qui s’exhalait de sa nuque ployée devant lui ! […] Celle dont le souvenir le torturait après vingt ans de pénitence avait cette jeunesse odorante… (page 227). » Et plus loin (page 278) : « Sans qu’il se l’avouât, elle l’avait touché dans la cathédrale, la petite brodeuse… avec sa nuque fraîche, sentant bon la jeunesse »… Ah !

191. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Mémoires d’outre-tombe, par M. de Chateaubriand. » pp. 432-452

Avez-vous relu depuis longtemps l’Essai sur les révolutions et Les Natchez, ces œuvres de sa jeunesse et qui nous le livrent tel qu’il était jusqu’à près de trente ans ? […] Il reproche à Byron de l’avoir imité sans le nommer et sans lui en faire honneur ; il ajoute que, dans sa propre jeunesse, le Werther de Goethe, les Rêveries de Rousseau ont pu s’apparenter avec ses idées : « Mais moi, dit-il, je n’ai rien caché, rien dissimulé du plaisir que me causaient des ouvrages où je me délectais. » Il oublie ici ce qu’il a fait lui-même ; car, loin d’avouer ces génies parents du sien, il les a reniés au contraire tant qu’il a pu, et, dans la Défense qu’il fit autrefois du Génie du christianisme et de René, il écrivait : C’est J. […] Ce sont les gestes d’un jeune homme et les retours d’imagination d’un vieillard, ou, s’il n’était pas vieillard alors qu’il écrivait, d’un homme politique entre deux âges, qui revient à sa jeunesse dans les intervalles de son jeu, de sorte qu’il y a bigarrure, et que par moments l’effet qu’on reçoit est double : c’est vrai et c’est faux à la fois. » On en pourrait dire autant de la plupart des mémoires nés avant terme et composés en vue d’un effet présent. […] C’est surtout en lisant la première partie, si pleine d’intérêt, ces scènes d’intérieur, d’enfance et de première jeunesse, où les impressions, idéalisées sans doute, ne sont pas sophistiquées encore et sont restées sincères, c’est à ce début qu’on sent combien un récit plus simple, plus suivi, moins saccadé, portant avec soi les passages naturellement élevés et touchants, serait d’un grand charme. […] L’imagination aussi vient trop fréquemment chez lui gâter le plaisir, celui même qu’elle nous a fait ; une imagination imprévue, bizarre, exorbitante, grandiose certes et enchanteresse souvent, retrouvant à souhait jeunesse et fraîcheur, mais inégale, saccadée, pleine de brusqueries et de cahotements : le vent tout à coup saute, et l’on est à l’autre bout de l’horizon.

192. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Frédéric le Grand littérateur. » pp. 185-205

Considérant Voltaire de loin et d’après ses seuls ouvrages, l’embrassant avec cet enthousiasme de la jeunesse qu’il est honorable d’avoir ressenti au moins une fois dans sa vie, Frédéric le proclame l’unique héritier du grand siècle qui vient de finir, « le plus grand homme de la France et un mortel qui fait honneur à la parole ». […] Il se déclare en conséquence son disciple, son disciple non seulement dans ses écrits, mais dans ses actions ; car, trompé par la distance et par le nuage doré de la jeunesse, il voit en lui presque un Lycurgue et un Solon, un législateur et un sage. […] Très amoureux dans sa première jeunesse d’une jeune fille qui aimait les vers, il avait été piqué de la tarentule, et, très bien guéri d’un mal (du mal d’aimer les jeunes filles), il ne s’était jamais guéri de l’autre. […] Le temps n’était plus des soupers brillants de Potsdam, dont Voltaire avait vu et avait fait les derniers beaux jours : les convives familiers d’alors, les amis de jeunesse du roi étaient morts à cette seconde époque ou avaient vieilli. […] De telles lettres rachètent bien quelques brusqueries de ton qu’on trouverait tout à côté et qui rappellent par accès la présence du maître ; elles répondent à ceux qui, ne prenant Frédéric que par ses duretés et par ses épigrammes, lui refusent d’avoir ressenti jusqu’à la fin des sentiments d’affection, d’humanité et, j’ose dire, de bonté, de même qu’il avait ressenti de vives et vraies amitiés dans sa jeunesse.

193. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Histoire du chancelier d’Aguesseau, par M. Boullée. (1848.) » pp. 407-427

Après y avoir un peu rêvé, Fontenelle répondit : « Madame, plus j’y songe, et plus il me semble qu’il n’y a que M. le chancelier d’Aguesseauqui soit capable d’être le précepteur de monsieur votre fils. » Tel d’Aguesseau parut de bonne heure et presque dès la jeunesse. […] On aime à revoir les lieux qu’on a habités dans son enfance… Je crois rajeunir en quelque manière ; je crois voir renaître ces jours précieux, ces jours irréparables de la jeunesse… On est assez embarrassé d’avoir à citer avec d’Aguesseau, car rien en particulier n’est original, ni bien vif, ni bien neuf, et il convient d’attendre et de prolonger la lecture jusqu’à ce que l’affection dont j’ai parlé opère ; mais alors l’agrément se fait sentir, un agrément honnête et sûr, et salubre. […] Il vit beaucoup dans sa jeunesse Racine et Despréaux ; il mérita une place honorable dans les vers de ce dernier ; il donnait quelquefois au poète vieillissant, qui lui lisait ses vers, des conseils de prosateur un peu timide et auxquels Despréaux ne se rendait pas. […] Le chancelier Voysin (à la fois secrétaire d’État de la Guerre) avait rédigé, à cet effet, une déclaration précise et rude, qu’il prétendait imposer au Parlement : mais d’Aguesseau, procureur général, et qui avait alors, dit Voltaire, ce courage d’esprit que donne la jeunesse 40, refusa absolument de s’en charger. […] Une jeunesse relative, car il avait quarante-sept ans.

194. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Boileau. » pp. 494-513

Nous fîmes alors ce qu’il était naturel de faire ; nous prîmes les œuvres de Boileau en elles-mêmes : quoique peu nombreuses, elles sont de force inégale ; il en est qui sentent la jeunesse et la vieillesse de l’auteur. […] Dès sa jeunesse il était ainsi : il y a dans la muse la plus jeune de Boileau quelque chose de quinteux, de difficultueux et de chagrin. Elle n’a jamais eu le premier timbre ému de la jeunesse ; elle a de bonne heure les cheveux gris, le sourcil gris ; en mûrissant, cela lui sied, et, à ce second âge, elle paraîtra plus jeune que d’abord, car tout en elle s’accordera. […] La muse de Boileau, à le bien voir, n’a jamais eu de la jeunesse que le courage et l’audace. […] On nous a tant fait Boileau sévère et sourcilleux dans notre jeunesse, que nous avons peine à nous le figurer ce qu’il était en réalité, le plus vif des esprits sérieux et le plus agréable des censeurs.

195. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Marguerite, reine de Navarre. Ses Nouvelles publiées par M. Le Roux de Lincy, 1853. » pp. 434-454

Toutes ces études ne se firent point à la fois et dans sa première jeunesse. […] Pour ce suis-je bien tenue et obligée à la divine Miséricorde, par laquelle j’ai été amplement récompensée de toutes les adversités et inconvénients qui m’étaient advenus dans mes premiers ans et en la fleur de ma jeunesse. […] La dernière des Marguerites, cette autre reine de Navarre, première femme de Henri IV, fut dans sa jeunesse la reine de la mode et des élégances : elle donnait le ton. […] Ce ne sont pas des gaietés ni des péchés de jeunesse que ces contes ; elle les fit dans un âge très mûr ; elle les écrivit la plupart dans sa litière, en voyage, et par manière de délassement ; mais le délassement avait du sérieux. […] Ce beau moment date du milieu du xviie  siècle, et l’on ne se figure rien de comparable aux conversations de la jeunesse des Condé, des La Rochefoucauld, des Retz, des Saint-Évremond, des Sévigné, des Turenne.

196. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Bossuet. Œuvres complètes publiées d’après les imprimés et les manuscrits originaux, par M. Lachat »

Il est la fleur de l’école, un prince de la docte, jeunesse. […] Tenons-nous pour le moment à la jeunesse. […] Il a la jeunesse la plus réglée, mais aussi la plus brillante et la plus facile : la route royale est tout ouverte devant lui. Visiblement destiné à l’éloquence de la chaire et à l’action de l’orateur, on ne lui laissa pas complètement ignorer l’action même du théâtre : il vit donc des spectacles dans sa jeunesse, mais sans s’y attacher ; et après en avoir profité pour ce qui le concernait, il n’en fut que plus sévère ensuite contre la Comédie, jusqu’à nous sembler violent même et cruellement injuste : son jugement sur Molière restera une des taches, une des inintelligences comme des duretés de Bossuet.

197. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Le père Lacordaire. Quatre moments religieux au XIXe siècle. »

On hésite, quand on marche seul, comme il convient à un esprit indépendant, et qu’on n’a pour soi que le groupe si disséminé des gens sensés, qui ne se connaissent pas entre eux, à venir admirer trop faiblement le chef d’une milice blanche éblouissante et de toute une nombreuse famille spirituelle, l’idole de toute une jeunesse si électrisée. […] J’aime ces extraits qui font voyager les pensées d’un auteur là où elles n’iraient jamais autrement, et qui sèment jusque dans les camps opposés le respect, parfois même un peu d’affection pour ceux que l’on combat ; cela civilise les guerres : « Il y a peu d’années, disait le Père Lacordaire, s’adressant à son jeune ami qu’il désigne sous le nom symbolique d’Emmanuel, les Martyrs de M. de Chateaubriand me tombèrent sous la main ; je ne les avais pas lus depuis ma première jeunesse. […] Saint Jérôme, le plus passionné des Pères, avait bien retenu de l’Antiquité profane et des ardeurs de sa jeunesse un accent qui retentissait dans son style ; mais, pénétré de Jésus-Christ jusqu’à la moelle des os, le saint diminuait en lui les restes du poëte et du voyageur. […] On peut voir notamment la lettre très-belle, très-juste, sur l’éducation domestique d’un petit monsieur gâté dans sa famille, « une sorte de petite momie enfermée dans un vase de soie et qui finit par se croire un petit dieu » (pages 125-128) ; cette lettre, qui est de la fin de 1850, présageait les talents que le Père Lacordaire ne se savait pas encore pour l’éducation de la jeunesse et qu’il a développés dans la dernière partie de sa carrière.

198. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Les Confidences, par M. de Lamartine. (1 vol. in-8º.) » pp. 20-34

Pourtant, parce qu’un homme tel que M. de Lamartine a trouvé convenable de ne pas clore l’année 1848 sans donner au public ses confessions de jeunesse et sans couronner sa politique par des idylles, faut-il que la critique hésite à le suivre et à dire ce qu’elle pense de son livre, faisant preuve d’une discrétion et d’une pudeur dont personne (et l’auteur moins que personne) ne se soucie ? […] Même hors de l’enfance et durant toute sa jeunesse, cette nature favorisée n’a cessé de s’épanouir sans se trouver en présence d’un obstacle qui l’avertit. Le monde l’a traité d’abord comme l’avait traité sa famille : il avait été l’enfant gâté de sa mère, il le devint de la France et de la jeunesse. […] Ce sont bien là en gros les événements de votre jeunesse, mais revus et racontés avec vos sentiments d’aujourd’hui ; ou bien ce sont vos sentiments d’alors, mais déguisés sous les couleurs d’à présent.

199. (1874) Premiers lundis. Tome II « E. Lerminier. De l’influence de la philosophie du xviiie  siècle sur la législation et la sociabilité du xixe . »

Lerminier a donc fait un livre chaud, semé de vérités larges et brillantes, comme sa vocation d’orateur et d’écrivain placé en face de la jeunesse le lui a conseillé. […] Il y a quelques jours, pour exhorter à l’histoire et détourner des vagues rêveries la jeunesse, il lui échappait, à propos de l’auteur d’Adolphe, une sortie sans motif contre la lâcheté d’Obermann que personne ne songeait à proposer en exemple, et il se trouvait ainsi injurieux à son insu, injuste envers un moraliste rigoureux qui cherche à sa manière, dans ses voies obscures, l’utilité et le bien des hommes. […] La première partie de l’ouvrage nouveau contient quatre grands portraits, ou plutôt quatre statues, Montesquieu, Voltaire, Diderot, Rousseau, qui n’ont jamais apparu avec plus de jeunesse divine et de majesté.

200. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXIII. P. Enfantin »

Le siècle, indulgent pour les folies de sa jeunesse, n’avait plus pour eux qu’un sourire. […] Ils n’avaient pas pour rien communié à la salle de la rue Taitbout, mais cela se comprend et cela touche presque… Ce qui unit peut-être le mieux les hommes pour les jours de maturité et de sagesse, ce sont les sottises faites en commun dans la jeunesse ; ce sont les bêtises de leur printemps ! […] Enfantin représente la foi, la volonté, le consentement de plusieurs, en faisant la déclaration scandaleuse qu’il vient d’opposer tout à coup à l’enseignement d’un prêtre catholique, orthodoxe et respecté, nous dirons qu’il nous importe, à nous chrétiens, de savoir le danger qui nous menace, et si tout cela, comme nous le pensons bien plutôt, n’est que rêverie de visionnaire attardé qui ne peut guérir de son mal de jeunesse, il importe qu’on le sache aussi, afin que justice soit faite encore une fois de cette folie qui repousse, après vingt-trois ans, comme un polype indestructible, dans les têtes dont on le croyait arraché, et qu’enfin on n’y revienne plus !

201. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Lefèvre-Deumier »

Comme l’influence de cette moelle de lion, mangée chez le Centaure, qui se retrouvait jusque dans les tendresses d’Achille, l’influence de ces premières études, de ces premières cohabitations avec les poètes de l’Angleterre, resta sur Lefèvre-Deumier, même quand sa jeunesse fut passée, quand son talent laborieusement, mûri se détachait de tout ce qui n’était pas lui-même. Parti de lord Byron avec la fougue que lord Byron communique à tous ceux qui l’aiment, il a fini par aboutir, dans son ralentissement d’ardeur, à Gray et à sa mélancolie ; mais, dans ce détiédissement d’un rayon qui n’est plus que doux et qui avait été brûlant, il n’a jamais dépouillé cet air que j’appelle l’air poétique anglais, et qu’il a encore dans les cendres de son Couvre-feu quand il caresse la tête de ses deux enfants et qu’il rabat jusqu’à eux et à leur souvenir cette hautaine idée de la gloire comme nous l’avons dans la jeunesse. […] Les Confidences, qui remontent tout à fait à sa première période de jeunesse, sont un recueil d’élégies violentes, où une grande passion qui n’était pas une fiction ou une pose littéraire disait son secret.

202. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Roger de Beauvoir »

Les fruits du panier d’aujourd’hui, presque tous oranges, citrons et grenades, cueillis en Espagne du temps que le poète y voyageait, — et c’était du temps de sa jeunesse, il y a déjà quelques années, — ont gardé le vert de la jeunesse… Nous avons eu de lui, depuis ce temps-là, plus mûr, plus varié et plus beau. […] Quand je rendis compte du livre intitulé Colombes et Couleuvres, je lui conseillai de renoncer à toutes les inspirations de la jeunesse, qui ne sont jamais, du reste, de la poésie perdue, — car, si on ne fait plus de cette musique, on garde l’instrument ; je lui conseillai délaisser là toute cette poésie de castagnettes jouant les Folies d’Espagne, de ces castagnettes dont il parle encore si bien aujourd’hui, l’incorrigible !

203. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — S. — article » pp. 293-297

Outre l'Eloge de M. le Chevalier de Solignac, M. l'Abbé Ferlet a publié d'autres Discours, qui lui donnent le droit de figurer parmi les Littérateurs de nos jours qui ont cultivé l'Eloquence avec une sorte de distinction : tel est celui où il examine le bien & le mal que le commerce des femmes a faits à la Littérature, & qui a mérité le prix de l'Académie de Nancy ; tel est encore son Discours sur l'abus de la Philosophie par rapport à la Littérature, Ouvrage dont l'élocution se ressent un peu de la jeunesse de l'Auteur, mais dont les vûes & les principes annoncent un esprit vraiment éclairé & capable d'éclairer les autres. […] De tromper les Peuples sur cet objet, me suis-je dit à moi-même, c'est enlever à la Philosophie la base de cette admiration qu'on a pour elle ; c'est montrer qu'elle n'est pas seule, comme elle le dit, dépositaire de la raison & du Génie ; c'est ouvrir les yeux à une jeunesse inconsidérée, qui, séduite par le ton imposant de ces Maîtres superbes, croit qu'ils sont aussi infaillibles en matiere de foi qu'en matiere de goût.

204. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Paul Nibelle »

Il a ce beau don de jeunesse qui donne au talent les fermentations que peut-être il n’a qu’une fois, et, nous le disons en le félicitant, il n’a pas taché cette fraîche jeunesse de sa pensée, il a su en conserver la généreuse innocence.

205. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Les poëtes français. Recueil des chefs-d’œuvre de la poésie française »

Mais quiconque a pratiqué et goûté les vieux maîtres de notre xvie  siècle ne saurait accorder trop d’estime à leur disciple original, à l’aimable et modeste poëte qui a eu de dures années de jeunesse et qui s’en dédommage aujourd’hui dans d’ingénieux loisirs ; qui aime la nature, la campagne, l’amour, l’amitié et toutes les belles et bonnes choses de l’art et de la vie. […] Il s’agit d’une de ces beautés à la mode qui baissent et qui savent encore réparer ; à force de toilette et d’art, les premières traces des années ; mais qu’une jeunesse toute simple passe dans sa fraîcheur à côté d’elles, et les voilà trahies, éclipsées. […] — Un dernier souvenir à l’un de nos anciens amis ou du moins à l’une de nos connaissances de jeunesse.

206. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre II. Distinction des principaux courants (1535-1550) — Chapitre II. Jean Calvin »

Calvin179 doit sans doute à sa ville natale, à sa propre famille les premiers germes de son indépendance religieuse ; il semble qu’Olivetan surtout l’ait détaché de cette église catholique, qui lui portait dès la première jeunesse ses dignités et ses revenus. […] Et surtout il a l’inestimable don du xvie  siècle, la jeunesse : cela étonne ; j’entends par là la fraîcheur d’une pensée toute proche encore de la vie et chargée de réalité. […] Lefranc, la Jeunesse de Calvin, Paris, 188.

207. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « L’Âge héroïque du Symbolisme » pp. 5-17

Ce n’est pas seulement que les Parnassiens aient peur de cette jeunesse dont les manifestes violents respirent, comme ils disent, des mœurs de Caraïbes et qu’ils l’estiment capable de les étrangler, mais c’est qu’ils cèdent à un retour de conscience. […] La jeunesse a toujours raison ! » et il est de fait que le Symbolisme a, pour lui, la jeunesse.

208. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Seconde Partie. De l’Éloquence. — Éloquence en général. » pp. 177-192

Ils avoient passé toute leur vie dans l’étude des auteurs Grecs & Latins, dans ce talent si rare d’instruire la jeunesse, dans la composition de plusieurs ouvrages analogues à leur état. […] Cet ouvrage, le fruit de tant d’années de leçons données à la jeunesse, & que l’auteur, selon ses enthousiastes, a composé comme César nous a laissé ses mémoires ; cet ouvrage, qui est un livre du métier, & dans lequel la marche qu’il faut tenir durant le cours des études paroît sûre, a été singulièrement vanté, de même que tous les autres ouvrages de Rollin. […] Ils sont d’une grande ressource à la jeunesse, aux femmes, à ceux qui n’ont pas le temps de s’instruire.

209. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Henri Murger. Œuvres complètes. »

Telle est même l’illusion de jeunesse et d’espérance à laquelle on s’est pris jusqu’à la dernière heure, que M.  […] Tous ceux qui avaient été étudiants pauvres, déchirés, dérangés, déboutonnés, et c’est à peu près tout le monde à un certain niveau social, furent touchés, du fond de la tenue qu’impose plus tard la vie, de toutes les bêtises qu’ils avaient dites ou faites, et qu’on leur montrait dans cette lanterne magique de leur libre jeunesse, et ils parlèrent de M.  […] ………………………………………… Et encore : Notre jeunesse est enterrée Au fond du vieux calendrier, Ce n’est plus qu’en fouillant la cendre Des beaux jours qu’il a contenus Qu’un souvenir pourra noua rendre La clef des paradis perdus.

210. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Pécontal. Volberg, poème. — Légendes et Ballades. »

La richesse embauma mon berceau de ses fleurs, Et plus tard, quand j’entrai dans les jeux de la vie, Mon étoile toujours, et selon mon envie, Monta comme un soleil, — et jamais les douleurs N’obscurcirent les jours de ma jeunesse verte. […] Mais tout cela, mon père, a fatigué mon âme Sans l’user, — tout cela, amour, jeunesse et femme, La gloire du Sénat, celle des bataillons, Et le peuple en drap d’or, et le peuple en haillons, Tout cela m’a bientôt paru fortune aride ; En le voyant de près, j’en ai trouvé le vide, Et, déchirant ma robe au fer de mes talons, J’ai porté mes regards vers de plus hauts jalons ! […] Pécontal, malgré sa jeunesse, malgré les tremblements de la main, inévitables à tout début, malgré la portée d’un vol qui ne s’élève jamais jusqu’au zénith, mais qui sait planer à la distance où il s’élève, M. 

211. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Corneille »

Mais cet Illuminé intérieur, ce Visionnaire du Paradis perdu, avait voyagé dans sa jeunesse, et il avait remporté dans ses souvenirs le ciel et le soleil de l’Italie pour en éclairer sa cécité et ses vers… Corneille n’avait besoin d’aucun soleil pour être le poète qu’il a été. […] Que le Corneille des jeunes années eût aimé Marie Courant, comme Byron aima Marie Chaworth, et ne fût pas plus heureux que Byron, car Marie Courant épousa un je ne sais qui, comme Marie Chaworth, c’est un malheur que la jeunesse — cette belle Hercule de la jeunesse, qui porterait le ciel sur ses épaules, s’il y tombait ! 

212. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « I » pp. 1-20

Voilà déjà trois générations, ce me semble, qui se succèdent et dans lesquelles un nombre assez considérable d’esprits partis de points de vue fort différents se sont fait de Voltaire une assez juste idée, mais une idée qui est restée dans la chambre entre quelques-uns et qui a toujours été remise en question par la jeunesse survenante ; car les jeunes gens, à leur insu, au moment où ils entrent activement dans la vie, cherchent plutôt dans les hommes célèbres du passé et dans les noms en vogue des prétextes à leurs propres passions ou à leurs systèmes, des véhicules à leurs trains d’idées et à leurs ardeurs : soit qu’ils les épousent et les exaltent, soit qu’ils les prennent à partie et les insultent, c’est eux-mêmes encore qu’ils voient à travers ; c’est leur propre idée qu’ils saluent et qu’ils préconisent, c’est l’idée contraire qu’ils rabaissent et qu’ils rudoient. […] L’éloignement où Voltaire se tint dans ses dernières années, la révérence qu’il inspirait de loin, dans son cadre de Ferney, aux générations nouvelles qui n’avaient rien vu de sa pétulante et longue jeunesse, le concert de louanges que sa vieillesse habile et infatigable avait fini par exciter en France et en Europe, tout prépara l’apothéose dans laquelle il s’éteignit et contre laquelle bien peu de protestations alors s’élevèrent. […] Les premières lettres en date nous le montrent dans cette première saillie de jeunesse et de joie, avant ses tristes aventures, avant ce voyage d’Angleterre, qui le fit rentrer en lui-même et le mûrit. […] Il est vrai que, si l’on excepte les poèmes épiques, on fait bien des choses à la fois dans la jeunesse. […] Sans trop presser les dates, les personnages de cette intimité idéale que de loin et à distance on lui compose, seraient Formont, Cideville, des Alleurs, Mme Du Deffand, le président de Maisons, Genonville, l’élite des amis de sa première ou de sa seconde jeunesse ; gens d’esprit et de commerce sûr, jugeant, riant de tout, mais entre soi, sans en faire part au public, sachant de toutes choses ou croyant savoir ce qui en est, prenant le monde en douceur et en ironie, et occupés à se rendre heureux ensemble par les plaisirs de la conversation et d’une étude communicative et sans contrainte.

213. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Dominique par M. Eugène Fromentin (suite et fin.) »

Dominique, c’est l’histoire de l’enfance, des premiers sentiments et de la jeunesse du personnage qui porte ce nom ; lui-même raconte à un ami cette histoire toute simple, tout intérieure, en partie délicieuse, en partie douloureuse, et lui fait de vive voix sa confession. […] Riche propriétaire du pays, il y a été élevé et y a passé son enfance, sa première jeunesse ; il y est revenu après une assez longue absence, pour ne plus le quitter ; il est marié, il a une femme jeune encore et sérieuse, et deux enfants ; il a tout l’extérieur du bonheur. […] « L’ingénieuse absence avait agi sans nous et pour nous. » Un jour donc, Dominique se laisse aller à ouvrir son cœur et à livrer le secret de sa jeunesse à son nouvel ami, devenu son hôte au château des Trembles, — c’est ainsi qu’on nomme sa maison de famille ; — et cet ami, à son tour, nous fait part de la confidence. […] Ils murmuraient doucement à de longs intervalles, surtout par des soirées tièdes, et quand il y avait dans l’air je ne sais quel épanouissement plus actif de sève nouvelle et de jeunesse. […] Autrement il y a une certaine ironie à s’occuper de ces questions de jeunesse hors de saison.

214. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série «  Paul Bourget  »

Paul Bourget ait une assez grande influence sur la jeunesse d’à présent, non pas peut-être sur celle dont les études classiques ont été poussées très avant et que la tradition latine et gauloise munit et défend, mais sur la partie la plus inquiète, la plus nerveuse et la plus ignorante de la jeunesse qui écrit. […] C’était lui, déjà, qui communiquait tant de douceur à ses poésies de jeunesse (la Vie inquiète, les Aveux). […] Je ne demande rien de plus à ce jeune sage, prince de la jeunesse — de la jeunesse d’un siècle très vieux 70.

215. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) «  Mémoires et correspondance de Mme d’Épinay .  » pp. 187-207

Diderot est plus juste, et il nous peint à ravir Mme d’Épinay à cet âge de la seconde jeunesse, un jour qu’il était à La Chevrette, pendant qu’elle et lui faisaient faire leur portrait : On peint Mme d’Épinay en regard avec moi, écrit Diderot à Mlle Volland ; elle est appuyée sur une table, les bras croisés mollement l’un sur l’autre, la tête un peu tournée, comme si elle regardait de côté ; ses longs cheveux noirs relevés d’un ruban qui lui ceint le front. […] L’amoureux Francueil, plus tard l’amoureux Grimm, ressembleront plus ou moins à tous les amoureux ; l’un à celui de la première jeunesse, l’autre à celui de la seconde, moins beau, moins délicieux et moins charmant, mais souvent plus sûr et qui guérit les plaies qu’a laissées le premier. […] Et elle continue, sur ce ton, de prêcher l’usage utile de la beauté et de la jeunesse. […] Francueil d’abord se montre sous un jour flatteur : cet amour entre Mme d’Épinay et lui est bien l’amour à la française, tel qu’il peut exister dans une société polie, raffinée, un amour sans violent orage et sans coup de tonnerre, sans fureur à la Phèdre et à la Lespinasse, mais avec charme, jeunesse et tendresse. […] Toutefois, à partir d’une certaine heure, il se trouva insensiblement plus pris par la littérature, par les travaux et par les devoirs que lui imposaient des obligations honorables, et par l’ambition naturelle à l’âge mûr ; cet homme judicieux sentait qu’il fallait se donner de nouveaux motifs de vivre à mesure qu’on perdait de la jeunesse.

216. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Le maréchal Marmont, duc de Raguse. — I. » pp. 1-22

On le peignait, lui, le plus accusé des guerriers de ce temps, comme l’un des plus vifs précisément sur l’honneur, sur le sentiment de gloire et de patrie, sur le dévouement à la France, brillant, généreux, plein de chaleur et fidèle aux religions de sa jeunesse, enflammé comme à vingt ans, pour tout dire, et tricolore. […] Voilà le vrai maréchal Marmont dans toute cette jeunesse et cet éclat d’émotion, qui n’abandonna son cœur qu’avec la vie. […] Le premier commandement en chef de Marmont fut, en mars 1804, au camp d’Utrecht ou de Zeist ; c’est là qu’il apprit ce qu’il avait eu jusque-là peu d’occasions personnellement d’étudier et d’appliquer, la science et l’habitude des manœuvres, de la tactique proprement dite : Si j’ai eu quelque réputation à cet égard, je la dois à mon long séjour au camp de Zeist, où, pendant plus d’une année, j’ai constamment été occupé à instruire d’excellentes troupes et à m’instruire moi-même, avec cette émulation et cette ferveur que donne un premier commandement en chef dans les belles années de la jeunesse. Il n’est jamais revenu sans un éclair au front et sans une larme dans le regard au souvenir de ce qu’il appelait ces camps de sa jeunesse, « dont est sortie la plus belle et la meilleure armée qui ait existé dans les temps modernes, et qui, si elle est égalée, ne sera certainement jamais surpassée : je veux dire l’armée qui campa deux ans sur les côtes de la Manche et de la mer du Nord, et qui combattit à Ulm et à Austerlitz ». […] Dans cette ruine finale, où, malgré les éclairs d’héroïsme, on voit qu’il n’espérait plus, il eut de belles journées, des heures où il retrouvait le soleil de sa jeunesse.

217. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Œuvres de Frédéric le Grand (1846-1853). — I. » pp. 455-475

Aujourd’hui, en m’occupant de la Correspondance de Frédéric selon l’ordre où elle se déroule à nous dans les Œuvres complètes, je m’attacherai surtout à montrer en lui les sentiments du cœur et de l’âme, tels qu’il les avait dans la jeunesse et qu’il les garda jusque sur le trône, au moins tant que ses premiers amis vécurent. […] Sa jeunesse, avant ce temps, se partage en deux portions distinctes, l’une qui va jusqu’à sa tentative de fuite à dix-huit ans et jusqu’à son incarcération, et l’autre qui date de sa réconciliation avec son père. […] Ici, à ce moment, en Allemagne, c’était Wolff qui remplissait cet office de maître à penser, et qui, à travers les systèmes très contestables et le roman métaphysique dont il était l’interprète, faisait sentir du moins les avantages d’une raison plus libre et d’un bon sens plus dégagé : « C’est le bonheur des hommes quand ils pensent juste, disait Frédéric, et la philosophie de Wolff ne leur est certainement pas de peu d’utilité en cela. » La reconnaissance de Frédéric envers M. de Suhm « qui lui a débrouillé le chaos de Leibniz, éclairci par Wolff », est donc très sincère et très vive ; il a pour lui une de ces amitiés idéales, passionnées, enthousiastes, telles qu’en conçoivent les nobles jeunesses. […] Je cours après le temps que j’ai perdu si inconsidérément dans ma jeunesse, et j’amasse, autant que je le puis, une provision de connaissances et de vérités. » Plus tard, bientôt, au lendemain de son avènement au trône, la passion le saisira ; l’amour de la gloire, l’idée de frapper un grand coup au début et de marquer sa place dans le monde le fera, coûte que coûte, guerrier et conquérant ; il semblera oublier ses vœux et ses serments philosophiques de la veille ; il oubliera qu’il vient justement de réfuter Machiavel, il distinguera entre la morale qui oblige les particuliers et celle qui doit diriger le souverain. […] Le Frédéric de Remusberg, même dans ses accès de métaphysique, ne se laissera donc pas emporter plus loin que ne lui permet le bon sens ; mais ce qui fait le cachet de cette correspondance de jeunesse, c’est l’absence de toute ironie, et, même dans le doute, un sérieux digne de ces sujets graves.

218. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre X. »

Dans ces beaux jours du génie des Hellènes, à ce second âge, c’est-à-dire à cette pleine jeunesse d’une poésie déjà savante, mais surtout naturelle et passionnée, le poëte n’aspirait pas à l’universalité, à la primauté dans les genres divers. […] C’est plus tard, c’est quand la poésie devient une science littéraire, que, dans le Musée d’Alexandrie, dans la cage des oiseaux chanteurs nourris par les Ptolémées, loin des religieux anniversaires qui ramenaient l’offrande sacrée de la muse tragique, loin des triomphes patriotiques qui inspiraient sa voix, Callimaque, Apollonius, Lycophron, maîtres experts au métier de la poésie, feront indifféremment des hymnes aux dieux, des cantates aux rois, des tragédies, des épigrammes, et ne craindront pas même de reprendre en sous-œuvre et de versifier de nouveau ces grands sujets que s’était appropriés le génie aux jours de sa jeunesse créatrice, les Pélopides, Œdipe, Agamemnon, toute une part du répertoire d’Eschyle et de Sophocle. […] « Les Persanes en pleurs, souhaitant de voir l’hymen récent de leurs maris et les tissus moelleux de leur couche, plaisirs de la gracieuse jeunesse désormais perdus pour elles, se consument de gémissements sans fin ; et moi, je célèbre, comme je le dois, le sort lamentable de ceux qui ont déjà péri. […] Notre jeunesse a péri toute entière. […] La terre pleure la jeunesse née de son sein, et qu’a tuée Xercès, pourvoyeur de l’abime, tant de guerriers serrés en bataillons, fleur de la patrie, formidables archers !

219. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1857 » pp. 163-222

Ce rendez-vous de l’imprévu, ce coudoiement de rencontres, cette foire de romans d’aventure, ce feu roulant de reparties, ce carnaval de la gaieté et de l’amour, cette folie, cette joie démente d’une jeunesse furieuse, qui sautait douze heures sous l’archet de Musard, la fouettant et la refouettant des fifres et des tonnerres de son orchestre : ce n’est plus tout cela qu’un trottoir. […] La petite-fille de Boucher, femme galante… En effet, c’était un peu dans le sang du peintre des Grâces impures… * * * — Ô Jeunesse des écoles, jeunesse autrefois jeune, qui poussait de ses deux mains battantes le style à la gloire ! Jeunesse tombée à l’enthousiasme du plat bon sens ! Jeunesse comptable et coupable des succès de Ponsard ! […] le plaisir et l’excès de toute la jeunesse élégante, bien élevée, même intelligente.

220. (1860) Cours familier de littérature. IX « Le entretien. Les salons littéraires. Souvenirs de madame Récamier (2e partie) » pp. 81-159

Il se retourna contre ses propres actes, et, ne pouvant supporter ses remords, il tomba aux pieds d’un prêtre et demanda au Dieu de son enfance l’absolution des erreurs de sa jeunesse : âme tendre et meurtrie, il se fit panser par cette piété charitable qui adoucit ses douleurs, corrigea ses légèretés et transforma ses repentirs en vertus. […] N’eût-il été que son père, le tuteur de sa jeunesse, le prodigue adorateur des charmes de sa femme, M.  […] Elle avait passé à Lyon, dans sa famille, les années irréprochables de sa seconde jeunesse. […] Le prince de Carignan, depuis Charles-Albert, y affilie étourdiment ses amis de Turin, les compromet, les laisse violenter son oncle et son bienfaiteur, l’oblige à abdiquer ce trône à la succession duquel ce prince l’avait généreusement appelé, puis se repent, abandonne ses complices, s’exile lui-même pour servir contre la cause libérale qu’il a fomentée ; remonté au trône, devient le proscripteur implacable de ceux dont il a entraîné la jeunesse. […] « Me voici à Londres », écrit-il à son amie ; je ne fais pas un pas qui ne m’y rappelle ma jeunesse, mes souffrances, les amis que j’ai perdus, les espérances dont je me berçais, mes premiers travaux, mes rêves de gloire.

221. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Lettres sur l’éducation des filles, par Mme de Maintenon » pp. 105-120

Cela bien entendu, elle veut le vrai dans l’éducation dès le bas âge : « Point de contes aux enfants, point en faire accroire ; leur donner les choses pour ce qu’elles sont. » — « Ne leur faire jamais d’histoires dont il faille les désabuser quand elles ont de la raison, mais leur donner le vrai comme vrai, le faux comme faux. » — « Il faut parler à une fille de sept ans aussi raisonnablement qu’à une de vingt ans. » — « Il faut entrer dans les divertissements des enfants, mais il ne faut jamais s’accommoder à eux par un langage enfantin, ni par des manières puériles ; on doit, au contraire, les élever à soi en leur parlant toujours raisonnablement ; en un mot, on ne peut être ni trop ni trop tôt raisonnable. » — « Il n’y a que les moyens raisonnables qui réussissent. » — Elle le redit en cent façons : « Il ne leur faut donner que ce qui leur sera toujours bon, religion, raison, vérité. » Dans un siècle où sa jeunesse pauvre et souriante avait vu se jouer tant de folies, tant de passions et d’aventures, suivies d’éclatants désastres et de repentirs ; où les romans des Scudéry avaient occupé tous les loisirs et raffiné les sentiments, où les héros chevaleresques de Corneille avaient monté bien des têtes ; où les plus ravissantes beautés avaient fait leur idéal des guerres civiles, et où les plus sages rêvaient un parfait amour ; dans cet âge des Longueville, des La Vallière et des La Fayette (celle-ci, la plus raisonnable de toutes, créant sa Princesse de Clèves), Mme de Maintenon avait constamment résisté à ces embellissements de la vérité et à ces enchantements de la vie ; elle avait gardé son cœur net, sa raison saine, ou elle l’avait aussitôt purgée des influences passagères : il ne s’était point logé dans cette tête excellente un coin de roman. « Il faut leur apprendre à aimer raisonnablement, disait-elle de ses filles adoptives, comme on leur apprend autre chose. » Et de plus, cette ancienne amie de Ninon savait le mal et la corruption facile de la nature ; elle avait vu de bien près, dans un temps, ce qu’elle n’avait point partagé ; ou si elle avait été effleurée un moment, peu nous importe, elle n’en était restée que mieux avertie et plus sévère. […] L’austérité, au reste, y est plutôt pour les maîtresses dont la vie se passe dans la vigilance, dans les précautions continuelles, et qui deviennent dès lors de vraies religieuses régulières par la solennité et la perpétuité des vœux : quant aux élèves et demoiselles, lors même qu’elles ont été guéries ou préservées, dans ce second et plus sûr régime, des dissipations d’esprit et des goûts d’émancipation trop mondaine, Mme de Maintenon a toujours lieu de dire : « Je ne crois pourtant pas qu’il y ait de jeunesse ensemble qui se divertisse plus que la nôtre, ni d’éducation plus gaie. » Les craintes qu’avait fait naître à un moment l’invasion du bel esprit étant passées, et le correctif ayant réussi, on revint à Saint-Cyr à une voie moyenne, et où le bon langage eut sa part d’attention et de culture. […] L’idée si élevée de faire de Saint-Cyr un abri et un foyer chrétien, un refuge et une école de simplicité vertueuse et pure, à mesure que la corruption et la grossièreté augmentent parmi les jeunes femmes de la Cour, se montre à découvert dans ces lettres de Mme de Maintenon : Que ne donnerais-je pas, s’écrie-t-elle (octobre 1703), parlant à l’une des maîtresses, pour que vos filles vissent d’aussi près que je le vois combien nos jours sont longs ici, je ne dis pas seulement pour des personnes revenues des folies de la jeunesse, je dis pour la jeunesse même qui meurt d’ennui parce qu’elle voudrait se divertir continuellement et qu’elle ne trouve rien qui contente ce désir insatiable de plaisir !

222. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. Biot. Mélanges scientifiques et littéraires, (suite et fin.) »

Biot a eu au moins l’honneur de comprendre et d’embrasser les vérités mathématiques les plus élevées qu’avaient découvertes ou perfectionnées les maîtres de sa jeunesse. […] En 1806-1807, il est en Espagne avec Arago ; celui-ci, dans les pages pleines d’animation où il a raconté les accidents et aventures de cette expédition scientifique (Histoire de ma jeunesse), nous fait entrevoir que, vers la fin, Biot le laissa un peu en peine et le quitta peut-être un peu plus tôt qu’il n’aurait dû. […] Biot n’avait point précisément les moyens et les qualités extérieures d’un rôle politique et public de savant ; il n’était point armé extérieurement pour l’attaque et pour la défense ; son geste était mince, familier, un peu cassant ; sa voix claire, un peu fluette, très suffisante dans sa jeunesse pour le professorat, s’était brisée d’assez bonne heure, et portait peu hors d’un cercle intime. […] Mais sur les temps anciens, sur la grande époque de sa jeunesse, sur les savants du premier ordre dont il avait gardé le culte, il était très intéressant à écouter.

223. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Raphaël, pages de la vingtième année, par M. de Lamartine. » pp. 63-78

Sous ce titre de Raphaël, M. de Lamartine a détaché de ses Confidences l’événement le plus considérable de sa jeunesse, ce grand événement de cœur qu’on n’a qu’une fois, et qui, dans la sphère de la sensibilité et de la passion, domine toute une vie. […] Il y a déjà trente ans qu’en publiant ses Méditations, il passionna l’élite de la jeunesse d’alors. Trente ans après, avec cette même Elvire changée en Julie, voilà qu’il peut croire qu’il enlève encore une fois toute la jeunesse. […] Le gracieux poète des roses et de la jeunesse voudra bien me pardonner d’être moins jeune et moins indulgent que lui.

224. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre VI : M. Cousin philosophe »

Ses deux philosophies sont l’effet de deux facultés diverses : l’une, qui est l’imagination poétique, aidée par la jeunesse, l’emporte vers la philosophie pure et vers les idées allemandes ; l’autre, qui est l’éloquence, chaque jour plus puissante, soutenue par l’âge, finit par devenir maîtresse, et l’entraîne vers le spiritualisme oratoire, dans lequel il s’est assis et endormi. […] Il est aujourd’hui le plus grand ennemi de la philosophie allemande ; non-seulement il la réfute, mais encore il l’injurie ; et l’on dit que contre les péchés métaphysiques de sa jeunesse il ira bientôt chercher refuge dans le bénitier. […] Aussi supposez qu’un orateur, un beau jour, par entraînement, par imagination, par jeunesse, se soit trouvé panthéiste. […] Écoutez plutôt le ton de mon discours : Puisse notre voix être entendue des générations présentes comme autrefois elle le fut de la sérieuse jeunesse de la Restauration.

225. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Bouchor, Maurice (1855-1929) »

Je soupçonne que, de tous ses livres, c’est celui-là, qu’il préfère encore, non peut-être pour sa perfection poétique, mais pour la qualité de l’émotion qui s’en dégage, pour sa jeunesse attendrie. […] Deuxième compartiment : Le poète s’éloigne, de plus en plus, des compagnies et des divertissements où il a usé sa jeunesse.

226. (1887) Discours et conférences « Discours prononcé aux funérailles de M. Stanislas Guyard, Professeur au Collège de France »

En peu d’années, il a su remplir le cadre d’une longue vie scientifique ; il en a fait assez pour sa tâche virile ; mais nous qui fondions sur lui tant d’espérances, nous qui nous consolions de vieillir en voyant grandir à côté de nous cette laborieuse et vaillante jeunesse, c’est pour nous qu’est le deuil. […] Le goût de Stanislas Guyard pour les études orientales data de sa première jeunesse.

227. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre XII. Demain »

Plus d’une jeunesse est une puérilité qui continue. […] N’y a-t-il donc dans la jeunesse actuelle, qu’âpres arrivistes et naïf bétail social ?

228. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre troisième. Découverte du véritable Homère — Chapitre VII » pp. 278-283

De cette manière, Homère composa l’Iliade dans sa jeunesse, c’est-à-dire dans celle de la Grèce. […] Au temps de la jeunesse d’Homère, la fierté d’Agamemnon, l’insolence et la barbarie d’Achille plaisaient aux peuples de la Grèce.

229. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, le 8 décembre 1885. »

C’est le motif de la jeunesse même d’Eva : « : Ihr nehmt mich für Weib und Kind ins Haus », dit-elle à Sachs. […] Motif 39 (p. 334, 335, 336). — Le voilà encore, ce même souffle printanier de jeunesse et d’ardeur, c’est lui, la danse : les fleurs, les rubans et les filles tournent dans sa ronde vive et brillante, gaie et douce. […] Ils empruntent leur air de jeunesse au motif du printemps. […] » C’est en effet devant le peuple et devant la femme que triomphera la poésie nouvelle, la jeunesse même de la poésie naturelle. […] D’autre part, la jeunesse de l’art de Walther, qui gagnera le peuple et Eva, s’y manifeste encore avant d’être soumise aux règles : « Die alte Zeit dünkt mich erneut », dit Pogner.

230. (1856) Cours familier de littérature. I « Digression » pp. 98-160

Les joues pâlies par l’émotion du spectacle, et un peu déprimées par la précocité de la pensée, avaient la jeunesse mais non la plénitude du printemps : c’est le caractère de cette figure, qui attachait le plus le regard en attendrissant l’intérêt pour elle. […] … beau défaut de la jeunesse qui ignore la destinée ; à cela près, elle était accomplie. […] Je lui dis que le jeune homme avait une de ces physionomies qui percent les ténèbres et qui domptent les hasards, et que dans le pays de l’intelligence la plus riche dot était la jeunesse, l’amour et le talent. […] Sa jeunesse avait mûri sans rien perdre de sa fraîcheur ; et de plus, par une exception que méritait son caractère, en acquérant beaucoup d’éclat, elle n’avait pas perdu une amitié. […] Dans la jeunesse, nos cœurs remplis d’autres sentiments ne pouvaient se rencontrer que dans ces inclinations d’esprit un peu tièdes qui ont la température des convenances et non la chaleur des grandes affections.

231. (1874) Histoire du romantisme pp. -399

Il ne faut pas renier sa jeunesse. […] Belkis attendra ; quelques semaines ne vieilliront pas celle dont la jeunesse se compte par milliers d’années. […] C’est pour notre âge mûr une vraie satisfaction que de n’avoir rien à réformer des admirations de notre jeunesse. […] et quand l’incessant labeur vous aura, sur le déclin de la vie, procuré quelque loisir, aura-t-on la force d’exécuter les conceptions de la jeunesse ? […] Quoique dès lors elle eût passé l’âge qu’on appelle jeunesse pour les autres femmes, elle était de la plus étonnante beauté.

232. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Werther. Correspondance de Goethe et de Kestner, traduite par M. L. Poley » pp. 289-315

Mais, par bonheur, un génie ami a depuis longtemps pris ce soin, et l’a excité, dans toute la force de la jeunesse, à fixer un passé tout récent, à le retracer et à le livrer hardiment au public dans le moment opportun : chacun devine qu’il s’agit ici de Werther. […] Car on l’a très justement remarqué, et les lettres de Goethe, écrites dans le cours de cette inspiration, nous le confirment ; ce n’est pas le désespoir, c’est plutôt l’ivresse bouillonnante et la joie qui président à la conception de Werther ; c’est le génie de la force et de la jeunesse, l’aspiration, douloureuse sans doute, mais ardente avant tout et conquérante, vers l’inconnu et vers l’infini. […] Ce qui est certain, c’est que toute la jeunesse allemande lut à l’instant et profondément atteinte et ébranlée. […] Mais de fait, et même chez un artiste de tout temps si réfléchi, si maître de soi dès sa jeunesse, les choses se passèrent plus au hasard et plus confusément. […] il était dans le vrai en pardonnant : pourtant il ne se rendait pas tout à fait compte du procédé de Goethe, quand il l’attribuait à une légèreté de jeunesse.

233. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXIXe entretien. Œuvres diverses de M. de Marcellus (2e partie) » pp. 5-63

Ce cadre est presque toujours une scène de l’Odyssée de jeunesse de M. de Marcellus, voguant ou chevauchant sur les mers ou sur les montagnes du Péloponnèse. […] J’avais un sentiment d’admiration et de pitié pour ces belles îles de l’Archipel, où fleurissent en hommes et en femmes la plus charmante jeunesse du monde ; mais je n’avais aucune haine pour Mahomet et pour ce peuple religieux, pasteur et guerrier, qui était venu à son temps balayer des vallées de Bithynie la corruption byzantine, et prêcher l’unité de Dieu, ce dogme des Arabes, à la place des superstitions ingénieuses de l’Église grecque qui touchent de si près à l’idolâtrie. […] « Je montais un soir la colline du couvent de Saint-Nicolas, dans l’île de Prinkico, lisant, apprenant ou commentant l’Odyssée, mon livre favori ; et, suivant une coutume de ma jeunesse qui m’est restée, m’arrêtant à chaque vers comme à chaque détour du sentier, pour cueillir les glaïeuls, les asphodèles et les premières églantines. […] La faute première en est à Euripide, grand ennemi des femmes : pour moi, je m’attache à sa jeunesse, à son unique amour, à sa primitive innocence ; sa passion m’attendrit beaucoup plus que celle de Phèdre, car elle est bien moins coupable. […] XXII J’ai écrit une Médée dans ma première jeunesse ; elle est encore enfouie dans les caisses de mon grenier, où les voyageurs de la vie enferment leurs hardes usées qui n’en sortiront jamais que pour faire du vieux papier pour des hommes nouveaux.

234. (1888) La critique scientifique « La critique scientifique — La synthèse »

Ce corps eut une enfance, une jeunesse, un âge mûr souvent, une vieillesse parfois ; il fut un homme, lit partie d’une famille, naquit et vécut dans une patrie, eut tels parents, tels amis, tels contemporains ; la carrière de cet être fut mêlée d’infortunes et de joies, de hasards et d’habitudes ; il subit et exerça des influences spirituelles ; il reprit l’œuvre artistique à un point donné et en porta le progrès à tel autre point ; cette entité intellectuelle dont on a désigné d’abord la configuration totale et générale, avec toutes ses acquisitions et toute son innéité, eut une évolution, fut jetée dans le compromis de résistances et d’adaptations qu’est la vie, fut fait d’originalité et d’imitation comme tout individu vivant, mêla sa tâche de redites et de trouvailles. […] Il faut pour entreprendre la restitution d’un de ces grands êtres intellectuels qui sont, dans l’ordre de la pensée et de la sensibilité pures, comme les initiateurs d’une espèce morale, qui concentrent et qui exaltent en eux toute l’émotion et la réflexion excitée dans la foule mêlée de leurs admirateurs, remonter des parties éparses de son esprit à leur enchevêtrement et leur engrenage dans le tout, replacer cet esprit ainsi particularisé dans chacune de ces facultés et dans leur association, en un corps dont il sera nécessaire de connaître les représentations graphiques et dont les habitudes ressortiront des témoignages des contemporains : ce corps même et cet esprit, il faudra le prendre dans ses origines, la famille, la race, la nation, — dans son milieu premier, le lieu de naissance et d’enfance, le climat, le paysage, le sol : il faudra le suivre dans son développement et ses relations, de son enfance à sa jeunesse, de ses amitiés à ses liaisons, de ses lectures à ses actes, tracer le cours de ses productions, connaître les joies et les amertumes de sa vie, le conduire enfin à ce déclin et ce décès qui si rarement, pour les grands artistes, sont glorieux, ou fortunés ou paisibles. […] Que l’on conduise ainsi Poe de la table où tout enfant son père adoptif l’exhibait récitant des vers, à cette taverne de Baltimore où il goûta l’ivresse qui le couchait le lendemain dans le ruisseau ; que l’on connaisse de Flaubert la famille de grands médecins dont il était issu, le pays calme et bas dans lequel il passa sa jeunesse, la fougue de son arrivée à Paris, ses voyages, son mal, le rétrécissement progressif de son esprit, le milieu de réalistes dans lequel s’étriquait ce romantique tardif : que de même on décrive la physionomie satanique et scurrile (sic) de Hoffmann, le pli de sa lèvre, l’agilité simiesque de tout son petit corps, ses grimaces et ses mines extatiques, son horreur pour tout le formalisme de la société, ses longues séances de nuit dans les restaurants, à boire du vin, et ce mal qui le mît comme Henri Heine tout recroquevillé dans un cercueil d’enfant ; que l’on compare les débuts militaires de Stendhal et de Tolstoï à leur fin, à l’existence de vieux beau de l’un, à l’abaissement volontaire de l’autre, aux travaux manuels et à la pauvreté grossière ; que l’on complète chacune de ces physionomies, qu’on en forme des séries rationnelles, on aura dressé en pied pour une période, pour un coin du monde littéraire, pour ce domaine tout entier, les figures intégrales du groupe d’hommes qui sont les types parfaits de l’humanité pensante et sentante.

235. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Le comte de Fersen et la cour de France »

Il était, comme le portrait de ce livre l’atteste, jeune et beau, — d’une beauté presque féminine, et quoiqu’il soit mort vieux, avec des cheveux blancs, souillés et ensanglantés comme ceux de Priam, l’Imagination s’obstine à ne voir sa tête que jeune et charmante, telle qu’elle était du temps de cette Reine à laquelle il s’était dévoué, et comme si un dévouement pareil au sien ne pouvait appartenir qu’à l’enthousiasme de la jeunesse ! Le sentiment de Fersen pour Marie-Antoinette l’a revêtu d’une éternelle jeunesse, et il portera sur son front inextinguiblement cette lueur d’étoile… Cet admirable serviteur d’une Reine assassinée mourut longtemps après elle, assassiné comme elle, dans une émeute de son pays, mais avec des détails de cruauté à faire bénir le coup de tranchet de la guillotine qui emporta la tête de la Reine. […] Mais on se souvient toujours du dévouement par lequel Fersen vécut, dans un court instant de sa jeunesse, et à travers lequel on le verra toujours, dans l’immortalité de Celle à laquelle il s’était si absolument et si inutilement dévoué !

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