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28. (1886) De la littérature comparée

Elle est l’éternelle affirmation du génie toujours mobile de l’homme, de ses recherches d’un idéal que modifient les temps et les lieux, mais qui, sous ses formes changeantes, demeure cependant l’idéal. […] L’évolution de la critique moderne est intimement liée à l’idée générale qu’on s’est faite de la littérature et de son idéal. […] En réalité, c’est le paganisme qui ressuscite, qui vient imposer aux barbares de la veille ses mœurs, sa littérature, sa conception agréable de la vie, son idéal précis et saisissable. […] La réconciliation est complète entre l’homme et l’argile d’où il est sorti, l’idéal est descendu des régions inaccessibles où l’avait maintenu la foi naïve de nos premiers poètes, il est maintenant sur la terre, à portée de tous et dans toutes les choses sensibles. […] Car le « Romantisme » est bien un mouvement parallèle à celui de la Renaissance : en s’efforçant de retrouver la nature et la sincérité de l’impression — ce fut là, vous le savez, l’idéal dont tous les écrivains du commencement du siècle se sont réclamés, à quelque distance que beaucoup en soient restés, — il rencontre tout d’abord le Moyen-Âge, c’est-à-dire l’époque où le génie moderne avait pu se développer sans entraves, et il s’en empare avec passion.

29. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre VII. L’antinomie pédagogique » pp. 135-157

Sans doute l’idéal national et étatiste doit être élargi dans notre système d’éducation moderne par l’idéal humanitaire. […] Pour s’être élargi, l’idéal pédagogique n’en reste pas moins autoritaire. — Même les pédagogues anarchistes, ceux qui parlent d’éducation libertaire, d’auto-éducation, comme M.  […] À ce point de vue, ceux qui ont placé leur idéal moral dans l’épanouissement égoïste de leur moi, ainsi que le conseille Nietzsche, considéreront qu’il y a un antagonisme profond entre l’intérêt de l’individu et cette culture de la personnalité. […] Vous aurez chance de lui inculquer une foi robuste dans la chose enseignée (foi du séminariste, foi du normalien dans les idéaux scolaires). […] Il s’apercevra de la contradiction qui existe entre les idéaux scolaires et la vie réelle.

30. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre IV. L’antinomie dans l’activité volontaire » pp. 89-108

Stockmann s’isole de sa petite ville ignorante, intolérante et égoïste ; mais il ne s’isole pas d’une société supérieure et idéale, celle des savants, des médecins dont il a reçu l’enseignement et dont il garde l’esprit. […] C’est un individualisme relatif qui s’attaque à la société actuelle au nom d’un idéal supérieur de sociabilité. […] La démocratie diminue autant que possible l’initiative des hommes supérieure et son idéal semble bien être le chef nègre dont parle de Gobineau. C’est pourquoi l’homme supérieur éprouve si souvent la douleur de devoir abandonner la meilleure partie de son idéal ou de voir cet idéal travesti, abaissé, dévié et caricaturé dans les faits. Il est à craindre que ceux qui croient l’âme des foules capable de comprendre un haut idéal ne se fassent illusion.

31. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXVIe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (4e partie) » pp. 81-143

La première nécessité de l’homme en société, c’est l’ordre conservé ou rétabli ; l’idéal ne vient qu’après. Chez Victor Hugo, l’idéal marche avant tout ; voilà pourquoi nous sommes, en politique, moins hardi et moins poète que lui. […] Ils se confièrent dans une intimité idéale, que rien déjà ne pouvait plus accroître, ce qu’ils avaient de plus caché et de plus mystérieux. […] Hugo fait un idéal, idéal féroce, ou compatissant par insouciance, qui caresse ou qui mord sans réflexion, écume légère flottant sur la mer agitée des capitales, qui n’a ni famille, ni écoles, ni profession, ni respect, et dont toute la moralité consiste dans quelques chansons obscènes ou avinées. C’est un pauvre idéal de peuple à présenter à l’admiration de nos artisans, la moelle peut-être de la population française.

32. (1888) Épidémie naturaliste ; suivi de : Émile Zola et la science : discours prononcé au profit d’une société pour l’enseignement en 1880 pp. 4-93

Diderot parle d’un idéal qui ne s’acquiert pas et que l’écrivain ou l’artiste apporte en naissant. C’est justement contre l’idéal que les naturalistes protestent. […] Suivant lui, « l’idéal n’a pas d’existence propre, il n’y a pas de substance de l’idéal. […] Nos naturalistes évincent l’idéal et en restent à la pourriture. […] Emile Zola nie l’idéal parce que, suivant lui, il n’y a pas de substance de l’idéal.

33. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Troisième partie. Disposition — Chapitre III. Du meilleur plan. — Du plan idéal et du plan nécessaire. »

. — Du plan idéal et du plan nécessaire. […] Souvent il arrive que le plan le meilleur dans la circonstance n’est pas le meilleur absolument : un plan idéal, d’une régularité, d’une exactitude, d’une proportion parfaites, ne servirait souvent qu’à accuser les lacunes de notre pensée et les faiblesses de notre science. […] Au point de vue de l’ordre idéal, rien de plus mal ordonné que le Discours de Démosthène sur la couronne, le chef-d’œuvre peut-être de l’éloquence humaine. […] Il est bon d’avoir conçu le plan idéal qui convient au sujet, et d’essayer de le remplir : si l’on n’y peut parvenir, on s’efforcera d’en rapprocher le plus qu’on pourra le plan qu’on arrêtera conformément à ses forces et aux nécessités accidentelles.

34. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « G.-A. Lawrence »

Car il est idéal ! […] L’auteur de Guy Livingstone est idéal de sentiment et d’expression, de société et de caractère, dans un temps où nous nous mourons du mal de cœur de la réalité, qu’on nous donne pour l’art ou la vie ; il est idéal parce qu’il est un byronien d’abord et ensuite un dandy, préoccupé, comme tout dandy, de la beauté des attitudes de son orgueil ; il l’est encore parce que tous les caractères de son roman sont pris dans un milieu humain et social exceptionnel, parce que le high life est la vie des classes supérieures, qui valent mieux que les autres de cela seul (comme le mot le dit) qu’elles sont au-dessus. […] Ce Richard cœur de lion et articulation de lion, qui n’a pas, lui, les immensités d’une Croisade, comme les lions ont pour leurs bonds terribles les immensités du désert ; ce Plantagenêt civilisé, idéal de cette société mélangée de Saxon et de Normand qu’on appelle la société anglaise, mais bien plus Anglais de race et de physique que les héros de Lord Byron, dont le défaut peut-être est de n’avoir pas assez de physionomie historique ; Guy Livingstone a cependant, comme les héros de Byron, ce charme de la goutte de lumière dans l’ombre et d’une seule vertu parmi plusieurs vices qui a toujours ensorcelé l’âme des hommes et qui l’a transportée d’enthousiasme, bien plus, hélas ! […] qui en augmente l’idéal par la situation de celui qui le raconte : car l’idéal, c’est le plus souvent l’impossible.

35. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « G.-A. Lawrence » pp. 353-366

Car il est idéal ! […] L’auteur de Guy Livingstone est idéal de sentiment et d’expression, de société et de caractère, dans un temps où nous nous mourons du mal de cœur de la réalité, qu’on nous donne pour l’art ou la vie ; il est idéal, parce qu’il est un byronien d’abord et ensuite un dandy, préoccupé, comme tout dandy, de la beauté des attitudes de son orgueil ; il l’est encore parce que tous les caractères de son roman sont pris dans un milieu humain et social exceptionnel, parce que la high life est la vie des classes supérieures qui valent mieux que les autres, de cela seul (comme le mot le dit) qu’elles sont au-dessus. […] Ce Richard cœur de lion et articulation de lion, qui n’a pas, lui, les immensités d’une Croisade, comme les lions ont pour leurs bonds terribles les immensités du désert ; ce Plantagenêt civilisé, idéal de cette société mélangée de Saxon et de Normand, qu’on appelle la société anglaise, mais bien plus Anglais de race et de physique que les héros de lord Byron, dont le défaut peut-être est de n’avoir pas assez de physionomie historique, Guy Livingstone a cependant, comme les héros de Byron, ce charme de la goutte de lumière dans l’ombre et d’une seule vertu parmi plusieurs vices qui a toujours ensorcelé l’âme des hommes et qui l’a transportée d’enthousiasme, bien plus, hélas ! […] qui en augmente l’idéal par la situation de celui qui le raconte : car l’idéal, c’est le plus souvent l’impossible.

36. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Introduction »

Plus que jamais on risque, devant un objet qui excite tant de sentiments divers, de confondre le vrai et le voulu, la réalité et l’idéal, la science, et la pratique. […] Entre deux hommes qui s’entendent sur la définition de l’idéal social à réaliser, tout en ne s’entendant pas sur le choix des types d’institutions à favoriser ou à combattre, ne peut-on décider, abstraction faite de tout sentiment personnel ou de tout principe métaphysique, par une recherche objective ? Par exemple, l’intervention de l’État hâterait-elle ou au contraire empêchera-t-elle une répartition des richesses conforme à l’idéal que vous acceptez ? Cet idéal serait-il mieux servi par un suffrage universel « atomique » ou par un suffrage « organisé » ? — Seule l’expérience, méthodiquement consultée, donnerait ici une réponse indiscutable : en nous faisant connaître les effets différents des différentes formes d’institutions, elle seule nous permettrait de distinguer celle qui produit bien les résultats demandés par l’idéal défini.

37. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 novembre 1885. »

XI : Le Drame Allemand : — Le style idéal de Bayreuth exige, pour sa manifestation, cet endroit unique, exclusif, consacré ; mais on peut espérer que ce qui existe là comme la sphère même de l’Idéal, soit de loin aperçu comme un horizon vers lequel tendent des aspirations artistiques très différentes. […] L’idéal de la déclamation est la langue chantée du théâtre de Bayreuth : un artiste pénétré de sa beauté saura trouver le ton du drame parlé. […] Par réalisme, nous n’entendons rien que la recherche de la vérité : dans le drame parlé réaliste, les caractères acquièrent, par la puissance de la poésie, une portée idéale, quoiqu’ils ne se meuvent pas devant nous comme des Idéals, mais comme des réalités, et la distinction demeure que nous avons faite entre le style idéal classique, et le style réaliste du drame parlé, — entre Schiller et Shakespeare, entre le chant et la parole, il faudra donc, dans tout effort pour réformer le drame parlé, laisser de côté toute tentative d’Idéalisation : le poète plongera son regard dans l’âme même du peuple ; il nous montrera des symboles de la Réalité, non pas des Idéals, mais des exemples personnifiés des idées universellement humaines. […] La vérité est que le drame idéal est et peut être seulement le drame musical, et que le drame parlé doit être strictement réaliste. Le drame musical parle le langage du chant ; ses personnages sont des Types, présentés dans leur seule essence ; le tout, un tableau idéal, le Mythe universel.

38. (1865) Du sentiment de l’admiration

le premier degré où doit viser la connaissance humaine, un échelon tout au plus au-dessus duquel il faut gravir pour vous conformer à ces lois éternelles entrevues par Platon, fixées par une théodicée plus sublime, et qui sollicitent l’essor de notre intelligence vers un idéal qui n’est pas de ce monde. Mais pour comprendre de bonne heure que cette recherche platonicienne et surtout chrétienne de l’idéal dans les chefs-d’œuvre de l’art est la fin supérieure des vraies études, il faut bien un peu de cette folie dont je parlais tout à l’heure, folie qui a son nom et l’un des plus beaux noms qui soient ici-bas, l’enthousiasme. […] On cherchera à vous prouver que l’idéal n’est qu’un mot, la littérature qu’un luxe, l’art classique qu’une convention maintenue par la docilité du public. […] Placez avec moi devant ces classiques aimés le jeune homme qui sait admirer : transporté par l’essor de l’imagination dans les régions supérieures, il habite, cet adolescent épris de Sophocle et de Corneille, il habite une cité idéale qui n’est pas encore la cité de Dieu mais qui n’est déjà plus la cité des hommes. […]   Ne vous découragez donc pas dans cette poursuite de l’idéal par l’étude, mais plutôt rappelez-vous une légende dont je veux vous transmettre le symbolique enseignement, avant de me séparer de vous.

39. (1868) Curiosités esthétiques « II. Salon de 1846 » pp. 77-198

Mais comme il n’y a pas de circonférence parfaite, l’idéal absolu est une bêtise. […] Chaque individu a donc son idéal. […] Il n’a donc pas d’idéal, il n’a pas de parti pris ; — ni étoile ni boussole. […] Il y mêle beaucoup de son âme, comme Delacroix ; c’est un naturaliste entraîné sans cesse vers l’idéal. […] Rien d’absolu : — ainsi, l’idéal du compas est la pire des sottises ; — ni de complet : — ainsi il faut tout compléter, et retrouver chaque idéal.

40. (1894) Propos de littérature « Chapitre II » pp. 23-49

Au contraire le symbole suppose la recherche intuitive des divers éléments idéaux épars dans les Formes. […] Le Poète est celui qui saisit les rapports idéaux des Formes entre elles, et le symbole est créé par la cohésion soudaine de celles-ci, lorsqu’elles se montrent désormais nécessairement liées et expriment implicitement leur unité idéale. Ce serait, — je répète pour plus de clarté, — la fusion harmonieuse de formes disséminées et, en cet état, incomplètes, dont le rapprochement soudain fait jaillir l’unité avec la signification idéale. — C’est une synthèse. […] Plus est idéale leur beauté, plus la vision est allégée, musicale et lointaine, — plus est pénible une telle conclusion. […] L’unité idéale qui en doit jaillir trouvera son centre non pas en chacune des formes ou en l’une d’entre elles, mais dans l’équilibre de leur conflit.

41. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Chapitre IV. Conclusions » pp. 183-231

La forme pratique sous laquelle un certain groupe réalise un certain principe n’est jamais que relative et incomplète, si bien qu’elle nous cache parfois la donnée initiale et idéale. […] J’ai déjà dit et je ne crains pas de répéter que le principe, étant une vision partielle de l’idéal, implique logiquement la totalité de cet idéal, en théorie ; mais en pratique, la perception du principe est un fait individuel ; elle est plus ou moins nette selon le degré d’intelligence, de culture de l’individu ; elle dépend aussi de la mentalité et des intérêts actuels des groupes de contiguïté. […] Si le principe coïncidait avec les intérêts du groupe, il y aurait arrêt de vie ; le groupe, c’est le passé, l’acquis ; le principe c’est l’idéal, l’avenir. […] Tout est dans tout, c’est l’absolu ; mais nous ne marchons que pas à pas, de relativité en relativité ; l’absolu, ce serait la béatitude, l’immobilité ; l’ascension infinie vers l’idéal, c’est la vie même. […] La forme idéale d’une œuvre d’art est une, du détail à l’ensemble et de l’ensemble au détail, de la construction apparente au centre générateur.

42. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre I. Littérature héroïque et chevaleresque — Chapitre II. Les romans bretons »

Elle recevait tout l’univers en son âme et le renvoyait en formes idéales : vraie antithèse du génie dur et pratique de Rome, dont le rôle est de façonner la réalité par l’épée et par la loi. […] L’idéal de la galanterie chevaleresque, c’est Lancelot, et le roman de la Charrette en explique le code, mis en action et en exemples. […] Voilà le type idéal et convenu de l’amant : ce sont là les modèles sur lesquels il doit se régler. […] Et la dame, elle, n’est pas une Iris en l’air, un vaporeux fantôme orné d’idéales perfections : c’est un être faible, rusé, malin, vain surtout, enfin c’est une femme, et c’est une Française. […] Galaad, c’est le chevalier-vierge, idéale et abstraite figure d’immaculée perfection, pareille à une claire et sèche image de missel.

43. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre XI. L’antinomie sociologique » pp. 223-252

— Sans doute, en un certain sens, les grands courants d’idées philosophiques, religieuses et sociales peuvent avoir sur l’individu une influence libératrice, en ruinant ou en affaiblissant les disciplines anciennes et en opposant à l’idéal étroit des sociétés existantes un idéal d’affranchissement relatif. […] Le nouvel idéal social ne libère l’individu qu’en tant qu’il se dresse contre l’ancien ordre oppressif. […] Mais bientôt l’idéal nouveau s’incarne dans une organisation définie ; il suscite à son tour une réglementation sociale ; il devient un instrument de règne aux mains d’une hiérarchie. […] Les promoteurs des idéaux nouveaux ne sont pas plus sincères que les partisans des idéaux anciens. […] Tel est le cas de Vigny dénonçant le mensonge social au nom d’un idéal de vérité et de sincérité.

44. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Auguste de Chatillon. À la Grand’Pinte ! »

Quand le monde est à l’Idéal, aux profondes convictions, aux grandes choses, l’influence du monde sur le poète ne détruit pas le don de Dieu, cette originalité délicate qui est à la pensée ce que la pureté est au cœur. Mais lorsque les grandes choses deviennent plus rares, lorsque les convictions fléchissent et que l’Idéal s’est abaissé, alors tout est menacé du chef-d’œuvre de Dieu dans le poète. Or, pour rester dans l’ordre littéraire, qui oserait dire que le dix-neuvième siècle n’est pas arrivé à l’heure de l’abaissement dans l’Idéal ? […] Et si les hommes à regarder font trop de peine, regardez les choses, et dites, entre le Réalisme en art et en littérature et le Positivisme en philosophie, si l’Idéal peut encore tomber ! […] à ce cruel moment, s’il naît dans le sang versé de son cœur, car c’est là toujours que les poètes naissent, une fragilité comme un poète élégiaque, une créature de bonté, de simplicité, de tendresse, doit-on s’étonner que son talent s’altère dans ce milieu qui pèse de toutes parts sur son inspiration première, et peut-on croire que cette fragilité inouïe puisse un jour, grâce aux conseils de la Critique, s’arracher à ce joug de l’Idéal abaissé ?

45. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Duranty » pp. 228-238

Le sien et le leur manquent également de transparence, de couleurs fondues et de souffles dans la lumière ; et voilà comme tous trois ils portent jusque sur leur style, qui est pourtant le meilleur d’eux-mêmes, la peine d’avoir méprisé l’idéal. […] Duranty est de méconnaître l’idéal. Son réalisme n’est rien autre chose que le mépris naturel de l’idéal, auquel la réflexion a ajouté le sien, dans l’impudence d’une théorie. […] On peut y reconnaître la dernière lie de cet esprit gaulois, déjà entaché de grossièreté vulgaire dans son plus beau temps, de cet esprit sensé et ironique qui s’étend, croit-il, à la pratique de la vie, et dont Molière fut la coupe pleine et Béranger la dernière gouttelette, car La Fontaine eut beau être Gaulois, il aima l’idéal, le divin bonhomme, et plus que Louis Tieck, il a du bleu autour de la pensée. […] Tout a croulé de ce livre frappé dans la seule beauté qu’il pût avoir ; et lorsque je me suis demandé l’explication de cette bévue esthétique dans un homme dont j’affirme aujourd’hui le talent comme écrivain et comme observateur, il a bien fallu me répondre par le réaliste, le réaliste qui se détourne systématiquement de l’idéal !

46. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXIII » pp. 244-246

On se demande quelle est cette Éva à qui l’on écrit une lettre ; ce n’est donc pas, comme il semblerait, une Muse et un pur idéal. Mais, si ce n’est pas la Muse même, il est peu idéal de vouloir aller avec elle dans cette Maison du Berger où il est dit qu’on ne peut se tenir debout42 et où d’autres détails peu platoniques sont légèrement sous-entendus. […] On se demande quand on a lu ce poëme, comme au reste après avoir lu presque tous ceux de M. de Vigny : Est-ce idéal ?

47. (1904) En méthode à l’œuvre

La Matière est « une » primordialement, d’une unité amorphe et in-sciente, si nous la prenions, un instant idéal, en son éternité où l’une de l’autre l’Origine et la Fin sont en virtuelle puissance. […] Quand, d’autre part, elle s’étend à l’idéal évoluant d’individualités qui ne sauraient que les entraves dont une évoluante Science redevenue sacrée et providentielle, et peut-être occulte, ne les délierait encore, — mais soumises, en le plus ou moins de savoir et de conscience qui est leur récompense et vers quoi toutes tendent leur entendement, aux lois éthiques déduites des lois naturelles. […] Ou, de passages réitérés, intervertis, harmoniquement ou inharmoniquement distants, de tous leurs points sonnants, — à toutes hauteurs et à tous mouvements de succession, en étendue et en directions diverses, ils exprimeront un idéal ondulement de la pensée et de la parole qui participera des ondes de l’univers : du valonnement des horizons et de l’ondulation des mers et du vent, aux pulsations des éphémères et de notre sang et de notre âme ! […] Et, que s’en souvienne la voix savante, savante instrumentalement du Lecteur, — qui, lui qui sait vraiment lire, tout haut et en toutes les valeurs sonores et idéales que nous aurons voulues, interprétera l’Œuvre. […] de l’idéal dessin d’ellipses nous tracent le devoir du plus-de-Volonté, les impavides et douces Forces… Et, — laissez-moi rêver !

48. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Don Quichotte (suite.) »

On croirait qu’il a pensé au poème du Tasse, s’il n’ajoutait expressément que cette épopée, qui réunirait tant d’avantages et qui atteindrait à la perfection, serait en prose : « car l’épopée, dit-il, peut aussi bien s’écrire en prose qu’en vers. » Cervantes, par la bouche de son chanoine, a proposé là l’idée d’une sorte de Télémaque de la chevalerie, et on a quelque raison de croire qu’en composant son dernier ouvrage posthume, celui qui suivit Don Quichotte, son Persilès et Sigismonde, il s’était flatté de réaliser en grande partie cet idéal. […] Revenant sur le parallèle avec Berlichingen, ce représentant de l’époque féodale, il marque les rapports et les différences ; Don Quichotte, selon lui, est bien autre chose ; « il ne doit pas seulement représenter une époque, c’est un caractère, c’est le type de l’idéal à toutes les époques : « Dans quelque siècle que vous le placiez, enseigne le livre, l’homme qui asservira sa conduite aux lois d’un idéal absolu ne pourra que contraster, que grimacer avec la réalité, et ce contraste ne manquera pas d’engendrer le comique… « Et qu’était-ce que Cervantes lui-même, à le bien prendre, se demande le critique, qu’était-il, sinon un Don Quichotte ? […] Il se retrouve, en effet, plus ou moins en chacun de cette alliance boiteuse de l’idéal exalté et du bon sens positif et terre à terre. […] Je trouve dans un livre récent, mélange de lumière et d’ombre, cette page charmante sur Cervantes qui y est classé parmi les premiers génies ; « L’Idéal est chez Cervantes comme chez Dante ; mais traité d’impossible, et raillé. […] Railler l’idéal, ce serait là le défaut de Cervantes ; mais ce défaut n’est qu’apparent ; regardez bien : ce sourire a une larme ; en réalité, Cervantes est pour Don Quichotte comme Molière est pour Alceste.

49. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre I. Les origines du dix-huitième siècle — Chapitre I. Vue générale »

Elle ne consent pas non plus à rendre des arrêts en théorie, pour les voir annulés dans la pratique : elle prononce a priori, et veut que sa vue idéale des choses détermine la réalité. […] On croit bonnement que la société peut se refaire par une simple opération de raisonnement, et que les faits se mettront tout seuls d’accord avec les vérités idéales. […] Le malheur fut que les sciences mathématiques étaient incomparablement plus avancées que les sciences physiques et naturelles ; et ce furent les premières qui imposèrent leur méthode à l’étude de l’humanité, comme si elle eût été un objet idéal. […] Elle n’a plus couleur ni son ; il ne subsiste plus que le mouvement, un mouvement abstrait et comme idéal. […] Il ne regarde que l’homme idéal, la définition de l’homme : mais cet homme en soi n’est pas Français plutôt qu’Allemand : il est Européen, il est partout où il y a des hommes ; et toutes les vérités que conçoit la raison d’un homme sont faites pour cet homme universel.

50. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Mm. Jules et Edmond de Goncourt. » pp. 189-201

Ils en avaient le droit… Seulement il faut porter dans les sujets bas des facultés d’autant plus hautes qu’ils sont plus bas, et que l’idéal dans le laid et dans le mauvais est aussi difficile à atteindre que dans le beau et dans le bon, et peut-être qu’il l’est beaucoup plus. II Est-ce cet idéal que MM. de Goncourt ont atteint ? […] Comparez-les à toute cette société puissante, idéale et réelle de Balzac, et réelle au même degré qu’idéale, quoique l’idéal dans Balzac atteigne à une telle élévation ou à une telle profondeur que les imaginations qui ne peuvent le suivre l’accusent de manquer de réalité !

51. (1864) William Shakespeare « Deuxième partie — Livre VI. Le beau serviteur du vrai »

en voici : l’idéal. […] Parlez-lui donc de l’art pour l’art, à ce cénobite de l’idéal. […] Les forces isolées s’annulent, l’idéal et le réel sont solidaires. […] Selon eux, l’idéal peut gauchir dans trop de contact avec la réalité. […] Le devoir a une sévère ressemblance avec l’idéal.

52. (1890) L’avenir de la science « VII »

VII De même qu’au sein des religions une foule d’hommes manient les choses sacrées sans en avoir le sens élevé et sans y voir autre chose qu’une manipulation vulgaire ; de même, dans le champ de la science, des travailleurs, fort estimables d’ailleurs, sont souvent complètement dépourvus du sentiment de leur œuvre et de sa valeur idéale. […] Soyons donc vrais, au nom de Dieu, vrais comme Thalès quand, de sa propre initiative et par besoin intime, il se mit à spéculer sur la nature ; vrais comme Socrate, vrais comme Jésus, vrais comme saint Paul, vrais comme tous ces grands hommes que l’idéal a possédés et entraînés après lui ! […] Comment se mettre soi-même au rebut, accepter un rôle de parade, quand la vie est si courte, quand rien ne peut réparer la perte des moments qu’on n’a point donnés aux délices de l’idéal ? […] Il est même bien rare qu’à l’exercice le plus élevé de la raison ne se mêle un peu de ce plaisir, qui, pour n’avoir aucune valeur idéale, n’en est pas moins utile.

53. (1890) L’avenir de la science « A. M. Eugène Burnouf. Membre de l’Institut, professeur au Collège de France. »

J’ai pensé toutefois que quelques jeunes âmes, amoureuses du beau et du vrai, trouveraient dans cette confidence consolation et appui, au milieu des luttes que doit livrer à un certain âge tout esprit distingué pour découvrir et se formuler l’idéal de sa vie. […] Dans mes défaillances intérieures, toutes les fois que mon idéal scientifique a semblé s’obscurcir, en pensant à vous j’ai vu se dissiper tous les nuages, vous avez été la réponse à tous mes doutes. C’est votre image que j’ai eue sans cesse devant les yeux, quand j’ai cherché à exprimer l’idéal élevé où la vie est conçue non comme un rôle et une intrigue, mais comme une chose sérieuse et vraie.

54. (1921) Enquête sur la critique (Les Marges)

2º Quel est votre idéal de la critique ? […] — Le critique idéal est fait d’intelligence, de pénétration, de sensibilité, de culture et de raison. […] 2º Un idéal : la critique doit être une poésie. […] 2. — Mon idéal de la critique ! […] Quel est votre idéal de la critique ?

55. (1884) L’art de la mise en scène. Essai d’esthétique théâtrale

On peut dire que la mise en scène est l’épanouissement, rendu visible, d’un germe idéal. […] L’idéal pour un directeur, serait de n’avoir à monter que des pièces qu’on pût représenter dans un décor banal. […] Ce n’est pas la réalité cependant qui a changé, mais l’image idéale qu’en possède l’esprit des spectateurs. […] Au théâtre, l’artiste vise un but moins élevé ; il a mis l’idéal à sa portée. […] Cette nécessité théâtrale sera pour l’école réaliste un retour forcé à l’idéal.

56. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre VII. Le Fils. — Gusman. »

Il règne ici un idéal de vérité au-dessus de tout idéal poétique. Quand nous disons un idéal de vérité, ce n’est point une exagération ; on sait que ces vers : Des dieux que nous servons connais la différence, etc., sont les paroles mêmes de François de Guise25.

57. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre huitième. L’introduction des idées philosophiques et sociales dans la poésie (suite). Victor Hugo »

Les frottements de la machine, c’est là ce que nous nommons le mal, « démenti latent à l’ordre divin, blasphème implicite du fait rebelle à l’idéal. […] On pourrait renverser l’ordre d’affirmation : l’idéal avant le réel. […] ô idéal ! […] » Mais l’idéal infini que l’homme conçoit a-t-il une existence réelle, en dehors de notre esprit ? […] Il faut que l’idéal soit respirable… C’est l’idéal qui a le droit de dire : Prenez, ceci est ma chair, ceci est mon sang.

58. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Première partie. — L’école dogmatique — Chapitre premier. — Une leçon sur la comédie. Essai d’un élève de William Schlegel » pp. 25-96

Il serait assurément fort injuste de juger Plaute, Térence, Molière, en un mot l’école de Ménandre, en prenant pour mesure et pour terme de comparaison les poétiques merveilles d’Aristophane et le vieil idéal comique disparu ; il faut juger les poètes de la comédie nouvelle d’après un idéal nouveau. […] Mais les caricatures grotesques ont bien plus d’expression et de vérité idéale que les portraits les plus fidèlement exécutés42. […] Si l’idéal de la tragédie consiste dans l’asservissement de l’être sensuel à l’être moral, l’idéal de la comédie doit nécessairement nous montrer l’inverse ; l’asservissement de l’être moral à l’être matériel63. […] La paresse, la luxure, la gourmandise, surtout un certain degré d’ivresse, voilà ce qui met la nature humaine dans l’état de l’idéal comique65. […] Les images idéales et les caricatures grotesques ne prétendent dans la poésie à aucune autre vérité qu’à celle de l’expression.

59. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Ch.-L. Livet »

… Ou il doit recommencer sérieusement, ce qui ne manquerait pas de hardiesse, la comédie de Molière, cette comédie des Précieuses, qui n’a point passé comme le temps qu’elle a peint, et dans laquelle tout est resté aussi vrai et aussi réel que cet éternel bonhomme que Molière met partout, ce Gorgibus qui est Chrysale ailleurs, et Orgon, et même Sganarelle ; car Sganarelle, c’est Gorgibus avec quelques années de moins et une… circonstance de plus ; ou bien — ce qui serait beaucoup plus crâne encore — il doit être, ce livre, la défense enfin arborée des Madelon et des Cathos contre les moqueries de Molière, la négation des ridicules mortels qu’il leur a prêtés, et la cause épousée par un spiritualiste du xixe  siècle de ces idéales méconnues qui tendaient à s’élever au dernier bien des choses, et voulaient des sentiments, des mœurs et une langue où tout fût azur, où tout fût éther ! […] Il roule aussi l’idéal (l’idéal ! […] C’était la marquise de Rambouillet, Catherine de Vivonne, qui massa autour de sa jupe les beaux esprits du temps et régna dans cet empire de l’idéal, sous l’anagramme d’Arthénice. […] Aristocratiques ou bourgeoises, provinciales ou citadines, selon la distinction de Livet, ces idéales de travers, ces bons sens renversés comme leurs noms, dont elles faisaient des anagrammes, ces précieuses enfin de l’hôtel de Rambouillet ou d’ailleurs, ne méritaient pas vraiment l’honneur d’une histoire.

60. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « La Fontaine »

Ce don exquis de la bonhomie dans l’Idéal, où elle n’est pas d’ordinaire, et sans que l’Idéal en soit diminué, est si frappant dans La Fontaine que tout le monde, et non pas seulement la Critique, lui a spontanément donné le nom de bonhomme, qui a remplacé son nom. […] Mais le désir, le terrible désir secoua-t-il jamais cette nature idéale et rêveuse ? […] La Fontaine est souverainement idéal et bonhomme. […] pas bonhomme, mais un diable d’homme, si on veut, et son idéal, niaisement philosophique et vertueux, La Fontaine n’y pensait pas.

61. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Gogol. » pp. 367-380

Ernest Charrière, qui nous avait déjà traduit, et très-souplement, les Mémoires d’un seigneur russe, par Tourgueniev, nous assure que cet impitoyable réaliste de Gogol, qui n’a que le nom de barbare, a débuté par le plus pur idéal dans sa vie littéraire. […] Seulement, si l’auteur des Ames mortes, qui est l’idéal mort, l’a eu, ce sentiment de l’idéal, il l’a éteint en lui, comme on souffle un flambeau, et je défie bien, quand on lit son livre, qu’on puisse dire qu’il l’eut autrefois. […] S’il avait éclaté d’idéal, s’il avait porté cette marque brillante et délicate du génie, il attendrait probablement encore, obscur et dédaigné, sa pauvre heure de gloire (Milton, hélas ! […] Certes, on peut concevoir que, dans un but de moralité supérieure, un génie misanthropique ou indigné prenne un coquin pour héros de son livre et en dévoile l’idéal affreux, comme Vautrin, ou la réalité immensément comique, comme Panurge, mais pour cela il faut savoir individualiser.

62. (1901) L’imagination de l’artiste pp. 1-286

Ils ont un idéal. […] Le mot d’idéal sonne mal à leurs oreilles. […] Et ce sera notre idéal. […] Mais que ce mot d’idéal ne nous trompe pas. […] Est-elle votre idéal même ?

63. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — P — Pottecher, Maurice (1867-1960) »

La Peine de l’esprit, c’est notre histoire à tous, l’histoire de l’homme entre les séductions de l’idéal et les attractions de la réalité. […] Cette conception, assez nettement suivie, donne matière à des contrastes entre l’idéal et la réalité qui soutiennent l’intérêt. […] La partie burlesque est la meilleure, parce que nous sommes très enclins à rêver l’idéal et très impuissants, d’ordinaire, à le réaliser.

64. (1899) Préfaces. — Les poètes contemporains. — Discours sur Victor Hugo pp. 215-309

L’un a été la révélation primitive de l’idéal contenu dans la nature extérieure ; l’autre en a été l’étude raisonnée et l’exposition lumineuse. […] Il tente, après trois cents ans d’efforts, de réaliser l’idéal platonicien, et l’esclavage va disparaître enfin de la terre. […] Les figures idéales, typiques, que celui-ci a conçues, ne seront jamais ni surpassées ni oubliées. […] Elle n’est le symbole spécial d’aucune des forces féminines ; et, certes, il n’en est pas ainsi de l’Hélène d’Homère, à la fois si vivante et si idéale. […] Toute sa puissance génératrice s’est manifestée en des œuvres qu’il estime parfaites ; il possède l’idéal et ne peut plus que décroître.

65. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre I. Renaissance et Réforme avant 1535 — Chapitre I. Vue générale du seizième siècle »

Dans ce cadre charmant, elle posait l’idéal de l’homme complet : le corps souple, robuste, gracieux, amené à la perfection de sa force et de sa forme, non plus instrument vil et méprisé, mais valant par soi, ayant droit à l’entière réalisation de ses fins propres et particulières, droit d’être et de jouir le plus possible ; l’âme parfaite aussi en son développement, enrichie de tous les modes d’existence qu’il lui est donné de posséder, s’épanouissant avec aisance dans sa triple puissance d’agir, de comprendre et de sentir. Rompant tous ses liens, rejetant la gêne de la loi morale, l’oppression des préjugés et des respects traditionnels, l’individu tend à être le plus longtemps possible : il affirme que sa valeur est en lui, et de lui ; le mérite seul inégalise l’égalité naturelle des hommes ; l’idée de la gloire raffine l’égoïsme instinctif, et fournit un principe d’action suffisamment revêtu de beauté ; par elle, l’individu emploie sa vie à se créer une vie idéale après la mort, plus prochaine et plus humaine en quelque sorte que l’éternité promise au juste chrétien. […] Marguerite elle-même unit la poésie, le mysticisme, l’humanisme, le zèle de la morale ; on sent dans cette période comme un effort pour réaliser l’idéal italien de l’homme complet, dont le libre développement physique et moral ne souffre point de restriction et de limites. […] Même dans la libre philosophie, dans Rabelais, comme plus tard dans Montaigne, rétablissement d’un idéal de la vie pratique devient la fin principale que poursuit la raison. […] Dès le temps des luttes, un grand esprit qui s’est tenu à l’écart des luttes a inarqué le but ; éclairé par le Plutarque d’Amyot, Montaigne fixe à la littérature son domaine, la description de l’homme moral ; très positif sous son apparent scepticisme, il exclut à la fois de son idéal l’érudition encyclopédique et l’indifférence morale, et ramène le type italien de l’homme complet au type plus réduit et plus solide de l’honnête homme.

66. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Nicolas Gogol »

Ernest Charrière, qui nous avait déjà traduit, et très souplement, les Mémoires d’un seigneur russe, par Tourgueneff, nous assure que cet impitoyable réaliste de Gogol, qui n’a que le nom de barbare, a débuté par le plus pur idéal dans sa vie littéraire. […] Seulement, si l’auteur des Âmes mortes, qui est l’idéal mort, l’a eu, ce sentiment de l’idéal, il l’a éteint en lui comme on souffle un flambeau, et je défie bien, quand on lit son livre, qu’on puisse dire qu’il l’eut autrefois. […] S’il avait éclaté d’idéal, s’il avait porté cette marque brillante et délicate du Génie, il attendrait probablement encore, obscur et dédaigné, sa pauvre heure de gloire (Milton, hélas ! […] on peut concevoir que, dans un but de moralité supérieure, un génie misanthropique ou indigné prenne un coquin pour héros de son livre et en dévoile l’idéal affreux, comme Vautrin, ou la réalité immensément comique, comme Panurge, mais pour cela il faut savoir individualiser.

67. (1932) Les idées politiques de la France

Le parti radical a un idéal : la séparation de l’Église et de l’État !  […] le radicalisme a un idéal, l’école unique !  […] L’idéal socialiste puise même sa force dans le même principe que l’idéal chrétien. […] Non seulement le socialisme a un idéal, comme disait Barrès. Mais il est surtout cet idéal, il fonctionne comme idéal, comme pointe de l’aile marchante.

68. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXVIIe entretien. Phidias, par Louis de Ronchaud (2e partie) » pp. 241-331

Le saint est l’idéal du christianisme, parce que la sainteté est le beau dans l’âme ! Le beau dans les formes était l’idéal du paganisme, parce que le paganisme s’arrêtait aux surfaces et ne voyait rien au-dessus de la beauté. […] Phidias en est le révélateur, et notre poète Ronchaud en est le traducteur en langue vulgaire, mais en langue idéale : il fallait un poète pour traduire ainsi Phidias ! […] il n’y est pas ; le vulgaire triomphe, et triomphe toujours de l’idéal : l’idéal est divin ! […] Mais, s’il a trouvé la vie dans l’indépendance, il est resté loin encore de l’idéal.

69. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Questions d’art et de morale, par M. Victor de Laprade » pp. 3-21

. — Mais c’est qu’il est pour l’idéal, M. de Laprade ! […] Ô vous tous, amis de l’idéal, je ne me ferai pas de querelle avec vous ; j’accorde qu’il y a un idéal ; mais, admettez aussi qu’il y en a un vrai et un faux ; et si jamais vous rencontrez un idéal, ou soi-disant tel, froid, monotone, triste, incolore sous air de noblesse, vaporeux, compassé, insipide, non pas brillant et varié comme le marbre, mais blanc comme le plâtre, non pas puissant et chaud comme aux jours de la florissante Grèce, quand le sang à flots de pourpre enflait les veines des demi-dieux et des héros, quand les gouttes d’un sang ambrosien coulaient dans les veines même des déesses, mais pâle, exsangue, mortifié comme en carême, s’interdisant les sources fécondes, vivant d’abstractions pures, rhumatisant de la tête aux pieds, imprégné, imbibé d’ennui, oh ! […] M. de Laprade ne réalise certainement pas cet idéal, et l’on trouverait même chez lui des pages où il a l’air de le répudier ; mais il y fait songer, et c’est trop. […] que son idéal à lui n’y ressemble pas !

70. (1861) Questions d’art et de morale pp. 1-449

Dans toute religion la loi du fidèle, son idéal, c’est l’imitation du dieu. […] La vraie réalité pour l’art, le type de ses représentations, c’est donc l’idéal. […] Sans doute, auprès de l’idéal chrétien tout n’est que grossièreté dans les mœurs antiques ; mais chez quel peuple et dans quel temps trouvez-vous jusqu’à ce jour la pratique de l’idéal chrétien ? […] L’âme a aussi pour communiquer avec l’invisible, avec l’idéal, plusieurs facultés, plusieurs sens. […] Au-dessus de la tradition, au-dessus de la nature, elles placèrent le culte de l’idéal, du beau rationnel ; et l’idéal ne se manifeste qu’aux esprits sérieux, sincères, respectueux.

71. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre cinquième. Le réalisme. — Le trivialisme et les moyens d’y échapper. »

L’idéal et le possible sont le domaine des rêves les plus multiformes. […] L’idéal ne vaut même, dans l’art, qu’autant qu’il est déjà réel, qu’il devient et se fait : le possible n’est que le réel en travail ; or il n’y a pas d’idéal en dehors du possible. L’idéal, ainsi que l’ajoute Amiel, est la voix qui dit « Non !  […] La tendance, et aussi l’écueil du réalisme, c’est l’idéal quantitatif substitué à l’idéal qualitatif, l’énorme remplaçant le correct et la beauté ordonnée. […] Seulement, ne confondons pas un moyen avec un but, et ne donnons pas pour but à l’art un idéal quantitatif.

72. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 août 1885. »

Telles, les pensées qui me revinrent, lorsque j’eus lu l’effarant poème en prose d’Akedysseril, — une histoire simple, très humaine et philosophique, une œuvre de Réel Rêve comme Tristan, — et qu’il faut, ici, saluer, œuvre Wagnérienne, — non que l’auteur ait songé, l’écrivant, un rapport aux poèmes de Wagner, — mais parce que, suivant, consciemment ou inconsciemment, la voie ouverte par notre Maître, — le comte de Villiers de l’Isle-Adam, en cette éblouissante merveille, nous a donné les émotions d’apparitions et de musiques mystiquement idéales, et vraies, par lui vécues. […] À défaut d’une acuité de regard qui n’eût été la cause que d’un suicide stérile, si vivace abonda l’étrange don d’assimilation de ce créateur quand même, que des deux éléments de beauté qui s’excluent ou, tout au moins, l’un l’autre s’ignorent, le drame personnel et la musique idéale, il effectua l’hymen. […] Il ouvre, cet incontestable portique, en des temps de jubilé qui ne le sont pour aucun peuple, une hospitalité contre l’insuffisance de soi et la médiocrité des patries : il exalte des fervents jusqu’à la certitude : pour eux ce n’est pas l’étape la plus grande jamais ordonnée par un signe humain, qu’ils parcourent, avec toi pour conducteur, mais comme le voyage fini de l’humanité vers un Idéal. […] Les idées d’Opéra et drame se trouvent en germe dans des écrits bien antérieurs, et Tristan et Yseult n’est en somme que la réalisation d’un idéal dès longtemps entrevu. » Puis, successivement, il rapproche des théories Wagnériennes les théories des esthéticiens allemands, touchant 1° l’union de la poésie et de la musique ; 2° le mythe ; 3° le symbolisme et la portée populaire de l’œuvre d’art ; 4° les rapports de la religion et de l’art. […] Faire une œuvre d’art complète, qui soit une œuvre sacrée s’adressant à un peuple idéal de Voyants.

73. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 juin 1885. »

Aussi Beethoven a-t-il suivi la route de Haydn ; il a pris des motifs de danse populaires ; mais au lieu de les faire servir pour la distraction d’une table princière, il les a joués — dans un sens idéal — au peuple lui-même. […] Mais il s’agissait de trouver le type premier de l’Innocence, l’Homme Bon idéal de sa foi, pour l’unir avec cette autre croyance de Beethoven : « Dieu est l’amour ». […] Déjà, dans cette œuvre, le pathos lyrique cède la place à un développement dramatique idéal plus défini ; la conception musicale ne va-t-elle pas sur cette voie, être détournée de sa pureté première, devenant dépendante de représentations complètement étrangères, en soi, au génie de la musique ? […] Mais, d’autre part, il n’est pas contestable que le maître fut conduit dans cette voie, non par une spéculation esthétique erronée, mais, seulement, par un instinct pleinement idéal et issu en lui du service même de la musique. […] À Bayreuth, nous voyons « l’ideé même de l’Art, en sa réalisation idéale. » X : Le style de Bayreuth. — Nous entendons par style « la conformité absolue entre le contenu et la forme, et, de plus, la concordance, également absolue, des divers éléments expressifs, par lesquels le contenu manifeste sa forme ». — La Musique : la forme (dans le drame musical) est le Motif, simple, incomparablement suggestif, plastique ; le Motif agit comme la force vitale, intime, d’une forme idéale déterminée ; « ici, le contenu et la forme sont identiques ». — Le Drame : la forme est la Parole chantée ; cette parole chantée est le trait d’union : « par elle, l’essence idéale de la Musique, qui avait pris forme dans le motif, devient un fait dramatique, tandis que le Drame pénètre, comme élément actif, dans le domaine de l’Idéal ».

74. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre sixième. Genèse et action des idées de réalité en soi, d’absolu, d’infini et de perfection »

Tel est le problème qui se pose aux limites idéales de notre science. […] Il faut donc qu’il y ait en nous, avant toute expérience, « une idée de ce qui doit être, un être idéal, comme le voulait Platon, qui est pour nous le type et la mesure de l’être réel. » C’est cette idée qui est, et qui seule peut être « le sujet de la connaissance, car elle n’est point une chose, mais la vérité a priori de toutes choses ; et la connaissance n’est que la conscience que cette vérité idéale prend d’elle-même, en se reconnaissant dans les choses qui la réalisent145 ». […] En combinant les diverses qualités ou biens que nous connaissons par expérience et en les supposant élevés à l’infini, nous construisons l’idée d’un être parfait, d’un suprême idéal qui serait en même temps une suprême réalité. […] Nous avons donc, à la limite, une unité idéale, comme celle du centre où convergent les rayons d’une sphère. […] De ce que nous concevons des cercles parfaits, des triangles parfaits, etc., Platon concluait, lui aussi, à l’existence éternelle du cercle idéal, du triangle idéal.

75. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XX. Le Dante, poëte lyrique. »

Jamais la pensée humaine n’osa si prodigieuse invention, et ce qui en est le défaut en est aussi la merveille : je veux dire la longueur de cette invention et l’inépuisable emploi de la même pensée, l’idéal de la grandeur divine et l’idéal de l’amour humain. […] Ce n’est pas en effet une seule imagination humaine, quelque riche qu’on la suppose, qui a pu construire ces idéales hiérarchies de douleurs, d’expiations et de béatitudes, où se complaît le poëte de la Divine Comédie ; c’est la pensée chrétienne qui travaillait, depuis des siècles, sur quelques versets de l’Évangile, sur quelques cantiques d’Isaïe ou de saint Jean. […] » De cette naïve abondance d’images et de prières redites par un peuple, à la voix d’un saint homme, la poésie allait monter aux cieux mystiques du Dante, à ce monde idéal tout parsemé de splendeurs, tout retentissant de voix célestes, mais où les merveilles de l’esprit dominent toujours celles de la matière. […] L’écueil ne se rencontrera que dans la grandeur continue de la fiction, dans cette élévation tout idéale rêvée si longtemps, dans cette uniformité d’éblouissement et d’enthousiasme. […] De ce contraste même entre le poëme et l’homme, entre les contemplations de la pensée religieuse et les épreuves de la vie soufferte, de ce contraste sort le pathétique humain qui se mêle à cet idéal.

76. (1888) La critique scientifique « La critique scientifique — Analyse psychologique »

— Dans le chapitre précédent, nous avons considéré l’œuvre d’art dans ses effets sur un appréciateur idéal, et dans la cause prochaine de ces effets. […] Il écrira, il peindra, il composera, comme le lui permettront ses facultés acquises et naturelles, comme le lui commanderont ses désirs, son idéal ; c’est-à-dire que les caractères particuliers de son œuvre résulteront de certaines propriétés de son esprit. […] L’idéal est donc simplement l’expression rendue consciente par une image — des facultés mêmes qui forment le fond de l’esprit de l’artiste, et qui le définissent. […] Ces émotions ont été ou voulues consciemment et nourries par l’auteur, parce qu’elles lui paraissaient belles à connaître, conformes à son idéal et son tempérament, ou ressenties inconsciemment parce que l’auteur les éprouvait en écrivant et qu’elles se sont exprimées dans son œuvre comme dans un monologue. […] D’autre part, celui-ci réalise nécessairement dans son œuvre son idéal de beauté, et cherche à susciter certaines émotions esthétiques pures, auxquelles il sera légitime de le croire enclin.

77. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre premier. Des principes — Chapitre IV. De la méthode » pp. 81-92

De cette manière, la Science nouvelle trace le cercle éternel d’une histoire idéale, sur lequel tournent dans le temps les histoires de toutes les nations, avec leur naissance, leurs progrès, leur décadence et leur fin. Nous dirons plus : celui qui étudie la Science nouvelle, se raconte à lui-même cette histoire idéale, en ce sens que le monde social étant l’ouvrage de l’homme, et la manière dont il s’est formé devant, par conséquent, se retrouver dans les modifications de l’âme humaine, celui qui médite cette science s’en crée à lui-même le sujet. […] Ainsi la Science nouvelle procède précisément comme la géométrie, qui crée et contemple en même temps le monde idéal des grandeurs ; mais la Science nouvelle a d’autant plus de réalité que les lois qui régissent les affaires humaines en ont plus que les points, les lignes, les superficies et les figures. […] Ces traditions ayant été suivies si longtemps, et par des peuples entiers, doivent avoir eu un motif commun de vérité (axiome 16). 6º Les grands débris qui nous restent de l’antiquité, jusqu’ici inutiles à la science, parce qu’ils étaient négligés, mutilés, dispersés, reprennent leur éclat, leur place et leur ordre naturels. 7º Enfin tous les faits que nous raconte l’histoire certaine viennent se rattacher à ces antiquités expliquées par nous, comme à leurs causes naturelles. — Ces preuves philologiques nous font voir dans la réalité les choses que nous avons aperçues dans la méditation du monde idéal.

78. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « Une petite revue ésotérique » pp. 111-116

Léon Bazalgette recherchait les éléments constitutifs du mage, il notait qu’à mesure que l’idéal religieux de la masse s’amoindrit, celui de l’élite se concentre et s’élève, comme pour transmettre à la foi nouvelle, qui ne peut tarder, le trésor des traditions. […] Avec Épictète, l’idéal s’amoindrit tout en restant très haut. […] tous les grands éclaireurs, tous les grands inspirés : Ô figures dont la prunelle Est la vitre de l’idéal.

79. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre III. Des moyens de trouver la formule générale d’une époque » pp. 121-124

Cette universalité, même restreinte aux limites d’un seul pays, est un idéal à peu près inaccessible, comme tout idéal, mais, comme tout idéal aussi, utile pour guider les pas du chercheur, pour lui montrer le but lointain, dont il peut sans cesse approcher tout en désespérant de l’atteindre jamais complètement.

80. (1906) La rêverie esthétique. Essai sur la psychologie du poète

Comment discernerions-nous le caractère idéal et subjectif de ces représentations ? […] Dans l’existence la plus vulgaire il y a encore une place pour l’idéal. […] Mais on sait aussi combien cet idéal est opposé aux réelles tendances de l’art dramatique. […] De ce qu’un idéal est le nôtre, il ne s’ensuit pas qu’il soit le vrai. […] Ce n’est pas du tout l’idéal du poète.

81. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre sixième. Le roman psychologique et sociologique. »

Mais il ne suffit pas d’imaginer une expérience idéale ; il faut la réaliser objectivement pour vérifier l’idée préconçue. […] La question de l’idéal, scientifiquement, se réduirait, selon Zola, à la question « de l’indéterminé et du déterminé ». […] L’idéal n’est autre chose que la nature même considérée dans ses tendances supérieures ; l’idéal est le terme auquel l’évolution elle-même tend. […] Nous n’avons jamais chassé de l’homme ce que vous appelez l’idéal, et il est inutile de l’y faire rentrer. Puis, je serais plus à l’aise si vous vouliez remplacer ce mot d’idéal par celui d’hypothèse, qui en est l’équivalent scientifique.

82. (1887) Discours et conférences « Discours prononcé à Tréguier »

Avec le nécessaire et une petite part d’idéal, nous sommes heureux comme des rois. […] Dans un temps où le mal général est le dégoût de la vie, nous continuons à croire que la vie vaut la peine qu’on en poursuive le but idéal. […] Je songe souvent que c’est votre adhésion, en apparence tardive, qui donnera l’existence définitive à ces délicates choses que l’on perd par trop de zèle : un état légal, où l’ordre soit aussi assuré que la liberté ; un état social, où la justice ne soit pas trop violée ; un état religieux, qui donne à l’âme humaine son aliment idéal, sans contrainte officielle ni chimères superstitieuses.

83. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Introduction » pp. 2-6

Qu’il s’agisse de l’évolution politique, religieuse ou littéraire d’une nation, l’idéal pour quiconque veut la retracer est d’aboutir à des résultats certains et définitifs. […] que l’écart est profond entre l’idéal et la réalité ! […] Par quelle méthode peut-elle se rapprocher de cet idéal ?

84. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXVIe entretien. La passion désintéressée du beau dans la littérature et dans l’art. Phidias, par Louis de Ronchaud (1re partie) » pp. 177-240

La république était l’idéal du beau platonique en matière de gouvernement, elle était de plus, alors, l’apothéose de la liberté sans tache, l’épreuve à faire de la raison d’un grand peuple voulant se gouverner par lui-même, puisque tous ses gouvernements tombaient d’eux-mêmes sous leur propre poids. […] Il aurait été éloquent, il était sage de caractère, il serait mort en souriant pour son idéal, sûr de le retrouver réalisé au-delà de l’échafaud de madame Roland, de Vergniaud, d’André Chénier. […] Il jeta un voile sur sa vie : il se consacra exclusivement au beau métaphysique, à cette divinité de la beauté morale, artistique et virginale, qui n’apparaît que dans la spéculation de ses adorateurs, et dont la réalité toujours incomplète, agitée, décevante, ne dérange jamais ni un trait de visage, ni un pli de la robe sur la statue idéale de l’idéale beauté. […] les unes pures comme l’idéal, les autres descendant comme des étoiles trop près de terre, qui filent en s’éteignant dans nos horizons ? […] Ces lignes sont la métaphysique des édifices humains, nombres, géométrie, symétrie, décorations, tout cela construit en plus ou moins grande proportion, selon le génie de l’artiste, ce beau qui est l’idéal des yeux comme la musique est l’idéal de l’oreille, comme l’éloquence est l’idéal de la logique, comme la poésie est l’idéal de l’imagination et du sentiment.

85. (1926) La poésie de Stéphane Mallarmé. Étude littéraire

Une carrière de lettres présente un mélange complexe de l’idéal et du réel. […] que bien seul je m’offrais Pour triomphe la faute idéale de roses ! […] Il voit dans l’absence la somme des présences idéales, évoquées, pensées grâce au fait même qu’extérieurement elles ne sont pas. […] Il existe, lue ou non, une bibliothèque idéale, « richesse dont on se doute ». […] On en aura une idée nette en rapprochant en une idéale figure composite les trois qui suivent.

86. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [1] Rapport pp. -218

Quelle admirable vie, entièrement dédiée à la foi en l’idéal ! […] Jamais il n’a péché contre le rêve et l’idéal. […] Avec presque tout il a fait de l’idéal. […] Il a vengé l’idéal que ces bélîtres insultèrent. […] Il se produit, en la chimère de celui-ci, une matérialisation de l’idéal, sans que la hauteur ni la beauté de l’idéal en soient diminuées.

87. (1874) Premiers lundis. Tome II « Poésie — Alexandre Dumas. Mademoiselle de Belle-Isle. »

Sous la Restauration, l’idéal, c’est-à-dire ce qu’on n’avait pas, se reportait à la gloire de l’Empire et aux luttes de la Révolution ; depuis 1830, c’est-à-dire depuis que nous sommes devenus vainqueurs et glorieux apparemment, notre idéal se repose et semble être aux délices de Capoue, à ce bon xviiie  siècle d’avant la Révolution, que, dès Louis XIV jusqu’après Pompadour, nous confondons volontiers sous le nom de Régence. […] Janin qui y avait poussé plus que personne par ses réhabilitations sémillantes de Marivaux, de Crébillon fils, et qui ne perdait aucune occasion d’en rafraîchir l’idéal, étaient encore ce qu’on en retenait le plus. […] Ce que celle-ci ne prend guère la peine de dissimuler en air cru, dur et matériel, peut bien n’être pas très élevé et très idéal, mais ne sort pas de la comédie et rentre tout à fait dans la vérité.

88. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre II. Littérature bourgeoise — Chapitre I. Roman de Renart et Fabliaux »

D’autant que, par un effet de la nature même des choses, les sentiments et l’idéal bourgeois ne pouvaient qu’être et paraître une perpétuelle dérision de l’esprit aristocratique. […] La société d’animaux qu’on nous présente est, par hypothèse, tout idéale et toute fantaisiste : elle combine des actions et des formes propres à l’homme avec des actions et des formes propres aux bêtes. […] Ce goût pour les mœurs basses et les aventures triviales, avec l’absence ou la vulgarité de l’idéal moral, constitue en majeure partie le réalisme des Fabliaux. […] L’idéal exquis du genre pourrait être représenté par le Curé et le Mort de La Fontaine. Mais à l’ordinaire on est loin de cet idéal.

89. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — T — Tory, André »

Mais la vierge attendue ne sera jamais nôtre, car l’idéal qu’on touche ne serait plus un idéal, et la nature est clémente en ceci, qu’elle nous leurre d’espérance, sans permettre la possession qui nous tuerait l’espérance.

90. (1903) La renaissance classique pp. -

On y verra l’image ébauchée de cette vie « nouvelle », que la jeunesse littéraire d’aujourd’hui se propose de plus en plus comme idéal. […] Ils portaient en eux je ne sais quel idéal conventionnel, étriqué et mesquin, littéraire au mauvais sens du mot. […] Comme la réalité ne ressemblait point à cet idéal, ils se mirent en colère contre elle, ils l’injurièrent, et ils crachèrent dessus. […] L’idéal secret des romantiques, c’est le sauvage de Jean-Jacques, qui se retrouve d’ailleurs dans les Manfred, les Lara et les René. […] — il est encore de beaux fils de France, taillés pour la lutte et la volupté, qui sont avides de continuer la vie des ancêtres selon son idéal de gloire, de justice et de raison.

91. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre troisième »

L’idéal que nous cherchons dans la représentation d’événements tragiques, nos pères le cherchaient dans la mise en scène de l’histoire de leur foi. […] Jugeant l’art en homme de génie, et ses propres œuvres en honnête homme qui ne craint pas d’avouer en quoi il a failli à l’idéal, Corneille inventait à la fois l’œuvre et les perfectionnements. […] Le Cid est l’idéal de ceux qui peuvent faire des fautes sans souiller leur âme, et qui ne peuvent être vertueux que dans la mesure de la faiblesse humaine. […] De même que rien ne plaît plus à notre nation que l’idéal d’héroïsme qui brille dans ces pièces, rien n’effarouche plus sa délicatesse et son goût que l’inégalité dans les ouvrages de l’esprit. […] Il confondit les expédients avec l’art ; et cet homme qui avait réalisé dans le Cid et dans Polyeucte l’idéal de la tragédie, parut avoir perdu son propre secret.

92. (1878) La poésie scientifique au XIXe siècle. Revue des deux mondes pp. 511-537

À vrai dire, ce projet demeura pendant toute la vie de l’auteur de Faust, comme durant la courte vie d’André Chénier, placé devant ses yeux comme un idéal à réaliser. […] Il crée l’amour idéal, vainqueur de la mort même, il crée la science, il crée la justice, le dévoûment, le martyre ; il transforme la douleur même, la grande calomniée, et lui fait produire la dignité de l’homme, la perfection morale, la bonté ; c’est Le pire par le mieux sans cesse combattu. […] Elle ruse en nous et avec nous pour arriver à ses fins ; elle nous trompe nous-mêmes sur la sympathie, sur l’amour, qui au fond ne sont que l’égoïsme ; son art est de jeter sur ces instincts grossiers je ne sais quel voile d’idéal qui en cache la vulgarité. […] Avec elle naissent la responsabilité humaine, le progrès moral, la cité idéale gouvernée par la science et par l’amour. […] Tout change dans la seconde partie ; le cœur se réveille, la liberté se proclame, la justice retrouve ses titres, la sympathie s’éveille, et le progrès devient le terme idéal de la science unie à l’amour. — Pourquoi cela ?

93. (1856) Le réalisme : discussions esthétiques pp. 3-105

Notez que j’omets à dessein de parler de l’idéal. […] C’est ce qu’on nommé l’idéal. […] S’il entend par là l’art idéal, je suis fort de son avis, mais avec moins de regrets. […] Il vous faut absolument de l’idéal, mais dites-moi donc, je vous en prie, l’idéal de qui ? l’idéal de quoi ?

94. (1882) Types littéraires et fantaisies esthétiques pp. 3-340

Trois poètes qui cherchent quel est l’idéal humain et qui le placent également dans l’amour de la vérité, cela n’indique-t-il pas que cet idéal est une réalité en puissance, un fait qui demande à venir à l’existence ? […] Comme tout cet intérieur bourgeois décrit par Goethe est plein d’idéal ! […] n’est-elle pas l’idéal de la femme bourgeoise ? […] Le modèle le plus parfait de l’idéal classique a été créé avec ce limon primitif. […] L’idéal !

95. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre V. Le Bovarysme des collectivités : sa forme idéologique »

Elle s’exprime en l’idéal humanitaire, succédané de la fraternité chrétienne et qui se donne pour une vérité d’ordre général. […] Amalgame du renoncement évangélique et des modes d’activité où le génie anglo-saxon excelle, l’idéal humanitaire tel qu’il nous est offert sournoisement, sous le masque d’une vérité de raison, ne peut exercer sur nous que son action évangélique et déprimante. […] L’idéal humanitaire, attitude d’utilité anglo-saxonne, s’efforce d’établir la supériorité des buts économiques et commerciaux sur les visées de suprématie guerrière, sur le goût abstrait de prévaloir, excitant naturel de l’énergie française. Ainsi il développe chez nous un idéal pacifique et risque de nous rendre impropres à la guerre, tandis qu’il ne parvient pas à augmenter notre avidité commerciale. […] L’idéal humanitaire et cosmopolite est donc bien une attitude d’utilité propre au groupe des nouveau-venus dans tout état organisé : c’est bien dans cet intérêt positif et particulier qu’il puise sa réalité, qu’il cache et nourrit ses racines pour ne montrer que sa fleur idéologique.

96. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — V — Vérola, Paul (1863-1931) »

. — L’École de l’idéal, trois actes, en vers (1890). — Rama, trois actes, en vers (1898). […] Maints passages de l’École de l’idéal et la plupart des poèmes des Horizons m’avaient déjà incité à dire, ici et ailleurs, que la langue et le talent de M. 

97. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Des avantages attachés à la profession de révolutionnaire. » pp. 200-207

En pratique, il croit que l’obstacle à la réalisation de cet idéal est, non point dans la nature humaine elle-même, partout mauvaise ou fort mêlée, mais dans l’égoïsme, la dureté, la cupidité, les vices, les crimes volontaires et prémédités d’une seule classe sociale. — Comme les héros des chansons de gestes voyaient le monde divisé en deux camps : les chrétiens, qui sont les bons, et les païens, qui sont les méchants ; ou comme saint Ignace, dans un de ses « exercices », partage l’humanité en deux armées : celle du bien et celle du mal, ou celle des amis des Jésuites et celle de leurs ennemis, ainsi pour l’esprit révolutionnaire la nation se divise exactement en prolétaires et en bourgeois. […] Que son idéal social, prêché d’une certaine façon aux intéressés, ne caresse en réalité que leurs instincts et leurs appétits et les pousse à des révoltes qui, même justes à l’origine, se corrompent chemin faisant, leur deviennent rapidement désastreuses et les laissent à la fois moins bons et plus misérables, l’esprit révolutionnaire n’en a point souci. […] Tout en présentant au prolétariat un idéal qui ne saurait être atteint que par le sacrifice volontaire et le progrès moral de chacun et de tous, ils n’exigent point de leurs clients ce perfectionnement intérieur et, bien entendu, ne s’y obligent point eux-mêmes.

98. (1889) La littérature de Tout à l’heure pp. -383

… Le Beau, est-ce l’Idéal ? […] Mais des yeux bien ouverts n’hésiteront pas longtemps, je pense, à distinguer, d’une part, ce qui dans les œuvres de ces trois Maîtres ment glorieusement à l’idéal public — (cet idéal qui triomphe, « raffiné », dans les livres de MM.  […] Les Réalités idéales, c’est-à-dire : Dieu, le Monde, l’Âme humaine. […] Elle était sans verbe ni sentiment, sans rhythme ni rime, une chose morte et sans nom, un idéal perdu. […] Il songea au mot propre, idéal illusoire, mais utile.

99. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Les frères Le Nain, peintres sous Louis XIII, par M. Champfleury »

A la manière dont il en parle d’abord et dont il les envisage, il est évident qu’il a vu en eux, qu’il a rencontré ou transporté en leur image et sous leurs traits comme un idéal de ses qualités et de ses défauts : tant il est vrai que l’idéal est aussi un produit de nature, et que ceux même qui s’en passent le mieux dans la pratique journalière le mettent quelque part en dehors et au-dessus d’eux ! Les frères Le Nain, dans leur trinité un peu indécise, dans leur individualité complexe et un peu confuse, sont donc l’idéal de M.  […] Elle n’est pas la même, ajoute-t-il, mais elle part du même principe. » Poussin, dans le touchant ou le grave de ses scènes champêtres ou autres, introduisait un principe supérieur dont les Le Nain ne se doutèrent jamais, je veux dire l’idéal antique, le groupe composé avec harmonie et contraste, un type habituel de beauté romaine, un souvenir des jours d’Évandre et de l’Arcardie : la réalité chez lui était commandée par une vue supérieure et une pensée. […] je laisse maintenant ces trouvailles à d’autres ; mais ce qui ne sera jamais démenti, c’est qu’ils étaient pleins de compassion pour les pauvres, qu’ils aimaient mieux les peindre que les puissants, qu’ils avaient pour les champs et les campagnards les aspirations de La Bruyère, qu’ils croyaient en leur art, qu’ils l’ont pratiqué avec conviction, qu’ils n’ont pas craint la bassesse du sujet, qu’ils ont trouvé l’homme en guenilles plus intéressant que les gens de cour avec leurs broderies, qu’ils ont obéi au sentiment intérieur qui les poussait, qu’ils ont fui l’enseignement académique pour mieux faire passer sur la toile leurs sensations : enfin, parce qu’ils ont été simples et naturels, après deux siècles ils sont restés et seront toujours trois grands peintres, les frères Le Nain. » J’honore le critique qui trouve de tels accents, et quand il aurait excédé un peu, comme c’est ici le cas, dans ses conjectures ou dans son admiration pour les trois frères indistinctement, il n’aurait fait que réparer envers ces bons et dignes peintres un long arriéré d’oubli et d’injustice, leur rendre avec usure ce que près de deux siècles leur avaient ôté ; il n’aurait pas fait d’eux un portrait faux, car il reconnaît et relève en toute rencontre leurs inégalités et leurs défectuosités originaires, il n’aurait donné en définitive qu’un portrait un peu idéal, ou du moins un portrait un peu plus grand que nature, un peu plus accusé et accentué de physionomie, mais toujours dans les lignes de la ressemblance et de l’individualité. […] Il te faut encore, et c’est là le plus beau triomphe, il te faut, tout en étant observée et respectée, je ne sais quoi qui t’accomplisse et qui t’achève, qui te rectifie sans te fausser, qui t’élève sans te faire perdre terre, qui te donne tout l’esprit que tu peux avoir sans cesser un moment de paraître naturelle, qui te laisse reconnaissable à tous, mais plus lumineuse que dans l’ordinaire de la vie, plus adorable et plus belle, — ce qu’on appelle l’idéal enfin.

100. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE SOUZA » pp. 42-61

Dans le roman d’Émilie et Alphonse, la duchesse de Candale, récemment mariée, écrit à son amie Mlle d’Astey : « Je me suis fait une petite retraite dans un des coins de ma chambre ; j’y ai placé une seule chaise, mon piano, ma harpe, quelques livres, une jolie table sur laquelle sont mes desseins et mon écritoire ; et là, je me suis tracé une sorte de cercle idéal qui me sépare du reste de l’appartement. […] Si on voulait franchir son cercle idéal, si on lui parlait politique, elle répondait que M. de Sénange avait eu une attaque de goutte, et qu’elle en était fort inquiète. […] Un jour pourtant, l’auteur, cédant à un mouvement de confiance qui lui faisait lever sa barrière idéale, proposa à un ami d’arranger une lecture devant un petit nombre de personnes : cette offre, jetée en avant, ne fut pas relevée ; on lui croyait sans peine un esprit agréable, mais non pas un talent d’écrivain. […] Heureux celui qui, puisant en lui-même ou autour de lui, et grâce à l’idéal ou grâce au souvenir, enfantera un être digne de la compagnie de ceux que j’ai nommés, ajoutera un frère ou une sœur inattendue à cette famille encore moins admirée que chérie ; il ne mourra pas tout entier ! […] Comme on était mariée au sortir du couvent, par pure convenance, il arrivait que bientôt le besoin du cœur se faisait sentir ; on formait alors avec lenteur un lien de choix, un lien unique et durable ; cela se passait ainsi du moins là où la convenance régnait, et dans cet idéal de dix-huitième siècle, qui n’était pas, il faut le dire, universellement adopté.

101. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XIX. De la littérature pendant le siècle de Louis XIV » pp. 379-388

On a souvent disputé sur ce qu’il fallait préférer dans les tragédies, de l’imitation de la nature, ou du beau idéal. […] L’auteur qui a porté au plus haut degré de perfection, et le style, et la poésie, et l’art de peindre le beau idéal, Racine, est l’écrivain qui donne le plus l’idée de l’influence qu’exerçaient les lois et les mœurs du règne de Louis XIV sur les ouvrages dramatiques. […] L’adulation envers le monarque élevait encore plus haut le beau idéal.

102. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — D — Dorian, Tola (1841-1918) »

Remy de Gourmont La fréquentation des poètes lyriques anglais, allemands, russes, le tourment d’une âme qui ne veut pas désespérer, quoiqu’elle sache l’inutilité des révoltes et combien sont précaires, puisqu’elles sont limitées, les réalisations humaines, — et le désir de rythmer de telles émotions et de se les rendre sensibles, il y aurait bien là de quoi faire un poète, même en négligeant d’autres causes, le don naturel, la sensibilité native, l’orgueil de se vouloir égaler à son propre idéal. […] Quant à la dernière pièce, elle est très fière et d’une belle venue ; il la faudrait dire toute ; c’est une sorte de Marseillaise du révolté idéal.

103. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Si j’avais une fille à marier ! » pp. 215-228

que l’idéal de la femme résidât dans sa fidélité à un seul homme », loi sans texte, mais qu’en fille suffisamment instruite de ses devoirs physiologiques la fille de Weill admettra. […] ne pouvait ni se couler ni se figer dans ce dur moule a philosophe qu’on appelle l’hégélianisme ; mais s’il ne le pouvait pas, et précisément parce qu’il n’est point du métal qui doit y entrer et en ressortir pour faire trou partout comme les balles, il n’en a pas moins en lui de l’hégélianisme en gouttelettes, et son idéal, par exemple, ce mot inventé pour esquiver le mot de Dieu dans une foule de cas, est extrait de l’idée d’Hegel ! […] Ce qui importe, et ce qui nous attriste dans ce livre, c’est la méconnaissance profonde de tout ce qui est religieux, — de tout ce qui est plus pratique et plus puissant que de la physiologie et de l’idéal pour faire des filles fidèles et heureuses ; car elles seraient résignées, le seul bonheur qu’on puisse se créer ici-bas ! […] Faux en métaphysique, si on peut dire qu’il y ait de la métaphysique dans ces bigarrures de philosophie sans étoffe ; — faux en morale, puisqu’il la fait naturelle ; — et faux en conception du rôle social de la femme, qui n’est plus qu’un rôle physiologique, car l’idéal est imposé par la nature au nom des lois physiologiques, lesquelles, pour Weill, doivent comprendre toutes les espèces de lois, il est faux encore, le plus souvent, par le style romanesco-philosophique, et, par-dessus tout cela, il n’est pas amusant !

104. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre II. Prière sur l’Acropole. — Saint-Renan. — Mon oncle Pierre. — Le Bonhomme Système et la Petite Noémi (1876) »

C’était l’idéal cristallisé en marbre pentélique qui se montrait à moi. […] Ce sérieux, cette droiture, me faisaient rougir d’avoir plus d’une fois sacrifié à un idéal moins pur. […] Ô Archégète, idéal que l’homme de génie incarne en ses chefs-d’œuvre, j’aime mieux être le dernier dans ta maison que le premier ailleurs. […] Je n’abandonnai nullement mon goût pour l’idéal ; je l’ai plus vif que jamais, je l’aurai toujours. […] Il faut créer le royaume de Dieu, c’est-à-dire de l’idéal, au dedans de nous.

105. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre IV. La fin de l’âge classique — Chapitre II. La Bruyère et Fénelon »

Il peint un idéal. […] Fénelon y définit son idéal, qui est l’idéal de son tempérament : une éloquence naturelle, familière, insinuante, qui persuade par sentiment plus que par logique, qui aille du cœur au cœur, et soit faite surtout de ferveur et de tendresse. […] Son idéal, c’est un beau si naturel, si familier, si simple, que jamais il n’étonne en séduisant toujours : il est ravi du pittoresque et du pathétique de la poésie antique. […] Il semble qu’André Chénier soit venu réaliser son idéal. […] Quelle irrésistible séduction, qui fait l’idéal chrétien aimable, et ne l’abaisse pas !

106. (1881) Le roman expérimental

Tout ce que nous ne savons pas, tout ce qui nous échappe encore, c’est l’idéal, et le but de notre effort humain est chaque jour de réduire l’idéal, de conquérir la vérité sur l’inconnu. […] Cela est d’une foi en l’idéal bien élastique. […] L’idéal nous vient de nos premières ignorances. À mesure que la science avance, l’idéal doit reculer. […] L’idéal engendre toutes les rêveries dangereuses ; c’est l’idéal qui jette la jeune fille aux bras du passant, c’est l’idéal qui fait la femme adultère.

107. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 février 1886. »

Malheureusement cet idéal suppose une éducation littéraire au moins pareille à l’éducation musicale. […] On voit tous les jours, par les œuvres de Wagner données dans les plus grandes villes de l’Allemagne, combien, dans un théâtre dont l’unique objet n’est point l’Art, mais qui est forcé de compter avec un Public, il est impossible de conserver le style idéal. […] Il y a encore beaucoup à faire, à créer, à Bayreuth ; et pour chaque Wagneriste, il y a à contribuer à la formation de ce public idéal, de ce « peuple d’idéalistes » que Wagner nous a décrit, non pas de gens « qui se font des idéals » dans le sens banal du mot, mais d’hommes vivant dans l’idée, voyant l’Art et y croyant. […] L’éternel désaccord entre l’idéal et la vie, la recherche toujours inassouvie de visées vaguement pressenties mais jamais reconnues, ont précocement mis un terme à la vie de cet artiste qui par une force irrésistible fut poussé à communiquer son idéal à ses contemporains. […] Lorsque dans la lettre ci-dessus, Wagner si hautement demandait la « mélodie », il savait déjà bien que la mélodie est la seule forme de la musique, et que les deux sont inséparables ; il avait déjà la profonde conviction que la musique est l’expression, mais il ne savait pas encore ce que c’est que la mélodie qui donnerait l’expression idéale musicale, à l’esprit allemand, dans le drame.

108. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre VIII. La question de gout ce qui reste en dehors de la science » pp. 84-103

. — L’idéal serait d’avoir une théorie complète du beau. […] Dans le cercle où il est enfermé, il n’a pas non plus à chercher un type absolu, un idéal unique avec lequel il puisse confronter les œuvres soumises à son appréciation. […] Une œuvre qui plaît aux sens vaudra mieux, si elle satisfait en même temps notre besoin d’émotions et notre intelligence ; elle sera une œuvre suprême, un vrai chef-d’œuvre, si elle est par surcroît largement douée de la beauté morale et de la beauté idéale. […] Si nous voulons condenser dans une dernière et brève formule les principes auxquels nous a conduits une patiente analyse, nous dirons : Sensations, sentiments, idées, tendances, aspirations idéales sont le fond vivant de toute œuvre littéraire. […] Voir aussi Taine, l’Idéal dans l’art, p. 15.

109. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre III. L’antinomie dans la vie affective » pp. 71-87

Toute passion amoureuse, de quelque raffinement idéal qu’elle se pare, est un cas d’hypnose sensuelle et sentimentale. […] Solness ne s’isole pas de son milieu : sa sentimentalité se greffe sur celle de son groupe ; son effort d’intrépidité est suscité par un sentiment supérieur de sociabilité, par le dévouement à un haut idéal (Hilde symbolise pour lui la jeunesse, le renouveau, l’avenir). […] Cet individualisme ne commence pas, comme celui de Stirner, par répudier indistinctement toutes les formes d’altruisme ; il ne repousse que l’altruisme grégaire et il le repousse précisément au nom de son idéal d’altruisme supérieur. Mais dans la suite, l’individualiste aristocrate, l’ariste dans l’ordre du sentiment, acquiert la conviction que l’altruisme grégaire s’insinue fatalement, partout où les hommes sont rassemblés, dans l’autre altruisme pour le corrompre et l’abaisser ; que l’altruisme grégaire a toujours le dernier mot contre l’idéal de générosité des âmes d’élite.

110. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre VII. Développement des idées de Jésus sur le Royaume de Dieu. »

Jésus ne sera plus seulement un délicieux moraliste, aspirant à, renfermer en quelques aphorismes vifs et courts des leçons sublimes ; c’est le révolutionnaire transcendant, qui essaye de renouveler le monde par ses bases mêmes et de fonder sur terre l’idéal qu’il a conçu. « Attendre le royaume de Dieu » sera synonyme d’être disciple de Jésus 341. […] Méprisant la terre, convaincu que le monde présent ne mérite pas qu’on s’en soucie, il se réfugiait dans son royaume idéal ; il fondait cette grande doctrine du dédain transcendant 353, vraie doctrine de la liberté des âmes, qui seule donne la paix. […] Au fond, l’idéal est toujours une utopie. […] Toujours le contraste de l’idéal avec la triste réalité produira dans l’humanité ces révoltes contre la froide raison que les esprits médiocres taxent de folie, jusqu’au jour où elles triomphent et où ceux qui les ont combattues sont les premiers à en reconnaître la haute raison.

111. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre II : La littérature — Chapitre I : Une doctrine littéraire »

La critique doit reconnaître que le beau, tout absolu qu’il est en lui-même, a nécessairement des formes diverses et changeantes, que la vérité idéale, pour devenir vivante et vraiment belle, doit se teindre et s’empreindre de l’individualité des écrivains, que, si une certaine raison est le fond des œuvres belles, l’imagination avec ses mille couleurs en est l’inséparable ornement. […] En un sens, la théorie classique, comme on l’appelle, convient par un côté à notre philosophie, car elle proclame l’idéal comme loi suprême de l’art, de même que nous considérons l’absolu et le divin comme cause suprême de la nature ; elle préfère, comme nous-mêmes, l’âme au corps et la raison aux sens ; elle place le beau dans l’expression de la vérité et du sentiment, non dans l’imitation colorée et violente des formes matérielles : par ces différentes raisons, la critique classique que représente M.  […] Nous transportons ces vues dans la littérature et dans les beaux-arts ; nous pensons que c’est l’initiative individuelle qui a trouvé le beau, que l’idéal n’est passé dans la réalité et n’est devenu sensible que par la création libre des grands artistes et des grands écrivains, dont chacun lui a donné la couleur de son âme. […] Son objet, c’est l’idéal de la vie humaine dans tous les pays et dans tous les temps.

112. (1911) La morale de l’ironie « Chapitre III. Les immoralités de la morale » pp. 81-134

Chaque institution doit être examinée dans ses rapports, non point avec un idéal abstrait ou supposé réel, mais avec le peuple qui la possède. […] L’idéal de celui-ci est d’économiser, l’idéal de celui-là est de donner à l’armée son maximum de force, l’économie n’est pas du tout l’essentiel de son devoir. […] Mais chaque groupe s’imagine que son idéal seul est vrai, et que les autres ne sont rien, ou pas grand-chose. […] Si j’ai indiqué quelques-uns des mensonges et des illusions de la morale actuelle, je ne puis laisser croire qu’aucune forme d’idéal social en puisse être exempte. […] Serait-ce par hasard, puisque le christianisme a triomphé, l’idéal du Sermon sur la montagne ?

113. (1882) Autour de la table (nouv. éd.) pp. 1-376

Voilà pourquoi Goethe ne m’apparaît pas comme l’idéal d’un poète, car c’est un poète sans idéal. […] c’est une autre affaire ; ce n’est pas tout à fait le chemin de l’idéal. […] Son idéal n’a pas encore conçu une forme nouvelle. […] Balzac n’avait pas d’idéal déterminé, pas de système social, pas d’absolu philosophique, mais il avait ce besoin du poète qui se cherche un idéal dans tous les sujets qu’il traite. […] Son idéal était là, dans ce moment-là.

114. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Leygues, Georges (1857-1933) »

Depuis longtemps, Les chanteurs d’amour, de printemps, D’idéal et de fantaisie Ne sont plus écoutés ni lus, Et l’on compte trop peu d’élus Dans le ciel de la poésie… Prenez donc ce coffret où dort Mon passé, cher et jeune mort, Fleuri de fis et d’asphodèles, Et dans quelque abîme profond, Au fond, poète, jusqu’au fond, Jetez-le de vos mains fidèles ! […] Ces parfums d’idéal et ces fleurs d’Espérance Sont les baumes divins de l’humaine souffrance ; Aussi nous briserons ensemble ce coffret, Et, soudain, s’échappant de leur prison muette.

115. (1894) Critique de combat

Le vieux réaliste qu’il est tient rancune à l’idéal. […] Lemaître, après beaucoup d’autres, oppose l’idéal démocratique, qui est, selon lui, d’assurer à tous un demi bien-être, à l’idéal aristocratique, qui consiste dans le développement d’une élite. […] Honneur aux braves, aux obstinés servants de l’idéal, aux fidèles de la poésie ! […] » On les accuse volontiers d’avoir pour idéal une société enrégimentée, casernée, domestiquée. […] Qui oserait dire que cet idéal est blâmable ?

116. (1920) Essais de psychologie contemporaine. Tome I

Renan à la conception d’un Idéal si contraire aux tendances de notre pays. […] Un Idéal s’élabora, aujourd’hui disparu avec la génération qui le conçut à son image. […] C’est le second germe de douleur qu’enveloppe l’Idéal romantique. […] Tantôt c’est la conception d’un idéal raffiné qui crée la passion. […] D’Idéal politique, il n’est plus question.

117. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre premier. Des principes — Argument » pp. 1-4

Principes de l’histoire idéale. == — 70-84. […] La science nouvelle est une démonstration historique de la Providence ; elle trace le cercle éternel d’une histoire idéale dans lequel tourne l’histoire réelle de toutes les nations.

118. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre IX. La littérature et le droit » pp. 231-249

Ce qui caractérise ces théories provisoirement victorieuses, c’est le dédain, la peur, l’aversion de l’idéal. […] Pendant près d’un demi-siècle l’esprit dit pratique et positif a étouffé ce que nos pères appelaient le droit naturel et ce qu’il est beaucoup plus exact de nommer le droit idéal. […] En même temps que ce dédain du droit idéal se faisait sentir dans l’interprétation de l’histoire, il condamnait les efforts qui ont pour but d’améliorer la société présente. […] C’était chose convenue qu’à l’état actuel des choses humaines, on ne pouvait, sans folie et témérité, opposer un état idéal, considéré comme désirable et possible. […] Ils concevaient comme supérieure au mariage, attachant de force l’un à l’autre deux êtres humains qui peuvent en être venus à se haïr ou à se mépriser, une union ne reposant que sur l’amour, pouvant se nouer et se dénouer sans l’intervention de l’autorité sociale, et ils voulaient acheminer les intelligences paresseuses vers cet idéal encore lointain.

119. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres de Goethe et de Bettina, traduites de l’allemand par Sébastien Albin. (2 vol. in-8º — 1843.) » pp. 330-352

Ce fut donc cette jeune fille de dix-neuf ans, Bettina, qui se mit un jour brusquement à aimer le grand poète Goethe d’un amour idéal, et sans l’avoir encore vu. […] ce n’était point un amour vulgaire ; ce n’était pas même un amour naturel, comme ceux de Didon, ou de Juliette, ou de Virginie, un de ces amours qui brûlent et consument jusqu’à ce qu’il y ait eu satisfaction du désir : c’était un amour idéal, mieux qu’un amour de tête, et pas tout à fait un amour de cœur. […] Lui qui connaissait la vie et les sens non moins que l’idéal, il avait tout d’abord classé cet amour, et il ne s’en défiait pas, à condition de ne pas trop le laisser approcher de lui. […] Grand naturaliste et poète, il étudie chaque objet et le voit à la fois dans la réalité et dans l’idéal ; il l’étudie en tant qu’individu, et il l’élève, il le place à son rang dans l’ordre général de la nature ; et cependant il en respire le parfum de poésie que toute chose recèle en soi. […] Bettina a beau se faire Allemande autant que possible, elle ne peut se contenter tout à fait de cette vénération esthétique et idéale qui ne suffit pas à la nature.

120. (1889) L’art au point de vue sociologique « Introduction »

Qu’est-ce à son tour que la métaphysique, qui paraît d’abord un exercice solitaire de la pensée, la réalisation de l’idéal érigé en Dieu par Aristote, — la pensée suspendant tout à ses propres lois et se repliant sur soi dans la pensée de la pensée ? […] Recommencer toujours à vivre, tel serait l’idéal de l’artiste : il s’agit de retrouver, par la force de la pensée réfléchie, l’inconsciente naïveté de l’enfant. » VI. — Ce qui est aux yeux de Guyau la règle suprême . de l’art, c’est cette qualité morale et sociale par excellence : la sincérité ; si donc il attache à la forme une très grande importance, il ne veut point qu’on sépare la forme du fond. […] Les sociétés modernes ont un esprit critique qui ne peut plus tolérer longtemps le mensonge : la fiction n’est acceptée que « lorsqu’elle est symbolique, c’est-à-dire expressive d’une idée vraie. » La puissance de l’idéalisme même, en littérature, est à cette condition qu’il ne s’appuie pas sur un « idéal factice », mais sur « quelque aspiration intense et durable de notre nature ». […] L’écueil est de confondre le moyen avec le but ; or le réalisme, trop souvent, donne pour but à l’art ce que Guyau appelle « un idéal quantitatif », l’énorme remplaçant le correct et la beauté ordonnée. […] Pour qui sait retrouver ainsi dans le naturel tout l’idéal, le plus grand charme sera précisément de n’en jamais sortir ; les aspirations les plus hautes n’auront de prix que si elles reposent sur cette base humble et profonde, le réel : de là, sans doute, vient à Guyau cet accent d’extrême simplicité avec lequel il exprime des idées et des senti ments d’une constante élévation ; de là lui vient aussi ce caractère persuasif qui se confond avec celui de l’absolue sincérité.

121. (1887) George Sand

C’est enfin la poursuite inquiète et passionnée de l’idéal religieux, d’un idéal souvent chimérique et troublé, mais ardemment espéré, entrevu à travers les doubles ténèbres de la superstition et du scepticisme. […] Il y a sur quelques-uns d’entre eux l’impérissable rayon de la grâce idéale. […] Vous vivrez maintenant au milieu de ce peuple idéal que le génie crée et qui vit du souffle immortel de l’art. […] Laissez-leur l’idéal, et ne les attachez pas à la réalité par les chaînes de la loi. […] L’idéal philosophique ou religieux ne visite plus guère cette âme vouée aux divinités vulgaires et faciles.

122. (1866) Dante et Goethe. Dialogues

Sous ce masque transparent, il nous livre le secret de sa vie, son idéal. […] Votre très grand esprit prend son vol vers l’idéal, le tout petit mien s’accroche à la réalité. […] Ce qu’annonçait la venue de Henri VII, c’était l’accomplissement de son idéal politique. […] Mais dans cet idéal dantesque de pouvoir absolu, de stabilité, d’ordre et de paix, que devenait la liberté ? […] L’idéal platonique, un peu germanisé, est au fond de tous les attachements de Gœthe.

123. (1911) L’attitude du lyrisme contemporain pp. 5-466

Idéal parnassien, dit-on. […] L’idéal du poète évoque un idéal de peintre dont la formule serait : ut pictura poesis. […] Gardons-nous de prendre ce mot idéal pour un lieu métaphysique. […] Régnier et Griffin représentent assez bien l’un l’idéal apollinien, l’autre l’idéal dionysiaque. […] Cette école, dite parnassienne, eut pour objectif un idéal de sculpteur.

124. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre IV Le Bovarysme des collectivités : sa forme imitative »

Or l’idéal commun, qui s’exprime dans la loi, dans la coutume, dans le préjugé, dans les mœurs, se propose à tous avec un même caractère d’uniformité. […] Sous l’influence de l’idéal hellénique et latin le génie du moyen âge fut contraint de biaiser, de se concevoir différent de soi-même. Il méprisa quelques-unes de ses propres aspirations pour s’attacher à un idéal en partie étranger et qui ne lui était pas entièrement accessible.

125. (1911) La morale de l’ironie « Chapitre IV. L’ironie comme attitude morale » pp. 135-174

C’est cette société idéale que chacun, sans s’en douter souvent, cherche à réaliser, par ses actes, par son exemple, par ses discours. […] Ainsi l’homme s’attache, au petit bonheur, à quelque idéal restreint et borné, à quelque honneur particulier. […] L’idéal qu’ils incarnent ne fût-il qu’un rêve irréalisable — ce dont il est impossible de juger — sa valeur esthétique s’élève parfois au-dessus de la société réelle qui le nie, qui l’étouffe et qu’il embellit. […] Sans doute il aura ses préférences aussi et se fera son idéal. […] Mais cet idéal-là est trop loin de nous et trop opposé aux désirs actuellement visibles de l’humanité pour qu’il y ait intérêt à le développer.

126. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre deuxième. Le génie, comme puissance de sociabilité et création d’un nouveau milieu social »

  I — Le génie comme puissance de sociabilité La religion commande aux hommes de croire à la réalisation possible d’une société idéale de justice, de charité et de félicité, déjà en partie réalisée et dont nous devons, pour notre part, nous faire membres ou citoyens. Comme il y a une cité idéale de la religion, il y a aussi une cité idéale de l’art ; mais la première est, pour le croyant, l’objet d’une affirmation et d’une volonté, la seconde est un simple objet, de contemplation et de rêve. […] Aussi le génie cherche-t-il sans cesse à dépasser la réalité, et nous ne nous en plaignons pas : l’idéalisme alors, loin d’être un mal, est plutôt la condition même du génie ; seulement, il faut que l’idéal conçu, même s’il n’appartient pas au réel coudoyé chaque jour par nous, ne sorte pas de la série des possibles que nous entrevoyons : tout est là. […] Le génie n’est pas seulement un reflet, il est une production, une invention : c’est donc surtout le degré d’anticipation sur la société à venir, et même sur la société idéale, qui caractérise les grands génies, les chorèges de la pensée et du sentiment. […] Les ouvriers ne croient guère à la vérité de l’Assommoir, tandis qu’ils admettent facilement le maçon ou le forgeron idéal des feuilletonistes populaires.

127. (1864) Physiologie des écrivains et des artistes ou Essai de critique naturelle

Notre idéal est toujours loin de nous. Idéal de beauté, idéal de laideur, n’importe ! […] Toujours est-il que chaque race humaine se fait un beau idéal différent, et que la Vénus hottentote, avec son tablier de chair, porte par devant le surcroît de grâces que la Vénus callipyge portait par derrière : cela était le beau idéal grec, ceci est le beau idéal hottentot. […] Ils y ajoutèrent ensuite le goût de la réalité, — sans aucune espèce d’idéal. […] Étudiant ainsi la beauté des formes, ils arrivèrent au beau idéal grec, que tous les hommes de race caucasique et blanche considèrent comme le beau idéal humain, et dont ils firent, par une illusion naturelle à l’humanité, le beau idéal divin.

128. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre V. Indices et germes d’un art nouveau — Chapitre III. Retour à l’art antique »

Il se produit vers la fin de l’Ancien Régime un fait assez considérable, qui modifie la littérature : on voit l’antiquité gréco-romaine reparaître, et ramener, comme il était naturel, un idéal de beauté formelle et plastique. […] Il essaya de ramener nos artistes de l’idéal spirituel et galant à l’idéal sévère de la Renaissance et de l’antiquité. […] Ce sera ce goût antique qui ira se développant sous la Révolution, favorisé par les événements politiques et par le mouvement des idées : dégagé de plus en plus des éléments mondains, élégants, spirituels, auxquels il s’est allié d’abord, il créera des formes pures et froides ; il réalisera l’harmonie sans la vie, et la beauté par l’effacement du caractère ; il suscitera la correcte poésie des Fontanes, des Luce de Lancival et des Chênedollé ; il imposera même à l’imagination brûlante de Chateaubriand les idéales figures de Cymodocée et d’Atala, qui ressemblent à l’antique tout juste comme des marbres de Canova.

129. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Leconte de Lisle, Charles-Marie (1818-1894) »

On ne saurait rendre l’ampleur et le procédé habituel de cette poésie, si on ne l’a entendue dans son récitatif lent et majestueux ; c’est un flot large et continu, une poésie amante de l’idéal et dont l’expression est toute faite aussi pour des lèvres harmonieuses et amies du nombre. […] Eschyle et à créer une Orestie française, Leconte de Lisle se promenait, en causant avec le vieux combattant de Salamine et de Platée, dans le pays idéal de la Tragédie, tout à coup il s’aperçut que son compagnon de voyage était chauve à ce point, que les tortues pouvaient prendre son crâne pour un rocher poli. […] Tout d’abord aussi, il faut reconnaître que nul, à côté de la prodigieuse expansion de Victor Hugo, n’a su créer ainsi partout un nouvel idéal de puissance, de sérénité superbe et d’objectivité lumineuse. […] Plus d’émotion, plus d’idéal ; plus de sentiment, plus de foi ; plus de battements de cœur, plus de larmes.

130. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre III. Molière »

Mais est-ce de là que sortent les Précieuses, Sganarelle, ces petits actes, ses premiers chefs-d’œuvre, dans lesquels il prend conscience de son idéal ? […] Mais Trissotin est l’idéal du pédant aigre, Vadius l’idéal du cuistre injurieux : le chasseur est le chasseur éternel, absolu. […] Elle l’est énergiquement ; elle n’est pas sublime, ni dure, ni chrétienne, ni stoïque ; elle propose un idéal très accessible et très séduisant de bonheur individuel et de douleur sociale. […] Avis aux pères et aux maris : voilà l’idéal. […] Il a exprimé son idéal de la bonté paternelle dans une scène charmante et attendrie de Mélicerte, II, 5.

131. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Bain — Chapitre III : Les Émotions »

III Deux bons chapitres (xiii et xiv) sur la sympathie, l’imitation et l’émotion idéale, c’est-à-dire celle qui a pour cause de pures idées et non des réalités, précèdent l’exposition esthétique. […] Sa méthode expérimentale, très bonne quand elle s’applique aux simples phénomènes psychiques, ne nous paraît pas aussi heureuse ici, ou il s’agit moins des faits que d’un idéal, moins de ce qui est que de ce qui doit être. […] Il faut renoncer à saisir l’insaisissable et à traduire l’idéal par les formules imparfaites de la science : elles n’offrent qu’un faux-semblant de rigueur. […] Le sentiment de notre propre pouvoir se déploie en ce moment par sympathie avec le pouvoir qui se déploie à nos yeux. » L’Océan, un volcan en éruption, les cimes alpestres, un ouragan, nous causent l’émotion idéale d’un pouvoir transcendant. […] Un troisième pouvoir qui implique l’obligation, c’est la conscience, qui est une ressemblance idéale de l’autorité publique, se développant dans l’esprit de l’individu et travaillant à la même fin. » Les divers systèmes moraux fondés sur la loi positive, la volonté divine, la droite raison, le sens moral, l’intérêt personnel, l’intérêt général sont successivement examinés et rejetés par l’auteur.

132. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Alfred de Vigny »

un amour et une recherche de l’idéal, poursuivi jusque dans ces réalités pathétiques qui se vantent maintenant de pouvoir se passer d’idéal ! L’idéal est, en effet, toujours nécessaire à un poète tel que Vigny, même quand il condescend à la prose et qu’il a quitté le sommet de l’invention poétique pour le plain-pied de cette vie chétive et de l’histoire. […] Mais l’insouciance de l’idéal, la grossièreté du procédé et l’abaissement de l’observation, ces trois caractères de la littérature contemporaine, ont fait monter de dégoût la muse de Vigny dans cette rêverie où elle ne plane plus qu’à l’œil seul du poète… Ce cygne de la famille de celui de Mantoue qui nous est venu par l’Ile des Cygnes de Shakespeare, et qui s’y est attardé, ne nous a pas dit son dernier chant, heureusement ! […] Tous les deux, forme à part, spécialité de talent et de vocation à part, sont de la même race d’intelligences, idéales, religieuses, pensives… Il est des têtes glorieusement conformées pour aller se casser inutilement contre le ciel.

133. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Shakespeare »

Il y a cette nourrice de Juliette, la sœur des Joyeuses Commères de Windsor, vraie comme l’Antique dans Homère, comique comme le Moderne dans Rabelais, et qui montre comment les grands poètes de l’idéal, quand ils s’en mêlent, entendent la réalité ! […] La préface de ce volume-ci a pour fond et pour thèse de refaire, avec les Deux Gentilshommes de Vérone, la biographie ignorée de Shakespeare, et François Hugo y ajoute cette autre thèse, qu’il n’a pas inventée, que Shakespeare eut dans sa vie — inconnue cependant — toutes les vertus qu’il a décrites, et que, comme il était un être transcendant et idéal par le génie, il était forcément, par le cœur et par le caractère, une autre espèce d’être transcendant et idéal. […] … Et toute sa vie il remania ses plus belles pièces avec la fureur amoureuse d’un homme qui adore l’Idéal, et qui n’a cessé de le poursuivre que quand il s’est trouvé face à face avec Celui qui est la source de tout Idéal ! […] Shakespeare a l’idéal du lointain ! […] » Tel il parle, ce magnanime Henri, cette idéale figure qui monte, à chaque instant du drame, dans la beauté morale et dans la noblesse, aussi haut qu’un homme puisse y monter, mais dont l’originalité n’est cependant pas toute là encore… Non !

134. (1888) Portraits de maîtres

La Fontaine a la prise et l’efficacité du réel Lamartine l’ascendant et la vertu de l’idéal. […] C’est le Socrate idéal contemplé dans son œuvre historique. […] Quoi de plus mâle, de plus austère, que certaines pages marquées du signe de l’Idéal ? […] Nul génie n’a été plus idéal et plus social à la fois. […] Aymerillot représente encore un triomphe de l’Idéal dans son apparition juvénile.

135. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre quatorzième. »

Cet idéal ne fut-il rêvé que pour Salente ? […] Cet idéal du vrai, du simple, du naturel, de l’aimable, qu’il a pris plaisir à y tracer, est l’image même de son génie. […] Bossuet, qui avait un autre idéal, donne une autre théorie. […] Cet idéal du simple, du naturel, de l’aimable, c’est là qu’il l’a réalisé. […] Le génie grec est encore notre idéal dans les arts.

136. (1888) Poètes et romanciers

n’est-ce pas le culte même de l’Idéal ? […] Il invoque Éva ; Éva, c’est-à-dire la femme et la Poésie ; Éva, la Passion et l’Idéal. […] Il s’excite et il nous excite vers l’Idéal, voisin de Dieu s’il n’est Dieu même. […] L’idéal périt avec le mystère et le mystère disparaît à mesure que la science avance. […] Il s’en faut de beaucoup que Béranger soit pour nous une idole non plus qu’un idéal.

137. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXIVe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou Le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (2e partie) » pp. 365-432

ô idéal ! […] » Patmos est vaincu ; l’Apocalypse de la révolution finit là par l’idéal d’un faible ver de terre, divinisé et adoré. […] Entre le Christ-Dieu de l’évêque et l’idéal du terroriste, il y a l’infini, il y a le déisme. […] Semer l’idéal et l’impossible, c’est semer la fureur sacrée de la déception dans les masses. Quand on a tant promis l’idéal, il faut détromper avec la réalité.

138. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre I. La préparations des chefs-d’œuvre — Chapitre II. Attardés et égarés »

L’idéal classique, tel que Malherbe l’a défini, loin de s’enrichir, semble s’obscurcir, se déformer ; ce sont des résistances, des reculs, des contradictions, des aberrations de toute nature. […] Une demi-italienne, la fille d’une Savelli de Rome, Catherine de Vivonne, inaugure la vie mondaine en France vers 1608 : et en 1610, peut-être avant, Honoré d’Urfé commence à publier son Astrée, qui offre un idéal de vie distinguée et charmante. […] La guerre y tient tout juste autant de place qu’il faut pour marquer la noblesse des personnages ; Céladon ne serait pas l’amoureux idéal, si jamais il n’avait l’épée en main. […] Elle n’est que le premier état de l’esprit mondain qui, sans changer son idéal, modifie sans cesse et rectifie ses apparences. […] Les hommes de la guerre de Trente Ans, des conspirations contre Richelieu, de la Fronde, n’avaient pas pour idéal de soupirer avec une bergère au bord du Lignon.

139. (1870) La science et la conscience « Chapitre IV : La métaphysique »

Devant le Dieu parfait, que sont les qualités et les vertus de ces pauvres êtres dont il est l’inimitable idéal ? […] Le Dieu auquel elle se donne ne diffère d’elle-même que par le degré de perfection ; la volonté divine à laquelle elle se soumet n’est que l’idéal de sa propre volonté. […] Comme il en est surtout l’idéal, elle ne peut, en ses plus ardentes extases, s’égarer dans le monde des abstractions ou des chimères. […] C’est là la vraie religion, entièrement conforme à la morale, excepté en ceci, que ce qui n’est pour l’une qu’un idéal de la pensée est pour l’autre la réalité suprême. […] Il a pour objet un Dieu qui, à part les attributs que lui reconnaît la raison, est l’idéal de notre nature.

140. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre vi »

Si notre jeunesse, si notre force servent à assurer leur existence d’homme, nous nous serons battus pour notre idéal qui reste vivant, souriant, à travers les éclairs et le tonnerre. Dans la tourmente, cet idéal ne fait pas faillite. […] Et surtout je sens ce qu’il y a de grandeur morale dans le cas de ces antimilitaristes et pacifistes qui adaptent leur idéal aux nécessités de l’heure présente pour lui assurer l’avenir. […] Les Français d’après l’an xv, dit-il, qui se sont tenus un an par la main depuis la mer du Nord jusqu’au Rhin, quels que fussent d’ailleurs leurs intérêts économiques, leur opinion politique, leur croyance, leur idéal, n’entendent plus se brimer ni se tourmenter les uns les autres : la vieille haine française, qui avait sa noblesse, la lègue à une tendresse française que ni la France ni l’univers n’ont encore connue.‌ […] Thierry constatait avec anxiété qu’une partie notable de la masse ouvrière est devenue infidèle à cet idéal de civilisation par le métier bien fait.

141. (1864) William Shakespeare « Première partie — Livre III. L’art et la science »

L’univers sans le livre, c’est la science qui s’ébauche ; l’univers avec le livre, c’est l’idéal qui apparaît. […] L’idéal appliqué aux faits réels, c’est la civilisation. […] Le diamètre du bien idéal et moral correspond toujours à l’ouverture des intelligences. […] L’idéal, point. Or, le progrès est le moteur de la science ; l’idéal est le générateur de l’art.

142. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Xavier Aubryet » pp. 117-145

L’âme, à cette heure, est aussi ruinée que Venise, et pour Aubryet plus que pour personne ; car Xavier Aubryet ne croit à aucun des mérites et des puissances morales de ce temps-ci, et s’il a écrit Les Patriciennes de l’Amour, ce n’est probablement pas qu’il les ait jamais rencontrées, mais c’est qu’il en a très certainement rencontré d’autres, peu patriciennes, et, disons le mot, même un peu canailles de l’amour… et que, de mépris pour celles-là, il a trouvé bon et soulageant de leur jeter à la figure son idéal au désespoir ! Ce serait donc un idéal que ce livre… Ce serait plus de l’invention que de l’histoire, ces quatre à cinq Nouvelles publiées sous le titre des Patriciennes de l’Amour. […] Et l’auteur en convient, du reste, en sa leste et spirituelle préface : « Madame d’Ivrée (y dit-il) comme madame Étienne, mademoiselle Rosa La Rose comme mademoiselle de Keldren (ce sont ses héroïnes), représentent les gardiennes de l’idéal, tout en ayant l’ambition d’être de leur siècle… » Or, cette réserve n’est qu’un mot d’auteur qui veut être lu ; car si elles en sont, de leur siècle, c’est comme les personnes qui tranchent sur le leur, et qui, par cela même, n’en sont pas. […] C’est, après tout, une preuve de noblesse dans la pensée ; c’est l’anxiété incessante de l’idéal que la préciosité : elle tient à cette haine vigoureuse et presque cabrée du vulgaire que j’estime tant dans l’auteur des Patriciennes de l’Amour. […] Au sommet de l’art et de l’intelligence, Michel-Ange, ce tortionnaire du Beau, ce glorieux damné de l’Idéal, est un précieux immense.

143. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre II. Diderot »

Substitution d’idéal : le caractère, au lieu de la beauté. […] C’est le naturalisme de Rabelais, celui de Panurge et de frère Jean, qui reparaît dans Diderot, dans ces êtres qu’il a choisis et faits conformes à son idéal, dans le Neveu de Rameau et dans Jacques le Fataliste. […] Cela nous mène à une autre considération : c’est la substitution chez Diderot d’un idéal nouveau à l’idéal classique.

144. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « (Chroniqueurs parisiens II) Henry Fouquier »

Amour coup de foudre, amour-passion, amour-caprice, amour-galanterie, tous les amours que ce grand fendeur de cheveux en quatre qui est Stendhal a décrits et classés, je comprends tout, j’excuse tout ; parfois même j’envie… Mais ce qu’il préfère, je crois, c’est une espèce d’amour en même temps idyllique et mondain, franchement sensuel, mais relevé d’un peu d’illusion, de rêve, d’« idéal » (ce mot revient souvent sous sa plume), l’Oaristys de Théocrite dans un salon de nos jours. […] Il court après l’idéal, et il le répand autour de lui et le laisse derrière ses pas. […] Et son bon sens, nourri d’une sérieuse connaissance des hommes, a souvent des hardiesses comme celle-ci, que je recueille sans l’avoir cherchée : « L’idéal trop élevé du mariage est une source de désordres sociaux… » Volontiers il résoudrait tous les problèmes par l’amour de la femme. […] Si les hommes savaient encore aimer les femmes, si les femmes connaissaient leur rôle et s’y tenaient pour le remplir tout entier, on aurait une cité idéale, fondée sur la plus délicate interprétation des bonnes lois de nature.

145. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XVII. Forme définitive des idées de Jésus sur le Royaume de Dieu. »

Plein de son idéal céleste, il ne sortit jamais de sa dédaigneuse pauvreté. […] Tout est dans sa pensée concret et substantiel : Jésus est l’homme qui a cru le plus énergiquement à la réalité de l’idéal. […] De nos jours même, jours troublés où Jésus n’a pas de plus authentiques continuateurs que ceux qui semblent le répudier, les rêves d’organisation idéale de la société, qui ont tant d’analogie avec les aspirations des sectes chrétiennes primitives, ne sont en un sens que l’épanouissement de la même idée, une des branches de cet arbre immense où germe toute pensée d’avenir, et dont le « royaume de Dieu » sera éternellement la tige et la racine. […] Il est sûr que l’humanité morale et vertueuse aura sa revanche, qu’un jour le sentiment de l’honnête pauvre homme jugera le monde, et que ce jour-là la figure idéale de Jésus sera la confusion de l’homme frivole qui n’a pas cru à la vertu, de l’homme égoïste qui n’a pas su y atteindre.

146. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre premier. Des principes — Chapitre premier. Table chronologique, ou préparation des matières. que doit mettre en œuvre la science nouvelle » pp. 5-23

C’est qu’Hermès ne fut point un sage, un philosophe divinisé après sa mort, mais le caractère idéal des premiers hommes de l’Égypte, qui sans autre sagesse que celle de l’instinct naturel, y formèrent d’abord des familles, puis des tribus, et fondèrent enfin une grande nation18. […] Autant de types idéaux des fondateurs des sociétés, et des poètes théologiens. […] On verra au livre III pourquoi nous nous écartons de l’opinion reçue sur ces deux points, et sur le fait même de son existence. — Nous élèverons les mêmes doutes sur celle d’Ésope que nous considérons non comme un individu, mais comme un type idéal, et dont nous plaçons l’époque entre celle d’Homère et celle des sept sages de la Grèce. […] La découverte des caractères poétiques, des types idéaux, que nous venons d’exposer, fera luire un jour pur et serein à travers ces nuages sombres dont s’était voilée la chronologie.

147. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « M. Paul Bourget »

Il est justement de cette famille de poètes naturellement les plus antipathiques à l’esprit qui régnait alors, et qui ne concevait la poésie que comme il concevait la peinture et toutes choses, c’est-à-dire sans idéal, sans hauteur d’esthétique, sans spiritualité et sans grandeur. […] Il nous a rappelé cette torture sublime… Il ne l’aurait pas eue que sa Vie inquiète n’aurait plus été la Vie inquiète, au même degré du moins, et que sa poésie aurait manqué de ce qui touche le plus en elle : Heureux l’homme qui, jeune et le cœur plein de songes Meurt sans avoir douté de son cher Idéal, À l’âge où les deux mains n’ayant pas fait de mal Nos remords les plus vrais sont de pieux mensonges. […] Toute l’humanité n’est qu’un seul être immense Dont nous sommes le cœur, comme il en sont les bras, Et nous savons leurs maux, mais ils ne savent pas Le labeur idéal qui toujours recommence.

148. (1858) Du vrai, du beau et du bien (7e éd.) pp. -492

Deux extrémités également dangereuses : un idéal mort, ou l’absence d’idéal. […] La vraie beauté est la beauté idéale, et la beauté idéale est un reflet de l’infini. […] Le côté idéal de cette beauté. […] Il faut donc que l’artiste s’attache à représenter l’idéal. Tout a son idéal.

149. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXXIX » pp. 316-320

Alors en effet on se plaisait à concevoir une sorte de drame à la fois réel et idéal, qui reproduirait avec étude et fidélité les mœurs et les personnages de l’histoire, y associerait les passions éternelles de la nature humaine, et ferait parler le tout d’un ton plus simple et plus sincèrement poétique à la fois qu’on n’avait osé jusqu’ici. […] Voilà comment deux pièces estimables, dont l’une (Lucrèce) est très-supérieure à l’autre, mais dont aucune ne réalise le moins du monde l’idéal moderne qu’on avait, à un moment, entrevu, voilà comment ces deux pièces qui ne sont que de très-nobles essais de poëtes qui sembleraient à peine encore émancipés de la plus excellente des rhétoriques, ont été presque un événement : il y a vingt-cinq ans, à une époque qui comptait parmi les juges de la tentative dramatique, non-seulement les jeunes esprits sérieux de la France, mais des témoins attentifs et des juges européens, tels que Goethe, Walter Scott et Manzoni, en eût-il été de la sorte ?

150. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface de « Ruy Blas » (1839) »

Les généralités admettent toujours les exceptions ; nous savons fort bien que la foule est une grande chose dans laquelle on trouve tout, l’instinct du beau comme le goût du médiocre, l’amour de l’idéal comme l’appétit du commun ; nous savons également que tout penseur complet doit être femme par les côtés délicats du cœur ; et nous n’ignorons pas que, grâce à cette loi mystérieuse qui lie les sexes l’un à l’autre aussi bien par l’esprit que par le corps, bien souvent dans une femme il y a un penseur. […] En effet, au-delà de cette barrière de feu qu’on appelle la rampe du théâtre, et qui sépare le monde réel du monde idéal, créer et faire vivre, dans les conditions combinées de l’art et de la nature, des caractères, c’est-à-dire, et nous le répétons, des hommes ; dans ces hommes, dans ces caractères, jeter des passions qui développent ceux-ci et modifient ceux-là ; et enfin, du choc de ces caractères et de ces passions avec les grandes lois providentielles, faire sortir la vie humaine, c’est-à-dire des événements grands, petits, douloureux, comiques, terribles, qui contiennent pour le cœur ce plaisir qu’on appelle l’intérêt, et pour l’esprit cette leçon qu’on appelle la morale : tel est le but du drame. […] Qu’on nous permette donc de passer, sans nous appesantir autrement sur la transition, des idées générales que nous venons de poser, et qui, selon nous, toutes les conditions de l’idéal étant maintenues du reste, régissent l’art tout entier, à quelques-unes des idées particulières que ce drame, Ruy Blas, peut soulever dans les esprits attentifs.

151. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. de Vigny. Œuvres complètes. — Les Poèmes. »

Quel artiste, en effet, ayant le respect de son art et de lui-même, quand il s’agit de l’ensemble de ses travaux, ne pratique pas sur ce qu’il écrivit, à des époques distantes et dans des inspirations différentes, la retouche suprême qui affermit et qui achève, et après laquelle il n’y a plus pour l’homme que le désespoir de l’idéal ? […] Même quand il a cessé d’être le poète idéal, lyrique et tragique, il est encore poète dans la comédie et dans l’épigramme ; tandis que M. de Vigny est tout autre chose ; il ne s’épuise pas dans le poète. […] Eloa, c’est l’Athalie de M. de Vigny, c’est l’Athalie de ce Racine du Romantisme qui, comme le Racine classique, — on vient de le voir à propos de Moïse, — est plus idéal, plus inventif, plus personnel, — toutes choses qui disent à quel point on est poète, — qu’historique et local, et fidèle à la tradition !

152. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « Remarques finales. Mécanique et mystique »

A vrai dire, il sous-entend toujours que le motif invoqué par lui est « préférable » aux autres, qu’il y a entre les motifs des différences de valeur, qu’il existe un idéal général auquel rapporter le réel. […] La vérité est qu’un idéal ne peut devenir obligatoire s’il n’est déjà agissant ; et ce n’est pas alors son idée qui oblige, c’est son action. […] Il va sans dire qu’il y faut voir simplement un idéal, ou plutôt une direction où acheminer l’humanité. […] Pendant tout le moyen âge un idéal d’ascétisme avait prédominé. […] Il n’est pas impossible qu’il y ait eu là trois réactions, apparentées entre elles, contre la forme qu’avait prise jusqu’alors l’idéal chrétien.

153. (1890) Les princes de la jeune critique pp. -299

Ce sera donc le grand siècle, le siècle modèle, idéal. […] « On oppose, écrit-il, la réalité à l’idéal, comme si l’idéal n’était pas la seule réalité qu’il nous soit permis de saisir. » Conclusion : l’idéalisme est la seule forme légitime de l’art. […] Gloire au plus haut des cieux à George Sand, qui fut un si grand artisan d’idéal ! […] Ganderax le sait comme moi, que son idéal n’est pas et ne peut pas être celui de tout le monde. […] Singulier idéal sans doute, où se combinent à dose égale l’amour et le dédain !

154. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre V. Transition vers la littérature classique — Chapitre I. La littérature sous Henri IV »

De là partiront Malherbe et Balzac pour faire les pas décisifs vers la perfection laborieuse de l’éloquence artistique : là s’attachera aussi le mouvement, en un sens rétrograde, de la littérature aristocratique, romanesque, précieuse, qui écartera pour un temps de l’idéal classique. […] Il ne voyait pas enfin qu’entre l’idéal de la Renaissance, et l’idéal classique, ce qu’il exprimait était seulement l’idéal de sa génération, l’idéal de Bertaut et de François de Sales : Rien que le naturel sa grâce n’accompagne ; Son front lavé d’eau claire éclate d’un beau teint… Les nonchalances sont ses plus grands artifices.

155. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Jules de Glouvet »

C’est ainsi que l’Idéal, qui est un livre tout plein de bons sentiments et où même les sermons abondent, lu à la campagne, dans un milieu paisible et patriarcal, m’a fait passer d’agréables heures. — M. d’Artannes, un gentilhomme qui a toutes les vertus et beaucoup d’expérience et d’esprit, se fait le mentor d’une fillette et s’applique à former son esprit et son cœur. […] Ils se le disent, car ils sont sûrs d’eux : ce sont leurs âmes qui s’aiment, et c’est là sans doute « l’Idéal ». […] Cela veut-il dire que « l’Idéal » est une région où il est difficile d’habiter longtemps ? ou bien que « l’Idéal », ce n’est pas seulement l’union des âmes ? […] » Assez souvent il s’est formé un idéal de l’élégance du style, d’où le poncif n’est pas tout à fait absent.

156. (1887) Discours et conférences « Réponse au discours de M. Louis Pasteur »

Hésitation qui implique un culte mille fois plus délicat de l’éternel idéal que les téméraires solutions qui satisfont tout d’abord les esprits superficiels ! […] Dans le champ de l’idéal, oh ! […] Mais l’idéal n’est pas le surnaturel particulier, qui est censé avoir fait son apparition à un point du temps et de l’espace. […] Le premier, c’est le progrès continu de la laïcité, c’est-à-dire de l’État neutre entre les religions, tolérant pour tous les cultes et forçant l’Église à lui obéir en ce point capital ; le second, c’est la confirmation incessante que le ciel scientifique reçoit de toutes les découvertes, sans que le ciel théologique obtienne rien qui en étaye la structure chancelante. » « Je me résigne, ajoute-t-il, aux lois inexorables de la nature… La philosophie positive, qui m’a tant secouru depuis trente ans, et qui, me donnant un idéal, la soif du meilleur, la vue de l’histoire et le souci de l’humanité, m’a préservé d’être un simple négateur, m’accompagne fidèlement en ces dernières épreuves. […] Cette philosophie, qui nous promettait le secret de la mort, s’excuse en balbutiant, et l’idéal, qui nous avait attirés jusqu’aux limites de l’air respirable, nous fait défaut quand, à l’heure suprême, notre œil le cherche.

157. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Fontenelle, par M. Flourens. (1 vol. in-18. — 1847.) » pp. 314-335

On a là l’idéal de l’imagination de Fontenelle, les fleurs de son printemps ; et quel printemps ! […] Voilà son idéal de philosophie. […] Fontenelle, de bonne heure, marqua tous les défauts d’une nature privée d’idéal et de flamme, et qui n’avait ni ciel à l’horizon ni foyer intérieur ; mais il eut aussi toutes les qualités compatibles avec ces sortes de natures purement intellectuelles. […] Cet homme-ci n’a point en lui cette géométrie idéale et céleste que conçoivent primordialement un Pascal, un Dante, un Milton, ou même un Buffon ; il ne l’a pas et il ne s’en doute pas ; il amincit le ciel en l’expliquant. […] Totalement dénué de la forme poétique idéale supérieure et de cette richesse des sens qui en est d’ordinaire l’accompagnement et l’organe, il parle de la poésie en toute occasion comme ferait son ami La Motte, c’est-à-dire comme un aveugle des couleurs.

158. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Émile Zola » pp. 70-104

Constamment construits par un minutieux détaillement de faits, d’anecdotes, d’observations, de notes prises sur les lieux, et de spectacles réellement vus, ils tendent à donner de la vie une image adéquate, aussi complexe, aussi variée, abondante en contrastes, sans que le choix, l’idéal personnel de l’auteur restreigne le rayon de son observation et résume la vie et les âmes en des extraits fragmentaires. […] Ayant ainsi délaissé le réel pour l’idéal, M.  […] Que l’on remonte maintenant de ce pessimisme, terme de notre analyse, à la vue magnifiée des hommes et des choses dont il découle ; de celle-ci à l’amour de la vie, de la force, de la sensualité, de la raison et de la santé, ses causes ; que l’on se rappelle le réalisme de procédés et de vision que ces idéaux résument, l’on aura, je pense, les gros linéaments de l’œuvre de M.  […] C’est en lui-même et non au dehors que Ml Zola à trouvé le type de son idéal. […] Son pessimisme vient de la contradiction incessante entre la réalité qu’il ne peut ne pas voir et l’idéal dynamique que sa nature de lutteur le force à créer et à aimer.

159. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « II — L’inter-nationalisme »

Solidarité inter-nationale ne signifie pas alliance, fusion, ni même — pour l’instant — fédération, mais uniquement, lien entre les parties correspondantes de chacun des corps sociaux, liens d’individus ou de groupes, politiquement étrangers, mais humainement solidaires, par le fait même de leur existence, de leurs désirs, de leurs actions, de leur idéal, de leurs besoins ou de leur nature, conservant non seulement leur personnalité, mais celle du groupe social auquel ils appartiennent, et en plus vivant de cette part de la vie générale de l’humanité qui les affecte plus spécialement. […] Malgré l’individualité bien nette des idéals nationaux et la diversité des rôles que les peuples sont destinés à jouer dans l’histoire, il y a au fond de leurs efforts et de leurs luttes une identique aspiration vers un état meilleur, une commune recherche de plus de force et de plus d’équilibre. […] De même qu’il existe une sorte d’idéal commun aux races, il existe dans le monde un idéal d’humanité, commun à l’espèce et englobant sans les confondre, ceux des nationalités.‌ […] L’Évolution, la Révolution et l’Idéal anarchique.

160. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXVIe entretien. La littérature des sens. La peinture. Léopold Robert (1re partie) » pp. 397-476

L’artiste dont les œuvres expriment le plus de ce Sursum corda, de cette réalisation de l’idéal par la parole, les sons, les couleurs, les formes, est le plus véritablement artiste entre tous les artistes. […] Ne vous sentez-vous pas divinisés devant une poésie, une musique, une peinture, une statue, un temple dont la beauté vous élève de la fange à l’idéal Ne vous écriez-vous pas : C’est divin ! […] Parce que la partie divine de la nature, l’idéal ou le beau, éclate davantage dans l’œuvre de l’artiste, et que vous sentez plus de Dieu dans la pensée et dans la main de l’homme qui a écrit, chanté, peint ou sculpté ce chef-d’œuvre. […] Le caractère spécial de son pinceau, la réflexion, la simplicité, la mélancolie, le gracieux dans la sévérité, l’idéal dans le vrai, sont sans doute les produits de ces années de solitude, ingrates en apparence, fécondes en réalité. […] Son dessin suivit la transformation de sa palette ; il oublia le vulgaire et ne chercha plus que l’idéal.

161. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Conclusions »

Que l’on reprenne le substantif chêne ; seul, ce vocable, exprimant un genre, l’exprime par ses caractères génériques saillants de force, de hauteur, d’ombre, de végétation vigoureuse ; l’esprit en le prononçant, aperçoit vaguement un arbre magnifique, idéal. […] Nul n’hésitera à mettre leurs vers de cette sorte, ceux encore de Byron et de Musset, au-dessous, poétiquement, sinon littérairement, — des grandes effusions lyriques de Shelley, de Victor Hugo, de Lamartine, de Tennyson et d’autres maîtres de la véritable poésie, impersonnelle et idéale. […] Ils sont exclus du monde des faits, de la connaissance et de l’amour des simples objets naturels, par le maléfice d’une imagination incurablement raffinée, qui dégoûte de toutes choses par de plus séducteurs idéaux et oublie qu’il manque à ces fantômes la qualité primordiale de l’existence. […] Enfin ces athlètes intellectuels jouissent d’assez larges cerveaux, pour que l’idéal n’y trouble point la calme et joyeuse contemplation du spectacle réel. […] On ne lit, on n’aime communément un livre que s’il agrée, s’il met en jeu un système de sentiments, d’idées, de souvenirs que l’on possède, s’il exprime peu ou beaucoup les inclinations, l’idéal, la manière de voir que l’on a.

162. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. BRIZEUX (Les Ternaires, livre lyrique.) » pp. 256-275

Il n’a pu s’y résoudre ; le mieux, un certain idéal, posait devant ses regards et ne lui laissait pas de trêve. […] L’idéal devint de bonne heure la préoccupation, le culte de M. […] Mais une certaine réflexion idéale qui est propre à M. […] S’il nomme souvent l’idéal dans ses vers, il ne fait pas comme plusieurs pour qui ce n’est qu’un grand mot : il n’y déroge jamais.

163. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre II. L’analyse interne d’une œuvre littéraire » pp. 32-46

On peut la définir ainsi : une œuvre qui cherche à plaire en exprimant et en suggérant, à l’aide de phrases écrites ou parlées, des sensations, des sentiments, des idées, des tendances pratiques, des visions et des aspirations idéales. […] Elle portera sur les cinq ordres de qualités qu’une œuvre peut avoir en vertu de la définition précédente : qualités sensorielles, sentimentales, intellectuelles, tendancieuses, idéales ou supra-sensibles. […] Qu’il s’agisse de contes de fées qui émerveillent les enfants ou d’histoires de revenants qui leur font si grand’peur, qu’il s’agisse d’hymnes religieuses essayant de percer le mystère de la tombe ou d’utopies sociales s’efforçant d’esquisser l’avenir de l’humanité, qu’il s’agisse de méditations métaphysiques sur l’origine et la fin des choses ou de poèmes paradisiaques et prophétiques, nous rencontrons là des qualités nouvelles, des élans d’imagination, des envolées dans le vaste champ du possible, voire même de l’impossible, dans le royaume des hypothèses et des chimères, en un mot de l’idéal. […] Là encore il faut retourner l’œuvre de mille manières pour la considérer sous toutes ses faces ; et, pour résumer le travail qu’il sied d’accomplir, disons que l’analyse doit porter sur la nature, la variété, la complexité, la vraisemblance, l’intensité des aspirations ou des visions idéales de l’œuvre qu’on étudie.

164. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Madame Récamier. » pp. 121-137

Pour être vrai, j’ai besoin de baisser un peu le ton, de descendre un moment de cette hauteur idéale de Laure et de Béatrix où l’on s’est accoutumé à la placer, de causer d’elle enfin plus familièrement et en prose. […] Elle ne concevait point de parfait bonheur hors du devoir ; elle mettait l’idéal du roman là où elle l’avait si peu rencontré, c’est-à-dire dans le mariage ; et plus d’une fois en ses plus beaux jours, au milieu d’une fête dont elle était la reine, se dérobant aux hommages, il lui arriva, disait-elle, de sortir un moment pour pleurer. […] Avant le chapitre de Benjamin Constant, il y aurait encore à faire celui du voyage d’Italie en 1813, le séjour à Rome, la liaison avec Canova, le marbre de celui-ci, qui cette fois, pour être idéal, n’eut qu’à copier le modèle ; puis le séjour à Naples auprès de la reine Caroline et de Murat. […] Son buste a été sculpté par Canova dans son idéal de beauté.

165. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre troisième. Découverte du véritable Homère — Chapitre VII » pp. 278-283

Certainement, s’il ne restait pas plus de traces d’Homère que de la guerre de Troie, nous ne pourrions y voir, après tant de difficultés, qu’un être idéal, et non pas un homme. Mais ces deux poèmes qui nous sont parvenus, nous forcent de n’admettre cette opinion qu’à demi, et de dire qu’Homère a été l’idéal ou le caractère héroïque du peuple de la Grèce racontant sa propre histoire dans des chants nationaux.

166. (1895) Le mal d’écrire et le roman contemporain

Ohnet d’avoir mis son idéal dans la vente. […] Il n’admit, en matière littéraire, que son propre idéal technique. […] L’artiste de talent est peut-être l’idéal du vrai critique. […] La volupté semble parfois aussi infinie que l’idéal. […] Aurait-il moins d’analyse, s’il eût été plus idéal ?

167. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Mendès, Catulle (1841-1909) »

Ses théories sont que l’idéal est le réel, que la légende l’emporte sur l’histoire, que le passé est le vrai domaine du poète et du romancier. […] Dans un sujet moderne, l’idéal n’est plus le réel, et cet idéal devient un singulier embarras. […] Cette idée, voici comment, pour être clair, je la formulerais sous la forme d’un axiome : « La Justice absolue est, par sa nature même, essentiellement idéale et divine ; la Justice humaine ne peut et ne doit agir que d’une manière relative, et sans tenir compte de ce qui jetterait le trouble dans ses indispensables règles, car la société doit songer avant tout à sa conservation… » Telle est à peu près la situation de Valentin ; il a de toute façon et sous toutes les formes offensé les hommes et le devoir humain ; c’est Dieu seul qu’il a quelquefois essayé de satisfaire ; aussi est-ce seulement à Dieu qu’il peut demander la pitié, qui, dans l’ordre divin est la même chose que la justice. […] … Cette longue scène, mouvementée, émouvante, pleine de surprises et de péripéties qui se passent dans la pensée et n’en sont que plus réelles (car rien de matériel n’est vrai), est une élégie tragique de la plus grande beauté, écrite d’un style précis dans l’idéal et dans le raffinement, et qui, à elle seule, accueillie comme elle l’a été par mille bravos enthousiastes, eût suffi à établir la réputation d’un écrivain. […] Vous y recherchez la vérité, vous y vivez pour le triomphe de l’idéal avec une passion que nos confrères ni leur « prince » n’ont connue ; avec une érudition qui humilie même les ignorants et avec ce vrai Bon Sens qui se défend d’être l’opinion moyenne, car il appartient aussi aux poètes !

168. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre cinquième »

Les fictions ne sont pas l’idéal ; ce n’est, le plus souvent qu’un artifice pour orner et rendre extraordinaire une réalité trop commune l’idéal, c’est la réalité choisie. Malherbe aimait autant l’idéal qu’il dédaignait les fictions. […] Il semble que ce grand homme avait fait assez en délivrant la poésie française de la superstition de l’antiquité et de l’imitation étrangère, des fictions, de la subtilité et du pédantisme, en lui montrant son idéal dans l’esprit français, formé par l’antiquité et parlant la langue du peuple de Paris ; surtout en joignant, comme il en eut la gloire, l’exemple au précepte. […] Il cédait alors, aimant mieux s’avouer vaincu par sa propre discipline que de l’éluder ; et tantôt il allait se délasser dans cette menue poésie, biffée par lui, où il avait pourtant la faiblesse de vouloir exceller ; tantôt il se retrempait dans de vigoureux entretiens avec ses amis, où, en disputant de cet idéal qu’il n’avait pu atteindre, il reprenait des forces pour le poursuivre de nouveau. […] Combien j’aime, pour ma part, la fierté de ces vers, écrits sans doute dans un moment où Malherbe sentait qu’il n’était pas resté trop au-dessous de cet idéal, et où le réformateur ne désapprouvait pas le poëte !

169. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre premier »

On appela tout cela l’éloquence, et l’on se fit de l’éloquence un idéal auquel j’aime à voir tous les auteurs du temps aspirer, même au risque d’un peu d’emphase, et de cette « raisonnable fureur » à laquelle Balzac avoue naïvement s’être laissé parfois emporter. […] Cette théorie d’un prince parfait d’après un idéal rêvé dans la solitude, loin des affaires et des princes, et dont Balzac, à la fin de chaque chapitre, rapportait uniformément les traits à Louis XIII, fut médiocrement goûtée. […] Quoi de moins ressemblant au portrait du prince que Machiavel a tracé d’après nature, et dont chaque détail est pris à quelque personnage connu, que ce vain idéal, mélange de souvenirs de lecture échauffés par le travail, et de digressions où Balzac tantôt fait sa cour au roi, tantôt défend sa réputation attaquée ? […] Mais l’ouvrage tout entier n’est qu’une longue hyperbole, soit par cette perfection impossible qu’il exige de son prince, soit par la comparaison qu’il y fait de Louis XIII avec cet idéal. […] Comme Louis XIII avait été l’idéal du Prince, Richelieu fut l’idéal d’Aristippe.

170. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XIX. Progression croissante d’enthousiasme et d’exaltation. »

Les sociétés chrétiennes auront deux règles morales, l’une médiocrement héroïque pour le commun des hommes, l’autre exaltée jusqu’à l’excès pour l’homme parfait ; et l’homme parfait, ce sera le moine assujetti à des règles qui ont la prétention de réaliser l’idéal évangélique. Il est certain que cet idéal, ne fût-ce que par l’obligation du célibat et de la pauvreté, ne pouvait être de droit commun. […] Ce n’est pas que sa vertu baissât ; mais sa lutte au nom de l’idéal contre la réalité devenait insoutenable.

171. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. Antoine Campaux » pp. 301-314

C’est ce génie, plus épris de réalité que d’idéal, de nature humaine que de l’autre nature. […] L’idéal, je l’ai dit souvent, est toujours l’impossible, et ce dut être son idéal.

172. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXXII. L’Internelle Consolacion »

C’est si haut, que c’est impossible, et l’on se rassied dans la vie commode, en jetant à l’idéal intangible le regard le plus tranquillement résigné… à la perte de cet idéal. […] Cette vignette de l’Âme et de Jésus-Christ qui ressemble à la patiente enluminure des marges d’un missel n’égale pas, sous son latin de cloître, harmonieux et limpide, les figures idéales, mais si profondément touchantes dans leur sainteté émaciée et splendide, de frère Ange Fiesole (un moine aussi), le plus profond interprète du Moyen Âge, ni même les lignes expressives et nettes d’Overbeck, aussi loin pourtant que l’homme l’est de l’ange, du monastique Angelico.

173. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre I. Renaissance et Réforme avant 1535 — Chapitre II. Clément Marot »

Ainsi s’affranchir par l’entendement, se donner par l’amour, voilà l’idéal de cette noble femme. […] On sent des souffles d’Italie, dans l’Heptaméron issu du culte de Boccace, et les anciens sont de moitié avec l’Italie dans le platonisme, qui concourt, avec la théorie courtoise et la tendresse mystique, à former l’idéal amoureux de la reine, dans la mythologie qui ne séduit plus par l’absurdité merveilleuse des faits, mais par son beau naturalisme et par sa vérité pathétique, dans une aisance enfin de la pensée, du sentiment, de tout l’être, qui soulève, anime, illumine la raideur rebelle des formes surannées. […] Il n’eût point si aisément réalisé l’idéal poétique d’une cour mondaine et galante, si déjà en lui-même il n’eût porté cet idéal. […] La délicatesse ultra-montaine aide nos seigneurs à dissiper la lourdeur du bon sens bourgeois dont leurs pères avaient subi la contagion : l’idéal romanesque de la féodalité française reparaît, réveillé au fond des cœurs, ou renvoyé par des influences étrangères.

174. (1902) L’œuvre de M. Paul Bourget et la manière de M. Anatole France

Bourget avec l’intérêt qu’il mérite, aura sans doute observé en cet esprit logique un phénomène très curieux de sujétion idéale, exercée sur ses dispositions raisonnées par des exigences de sensibilité souvent contradictoires. […] D’aucuns auraient prévu cette ternissure de l’idéal d’ataraxie, remis en honneur et en quelque façon incarné par M.  […] France de s’être révélé maître dans l’art de réserver sa place idéale à l’objet, partout où il pouvait se faire que celui-ci méritât de participer à une projection représentative, — n’en dût-il le plus souvent revenir à l’effet d’ensemble qu’un bénéfice de superfluité concomitant. […] Mais il est évident que l’esprit a sa manière, opportune et logique, alors que l’habitude et un certain pouvoir de concentration l’arment de la volonté et du goût de l’entreprise idéale, — et qu’il a dès lors ses maîtrises. […] Nous n’aurions donc demandé à nos sens toutes les représentations, et, impatients d’élaborer notre formule de foi, nous ne nous serions épuisés pour la construction de notre édifice idéal, que pour y retrouver encore un résidu des tares physiques qui alourdirent notre marche et influencèrent nos jugements !

175. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Madame Émile de Girardin. (Poésies. — Élégies. — Napoline. — Cléopâtre. — Lettres parisiennes, etc., etc.) » pp. 384-406

Enfant, elle fut nourrie au sein du luxe, des élégances et d’un certain idéal poétique extérieur et militaire que l’Empire favorisait. […] La Corinne de Mme de Staël était, en effet, le grand idéal alors pour toute femme célèbre. […] Pour trouver la réponse à ces problèmes, il était nécessaire de remonter à ce faux idéal primitif dont elle s’est éprise une fois. […] On perd le sentiment du vrai, du vrai réel comme du vrai idéal. […] Le cadre idéal est toujours la fête mondaine, l’éclat, la parure, la féerie du bal éblouissant, du bal de l’ambassade, et au milieu de tout cela le guerrier beau, jeune, pâle, blessé, intéressant, un Alfred quelconque.

176. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Première partie — Chapitre II. Réalité des idées égalitaires »

Sumner Maine en fait justement la remarque2 ; leur idéal, « le bonheur général, c’est-à-dire le plus grand bonheur du plus grand, nombre » n’est recevable que s’ils prêtent à tous les individus un droit égal à la jouissance. […] Toutefois, parmi les institutions que maintiennent nos sociétés, n’en est-il pas qui contrarient directement cet idéal ? […] Il n’est que trop aisé de mesurer l’abîme qui sépare la réalité de l’idéal démocratique. […] En nous présentant l’égalitarisme comme préhistorique, elle nous permet de penser qu’il est essentiellement naturel à l’homme, — d’attribuer à notre idéal une sorte de réalité vague à souhait, — de donner un air scientifique à nos préférences, — et enfin de satisfaire à ce vœu de symétrie qui nous pousse à voir partout, tant dans le champ du droit que dans celui de l’économie politique, des reviviscences, des ricorsi, des rééditions de l’histoire. […] Michel, la position de l’idéal est à distinguer de la recherche scientifique des moyens propres à le réaliser.

177. (1899) Arabesques pp. 1-223

Le récit de ses déboires n’est point fait pour conquérir des prosélytes à l’Église… Nous autres mécréants, esprits vulgaires, dénués d’idéal surnaturel, le cas de M.  […] Ce furent des instants de lucidité profonde, grâce auxquels je me sentais meilleur et plus fort, — confirmé dans l’idéal que j’ai conçu. Et quel idéal ? […] Pour formuler cet idéal, il abolit la foi aux entités, le respect de la souffrance, la notion de péché et de châtiment, celles de justice et de solidarité. […] Leur âme n’est que ténèbres et confusion ; faute d’un Idéal généreux, ils emploient leur énergie à se duper et à se détruire les uns les autres… Or nous qui ne voulons « ni donner, ni recevoir de lois », nous qui ressentons les douleurs de tous, nous nous efforçons de démontrer que cet Idéal de bonheur et de beauté peut entrer dans le domaine des faits.

178. (1841) Discours aux philosophes. De la situation actuelle de l’esprit humain pp. 6-57

Jean, a non seulement droit contre une société dépourvue d’idéal, mais elle a le droit au pardon devant le maître de l’idéal, devant son vrai juge. […] Donc, si la société ne peut pas donner à la femme l’idéal de l’amour, elle n’a rien à imposer à la femme. […] Je n’ai plus d’idéal, je ne veux plus de frein. […] Donc, pour jouir de la liberté morale, il faut un idéal. […] L’esprit humain ne peut pas concevoir la réalité sans idéal : donc il reviendra à l’idéal.

179. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 mai 1885. »

Or, c’est l’Association Wagnérienne qui veut, ainsi, continuer la pensée du Maître : maintenir, pour l’Œuvre idéale, les représentations du Théâtre idéal, et leur donner, pieux, le Public idéal. […] Volontiers, composant ces pages, il s’est imaginé qu’il lisait un grand Discours de Fête, devant un Auditoire idéal. […] Ce premier volume comprend les chapitres suivants : Avant-propos ; introduction (esthétique) ; 1° Education anarchique ; 2° Wagner devient artiste (les Fées, la Défense d’aimer) ; 3° Wagner chef d’orchestre en province (Rienzi) ; 4° Paris — lutte pour l’existence ; — 5° Révolte — Wagner critique ; 6° le Vaisseau Fantôme — Manfred ou Tànnhaeuser ; 7° Wagner chef d’orchestre à Dresde — Tannhaeuser ; 8° Première idée des Maîtres Chanteurs — Lohengrin ; 9° Dernière crise — Projet de réforme du théâtre ; 10° Dernier conflit — Formation de l’idéal ; 11° Forme du drame de Wagner — Révolution et exil, la Mort de Siegfried. […] Obtenir la représentation idéale dans un théâtre idéal et préparer le public idéal : voilà donc le but de la Revue en cette nouvelle livraison.

180. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre I. La préparations des chefs-d’œuvre — Chapitre III. Trois ouvriers du classicisme »

En chaque genre, une sorte de canon idéal avait été établi, d’après les écrivains reconnus pour excellents, et d’après les principes qu’on recueillait d’Aristote et d’Horace. […] Cependant le même Chapelain avait eu l’idée du Dictionnaire de l’Académie, ce monument de la langue classique : et il avait de toutes ses forces travaillé à réduire la tragédie aux imités, c’est-à-dire au type idéal du drame classique. […] Mais c’est déjà beaucoup que de voir s’ébaucher chez ce flatteur de Marino, cet ami de Voiture, ce docteur en titre de la société précieuse, chez l’auteur, pour tout dire, de la Pucelle, c’est beaucoup d’y voir s’ébaucher la formule de l’idéal classique, dans le rapprochement des deux termes qui la composent : souveraineté de la raison, et respect de l’antiquité. […] En second lieu, ces actes intellectuels sont toute la vie du philosophe ; le reste ne compte pas dans son autobiographie, et toutes les déterminations de sa vie extérieure, choix d’une profession, voyages, retraite, expatriation, ont toujours pour fin d’assurer un jeu plus facile et plus libre à l’activité de son esprit : par là Descartes est l’homme idéal du xviie  siècle, l’homme-pensée.

181. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre I. La littérature pendant la Révolution et l’Empire — Chapitre III. Madame de Staël »

Mme de Staël a fourni aux romantiques des idées, des théories, une critique : de Chateaubriand ils ont reçu un idéal, des jouissances et des besoins ; elle a défini, il a réalisé. […] Ainsi à l’idéal absolu de Boileau se trouve substituée une pluralité de types idéaux, relatifs chacun au caractère national et au développement historique de chaque peuple : la tyrannie des règles éternelles est rejetée. […] Cette fois, Mme de Staël a tout à fait échappé au goût du xviiie siècle : elle ne veut plus y faire rentrer ce qu’elle admire, elle veut y substituer un idéal nouveau.

182. (1899) Le préjugé de la vie de bohème (article de la Revue des Revues) pp. 459-469

Cette fin lamentable des gens qui les mystifiaient ou les exaspéraient en leur parlant d’idéal, de dons inaccessibles, de vocation et de beauté intangible à leurs intelligences bornées, cette fin leur donne raison dans toute leur conception de la vie. […] Il serait temps, cependant, de réagir contre l’erreur propagée par l’un des plus piteux livres que le sentimentalisme ait échafaudés ; et puisque nous sommes dans une de ces périodes rares où l’on met tout sur table, où l’on bannit tout faux respect des choses convenues, et où l’on étudie impitoyablement la valeur exacte des gens et des idées, puisque d’autre part, l’artiste, jusqu’ici écarté et résigné à être une non-valeur sociale, vient de s’avancer au premier rang des énergiques, il siérait de saper, d’une hache implacable, le faux idéal et la menteuse générosité de « la bohème », qui séduisent et égarent encore certains jeunes artistes, autant qu’ils font le jeu de la médiocratie contre l’idéal authentique et la vraie générosité. […] Nous l’avons vu expansif, bon garçon, bavard intarissable, racontant au premier venu, devant un bock, ses projets d’art, ses songes, ses émotions, ses amours, galvaudant tout ce que l’homme bien né garde pour lui ou de très rares intimes, étalant son intérieur comme son extérieur : en réalité, sous cette bonhomie ripailleuse, très dénigreur, rongé d’envie, se sachant impuissant, mais retenu dans un monde de ratés par une énorme vanité qui est encore du bourgeoisisme exaspéré, la vanité de serrer des mains célèbres, de figurer parmi les gens de lettres, et de passer pour un martyr de l’idéal.

183. (1913) Le bovarysme « Troisième partie : Le Bovarysme, loi de l’évolution — Chapitre I. Le Bovarysme de l’individu et des collectivités »

Toute une part de l’humanité va la prendre pour idéal, se concevoir à son image, faire effort pour la posséder. […] C’est en vertu de ce principe, et parce qu’elles étaient pourvues d’une organisation sociale toute rudimentaire, que les hordes barbares ont tiré un bénéfice du fait d’avoir adopté pour modèle un idéal étranger, l’idéal chrétien. […] De même, ainsi qu’on l’a déjà noté, la civilisation romaine a servi de corset utile à celles de ces masses humaines qui se fixèrent dans le sud de l’Europe : agissant d’une façon plus directe que l’idéal chrétien, elle a été pour elles un puissant moyen d’organiser le droit de propriété, hase et moyen à son tour de toute civilisation supérieure.

184. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Ch. Bataille et M. E. Rasetti » pp. 281-294

Ainsi encore, ils n’ont pas d’idéal et ils ne se doutent point que l’idéal est dans la chose la plus vulgaire et la plus aimée d’eux, parce qu’elle est vulgaire, et qu’il ne s’agit que de l’en faire jaillir ! […] Bataille n’arrivera jamais, je l’espère, à ce degré de bestialité délirante qui doit être pour lui l’idéal.

185. (1884) Propos d’un entrepreneur de démolitions pp. -294

Il avait dans l’œil un idéal de vertu chrétienne décroché, comme son idéal littéraire, de la muraille classique du xviie  siècle, et il fallait que tout s’y ajustât. […] Poictevin est un homme aimable et simple, capable d’enthousiasme et inquiet d’idéal. […] Voilà l’idéal. […] D’ailleurs, je connais suffisamment le faquin, type accompli de la plus idéale ignominie, dans une société patibulaire, abolisseuse de la potence. […] Quand ces fauves ont fini leurs courses, ils réintègrent l’antre lumineux où l’Idéal dompté file aux pieds de leur Fantaisie.

186. (1889) L’art au point de vue sociologique « Préface de l’auteur »

Le but de la religion est donc la satisfaction effective, pratique, de tous nos désirs d’une vie idéale, bonne et heureuse à la fois, — satisfaction projetée dans un temps à venir ou dans l’éternité. Le but de l’art, au contraire, est la réalisation immédiate en pensée et en imagination, et immédiatement sentie, de tous nos rêves de vie idéale, de vie intense et expansive, de vie bonne, passionnée, heureuse, sans autre loi ou règle que l’intensité même et l’harmonie nécessaires pour nous donner l’actuel sentiment de la plénitude dans l’existence.

187. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre septième »

Au dix-septième siècle, l’idéal, c’est la royauté. […] Les désordres de la Fronde ne firent qu’attacher plus fortement la nation à cet idéal. […] Mazarin mort, le rideau qui cachait le roi tomba, et l’idéal rêvé par tout le monde apparut dans la personne d’un jeune prince qui, comparé aux autres hommes, était lui-même une sorte d’idéal. […] Chaque chef-d’œuvre réfléchit tous les traits de l’idéal. […] C’était plus que la brouille de deux amis, c’était une rupture entre le poète et son idéal.

188. (1856) La critique et les critiques en France au XIXe siècle pp. 1-54

Puis il rapporte à ses contemporains, avides de cette manne céleste, la nourriture de l’âme qu’on nomme l’idéal. […] Au lieu de tracer une nouvelle peinture et de rapprocher ainsi l’idéal du spectateur, c’est le spectateur qu’elle rapproche du tableau antique. […] L’artiste se confie à la vertu de la beauté ; il la fortifie de toute la puissance, de tout le charme de l’idéal : c’est à elle de faire son œuvre ». […] Même doctrine, sauf quelques détails, sur l’essence du beau, sur la nécessité de l’idéal, sur la réduction de toute espèce de beauté à la beauté intellectuelle et morale. […] De là son embarras à l’endroit de l’idéal : elle n’ose le rejeter tout à fait et ne sait pas où le chercher ; car la nature ne le distingue point.

189. (1874) Histoire du romantisme pp. -399

Ambition chimérique, idéal irréalisable ! […] Seul Joanny réalisait l’idéal de Ruy Gomez de Silva. […] Peu d’écrivains ont réalisé comme Alfred de Vigny l’idéal qu’on se forme du poète. […] Il répond mieux qu’un autre à l’idéal du moment. […] Les Grecs semblent en avoir à tout jamais fixé les lois, les conditions et l’idéal.

190. (1889) Les artistes littéraires : études sur le XIXe siècle

L’homme d’aujourd’hui n’a plus d’idéal religieux ; ni d’idéal artistique ou littéraire ; ni d’idéal politique. […] Il songe que « tout rêve, quelque idéal qu’il soit, se retrouve avec un poupard glouton suspendu au soin129 ». […] Il n’est pas démontré d’abord que la beauté absolue, idéale, vers qui doit tendre l’artiste, ne soit pas impassible. […] Ce qui est certain, c’est que, dans ce corps de femme aux lignes admirablement pures et aux contours harmonieux, dans ce visage d’une sérénité plus qu’humaine, il a laissé à travers les âges une des expressions les plus hautes de la Beauté idéale. […] L’idéal, entité abstraite, doit incontestablement, pour devenir saisissable, se concrétiser en une réalité matérielle et sensible, et le beau ne pénétrera dans les âmes que sous la forme du vrai.

191. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « L’obligation morale »

La vie sociale est ainsi immanente, comme un vague idéal, à l’instinct comme à l’intelligence ; cet idéal trouve sa réalisation la plus complète dans la ruche ou la fourmilière d’une part, dans les sociétés humaines de l’autre. […] Platon la partageait, au moins pour sa république idéale. […] Mais ces formules étaient celles d’un idéal conçu, et conçu peut-être comme irréalisable. […] Ce travail a abouti à formuler des règles et à dessiner un idéal : ce sera vivre moralement que de suivre ces règles, que de se conformer à cet idéal. […] L’aspiration pure est une limite idéale, comme l’obligation nue.

192. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Discours sur le système et la vie de Vico » pp. -

Cette création des caractères idéaux qui semblerait l’effort d’un art ingénieux, fut une nécessité pour l’esprit humain. […] Cette tendance des hommes à placer des types idéaux sous des noms propres, a rempli de difficultés et de contradictions apparentes les commencements de l’histoire. […] Ainsi se forma le caractère idéal de l’Hercule antique ; les héros étaient héraclides, enfants d’Hercule, comme les sages étaient appelés enfants de la sagesse, etc. […] Conformément à cette métaphysique, Platon donne pour base à sa morale l’idéal de la justice ; et c’est de là qu’il part pour fonder sa république, sa législation idéales. La lecture de Platon éveilla dans l’esprit de Vico la première conception d’un droit idéal éternel, en vigueur dans la cité universelle, qui est renfermée dans la pensée de Dieu, et dans la forme de laquelle sont instituées les cités de tous les temps et de tous les pays.

193. (1860) Cours familier de littérature. X « LVIIe entretien. Trois heureuses journées littéraires » pp. 161-221

Ces amours moins vagues et moins éthérés, quoique aussi purs, vous feront découvrir dans votre cœur des fibres plus émues et plus consonantes au cœur humain ; vous descendrez des généralités idéales aux personnalités passionnées de la vie humaine, et, après avoir été un poète d’autel, vous deviendrez un poète de foyer. […] XXVIII Enfin la poésie est l’expression de l’idéal ; or le beau idéal, c’est l’amour enthousiaste, la prière, la miséricorde, la charité du genre humain, comme dit Cicéron. […] Quand ces poètes politiques, fussent-ils, comme Juvénal ou Gilbert, les suprêmes satiristes, passent du beau idéal au laid idéal, objet de leur satire, ils sortent de leur vraie nature et faillissent à leur vraie mission. […] Moi qui connais l’aïeul, l’épouse et les enfants , je puis attester que l’idéal apparent de ces doux vers n’est que la plus exacte réalité.

194. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série «  M. Taine.  »

Il crée dans l’idéal et l’impossible. […] Ce que vous appelez idéal n’est qu’un nouvel arrangement, fragile et incertain, des éléments de la réalité. […] pour nous présenter en fin de compte, sous le nom de bonheur idéal, les joies mêlées, les joies terrestres que nous connaissions déjà) ; il se torture si fort l’entendement pour aboutir à ce chétif résultat, que, vraiment, le drame est beaucoup moins dans l’âme de Faustus et de Stella, les pauvres bienheureux, que dans celle du poète tristement acharné à la construction de ce pâle Eden et de ce douteux Paradis, Rien n’est plus touchant, par son insuffisance et sa stérilité même, que ce rêve laborieux du bonheur. […] Stella nous dit que, dans cette bienheureuse planète, les grands artistes contemplent enfin leur idéal vivant : Ils possèdent leur songe incarné sans effort : C’est aux bras d’Athéné que Phidias s’endort ; Souriante, Aphrodite enlace Praxitèle ; Michel-Ange ose enfin du songe qui la tord Réveiller sa Nuit triste et sinistrement belle. […] Sully-Prudhomme, la science faisait partie du bonheur idéal.

195. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « La Plume » pp. 129-149

Gandillot brillait d’un vif éclat et Francisque Sarcey, au nom du bon sens et de la vieille gaieté française, imposait un idéal médiocre. […] Les esprits saturés de naturalisme sentaient naître un besoin d’idéal. […] Quelques-uns nous disent : « Vous n’êtes que l’ébauche d’un idéal futur ; vous vivez à une époque de transition où rien ne se peut créer de définitif.

196. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre I. Place de Jésus dans l’histoire du monde. »

Jérusalem et son temple leur apparurent comme une ville placée sur le sommet d’une montagne, vers laquelle tous les peuples devaient accourir, comme un oracle d’où la loi universelle devait sortir, comme le centre d’un règne idéal, où le genre humain, pacifié par Israël, retrouverait les joies de l’Éden 85. […] C’était l’œuvre d’hommes pénétrés d’un haut idéal de la vie présente et croyant avoir trouvé les meilleurs moyens pour le réaliser. […] Peut-être le Sosiosch de la Perse, le grand prophète à venir, chargé de préparer le règne d’Ormuzd, donna-t-il quelques traits à ce nouvel idéal 95.

197. (1864) William Shakespeare « Conclusion — Livre II. Le dix-neuvième siècle »

Versez l’espérance, versez l’idéal, faites-le bien. […] De là cette parole : Délivrance, qui apparaît au-dessus de tout dans la lumière, comme si elle était écrite au front même de l’idéal. […] Nous assistons, sous la pleine clarté de l’idéal, à la majestueuse jonction du beau avec l’utile.

198. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XV. Mme la Mise de Blocqueville »

Mais l’idéal amphigouri, car il est idéal, qui est le caractère spécial du livre de Mme de Blocqueville, dissimule bien mieux l’imitation que tous les jasmins de la terre, en pleine plate-bande, ou en pot, en fleurs ou en pommade ! […] L’idéal de Mme de Blocqueville, la duchesse Eltha, est une comète.

199. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Achille du Clésieux »

l’accent tout puissant d’amertume et d’ironie de l’Ajax poétique qui s’appelle lord Byron ; mais il n’en a pas moins l’accent du désespoir de la vie, sans lequel nulle grande poésie ne peut exister, dans ce monde où l’idéal entrevu nous fuit de toutes parts ! […] Le poème, c’est l’histoire du déchirement de cette âme entre son serment et son amour ; c’est l’affliction désespérée de l’idéale et malheureuse Armelle ; et le dénouement de cette histoire c’est l’entrée au cloître de la jeune fille qui, après cet époux impossible sur terre et qu’elle adore, n’a plus que Dieu, cet époux après tous les autres : — Celui-là qui ne se refuse jamais à la main qui se tend vers lui ! […] La langue de Racine a presque disparu, et fait l’effet maintenant de ce spectre charmant de Francesca, dans un des poèmes de Byron, à travers la main pâle de laquelle passe un clair rayon de la lune… Et ce n’est pas dire pour cela que la langue de Racine dût être l’idéal — éternel et immobile — de la langue poétique.

200. (1898) XIII Idylles diaboliques pp. 1-243

La ligne droite est le plus vraisemblable chemin d’un point à un autre, — selon l’idéal, et cela lui suffit. […] Chaque effort individuel aide à ce labeur sublime, pourvu qu’il se détermine vers un idéal plus haut que l’idéal déjà réalisé. […] Comme elle, il dépend de toutes les forces, — extérieures à nous, — qui nous déterminent vers un idéal de bien-être et de beauté, idéal tenté par cent voies, toujours changeant, jamais atteint. […] Une fois ces chaînes brisées, il faut concevoir l’idéal par l’accord de la lutte et de l’amour. […] La vie n’est belle que pour celui qui agit, soutenu par son idéal.

201. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre onzième »

Il l’aime comme idéal, à proportion du peu de cas qu’il fait des simples vertus d’un galant homme. […] En regard de cet idéal, Rousseau place les gouvernements existants. […] Mais l’autorité, dans l’idéal du gouvernement tracé par Rousseau, n’est rien. […] L’idéal de l’Émile est, comme le dit Rousseau, un homme qui n’est pas de l’homme, mais de la nature. […] Rapprocher l’enfant, par une éducation appropriée, de cet homme idéal ; attaquer la société dans tout ce qu’elle a fait pour le gâter, telle est la pensée de l’Émile.

202. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « IX »

Et ce qui était bien plus grave, ce qui paralysait Wagner complètement, c’était — sans aucun doute — que ces deux projets, ainsi que toute son Esquisse de drame, ne répondaient aucunement à l’idéal qu’il venait de dresser, précisément en 1850-1851, dans ses deux écrits : l’Œuvre d’art de l’avenir et Opéra et drame. […] Lamoureux est idéal. […] Voici, en effet, le dilemme auquel sont acculés ceux qui se disent Wagnériens et qui en même temps sont partisans des exécutions de fragments de la musique de Wagner dans les concerts, et de représentations de drames wagnériens en dehors de Bayreuth : — S’ils approuvent ces concerte et ces représentations, ils approuvent ce que Wagner a passé sa vie à condamner et à combattre, ils approuvent ce qui est la négation de l’idéal wagnérien d’art, ils approuvent ce qui ne peut que défigurer chaque œuvre du maître et fausser toutes les idées du public sur lui, et alors — pourquoi se dire Wagnériens ? […] Il faut marquer aussi que des ouvrages parus à droite et à gauche, et certaines études, publiées ici même, dont je parlerai tout à l’heure, ont pu aider à la compréhension de l’idéal du maître, surtout de son idéal poétique. […] Se sentir si entièrement compris de si nobles âmes, n’est-ce point le rêve idéal, pour un artiste ?

203. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. Ernest Renan »

Et c’était moins encore à Béranger personnellement qu’il s’en prenait ce jour-là qu’à la veine de l’esprit français qu’on vient de voir, à cette littérature, « essentiellement roturière, narquoise, spirituelle », qu’il avait déjà qualifiée d’immorale à propos de la farce de Patelin et qu’il n’accepte pas même dans les masques grimaçants, si chauds et colorés, de notre grand Molière ; il faisait le procès à cet esprit de goguette et de malice du bon vieux temps, un peu frelaté et sophistiqué du nôtre, mais survivant encore, et qui n’est jamais près de finir ; au bon sens grivois qui profane tout, qui réduit tout à sa moindre valeur, et qui ne se sauve de tous les fanatismes, de tous les doctrinarismes comme de toutes les préciosités, qu’aux dépens du respect et de l’idéal, et en préconisant la bonne loi naturelle, comprise en trois mots, le vin, les femmes et la chanson. […] Renan ; ses instruments sont analytiques, sa forme et son fond sont pour l’idéal et pour l’infini ; c’est un brahme affilé jusqu’aux dents de la science moderne et qui en use, mais qui a gardé sur son front et dans son processus quelque chose de l’empreinte originelle. […] Les vieux souvenirs de cette race sont pour moi plus qu’un curieux sujet d’étude ; c’est la région où mon imagination s’est toujours plu à errer, et où j’aime à me réfugier comme dans une idéale patrie… Ô pères de la tribu obscure au foyer de laquelle je puisai la foi à l’invisible, humble clan de laboureurs et de marins à qui je dois d’avoir conservé la vigueur de mon âme en un pays éteint, en un siècle sans espérance, vous errâtes sans doute sur ces mers enchantées où notre père Brandan chercha la terre de promission ; vous contemplâtes les vertes îles dont les herbes se baignaient dans les flots ; vous parcourûtes avec saint Patrice les cercles de ce monde que nos yeux ne savent plus voir. […] Renan est un peu plus grande que lui, et dans ce cadre limité, sur cet échiquier que je possède à fond, j’aperçois quelques-uns des défauts de la méthode employée et de cette interprétation trop idéale des faits.

204. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Réception de M. le Cte Alfred de Vigny à l’Académie française. M. Étienne. »

Dès le début de son discours, il a tracé dans une double peinture, pleine de magnificence, le caractère des deux familles, et comme des deux races, dans lesquelles il range et auxquelles il ramène l’infinie variété des esprits : la première, celle de tous les penseurs, contemplateurs ou songeurs solitaires, de tous les amants et chercheurs de l’idéal, philosophes ou poëtes ; la seconde, celle des hommes d’action, des hommes positifs et pratiques, soit politiques, soit littéraires, des esprits critiques et applicables, de ceux qui visent à l’influence et à l’empire du moment, et qu’il embrasse sous le titre général d’improvisateurs. […] Étienne, lui, n’était pas du tout du sanctuaire, et une illusion de son ingénieux panégyriste a été, à un certain moment, d’essayer de l’y rattacher, ou, lors même qu’il le rangeait définitivement dans la seconde classe, d’employer à le peindre des couleurs encore empruntées à la sphère idéale et qui ressemblent trop à des rayons. […] Ainsi l’homme d’imagination plaidera sa cause sans déployer ses cahiers, et il évitera le reproche le plus sensible à tout ami de l’idéal, celui d’être taxé de rêve et de chimère. […] Il est même allé jusqu’à penser qu’il y avait une lutte établie et comme perpétuelle entre les deux races ; que celle des penseurs ou poëtes, qui avait pour elle l’avenir, était opprimée dans le présent, et qu’il n’y avait de refuge assuré que dans le culte persévérant et le commerce solitaire de l’idéal.

205. (1892) Boileau « Chapitre VII. L’influence de Boileau » pp. 182-206

Le lecteur y trouve l’expression parfaite de ses vagues tendances, et de l’esprit général du siècle : mais Boileau y a mis quelque chose de plus, une doctrine originale et personnelle, qui, dans la vaste unité du siècle, sépare un certain groupe d’esprits, exprime l’idéal d’une école littéraire. […] Bouhours, l’auteur des Entretiens d’Ariste et d’Eugène, et de la Manière de bien penser sur les ouvrages de l’esprit, ce fin jésuite, tout en nuances, qui, en proscrivant l’enflure, l’entortillement, la mièvrerie, recommandait l’esprit, la délicatesse, la noblesse, dont l’idéal était le naturel affiné, « le vrai orné », et qui enfin louait les anciens, mais non jusqu’à les préférer aux modernes. […] Même quand le sensualisme a détrôné le cartésianisme, la logique idéale et l’analyse mathématique continuent de régner : tous ces philosophes qui donnaient tout aux sens et en dérivaient tout, furent les « plus intellectuels » des hommes. […] On pourrait se demander si, à l’heure présente, ne commence pas, avec les décadents et les symbolistes, une ondulation nouvelle, en sens inverse du naturalisme, et qui emporterait de nouveau la littérature vers un idéal contraire à celui de Boileau.

206. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « Stéphane Mallarmé » pp. 146-168

* *   * La singularité de Mallarmé était bien faite pour séduire des jeunes poètes en quête d’un idéal nouveau. […] Il y avait dans Mallarmé un faune certes ; je lui trouvai certains jours le geste et la grâce d’un tailleur pour dames idéal. […] La poésie, selon lui, est la transposition de la vie qui va du fait à l’idéal. […] Ce qu’il en dit montre que le principe de cette œuvre n’est nullement original et qu’elle ne doit se développer que comme très ingénieuse et intéressante compilation recréée par un esprit poétique, délicat et éminemment subtil, des conceptions idéales à priori.

207. (1890) L’avenir de la science « V »

Si tel est le but de la science, si elle a pour objet d’enseigner à l’homme sa fin et sa loi, de lui faire saisir le vrai sens de la vie, de composer, avec l’art, la poésie et la vertu, le divin idéal qui seul donne du prix à l’existence humaine, peut-elle avoir de sérieux détracteurs ? […] On eût mis l’esprit humain au défi de concevoir les plus étonnantes merveilles, on l’eût affranchi des limites que la réalisation impose toujours à l’idéal, qu’il n’eût pas osé concevoir la millième partie des splendeurs que l’observation a démontrées. […] Et pourtant on était libre alors de créer des merveilles ; on taillait en pleine étoffe, si j’ose le dire ; l’observation ne venait pas gêner la fantaisie ; mais c’était à la méthode expérimentale, que plusieurs se plaisent à représenter comme étroite et sans idéal, qu’il était réservé de nous révéler non pas cet infini métaphysique dont l’idée est la base même de la raison de l’homme, mais cet infini réel, que jamais il n’atteint dans les plus hardies excursions de sa fantaisie. […] Les prêtres, ce sont les philosophes, les savants, les artistes, les poètes, c’est-à-dire les hommes qui ont pris l’idéal pour la part de leur héritage et ont renoncé à la portion terrestre 59.

208. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « La Fontaine. » pp. 518-536

On opposera peut-être à mon explication que Bernardin de Saint-Pierre, de qui Lamartine procède à bien des égards si évidemment, et qui est un des maîtres de l’école idéale et harmonieuse, goûte pourtant et chérit La Fontaine autant que personne, et qu’il ne perd aucune occasion de le citer et de le louer. […] Je ferai remarquer encore qu’il y a sous l’idéal de Bernardin de Saint-Pierre un arrière-fond de réalité, comme il convient à un homme qui a beaucoup vécu de la vie pauvre et naturelle. […] Il disait de La Fontaine : « Si ses Fables n’étaient pas l’histoire des hommes, elles seraient encore pour moi un supplément à celle des animaux. » Lamartine, tout en tenant beaucoup de Bernardin, n’a pas également ce côté naturel ; il échappe à la matière dès qu’il le peut, il n’a point de racines en terre, et il ramène volontiers en chaque rencontre son idéal séraphique et céleste : ce qui est l’opposé de La Fontaine. […] Je ne le crois pas, et l’on peut déjà s’en apercevoir : la poésie des Méditations est noble, volontiers sublime, éthérée et harmonieuse, mais vague ; quand les sentiments généraux et flottants auxquels elle s’adressait dans les générations auront fait place à un autre souffle et à d’autres courants, quand la maladie morale qu’elle exprimait à la fois et qu’elle charmait, qu’elle caressait avec complaisance, aura complètement cessé, cette poésie sera moins sentie et moins comprise, car elle n’a pas pris soin de s’encadrer et de se personnifier sous des images réelles et visibles, telles que les aime la race française, peu idéale et peu mystique de sa nature.

209. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre XII : Pourquoi l’éclectisme a-t-il réussi ? »

Rousseau se leva, autorisant le sentiment, consacrant l’idéal, proclamant l’invisible, et la moitié du public le suivit. […] Composé d’expressions vagues, il convient au « besoin d’idéal » et au rêve. […] Pendant trente ans, tout jeune homme fut un Hamlet au petit pied, six mois durant, parfois davantage, dégoûté de tout, ne sachant que désirer, croire ou faire, découragé, douteur, amer, ayant besoin de bonheur, regardant au bout de ses bottes pour voir si, par hasard, il n’y trouverait pas le système du monde, entre-choquant les mots Dieu, nature, humanité, idéal, synthèse, et finissant par se laisser choir dans quelque métier ou dans quelque plaisir machinal, dans les coulisses de la Bourse ou de l’Opéra. […] Les grâces ravissantes, le style divin, la nonchalance, la vivacité, l’enthousiasme de Platon couvrirent bientôt l’éclectisme d’une moisson de fleurs ; ce fut un jardin après un souterrain. — Mais le jardin était étroit ; Platon n’avait fait qu’indiquer le monde idéal ; ses dialogues semblaient un préambule plutôt qu’un voyage ; d’ailleurs son principal ouvrage, le Parménide, paraissait inintelligible.

210. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — V — Villiers de L'Isle-Adam, Auguste de (1838-1889) »

De grandioses symboles comme Vox populi, l’Impatience de la foule, s’y dressent tout à coup à côté de profondes visions d’au-delà de Véra, de l’Intersigne, des railleries aiguës, sinistres ou gravement lyriques des Demoiselles de Bienfilâtre, de la Machine à gloire, du fantaisiste humour qui distingue le Plus Beau Dîner du monde, l’Affichage céleste, etc… Les Contes cruels signalent avec une admirable netteté les deux courants que suit la pensée de Villiers : l’un positif, affirmant les croyances mystiques, les aspirations idéales ; l’autre négatif, dissolvant, aux acides d’une raillerie puissante, la dureté du temps présent abhorré du rêveur… Par sa fidélité, jamais démentie, aux formules de l’idéal romantique, Villiers de l’Isle-Adam s’est condamné à rester étranger aux courants novateurs de la littérature.

211. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Dédicace, préface et poème liminaire de « La Légende des siècles » (1859) — Préface (1859) »

C’est une tentative vers l’idéal. […] L’épanouissement du genre humain de siècle en siècle, l’homme montant des ténèbres à l’idéal, la transfiguration paradisiaque de l’enfer terrestre, l’éclosion lente et suprême de la liberté, droit pour cette vie, responsabilité pour l’autre ; une espèce d’hymne religieux à mille strophes, ayant dans ses entrailles une foi profonde et sur son sommet une haute prière ; le drame de la création éclairé par le visage du créateur, voilà ce que sera, terminé, ce poëme dans son ensemble ; si Dieu, maître des existences humaines, y consent.

212. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « L’abbé Prévost »

Heureux ceux qui, comme lui, ont eu un jour, une semaine, un mois dans leur vie, où à la fois leur cœur s’est trouvé plus abondant, leur timbre plus pur, leur regard doué de plus de transparence et de clarté, leur génie plus familier et plus présent ; où un fruit rapide leur est né et a mûri sous cette harmonieuse conjonction de tous les astres intérieurs ; où, en un mot, par une œuvre de dimension quelconque, mais complète, ils se sont élevés d’un jet à l’idéal d’eux-mêmes ! […] » L’idéal de l’abbé Prévost, son rêve dès sa jeunesse, le modèle de félicité vertueuse qu’il se proposait et qu’ajournèrent longtemps pour lui des erreurs trop vives, c’était un mélange d’étude et de monde, de religion et d’honnête plaisir, dont il s’est plu en beaucoup d’occasions à flatter le tableau. […] Mais le monde habituel de Prévost, c’est le monde honnête et poli, vu d’un peu loin par un homme qui, après l’avoir certainement pratiqué, l’a regretté beaucoup du fond de la province et des cloîtres ; c’est le monde délicat, galant et plein d’honneur, tel que Louis XIV aurait voulu le fixer, comme Boileau et Racine nous en ont décoré l’idéal, qui est à portée de la cour, mais qui s’en abstient souvent ; où Montausier a passé, où la Régence n’est point parvenue. […] Prévost s’étend avec complaisance sur les douceurs de cette vie commune et diverse ; c’est évidemment son idéal qu’il retrouve dans ce monastère de Cassiodore ; c’est son Saint-Germain-des-Prés, son La Flèche, mais avec bien autrement de soleil, d’aisance et d’agréments. […] On peut lire à ce sujet une gracieuse lettre de Mademoiselle, cousine de Louis XIV, à madame de Motteville, où elle trace à son tour un plan de solitude divertissante qui se ressent également de l’Astrée, et qui d’ailleurs fait un parfait pendant à l’idéal de Prévost d’après Cassiodore, par un couvent de carmélites qu’elle exige dans le voisinage.

213. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre II. Littérature bourgeoise — Chapitre III. Littérature didactique et morale »

Ils appliquèrent aussi à l’amour courtois, que son caractère idéal et factice y prédisposait d’avance, leur manie d’abstraction et leur tendance didactique, et sous leur influence les arts prirent la place des chansons et des romans : au commencement du xiiie  siècle parut le sec et pédantesque traité d’André le Chapelain, De arte honeste amandi véritable encyclopédie systématique de l’amour. […] Comme lorsque Amour expose le devoir d’un amant, qui est de ne pas dormir en son lit la nuit, et d’aller rêver à la porte de sa belle, Soit par nuit ou par gelée, maître Guillaume, emporté par la situation, met une parenthèse humoristique et réaliste, qui tranche avec le caractère abstrait et idéal du morceau. […] Jean de Meung est un des rares écrivains de notre littérature qui ne s’enferment pas dans la vie bourgeoise et l’idéal bourgeois ; il est peuple, il aime le peuple, sa vie dure, insouciante, toute à l’effort et au bien-être physiques : et c’est sans doute en grande partie par là que ce contemplateur de l’universel écoulement des apparences s’est préservé du pessimisme, où tant d’autres avant et après lui ont sombré. […] Mais l’institution monastique est l’âme de l’Église : l’idéal chrétien ne se réalise à peu près que par l’ascétisme des couvents, où s’épanouissent les saintes fleurs de pauvreté et de pureté. […] Aussi, au formalisme compliqué des pratiques, aux exigences contre nature de la vie monastique, oppose-t-il, dans des vers d’une expression originale et forte, la sainteté laïque qui gagne le ciel, l’idéal de la vie chrétienne dans le monde, qui satisfait à la fois à l’Évangile et à la raison : Bien peut en robes de couleur Sainte religion fleurir : Plus d’un saint a-t-on vu mourir, Et maintes saintes glorieuses, Dévotes et religieuses.

214. (1894) Propos de littérature « Chapitre V » pp. 111-140

Par le symbole le poète se recherche dans la vie ; il subjective les images au lieu d’objectiver en elles une pensée, — son but n’est autre que lui-même ; s’il examine les choses c’est pour en découvrir la synthèse, pour en recueillir les divers éléments idéaux, c’est-à-dire, — puisque nous ne connaissons des choses que leurs rapports avec nous-même, — les éléments les plus intimes de son moi qui s’y trouvent contenus. […] M. de Régnier est surtout un droit et pur artiste ; son vers a des lignes bien tracées, des couleurs transparentes et rares disposées avec justesse ; il démontre une grande probité d’écriture, un idéal d’art austère, la volonté d’un homme qui garde haute sa conscience. […] Pour elle il eût donné d’imaginaires et magiques tournois ; chaque trouée du taillis aurait connu l’or des armures et dans les fabuleux territoires du Songe des villes eussent été conquises, des peuples de géants domptés ; maintes merveilles somptueuses, maintes prouesses d’héroïsme comme en une haute-lisse assemblées en leurs images, seraient devenues un tapis idéal pour les pieds de la Fiancée et cela, combats, trésors, gloires et joies, eût formé le poème de son âme tout entière, — pur, vaste et noble drame, mélancolique comme l’attente, mystérieux comme la forêt, riche autant que les splendeurs songées, mais triste surtout et résigné, parce qu’Elle n’était point là et ne devait jamais venir. […] M. de Régnier a peut-être plus de mérite à garder tels ses songes mélancoliques, car par certaines prédilections il se rapproche parfois d’une école issue de Baudelaire, et dont l’idéal fut étrangement factice. […] Van Lerberghe me paraissent bien moins qu’autrefois attirés par cet idéal morbide.

215. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre neuvième »

L’homme qui a dit de lui : Tous les goûts à la fois sont entrés dans mon âme, devait être l’historien d’une époque où tous les goûts de l’esprit ont eu leur idéal. […] Dans le second, nous voyons apparaître et comme se lever successivement à l’horizon, tous ces astres de la poésie, de l’éloquence et des arts, qui brillent à jamais au ciel de la France, et dirigent ses générations dans toutes les voies de l’idéal. […] Nous connaissons l’idéal de Voltaire en fait de société humaine. […] Tout ce qui n’est pas cet idéal ou ne s’en approche pas est pour Voltaire ridicule et odieux. […] Elles vivent par ces vérités supérieures qui, après avoir servi à réformer la société, servent encore à la perfectionner, et qui sont à la fois l’expression de ce qui s’est fait et l’idéal de ce qui reste à faire pour améliorer les sociétés humaines.

216. (1868) Curiosités esthétiques « IV. Exposition universelle 1855 — Beaux-arts » pp. 211-244

Je croirais volontiers que son idéal est une espèce d’idéal fait moitié de santé, moitié de calme, presque d’indifférence, quelque chose d’analogue à l’idéal antique, auquel il a ajouté les curiosités et les minuties de l’art moderne. […] Épris ainsi d’un idéal qui mêle dans un adultère agaçant la solidité calme de Raphaël avec les recherches de la petite-maîtresse, M.  […] Ils exécuteront votre plan idéal, Comme un maître savant le croquis d’un élève.

217. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « II — La solidarité des élites »

Gloire au sentiment, qui est la porte d’or de la plus idéale connaissance ! […] Ne pensez-vous pas que ces parcelles de nature et d’humanité recèlent un monde de douleur et de joie, de vérité profonde et d’insondable idéal ? […] Idéal et symbolique par son essence même, cherchant et formulant les rapports, la loi d’harmonie et d’unité qui régissent les êtres et les choses, l’Art sera la haute vie morale en son effort pour manifester les dieux que nous sommes nous-mêmes… »‌ Retrouver le « divin » en nous comme dans les choses, le sentir au fond de nos êtres comme au fond de chaque vie terrestre, voilà bien la nouvelle conception religieuse. […] Nous avons reconnu que la Nature et l’Homme étaient assez riches pour satisfaire notre idéal le plus lointain, que le divin était contenu dans la moindre parcelle, qu’il n’y avait rien, positivement rien en dehors de l’univers vivant, et nous continuons à vivre comme si le dieu passé était encore debout, nous dominant de son regard ! […] En un mot, l’idéal du nationalisme est d’accabler le voisin pour se grandir soi-même.

218. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Jean Lahor (Henri Cazalis). »

Et ce cri vers Dieu : Tout affamé d’amour, de justice et de bien, Je m’étonne parfois qu’un idéal se lève Plus grand dans ma pensée et plus pur que le tien ! […] Et toute la dernière pièce, Vers dorés : Sois pur, le reste est vain, et la beauté suprême, Tu le sais maintenant, n’est pas celle des corps : La statue idéale, elle dort en toi-même ; L’œuvre d’art la plus haute est la vertu des forts.

219. (1892) Les idées morales du temps présent (3e éd.)

Le culte idéal. […] Naturellement, une telle divinité, aussi abstraite, aussi idéale, n’aura pas besoin de culte, ou ne voudra que d’un culte aussi idéal qu’elle-même. […] Cet idéal de vie qu’ils croyaient le seul bon n’est plus le nôtre. […] Cette morale tout aristocratique et tout idéale a donné à M.  […] Tout à l’heure, il établissait son idéal social sur la base du renoncement absolu ; il va maintenant établir son idéal moral sur la base de l’absolue pureté.

220. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. de Stendhal. Ses Œuvres complètes. — II. (Fin.) » pp. 322-341

En face de cette nature « où le climat est le plus grand des artistes », ses Promenades ont le mérite de donner la note vive, rapide, élevée ; lisez-les en voiturin ou sur le pont d’un bateau à vapeur, ou le soir après avoir vu ce que l’auteur a indiqué, vous y trouvez l’impression vraie, idéale, italienne ou grecque : il a des éclairs de sensibilité naturelle et d’attendrissement sincère, qu’il secoue vite, mais qu’il communique. […] Pauline, dans Corneille, me représente bien l’idéal de cet amour, où il entre des sentiments divers, et où l’élévation et l’honneur se font entendre. […] L’amour-passion, tel que me l’ont peint dans Médée, dans Phèdre ou dans Didon, des chantres immortels, est touchant à voir grâce à eux, et j’en admire le tableau : mais cet amour-passion, devenu systématique chez Beyle, m’impatiente ; cette espèce de maladie animale, dont Fabrice est l’idéal à la fin de sa carrière, est fort laide et n’a rien d’attrayant dans sa conclusion hébétée. […] Son style, en appuyant, n’éclaircit pas sa pensée ; il se faisait des idées singulières des écrivains proprement dits : Quand je me mets à écrire, disait-il, je ne songe plus à mon beau idéal littéraire ; je suis assiégé par des idées que j’ai besoin de noter.

221. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « [Chapitre 5] — I » pp. 93-111

Ne lui demandons point d’ailleurs un idéal qui n’est pas son fait, — ni le véritable idéal qui ennoblit la condition humaine et cherche à lui donner toute la beauté dont on la croit susceptible à de certaines heures, — ni ce faux idéal qui ne s’attache qu’aux apparences et qui se prend aux illusions ou ne songe qu’à s’en décorer. […] M. d’Argenson porta très peu d’idéal dans cette liaison ou intrigue amoureuse qui ne mérite pas le nom de passion, et qui dura une année ; tout en parlant convenablement de la dame devenue veuve après la rupture, et remariée depuis, il ajoute en terminant cet article : « Je lui souhaite longue vie et bonheur : pour moi, j’ai à présent de toutes façons bien mieux qu’elle. » — Dans ce genre de relations que j’abrège et qui revient en plus d’un endroit sous sa plume, M. d’Argenson n’est point fat, mais il est très peu chevaleresque ; on ne saurait même l’être moins, il est honnête homme en tout ; mais, comme les honnêtes gens parmi les Latins ou parmi les Gaulois, il ne craint pas de braver l’honnêteté dans les mots : ou plutôt il ne prend pas garde, et il ne paraît pas même soupçonner ce genre de scrupule.

222. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Horace Vernet »

Thiers, à cette époque de sa vie (et je ne sais s’il a persévéré dans cette théorie qui me paraît bien près d’être la vraie), pensait qu’on raisonne beaucoup trop sur l’idéal et qu’on se creuse terriblement la tête pour en demander l’expression aux œuvres des anciens maîtres. Les anciennes écoles, selon lui, ont très-peu cherché cet idéal qu’on adore et qu’on exalte après coup en elles ; le plus souvent, elles n’ont fait que reproduire exactement la nature qu’elles avaient sous les yeux : il suffisait, pour nous donner l’impression élevée qui en sort, que cette nature fût généralement belle, et que les organisations d’élite qui s’y appliquaient sussent y choisir leurs sujets. […] L’idéal ainsi compris cesse d’être une abstraction et un tourment. […] « Les batailles, qui sont les tableaux où il a déployé le plus d’élévation de talent, prouvent surtout que, sans viser à l’idéal, en se tenant à la simple réalité, on peut être noble et vrai tout à la fois.

223. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Le mariage du duc Pompée : par M. le comte d’Alton-Shée »

Le duc Pompée a donc rompu avec Paris ; il y a fait un vide en disparaissant subitement après une dernière soirée de triomphe et de fête ; l’éclipse a été aussi brusque que complète, nul n’a suivi sa trace : pour lui, il a trouvé bientôt dans sa vie nouvelle un rajeunissement inespéré ; il s’est épris d’une idéale et sensible Allemande, mademoiselle de Blümenthal et l’a épousée ; il est heureux, il se croit converti, il est père d’un charmant petit Georges. […] En devenant le comte Herman, il a voulu ensevelir le duc Pompée ; il n’en a point parlé et a laissé ignorer à cette idéale jeune femme toute cette vie antérieure qu’il eût souhaité’ abolir ; c’est bon goût à lui de ne s’en être jamais vanté, et un jour qu’elle l’interroge là-dessus avec une curiosité bien naturelle et qu’elle lui reproche tendrement de lui cacher un secret, il répond avec élévation et bon sens : « Dans notre intérêt, je vous supplie de renoncer à une imprudente curiosité. […] Ici l’on a une éloquente et passionnée réponse où Pompéa, comme une prêtresse égarée, évoque et rassemblé dans une idéale image toute la poésie et l’âme de sa jeunesse : « Je te dois tout, s’écrie-t-elle, le bien comme le mal ; pour être, j’ai attendu un signe de ta volonté, et tu m’as faite semblable à toi. […] C’est une de ces scènes chères à ceux qui s’intitulaient les enfants du siècle, c’est leur idéal d’orgie, une de ces bacchanales éclatantes et sacrées que Pompéa vient d’évoquer devant Herman, et elle n’a plus ensuite qu’à vouloir, ce semble, pour triompher de lui.

224. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE DURAS » pp. 62-80

De même que du sein des rangs royalistes une voix éloquente s’élevait par accès, qui conviait à une chevaleresque alliance la légitimité et la liberté, et qui, dans l’ordre politique, invoquait un idéal de monarchie selon la Charte, de même, tout à côté, et avec plus de réussite, dans la haute compagnie, il se trouvait une femme rare, qui opérait naturellement autour d’elle un compromis merveilleux entre le goût, le ton d’autrefois et les puissances nouvelles. […] La scène se passe vers le même temps que pour Eugène de Rothelin ; les personnages sont également simples, purs, d’une compagnie parfaitement élégante, et du plus gracieux type d’amants qu’on ait formé ; mais ici ce n’est plus, comme dans la charmante production de Mme de Souza, un idéal de conduite et de bonheur, et, ainsi que je crois l’avoir dit, une espèce de petit Jehan de Saintré ou de Galaor du dix-huitième siècle : il y a souffrance, désaccord ; le sentiment d’inégalité sociale est introduit. […] J’ai présenté jusqu’ici l’idéal, rien que l’idéal ; je veux cependant, par un tout petit mot saisi au vol, indiquer les discordances.

225. (1892) Boileau « Chapitre III. La critique de Boileau. La polémique des « Satires » » pp. 73-88

Boileau, laissant de côté l’érudition et la diffamation, offrit aux honnêtes gens des jugements sincères, que le goût seul et un certain idéal de perfection littéraire dictaient. […] Combien de ses ennemis et de ses victimes, et ceux qui paraissaient le plus s’égarer à la poursuite d’un autre idéal, ou dans les caprices d’une fantaisie sans idéal, combien ont ainsi, malgré eux, et croyant faire autre chose, travaillé pour lui, aussi réellement que Malherbe ou Pascal qu’il admire !

226. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Banville, Théodore de (1823-1891) »

J’en ai l’ivresse en ce moment, et je me dirais presque que j’ai trop bu ; mais non, on ne boit jamais trop à cette coupe d’or de l’idéal. […] C’est l’idéal dans le réel ; C’est la Vérité qui s’insurge ; C’est insolent comme Panurge Et c’est charmant comme Ariel ! […] L’art poétique, universel, idéal, qu’il grava sur les tables de marbre de son temple à Théophile Gautier, peut être considéré comme une manifestation essentielle du génie de Banville.

227. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « IX. L’abbé Mitraud »

Il est évident, en effet, qu’au-dessous de toute cette battologie philosophique, l’auteur de la Nature des sociétés humaines ne sait pas ce qu’on doit entendre par ce mot de société dont il se sert, et qu’il en confond la notion métaphysique avec la notion historique des différents peuples qui se sont agités sur la terre et se sont efforcés de réaliser cet idéal de société qui, pour l’incrédule, n’est qu’une ironie et pour le chrétien qu’une aspiration ? […] Mais cet état des multitudes dans l’univers donne-t-il le droit d’affirmer à un penseur rigoureux que l’idéal social existe réellement sur la terre, en dehors de cette société, qu’on nous passe le mot : crépusculaire, créée par le christianisme entre les ténèbres de l’ancien monde et la lumière du Jour Divin ? […] Hors le christianisme, y a-t-il un idéal de société, en d’autres termes, une société digne de ce nom, dans son sens absolu et métaphysique, et, s’il n’y en a pas d’autre, cette unique société est-elle soumise ou ne l’est-elle pas à la loi du progrès indéfini, comme les philosophes la comprennent ?

228. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Le Comte de Gobineau »

Les romans contemporains doivent ressembler à l’histoire contemporaine ; mais avec l’idéal en plus. L’idéal, pour Gobineau, n’est pas, lorsqu’on est souverain, de s’en aller avec une femme, mais de s’en aller pour une femme. […] On invente des sociétés idéales et l’on écrit des pages charmantes, mais charmantes comme la femme qui caresse sa chimère.

229. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Rêveries sur un empereur »

On disait qu’il n’avait pas été un fils tendre ; qu’il aimait la guerre pour elle-même ; que son idéal de vie ne dépassait point celui des chefs militaires du haut moyen âge, et que nous devions nous féliciter que le chancelier fût là pour le contenir. […]   Que ferait-il, ce potentat idéal, qui n’existe pas, mais dont il semble pourtant que le petit-fils de Guillaume Ier nous offre quelques traits ?

230. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « ??? » pp. 175-182

Il souffre de cette plique allemande qu’on appelle l’amour de l’idéal ! L’amour de l’idéal !

231. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Léon Cladel »

Cladel, qui n’invente point, aime la réalité de ses paysans, dont il garde le souvenir et le regret dans l’exil des villes et qui sont peut-être toute sa poésie ; car notre idéal est toujours manqué, et c’est ce qui le fait notre idéal !

232. (1890) L’avenir de la science « III » pp. 129-135

Nul ne peut servir deux maîtres, ni adorer un double idéal. […] Ceux qui une fois dans leur vie ont respiré l’air de l’autre monde et goûté le nectar idéal, ceux-là me comprendront 39. […] Nous croyons à la raison, et vous l’insultez ; nous croyons à l’humanité, à ses divines destinées, à son impérissable avenir, et vous en riez ; nous croyons à la dignité de l’homme, à la bonté de sa nature, à la rectitude de son cœur, au droit qu’il a d’arriver au parfait, et vous secouez la tête sur ces consolantes vérités, et vous vous appesantissez complaisamment sur le mal, et les plus saintes aspirations au céleste idéal, vous les appelez œuvres de Satan, et vous parlez de rébellion, de péché, de châtiment, d’expiation, d’humiliation, de pénitence, de bourreau à celui à qui il ne faudrait parler que d’expansion et de déification. […] Les hommes sérieux concevaient comme idéal de la vertu des caractères grossiers et incultes, et comme idéal de la société un développement tourné exclusivement vers le dévouement à la patrie et le bien faire (Sparte, l’ancienne Rome, etc.). […] Il est possible que Renan fasse ici allusion à une pièce de sa première jeunesse intitulée l’Idéal, publiée dans ses œuvres posthumes.

233. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre neuvième. Les idées philosophiques et sociales dans la poésie (suite). Les successeurs d’Hugo »

Tandis que le jaguar rêve de sang, l’homme, parfois, rêve d’idéal ; tous les deux sont les enfants de la même Nature. […] La lumière a fait les yeux en les pénétrant : leur transparence n’est qu’un peu de sa clarté restée en eux. — Cet idéal tremblant au fond des cœurs, est-ce aussi une aube près de poindre ? […] L’idéal ne perd pas sa vérité et sa beauté parce qu’on cesse de lui accorder une existence en dehors du cœur de l’homme et de le personnifier dans un homme agrandi. […] La période de transition que nous traversons a été appelée un « interrègne de l’idéal » ; cet interrègne ne saurait durer toujours. […] L’idéal enfin qu’imaginait Ce furieux, soudain redevenu benêt C’était de ployer tout, cités, hameaux campagne, Hommes, femmes, enfants, sous le niveau du bagne.

234. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Gustave Flaubert. Étude analytique » pp. 2-68

Qu’il s’agisse de l’élection d’un vocable, il le veut unique, précis et tel que chacun ou chaque série réalise des idéaux sensuels et intellectuels nombreux. […] Dans ces alliances adverses, dans ces idéaux contradictoires, semble résider le génie, l’originalité, le caractère, l’indice psychologique particulier de Flaubert, qui n’eut dans toute sa carrière, que cette chose chez lui primordiale et terme commun, le style. […] Maxime Ducamp attestent la perpétuelle oscillation de Flaubert entre le roman réaliste et des œuvres plus idéales. […] J’ai des idéaux contradictoires ; de là embarras, arrêt, impuissance. » (Ib. […] Il lui appartient d’avoir introduit définitivement l’étude du réel et l’érudition dans la littérature, d’avoir écrit les plus beaux livres de prose qui soient en français ; il lui est dû encore d’avoir fait resplendir un certain idéal de beauté énergique et fière, d’avoir produit en la Tentation de saint Antoine le plus beau poème allégorique qui soit après le Faust.

235. (1908) Après le naturalisme

Nous en revenons, en effet, à ses principes, à son idéal. […] Ici nous devons éclairer l’apparition de l’idéal nouveau qui succède à l’idéal naturaliste. […] À l’idéal antique succède la vision du présent. […] La vérité en tout et partout, voilà l’idéal nouveau qui se lève. […] Voilà le Surhomme idéal et vrai, pour chacun de nous, auquel, tous, nous devons tendre.

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