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32. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXIXe entretien. De la littérature de l’âme. Journal intime d’une jeune personne. Mlle de Guérin (2e partie) » pp. 321-384

Une fille doit être si douce à son père ! […] C’était doux à considérer, et à se représenter l’épanchement de l’amitié dans ces deux petites fleurettes. […] Douce image, qui des deux côtés est charmante, quand je pense qu’une sœur est fleur de dessous ! […] Aussi ne mettrai-je pas grand-chose ici ; mais je veux marquer un beau jour, calme, doux et frais, une vraie matinée de printemps. […] C’est cette petite reine Jeanne Gray, décapitée si jeune, si douce, si charmante, à qui je pense. » Le 10 août.

33. (1857) Cours familier de littérature. III « XVe entretien. Épisode » pp. 161-239

ô douces veillées Dont les images mouillées Flottent dans l’eau de nos yeux ! […] Ce passé, doux Éden dont notre âme est sortie, De notre éternité ne fait-il pas partie ? […] Ô douce Providence ! […] Je priai longtemps, je crois, si j’en juge par l’innombrable revue de choses, de jours, d’heures douces ou amères, de visions apparues, embrassées et perdues qui passèrent devant mon esprit. […] Je passe des heures entières à écouter près des ruches les mouches à miel qui commencent à bourdonner sous la paille, et qui sortent une à une, en s’éveillant, par leur porte, pour savoir si le vent est doux et si le trèfle commence à fleurir.

34. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Eugénie de Guérin, Reliquiae, publié par Jules Barbey d’Aurevilly et G.-S. Trébutien, Caen, imprimerie de Hardel, 1855, 1 vol. in-18, imprimé à petit nombre ; ne se vend pas. » pp. 331-247

Hippolyte Morvonnais, un poète breton de ses amis, vers élevés de douce inspiration et de ferme structure, mais qui rappellent un peu trop Victor Hugo dans ses Feuilles d’Automne. Il en fit d’autres où il imitait, pour le rythme et le sentiment, la romance que chante Lautrec dans Le Dernier des Abencérages : « Combien j’ai douce souvenance ! […] On drape le dessous de bonnes vérités qui ressortent toutes riantes et gagnent les cœurs au nom de la Vierge et de ses douces vertus. […] Notre caravane est partie de Nevers lundi à midi, l’heure où il fait bon marcher au soleil d’avril, le plus doux, le plus resplendissant. […] que l’air m’est doux et léger !

35. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Millevoye »

Entre Delille qui finit et Lamartine qui prélude, entre ces deux grands règnes de poëtes, dans l’intervalle, une pâle et douce étoile un moment a brillé ; c’est lui. […] Il chante, il s’égaye, il soupire, et, dans son gémissement s’en va, un soir, au vent d’automne, comme une de ces feuilles dont la chute est l’objet de sa plus douce plainte ; il incline la tête, comme fait la marguerite coupée par la charrue, ou le pavot surchargé par la pluie. […] Il trouva en ce nouveau maître, qui succédait cette année-là à M. de Fontanes, un élève affaibli, mais encore suffisant, de la même école littéraire, un homme instruit et doux, qui s’attacha à lui et l’entoura de conseils, sinon bien vifs et bien neufs, du moins graves et sains. […] Ces rencontres, toujours ma joie et mon alarme, Ces airs, ces tours de tête, ô femmes, votre charme ; Doux charme par où j’ai péri ! […] Elle, sensible bergère, pour emprunter à son poëte même des traits qui la peignent, elle est assez belle aux yeux de l’amant si, au sortir de la grotte bocagère où se sont oubliées les heures, elle rapporte Un doux souvenir dans son âme, Dans ses yeux une douce flamme, Une feuille dans ses cheveux.

36. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Ducis. » pp. 456-473

Quand mes cheveux étaient prêts à blanchir, la mienne, avec un sentiment de douce compassion, voyant mes distractions nombreuses, l’indépendance de mes goûts, mon incapacité absolue pour les affaires et la fortune, me disait (c’était son mot) : « Mon enfant ! […] Mais, en choisissant chez Ducis et, en coupant les citations à temps, combien l’on trouverait ainsi de ces belles et douces pensées ! […] Voici quelques pensées que j’extrais des lettres écrites par lui dans sa vieillesse : Je suis auprès de mes consolateurs, de vieux livres, une belle vue et de douces promenades. […] Dans ces pages de Ducis, on sent comme la saveur de la solitude ; il y avait un idéal de chartreux au fond de l’âme de ce tragique ; il y avait même quelque chose de plus doux : « Vous êtes, écrivait-il à Talma en 1809, vous êtes dans la force de votre âge, de votre talent et de votre gloire. […] Il faut que je me mette en mesure avec mes moyens, et que je n’éloigne pas de moi la douce Muse qui s’y proportionne.

37. (1891) La vie littéraire. Troisième série pp. -396

Car il était doux de croire même à l’enfer. […] Les témoignages de la vie de nos aïeux rustiques nous sont doux et chers. […] Elle était douce et jolie. […] La nature t’est douce ; sois douce à la nature. […] Ceux qui l’ont entendue disent qu’elle avait la voix douce, une voix de jeune fille.

38. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre IX. Suite des éloges chez les Grecs. De Xénophon, de Plutarque et de Lucien. »

Cette grâce, cette expression douce et légère qui embellit en paraissant se cacher, qui donne tant de mérite aux ouvrages et qu’on définit si peu ; ce charme qui est nécessaire à l’écrivain comme au statuaire et au peintre ; qu’Homère et Anacréon eurent parmi les poètes grecs, Apelle et Praxitèle parmi les artistes ; que Virgile eut chez les Romains, et Horace dans ses odes voluptueuses, et qu’on ne trouva presque point ailleurs ; que l’Arioste posséda peut-être plus que le Tasse ; que Michel-Ange ne connut jamais, et qui versa toutes ses faveurs sur Raphaël et le Corrège ; que, sous Louis XIV, La Fontaine presque seul eut dans ses vers (car Racine connut moins la grâce que la beauté) ; dont aucun de nos écrivains en prose ne se douta, excepté Fénelon, et à laquelle nos usages, nos mœurs, notre langue, notre climat même se refusent peut-être, parce qu’ils ne peuvent nous donner, ni cette sensibilité tendre et pure qui la fait naître, ni cet instrument facile et souple qui la peut rendre ; enfin cette grâce, ce don si rare et qu’on ne sent même qu’avec des organes si déliés et si fins, était le mérite dominant des écrits de Xénophon. […] Depuis peu de temps la grâce avait introduit dans les ouvrages des artistes ces formes douces et arrondies, et cette expression de la nature, qui plaît dès qu’on peut la connaître. […] Les grâces dans le même temps avaient, au rapport des anciens, embelli l’esprit, le caractère et l’âme de Socrate ; il allait quelquefois les étudier chez Aspasie : il en inspirait le goût aux artistes, il les enseignait à ses disciples, et probablement Xénophon et Platon les reçurent de lui ; mais Platon, né avec une imagination vaste, leur donna un caractère plus élevé, et associa pour ainsi dire à leur simplicité un air de grandeur ; Xénophon leur laissa cette douceur et cette élégante pureté de la nature qui enchante sans le savoir, qui fait que la grâce glisse légèrement sur les objets et les éclaire comme d’un demi-jour ; qui fait que peut-être on ne la sent pas, on ne la voit pas d’abord, mais qu’elle gagne peu à peu, s’empare de l’âme par degrés et y laisse à la fin le plus doux des sentiments : à peu près comme ces amitiés qui n’ont d’abord rien de tumultueux, ni de vif, mais qui, sans agitation et sans secousses, pénètrent l’âme, offrent plus l’image du bonheur que d’une passion, et dont le charme insensible augmente à mesure qu’on s’y habitue. […] Il n’y a dans tout cet éloge nul mouvement d’orateur ; c’est la marche simple d’un homme vertueux qui parle de la vertu avec ce sentiment doux qu’elle inspire ; en général, c’est là le mérite des anciens ; nous mettons plus d’appareil à tout, et dans nos actions comme dans nos écrits. […] Tous deux essuyèrent des disgrâces, et tous deux vécurent exilés et tranquilles, cultivant jusqu’au dernier moment les trois choses les plus douces de la vie, la vertu, l’amitié et les lettres.

39. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVIIIe entretien. Littérature latine. Horace (2e partie) » pp. 411-480

content de tout pourvu que la transition fût décente, que l’amitié fût douce et que le falerne fût frais. […] » Tout à coup, comme si tout ramenait sa pensée errante à celle qu’il aime : « Placez-moi, s’écrie-t-il, dans ces contrées septentrionales où jamais l’haleine d’un été ne vivifie dans les champs engourdis un arbuste printanier, où les frimas et les nuées pèsent éternellement sur les flancs de la terre ; placez-moi sous le char du soleil trop rapproché, où ne s’élève aucune habitation humaine : j’aimerai toujours Lalagé au doux sourire, Lalagé au doux parler !  […] « Chloé me possède tout entier maintenant, elle qui sait si habilement mêler les doux accords de sa voix à ceux de la lyre, elle pour laquelle je n’hésiterais pas à mourir si les destins consentaient, à ce prix, à épargner la sienne. […] « Y en a-t-il une où les hivers soient plus attiédis, où des vents plus doux ou plus frais tour à tour tempèrent mieux les ardeurs de la canicule et l’âpre morsure du lion, quand il reçoit perpendiculairement les brûlures d’un soleil vertical ? […] Un mot d’Horace trahit sa tendresse pour son émule, le doux Virgile.

40. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Essai sur Amyot, par M. A. de Blignières. (1 vol. — 1851.) » pp. 450-470

Sur le meilleur pied à la Cour, voyant son élève chéri, le petit Charles IX, devenu roi dès l’âge de onze ans, et ne cessant jusqu’à la fin de le considérer comme le plus gentil et le plus doux des princes ( natura mitissimus erat ) ; également estimé et honoré de son autre élève Henri III, grand aumônier de France sous tous deux, bientôt évêque d’Auxerre, Amyot avait réalisé le plus beau rêve d’un savant et d’un lettré au xvie  siècle. […] Il s’exerce à parler à son peuple d’Auxerre un langage clair, pur et lucide ; et l’on se figure, en effet, quel pouvait être le caractère doux, abondant et moral de ces homélies, prononcées d’une voix un peu faible par le bon évêque Amyot. […] L’ordinaire d’Amyot est, sans contredit, le simple langage délié et coulant de la narration, ou encore ce langage mêlé et tempéré qui s’adresse aux passions plus douces : mais là où son modèle l’exige, il sait atteindre à « ce langage plus haut, plein d’efficace et de gravité, et qui, courant roide ainsi qu’un torrent, emporte l’auditeur avec soi ». […] On trouverait pourtant chez Amyot, parlant en son nom, quelques pages d’une éloquence douce et de vieillard ; mais sa force, son talent est ailleurs : il n’a son génie propre que quand il est porté par un autre et quand il traduit ; il n’est original et tout à fait à l’aise que quand il vogue dans le plein courant de pensée de l’un de ses auteurs favoris. […] Il voulait avant tout, en effet, un style exact, net, châtié, élu enfin, c’est-à-dire choisi et élégant dans son naturel : Nous prendrons, disait-il, les mots qui sont les plus propres pour signifier la chose dont nous voulons parler, ceux qui nous sembleront plus doux, qui sonneront le mieux à l’oreille, qui seront plus coutumièrement en la bouche des bien parlants, qui seront bons françois et non étrangers.

41. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Madame de Motteville. » pp. 168-188

Sage, secrète, régulière, d’un esprit doux et enjoué avec nuances, d’une curiosité à la fois sérieuse et amusée, d’un coup d’œil observateur qui ne cherchait pas à être perçant ni profond et qui se contentait de bien voir ce qui se faisait autour d’elle, elle passa ainsi vingt-deux années bien diverses, et dont quelques-unes furent agitées des plus violents orages. […] « Son portrait, qui est à Motteville, dit le Journal des savants, la représente comme une brune fort jolie. » Le seul portrait gravé que j’aie vu d’elle, et que chacun peut voir au Cabinet des estampes, nous la montre coiffée à la mode d’Anne d’Autriche, n’étant déjà plus de la première jeunesse, le visage plein, avec un double menton, l’air tranquille et doux. […] Le cardinal, d’un esprit doux et adroit, allait travaillant à se gagner les uns et les autres. » Mais un bon nombre, se croyant sûrs du terrain, résistent aux avances ; Mme de Motteville nous montre dans cet intérieur les revers imprévus d’où vont résulter pour les présomptueux et ceux qui font les importants de nouvelles disgrâces. […] Elle était agréable dans la société, honnête, douce et facile ; vivant, avec ceux qui avaient l’honneur de l’approcher, sans nulle façon. […] Lorsque la paix fut rétablie, Mme de Motteville reprit auprès de la reine les habitudes de cette vie régulière, douce et grave, qui lui convenait si bien.

42. (1767) Sur l’harmonie des langues, et en particulier sur celle qu’on croit sentir dans les langues mortes

Une langue qui abonderait en voyelles, et surtout en voyelles douces, comme l’italien, serait la plus douce de toutes. Elle ne serait peut-être pas la plus harmonieuse, parce que la mélodie, pour être agréable, doit non-seulement être douce, mais encore être variée. Une langue qui aurait, comme l’espagnol, un heureux mélange de voyelles et de consonnes douces et sonores, serait peut-être la plus harmonieuse de toutes les langues vivantes et modernes. […] Plus une langue a de syllabes douces, et moins elle en a de sonores, plus il faut d’attention pour que la mélodie n’en soit pas trop molle, et pour ainsi dire trop efféminée. Quand une langue a un mélange heureux d’expressions douces et d’expressions sonores, il en devient plus facile de composer dans cette langue des phrases harmonieuses.

43. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Deux tragédies chrétiennes : Blandine, drame en cinq actes, en vers, de M. Jules Barbier ; l’Incendie de Rome, drame en cinq actes et huit tableaux, de M. Armand Éphraïm et Jean La Rode. » pp. 317-337

Et je crois, je veux croire qu’aujourd’hui déjà cette idée d’une multitude en fête réunie dans un cirque pour voir déchirer et brûler, parmi d’affreux hurlements, des chairs vivantes, serait intolérable et presque inconcevable à une assez imposante minorité d’âmes douces. […] Il n’a pas d’ailleurs été partout inégal à sa tâche ; et voici une scène, — la dernière, — où la maternité chaste et sanglante de Blandine, aidant le pauvre petit Ponticus à souffrir et à mourir, est peinte de traits assez forts et assez doux : PONTICUS Pardonne-moi, j’ai peur ! […] Or, du jour où il s’agirait de souffrir et de verser son sang, il apparaîtrait tout aussitôt que l’âme de la fille chétive et disgraciée est plus forte, plus douce et plus haute que celle même de ses plus saints compagnons. […] Si les communautés chrétiennes étaient composées, en majorité, de très douces âmes, il devait pourtant s’y rencontrer, surtout parmi les catéchumènes, des malheureux venus là par désespoir, excès de souffrance, haine de la société établie, instinct de révolte, insuffisamment instruits et non encore imprégnés de l’esprit de Jésus. […] Les âmes chrétiennes les plus douces et les plus abondantes en vertus parlaient des « infamies du vieux monde » dans les mêmes termes que le font aujourd’hui les anarchistes les moins vertueux.

44. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — D. — article » pp. 145-150

Ses Poésies annoncent une imagination douce & brillante ; les expressions en sont naturelles & délicates, le style simple & plein de graces ingénues. Ce fut des Italiens qu’il apprit, dit-on, à répandre dans ses Vers un noble enjouement, tel qu’est celui qui regne dans ce Sonnet adressé à une Dame : Je vous entends fort bien, ce propos gracieux, Ces regards dérobés, cet aimable sourire, Sans me les déchiffrer, je sais qu’ils veulent dire, C’est qu’à mes ducatons vous faites les doux yeux. […] Son caractere aimable, facile, doux, bienfaisant, généreux, le porta toujours à répandre ses bienfaits sur les jeunes Littérateurs moins heureux que lui, afin de les encourager ; & la noblesse de ses sentimens ne lui permit jamais de s’en vanter.

45. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Anthologie grecque traduite pour la première fois en français et de la question des Anciens et des Modernes »

C’est pourquoi ne point fuir le doux désir, mais le poursuivre, c’est ce que je dis à tous : l’Amour est la pierre à aiguiser de l’âme. » D’autres épigrammes (et il en est de très belles en ce genre) sont pour décrire des tableaux ou des statues. […] Qu’un nid vide te recouvre et t’abrite, une masure que réchauffe un petit feu flambant, quand même tu n’y aurais qu’un pain commun, d’une farine mal blutée, pétrie de tes mains dans une pierre creuse, et pourvu que tu y aies encore et du pouliot, et du thym, et de ce gros sel amer si doux à mêler aux aliments. » Enfin l’on a son Épitaphe, composée par lui en perspective de sa mort prochaine ; on est loin ici du bonheur champêtre de cet autre vieillard de Tarente que nous a montré Virgile. […] Que les brebis bêlent autour de moi, et qu’assis sur un rocher, tandis qu’elles broutent, le berger me joue ses plus doux airs ; qu’aux premiers jours du printemps, le villageois, ayant cueilli des fleurs de la prairie, en couronne ma tombe, et que, pressant la mamelle d’une brebis mère, il en fasse jaillir le lait sur le tertre funéraire. […] Que vos agneaux au moins viennent, près de ma cendre, Me bêler les accents de leur voix douce et tendre, Et paître auprès d’un roc où, d’un son enchanteur, La flûte parlera sous les doigts du pasteur. […] Morts et vivants, il est encor, pour nous unir, Un commerce d’amour et de doux souvenir.

46. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Madame de La Vallière. » pp. 451-473

Mme de La Vallière, âgée de dix-sept ans, n’y paraissait d’abord que comme « fort jolie, fort douce et fort naïve ». […] Elle disait souvent à Mme de Maintenon, dans cet intervalle où elle se disposait et s’aguerrissait à sa dernière retraite : « Quand j’aurai de la peine aux Carmélites, je me souviendrai de ce que ces gens-là (le roi et Mme de Montespan) m’ont fait souffrir. » Elle souffrait, de la part d’une rivale, ce qu’elle-même, si douce et si indulgente, avait pourtant fait souffrir à une autre. […] Tout à côté on retrouve des pensées plus douces, plus conformes à l’idée qu’on se fait de cette âme délicate et timide : « Car, hélas ! je suis si faible et si changeante, que mes meilleurs désirs ressemblent à cette fleur des champs dont parle votre prophète-roi, qui fleurit le matin et qui sèche le soir. » Pour se préserver de ses rechutes, de ses faiblesses, « du doux poison de plaire à ce monde et de l’aimer », elle invoque un de ces coups de miséricorde qui affligent, humilient, et à la fois retournent vers Dieu une âme. […] Je me trouve dans des dispositions si douces et si cruelles, mais en même temps si décidées (accordez cette opposition qui est en moi), que les personnes à qui j’ouvre mon cœur admirent de plus en plus l’extrême miséricorde de Dieu à mon égard.

47. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « M. de Fontanes »

Tout d’un coup, après ce long espace et cette interruption qui semble définitive, un talent reparaît, en qui sourit une douce et chaste ressemblance avec l’aïeul littéraire. […] La gloire en vain promet des honneurs éclatants : Un souris de l’amour est plus doux à vingt ans ; Mais à trente ans la gloire est plus douce peut-être. […] Fontanes, comme Racine, comme beaucoup d’écrivains d’un talent doux, affectueux, tendre, avait tout à côté l’épigramme facile, acérée. […] Sous le lent nuage sombre, l’entretien délicat et vif n’était que plus doux. […] Sa matinée s’était passée de la sorte sur cette douce note virgilienne, dans cet épicuréisme du goût.

48. (1902) La poésie nouvelle

Et, pour leur restituer leur mystérieux charme, il se plut à les faire baigner dans la lumière douce et confidentielle de la lune, plutôt que de les exposer à l’excessive clarté solaire. […] sa seule joie, sa dernière joie, amère et douce : savourer l’excessive torture, s’abandonner plus consciemment à sa démence. […] Viendra-t-il des vergers, des glaciers ou des fleuves, ‌ doux moissonneur, lier en gerbes nos cheveux ? ‌ […] Étrange morte, vivante en allégorie lointaine de Beauté, guerrière, et douce exilée vers qui se tend la nostalgie éternelle des cœurs, — étrangère et voyageuse !‌ […] C’est pour avoir cru deviner, derrière le doux visage ensommeillé, son âme à lui qui s’éveillait, qu’il l’aima.

49. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamartine — Lamartine, Jocelyn (1836) »

Quelques livres heureux, qui commencent à s’user, ont eu le doux honneur d’une longue popularité dans la famille : Télémaque, Robinson, Paul et Virginie. […] Ce poëme doux et élevé ne conviendrait-il pas exactement à cette situation mixte où se trouve la famille par rapport à la religion et à la morale ? […] Après les horreurs des massacres, après les angoisses de la fuite, et celles même d’une route si escarpée, au moment où Jocelyn met le pied, par delà le précipice, dans la haute et douce vallée dont il s’empare, oh ! […] Elle existe depuis longtemps en Allemagne, en Angleterre surtout ; on ferait une douce et piquante histoire de tous les pasteurs, recteurs, curés ou vicaires, qui ont été poëtes ou que les poëtes ont chantés. […] mais les propos entre amis doivent eux-mêmes prendre fin, si doux qu’ils soient.

50. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre V. Chanteuses de salons et de cafés-concerts »

— un enfant s’était égaré, doux, pas malin et harmonieux. […] Car il avait le signe qui, chez le poète comme chez le savant ou le philosophe, est la première marque du génie : l’égale absence d’esprit d’imitation et d’esprit de contradiction, la non-attention à la galerie, l’incurie du public, la superbe et souriante et presque inconsciente insouciance de plaire ou déplaire : Il disait à lui-même et à son amie : Quant au monde, qu’il soit envers nous irascible           Ou doux, que nous feront ses gestes ? […] Pourtant, ses plus pénétrants chefs-d’œuvre sont des chants de joie douce et de lumière attendrie : Ni brume, ni soleil ! […] On a osé comparer à Villon notre Verlaine sans malice et sans âpreté, notre Verlaine dont l’érotisme même n’est que rire et bonhomie. — On a voulu faire de lui un poète triste, sans doute pour que notre abandon eût cette excuse d’avoir rendu plus douce et plus profonde sa poésie. […] Il est absurde de nier, comme le fit Sully-Prudhomme, la poésie de l’anthropomorphisme astronomique qui à l’énormité insaisissable d’un spectacle effrayant impose la mesure, la forme, la beauté douce d’un sourire familier.

51. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre troisième. Suite de la Poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions. — Chapitre VI. Amour champêtre. — Le Cyclope et Galatée. »

Tu te glisses sur ces rivages, lorsque le doux sommeil m’enchaîne ; tu fuis, lorsque le doux sommeil me fuit : tu me redoutes, comme l’agneau craint le loup blanchi par les ans. […] Si ma poitrine hérissée blesse ta vue, j’ai du bois de chêne, et des restes de feux épandus sous la cendre ; brûle même (tout me sera doux de ta main), brûle, si tu le veux, mon œil unique, cet œil qui m’est plus cher que la vie.

52. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Mlle Eugénie de Guérin et madame de Gasparin, (Suite et fin.) »

Ainsi l’on dit, trompé par la désinence si douce qui insinue aux ignorants le féminin, les belles dimanches, le soir de la dimanche. […] C’est de paroles douces plutôt que sévères que Lisette a besoin ; Lisette est spiritualiste. […] Puis, d’un ton plus doux : « Abandonnez-vous à Dieu. […] J’ai pourtant besoin, en finissant, de revenir à Eugénie de Guérin pour nous reposer sur des tons plus doux et rentrer dans l’harmonie qui nous est plus familière. […] ne croyez pas que je regrette un seul des rayons de sa douce auréole !

53. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Florian. (Fables illustrées.) » pp. 229-248

Voilà bien l’Arlequin, tel que l’a renouvelé et créé Florian dans Les Deux Billets, dans Le Bon Ménage, dans La Bonne Mère ; un Arlequin bon, doux, ingénu, aussi babillard qu’honnête homme, simple sans être bête, naïf sans être niais. […] Ces plaisirs étaient purs, vifs, aimables ; ils suffisaient à parer le présent des plus douces, des plus riantes couleurs. […] Dans ton beau roman pastoral, Avec tes moutons pêle-mêle, Sur un ton bien doux, bien moral, Berger, bergère, auteur, tout bêle. […] On ne retrouve rien dans ses écrits de cette vivacité de ton qui lui faisait dire, au sujet de la place de gentilhomme qu’on sollicitait pour lui : « Il y a trop longtemps que je suis, laquais (c’est-à-dire page) pour vouloir devenir valet de chambre. » Car le doux Florian s’exprimait ainsi en causant ; on ne s’en douterait point à le lire. […] Il a prononcé le mot de solitude, et ce mot, en réveillant toute une suite de pensées, le ravit dans un doux enthousiasme qui nous gagne avec lui.

54. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Histoire du chancelier d’Aguesseau, par M. Boullée. (1848.) » pp. 407-427

là où la rhétorique ne paraît pas trop, il y a de l’onction en lui, et l’impression qu’on reçoit est comme douce au toucher de l’esprit. […] On peut dire que c’était un bel esprit et un homme incorruptible… Avec cela doux, bon, humain, d’un accès facile et agréable, et, dans le particulier, ayant de la gaieté et de la plaisanterie salée, mais sans jamais blesser personne ; extrêmement sobre, poli sans orgueil, et noble sans la moindre avarice, naturellement paresseux, dont il lui était resté de la lenteur. […] C’est dans cette retraite heureuse que, rendu à ses goûts naturels, il nous apparaît avec toutes ses qualités douces, tempérées, ingénieuses, et le plus à son avantage. […] Cette biographie, destinée d’abord au seul cercle de la famille, a conservé le caractère d’une douce et sainte solennité domestique. […] Dans ce culte un peu confus et vaguement défini dont l’illustre chancelier est aujourd’hui l’objet, il entre après tout de la justice ; c’est un hommage public rendu à cette inspiration paisible, permanente et modeste, qui fut celle de toute sa vie, et qui, sauf quelques éclipses passagères, s’échappait, comme par un doux rayonnement, d’un fonds de droiture, de mansuétude et de vertu.

55. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Saint François de Sales. Son portrait littéraire au tome Ier de l’Histoire de la littérature française à l’étranger par M. Sayous. 1853. » pp. 266-286

Nous débuterons tout simplement cette fois, avec lui, en parlant de saint François de Sales, l’apôtre éloquent de la Savoie et le doux cygne harmonieux au commencement du xviie  siècle. […] Ce petit peuple pauvre, intelligent, « éminemment sociable, porté aux mœurs douces, gai et spirituel, fin jusqu’à la subtilité, plein de bonhomie pourtant », est très bien peint par M.  […] Lui, il est le contraire de ces natures-là ; il est le plus doux, le plus égal, le plus actif à la fois et le plus pacifique des cœurs, le plus adroit à tout convertir en mieux ; il se mêle à ceux des autres pour y verser la consolation et l’amour ; il est amoureux des âmes pour les guérir ; il s’y insinue pour y faire entrer cette « dévotion intérieure et cordiale, laquelle rend toutes les actions agréables, douces et faciles ». […] Cette lettre est admirable et montre comment saint François de Sales éludait et repoussait les difficultés, ou plutôt, comment, par sa manière élevée, douce et calme, il les empêchait de naître. […] Franklin, lui aussi, est riant, il est aimable, il est badin dans son bon sens ; il a bien de l’esprit et de l’imagination dans son expression ; mais, au milieu de toutes ses lumières physiques et positives supérieures, il y a une lumière qui lui manque ou qui semble presque absente, non pas celle qui brille et qui serait fausse, mais celle qui échauffe en rayonnant, une fleur d’éclat qui ne vient pas de la surface, mais du foyer même, une douce, légère et divine ivresse mêlée à la pratique bien entendue des choses, et qui communique son ravissement.

56. (1890) La vie littéraire. Deuxième série pp. -366

Leur liaison fut longue, douce et cachée. […] Nulle n’est plus douce à rencontrer. […] Le temps était couvert et doux. […] C’est un homme doux et joyeux. […] Aussi bien est-ce chose légère et douce.

57. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre III. Suite des Époux. — Adam et Ève. »

Je tressaillis, elle tressaillit ; j’avançai la tête de nouveau, et la douce apparition revint aussi vite, avec des regards de sympathie et d’amour. […] ton autre moitié te réclame. » En parlant ainsi, ta douce main saisit la mienne : je cédai ; et depuis ce temps j’ai connu combien la grâce est surpassée par une mâle beauté, et par la sagesse qui seule est véritablement belle. […] Il avait déjà revêtu de pourpre et d’or les nuages qui flottent autour de son trône occidental ; le soir s’avançait tranquille, et par degrés un doux crépuscule enveloppait les objets de son ombre uniforme. […] Deux liqueurs sont mêlées dans la coupe de la vie, l’une douce et l’autre amère : mais outre l’amertume de la seconde, il y a encore la lie, que les deux liqueurs déposent également au fond du vase.

58. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLVIIIe entretien. De la monarchie littéraire & artistique ou les Médicis (suite) »

(L’olivier, dans quelque douce plaine sauvage, paraît, selon le vent qui agite ses feuilles, sombre ou verdoyant.) […] « Au retour des temps doux, le pasteur sollicite son troupeau à quitter les étables, à gagner les hautes montagnes et les bords des ruisseaux rafraîchissants. […] Cela ressemble à Horace à Tibur ou dans son voyage en Campanie, doux, gai, varié comme le délassement de ce maître. […] Sa police était douce, mais attentive. […] « Ainsi, lorsque le printemps, succédant aux glaces de l’hiver, rend à la terre sa brillante parure, on voit le serpent, quittant son ancienne dépouille, étaler avec joie sa robe éclatante aux yeux de l’astre du jour ; « Ainsi Landino, ce digne émule de la gloire des anciens, t’a rendu ta grâce et les doux accords de ta lyre ; tel on te vit sous les frais ombrages de Tibur faire résonner les cordes de ton luth harmonieux.

59. (1913) La Fontaine « II. Son caractère. »

Viens donc ; et de ce bien, ô douce Volupté, Veux-tu savoir au vrai la mesure certaine ? […] La Fontaine a été un Rousseau : d’abord, qui était mieux né, qui avait un caractère plus doux, plus aimable, moins porté à l’humeur et au cynisme. […] D’où viennent ces noirceurs, dessus un front si doux ? […] Faut-il que tant d’objets si doux et si charmants Me laissent vivre au gré de mon âme inquiète ? […] Je vous rappellerai seulement ces quelques vers : Qu’un ami véritable est une douce chose !

60. (1908) Esquisses et souvenirs pp. 7-341

Douce et féconde saison, ô déesse ! […] Personne ne garde ces petits ânes, qui semblent très doux, et sans rancune. […] Paul Souday fit publier là-dessus mêle l’utile au doux. […] Une douce pluie tombe par intervalles. […] Ne sont-elles pas gardées par le doux désir, par l’espoir plus doux encore !

61. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLVIe entretien. Ossian fils de Fingal, (suite) »

« Quelle est, me dit Toscar, cette voix qui se mêle au bruit des flots ; elle est douce, mais triste ? […] Je veux que ces doux accords accompagnent le départ de mon âme. […] Quoique tu sois belle comme la lumière du jour, plus douce que le zéphyr de la colline, ô mon amie ! […] Ces chants inspiraient une douce mélancolie. […] mais la voix que j’entends est plus douce encore.

62. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre troisième. Suite de la Poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions. — Chapitre VII. Suite du précédent. — Paul et Virginie. »

Ces douces images répandaient les plus grands charmes dans leurs conversations. « Il est temps de dîner, disait Virginie à la famille : les ombres des bananiers sont à leurs pieds », ou bien : « La nuit s’approche : les tamarins ferment leurs feuilles. — Quand viendrez-vous nous voir ? lui disaient quelques amies du voisinage. — Aux cannes de sucre, répondait Virginie. — Votre visite nous sera encore plus douce et plus agréable », reprenaient ces jeunes filles. […] On reconnaît encore le chrétien dans ces préceptes de résignation à la volonté de Dieu, d’obéissance à ses parents, de charité envers les pauvres ; en un mot, dans cette douce théologie que respire le poème de Bernardin de Saint-Pierre.

63. (1763) Salon de 1763 « Peintures — Carle Vanloo » pp. 183-186

On sait bien que les contours sont doux dans les femmes, qu’on y discerne à peine les muscles, et que toutes leurs formes s’arrondissent ; mais elles ne sont pas rondes et sans inégalité. […] L’artiste peut se vanter de posséder le secret de faire d’une couleur qui est d’elle-même si douce que la nature qui a réservé le bleu pour les cieux, en a tissu le manteau de la terre au printemps, d’en faire, dis-je, une couleur à aveugler si elle était dans nos campagnes aussi forte que dans son tableau. […] Et ces trois Amours qui arrivent d’en haut á tire-d’aile, sont d’une légèreté surprenante et d’une couleur douce.

64. (1866) Cours familier de littérature. XXII « CXXXIIe entretien. Littérature russe. Ivan Tourgueneff (suite) » pp. 317-378

Belle taille, démarche gracieuse, et une voix si douce ! […] La nuit de mai était calme et sereine, le vieillard dormit d’un sommeil doux et paisible. […] Il semblait qu’une mélodie inconnue et douce allait jaillir de son cerveau. […] La nuit, douce et silencieuse, s’étendait sur les collines et les vallées ; cette vapeur chaude et douce descendait-elle du ciel ? […] Mais, malgré cette douce émotion, il se sentait la conscience troublée.

65. (1896) Le livre des masques

Il n’est ni violent, ni somptueux, ni doux : il est calme. […] C’est une lecture vraiment agréable et on passe de douces heures parmi ces femmes, ces lys, ces gemmes, ces roses d’automne. […] N’est-ce pas d’une mélancolie bien douce ? […] Son regard, quoique doux, est profond. […] Mais qu’as-tu donc fait de tes pustules visqueuses et fétides, pour avoir l’air si doux ?

66. (1864) Cours familier de littérature. XVII « CIIe entretien. Lettre à M. Sainte-Beuve (2e partie) » pp. 409-488

Je vous envie, car de consolantes illusions sont des vérités très douces pour ceux qui y croient ; mais moi, non, je ne crois à rien, et je me livre seulement à mon goût pour les beaux-arts et pour la littérature. […] Car sans parler du flot qui gronde à tout moment, Et de votre destin qu’assiège incessamment La Gloire aux mille voix, comme une mer montante, Et des concerts tombant de la nue éclatante Où déjà par le front vous plongez à demi ; Doux bruits, moins doux pourtant que la voix d’un ami : Vous, noble époux ; vous, femme, à la main votre aiguille, À vos pieds vos enfants ; chaque soir, en famille, Vous livrez aux doux riens vos deux cœurs reposés, Vous vivez l’un dans l’autre et vous vous suffisez. […] n’avais-je pas ouï dire (c’est l’un des bergers qui parle) que depuis l’endroit où les collines commencent à s’incliner en douce pente, jusqu’au bord de la rivière et jusqu’à ces vieux hêtres dont le faîte est rompu, votre Ménalque, grâce à la beauté de ses chansons, avait su conserver tout ce domaine ?  […] Une âme tendre, amante de l’étude, d’un doux et calme paysage, éprise de la campagne et de la muse pastorale de Sicile ; une âme modeste et modérée, née et nourrie dans cette médiocrité domestique qui rend toutes choses plus senties et plus chères ; — se voir arracher tout cela, toute cette possession et cette paix, en un jour, par la brutalité de soldats vainqueurs ! […] On conçoit mieux ici la mélancolie de Virgile dans cette atmosphère brumeuse et douce, dans cette campagne monotone, sous ce soleil fréquemment voilé.”

67. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVIIe entretien. Littérature latine. Horace (1re partie) » pp. 337-410

Rousseau en vers délicieux comme les murmures du vent doux de la vie à travers les fibres de l’âme. […] Pourquoi mourir, puisqu’une vie longue et douce s’ouvrait encore devant lui ? […] Ce sont les chaînes douces de la vie ; il ne voulut pas même porter le poids d’une tendresse sérieuse ou d’une famille à élever. […] Sa poésie, plus lyrique, plus élégante, quoique aussi voluptueuse, prit la douce gravité ou la gracieuse familiarité des maîtres du monde avec lesquels il vivait si familièrement. […] Sans épouse et sans enfants, il devait désirer que ses champs et ses huit esclaves tombassent dans le domaine d’un maître aussi doux que puissant.

68. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « MME DESBORDES-VALMORE. » pp. 124-157

tu me souriais de ton sourire immortel, et tu me demandais ce que j’avais, ce que je souffrais, et l’objet de ma douce fureur : tu me disais : Qui donc t’a fait du mal, ô ma Sapho ? […] Ces délicieuses romances Douce chimère, et Vous souvient-il de cette jeune amie ? […] Déjà même, du bord de ce doux nid, gloire et douceur maternelle, une jeune voix bien sonore lui répond. […] Je ne sais s’il y a sur la terre rien de plus utile et de plus doux que de retourner de bonne volonté à la source de notre être et de tout ce que nous avons aimé au monde. […] … Espérons… » C’est cette sœur aînée Cécile, qui avait appris à lire à la jeune Marceline, tout enfant, et l’on trouve en maint passage des poésies un souvenir esquissé de cette douce figure.

69. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « William Cowper, ou de la poésie domestique (I, II et III) — I » pp. 139-158

Ces lèvres sont les tiennes ; — c’est bien ton doux sourire que je vois, le même qui me consola si souvent dans mon enfance : il ne leur manque que la parole ; à cela près, comme elles semblent dire clairement : « Ne te chagrine point, mon enfant, chasse loin toutes tes frayeurs !  […] Ses projets mûrissent toujours ;     Sa graine germe et pousse ; Le bouton, amer quelques jours,     Donne une fleur plus douce. […] Le trouvant tout à fait doux et traitable, j’avais pris l’habitude de l’emporter toujours après déjeuner dans le jardin, où il se cachait ordinairement sous les feuilles d’un plant de concombres, y sommeillant ou y ruminant jusqu’au soir : les feuilles lui fournissaient aussi un régal favori. […] Il n’en fut point ainsi de Tiney ; sur lui les plus doux traitements n’eurent pas le moindre effet. […] De ceci les sectaires querelleurs peuvent apprendre à démêler leur véritable intérêt : que le frère ne devrait point guerroyer contre le frère, qu’il ne faut se déchirer ni se dévorer entre soi, mais plutôt chanter et briller par un doux accord, jusqu’à ce que cette pauvre nuit passagère de la vie soit écoulée ; respectant ainsi l’un chez l’autre les dons de la nature et de la grâce.

70. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Racine — II »

Mais ces créations mêmes vers lesquelles un doux penchant dut le rentraîner d’abord, ces Monime, ces Phèdre, ces Bérénice au long voile, ces nobles amantes solitaires qu’il revoyait, à la nuit tombante, sous les traits de la Champmeslé, et qui s’enfuyaient, comme Didon, dans les bocages, qu’étaient-elles, je le demande ? […] Au pied de l’autel avancée, La douce et blanche fiancée Attendait le divin Époux ; Mais, sans voir la cérémonie, Parmi l’encens et l’harmonie Sanglotait le père à genoux28. […] C’est une conversation douce et choisie, d’un charme croissant, une confidence pénétrante et pleine d’émotion, comme on se figure qu’en pouvait suggérer au poëte le commerce paisible de cette société où une femme écrivait la Princesse de Clèves ; c’est un sentiment intime, unique, expansif, qui se mêle à tout, s’insinue partout, qu’on retrouve dans chaque soupir, dans chaque larme, et qu’on respire avec l’air. […] Ingres, comme on a l’œil rempli de l’éclatante variété pittoresque du grand maître flamand, on ne voit d’abord dans l’artiste français qu’un ton assez uniforme, une teinte diffuse de pâle et douce lumière. […] Il était doux, fleuri, agréablement subtil, épris des antiques chimères, doué des signes gracieux de l’avenir ; et sa prose, encor qu’un peu traînante, ne ressemblait pas mal à ces beaux vieillards divins dont il nous parle souvent, à longue barbe plus blanche que la neige, et qui, soutenus d’un bâton d’ivoire, s’acheminaient lentement au milieu des bocages vers un temple du plus pur marbre de Paros.

71. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre VI. Le charmeur Anatole France » pp. 60-71

Rien ne résiste à sa douce critique. […] Soyons doux, amusons-nous, travaillons aussi (comme disait si judicieusement Renan), ne nous effrayons pas de notre action. […] Les douces ironies d’Anatole France s’appliquent aux « agités », à ceux qui croient savoir, qui déclament, salle Graffard, ou qui raisonnent en chaire. […] Les sentiments qui nous la rendent douce naissent d’un mensonge et se nourrissent d’illusions. » À chaque page, même négation résignée et souriante, qu’il parle du jeu, de la jalousie, de l’art ou de la justice.

72. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre V. Harmonies de la religion chrétienne avec les scènes de la nature et les passions du cœur humain. — Chapitre II. Harmonies physiques. — Suite des Monuments religieux ; Couvents maronites, coptes, etc. »

Il redouble la paix qui m’attache en ces lieux ; Son jour mélancolique, et si doux à nos yeux, Son vert plus rembruni, son grave caractère, Semblent se conformer au deuil du monastère. […] L’astre touchant des nuits verse du haut des cieux, Sur les tombes du cloître un jour mystérieux, Et semble y réfléchir cette douce lumière Qui des morts bienheureux doit charmer la paupière. […] L’imagination, vers tes murs élancée, Chercha le saint repos, leur long recueillement ; Mais mon âme a besoin d’un plus doux sentiment. […] Toutefois quand le temps, qui détrompe sans cesse, Pour moi des passions détruira les erreurs, Et leurs plaisirs trop courts souvent mêlés de pleurs, Quand mon cœur nourrira quelque peine secrète, Dans ces moments plus doux, et si chers au poète, Où, fatigué du monde, il veut, libre du moins, Et jouir de lui-même, et rêver sans témoins, Alors je reviendrai, solitude tranquille, Oublier dans ton sein les ennuis de la ville, Et retrouver encor, sous ces lambris déserts Les mêmes sentiments retracés dans ces vers.

73. (1884) La légende du Parnasse contemporain

Il s’effaçait paisiblement, doux, aimable, aimé. […] Ça n’était pas doux, mais du moins je n’étais plus en contact avec la pourriture. […] Mais voyez comme était douce et bonne l’âme de Glatigny. […] Je ne veux pas mieux Bouche de fleur, doux œil d’étoile. […] Ses doux yeux Disent : Mes sœurs, aux violettes.

74. (1856) Cours familier de littérature. I « Ve entretien. [Le poème et drame de Sacountala] » pp. 321-398

« Ô roi, dit l’ermite, cette douce gazelle apprivoisée appartient à l’ermitage ; ne la tuez pas, ne la tuez pas ! […] Comment cela, ma douce amie ? […] En ce cas, ma douce amie, c’est toi que je vais rendre heureuse ; car ce pronostic ne t’annonce rien moins que la possession prochaine d’un héros pour époux. […] Charmantes filles, combien cette douce intimité qui règne entre vous s’accorde admirablement avec votre jeunesse et vos grâces ! […] « Voyez », leur disait-elle en faisant un doux mensonge, « mon pied vient d’être cruellement blessé par cette pointe aiguë de cousa » ; et elle s’arrêta sans sujet.

75. (1856) Cours familier de littérature. I « VIe entretien. Suite du poème et du drame de Sacountala » pp. 401-474

… Quelle douce résignation se peint dans tous ses traits ! […] Kalidasa, se rapprochant de la noble et douce pureté de Sophocle, n’a rien de cette dégénérescence, de cette vulgarité d’intrigues qu’Euripide semble emprunter d’avance au roman moderne plutôt qu’à l’antique épopée. […] Le sage Valmiki, un jour qu’il se promenait sur les bords du paisible et brillant Tamasâ, vit un oiseleur abattre d’un coup mortel un oiseau qui, à côté de sa douce compagne, faisait retentir la rive de ses accents amoureux. […] Seule, au milieu des rameaux les plus élevés, la colombe répète ses doux murmures. […] Que leurs chants étaient doux !

76. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — S — Signoret, Emmanuel (1872-1900) »

Edmond Pilon La Daphné d’André Chénier me laissa l’impression d’une douce bucolique à la joie innocente, mais la Daphné de M.  […] Aujourd’hui, l’intensité des vers dorés n’est plus : un son de flûte, grave et doux, sort seul des lèvres du pâtre. Il y a de belles Étoiles au ciel, l’Enfant baigne dans la source la blancheur de ses pieds, les statues se découpent sur l’émeraude du Parc et le Poète chante, chante à voix hautaine et vibrante, si forte qu’elle briserait bien Syrinx et si douce ; parfois, qu’elle ferait pleurer de joie les choses.

77. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Les poëtes français. Recueil des chefs-d’œuvre de la poésie française »

J’aime ces doux combats, et je suis patient ; Dans l’étroit vêtement qu’à son beau corps j’ajuste, Là, serrant un atour, ici le déliant, J’ai fait passer enfin tête, épaules et buste. […] L’autre, c’est un baptême. — Au bras qui le défend, Un nourrisson bégaye une note indécise ; Sa mère lui tendant le doux sein qu’il épuise, L’embrasse tout entier d’un regard triomphant ! […] Moire, velours, damas, satin clair et bruyant, Brodés, glacés, brochés, lamés, nous disent-elles ; Les fleurs, les diamants, ces soleils congelés, La topaze, d’où sort comme une haleine chaude, L’opale nuageuse aux doux rayons voilés, Le saphir, nom divin ! […] Pour elle, quoique Dieu l’ait faite douce et tendre, Elle suit son chemin, distraite, et sans entendre Ce murmure d’amour élevé sur ses pas.

78. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Pensées »

à des éclairs : l’autre jour j’en eus un bien doux. […] rien n’y manque, m’écriai-je en montrant le ciel et l’astre si doux. » — -« Oh ! […] » répéta après moi la plus jeune, la plus douce, la plus timide voix de quinze ans, celle que je n’ai entendue que ce soir-là, que je n’entendrai peut-être jamais plus. […] qu’une pensée d’elle venait droit au poëte, et je répétai encore, en effleurant cette fois son doux œil bleu : « Non !

79. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Auguste de Chatillon. À la Grand’Pinte ! »

C’est un buveur doux, et triste, et rassis. […] Comprenez-vous le ton simple, abandonné, humilié, qui n’est plus fier, mais qui est noble encore, de cette poésie, poignante et douce ? […] Lui, fait pour écrire toujours dans cette nuance que nous avons signalée, lui, le doux des doux, le résigné des résignés, dont la Muse aurait pu toujours ressembler à cette touchante image de Shakespeare, la Patience qui sourit longuement à la Douleur, a mieux aimé entrer à la Grand’Pinte et se verser du vin de cabaret de cette blanche main à laquelle on pardonne, car elle tremble, comme s’il savait que ce vin qu’il se verse n’apaisera rien de ce qui a soif dans son cœur.

80. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. ULRIC GUTTINGUER. — Arthur, roman ; 1836. — » pp. 397-422

Doux Zéphirs, qui régniez alors dans ces beaux lieux, N’en portâtes-vous rien aux oreilles des Dieux ? […] Le nôtre y avait réuni un certain nombre d’élégies qui composaient l’histoire d’une passion, alors encore brûlante : il y en a de belles, et d’admirables surtout au début, — comme un cri : Ils ont dit : « L’amour passe, et sa flamme est rapide ; « Le plaisir le plus doux, toujours suivi du vide, « Laisse au cœur un vague tourment !  […] Après bien des détours dans l’ombre et sur la mousse L’aurore avec le jour amenait les adieux : En me disant demain, que sa voix était douce Que loin, en la quittant, je la suivais des yeux ! […] En les regardant, en les écoutant, je suis arrivé à goûter une indicible joie, rien qu’à voir rayonner ce beau et doux soleil sur un arbre que j’ai planté, et à trouver le strict nécessaire proprement servi sur ma table ; rien qu’à jouir du silence, de la retraite, de la lecture, ou d’une innocente occupation ; et je m’écrie vingt fois le jour, comme les Pères des déserts : « Seigneur, c’est assez ! […] C’est avec ces pensées que j’arrive jusque dans ma retraite, et qu’environné des livres saints dont je me suis fait comme une barrière je m’écrie : « Jours de bénédiction, beau temps, air doux et pur qu’on n’espérait plus ; herbe verte et si belle sous ces rayons qui ne la brûlent plus et qu’elle reçoit avec amour ; solitude, silence, éloignement du bruit et des passions des hommes ; délices de l’homme contemplatif et apaisé ; qu’ai-je fait pour vous goûter avec cette plénitude et ces transports ?

81. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « LOYSON. — POLONIUS. — DE LOY. » pp. 276-306

Maine de Biran, sont déjà des méditations ébauchées et mieux qu’ébauchées : O Biran, que ne puis-je en ce doux ermitage, Respirant près de toi la liberté, la paix, Cacher ma vie oisive au fond de tes bosquets ! […] Ce gracieux recueil se peut relire quand on aime la douce poésie et qu’on est en veine tendre ; mais je cherche vainement à en rien détacher ici pour le faire saillir. […] Labinsky restera donc pour nous Jean Polonius, l’auteur des élégies, élégies douces, senties, passagères, qui, avec quelques-unes d’Ulric Guttinguer, ont droit d’être comptées dans le cortége d’Elvire. […] L’Immortel incliné vers la douce figure, etc., etc. […] Pline le Jeune, parlant d’un poëte de son temps (Lettres, I, 16), dit qu’il sait mêler avec art, dans ses élégies, à des vers doux et coulants, d’autres vers un peu durs (duriusculos quosdam), et qu’eu cela il fait comme Calvus ou comme Catulle.

82. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre II »

Elle apprivoisait cette chèvre sauvage, elle changeait en fleur cette nature d’ortie hérissée, et ce doux sortilège s’accomplissait, au son de la flûte bucolique, dans un paysage digne d’encadrer les magies amoureuses de la Symétha de Théocrite. […] que ces noms sont doux, qu’ils sont intéressants !  […] La preuve sans réplique est que, sur le moment, L’insulte ne t’a fait qu’un doux étonnement. […] Il ne prend pas même la peine de préparer à son abandon la douce enfant qui ne comprend rien à cette détestable disgrâce ; il la brusque, il la maltraite, il hausse les épaules à ses reproches ingénus et tendres. […] Augier est un compagnon quelque peu bruyant pour l’esprit délicat et doux de M. 

83. (1859) Cours familier de littérature. VII « XLIe entretien. Littérature dramatique de l’Allemagne. Troisième partie de Goethe. — Schiller » pp. 313-392

Un doux paysage m’entoure ; le soleil se couche en souriant, et les rossignols chantent. […] Examinez le mélange, et voyez si, pour former un alliage parfait, le métal doux est uni au métal fort. […] La douce illusion s’en va avec le voile et la ceinture ; la passion disparaît ; puisse l’amour rester ! […] « Douce paix, heureuse union ! […] Mais tu es doux, ô Goethe !

84. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Fénelon. Sa correspondance spirituelle et politique. — II. (Fin.) » pp. 36-54

Il faut avouer que je vous ai toujours vu, dans votre enfance, aimant à être en particulier, et ne vous accommodant pas des visages nouveaux. » Il voudrait le voir accessible, ouvert à tous, sachant s’entourer mieux qu’il ne fait et de personnes plus considérées, sachant un peu proportionner ses témoignages de confiance à la réputation publique de ceux à qui il les accorde ; il voudrait surtout le mettre en garde contre tout ce qui semble dénoter une dévotion sombre, timide, scrupuleuse : Pour votre piété, si vous voulez lui faire honneur, vous ne sauriez être trop attentif à la rendre douce, simple, commode, sociable… (Et dans une autre lettre, à quelques jours de là) : Vous devez faire honneur à la piété, et la rendre respectable dans votre personne. […] Il faut la pratiquer d’une manière simple, douce, noble, forte et convenable à votre rang. […] On a beau lui en dire du bien, il ne sera content que « lorsqu’il le saura libre, ferme et en possession de parler (même au roi) avec une force douce et respectueuse… S’il ne sent pas le besoin de devenir ferme et nerveux, il ne fera aucun véritable progrès ; il est temps d’être homme ». […] Ce fut alors une inspiration générale, un souffle naturel qui se répandait dans toute une classe d’esprits élevés, ou simplement humains, sensés et doux. […] La lecture de ces lettres dernières me fait l’effet des derniers jours d’un doux hiver, on sent le printemps par-delà.

85. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Le Poëme des champs par M. Calemard de Lafayette. »

Voici pourtant (car nous autres, du commun des hommes, et qui ne sommes point à cette sublime hauteur de stoïcien et de panthéiste, nous avons besoin de tableaux plus doux), voici une pièce qui a son charme : elle a pour titre le Bernica. […] Ce sont des chœurs soudains, des chansons infinies, Un long gazouillement, d’appels joyeux mêlé, Ou des plaintes d’amour à des rires unies ; Et si douces, pourtant, flottent ces harmonies, Que le repos de l’air n’en est jamais troublé. […] Sur les restes fanés de nos douces histoires, Sur notre rêve éteint, dans l’ombre enseveli, Sur nos vœux moissonnés par les heures fatales, Un jour on voit grandir les fleurs aux noirs pétales, Les roses sans parfums, les roses de l’oubli. […] t’offrant ses plus doux lits, A pour toi choisi l’herbe et retiré la pierre ; On dirait qu’une main a modelé la terre Et sur la forme humaine en a moulé les plis De symboliques fleurs autour de toi rappellent Que les hommes parfois aux dieux se sont unis : Sur le sol fécondé par le sang d’Adonis, Près des eaux, l’anémone et la rose se mêlent. […] « Prenez, me dit l’humble vicaire, qui me rappelle la douce lignée des vicaires anglais poëtes et à qui j’avais conseillé, en effet, de les lire dans l’original, ainsi que les poètes lakists, prenez que c’est un panier de fruits, — des fruits du petit jardin que vous avez créé dans ce maigre terrain de nos montagnes, qui ne sont pas, il s’en faut, celles du Westmoreland.

86. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Portalis. Discours et rapports sur le Code civil, — sur le Concordat de 1801, — publiés par son petit-fils — II. » pp. 460-478

Oui, sans doute, on le sent bien à la lecture, il a manqué quelque chose à cette éloquence ; cet œil ne lançait point d’étincelles ni d’éclairs ; cette voix n’avait point d’éclats sonores, ni de ce qui vibre à distance ; mais du moins un sentiment juste, équitable, pénétré, animait cette gravité douce et abondante ; une imagination tempérée y jetait plutôt de la lumière que de la couleur ; parfois la finesse et une certaine grâce d’ironie n’y manquaient pas ; l’humanité surtout, avec la justice, en était l’âme, et cet orateur au ton sage avait en lui toutes les piétés. […] Si je meurs, il me sera doux, du moins, de mourir de la main des hommes : Si pereo, manibus hominum periisse juvabit. […] La contrée est agréable ; à côté de la maison que nous habitons, nous avons un beau lac et une belle forêt ; l’art y procure tous les fruits que la nature refuse ; les mœurs du pays sont douces ; il y a beaucoup d’instruction dans les hautes classes de la société, et l’on trouve encore chez elles des principes religieux que l’on n’y soupçonnerait pas ; chaque seigneur rend, avec une sage mesure, la liberté à ses vassaux ; il les rend propriétaires, il leur fait du bien sans commotion, et il cherche à leur inspirer, non l’amour du changement, mais celui du travail et de l’industrie. […] C’est là un tranquille et doux tableau, et qui laissait jour à l’espérance. […] Certes, dans ses relations avec le souverain pontife et avec les chefs de l’Église, Napoléon ne pouvait faire choix d’un organe ni d’un conseiller plus savant, plus pieux, plus pur, plus ferme en de certains cas, et plus doux dans le mode de résistance que ne l’était Portalis.

87. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre II. La poésie lyrique » pp. 81-134

Sa poésie est douce, intime, aisée. […] Il est doux de s’aimer dans la nuit. […] Il aima Ivelaine, Priscilla, Oriane, les princesses fabuleuses aux yeux doux, les sorcières, les chevaliers, les nuits d’enchantement, les palais de songe, l’Orient miraculeux aux fruits de pierreries. […] Ce sont des vers simples et doux, de délicieux paysages de campagnes, de pénétrantes impressions de pluie sur les champs où de petites maisons grises, avec une sorte de résignation devant les choses. […] Antigone sévère et douce, je te suis, Devinant ta beauté sans la voir, car je suis,          L’Œdipe étrange de mon songe.

88. (1867) Cours familier de littérature. XXIV « CXLe entretien. L’homme de lettres »

Le bonheur vint tard, mais il vint, aux doux sourires de sa femme, la gloire à l’appel de son disciple et de son ami. […] L’enfance, qui connaît des caresses plus tendres, ne connaît point de plus doux noms. […] Aux environs, l’herbe de baume, dont les feuilles sont en cœur, et les basilics à odeur de girofle, exhalaient les plus doux parfums. […] La conversation était aussi douce et aussi innocente que ces festins. […] L’azur du ciel est moins beau que le bleu de tes yeux ; le chant des bengalis moins doux que le son de ta voix.

89. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « LEOPARDI. » pp. 363-422

O malheureux qui tombe à la guerre, non point pour la défense des rivages paternels, pour la pieuse compagne et les fils chéris, mais frappé de la main d’ennemis qui ne sont pas les siens, pour le compte d’autrui, et qui ne peut dire en mourant : Douce terre natale, la vie que tu m’as donnée, la voici, je te la rends ! […] Les cendres sacrées de Dante étaient chaudes encore, et le doux luth de Pétrarque n’avait pas cessé de frémir. […] Je reprends le chant à ce qu’il dit de Pétrarque : « Et tes douces cordes murmuraient encore au toucher de tes doigts, amant infortuné. […] A côté des satisfactions fort douces qu’il y recueillit, il ressentit bien des ennuis, bien des gênes, sans parler de celles qui tenaient à sa situation personnelle. […] La jeunesse du lieu, dans ses atours de fête, Sort des maisons, s’épand sur les chemins, s’arrête Regardant, se montrant, doux et flatteur orgueil !

90. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — S. — article » pp. 216-217

Elles respirent les sentimens les plus doux ; & s'ils ne sont pas toujours exprimés d'une maniere élégante & poétique, on en est dédommagé par la vivacité des tours & la délicatesse des pensées. […] La versification en est douce, harmonieuse & facile, le style pur, débarrassé de ces fadeurs amoureuses qu'on prodigue si maladroitement & jusqu'à la satiété sur le Théatre de l'Opéra : la pompe & le merveilleux y sont amenés par le sujet même, & sans le secours de la Mythologie, mérite qui n'a pas été assez senti, mais qui n'en fait pas moins honneur au talent du Poëte.

91. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. »

Douce femme que je voudrais oser nommer sœur 87 !  […] L’amitié austère et attendrie qu’elle inspira à cette stoïque nature est un des triomphes de son doux génie. […] Cependant il y eut une saison d’oubli, de joie et de gaieté douce à la campagne, dans les propriétés de M.  […] Son âme semble habitée par des milliers d’oiseaux qui ne chantent pas ensemble, mais qui se craignent et se fuient. — Douce et agitée toujours !  […] … — Oui, je vous remercie pour elle, sainte et douce colombe ; je vous remercie pour moi — et pour vous — d’avoir été son ami. — Laissez-moi me signer la vôtre, — Marceline Desbordes-Valmore. » — Le timbre de la poste porte la date du 18 février : Ondine venait de mourir.

92. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « BRIZEUX et AUGUSTE BARBIER, Marie. — Iambes. » pp. 222-234

Ingres sectateur de l’antique beauté, des vers à la mémoire de ce Georges Farcy que sa mort a révélé à la France, et qui eût aimé ce livre s’il avait vécu, et qui, en le lisant, eût envié de le faire ; partout une nature élégante et gracieuse à laquelle le cœur se confie ; partout de bienveillantes images et un pur désir du beau : le doux Virgile en robe traînante et les cheveux négligés, s’appuyant sur le bras de Mécène au seuil du palais d’Octave ; un doute tolérant et chaste, la liberté clémente ; Jésus homme ou Dieu, dit le poëte, mais qui possède à jamais l’univers moral, et qui, s’il doit mourir, ne mourra que comme le père de famille, après que toute sa race, la race des fils d’Adam, sera pourvue ; — ce sont des vers comme ceux-ci, inspirés par le joli pays de Livry, que Mme de Sévigné chérissait déjà : ………. Sans projets, sans envie, Ne cherchons désormais que l’oubli de la vie : Que chaque objet qui passe, ou noble ou gracieux, Nous attire, et sur lui laissons aller nos yeux ; Vivons hors de nous-même ; il est dans la nature, Dans tout ce qui se meut, et respire, et murmure, Dans les riches trésors de la création, Il est des baumes sûrs à toute affliction : C’est de s’abandonner à ces beautés naives, D’en observer les lois douces, inoffensives, L’arbre qui pousse et meurt où nos mains l’ont planté, Et l’oiseau qu’on écoute après qu’il a chanté. […] Qu’il est doux d’être heureux sans remonter aux causes ! Qu’il est doux d’être bien sans désirer le mieux, Et de n’avoir jamais a se lasser des cieux !

93. (1860) Cours familier de littérature. X « LVIe entretien. L’Arioste (2e partie) » pp. 81-160

ô destinée si douce, qu’unis comme l’étaient leurs corps, je ne doute pas que leurs âmes, également enlacées, s’en allèrent ensemble au même ciel !  […] Il les réprime toutefois, non pas par crainte d’être entendu des ennemis et par aucun soin de sa propre vie, dont il lui serait plus doux d’être délivré, mais par peur qu’on ne l’empêche d’accomplir l’œuvre pieuse pour laquelle il s’est dévoué. […] Ces impressions m’étaient neuves, consonantes à l’âme et douces ; je les savourais avec autant de délices que les impressions champêtres de la villa. […] Médor, dans des vers tendres et amoureux, y remerciait les arbrisseaux, les gazons verts, les ondes limpides, la caverne obscure, les ombres rafraîchissantes, des douces heures qu’il avait passées avec l’incomparable Angélique, fille de Galafron. […] dis-je à mon tour, remercions le professeur de nous avoir tantôt attendris, tantôt amusés, tantôt assoupis pendant ces longs jours d’été au doux murmure de ces stances.

94. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Bruant, Aristide (1851-1925) »

Ce poète, sincère jusqu’au cynisme, mais non sans tendresse, cherche ses inspirations dans le ruisseau ; mais il y voit aussi briller un reflet d’étoile, la douce pitié. […] Sous un vaste chapeau à la va-te-faire-lanlaire, la tête, belle et douce, d’un chouan résolu.

95. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — D — Dovalle, Charles (1807-1829) »

Victor Hugo Heureux pour lui-même le poète qui, né avec le goût des choses fraîches et douces, aura su isoler son âme de toutes les impressions douloureuses ; et, dans cette atmosphère flamboyante et sombre qui rougit l’horizon longtemps encore après une révolution, aura conservé rayonnant et pur son petit monde de fleurs, de rosée et de soleil ! […] Charles Asselineau Charles Dovalle n’est point une des étoiles radieuses de la poésie moderne, c’est plutôt une nébuleuse au reflet doux qui se mêle, sans s’y confondre, à la trace lactée des poètes de la première phase de notre renaissance poétique.

96. (1866) Cours familier de littérature. XXII « CXXVIIIe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 65-128

Il a, d’un seul coup, tué traîtreusement un sbire et blessé deux gardes du duc ; il n’emportera pas loin l’impunité de ses forfaits et personne ne pleurera sur sa fosse ; il est d’autant plus dangereux que l’hypocrisie la plus consommée cache son âme astucieuse et féroce, et qu’avec le cœur d’un vrai tigre, il a le visage candide et doux d’un bel adolescent ; il faut trembler quand on l’approche pour lui jeter sa nourriture. […] que nous nous dîmes de douces paroles alors, à travers les barreaux, ma mère ! […] » CCIII À propos des colombes, ma tante, j’ai oublié de vous dire qu’une idée m’était venue, en quittant Hyeronimo, de me servir de ces doux oiseaux pour nos messages de la tour au cachot et du cachot à ma chambre haute. […] Lorsque je fus arrivée à la dernière loge, dont le pilier du cloître empêchait la vue aux autres, j’appelai à voix basse Hyeronimo et je lui dis rapidement ce que m’avait dit longuement la maîtresse des prisons, afin que, si c’était pour lui la mort, la voix qui la lui annonçait la lui fît plus douce, et que, si c’était la vie, la parole qui la lui apportait la lui fît plus chère. […] Mais, excepté le cœur de celle à qui ces reliques rappellent des heures tristes ou douces, qui est-ce qui donnerait un carlin de cela ?

97. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, le 8 décembre 1885. »

C’était un charme aimable, l’ancienne musique ; on créait une vie légère, on ordonnait des créations de vie légère, et aux auditeurs étaient des visions douces, agréantes, aisées ; les symphonistes ne rêvaient point de symphonies fantastiques, et l’opéra ne voulait pas être une épopée nationale. […] Maintenant revient le premier motif des instruments à cordes, avec la puissante expression de l’émotion d’une âme profondément saisie ; tranquillisé et apaisé, il atteint l’extrême sérénité d’une douce et bien heureuse résignation. […] Motif 27 (p. 178, 179, 236, 304, 305). — Motif populaire adapté par Sachs à l’avertissement qu’il donne à Eva et à Walther, et dans la douce mélancolie de sa plainte, pages 304, 305. […] Motif 39 (p. 334, 335, 336). — Le voilà encore, ce même souffle printanier de jeunesse et d’ardeur, c’est lui, la danse : les fleurs, les rubans et les filles tournent dans sa ronde vive et brillante, gaie et douce. […] Il exprime le tumultueux amour et la douce fièvre du chevalier.

98. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « De la poésie de la nature. De la poésie du foyer et de la famille » pp. 121-138

J’ai depuis longtemps un dessein, c’est de rechercher comment la poésie que j’appelle celle de la nature ou de la campagne, et aussi celle des affections chères, intimes, élevées, n’a point réussi en France au xviiie  siècle chez les écrivains en vers, et comment, dans le même temps, elle réussissait mieux en Angleterre, chez nos voisins, et produisait des poèmes encore agréables à lire, dont quelques-uns ont ouvert une voie où sont entrés avec succès et largeur d’éminents et doux génies au xixe  siècle. […] Il ne décrit la nature qu’imparfaitement, avec monotonie, sans aucune de ces images grandes et douces que les anciens ont connues : et comment en serait il autrement, puisque jusqu’en ses heures les plus recueillies et sur son banc de gazon, sous son prunier en fleur, il a d’un côté Montaigne ouvert (je le lui passe, quoique ce ne soit pas le moment), mais de l’autre il a La Pucelle ? […] Ce noble et bon vieillard a écrit dans ses dernières années d’admirables lettres où respire la poésie de la solitude, de la campagne, de la famille regrettée et perdue, de l’amitié toujours accueillie, et de la patrie céleste de plus en plus prochaine et souhaitée ; mais le même homme, qui a sous sa plume en prose des paroles douces et fortes comme le miel des déserts, ne trouve plus dans ses vers de la même date que des couleurs mêlées, inégales, et où le talent se relâche trop dans la bonhomie : ici, c’est l’art et l’originalité de forme qui a manqué. […] Vous, Tircis, Alexis (ou quel que soit le nom qui puisse le moins offenser une flamme si belle), bien que les sages conseils de l’ami le plus sincère sonnent rudement à des oreilles si délicates, et qu’un amant soit, de toutes les créatures sauvages ou apprivoisées, celle qui endure le moins un contrôle, même le plus doux ; souffrez cependant qu’un poète (la poésie désarme les animaux les plus féroces par ses charmes magiques), souffrez qu’un poète ose, par ses conseils, troubler votre rêverie, et qu’à son tour il vous courtise et vous conquière pour votre propre bien. Les scènes pastorales et les tranquilles retraites, les promenades ombreuses et les sites solitaires, les doux oiseaux s’unissant en concert aux ruisseaux harmonieux, les molles brises, les veilles nocturnes et les rêves de jour sont autant d’enchantements qui, dans un cas comme le vôtre, conspirent contre votre tranquillité, vous amollissent pour faire de vous une proie plus sûre, et entretiennent la flamme qui consume vos forces.

99. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « La reine Marie Leckzinska (suite et fin.) »

Elle n’avait que son train ordinaire, qui se compose de quatre carrosses à huit chevaux, dont il y en a deux magnifiques… » Et après une description minutieuse de la cérémonie : « Quant à ce qui est de la personne de la reine, elle est petite, plus maigre que grasse, point jolie, sans être désagréable, l’air bon et doux, ce qui ne lui donne pas la majesté requise pour une reine. […] Rassurée de ce côté, Marie Leckzinska, durant quelques années et avant les pertes cruelles dont elle fut atteinte, put jouir d’une société douce, intime, amicale, dont les détails nous ont été conservés par le président Hénault qui avait l’honneur d’en faire partie, et encore plus par le duc de Luynes. […] C’était proprement une coterie, mais une coterie douce et sûre, sans ombre de tracasserie et où l’on ne songeait entre soi qu’à se complaire. […] Le comte d’Argenson (le doux et le poli, frère du brusque), s’appelait Cadet ; Mme de Villars s’appelait Papète ; la duchesse de Luynes avait nom la Poule. […] Burty, « c’est, je crois, le plus intime, et la physionomie de cette reine, si fine et si douce, y a une teinte de résignation qui fait pénétrer plus avant dans l’histoire de ses secrètes douleurs. » 54.

100. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE SOUZA » pp. 42-61

Il y a, si je l’ose dire, comme dans les romans de Miss Burney, une trop grande profusion de tons vagues, doux jusqu’à la mollesse, pâles et blondissants. […] Un jour, il fut sur le point de compromettre par son humeur au jeu sa douce amie Athénaïs. — « Quoi ! […] Eugénie, qui a été forcée de quitter son couvent, et qui devient comme l’ange tutélaire des siens, attire constamment et repose le regard avec sa douce figure, sa longue robe noire, ses cheveux voilés de gaze, sa grande croix d’abbesse si noblement portée. […] L’abbé de Rothelin, cet ami bien doux et fidèle du cardinal de Polignac, en était. […] Mais, dès qu’ainsi ton doux soin m’est rendu, D’où vient, Enfant, que ta bouche innocente Soulève eu moi le soupir, et qu’absente J’aille peut-être au rêver défendu ?

101. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres et opuscules inédits de Fénelon. (1850.) » pp. 1-21

La paix est confirmée depuis plus de deux ans ; l’hiver est doux ; la saison est assez avancée, et on doit avoir plus de légumes que les autres années ; la cherté diminue tous les jours. […] Le ton des Lettres spirituelles de Fénelon est en général délicat, fin, délié, très agréable pour les esprits doux et féminins, mais un peu mou et entaché de quelque jargon de spiritualité quiétiste ; on y sent trop le voisinage de Mme Guyon. […] Joubert : « L’esprit de Fénelon avait quelque chose de plus doux que la douceur même, de plus patient que la patience. » C’est encore là un défaut. […] Ces lettres donnent tout à fait l’idée de ce que pouvait être cette conversation, la plus charmante et la plus distinguée, aux douces heures de gaieté et d’enjouement ; ce sont les propos de table et les après-dîners de Fénelon, ce qu’il y a de plus riant dans le ton modéré. […] Cette rareté de bonnes gens, qui lui paraît être la honte du genre humain le ramenait d’autant plus à aimer les amis choisis qu’il s’était faits : « La comparaison ne fait que trop sentir le prix des personnes vraies, douces, sûres, raisonnables, sensibles à l’amitié, et au-dessus de tout intérêt. » Une seule fois, on lui surprend encore une curiosité d’esprit, c’est pour le prince Eugène, en qui il a cru apercevoir un vrai grand homme.

102. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Mémoires d’outre-tombe, par M. de Chateaubriand. Le Chateaubriand romanesque et amoureux. » pp. 143-162

Ce sentiment instinctif et universel qui fait que pour tout mortel, même malheureux, la vie peut se dire douce et chère, qui fait aimer, regretter à tous les êtres, une fois nés, la douce lumière du jour, il l’appelle une manie. […] Comme poète, en donnant à la passion une expression plus pénétrante et parfois sublime, il a surtout usé de ce procédé qui consiste à mêler l’idée de mort et de destruction, une certaine rage satanique, au sentiment plus naturel et ordinairement plus doux du plaisir ; et c’est ici que j’ai à mieux définir cette sorte d’épicuréisme qui est le sien, et dont j’ai parlé. Ce sentiment de volupté et d’abandon suprême, qui, chez les anciens, chez Homère, chez les Patriarches, chez la bonne Cérès ou chez Booz, comme chez le bon Jupiter aux bras de Junon, est si simple, si facile, qui coûte si peu à la nature, qui est si doux, qui fait naître des fleurs à l’entour, et qui voudrait dans sa propre félicité féconder la terre entière, se raffine avec les âges ; il devient plus senti, plus délicat, plus sophistiqué aussi, chez les épicuriens des siècles plus avancés. […] Toi-même, ô doux Lamartine, dans ton Ange déchu, tu n’en fus pas exempt ! […] On est charmé, en le revoyant, de sa manière si distinguée, si fine, si douce, si différente et si au-dessus de tout.

103. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Les Confessions de J.-J. Rousseau. (Bibliothèque Charpentier.) » pp. 78-97

C’est de lui aussi que date dans notre littérature le sentiment de la vie domestique, de cette vie bourgeoise, pauvre, recueillie, intime, où s’accumulent tant de trésors vertueux et doux. […] Lorsque, quittant sa patrie, à la fin du premier livre des Confessions, il se représente le tableau simple et touchant de l’obscur bonheur qu’il aurait pu y goûter ; quand il nous dit : J’aurais passé dans le sein de ma religion, de ma patrie, de ma famille et de mes amis, une vie paisible et douce, telle qu’il la fallait à mon caractère, dans l’uniformité d’un travail de mon goût et d’une société selon mon cœur ; j’aurais été bon chrétien, bon citoyen, bon père de famille, bon ami, bon ouvrier, bon homme en toute chose ; j’aurais aimé mon état, je l’aurais honoré peut-être, et, après avoir passé une vie obscure et simple., mais égale et douce, je serais mort paisiblement dans le sein des miens ; bientôt oublié sans doute, j’aurais été regretté du moins aussi longtemps qu’on se serait souvenu de moi. Quand il nous parle ainsi, il nous convainc en effet de la sincérité de son vœu et de son regret : tant respire en toutes ses paroles un sentiment profond et vif du charme doux, égal et honnête de la vie privée ! […] Mais son accueil plein de bonté, son ton compatissant, ses manières douces et caressantes me mirent bientôt à mon aise ; je vis que je réussissais, et cela me fit réussir davantage. […] Qu’on se rappelle cette nuit qu’il passe à la belle étoile au bord du Rhône ou de la Saône, dans un chemin creux près de Lyon : Je me couchai voluptueusement sur la tablette d’une espèce de niche ou de fausse porte enfoncée dans un mur de terrasse ; le ciel de mon lit était formé par les têtes des arbres ; un rossignol était précisément au-dessus de moi, je m’endormis à son chant ; mon sommeil fut doux, mon réveil le fut davantage.

104. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Madame de Maintenon. » pp. 369-388

Il la recommandait à la duchesse de Lesdiguières, qui voyageait, comme d’une grande ressource pour l’agrément : « Elle est douce, reconnaissante, secrète, fidèle, modeste, intelligente, et, pour comble d’agrément, elle n’use de son esprit que pour divertir ou pour se faire aimer. » Quand Mlle d’Aubigné, de retour en Poitou, écrivait à ses jeunes amies de Paris, ses lettres circulaient comme des chefs-d’œuvre et venaient à l’appui de sa réputation naissante. […] Elle avait le teint fort uni et fort beau, les cheveux d’un châtain clair et très agréable, le nez très bien fait, la bouche bien taillée, l’air noble, doux, enjoué et modeste ; et, pour rendre sa beauté plus parfaite et plus éclatante, elle avait les plus beaux yeux du monde. Ils étaient noirs, brillants, doux, passionnés et pleins d’esprit ; leur éclat avait je ne sais quoi qu’on ne saurait exprimer : la mélancolie douce y paraissait quelquefois avec tous les charmes qui la suivent presque toujours ; l’enjouement s’y faisait voir à son tour avec tous les attraits que la joie peut inspirer. […] Les femmes m’aimaient parce que j’étais douce dans la société, et que je m’occupais beaucoup plus des autres que de moi-même. […] On n’a pas d’édition complète et tout à fait exacte de ses lettres, mais ce qu’on a permet d’asseoir un jugement et confirme ce qu’a si bien dit Saint-Simon de ce « langage doux, juste, en bons termes, et naturellement éloquent et court ».

105. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « De la poésie et des poètes en 1852. » pp. 380-400

Manceau, dans ses vers faciles, animés d’une douce gaieté et d’une piété riante, a quelque chose d’un Gresset resté au séminaire, et rappelle quelquefois aussi le ton de sentiment du poète catholique breton, M.  […] Il a publié, il y a vingt ans, le joli recueil de Marie, qui offrait quelques élégies douces, discrètes, et d’une qualité rare. […] Sous le tranquille azur du plus doux des climats, Une humble maisonnette aux bords de la Dumas ; Une humble maisonnette aux persiennes blanches, Sous un réseau fleuri de liane et de branches, Où je puisse, à midi, rêvant au bruit des eaux, Mêler ma poésie aux rimes des oiseaux ; À droite, une rizière où le bengali chante ; D’un vieil arbre à mon seuil l’attitude penchante, Où, tous les ans, viendront les martins au bec d’or Suspendre leurs doux nids et couver leur trésor ; Un jardin clos d’un mur où rampe la raquette ; Une ruche, et des fleurs dont l’oiseau vert becquette La poudreuse étamine et l’odorant émail ; Des buissons d’orangine aux perles de corail ; Un parterre où toujours j’aurai de préférence Des roses du Bengale et des muguets de France ; Une verte tonnelle à l’ombre des lilas, Dont la fleur m’est si douce et meurt si vite, hélas ! […] Puis, en souvenir d’elle Et de nos jours si doux sous l’aile maternelle, Avant de m’éloigner du jardin, je cueillis Les fleurs de mes amours, — une pervenche, un lis ; Du rosier couronné ployant la haute branche, J’y cueillis une rose, et c’était la plus blanche ; Et quand j’eus fait ainsi le bouquet de ma sœur, Je le baisai trois fois et le mis sur mon cœur.

106. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXVI. Des oraisons funèbres et des éloges dans les premiers temps de la littérature française, depuis François Ier jusqu’à la fin du règne de Henri IV. »

Peut-être à force de reprocher aux hommes leur bassesse, parviendra-t-on à les faire, rougir : mais quand on ne pourrait l’espérer, il est doux du moins de venger la vérité, que la flatterie est toujours prête à immoler à l’intérêt. […] L’unique différence, c’est que nos orateurs français insultent à l’humanité en prose faible et barbare, dans ce jargon qui n’était pas encore une langue ; au lieu que l’orateur d’Italie, écrivant avec pureté dans la langue de l’ancienne Rome, ses mensonges du moins sont doux et harmonieux. […] Mais ce qui a consacré sa réputation dans l’Europe, c’est sa bonté, c’est cette vertu qui ne permit jamais à la haine d’entrer dans son cœur, qui fit que, sans politique et sans effort, il pardonna toujours, et se serait cru malheureux de punir ; qui, avec ses amis, lui donnait la familiarité la plus douce, envers ses peuples la bienveillance la plus tendre, avec sa noblesse la plus touchante égalité ; ce sentiment si précieux qui quelquefois, dans des moments d’amertume et de malheur, lui faisait verser les larmes d’un grand homme au sein de l’amitié ; ce sentiment qui aimait à voir la cabane d’un paysan, à partager son pain, à sourire à une famille rustique qui l’entourait, ne craignit jamais que les larmes et le désespoir secret de la misère, vinssent lui reprocher des malheurs ou des fautes : voilà ce qui lui a concilié les cœurs de tous les peuples, voilà ce qui le fait bénir à Londres comme à Paris. […] Il semble, en s’occupant de lui, en suivant ses actions, en pénétrant dans son cœur, qu’on respire un air plus doux, et que le calme et la sérénité se répandent, du moins pour quelques moments, sur ce globe infortuné qu’on habite. […] Celle d’Auguste fut la bonté d’un politique qui n’a plus d’intérêts à commettre des crimes ; celle de Vespasien fut souillée par l’avarice et par des meurtres ; celle de Titus est plus connue par un mot à jamais célèbre, que par des actions ; celle des Antonins fut sublime et tendre, mais une certaine austérité de philosophie qui s’y mêlait, lui ôta peut-être ces grâces si douces auxquelles on aime à la reconnaître ; parmi nous, celle de Louis XII, à jamais respectée, manque pourtant un peu de la dignité des talents et des grandes actions : car, il faut en convenir, nous sommes bien plus touchés de la bonté d’un grand homme que de celle d’un prince qui a de mauvais succès et des fautes à se faire pardonner.

107. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Merrill, Stuart (1863-1915) »

Et ce seront alors des chansons douces, comme d’une teinte effacée, des ballets de Lulli où sourient de mièvres marquises, des brises ailées et des caresses, toute une savante combinaison de syllabes fondues, atténuées, prolongées ou redoublées, des divertissements verbaux exécutés par un rêveur légèrement triste qui fermerait les yeux pour ne pas être distrait par les choses réelles et mieux rêver les rêves qu’il a élus. […] Ce qu’on y voit encore, c’est un retour vers la campagne, vers la maison de douce solitude… Après avoir chanté les plus glorieuses des légendes dans les Fastes, puis la douceur de l’automne avec les Petits Poèmes, le voici qui chante simplement la beauté des choses. […] Son inspiration, apparaît-il, se recueillit en une maison de bon accueil, sise sur la lisière d’un menu village et que veille la gloire sonore, aromatique et ténébreuse d’une forêt : C’est ici la maison de douce solitude Dont le vantail de bois ne s’entr’ouvre, discret, Comme à l’appel de Dieu, qu’au cri d’inquiétude Du vagabond venu du fond de la forêt.

108. (1920) Action, n° 2, mars 1920

— Dis, doux amour, ne veux-tu rien manger, rien prendre ? […] Dans un être plein de grâce, un doux conquérant donne la main à je ne sais quelle victorieuse victime. […] Et s’il le lui perce, ô la douce pluie, ô la blessure désirée ! […] Sans doute, et sa mélancolie ne se rassasie pas du doux enchantement ; la musique est l’ombre des caresses absentes. […] Mais combien plus heureux, combien meilleur et plus doux !

109. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. »

Je ne mettrai de sa réponse que deux ou trois strophes dans lesquelles elle réclamait avec confusion contre le mot de gloire que lui avait jeté magnifiquement le grand poète : Mais dans ces chants que ma mémoire Et mon cœur s’apprennent tout bas, Doux à lire, plus doux à croire, Oh ! […] Au moyen âge on disait déjà la douce France ; les chevaliers, les braves Roland qui mouraient loin d’elle, la saluaient ainsi. […] Elle a été plus qu’une muse, elle n’a jamais cessé d’être la bonne fée de la poésie, et dans mes nombreux souvenirs de cœur, mon titre le plus doux est d’avoir conservé sa sympathie qui m’a suivi à travers tous mes barreaux.

110. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « VIII »

C’est ainsi qu’on voudrait faire passer pour un sot doux Bernardin de Saint-Pierre, qui fut un peintre de grand talent. […] En disant par exemple : « Ce vieillard noble et majestueux, son teint frais et vermeil, … sa démarche douce et légère, les prés fleuris, ses fougueux désirs, la sombre demeure de Pluton, … les mains glacées de la mort », etc., Fénelon aurait expressément voulu signifier ceci : Ce vieillard était noble et majestueux et non pas sordide et vulgaire ; ce teint était frais et vermeil, et non pas fané et pâle ; la demeure de Pluton est sombre, et non pas claire ; sa démarche est douce et légère, et non pas insolente et lourde, Quand il dit : « Ce secret s’échappa du fond de son cœur », ce serait pour donner plus de force que s’il eût dit : « Ce secret s’échappa de son cœur », Quand il remplace « troupeaux » par « tendres agneaux », c’est pour mieux accentuer l’innocence des victimes ; quand il dit : « Comme un serpent sous les fleurs », c’est pour peindre l’astuce et le danger, et lorsqu’il répète six fois par page (voir nos citations) le mot doux, c’est probablement encore pour souligner l’idée de douceur.‌

111. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « Mme Desbordes-Valmore. Poésies inédites. »

Ces gracieuses ou nerveuses faiseuses de guirlandes, qui ont comme Mme Desbordes-Valmore Des bouquets purs noués de noms doux et charmants, n’ont jamais campé un vers debout, comme leur petit. […] , La Feuille volée, Les Éclairs, Les Roses de Saadi, La Jeune Fille et le Ramier, qui finit par cette strophe interjective et profonde : Laissez pleuvoir, ô cœurs solitaires et doux ! […] L’été, lorsqu’un fruit fond sous votre sourire, Ne demandez pas : ce doux fruit, qui l’a fait ? […] Enfin faites tant et si souvent l’aumône, Qu’à ce doux travail ardemment occupé, Quand vous vieillirez, — tout vieillit, Dieu l’ordonne, —  Quelque ange en passant vous touche et vous moissonne Comme un lis d’argent pour la Vierge coupé !

112. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXIV. Des panégyriques depuis la fin du règne de Louis XIV jusqu’en 1748 ; d’un éloge funèbre des officiers morts dans la guerre de 1741. »

Le panégyrique de Louis XV, comme nous l’avons dit, offre donc peu de ces beautés qu’on a coutume de chercher dans les orateurs ; mais elles sont remplacées par d’autres ; on y trouve une sorte d’éloquence aussi persuasive et plus douce, l’éloquence des faits présentés avec autant de simplicité que de noblesse, et les réflexions d’un philosophe toujours jointes à la sensibilité d’un citoyen. […] S’il n’a pas l’éloquence et la sublimité de Pascal, il n’a pas non plus cette philosophie ardente et sombre qu’on lui a justement reprochée ; celle de Vauvenargues est plus douce ; elle tend la main à l’homme, le rassure et l’élève. […] « Tu n’es plus, s’écrie l’orateur ; tu n’es plus, ô douce espérance du reste de mes jours ! […] Toute la fin respire le charme de l’amitié, et porte l’impression de cette mélancolie douce et tendre, qui quelquefois accompagne le génie, et qu’on retrouve en soi-même avec plaisir, soit dans ces moments, qui ne sont que trop communs, où l’on a à se plaindre de l’injustice des hommes ; soit lorsque blessée dans l’intérêt le plus cher, celui de l’amitié ou de l’amour, l’âme fuit dans la solitude pour aller vivre et converser avec elle-même ; soit quand la maladie et la langueur attaquant des organes faibles et délicats, mettent une espèce de voile entre nous et la nature ; ou lorsqu’après avoir perdu des personnes que l’on aimait, plein de la tendre émotion de sa douleur, on jette un regard languissant sur le monde, qui nous paraît alors désert, parce que, pour l’âme sensible, il n’y a d’êtres vivants que ceux qui lui répondent.

113. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Léonard »

Ramène-moi, Pomone, à ces douces contrées…. […] Et plus loin, en des vers d’ailleurs bien élégants, le poëte ajoute : Mais ces riches climats fleurissent en silence ; Jamais un chantre ailé n’y porte sa cadence : Ils n’ont point Philomèle et ses accents si doux, Qui des plaisirs du soir rendent le jour jaloux. […] Il représente assez bien chez nous un diminutif de Thompson, de Collins, ou mieux un Penrose, quelqu’un de ces doux poëtes vicaires de campagne. […] Lui-même, en des vers philosophiques, nous a confessé avec grâce le faible de son inconstance :    Mais le temps même à qui tout cède Dans les plus doux abris n’a pu fixer mes pas ! […] Dégoûté encore une fois et de retour en France au printemps de 1792, il exhalait à l’ombre du bois de Romainville ses tristesses dernières, en des stances qui rappellent les plus doux accents de Chaulieu et de Fontanes ; elles sont peu connues, et la génération nouvelle voudra bien me pardonner de les citer assez au long, car ce qui est du cœur ne vieillit pas.

114. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Le Braz, Anatole (1859-1926) »

voici des vers qui sont d’un poète, d’un poète authentique, de quelqu’un dont l’âme est pieuse, douce, émue, voltigeante et chantante, prompte à la joie et prompte aux larmes, de quelqu’un qui ne ressemble pas aux autres hommes, qui n’est pas raisonnable, pratique, morose, ambitieux, qui va son chemin, loin des sentiers battus, vers des sommets bleus, aperçus en rêve dans une auréole de brumes dorées. […] Le Braz a écouté la voix plaintive des Celtes morts, de la Bretagne agonisante ; il a voulu nous conter les douces et amères confidences qu’il a recueillies, le soir, quand le bruit du siècle se taisait, près des calvaires désolés de Trégastel et de Ploumanac’h.

115. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Raymond, Louis (1869-1928) »

Dans l’Automne du cœur et le Livre d’heures du souvenir qui révélaient l’âme tendre du poète, nous avions aimé une mélancolie douce que paraît la délicatesse du verbe. […] Elle se promène en des paysages d’automne et d’hiver, des paysages attendris où nulle joie trop vive n’éclate, où seul le souvenir des tristesses passées éveille quelque souffrance douce.

116. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 214-216

Si l’amour est un doux servage, Si l’on ne peut trop estimer Les plaisirs où l’amour engage, Qu’on est sot de ne pas aimer ! […] Pour complaire au plus beau visage Qu’amour puisse jamais former, S’il ne faut qu’un doux langage, Qu’on est sot de ne pas aimer !

117. (1859) Cours familier de littérature. VII « XXXVIIIe entretien. Littérature dramatique de l’Allemagne. Le drame de Faust par Goethe » pp. 81-160

« Cantiques célestes, s’écrie-t-il, puissants et doux ! […] salut, doux demi-jour qui règnes dans ce sanctuaire ! Empare-toi de mon cœur, douce peine du désir d’amour qui vis altéré de la rosée de l’espérance ! […] Ô douce main, semblable à la main d’une créature céleste, tu fais de cet asile un paradis ! […] Ma douce amie, qui oserait dire : Je crois en Dieu ?

118. (1867) Cours familier de littérature. XXIII « cxxxive Entretien. Réminiscence littéraire. Œuvres de Clotilde de Surville »

On ne pouvait se figurer que la féodalité si odieuse de loin était si douce et si providentielle de près. […] Les scènes de ces drames innocents étaient les matériaux sur lesquels mon imagination brodait ses plus doux rêves. […] M. de Surville était, nous disait M. de Davayé, un très-bel homme, jeune encore, d’une taille haute et imposante, d’une physionomie profonde, d’une expression de figure réservée et douce ; on ne lui parlait qu’avec déférence comme à quelqu’un qui porte le respect devant lui. […] Sa beauté et ses talents poétiques y brillèrent du plus doux éclat. […] Par doux besoin d’aimer dès l’aube evigilée.

119. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre VII. Repos »

Vaine pâture, roman manqué mais tout pénétré de parfums doux et amers de poème me frappait d’un étonnement qui espère, d’une attente de joie. […] Si, au mystère de leur cœur grandit un amour secret, ils sentent sa force douce éclore en eux « comme un lis de mer s’épanouit au fond des eaux tièdes de l’Océan ». […] Déjà aussi on y rencontre souvent le rythme doux, et estompeur, et enveloppeur ; le rythme qui sur les images infiniment diverses met la noblesse toujours renouvelée et pourtant toujours la même d’une draperie largement flottante. […] Mais dans les langueurs heureuses, et dans les lenteurs charmantes, et dans les visions douces et lointaines, je ne connais pas de poète à lui comparer. […] Un par un j’enrôlai, du traînard au captal, Les blasphèmes très doux et les baisers sans tare.

120. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand (suite.) »

D’intéressantes lettres familières, dont il m’a été donné de tirer des copies exactes, vont nous le montrer en même temps tel qu’il était dans la vie privée, doux, facile, s’amusant à des riens, légèrement épigrammatique. […] Chez vous, au contraire, on voit tout en beau, et je crois que cela ne changerait pas, même quand on aurait des rhumatismes, tant la disposition est douce. […] La douce approche d’une jolie enfant a un grand charme. — Le général Dupont38 est ici depuis quelques jours. […] On aura remarqué le mot touché en passant sur sa petite nièce Pauline : « La douce approche d’une jolie enfant a un grand charme. » S’il y a eu un bon côté dans M. de Talleyrand arrivé à l’extrême vieillesse, ç’a été ce coin d’affection pure. Et en général, ces lettres douces et faciles iraient à nous faire croire, pour peu qu’on le voulût, à un Talleyrand meilleur.

121. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. »

Son organe est aussi doux ; il a autant de charme et de puissance… » Le malheur de Mlle Desbordes comme actrice fut la vie errante que lui imposa la nécessité : elle fut condamnée toute sa vie à débuter toujours. […] Elle s’adresse à une amie que de pareils scrupules n’atteignaient pas ; les vers sont d’une pureté racinienne et méritent d’être rappelés : Le monde où vous régnez me repoussa toujours ; Il méconnut mon âme à la fois douce et fière, Et d’un froid préjugé l’invincible barrière Au froid isolement condamna mes beaux jours. […] Trop sensible au mépris, de gloire peu jalouse, Blessée au cœur d’un trait dont je ne puis guérir, Sans prétendre aux doux noms et de mère et d’épouse,                   Il me faut donc mourir ! […] La réputation de Mme Valmore, sous sa première forme de touchante élégiaque et d’aimable conteur en vers, était faite dès ces années 1824-1827 ; pendant ses absences de Paris et ses séjours à Lyon ou à Bordeaux, sa nouvelle étoile avait pris place dans notre ciel poétique et y brillait d’un doux éclat, sans lutte et sans orage. […] N’écris pas ces doux mots que je n’ose plus lire : Il semble que ta voix les répand sur mon cœur ; Que je les vois brûler à travers ton sourire ; Il semble qu’un baiser les empreint sur mon cœur.

122. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Aloïsius Bertrand »

Quand tu reprendras solitaire Ton doux vol, sœur d’Alaciel, Dis-moi, la clef de ce mystère, L’emporteras-tu dans le ciel ? […] Ici une courge que la bonne Fée aurait choisie pour en faire un carrosse à Cendrillon, là des sacs de pommes et de poires qui embaumaient la chambre d’une douce odeur de fruits mûrs, ou des poulets montrant leur rouge crête par les barreaux de leur prison d’osier. […] Ce serait le réveil après un doux songe. — N’est-ce pas que vous donneriez bien huit jours de Paris pour une journée comme celle-là ? […] Par malheur, la littérature elle-même avait fait tant soit peu naufrage dans la tempête, et si Bertrand avait recherché de ce côté la place du doux nid mélodieux, il ne l’aurait plus trouvée. […] Quand le raisin est mûr, par un ciel clair et doux, Dès l’aube, à mi-coteau rit une foule étrange.

123. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Madame Geoffrin. » pp. 309-329

Un cardinal romain n’y aurait pas mis plus de politique, plus d’habileté fine et douce, qu’elle n’en dépensa durant trente ans. […] Elle conçut d’abord cette machine qu’on appelle un salon dans toute son étendue, et sut l’organiser au complet avec des rouages doux, insensibles, mais savants et entretenus par un soin continuel. […] L’esprit que Mme Geoffrin apportait dans le ménagement et l’économie de ce petit empire qu’elle avait si largement conçu, était un esprit de naturel, de justesse et de finesse, qui descendait aux moindres détails, un esprit adroit, actif et doux. […] » On voit que Mme Geoffrin n’était douce que quand elle le voulait, et que cette bénignité d’humeur et de bienfaisance recouvrait une expérience amère. […] On peut croire que cette modestie, chez elle, n’était qu’une manière plus douce, et pleine de goût, de porter son amour-propre et sa gloire.

124. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Ernest Renan, le Prêtre de Némi. »

Ce drame contient, du reste, une douce satire politique, la peinture d’un peuple décadent vaincu par un peuple jeune, des paysages, une idylle, des prières et des effusions mystiques, une philosophie de l’histoire, une conception du monde. […] Renan lui-même : « … Laissez ce doux rêveur finir tristement, demander pardon à Dieu et aux hommes de ce qu’il a fait de bien. […] Tandis que Prospero s’éteint voluptueusement entre les bras des sœurs Célestine et Euphrasie, les nonnes douces et jolies élevées pour la distraction des cardinaux, Antistius meurt pour ses chimères d’une mort sanglante. […] qu’il est doux de pleurer ! 

125. (1811) Discours de réception à l’Académie française (7 novembre 1811)

Il est à la fois doux et pénible de succéder à ceux qui nous furent chers : quelque beau que soit l’héritage, il est moins précieux par les jouissances qu’il promet, que par les souvenirs qu’il perpétue. […] Je l’avoue, Messieurs, ma tâche est douce à remplir ; je moissonne dans un champ de fleurs sans épines, et je puis les prendre au hasard pour en former la couronne que je dépose aujourd’hui sur la tombe du moderne Anacréon. […] J’en appelle à tous les âges, à tous les états : la chanson n’est-elle pas la source des plus douces jouissances ? […] On rougit des affections les plus douces, on est honteux des liens les plus sacrés, et le Philosophe marié met à cacher son bonheur le soin que Tartuffe prenait pour dissimuler ses vices.

126. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Lamennais »

Je suis né avec cela. » Comme tous les tristes, il était né doux : « Bossuet —  écrit-il — nous dit que la princesse Palatine fut douce avec la mort. Je voudrais que nous fussions doux avec la vie, mais cela, j’en conviens, est plus difficile. » Et il le trouvait plus difficile parce qu’il était, comme beaucoup de doux, susceptible de grandes colères.

127. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section III. Des ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre II. De la philosophie. »

Le philosophe, par un grand acte de courage, ayant délivré ses pensées du joug de la passion, ne les dirige plus toutes vers un objet unique, et jouit des douces impressions que chacune de ses idées peut lui valoir tour à tour et séparément. […] C’est là que le gouvernement de soi exige une main plus assurée ; mais dans la retraite, le philosophe n’a de rapports qu’avec le séjour champêtre qui l’environne, et son âme est parfaitement d’accord avec les douces sensations que ce séjour inspire, elle s’en aide pour penser et vivre. […] Le bruit du vent, l’éclat des orages, le soir de l’été, les frimas de l’hiver ; ces mouvements, ces tableaux opposés produisent des impressions pareilles, et font naître dans l’âme cette douce mélancolie, vrai sentiment de l’homme, résultat de sa destinée, seule situation du cœur qui laisse à la méditation toute son action et toute sa force.

128. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Mallarmé, Stéphane (1842-1898) »

Verhaeren et pour les lents, doux poèmes à robes lâches de M. de Régnier. […] Un charme délicat nous pénètre, un subtil parfum, une légère coulée de sons doux et purs. […] Entre sa femme et sa fille, deux grands caractères, il vécut, doux, accueillant et paisible.

129. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre troisième. Suite de la Poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions. — Chapitre VIII. La religion chrétienne considérée elle-même comme passion. »

« Certes, l’amour est une grande chose, l’amour est un bien admirable, puisque lui seul rend léger ce qui est pesant, et qu’il souffre avec une égale tranquillité les divers accidents de cette vie : il porte sans peine ce qui est pénible, et il rend doux et agréable ce qui est amer. […] « Il n’y a rien, ni dans le ciel ni sur la terre, qui soit ou plus doux, ou plus fort, ou plus élevé, ou plus étendu, ou plus agréable, ou plus plein, ou meilleur que l’amour, parce que l’amour est né de Dieu, et que, s’élevant au-dessus de toutes les créatures, il ne peut se reposer qu’en Dieu. […] « Étendez mon cœur, afin qu’il vous aime davantage, et que j’apprenne, par un goût intérieur et spirituel, combien il est doux de vous aimer, de nager et de se perdre, pour ainsi dire, dans cet océan de votre amour.

130. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre III. Des éloges chez tous les premiers peuples. »

On y trouve une imagination plus forte qu’étendue, peu d’art, peu de liaison, nulle idée générale, nul de ces sentiments qui tiennent au progrès de l’esprit, et qui sont les résultats d’une âme exercée et d’une réflexion fine ; mais il y règne d’autres beautés, le fanatisme de la valeur, une âme nourrie de toutes les grandes images de la nature, une espèce de grandeur sauvage, semblable à celle des forêts et des montagnes qu’habitaient ces peuples, et surtout une teinte de mélancolie, tour à tour profonde et douce, telle que devaient l’avoir des hommes qui menaient souvent une vie solitaire et errante, et qui, ayant une âme plus susceptible de sentiment que d’analyse, conversaient avec la nature aux bords des lacs, sur les mers et dans les bois, attachant des idées superstitieuses aux tempêtes et au bruit des vents, trouvant tout inculte et ne polissant rien, peu attachés à la vie, bravant la mort, occupés des siècles qui s’étaient écoulés avant eux, et croyant voir sans cesse les images de leurs ancêtres, ou dans les nuages qu’ils contemplaient, ou dans les pierres grises qui, au milieu des bruyères, marquaient les tombeaux, et sur lesquelles le chasseur fatigué se reposait souvent. On sent assez quel doit être le caractère des ouvrages d’un pareil peuple ; mais ce qui étonne, c’est que déjà on y trouve l’art d’opposer les idées douces aux idées terribles, et de placer presque partout l’image de l’amour à côté de celle de la guerre ; peut-être ce qui nous paraît un art, n’était que l’expression naturelle des mœurs de ces peuples. […] Ainsi partout l’intérêt public a dicté les éloges ; chaque nation a loué ce qui était utile à ses besoins ou à ses plaisirs ; on a loué la piraterie chez les Scandinaves, le brigandage chez les Huns, le fanatisme chez les Arabes, les vertus douces et les talents chez les peuples civilisés, la chasse ou la pêche chez les sauvages, la navigation chez les habitants des îles ; mais il y a une qualité qui partout a toujours été également louée, c’est celle qui a créé toutes les révolutions, qui bouleverse tout, qui assujettit tout, qui soutient les lois et qui les combat, qui fonde les empires et qui les détruit, à qui tout est soumis dans la nature, et devant qui l’univers et les panégyristes seront éternellement prosternés : la force.

131. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Boschot, Adolphe (1871-1955) »

André Rivoire Ce sont de véritables symphonies que ces poèmes, et les vers y sont délicieux ; il en est de très doux, comme atténués de sourdines ; d’autres, çà et là, éclatent et montent comme des cris… et voici qu’après d’indécis murmures, tout à coup, des strophes éloquentes se poussent l’une l’autre d’un large mouvement… Ce livre d’émotion, de pensée, d’harmonie, est original et reste simple. […] Adolphe Boschot nous offre, dans ses Poèmes dialogués, une pure essence de poésie : quelque chose de doux, de profond, de sincère, de pénétrant, des rêves épanouis en images, une imprécision claire, un poudroiement lumineux qui enveloppe toutes les formes et les idéalise.

132. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCIIe entretien. Vie du Tasse (2e partie) » pp. 65-128

Les larmes mêmes y sont douces, l’amour y rend tout mélodieux jusqu’aux sanglots. […] Cependant la douce intervention de Léonora et de sa sœur Lucrézia paraît avoir suspendu ou tempéré l’effet du mécontentement de leur frère. […] Son imagination ne le trompait pas dans ce doux rêve ; il y aurait retrouvé tout cela s’il avait pu se retrouver lui-même. […] Le lieu, les montagnes, le climat, l’horizon, la mer, achevaient le prodige ; l’imagination se guérissait par les belles et douces images de ce délicieux séjour. […] Comment la douce et tendre Léonora, devenue riche par l’héritage de sa mère, et confidente nécessaire de la fuite du Tasse, aurait-elle laissé son amant s’évader, sans habits et sans argent, de Bello Sguardo ?

133. (1834) Des destinées de la poésie pp. 4-75

Plus souvent je rentrais à la campagne pour passer la mélancolique automne dans la maison solitaire de mon père et de ma mère, dans la paix, dans le silence, dans la sainteté domestique des douces impressions du foyer ; le jour, courant les forêts, le soir, lisant ce que je trouvais sur les vieux rayons de ces bibliothèques de famille. […] Mes Arabes avaient donné l’orge dans le sac de poil de chèvre à mes chevaux attachés çà et là autour de ma tente ; les pieds enchaînés à des anneaux de fer, ces beaux et doux animaux étaient immobiles ; leur tête penchée et ombragée par leur longue crinière éparse, leur poil gris luisant et fumant sous les rayons d’un soleil de plomb. […] C’était un beau vieillard aux cheveux et à la barbe d’argent, à la physionomie grave et douce, à la parole noble, suave et cadencée, tout-à-fait semblable à l’idée du prêtre dans le poème ou dans le roman, et digne en tout de montrer sa figure de paix, de résignation et de charité dans cette scène solennelle de ruines et de méditation. […] Lui seul sait à quelle destinée il appelle ses créatures, et pénible ou douce, éclatante ou obscure, cette destinée est toujours parfaite, si elle est acceptée avec résignation et en inclinant la tête ! […] La Providence me force à tromper toutes ces espérances ; mais que ceux qui m’ont ainsi encouragé dans toutes les parties de la France et de l’Europe sachent combien mon cœur a été sensible à cette sympathie qui a été ma plus douce récompense, qui a noué entre nous les liens invisibles d’une amitié intellectuelle.

134. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Léon Dequillebec » pp. 165-167

Il revint s’asseoir dans la chambre où, en dépit de la saison, odorait un doux feu de bois. […] Des pastels anciens, des portraits de famille se fanaient aux murs, tristement, et tandis que, près de nous, rôdait un doux sourire de femme attentive, surveillant la bouilloire où chantait l’eau des tisanes, le moribond, comme dans une protestation dernière, en dépit du mauvais sort, me confiait ses projets d’avenir.

135. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Œuvres de Maurice de Guérin, publiées par M. Trébutien — I » pp. 1-17

Il a développé les boutons des feuilles et des fleurs, et réveillé dans mon sein mille douces pensées. […] Ce renouvellement du premier aspect des choses, de la physionomie qu’on leur a trouvée avec les premiers regards, est, à mon avis, une des plus douces réactions de l’enfance sur le courant de la vie. […] » Ainsi s’écrie ces jours-là presque en exilé celui qui ressonge à son doux nid du Cayla et à la roche d’Onelle. […] Il y avait en ce moment à La Chênaie, ou il allait y venir, quelques hommes dont la rencontre et l’entretien donnaient de pures joies, l’abbé Gerbet, esprit doux et d’une aménité tendre, l’abbé de Cazalès, cœur affectueux et savant dans les voies intérieures ; — d’autres noms, dont quelques-uns ont marqué depuis en des sciences diverses, Eugène Boré, Frédéric de La Provostaie : c’était toute une pieuse et docte tribu. […] Abandonnez-vous a ce qu’a de si doux cette saison de renaissance ; faites-vous fleur avec les fleurs.

136. (1902) L’observation médicale chez les écrivains naturalistes « Chapitre II »

C’était pour moi, dans son enfance, quelque chose de doux et de charmant d’écouter sa petite parole trébuchant contre ces deux consonnes, et ses colères contre sa nou-ice. […] Il possède encore deux facultés remarquables : la qualification pittoresque avec laquelle il caractérise en passant, l’épithète rare avec laquelle il peint un ciel… » Modification du caractère. — « Avril : Absorption complète, refus de parler, toute l’après-midi, son chapeau de paille lui barrant la vue, il reste assis en face d’un arbre, dans une immobilité tristement farouche. » 8 avril : « Peu à peu il se dépouille de l’affectuosité, il se déshumanise ; les autres commencent à ne plus compter pour lui et recommence en lui le féroce égoïsme de l’enfant. » 16 avril : « Ce qu’il y a d’affreux dans ces abominables maladies de l’intelligence, c’est qu’elles détruisent souterrainement et à la longue, chez l’être aimant qu’elles frappent, la sensibilité, la tendresse, l’attachement, c’est qu’elles suppriment le cœur… cette douce amitié qui était le gros lot de notre vie, de notre bonheur, je ne la trouve plus, je ne la rencontre plus… Non je ne me sens plus aimé par lui, et c’est le plus grand supplice que je puisse éprouver, et que tout ce que je puisse me dire n’adoucit en rien… ! […] …” Suivit bientôt un instant de calme, de tranquillité, ses regards doux, souriants, fixés sur moi. […] Il est mort après deux ou trois doux soupirs de la respiration d’un petit enfant qui s’endort… » On ne pouvait mieux réaliser les plus avancés desiderata de l’Impassibilité scientifique. […] Il rêvait alors à son roman Un beau-frère, portant tout entier sur les fous, la folie, les maisons d’aliénés ; et dans son zèle il avait prié des confrères de la presse de lui envoyer tous les détraqués dont ils pourraient avoir connaissance « et Dieu sait ce qu’il s’en présenta : des inventeurs méconnus, des persécutés, des ratés ; les uns doux, les autres plus ou moins violents.

137. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE PONTIVY » pp. 492-514

Mme de Pontivy était plus charmante ce soir-là que de coutume ; la mode des paniers, qu’elle adoptait pour la première fois, faisait ressortir la finesse d’une taille qui n’en avait pas besoin ; une langueur plus douce semblait attendrir sa figure, soit que ce fût l’effet de la poudre légère répandue sur ses boucles de cheveux jusque-là si bruns, soit que ce fût déjà un peu d’amour. […] Quand vous lisez Mme de Motteville ou Retz qui vous charment tant, et que nous en causons, il nous est doux de sentir notre amour tendrement animé sous cette concordance unie de notre jugement, comme il nous était doux l’autre jour, en marchant, de causer à travers la grande charmille. […] Un jour qu’ils étaient à une grande fête de Sceaux (quand la duchesse du Maine, dans les années qui suivirent sa prison, eut rouvert sa cour), la soirée avait été belle ; la nuit étoilée repoussait de sa blancheur les flambeaux qui luttaient avec elle d’éclat ; les promenades s’étaient prolongées tard dans les parterres, au bruit des orchestres voilés, et les couples fuyants et reparus, les clartés scintillantes dans le feuillage, les douces bizarreries des ombres sur les gazons, devenaient une magie complète où ne manquait pas le concert des deux amants. […] C’est alors que, sans cause extérieure, et en ce calme triste et doux, une révolution faillit arriver dans leur amour. […] Quant à M. de Murçay pourtant, son sentiment, un peu éclipsé durant le règne enflammé de l’autre, recommençait à briller dans sa nuance la plus douce, et cette saison solitaire lui était d’un attendrissement inexprimable, dont les plaintes n’arrivaient qu’imparfaites dans ses lettres à Mme de Pontivy.

138. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Anatole France »

Que l’on s’en rapporte aux Désirs de Jean Servien ou au Livre de mon ami, que le père de ce petit enfant ait été relieur ou médecin, c’était un homme candide, sérieux et de caractère méditatif ; sa mère était douce, fine et d’une adorable tendresse. […] Et c’est dans une école ecclésiastique qu’il a passé son enfance, ce qui est, je crois, un grand avantage, car souvent les exercices de piété y font l’âme plus douce et plus tendre ; la pureté a plus de chance de s’y conserver, au moins un temps, et (sauf le cas de quelques fous ou de quelques mauvais cœurs), quand plus tard la foi vous quitte, on demeure capable de la comprendre et de l’aimer chez les autres, on est plus équitable et plus intelligent. […] Il souffrit des maux tour à tour imaginaires et réels et, comme il arrive aux âmes bien situées, il sortit de cette longue crise plus doux, plus indulgent aux hommes et à la vie ; il en rapporta une vertu qui, tout compte fait, a crû notablement dans ce siècle : la pitié. […] D’autres âges ont incarné le meilleur d’eux-mêmes dans le citoyen, dans l’artiste, dans le chevalier, dans le prêtre, dans l’homme du monde : le XIXe siècle à son déclin, si on ne veut retenir que les plus éminentes de ses qualités, est un vieux savant célibataire, très intelligent, très réfléchi, très ironique et très doux. […] C’est d’abord une ironie très douce, très calme, qui s’insinue dans tous les récits et dans toutes les réflexions.

139. (1899) Esthétique de la langue française « Le cliché  »

Il y a, de jadis, un opuscule grotesque, maintes fois réimprimé et encore colporté ; c’est un Sermon en proverbes ordonné pour satiriser soit les gens qui évoquent trop, par la sagesse des nations, leur propre niaiserie, soit les prédicateurs qui répétaient toujours les mêmes exhortations vaines comme le vent qui égrène l’herbe des cimetières ; le pauvre auteur enfile donc avec un certain soin les proverbes les plus connus, jusqu’à faire quatre pages dont le sens est fort bien suivi et que l’on comprend, pourvu qu’on ne soit pas devenu hébété dès la première : « Prenez garde, n’éveillez pas le chat qui dort ; l’occasion fait le larron, mais les battus paieront l’amende ; fin contre fin ne vaut rien pour doublure ; ce qui est doux à la bouche est amer au cœur, et à la chandeleur sont les grandes douleurs. […] En reprenant les mots abeille, volupté et yeux, on trouve dans le catalogue du prieur des Célestins : Abeille : badine — bourdonnante — diligente — importune — imprudente (Voltaire) — industrieuse — laborieuse — ménagère — mouchetée — ouvrière — piquante — prévoyante — vagabonde ; Volupté : douce — efféminée, — enfantine — étudiée — fine (Voltaire) — folâtre — grossière — lâche — obscène — prodigue — profane — pure — riante — sévère — subtile — sucrée ; Yeux : abusés — assassins — attendris — bandés — bouchés — chassieux — cruels — délicats — ébaubis — éblouissants — éloquents — ennemis — éplorés — fistuleux — fondus — gémissants — homicides — hypocrites — impudiques — langoureux — noyés — pochés, etc. […] C’est dommage, peut-être, et c’est injuste, mais comment goûter encore « les gazons fleuris — ces beaux lieux — qu’elle arrosait de ses larmes — un silence modeste — une simplicité rustique — les doux zéphirs — une délicieuse fraîcheur — le doux murmure des fontaines » ? Voici la fameuse grotte tapissée de vigne, de cette vigne devenue vierge au cours des années ; voici les mille fleurs naissantes qui émaillent toujours les vertes prairies ; voici le doux nectar, la vie lâche et efféminée, la jeunesse présomptueuse ; voici « le serpent sous les fleurs ». […] Il faut une grande force de réaction personnelle, une grande énergie cellulaire pour résister à la douce facilité d’ouvrir la main sous le fruit qui tombe : il est si agréable et si naturel à l’homme de se nourrir du jardin qu’il n’a bêché, ni semé, ni planté.

140. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Henri Heine »

Ses boucles blondes retombent Sur son doux visage. […] L’île des fées, la belle île, Se dessinait vaguement aux rayons de la lune ; De douces harmonies y retentissaient Faisant ondoyer la danse des ombres. […] L’auteur n’y parle que de lui-même, s’analyse et se déchire, mais le cœur qui palpite sous ses doigts est le cœur de tous et si Heine se montre dans ses doux et méchants vers, il s’y montre humain. […] Ce mince homme blond, au regard aigu et doux, au visage finement creusé, aux mains saturnines, élancé, la bouche sardonique sur un menton un peu lourd qu’équilibrait un magnifique front blanc, net, droit, fémininement incurvé, porta dans sa vie active, comme dans ses spéculations religieuses, l’éclectisme et l’humeur changeante qui marque son œuvre. […] Par la douce phormynx, qu’Apollon lit retentir, Et par les muses, qui chantaient en se répondant par leur voix harmonieuse5.

141. (1874) Premiers lundis. Tome I « A. de Lamartine : Harmonies poétiques et religieuses — I »

L’hymne de la nuit, celle du matin et du soir, celle de l’Enfant au réveil, la Cantate pour les enfants d’une maison de charité, la Lampe du temple et quelques autres pièces encore, ont toute la sérénité et la mansuétude d’une âme fidèle, virginale, d’un cœur doux et résigné, qui croit, qui espère et qui adore. […] La foule qui s’ouvre à mesure La flatte encor d’un long coup d’œil, Et la poursuit d’un doux murmure Dont s’enivre son jeune orgueil  Et moi je souris et je passe ! […] Au bord de quelque golfe d’Italie, à l’entrée de quelque villa dont la blancheur contraste avec les bosquets de citronniers qui l’entourent, on entend le son d’une harpe, et une voix, voix si douce que l’amour s’y devine : Le portique au soleil est ouvert : une enfant Au front pur, aux yeux bleus, y guide en triomphant Un lévrier folâtre aussi blanc que la neige, Dont le regard aimant la flatte et la protège ; De la plage voisine ils prennent le sentier Qui serpente à travers le myrte et l’églantier ; Une barque non loin, vide et légère encore, Ouvre déjà sa voile aux brises de l’aurore, Et berçant sur leurs bancs les oisifs matelots, Semble attendre son maître, et bondit sur les flots..

142. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Contes de Noël »

je me connais, et je ne dis point que cette étrange et douce tristesse— ah ! si douce   survivra à cette nuit, Mais j’éprouve un grand besoin d’être seule… Accordez-moi cette grâce, vous que j’ai tant fait souffrir. […] Mais les yeux, d’un bleu pâle, étaient très doux, d’une douceur innocente de ruminant ; la bouche était saine, et l’on devinait, sous, la robe mal taillée, un corps robuste de belle campagnarde… Elle sentait encore le village, et avait dû débarquer tout récemment sur le trottoir. » Il l’aborde, lui offre un bock.

143. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Μ. Jules Levallois » pp. 191-201

Bernardin de Saint-Pierre, qui a fait Paul et Virginie — un nid dans la mousse — et La Chaumière indienne, avait en lui comme la philosophie des brahmes, et il la portait dans ses écrits et dans ses mœurs à une époque où le monde n’était pas beaucoup aux philosophies calmantes et douces, et l’ermite Levallois est, comme lui, un ermite de cette philosophie assagissante, et qui croit que la nature ne fait qu’un avec la sagesse. […] Levallois, lequel ne croit peut-être pas inconséquemment à l’action de la Providence, mais qui croit à l’action de la nature physique, est un livre de forme très douce et très charmante, mais positivement dirigé (sans en avoir l’air) contre l’idée chrétienne, qui est la seule vraie en moralité pratique et complète. […] Chose étonnante et qui me frappe, c’est la précision de ce style si doux, qui n’a ni une colère ni même une vivacité.

144. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre VII. D’Isocrate et de ses éloges. »

Les arts et les plaisirs d’Athènes, un peuple facile, un caractère brillant, les grâces jointes à la valeur, la volupté mêlée quelquefois à l’héroïsme, de grands hommes populaires, des lois qui dirigeaient plus la nature qu’elles ne la forçaient, enfin des vertus douces et des vices même tempérés par l’agrément, devaient plaire bien davantage à un genre d’esprit qui ordonnait tout, et préférait la grâce à la force. […] Admettez un tiers à cette conversation, il ne concevra point ce que ces mots ont de touchant, ni pourquoi ils excitent une émotion si tendre, et font peut-être verser les plus douces larmes : telle est l’image du différent effet que produisent les beautés accessoires et les finesses d’expression dans une langue vivante ou dans une langue morte ; plus un écrivain a de ce genre de beautés, plus il doit perdre. Enfin, le philosophe attache par l’étendue et la profondeur des idées ; l’orateur ne peut attacher que par les passions fortes ; l’effet des mouvements doux et tranquilles se perd, et n’arrive à la postérité que comme le ressouvenir d’un songe à demi effacé.

145. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Ducis épistolaire (suite et fin). »

J’ai vu le rire et l’ingénuité de l’enfance sur les lèvres du vieillard, la gravité et le recueillement de l’âme dans les traits de la jeunesse. » Ducis, pour certains accents religieux, grandioses et doux, est un parent de Chateaubriand, de même qu’il est un de nos pères et de nos aïeux en rêverie. […] Je n’aimerai jamais personne sans lui souhaiter du fond de mon cœur une mort aussi douce et aussi sainte75. » II. […] C’est avec ce sentiment fort et doux tout ensemble, c’est avec cet amour du torrent que j’ai laissé échapper de mon cœur mes sombres et incultes ouvrages : voilà la Melpomène des Allobroges, la poétique des antres et de la liberté. » La littérature révolutionnaire n’a pas à citer de plus orgueilleux accents et d’une emphase mieux caractérisée : c’est comme un écho de la Marseillaise dans les Alpes. […] une existence douce, aimable, à ses foyers ; une grâce simple dans les manières, quelquefois une espèce d’enfance qui joue sérieusement : et tout à coup ensuite sur la scène une existence immense, extraordinaire, terrible, avec une figure grecque et pure et les fureurs d’un lion réveillé. […] Enfin, il y a dans mon âme naturellement douce quelque chose d’indompté qui brise avec fureur et à leur seule idée les chaînes misérables de nos institutions humaines.

146. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « L’abbé Fléchier » pp. 383-416

Les passions ne le transportaient pas ; un feu pur et doux l'animait. […] L’expression de mitis y revient souvent et nous donne la note de cet esprit doux par excellence, et qui sut l’être sans fadeur. […] Quaeque suis agitur studiis, sua cuique cupido est… Du sein des nuages, Cupidon lui-même prépare furtivement ses doux pièges, il exerce son art et fait son jeu ; prenant son carquois, il en a tiré des traits délicieusement perfides et trempés d’un charmant poison ; il les lance sur nos groupes de nymphes, le méchant ! […] Talon dans son zèle, visitant avant tout les prisons « pour voir si elles étaient sûres et capables de contenir autant de criminels qu’il espérait en faire arrêter ; et, suivant les chambres et les cachots, il minutait déjà les conclusions qu’il devait donner. » Ainsi débute et va procéder cette douce ironie sans trop avoir l’air d’y toucher ; et un peu plus loin il nous donnera de la magnifique harangue d’ouverture de M.  […] Lorsque, dans son récit, il en a assez de ces détails sur la question, la torture, et sur les façons de procéder de la justice d’alors, il nous dira sans transition aucune, et simplement pour varier : « C’est une chose agréable que la conversation ; mais il faut un peu de promenade au bout, et je ne trouve rien de plus doux que de prendre un peu l’air de la campagne après avoir passé quelques heures d’entretien dans la chambre.

147. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIIIe entretien. Poésie lyrique. David (2e partie) » pp. 157-220

» Puis, avec la quiétude d’un esprit qui ne redoute plus rien, il continue sur un mode musical vraisemblablement plus lent et plus doux : « Et je m’étends sur ma couche, et je m’endors ; et, après avoir dormi, je me réveille, car Jéhovah est l’oreiller de ma tête ! […] « Ensemble nous échangions de doux entretiens en montant ensemble tout attendris à la maison de Dieu ! […] « Qu’il est doux et qu’il est agréable que les frères habitent ensemble dans la paix ! « Moins douce et moins parfumée est l’huile répandue sur la tête, qui coule de là sur la barbe, barbe d’Aharon, et qui coule de sa barbe jusque sur les bords de son habit sacerdotal ! « Moins douce est la rosée qui descend sur les collines d’Hermon ! 

148. (1861) La Fontaine et ses fables « Première partie — Chapitre I. L’esprit gaulois »

Ouvrez un mystère, celui de Théophile, celui de la fille du roi de Hongrie ; quand on veut la brûler avec son enfant, elle dit deux petits vers « sur cette douce rosée qui est un si pur innocent », et puis c’est tout. […] Ils ne sont point frappés par la magnificence de la nature ; ils n’en voient guère que les jolis aspects ; ils peignent la beauté d’une femme d’un seul trait, qui n’est qu’aimable, en disant « qu’elle est plus gracieuse que la rose en mai. » Ils ne ressentent pas ce trouble terrible, ce ravissement, ce soudain accablement du coeur que montrent les poésies voisines ; ils disent discrètement « qu’elle se mit à sourire, ce qui moult lui avenoit. » Ils ajoutent, quand ils sont en humeur descriptive, qu’elle eut « douce haleine nette et savourée », et le corps aussi blanc « comme est la neige sur la branche quand il a fraîchement neigé. » Ils s’en tiennent là ; la beauté leur plaît, mais elle ne les transporte pas ; ils goûtent les émotions agréables, ils ne sont pas propres aux sensations violentes. […] Ce goût n’a rien non plus de commun avec la franche satire, qui est laide, parce qu’elle est cruelle ; au contraire, il provoque la bonne humeur ; on voit vite que le railleur n’est point méchant, qu’il ne veut point blesser ; s’il pique, c’est comme une abeille sans venin : un instant après, il n’y pense plus ; au besoin il se prendra lui-même pour objet de plaisanterie ; tout son désir est d’entretenir en lui-même et en vous un pétillement d’idées agréables. — Telle est cette race, la plus attique des modernes, moins poétique que l’ancienne, mais aussi fine, d’un esprit exquis plutôt que grand, douée plutôt de goût que de génie, sensuelle, mais sans grossièreté ni fougue, point morale, mais sociable et douce, point réfléchie, mais capable d’atteindre les idées, toutes les idées, et les plus hautes, à travers le badinage et la gaieté. […] Un baiser doux et savoureux Ai pris de la rose erramment… Oncques mais ne fus si aise, Moult est guéri qui tel fleur baise… Et cependant j’ai maint ennui Souffert, et mainte male nuit, Depuis qu’ai la rose baisée.

149. (1864) William Shakespeare « Deuxième partie — Livre V. Les esprits et les masses »

Et il fut doux dans ma bouche comme du miel. » Manger le livre, c’est, dans une image étrange et frappante, toute la formule de la perfectibilité, qui, en haut, est science, et, en bas, enseignement. […] Nous sommes doux et paisibles comme les petits enfants, et nous voulons la concorde parmi les hommes. […] Un fauteuil rente de dix mille sesterces est une place gracieuse et commode, les gros émoluments font les teints frais et les bonnes santés, on vit vieux dans les douces sinécures bien appointées, la haute finance abondante en profits est un lieu agréable à habiter, être bien en cour cela assoit une famille et fait une fortune ; quant à moi, je préfère à toutes ces solidités le vieux vaisseau faisant eau où s’embarque en souriant l’évêque Quodvultdeus. […] Mais les cœurs doivent se tourner surtout vers les grands poètes limpides, qu’ils soient doux comme Virgile ou acres comme Juvénal.

150. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « PARNY. » pp. 423-470

Cette douce et pure esquisse, ou plutôt ce pastel, aujourd’hui fort pâli, s’offrait en naissant avec bien de la fraîcheur et dans toute la nouveauté de ces teintes d’Ossian, que l’imitation en vers de Baour-Lormian venait de remettre à la mode. […] Parny avait la position et le renom du premier élégiaque de son temps et, pour mieux dire, de toute notre littérature ; comme Delille, comme Fontanes à cette époque, il régnait, lui aussi, à sa manière, bien que dans un jour plus voilé et plus doux. […] Lorsqu’il était près de quitter l’île de France, lors de son dernier voyage, Éléonore lui envoya une négresse pour le prier d’aller la voir ; cette négresse était la même qui l’avait introduit en de plus doux rendez-vous. […] C’est alors que la Poésie en moi chanta ; mais c’était toi, c’était le Plaisir amèrement désiré, qui la fit dès l’abord douce et profonde. […] La vie d’un soir était douce encore.

151. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — K — Klingsor, Tristan (1874-1966) »

. — C’est Izel : Doux musiciens, frôlez les harpes d’argent ; La reine Izel est couchée avec son page ; Doux musiciens, frôlez les harpes d’argent.

152. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Madame de Verdelin  »

Dans un coin reculé de l’empire, en Judée, un doux et puissant prédicateur évangélisa : Marie-Madeleine tomba à ses pieds et les arrosa de parfums, ou tout au moins elle lui voua son cœur. […] C’est là une des récompenses du génie et, tout rabattu, la plus douce encore, s’il a un cœur. […] On débite que vous y peignez Jésus-Christ comme un homme doux, humain, enfin qui allait aux noces et se faisait tout à tous. […] Vous avez une trop douce délicatesse ; c’est ôter à l’amitié la plus grande jouissance. […] C’est ce qui me fait vous dire que vous devez vous soigner et donner à votre vie les commodités qui peuvent la rendre plus douce. » Rousseau répondait à sa confiance, alors, par une confiance en apparence égale78.

153. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre onzième. La littérature des décadents et des déséquilibrés ; son caractère généralement insociable. Rôle moral et social de l’art. »

Pourtant, lorsqu’il le voulait, il savait rendre douce l’ironie et demander à la nuit des inspirations moins troublées que la plupart de celles qu’il lui doit : Sois sage, ô ma Douleur, et tiens-toi plus tranquille Tu réclamais le Soir ; il descend ; le voici. […] Et l’« avertissement noir » passe et repasse dans l’œuvre de Loti, et il arrive que c’est précisément cette mort inévitable, proche toujours, qui donne à la vie son prix infini : la proximité de l’ombre rend la lumière plus intense et plus douce. […] Un autre exemple de la rapidité avec laquelle les sentiments se transforment et, avec eux, les inspirations littéraires, c’est que, par opposition au pessimisme réaliste, il nous est venu récemment des horizons voilés de l’Angleterre une poésie très douce, toute de nuances, et de nuances effacées. […] Pourvu qu’une impression soit douce, De la douceur ! […] La vertu tend donc plutôt à engendrer les émotions douces, moins rapidement contagieuses que les autres.

154. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXe entretien. Dante. Deuxième partie » pp. 81-160

Ici cinq ou six vers resplendissants de la douce sérénité du premier matin qui éclaira le premier homme quand le soleil monta escorté des étoiles qui l’accompagnèrent, grâce au mouvement imprimé par l’amour divin à ces beaux luminaires. Il se livrait à la douce impression de cette lumière matinale quand une seconde apparition de bête féroce, un lion, symbole de la violence, l’épouvante. […] « “Ô douce et affectueuse créature ! […] ” lui répondis-je, “combien de douces rêveries, combien d’ardents désirs ont dû mener ces deux âmes à leur dernier pas de douleur ! […] « “Mais, dis-moi : au temps de tes doux soupirs, à quoi l’amour vous accorda-t-il de reconnaître que vous vous aimiez ?

155. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Gabrielle d’Estrées. Portraits des personnages français les plus illustres du XVIe siècle, recueil publié avec notices par M. Niel. » pp. 394-412

Le sang de sa mère en elle se tempérait de sentiments plus doux et plus tendres qui lui composaient une sorte d’honneur. […] Ses yeux étaient de couleur bleue et d’un mouvement prompt, doux et clairs. […] Tant qu’il ne fut question pour le roi que d’avoir près de lui une amie, « une personne confidente pour lui pouvoir communiquer ses secrets et ses ennuis, et recevoir d’elle une familière et douce consolation », il n’eut aucune objection à faire. […] Au-dedans du royaume, il cherche encore parmi les princesses ; il nomme sa nièce de Guise, sa cousine de Rohan, la fille de sa cousine de Conti ; à toutes il trouve des inconvénients encore, et conclut à la normande en disant : Mais quand elles m’agréeraient toutes, qui est-ce qui m’assurera que j’y rencontrerai conjointement les trois principales conditions que j’y désire, et sans lesquelles je ne voudrais point de femme : à savoir qu’elles me feront des fils, qu’elles seront d’humeur douce et complaisante, et d’esprit habile pour me soulager aux affaires sédentaires et pour bien régir mon État et mes enfants, s’il venait faute de moi avant qu’ils eussent âge ? […] Bref, le roi insistant toujours sur ces trois conditions dont il veut être sûr à l’avance, que la femme en question soit belle, qu’elle soit d’humeur douce et complaisante, et qu’elle lui fasse des fils, Sully, de son côté, tenant bon et se retranchant à dire qu’il n’en connaît pas avec certitude de telles, et qu’il faudrait en avoir fait l’essai au préalable pour savoir ces choses, Henri finit par livrer son mot, le mot du cœur : « Et que direz-vous si je vous en nomme une ? 

156. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Charron — I » pp. 236-253

Il traite brièvement des deux premiers points et réserve tous ses développements pour la troisième vérité qu’il dédie expressément à Henri IV ; et dans cette dédicace il exprime particulièrement sa joie comme Parisien « pour cette tant douce et gracieuse, et en toutes façons tant miraculeuse réduction de cette grande ville du monde à l’obéissance de son vrai et naturel roi, à son devoir et à son repos. » C’était l’heure de la Satyre Ménippée, cette œuvre parisienne aussi et si décisive pour le triomphe de la bonne cause. […] Cette opinion, ajoute-t-il cependant, me semble trop rude et éloignée de charité, et il y a comme en toute chose une médiocrité plus douce, qui est de ne forcer ni presser, mais tout simplement montrer et proposer le meilleur ; car il y a toujours en ce grand nombre quelques-uns capables et disposés à suivre en le leur montrant seulement au doigt. […] — Voilà ce qu’un païen très sage a dit très sagement… Ces raisons, en partie morales, en partie politiques, et dont les adversaires ne laissaient pas dans leurs réponses et réfutations d’indiquer le point faible40, étaient pourtant bien reçues au lendemain des révolutions et quand un souffle plus doux circulait déjà ; elles aidaient auprès de beaucoup d’esprits à l’œuvre d’apaisement et de pacification, qui était celle de Henri IV. […] … L’espérance, allumant de son doux vent nos fols désirs, embrase en nos esprits un feu plein d’une épaisse fumée, qui nous éblouit l’entendement, et, emportant avec soi nos pensées, les lient pendues entre les nues, nous ôte tout jugement, et nous fait songer en veillant. […] « Les désirs et cupidités s’échauffent et redoublent par l’espérance, laquelle allume de son doux vent nos fols désirs, embrase en nos esprits un feu d’une épaisse fumée, qui nous éblouit l’entendement, et, emportant avec soi nos pensées, les tient pendues entre les nues, nous fait songer en veillant.

157. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Œuvres de Voiture. Lettres et poésies, nouvelle édition revue, augmentée et annotée par M. Ubicini. 2 vol. in-18 (Paris, Charpentier). » pp. 192-209

Voiture était né l’esprit le plus fin et le plus délicat, formé par la nature pour la compagnie la plus choisie, pour en être l’enfant gâté et les délices : il fut quelque temps avant de rencontrer ce doux climat auquel il était destiné. […] Il n’avait que vingt-sept ans (4625), Il s’est peint à nous petit, « la taille de deux ou trois doigts au-dessous de la médiocre, la tête assez belle, (ses portraits nous la montrent même très belle), les yeux doux, mais un peu égarés, et le visage assez niais ». Ailleurs il parle encore de cette mine « entre douce et niaise » et de ses sourcils joints. […] Voiture, en homme d’esprit (et il avait bien autrement d’esprit proprement dit que Balzac, qui avait principalement du talent), ne songea point à lutter avec lui : il laissa ce provincial superbe et solennel croire qu’il régnait de sa maison d’Angoulême sur l’empire des lettres ; il lui rendit même hommage : quant à lui, il ne se piqua que de bien vivre, de vivre le plus agréablement, de conquérir la faveur des plus grands et des plus belles, et, tout en s’amusant à tous les étages, de s’épanouir par son côté précieux au centre de la vraie urbanité dans la plus douce lumière. […] Ce sont les vers improvisés à la reine Anne d’Autriche dans une promenade à Ruel : Je pensais que la destinée Après tant d’injustes malheurs… C’est surtout l’épître à M. le prince, après son retour d’Allemagne où il avait failli mourir de maladie (1645), pièce charmante, philosophique et de la plus douce veine.

158. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Monsieur Droz. » pp. 165-184

Une douce solennité de ton, qui sera désormais le rythme habituel de sa pensée, s’y fait sentir. […] Le biographe aime à y retrouver la couleur première de cette imagination douce et pure. […] Ceux qui les ont ardents s’impatientent bien plutôt et s’irritent de ces conseils d’une douce sagesse, qui nous rappellent les lents entretiens, la démarche paisible de Termosiris et de ces riants vieillards de Fénelon. […] « Beati mites… Heureux ceux qui sont doux, parce qu’ils posséderont la terre ! » Ce serait trop dire que d’appliquer aujourd’hui cette prophétie qui ferait sourire ; mais, à voir néanmoins les difficultés que les guerres générales éprouvent maintenant à éclater, on doit reconnaître que les doux ont gagné leur part d’influence dans le gouvernement de la terre.

159. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLVe entretien. Ossian fils de Fingal »

La harpe est moins douce que sa voix, lorsqu’elle chantait sa douleur. […] Ils plaisent à mon oreille comme la douce ondée du printemps, lorsque le soleil luit sur la plaine, et que les nuages légers volent sur la cime des montagnes. […] Son sein a la blancheur de la neige, ses bras, celle de mes flots écumants ; son âme est douce et généreuse. […] L’éclat de ses charmes l’environne comme des rayons de lumière ; le doux bruit de ses pas légers plaît à l’oreille comme une musique agréable. […] cria le héros, dis aux bardes d’appeler par leurs chants le doux sommeil sur tes guerriers fatigués.

160. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Figurines »

C’est, dans les Églogues, le doux exilé Mélibée et, quoi que j’en aie dit, le radieux berceau de l’enfant rédempteur, et la terre agitée d’une divine espérance. […] Il avait bien un coeur d’homme, un doux et tendre coeur, ce moine qui écrivait : « C’est faire beaucoup que d’aimer beaucoup. […] C’est durant cette période qu’il écrit ses tragédies, si douces et si violentes, et qu’il crée ses délicieuses femmes damnées. […] Ses subtilités quintessenciées, son épicuréisme virginal et ce que j’appelle son « angélisme » peuvent nous communiquer encore, çà et là, d’assez doux petits frissons d’âme. […] Il n’était pas sobre, mais il était doux ; il faisait de petits vers tendres et langoureux, pas très bons.

161. (1763) Salon de 1763 « Peintures — La Grenée » pp. 206-207

En revanche, la Douce captivité est un bon tableau. […] Vien est plus moelleux et plus doux.

162. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CLe entretien. Molière »

Qu’un ami véritable est une douce chose ! […] En se laissant aimer, elle avait aimé d’un attachement sévère et doux ce vieillard. […] Ne sont-ce plus défauts dans un objet si doux ? […] Chaque jour à l’église il venait, d’un air doux, Tout vis-à-vis de moi se mettre à deux genoux. […] Elmire n’est pas seulement douce et sage, elle est encore adroite et pénétrante.

163. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « M. Denne-Baron. » pp. 380-388

Il était de cette race de rêveurs opiniâtres et doux qu’on appelle, selon les genres et les degrés, La Fontaine ou Panard, qui n’ont point souci d’eux-mêmes, et qui jettent leurs fleurs ou leurs fruits sans les compter. […]         Glisser dans l’air à petit bruit ; C’est lui qui donne encore une voix aux Naïades, Des soupirs à Syrinx, des concerts aux Dryades,         Et de doux parfums à la Nuit. Zéphyre est son doux nom ; sa légère origine, Pure comme l’éther, trompa l’œil de Lucine,         Et n’eut pour témoins que les airs : D’un souffle du Printemps, d’un soupir de l’Aurore, Dans son liquide azur le Ciel le vit éclore         Comme un alcyon sur les mers.

164. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XIV. Panégyrique de Trajan, par Pline le jeune. »

Il faut voir dans les lettres de Pline même, tous les détails de cette union si douce ; on partage et l’on envie les charmes de leur amitié : ils voulaient vivre, ils voulaient mourir ensemble ; ils désiraient, quand ils ne seraient plus, que la postérité unît encore leurs noms, comme leurs âmes l’avaient été pendant la vie. Qu’on me pardonne de m’être arrêté un moment sur le spectacle d’une amitié si touchante ; il est doux, même en écrivant, de pouvoir se livrer quelquefois aux mouvements de son cœur : et j’aime encore mieux un sentiment qui me console, qu’une vérité qui m’éclaire. […] Ceux qui ont reçu de la nature une âme forte, ceux qui ont le bonheur ou le malheur de sentir tout avec énergie, ceux qui admirent avec transport et qui s’indignent de même, ceux qui voient tous les objets de très haut, qui les mesurent avec rapidité et s’élancent ensuite ailleurs, qui s’occupent beaucoup plus de l’ensemble des choses que de leurs détails, ceux dont les idées naissent en foule, tombent et se précipitent les unes sur les autres, et qui veulent un genre d’éloquence fait pour leur manière de sentir et de voir, ceux-là sans doute ne seront pas contents de l’ouvrage de Pline ; ils y trouveront peut-être peu d’élévation, peu de chaleur, peu de rapidité, presqu’aucun de ces traits qui vont chercher l’âme et y laissent une impression forte et profonde ; mais aussi il y a des hommes dont l’imagination est douce et l’âme tranquille, qui sont plus sensibles à la grâce qu’à la force, qui veulent des mouvements légers et point de secousses, que l’esprit amuse, et qu’un sentiment trop vif fatigue ; ceux-là ne manqueront pas de porter un jugement différent.

165. (1910) Muses d’aujourd’hui. Essai de physiologie poétique

Arbres de la forêt, hêtres souples et élancés, tandis que vous nous évoquez la peau douce de nos bien-aimées, nos amies adorent en secret votre élan viril et l’énormité de votre puissance. […] Le soir, pour elle, sera tiède et doux comme des bras d’amant. […] C’est que, décidément, ces tendresses, ces caresses, pourtant douces comme des cous de cygnes, ne lui semblent être que l’ombre des joies qu’elle rêve : alors, tout se fait amertume, et c’est dans cette amère perversité que la Muse trouvera son bonheur. […] La poétesse nous dit elle-même ce qu’il entre de réminiscences littéraires dans son amour : elle a accumulé dans son bien-aimé tous les héros des poètes ; il synthétise en lui toutes les sentimentalités, toutes les poésies, et son cœur est « plus doux que Naples et la musique ». […] Mais si on s’arrête dans sa course pour contempler le détail du paysage traversé, si on s’approche des rives, on peut cueillir des vers d’un beau jet, et des fleurs pleines de clarté : Tout dort, les doux oiseaux et les bêtes agiles.

166. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — E — Elskamp, Max (1862-1931) »

Dans les campagnes nues ou dans les cathédrales fleuries, qu’il regarde la mélancolie de l’Escaut jaune et gris ou la sérénité des vieux vitraux couleur de mer, qu’il aime les douces Flamandes aux bras nus ou Marie-aux-cloches, Marie-aux-îles, Marie-de-beaux-navires, Max Elskamp est le poète de la Flandre heureuse. […] On peut aller sans peur vers Max Elskamp et accepter la corbeille de fruits qu’il nous offre dorée « par un printemps très doux », et boire au puits qu’il a creusé et d’où jaillissent « des eaux heureuses », des eaux fraîches et pleines d’amour.

167. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « Appendice »

Voici le début :‌ Traduction Leconte de Lisle Les chefs des Panakhaiens dormaient dans la nuit, auprès des nefs, domptés par le sommeil ; mais le doux sommeil ne saisissait point l’Atréide Agamemnôn, prince des peuples, et il roulait beaucoup de pensées dans son esprit.‌ […] Mais le sommeil aimable [doux] Ne tenait pas Agamemnon fils-d’Atrée,‌ Pasteur des peuples, Agitant beaucoup de pensées‌ Dans son esprit.

168. (1888) La vie littéraire. Première série pp. 1-363

Il y répandrait une mélancolie douce qui découragerait vos honnêtes lecteurs. […] Sa mère, douce et maladive, mourut en lui donnant la vie. […] J’en ai surpris de fort douces et même d’un peu attendries. […] Si sa rêverie a été profonde et douce, elle dira : « M.  […] Elle est « douce, triste et jolie ».

169. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. BALLANCHE. » pp. 1-51

Il avait trente-huit ans en 1814, ayant vécu jusque-là dans l’étude, dans la rêverie, dans les affections et les souffrances individuelles, s’étant élevé naturellement à une moralité générale, douce, pieuse, plaintive, chrétienne, mais n’ayant pas approprié sa pensée à son siècle, n’ayant pas trouvé la loi, la formule de sa philosophie, n’ayant pas deviné l’énigme. […] La beauté des campagnes, les coteaux qui encadrent Lyon, Grigny où se passèrent les années cachées de la Terreur, lui sont aussi doux à la pensée que la terre de Milly à Lamartine. […] … Voyez, il ne sait accueillir aujourd’hui que l’ironie terrible de Pascal ; demain peut-être il sera dompté par le puissant génie de Bossuet : heureux si, le jour suivant, il vient à prendre goût aux chants mélodieux de Fénelon, lorsqu’il charme notre exil par les plus douces paroles qui se soient trouvées jamais sur les lèvres d’un habitant de la terre !  […] Lemontey), qui m’appelle le vaporeux Piémontais, qui me compare à Zwingle, M. de Bonald à Luther, et vous, monsieur, au doux Mélanchthon ? […] A la montée d’une côte aux environs de Rosny, comme nous devisions en cheminant, il me montra ce doux pays d’alentour, ces beaux ombrages historiques, et me dit, en figurant par son geste un baiser d’adieu : « Et voilà pourtant, monsieur, ce dont les Bourbons n’ont plus voulu ! 

170. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Bernardin de Saint-Pierre »

Ceux qui se font de cette terre des espèces de limbes grises et froides, qui n’y voient que redoutable crépuscule et qu’exil, ceux-là peuvent y passer et en sortir sans même s’apercevoir, comme Philoctète au moment du départ, que les fontaines étaient douces dans cette Lemnos si longtemps amère. […] C’était certes une position à prendre, un point de vue heureux à relever vers cette fin du xviiie  siècle, que d’assembler et de déduire les accords, les harmonies animées du tableau de la nature, et de faire sentir la chaîne et, s’il se pouvait, l’intention de ces douces lois. […] Bernardin de Saint-Pierre n’est pas un de ces génies multiples et vigoureux qui se donnent plusieurs jeunesses et se renouvellent ; il y gagne en calme ; il ne nous paraît ni moins doux ni moins beau pour cela. […] Ce qui me frappe et me confond au point de vue de l’art dans Paul et Virginie, c’est comme tout est court, simple, sans un mot de trop, tournant vite au tableau enchanteur ; c’est cette succession d’aimables et douces pensées, vêtues chacune d’une seule image comme d’un morceau de lin sans suture, hasard heureux qui sied à la beauté. […] Il nous serait doux pourtant, il serait pieux d’accompagner encore Bernardin de Saint-Pierre lentement occupé de ses Harmonies, de le suivre un peu à Essonne, à Éragny, dans son ermitage, et de tirer de ses lettres et de ses derniers écrits assez de rayons pour lui composer un soir d’idylle, le soir d’un beau jour, si son biographe ne nous avait devancé dans cette tâche heureuse.

171. (1858) Cours familier de littérature. V « XXVIIe entretien. Poésie lyrique » pp. 161-223

De là la musique, ce chant sans paroles, qui s’écrit en notes intraduisibles dans aucune langue, et qui dit cependant à l’oreille de l’homme plus de choses, et des choses plus douces et plus fortes, qu’aucune parole articulée n’en peut exprimer. […] Voilà pourquoi il est si doux d’entendre un chant ; voilà pourquoi aussi, dans tous les temps et dans tous les lieux, les nations aiment leurs poètes et leurs musiciens. […] Mais la Jumelle s’en était aperçue depuis longtemps à elle toute seule ; sans se rendre compte de ses sentiments, elle prenait sa voix la plus douce en lui parlant ; elle recevait, à table, à la maison ou dans les champs, tous les petits services qu’il lui rendait instinctivement, avec une familiarité confiante et avec une sorte de plaisir muet qui contrastait avec les exigences et les railleries des autres jeunes filles. […] Didier remit l’aiguillon en donnant gravement à son petit frère tous les préceptes et toutes les traditions du métier, avec de tendres instructions sur les caractères divers de ses quatre bœufs : comme quoi celui-ci regimbait si on le piquait à l’épaule ; comme quoi celui-là était plus sensible à la voix qu’à l’aiguillon ; comme quoi le roux avait besoin d’entendre toujours chanter ou siffler autour de lui pour reprendre cœur à l’ouvrage ; comme quoi le blanc était si apprivoisé et si doux qu’on pouvait s’accouder en sûreté, pour se reposer, sur son joug, entre ses deux cornes, sans qu’il secouât seulement la tête pour chasser les mouches, tant il avait peur de blesser un enfant ! […] « Vous ne savez pas de plus douces chansons !

172. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. »

Je ne sais s’il y a sur la terre rien de plus utile et de plus doux que de retourner de bonne volonté à la source de notre être et de tout ce que nous avons aimé au monde. […] Pour le moment, Dieu, qui nous a éprouvés jusqu’au sang et aux larmes, soutient miraculeusement notre vie avec ses blessures inguérissables. — Le doux soleil, la croyance, l’amour des miens ! […] …………………………………………………… Douce église ! […] Toutes les vertus habitent le cœur de notre roi ; il est sensible au dernier point, et son cœur est d’une piété douce. […] Je comprends que ce brave Veyne ait ressenti une douce sensation en se trouvant si naturellement et si justement mêlé à cette biographie voilée.

173. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLVIIe entretien. De la monarchie littéraire & artistique ou les Médicis »

Sa vie s’avançait dans ces douces occupations ; il la voyait s’écouler avec une philosophique indifférence, il vivait surtout à la campagne. […] Leur rencontre et leurs entretiens rappellent les doux loisirs de Boccace pendant la peste qui consterna Florence. […] Ses yeux, d’un éclat doux et majestueux, n’annonçaient ni orgueil ni mélancolie ; sa taille était si parfaitement proportionnée, qu’on la distinguait, au milieu des autres femmes, par un air de dignité imposante, exempt néanmoins de toute espèce de prétention ou d’affectation. […] — Je lui répondis : Je ne sais s’il est des trésors plus précieux, un bonheur plus doux et plus touchant que celui qu’on goûte ici, loin des discordes civiles. […] Vous jouissez sans envie du peu que vous possédez ; vous vivez heureux dans une douce indolence.

174. (1894) Propos de littérature « Chapitre V » pp. 111-140

Par exemple, dans les premiers Cygnes, il s’adresse à la Mer : Quand rutilant et doux à l’occident splendide Le glorieux soleil s’immerge en tes flots d’or Je rêve au mythe exquis de la belle Atlantide Qui sous ta houle avide à jamais rêve et dort. […] Et elle dirait des mots purs, doux et vastes, la cantilène enfin trouvée ; elle serait d’allure ingénue, pourtant imagée, savoureuse, même subtile mais toujours naturelle et franche d’aspect, et naïve à force d’art ; je voudrais qu’elle parût jaillie d’elle-même sur des lèvres ignorantes, mais que le penseur et l’esthète vinssent avec elle s’unir, comme l’on songe, comme on se mire au clair tranquille d’une eau qui rafraîchira maintes bouches et coule sans les voir sous les visages penchés. […] Ainsi s’est effumé le mysticisme des landes d’Armor ; pourtant l’on ne s’étonnera pas si l’artiste a gardé de son autre patrie une sorte de rude esprit de combat que révèlent son aspect et mille manières d’être, mais qui s’apaise en une tranquille force aux courbes des campagnes douces et claires, décors de ses poèmes. […] Plusieurs passages des chapitres précédents ont déjà laissé voir la particulière clarté douce et grave de l’âme ainsi révélée. […] Stuart Merrill, qui trouve une voix inconnue, infiniment douce, très simple et véridiquement personnelle pour moduler ses petits poèmes d’automne.

175. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Appendice »

qu’ils sont doux et forts ! […] Ils me prennent ici pour un bon petit séminariste bien pieux et bien doux. […] Ô maman, ma petite chambre, mes livres, mes études calmes et douces, mes promenades à côté de ma mère, adieu pour toujours ! Adieu à ces joies pures et douces où je me croyais près de Dieu ; adieu à mon aimable passé, adieu à ces croyances qui m’ont si doucement bercé. […] Cette vie me serait bien douce si de pénibles souvenirs, des inquiétudes trop bien fondées, et surtout un terrible isolement n’y mêlaient encore bien des peines.

176. (1913) La Fontaine « IV. Les contes »

Ce mot renferme en soi je ne sais quoi de doux. […] Qu’une belle est heureuse, et que de doux moments, Quand elle en sait user, accompagnent sa vie ! […] L’un meurt, l’autre soupire et l’autre en son transport Languit et se consume ; est-il plus douce chose ? […] J’ai vu la beauté même et les grâces dormantes ; Un doux ressouvenir de cent choses charmantes Me suit dans les déserts. […] Je n’oserais, si ce n’était pour vous ; Car c’est beaucoup que d’essayer ce style Tant oublié, qui fut jadis si doux Et qu’aujourd’hui l’on croit facile.

177. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Ducis épistolaire. »

« Monsieur, je ne puis vous exprimer toute ma reconnaissance pour les doux présents que vous avez bien voulu me faire. […] Ducis faisait une pièce comme il fait une scène, il serait notre premier tragique70. » Et dans ses moments de plus grande franchise La Harpe ajoutait encore : « C’est bien heureux que cet homme n’ait pas le sens commun, il nous écraserait tous. » Je voudrais insister sur les beautés de ces lettres de Ducis, dont la collection ferait un trésor moral et poétique ; on y joindrait les lettres de Thomas fort belles, fort douces et bien moins tendues de ton qu’on ne le suppose. […] Mais il faut un sujet qui me tente, qui porte bien aux développements d’un cœur amoureux, au flux et reflux de cette passion douce et terrible. […] Thomas, plus jeune de quelques années, est plus malade de corps que ce dernier, mais il a l’esprit tranquille, bien que souvent découragé ; lui, il ne se plaint pas : « Il semble que les âmes douces habitent dans des corps douloureux, où elles supportent leur détention sans murmure et sans emportement. » Ducis prévoit le malheur prochain de le perdre : « Nous ne vivons qu’une minute ; et, dans cette minute, que de secondes pour la douleur ! […] Thomas et moi nous sommes charmés que notre société vous ait été douce et agréable.

178. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Histoire de la littérature anglaise, par M. Taine, (suite) »

Taine comme, à ma connaissance, il ne l’avait pas été encore : il n’apparaît qu’à son moment et après un tableau caractérisé de la Renaissance chrétienne, de ce puritanisme dont il est la fleur suave et douce et la couronne sublime, bien qu’un peu bizarre. […] Tout enfant, doué d’un doux regard, doué surtout de la plus douce voix, on l’appelait « le petit rossignol ». […] Sourions, je le veux bien, de ces soins excessifs, de cette curiosité fébrile et parcimonieuse, mais sourions-en avec indulgence et comme il sied à des esprits humanisés aux Lettres et qui en ont connu eux-mêmes la douce manie. […] en sortant de l’ordre de création, de cette création aveugle et un peu fumeuse, en daignant entrer dans la sphère sereine et tempérée des idées morales, des pensées justes, lucides, des réflexions élevées ou fines qui sont proprement l’objet et, comme dirait Montaigne, le gibier des philosophes et des sages, ne raillons pas trop ce curieux et aimable Pope d’avoir écouté si soigneusement la voix de son démon à lui et de son génie, d’avoir prêté l’oreille aux inspirations purement abstraites et spirituelles qui s’élèvent dans la solitude du cabinet ou dans l’entretien à deux quand on se promène en quelque allée de Tibur ou de Tusculum ; et quand l’esprit, tout en restant calme, se sent excité par l’émulation ou la douce contradiction d’un ami, ne nous scandalisons pas si lui-même, venant avec une sorte d’ingénuité nous initier à sa préoccupation littéraire constante, il nous fait la confidence que voici : « Une fois que Swift et moi nous étions ensemble à la campagne pour quelque temps, il m’arriva un jour de lui dire que si l’on prenait note des pensées qui viennent à l’esprit, à l’improviste, quand on se promène dans les champs ou qu’on flâne dans son cabinet, il y en aurait peut-être quelques-unes qui vaudraient bien celles qui ont été le plus méditées.

179. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « DISCOURS DE RÉCEPTION A L’ACADÉMIE FRANÇAISE, Prononcé le 27 février 1845, en venant prendre séance à la place de M. Casimir Delavigne. » pp. 169-192

Une qualité générale frappe au premier coup d’œil, en parcourant l’ensemble de cette vie bien courte et pourtant si remplie : quand je dis que cette qualité frappe, j’ai tort, il serait plus juste de dire qu’elle repose et satisfait : sa destinée a tout à fait l’harmonie ; et je n’en veux pour preuve que le sentiment universel qu’elle inspire, cette sorte d’admiration affectueuse et douce dont il est l’objet. […] Mounier, avec une douce gronderie, telle qu’on la peut supposer de sa part, ne put s’empêcher de le lui faire remarquer : « Voyez donc, comment cela se fait-il ?  […] S’il n’est ni si impétueux, ni si entraîné qu’on voudrait d’abord, laissez-le faire, laissez-le rêver à loisir, seul, ne l’interrompez ni ne l’excitez : il arrive aussi à ses effets, à ses nobles et douces fins. […] Cette voix sensible et pénétrée, au moment où elle s’exhalait en de si gracieuses plaintes, était déjà consumée d’un mal mortel ; le doux chantre était atteint dans l’organe mélodieux. […] Tous ces souvenirs émus, reconnaissants, se rassemblaient ici une dernière fois, et montaient avec quelque chose de plus doux que la voix même de la gloire.

180. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « UN FACTUM contre ANDRÉ CHÉNIER. » pp. 301-324

Et souvenez-vous de moi dorénavant lorsqu’ici viendra, après bien des traverses, quelqu’un des hôtes mortels, et qu’il vous demandera : « O jeunes filles, quel est pour vous le plus doux des chantres qui fréquentent ce lieu, et auquel de tous prenez-vous le plus de plaisir ? » Et vous toutes ensemble, répondez avec un doux respect : « C’est un homme aveugle, et il habite dans Chio la pierreuse ; c’est lui dont les chants l’emportent à présent et à jamais !  […] Tout au milieu, il y a mêlé l’Iris odorant de Nossis, sur les tablettes de laquelle Amour lui-même enduisit la cire ; il y a mis la marjolaine de Rhianus qui exhale l’agrément, et le jaune safran d’Érinne aux couleurs virginales…, et Damagète, cette violette noire, et le doux myrte de Callimaque, toujours plein d’un miel épais… Il a cueilli, pour y ajouter, la grappe enivrante d’Hégésippe…, et la pomme mûre des rameaux de Diotime, et la grenade à peine en fleur de Ménécrate… La ronce d’Archiloque aux dards sanglants et quelques gouttes de son amertume y relèvent la chanson de nectar et les mille brins d’élégie d’Anacréon… Le bluet foncé de Polyclète… et le jeune troëne d’Antipater n’y manquent pas…, ni surtout la branche d’or du toujours divin Platon, où tous les fruits de talent resplendissent. […] Lui, comme tous les chantres de la jeunesse, de la beauté et de l’amour, il forme un vœu plus doux, il rêve une gloire plus charmante, quelque Françoise de Rimini au fond : Ut tuus in scamno jactetur sæpe libellus, Quem legat expectans sola puella virum96. […] Qu’un jeune homme, agité d’une flamme inconnue, S’écrie aux doux tableaux de ma muse ingénue : « Ce poëte amoureux qui me connaît si bien, Quand il a peint son cœur, avait lu dans le mien. » Voilà le vœu d’André Chénier exprimé en toute occasion : joignez-y celui d’être agréable et cher aux initiés des Muses : il ne demandait pas plus, et le sort, après bien des injures cruelles, l’a enfin tardivement exaucé.

181. (1899) Esthétique de la langue française « Le vers libre  »

Dans les foins où les fleurs qui meurent Sont douces comme un vain regret ; Sous les saules qui pleurent et effleurent L’eau qui dort comme une morte à leurs pieds ; Elles vont vers l’automne et babillent Avec des mots de poète : La vie est faite et défaite Comme un bouquet aux mains d’une fille. […] Les Tigres si lointains | qu’ils en sont doux | aux bras [d’Assur.] […] et pour : On eût dit que chantaient flûtes et violons sur la largeur douce de la plaine. […] Il ne suffit pas d’avoir de bons sentiments, un cœur doux et d’aimer bien sa tendre amie, pour écrire de bons vers libres ; il faut aussi beaucoup de talent et même beaucoup de science. […] La prose rythmique tient à la fois de la prose et du vers  ; c’est ce que nous dit l’auteur d’une ancienne Vie de Saint-Wulfram : elle tend à quelque similitude avec la douce cadence du vers, ad quamdam tinuli rhythmi similitudinem 209 ; elle ne se compose pas absolument de vers, puisque ses vers ou versets n’ont pas un nombre fixe d’accents ; elle n’est point de la prose pure, puisque l’accent y joue un rôle sans doute prépondérant, quoique obscur.

182. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XV. »

Tant, saisie par ta grâce et les douces amorces, toute nature animée te suit avec ardeur, où que tu veuilles la conduire ! […] tandis qu’il repose sur tes membres sacrés, l’enveloppant de toi-même, prodigue-lui de ta bouche de douces paroles, et demande pour les Romains le bonheur de la paix. […] Ainsi raisonnent les hommes, quand, à l’alentour d’une table, souvent ils tiennent la coupe, et que, couronnant leur tête de fleurs, ils disent volontiers : Ce plaisir n’a qu’un moment pour les pauvres humains ; tout à l’heure il aura passé, et il ne sera pas permis de le rappeler jamais. » Cette fois encore un prélude avait retenti, non pas sans doute de la lyre sacrée, mais de cette corde mélancolique et douce que devait bientôt toucher Horace avec plus d’insouciance que de triste certitude, et en égayant son âme par les douceurs de la vie sans prétendre la convaincre qu’elle doit à jamais mourir. […] « Déjà le printemps ramène sa fraîche tiédeur ; déjà l’impétueuse violence du ciel équinoxial se tait sous Ct la douce haleine du Zéphire. […] « Elle va venir l’étoile du soir, apportant les joies désirées des époux ; elle va venir, avec l’astre favorable, l’épouse qui pénétrera ton âme de son impérieux amour et partagera près de toi la langueur de ton doux sommeil, ses bras gracieux passés sous ton col héroïque.

183. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Lamartine, Alphonse de (1790-1869) »

Il restera une foule de ces vers admirables qui n’empêchent pas les poèmes d’être médiocres, et qui sont les dernières fleurs dont se parent les poésies mourantes ; il restera le souvenir de grandes facultés poétiques, supérieures à ce qui en sera sorti ; il restera le nom harmonieux et sonore d’un poète auquel son siècle aura été trop doux et la gloire trop facile, et en qui ses contemporains auront trop aimé leurs propres défauts. […] Homère, ce qu’il exprimait sans effort, c’étaient tous les beaux sentiments tristes et doux accumulés dans l’âme humaine depuis trois mille ans : l’amour chaste et rêveur, la sympathie pour la vie universelle, un désir de communion avec la nature, l’inquiétude devant son mystère, l’espoir ou la bonté du Dieu qu’elle révèle confusément ; je ne sais quoi encore, un suave mélange de piété chrétienne, de songe […] Mais c’est toujours la voix intérieure, tour à tour douce et triomphante ; et ainsi le poète de l’Isolement , du Soir, du Souvenir, de l’Automne a été le chantre de Bonaparte, de la Marseillaise de la Paix et de Révolution. Son génie se déploie dans l’harmonie et la lumière, avec cet élan doux et magnifique qui est le rythme naturel du lyrisme dans la poésie et dans l’art.

184. (1766) Le bonheur des gens de lettres : discours [graphies originales] « Le Bonheur des gens de lettres. — Premiere partie. » pp. 12-34

Je vous vois parcourir le vaste miroir des siécles écoulés, examiner les ressorts qui changent la face des Empires, pénétrer le jeu rapide des révolutions de la Fortune, percer les intrigues de l’Ambition, par les événemens passés prédire les événemens futurs, alors tout sert à vous affermir dans vos heureux principes ; vous les jugez, ces foibles humains, vous les jugez sans passion, vous les voyez tels qu’ils sont, composés de grandeur & de foiblesse, de vertus et de vices, mais qui doivent peut-être leurs crimes non à la Nature, qui a caché dans leurs cœurs le doux sentiment de la pitié, principe des vertus, mais à la Tyrannie, à l’affreuse Tyrannie, qui aggravant sur leur tête un joug humiliant les a fait gémir, haïr, détester leur existence & les a forcés d’être méchans en les rendant malheureux. […] Que l’ignorance confonde l’homme de Lettres avec ces hommes livrés à la paresse sous le nom de repos, qui se dérobent à l’agitation générale pour vivre dans le desœuvrement, qui dorment mollement sur des fleurs, en s’abandonnant au cours enchanteur d’une riante imagination ennemie du travail, & amie de la paix, dont la longue carrière peut être considerée comme un doux rêve, & qui tombent dans les bras de la mort, sans avoir daigné graver sur la terre le souvenir de leur existence ; cette injustice ne m’étonnera point, elle sera digne d’elle : mais l’œil qui aura suivi les travaux de l’homme de Lettres jugera différemment, il le verra souvent insensiblement miné par de longues études, périr victime de son amour pour les Arts, tomber en poursuivant avec trop d’ardeur la vérité, comme l’oiseau harmonieux des bois tombe de la branche au milieu de ses chants, ou plutôt comme ces illustres Artistes dont la main intrépide interrogeant dans la région enflammée de l’air le phénomene électrique, couronnent tout à coup leur vie par une mort fatale & glorieuse. […] Quel plus doux emploi pour une mere que de verser dans les ames neuves & tendres de ses enfans les premieres impressions du beau & du vrai. […] Que la vertu est douce & riante dans sa bouche !

185. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Les poètes maudits » pp. 101-114

Ce soir il court dans l’air des tristesses plus douces. […] Sur les parfums chauffés brûlant comme des flammes, Sur les fleurs qu’on est las d’arroser, sur les femmes Qu’est-ce qu’on pourrait bien écrire de très doux ? […] Mais ce rôle doux et miséricordieux qu’il aurait voulu que le sort lui assignât, il l’a vu confié à de moins dignes, et ce n’est pas là une des moindres amertumes de sa vie.

186. (1875) Premiers lundis. Tome III « Viollet-Le-Duc »

Viollet-Le-Duc ne manque pas : Semblables au François qui, durant son jeune aage, Et du Tibre et du Pô fraye le beau rivage : Car, bien que nuict et jour ses esprits soyent flattez Du pipeur escadron des douces voluptez, Il ne peut oublier le lieu de sa naissance ; Ains, chasque heure du jour, il tourne vers la France Et son cœur et son œil, se faschant qu’il ne voit La fumée à flots gris voltiger sur son toict. […] La Revue des Deux Mondes. — A propos de cette pièce, je me permettrai pourtant de proposer au texte une petite correction ; c’est à la seconde strophe, là où il est question de l’amoureux Ovide sucrant un baiser humide pour en tirer les douces fleurs.

187. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — Q — Quillard, Pierre (1864-1912) »

C’est là que parut La Fille aux mains coupées, un mystère où, à des vers lyriques, sonores et doux, variés de rythmes et riches d’images, étaient mêlées des proses descriptives, savantes et harmonieuses. […] Lisez ses belles élégies héroïques : le Dieu mort, Ruines, les Vaines Images, qui sont Psyché, Hymnis et Chrysarion, le Jardin de Cassiopée, la Chambre d’amour, et goutez-en la beauté amère et sereine, l’âcre et doux parfum, la cadence sonore.

188. (1763) Salon de 1763 « Peintures — Loutherbourg » pp. 224-226

En sortant de ce bois, et vous avançant vers la droite, voyez ces masses de rochers, comme elles sont grandes et nobles, comme elles sont douces et dorées dans les endroits où la verdure ne les couvre point, et comme elles sont tendres et agréables où la verdure les tapisse encore ! […] Ce petit tableau de bataille est entre deux petits Paysages de la plus douce séduction.

189. (1885) Les étapes d’un naturaliste : impressions et critiques pp. -302

Ô douce vie, oh ! […] Les doux Moutons bêlants qui sautent dans la plaine, — les doux Moutons sont faits pour être mis à mort. […] Pauvre Fanette, le doux poison est bu. […] Elle doit avoir la main douce ? […] Lui naguère si doux, si reposé et si honnête, la jalousie l’envahit tout entier.

190. (1867) Cours familier de littérature. XXIV « CXLIe entretien. L’homme de lettres »

C’est sous leur douce influence qu’il voudrait replacer l’homme pour le ramener à la vertu: il ne voit que leur pureté, il ne peint que leurs grâces, il n’aime que leur innocence. […] Voici comment ce mariage d’un doux, beau et illustre vieillard et d’une jeune fille presque encore enfant fut conclu, et ne trompa aucune de ses espérances. […] Sa figure même avait la puissance simple et douce des éléments, sa chevelure blonde et blanche tout à la fois lui faisait comprendre la jeunesse éternelle ou le phénomène de l’immortalité. […] Le son seul de sa voix et sa physionomie douce et ascétique ne pouvaient être exprimés que par le mot dantique ou romain: Vertu. […] Elle fit les plus tendres adieux à madame de la Tour, « dans l’espérance, lui dit-elle, d’une douce et éternelle réunion.

191. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIIe entretien. Sur le caractère et les œuvres de Béranger » pp. 253-364

            Douce contrée ! […]             Douce contrée ! […]             Douce contrée ! […] J’ai pressé sa main blanche et douce En dansant sous le marronnier. […] Elle sourit, car sa voix douce Rend l’espoir à son prisonnier.

192. (1911) Visages d’hier et d’aujourd’hui

Et puis, il était doux, affable et sensible. […] Il était « doux en ses sanglots ». […] Il souhaite alors des vers singuliers, des vers « doux, mourant comme des roses ». […] Et il répond, avec une douce naïveté : « Tout de même, notre part n’est pas égale !  […] Elle est fort ancienne et remonte à une époque où la Vierge multipliait ses doux miracles.

193. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Silvio Pellico »

Ces lettres, qui n’ont plus, comme le livre célèbre des Prisons, le beau cadre noir des Piombi pour faire repoussoir à leurs teintes douces, emporteront, ce n’est pas douteux, ce qui reste encore de l’espèce de gloire que les partis avaient arrangée à Silvio Pellico bien plus qu’il ne l’avait véritablement méritée. […] Mais nous, nous n’avons jamais travaillé à la statue de ce pauvre poète dont le doux nom a servi à tant de tapages ! […] Le doux résigné du Spielberg est devenu le repenti de la correspondance.

194. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXVII. Silvio Pellico »

Ces lettres qui n’ont plus, comme le livre, célèbre des Prisons, le beau cadre noir des Piombi pour faire repoussoir à leurs teintes douces, emporteront, ce n’est pas douteux, ce qui reste encore de l’espèce de gloire que les partis avaient arrangée à Silvio Pellico, bien plus qu’il ne l’avait véritablement méritée. […] Nous préférons au Silvio Pellico de la commisération publique le Silvio qui ne la demande pas, le Silvio humble, sévère pour lui et surtout repentant de sa faute que l’on a travestie en gloire ; mais nous, nous n’avons jamais travaillé à la statue de ce pauvre poëte dont le doux nom a servi à tant de tapages ! […] Le doux résigné du Spielberg est devenu le repenti de la correspondance.

195. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Barthélemy Saint-Hilaire »

Mahomet, le guerrier, le général d’armée, mais qui ne le devint qu’à cinquante ans, comme le rude Cromwell, était né doux, et ce qu’il sut du Christianisme ajouta encore à la disposition naturelle de son âme… À la première bataille à laquelle il assista, tout jeune qu’il fût, par conséquent d’autant plus susceptible de sentir l’ivresse du combat, il se contenta de ramasser tranquillement les flèches de ses oncles… C’était un de ces doux, à qui doit échoir l’empire de la terre. […] À la place de ces caricatures historiques, il y a la figure du grand homme, doux et inspiré, qui apprit aux Arabes la miséricorde et l’aumône, et dont le cimeterre, qu’il a fini par tirer dans les intérêts de sa foi, n’a pas aveuglé de son éclat Barthélemy Saint-Hilaire, puisqu’il a écrit fermement cette parole vraie : c’est que le livre du Coran a fait plus que le sabre pour la domination du monde.

196. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXV. Des éloges des gens de lettres et des savants. De quelques auteurs du seizième siècle qui en ont écrit parmi nous. »

Aux mœurs les plus douces, il joignit le savoir le plus profond. […] On connaît son poème sur la manière d’élever et de nourrir les enfants au berceau ; ouvrage où la plus douce poésie relève les idées les plus riantes. […] Envisagés de ce côté, ce sont plutôt des portraits que des éloges ; le style en est doux, élégant et harmonieux, quelquefois même éloquent, mais plus d’une éloquence de sensibilité que de mouvement.

197. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Malherbe et son école. Mémoire sur la vie de Malherbe et sur ses œuvres par M. de Gournay, de l’Académie de Caen (1852.) » pp. 67-87

Il y eut là, tout au sortir de l’enseignement de Malherbe, dans notre poésie française lyrique, une veine trop peu abondante, trop tôt distraite et interrompue, mais très pure, très française, neuve, élevée et douce : il en est resté quatre ou cinq odes au plus, mais dignes d’Horace, qu’on y retrouve imité sans servilité et avec génie, et bien faites surtout pour enchanter et inspirer, comme cela a dû être, la jeunesse de La Fontaine. […] Ne cherchons rien de pareil chez Racan ; avec lui nous sommes en Gaule, en Touraine, tout près du Maine, en bon et doux pays, mais où tout ne brille pas, où chaque colline n’a pas son marbre étincelant ni son bois sacré. […] J’indiquerai également, comme sorties du même courant et de la même source, comme inspirées par un semblable et pur amour de la campagne, les belles et douces stances de Lamartine dans ses secondes Méditations poétiques : « Ô vallons paternels ! doux champs ! […] On aura plus tard d’éclatants retours, et plus d’un jet moderne surpassera en puissance et en largeur la source première : on ne retrouvera plus cette veine charmante et trop peu suivie, qui n’a d’ancien qu’une plus douce couleur, cette veine non plus italienne, ni grecque, ni espagnole, mais purement française de ton et de goût jusque dans ses réminiscences d’Horace.

198. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Sully, ses Économies royales ou Mémoires. — I. » pp. 134-154

L’année suivante, à Nérac, il continue dans le même train : « La Cour y fut un temps fort douce et plaisante ; car on n’y parlait que d’amour et des plaisirs et passe-temps qui en dépendent, auxquels vous participiez autant que vous pouviez, ayant une maîtresse comme les autres. » Une maîtresse avouée, c’est-à-dire une dame de ses pensées. […] Vraiment elle parlera bien à vous, car on lui a dit que vous aviez une autre maîtresse. » Il allait céder et se rendre lorsqu’un ami, représentant le conseil de la raison, lui dit à l’oreille : « Monsieur, tournez votre cœur à droite, car là vous trouverez des biens, une extraction royale et bien autant de beauté lorsqu’elle sera en âge de perfection. » Rosny se déclara donc pour la plus douce, la plus modeste et la plus vertueuse, et qui se trouvait être la plus riche aussi. […] Puis, à côté, on voit ressortir avec plus de fraîcheur cette figure douce, jolie, mignonne, enfantine, un peu nicette et naïve de Mlle de Bontin. […] Pendant une peste ou maladie contagieuse qui avait régné dans le pays de Rosny en 1586, il était venu la visiter, la tranquilliser ; il l’avait trouvée enfuie du château, réfugiée dans celui d’une tante, avec trois ou quatre de ses gens ; et là, s’étant enfermé avec elle, et n’ayant lui-même pour tout monde avec lui qu’un de ses gentilshommes, un secrétaire, un page et un valet de chambre, il demeura tout un mois en compagnie de sa douce moitié, sans être visité de créature vivante, tant chacun fuyait la maison comme pestiférée : Et néanmoins, écrivent les secrétaires, à ce que nous vous avons souvent ouï dire depuis, vous n’avez jamais fait une vie si douce ni moins ennuyeuse que cette solitude, où vous passiez le temps à tracer des plans des maisons et cartes du pays ; à faire des extraits de livres ; à labourer, planter et greffer en un jardin qu’il y avait léans ; à faire la pipée dans le parc, à tirer de l’arquebuse à quantité d’oiseaux, lièvres et lapins qu’il y avait en icelui, à cueillir vos salades, les herbes de vos potages, et des champignons, columelles et diablettes que vous accommodiez vous-même, mettant d’ordinaire la main à la cuisine, faute de cuisiniers ; à jouer aux cartes, aux dames, aux échecs et aux quilles… Et n’allons pas oublier le dernier trait que notre fausse délicatesse supprimerait et qui sent son vieux temps : « à caresser madame votre femme, qui était très belle et avait un des plus gentils esprits qu’il était possible de voir ».

199. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. Daru. Histoire de la république de Venise. — I. » pp. 413-433

Daru aussi fit nommer dans les derniers temps professeur d’histoire à Saint-Cyr, et dont il combla de soins la vieillesse, est une de ces physionomies graves et douces des vénérables maîtres d’autrefois, qui unissaient la piété, la connaissance du monde, la modestie pour eux, l’orgueil seulement pour leurs élèves, une affection éclairée et une finesse souriante. […] Quels doux souvenirs elle m’a rappelés sur ce bon compagnon de ma vie, de mes beaux jours ! […] Autrement, et livré à lui-même, il suivait sa vocation tout unie, plus douce, je le crois, droite, honorable, moyenne, avec considération sans doute, mais sans rien de grand ni d’immortel. […] Daru louait son prédécesseur Collin d’Harleville et terminait ainsi sa louange : « C’est pour moi une douce satisfaction de sentir que je reste au-dessous de l’attente du public », le père Lefebvre goûtait fort cette façon de penser et de s’exprimer, qui en dit beaucoup dans sa délicatesse : « Ce n’est pas à vous que j’en ferai le commentaire, écrivait-il à M.  […] Seulement je vous dirai qu’il y a tel homme dans le monde, dont je parle quelquefois à ceux qui méritent d’en entendre parler, et que j’éprouve aussi une douce satisfaction quand on me corrige en disant : Il y a plus… » (4 septembre 1806.)

200. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Maine de Biran. Sa vie et ses pensées, publiées par M. Ernest Naville. » pp. 304-323

Il le prouve bien en commençant son journal en 1794 ; le printemps de cette affreuse et mémorable année, même avant qu’on puisse prévoir Thermidor, ne lui apporte que des impressions douces et paisibles ; il s’est complètement isolé de la tyrannie qui pèse sur toute la France, et il n’y songe même pas dans le lointain. […] Grateloup, 27 mai (1794). — J’ai éprouvé aujourd’hui une situation trop douce, trop remarquable par sa rareté, pour que je l’oublie. Je me promenais seul, quelques moments avant le coucher du soleil ; le temps était très beau ; la fraîcheur des objets, le charme qu’offre leur ensemble dans cette brillante époque du printemps qui se fait si bien sentir à l’âme, mais qu’on affaiblit toujours en cherchant à la décrire ; tout ce qui frappait mes sens portait à mon cœur je ne sais quoi de doux et de triste ; les larmes étaient au bord de mes paupières. […] Mais une heure de ce doux calme va être suivie de l’agitation ordinaire de ma vie ; je sens déjà que cet état de ravissement est loin de moi ; il n’est pas fait pour un mortel. […] Ce sentiment de pitié ou de compassion réfléchie du moi sur lui-même est encore assez doux à éprouver, en tant qu’il constate une nature supérieure à celle qui pâtit, quoiqu’elle lui soit intimement jointe.

201. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Dominique par M. Eugène Fromentin (suite et fin.) »

Dominique, par sa douce lecture, m’a procuré quelques heures de ce plaisir depuis si longtemps perdu. […] Il aimait à courir la campagne, moins encore pour tendre les pièges aux oiseaux, que pour prêter l’oreille à la nature, qui déjà lui murmurait je ne sais quoi de secret, et pour converser avec l’esprit voilé de ces verts et doux paysages. […] Dès que le temps était triste, ils se taisaient ; ils reprenaient avec le soleil, avec les vents plus doux, avec l’espoir de l’été prochain. […] Dominique, à la veille de quitter les Trembles et se sentant arraché lui-même du lieu où il a pris racine et où il a mis tout son cœur, avait mêlé de ses sentiments à ceux du héros carthaginois, et il avait écrit cette composition scolaire les yeux tout baignés de larmes ; la nature lui parlait plus haut qu’Annibal en ce moment et par cette belle après-midi d’automne, où il essayait de le mettre en scène et de le traduire : « La pierre qui me servait de pupitre était tiède ; des lézards s’y promenaient à côté de ma main sous un soleil doux. […] C’est à la tombée de la nuit : « le bois sombre de quelques meubles anciens se distingue à peine, l’or des marqueteries ne luit que faiblement ; des étoffes de couleur sobre, des mousselines flottantes, tout un ensemble de choses pâles et douces y répand une sorte de léger crépuscule et de blancheur, de l’effet le plus tranquille et le plus recueilli ; l’air tiède y vient du dehors avec les exhalaisons du jardin en fleur ; mais surtout une odeur subtile, plus émouvante à respirer que toutes les autres, l’habite comme un souvenir opiniâtre de Madeleine ».

202. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXIIIe entretien. Chateaubriand, (suite) »

« Un livre vraiment utile au misérable, parce qu’on y trouve la pitié, la tolérance, la douce indulgence, l’espérance, plus douce encore, qui composent le seul baume des blessures de l’âme : ce sont les Évangiles. […] La vie est douce avec la nature. […] Les philosophes se servirent de ces idées des peuples pour sanctifier de bonnes lois par le sceau de la religion, et le polythéisme, rendu sacré par le temps, embelli du charme de la poésie et de la pompe des fêtes, favorisé par les passions du cœur et l’adresse des prêtres, atteignit, vers le siècle de Thémistocle et d’Aristide, à son plus haut point d’influence et de solidité. » XXXVI Après les deux romans d’Atala et de René, il en ébaucha un troisième : le Dernier des Abencérages ; mais, à l’exception de l’incomparable romance : Combien j’ai douce souvenance, ce roman, entièrement d’imagination, ne fut qu’un roman français sans vérité et sans succès, très-inférieur aux deux autres. […] Il fallait un fond solide à l’invention de Chateaubriand, autrement il s’évanouissait avec les nuages : Combien j’ai douce souvenance Du joli lieu de ma naissance !

203. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Victor Duruy » pp. 67-94

Les obligations que votre choix m’impose aujourd’hui me seront, je ne dis point faciles, mais assurément très douces à remplir. […] Les yeux toujours à demi clos, il ruminait confusément l’affranchissement des nationalités, l’établissement d’une démocratie un peu socialiste et pourtant césarienne et, par là, l’achèvement historique de la Révolution française : grands desseins dont les moyens d’exécution se précisaient mal dans son imagination de doux fataliste qui, ébloui par un destin prodigieux dont il était l’heureux jouet et dont il se croyait le héros, comptait indolemment sur la vertu de son étoile. […] Il aima aussi cette probité, cette franchise, cette gravité douce. […] Chaque année, il se faisait un devoir d’accompagner, dans les lycées où ce prélat donnait la confirmation, Mgr Darboy, qui était, d’ailleurs, un homme doux et triste et, dit-on, d’une foi très peu agressive. […] Après tout, la conquête romaine, relativement douce aux vaincus, substitua aux lois étroites de la République les lois générales et moins dures de l’Empire ; elle aplanit sans le savoir, pour la propagande chrétienne, tout le champ méditerranéen, et, d’autre part, respecta presque toujours l’indépendance de la pensée philosophique et commença de fonder, à travers le monde, la république des libres esprits ; elle fut enfin, pour une portion considérable de la race humaine, un puissant agent d’unité, encore qu’imparfaite et bientôt défaite… Et puis, nous venons de Rome ; et Victor Duruy ne peut se défendre d’aimer en Rome, initiée de la Grèce et notre initiatrice dans le travail jamais achevé de la civilisation, l’aïeule même de la France.

204. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) «  Mémoires et correspondance de Mme d’Épinay .  » pp. 187-207

J’ai l’air jeune, sans fraîcheur, noble, doux, vif, spirituel et intéressant. […] Vous êtes si gentille, Si mignonne et si belle, et d’un regard si doux, Que la beauté plus grande est laide auprès de vous. […] les beaux habits servent bien à la mine, On a beau s’agencer et faire les doux yeux, Quand on est bien parée, on en est toujours mieux. […] Il expose tout ce plan dans les Mémoires de Mme d’Épinay, et parlant à elle-même, avec une crudité brusque et pittoresque qu’elle a pu forcer quelquefois, mais qu’elle n’a certainement pas inventée : une femme douce et polie est incapable d’inventer de pareilles physionomies et de pareils propos, si elle ne les a pas rencontrés en effet. […] Elle est douce et confiante ; elle est paisible et aime le repos par-dessus tout ; mais sa situation exige sans cesse une conduite forcée et hors de son caractère : rien n’use et ne détruit autant une machine naturellement frêle.

205. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XX. Le Dante, poëte lyrique. »

Enfin, pour justifier ce parallèle, le troubadour du douzième siècle, celui que devait un jour citer et imiter le Dante, avait su plier sa langue naissante à tous les artifices de la mélodie, mêler dans ses sanglants tableaux les teintes graves et douces, être élégiaque enfin comme il était lyrique. […] La poésie lyrique, cette Heur native de la vie humaine, tour à tour sauvage et cultivée, la poésie lyrique, couronne de la victoire et du cercueil, avait reparu, du jour où le rude guerrier de Limoux avait exhalé sa joie, aux approches du combat, plus doux à ses yeux qu’une journée de printemps, et bientôt après, avait répandu sa douleur, à la mort prématurée du jeune prince d’Angleterre. […] Ce poëte, inexorable pour le vice, la cruauté, la bassesse, est un peintre sublime des plus douces vertus : il est, par moments, le moraliste mélodieux que charment l’innocence de la vie, la simplicité des champs, la pureté des mœurs antiques. Sa douce extase devant de telles images suspend sa colère et ses haines ; et la lyre est, sous ses doigts, pleine de tendresse et de pureté naïves. […] Dans cette vie si calme, dans cette belle vie de citoyen, dans cette communauté si pure, dans ce doux hospice, me fit naître Marie invoquée à grands cris ; et, sur votre antique baptistère, je reçus à la fois les noms de chrétien et de Cacciaguida », À ces traits naïfs, trop altérés dans toute traduction, à ce langage d’une si maligne et si poétique candeur, on peut comparer les regrets et la verve moqueuse d’Horace, ses louanges des vieux Romains et de leurs chastes épouses, son âpre censure des mœurs dégénérées et de la danse ionienne.

206. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Théocrite »

Et toi, étendu sous les chênes ou sous les sapins, tu n’aurais qu’à chanter tes doux airs, divin Comatas !  […] car ni le sommeil, ni le printemps dans son apparition soudaine n’est aussi doux, ni les fleurs ne le sont autant aux abeilles qu’à moi les Muses me sont chères. […] Ce remède-là, doux et léger, est au pouvoir des hommes : ne le trouve pourtant pas qui veut. […] Le Myndien me tient tout entière possédée ; mais va guetter vers la palestre de Timagète, car c’est là qu’il fréquente, c’est là qu’il lui est doux de passer le temps. […] Ici même, sans sortir de Théocrite, en regard de l’ardente Simétha, il faut mettre sans tarder la douce, la pure et chaste Theugénis.

207. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXVIIIe entretien. Littérature américaine. Une page unique d’histoire naturelle, par Audubon (2e partie) » pp. 161-239

Pendant deux heures à peu près, cette opération fut continuée avec la plus grande diligence ; puis, voulant se donner un peu de bon temps, il se posa sur la plus haute branche de la haie où il modula sa douce et joyeuse chanson qu’interrompit une personne qui vint à passer par là. […] J’étais toujours sûr d’y voir quelque douce et belle fleur s’épanouir au soleil, et d’y rencontrer le vigilant roi-pêcheur en sentinelle à la pointe d’une pierre dont l’ombre se projetait au-dessus du limpide cristal des ondes. […] Ainsi, sous cette frêle enveloppe existait déjà la vie ; et dans quelques semaines, une créature faible, délicate et sans défense, mais parfaite en chacune de ses parties, allait briser la coquille et réclamer les plus doux soins et toute l’attention de ses parents qui n’existeraient que pour elle ! […] « Ce n’est rien, maître, je donne seulement le signal de mon retour à ma femme et à mes enfants. » Une réponse du même genre, mais tremblante et plus douce, nous revint bientôt, prolongée entre les cimes des arbres. […] Et pendant ce temps, leurs pauvres petits dormaient d’un profond sommeil, dans la douce paix de leur innocence !

208. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre septième »

Sa foi, plus douce que profonde, était facilement satisfaite, et sa vertu le menait au dogme par la morale. […] Je vois les mondains de la Régence, au sortir de ces sermons foudroyants, souriant des duretés de ce prêtre si doux, et tout prêts à se trouver innocents par l’impossibilité de se croire si coupables. […] N’est-il pas singulier que les grands docteurs devanciers de Massillon aient été plus doux que lui pour le pécheur ? […] Trop souvent le doux évêque de Clermont nous apparaît avec l’épée de l’ange exterminateur à la main. […] C’est la physionomie de l’homme, et il ne faut pas oublier que cet homme fut un des meilleurs et des plus doux de son temps.

209. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre IV. De l’amour. »

Enfin, à quelque époque de l’âge qu’on transportât un sentiment qui vous aurait dominé depuis votre jeunesse, il n’est pas un moment où d’avoir vécu pour un autre, ne fut plus doux que d’avoir existé pour soi, où cette pensée ne dégageât tout-à-la-fois des remords et des incertitudes. […] Si, au contraire, il a existé dans la vie un heureux moment où l’on était aimé ; si l’être qu’on avait choisi était sensible, était généreux, était semblable à ce qu’on croit être, et que le temps, l’inconstance de l’imagination, qui détache même le cœur, un autre objet, moins digne de sa tendresse, vous ait ravi cet amour dont dépendait toute votre existence, qu’il est dévorant le malheur qu’une telle destruction de la vie fait éprouver ; le premier instant où ces caractères, qui tant de fois avaient tracé les serments les plus sacrés de l’amour, gravent en traits d’airain que vous avez cessé d’être aimé ; alors, que comparant ensemble les lettres de la même main, vos yeux peuvent à peine croire que l’époque, elle seule, en explique la différence, lorsque cette voix, dont les accents vous suivaient dans la solitude, retentissaient à votre âme ébranlée, et semblaient rendre présents encore les plus doux souvenirs ; lorsque cette voix vous parle, sans émotion, sans être brisée, sans trahir un mouvement du cœur, ah ! […] Cette certitude, cette confiance, si douce à la faiblesse, est souvent importune à la force ; la faiblesse se repose, la force s’enchaîne ; et dans la réunion des contrastes dont l’homme veut former son bonheur, plus la nature l’a fait pour régner, plus il aime à trouver d’obstacles : les femmes, au contraire, se défiant d’un empire sans fondement réel, cherchent un maître, et se plaisent à s’abandonner à sa protection ; c’est donc presque une conséquence de cet ordre fatal, que les femmes détachent en se livrant, et perdent par l’excès même de leur dévouement. Si la beauté leur assure des succès, la beauté n’ayant jamais une supériorité certaine, le charme de nouveaux traits peut briser les liens les plus doux du cœur ; les avantages d’un caractère élevé, d’un esprit remarquable, attirent par leur éclat, mais détachent à la longue tout ce qui leur serait inférieur.

210. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXXIV » pp. 294-298

Saint-Marc Girardin, vers la fin de son discours, avait assez délicatement touché cette situation en disant : « Et pardonnez-moi, messieurs, si le souvenir de nos jeunes princes50me ramène naturellement vers ces écoles d’où ils sont sortis, vers ces lieux où j’ai mes plus doux devoirs, où il m’est donné de vivre avec les jeunes gens, et d’observer l’avenir de la patrie à travers le leur ; là aussi je vois la jeunesse toujours favorable aux bons sentiments et aux nobles pensées, toujours aisément émue quand on lui parle des saintes obligations de la famille ou de la gloire de la France ; bienveillante, j’ai droit de le croire, pour ceux qui l’instruisent, pour ceux même qui l’avertissent. Oui, j’aime dire hautement devant vous, messieurs, combien, depuis quinze ans que je m’entretiens avec eux, nos jeunes étudiants m’ont rendu facile et doux l’accomplissement des devoirs du professorat, combien ils m’ont fait chérir ces causeries familières qui parfois aussi pourtant ont leurs difficultés ; car j’y dois critiquer quelquefois ceux que je voudrais toujours admirer 51.

211. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MARIA » pp. 538-542

Quand une vierge est morte, en ce pays de Grèce, Autour de son tombeau j’aperçois mainte tresse, Des chevelures d’or avec ces mots touchants : « De l’aimable Timas, ou d’Érinne aux doux chants, La cendre ici repose ; à l’aube d’hyménée, Vierge, elle s’est sentie au lit sombre entraînée. […] J’ai quitté le pays, j’ai traversé des mers ; Ce doux parfum me suit parmi d’autres amers.

212. (1874) Premiers lundis. Tome II « Poésie — I. La Thébaïde des grèves, Reflets de Bretagne, par Hyppolyte Morvonnais. »

Enfant, tes jeux sont doux à mon cœur paternel, Mon chant intérieur monte vers l’Éternel     Quand j’entends tes pas dans les salles, A cette heure où le jour s’éteint mystérieux ; Lorsque le vieux château, décrépit glorieux,     Nous cache ses tours colossales. […] Le chemin ombragé, c’est toi, mon bel enfant, Toi plus doux à mon cœur que le soupir du vent,     Ou le bruit des mers refluées.

213. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Bataille, Henry (1872-1922) »

Doux petit livre qui s’attarde ! […] Bataille ne semblent pas contrarier cette impression : il y demeure le rêveur nerveusement triste, passionnément doux et tendre, ingénieux à se souvenir, à sentir, à souffrir… La Lépreuse est bien le développement naturel d’un chant populaire ; tout ce qui est contenu dans le thème apparaît à son tour, sans illogisme, sans effort.

214. (1761) Salon de 1761 « Peinture —  Carle Vanloo  » pp. 117-119

Mais tous ces objets me paraissent peints d’une touche trop douce et trop uniforme. […] Pour moi, je trouve que les deux jeunes filles, charmantes à la vérité, d’une physionomie douce et fine, se ressemblent trop d’action, de figure et d’âge.

215. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Les Femmes de l’Évangile » pp. 89-93

Nous l’avions cru, et il nous eût été doux de rendre compte d’un tel ouvrage ; il nous eût été doux de démontrer la différence qu’il y a entre les héroïnes de la foi en Dieu et les héroïnes de la foi en soi-même ; car, malgré l’éternelle mêlée des systèmes et le fourré des événements, il n’y a que cela dans le monde : le parti de Dieu ou le parti de l’homme ; et il faut choisir !

216. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. LEBRUN (Reprise de Marie Stuart.) » pp. 146-189

Oui, je dormais, oui, d’un doux songe Mon cœur se berçait enchanté. […] A la lecture, il y transpire quelque chose des douces et graves beautés d’Homère. […] saluez le lieu de mon heureuse enfance, Saluez ces doux bords qui me furent si chers ! […] C’est un des plus doux bonheurs du poëte de pouvoir reconnaître un jour par lui-même les lieux désirés dont les noms erraient sur ses lèvres avec harmonie dans les rêves de sa jeunesse93. […] Lebrun, alors retiré à la campagne dans les douces prémices de la saison et dans l’indépendance du poëte, a fait à la cérémonie officielle une contre-partie souriante et toute de fraîcheur, avec un certain accent de Chaulieu à Fontenay ou de Fontanes à Courbevoie, avec un accent d’Horace.

217. (1772) Éloge de Racine pp. -

Quelle modestie noble et douce dans le caractère d’Andromaque ! […] Les ames douces et tendres (et c’est le plus grand nombre, car la faiblesse est l’attribut le plus général de l’humanité) préféreront les peintures de l’amour. […] Combien vous deviez chérir l’écrivain qui paraissait avoir étudié son art dans votre coeur, qui semblait être dans le secret de vos faiblesses, qui vous entretenait de vos penchans, de vos douleurs, de vos plaisirs, en vers aussi doux que la voix de la beauté quand elle prononce l’aveu de la tendresse ! […] Il dut à la libéralité de ce monarque une aisance qu’il est plus beau peut-être de ne devoir qu’à son travail, mais qu’il est doux d’obtenir de la renommée, de ses talens et de la bienveillance d’un grand prince. […] L’ame de Racine était douce et tendre comme ses écrits, ouverte et noble comme sa physionomie.

218. (1856) Cours familier de littérature. I « Digression » pp. 98-160

Ces vers commencent par des strophes dans lesquelles j’exprimais l’étonnement du voyageur qui, voyant briller de loin les cimes neigeuses et escarpées des Alpes, est tout surpris de voir en approchant que ces sommets, en apparence froids et inhabitables, cachent dans leurs flancs des vallées tièdes et délicieuses, où croissent les plus doux fruits de la nature. […] Il entend les doux bruits de voix qui se répondent, De murmures confus qui montent des hameaux, De cloches de troupeaux, de chants qui se confondent             Avec les chants d’oiseaux. […] Madame de Girardin seule fut préservée de ces éclaboussures des passions par la douce impartialité de son cœur ; elle ne se mêla jamais au combat, pour rester toujours chère aux vainqueurs, secourable aux vaincus. […] Elle avait le cœur brusque, mais bon ; cette brusquerie de son cœur donnait plus de franchise à ses amitiés ; on était plus sûr de sa sincérité en éprouvant ses douces colères. […] La conversation fut souriante, légère, affectueuse, telle qu’il convient auprès d’un malade qui reprend à la vie, et à laquelle il ne faut donner que ces mouvements doux de l’esprit et du cœur, qui bercent l’âme comme dans ce second berceau de la mort.

219. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre dixième. »

Tout le monde l’accepte : la multitude, sans en raisonner, par le doux et irrésistible empire du vrai sous l’habit le plus simple ; les doctes et les poètes, parce que ses exemples n’accablent personne. […] Les lecteurs sont spectateurs, et toutes les émotions qu’on éprouve au théâtre, la fable nous les donne en petit ; émotions douces, en deçà du rire et des larmes, quoique telle fable gaie nous fasse plus que sourire, et que plus d’un visage se soit mouillé en lisant les Deux Pigeons. […] Cette sagesse, au lieu d’être dogmatique, est douce et sereine ; elle paraît plutôt la volupté d’un esprit excellent et d’un cœur droit, qu’une conquête inquiète de la raison sur les mauvais penchants. […] Il l’est par cet esprit sensé qui proportionne ses émotions à leur cause, droit, sincère, aimant la liberté pour soi et pour autrui ; s’arrêtant en beaucoup de choses au doute, à cause de la douceur de cet état ; plus vif que passionné ; hors de toute grimace comme de tout sentiment excessif ; sensible sans transports ; tenant le milieu en tout dans la spéculation et dans la conduite ; un second Montaigne, mais plus doux, plus aimable, plus naïf que le premier. […] Ce sont deux modèles de cette sensibilité douce, sans vapeurs ni fausses grâces, propre aux gens dont le cœur est bon et l’esprit juste.

220. (1899) Esthétique de la langue française « La métaphore  »

Le chenet est le petit chien du foyer, chiennet ; le portugais dit caes da chamine, les chiens de la cheminée ; le provençal, cafuec, et l’anglais, fire-dog, le chien du feu ; l’allemand, feuerbock, et le danois, ildbuk, le bouc du feu ; l’espagnol, morillo, le petit Maure du feu, et l’idée est bien espagnole, de faire rôtir éternellement l’ennemi national ; mais il est probable que la métaphore n’est plus comprise, pas plus que celle, plus douce, qui a fait chez nous du chien le fidèle gardien du foyer. […] Or, on l’appelle à l’envi la jolie, la belle, la douce ! […] La même idée, ou celle de douceur, s’imaginerait dans le grec [mot en caractères grecs], la blanche, la douce 168, et ce serait encore la douce dans le latin mustela. Ces rapprochements paraîtront moins invraisemblables lorsqu’on saura que les idées de beau, de blanc, de doux sont, dans la tradition populaire, les antiphrases naturelles de l’idée de mauvais. En Roumanie, les malae divae, les mauvaises fées, les Ièlé, ne sont jamais appelées que les Bonnes, les Puissantes, les Belles, les Blanches, les Douces 169.

221. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Henri Cantel »

Il nous serait doux d’intervenir à temps dans le développement de ce jeune homme, qui pourrait avoir, s’il changeait de voie, une personnalité demain. […] C’est un païen, un païen de nuances douces et mêlées à des quarts de nuances chrétiennes, et voilà pourquoi, sans nul doute, amitié et talent à part, Hippolyte Babou, l’auteur des Païens innocents, l’a chaperonné si aimablement dans une spirituelle préface. […] , La Buveuse de sang, Le Printemps, Le Cierge, et surtout les vers à Charles Baudelaire, — qui sont certainement les plus beaux du recueil, — et ceux-là encore qui finissent, à chaque strophe, par ce mouvement d’un désespoir si doux et d’une si magnifique lassitude : O !

222. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Étienne de La Boétie. L’ami de Montaigne. » pp. 140-161

Sénèque, dans sa lettre 9e à Lucilius, a dit : « Sans doute l’amour ressemble à l’amitié, il en est pour ainsi dire la folie. » Ici, dans le cas des amis de La Fontaine, l’amitié aussi a sa douce folie et son délire. C’est en songeant à l’amitié-passion que Montesquieu a pu dire : « Je suis amoureux de l’amitié. » Le plus ordinairement l’amitié a une teinte plus douce, plus apaisée, que celle qui marque la passion de Montaigne et de La Boétie. […] Mme de Lambert estime que ce sentiment, qui n’est souvent qu’un essai et un doux refus d’amour se terminant en amitié, quand il a lieu entre personnes vertueuses et dignes de le partager, est de toutes les sortes d’affections celle qui a le plus de charme : Il est sûr que de toutes les unions, dit-elle, c’est la plus délicieuse. […] Les amitiés d’hommes, pour porter tout leur fruit, doivent être comme des greffes de printemps : ici, on recueille encore les plus doux fruits, même lorsque l’on n’arrive que dans l’extrême automne. […] Vis-à-vis de l’homme qu’on chérit le plus, on ne renonce jamais à sa volonté : vis-à-vis d’une femme, il est souvent permis, il est souvent si doux de n’en point avoir !

223. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) «  Essais, lettres et pensées de Mme  de Tracy  » pp. 189-209

J’avais dû à un heureux hasard, ou mieux, à une indication délicate, de le lire il y a déjà quelque temps, et j’en avais extrait pour moi quelques belles et douces pensées. […] Mme de Coigny lui donnait pour emblème une hermine avec ces mots : Douce, blanche et fine. […] Mme de Coigny s’occupait avec intérêt de la jeune fille douce, vive et voltigeante qui s’épanouissait sous ses yeux : « Mme de Coigny me donne des leçons de prononciation, de ponctuation, et me recommande de faire des notes sur tout ce que je lis, et d’écrire tous les jours ce que je pense : c’est une façon de savoir si on est bête. » Mais ce conseil que donnait Mme de Coigny à Mlle Newton ne fut complet et ne put être suivi dans sa perfection que lorsque M.  […] (Un ancien lieu solitaire ; le sentier se perdant sous les fraises et les douces violettes sombres ; à travers le tapis de verdure, un paisible étang d’argent caché et silencieux, comme s’il craignait d’éveiller la profonde tranquillité qui habite et dort autour du manoir ombragé d’arbres. […] Humble et patiente amitié, pensai-je, c’est ainsi qu’on t’oublie aux heures splendides de la jeunesse et de l’amour ; c’est ainsi que tu apparais, douce et consolatrice, vers le soir de la vie, quand la passion est morte et l’existence dénudée32.

224. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamartine — Lamartine »

Un homme, un homme seul au xviiie siècle, nous semble recueillir en lui, amonceler dans son sein et n’exhaler qu’avec mystère tout ce qui tarissait ailleurs de pieux, de lucide et de doux, tout ce qui s’aigrissait au souffle du siècle dans de bien nobles âmes ; humilité, sincérité parfaite, goût de silence et de solitude, inextinguibles élancements de prière et de désir, encens perpétuel, harpe voilée, lampe du sanctuaire, c’était là le secret de son être, à lui ; cette nature mystique, ornée des dons les plus subtils, éveille l’idée des plus saints emblèmes. […] J’oserai affirmer, sans crainte de démenti, que, si les poésies fugitives de Ducis sont tombées aux mains de Lamartine, elles l’ont plus ému dans leur douce cordialité et plus animé à produire, que ne l’eussent fait les poésies d’André, quand elles auraient paru dix ans plus tôt. […] Quand tout n’était que bouleversement et tempête, comment ce doux nid était-il venu à éclore sur la colline pierreuse ? […] Cette voix chante les beautés et les dangers de la nuit, l’ivresse virginale du matin, l’oraison mélancolique des soirs ; elle devient la douce prière de l’enfant au réveil, l’invocation en chœur des orphelins, le gémissement plaintif des souvenirs en automne, quand les feuilles jonchent la terre, et qu’au penchant de la vie soi-même, on suit coup sur coup les convois des morts. […] et à la moindre émotion, quel ébranlement redoublé de lames puissantes et douces, gigantesques, mais belles ; et surtout, et toujours, l’infini dans tous les sens, profundum, altiudo ! 

225. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre premier »

L’esprit français s’attachant ainsi à l’esprit ancien, c’est Dante conduit par Virgile, son doux maître, dans les cercles mystérieux de la Divine Comédie. […] Mais ce progrès de l’esprit français, débarrassé enfin de la rouille du moyen âge, et cet état même de la langue, assurent à Marguerite de Valois et à Marot une place durable dans ce xvie siècle si fécond, dont l’aurore s’annonce en quelque sorte par l’éclat doux et aimable de leurs écrits. […] Le doux esprit de cette princesse, ce parfum de délicatesse et de bonté dans des écrits plus aimables qu’éclatants, ces couleurs agréablement mélangées plutôt que vives, ces charmantes perfections dans un second rang, n’est-ce pas le genre de beauté de la marguerite ? […] C’est ce fonds de philosophie aimable et douce dans une personne qui ne s’émeut des choses qu’avec discrétion, et selon ce qu’elles valent. […] C’est cet esprit, formé d’une sensibilité plus douce que profonde, d’une imagination plus enjouée que forte, d’une raison sûre, quoique bornée, qui fait vivre les poésies de Marot.

226. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre quatrième »

A cet habile artisan de mots il ne vient jamais de pensées profondes, de douces ni de bienfaisantes. […] André Chénier aime ses amis : Où sont donc mes amis, objets chéris et doux ? […] La tradition vint ensuite cultiver ses instincts, et les maîtres divins de l’antiquité grecque et latine le reçurent des bras de sa mère, l’oreille déjà accoutumée à leur langue sonore, l’esprit ouvert à leurs doux enseignements. […] Après ces deux années d’une douce vie passée en compagnie de deux amis dignes de lui, c’est-à-dire en compagnie plus intime avec lui-même, il revint à Paris, la tête débordant de poèmes, de plans, d’esquisses, où sont mêlées la science, la politique, la Bible, l’Amérique ; ambitieux de tout sentir et de tout rendre, de faire de la poésie l’organe inspiré de toutes les idées modernes, l’écho du passé et du présent, la voix prophétique de l’avenir. […] Il est de ce beau temps des lettres françaises par la mesure, les images modérées et justes, par l’éclat doux et égal, par les beautés antiques, pensées et senties de nouveau, par le style, où il a la noblesse du grand siècle, sans en avoir l’étiquette.

227. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XI. La littérature et la vie mondaine » pp. 273-292

On n’appelait plus un chat un chat, mais : L’animal traître et doux, des souris destructeur. […] Non, ce sont des fleurettes, délicates et fragiles, qui ont quelque chose de musqué et d’artificiel, mais qui, en certaines heures, à la clarté des bougies, dans la douce atmosphère d’une fête, ont leur grâce et leur charme. […] Le débat de Clitandre et de Trissotin, dans les Femmes Savantes, nous permet de prendre sur le fait la lutte de ce qui était alors l’esprit nouveau contre la tradition mourante du xvie  siècle : Permettez-moi, monsieur Trissotin, de vous dire, Avec tout le respect que votre nom m’inspire, Que vous feriez fort bien, vos confrères et vous, De parler de la cour d’un ton un peu plus doux ; Qu’à le bien prendre, au fond, elle n’est pas si bête Que, vous autres, messieurs, vous vous mettez en tête ; Qu’elle a du sens commun pour se connaître à tout ; Que chez elle on sa peut former quelque bon goût, Et que l’esprit du monde y vaut, sans flatterie, Tout le savoir obscur de la pédanterie. […] Le désir de plaire au monde a poussé maintes fois écrivains et orateurs à sacrifier les qualités fortes et solides aux qualités douces et brillantes. […] Lubin, le paysan, est tout émerveillé de son abondance en doux propos, et il s’écrie103 : « C’est un plaisir que de l’entendre débiter sa petite marchandise ; il ne dit pas un mot qu’il n’adore. » Il arrive à Dorante d’être mécontent, maltraité, joué par une coquette104.

228. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « XVII »

Je ne puis admettre, comme clichés, chaleur bienfaisante, perversité précoce, émotion contenue, front fuyant, chevelure abondante, ni même larmes amères, car des larmes peuvent être amères et des larmes peuvent être douces. […] Eh bien, non : « Il demanda quelle heure il était », je trouve cela affreusement lourd et inharmonique, et je préfère, moi : « Il s’enquit de l’heure ». — Les larmes amères, les magnifiques ombrages, une douce extase, une activité dévorante, une impatience fiévreuse, etc., etc.

229. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIIe entretien. L’Imitation de Jésus-Christ » pp. 97-176

Il nous serait doux de jouir d’un repos exempt de toute misère ; mais, en perdant l’innocence par le péché, nous avons aussi perdu la vraie félicité. […] Inclinez mon cœur aux paroles de votre bouche ; qu’elles tombent sur lui comme une douce rosée. […] Il porte son fardeau sans en sentir le poids, et rend doux ce qu’il y a de plus amer. […] Cet amour tendre et doux que vous éprouvez quelquefois est l’effet de la présence de la grâce, et une sorte d’avant-goût de la patrie céleste ; il n’y faut pas chercher trop d’appui, parce qu’il passe comme il est venu. […] Plus vous renoncerez à celles que donnent les créatures, plus les miennes seront douces et puissantes.

230. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XVIII. »

toi qui, de la turbulence de la mer et de la fureur des flots, retires les poissons purs séduits par une douce aurore, conduis-nous, Pasteur du troupeau spirituel ! […] Mais pourtant, quelle dignité dans ce langage encore, quelle simplicité douce et tendre ! […] Car l’insidieuse matière en renferme deux : l’homme qui, étendant la main sur la table, a touché la potion douce, regrettera le breuvage amer, sous les poids contraires dont il est lui-même entraîné. […] « Couronne-moi des fleurs de la douce persuasion. […] Au lieu de souhaiter chrétiennement la souffrance et la résignation, il demande encore à Dieu la gloire et les belles fleurs de la douce persuasion, comme aurait fait Pindare.

231. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Louis XIV et le duc de Bourgogne, par M. Michelet »

Il fallait user tour à tour, avec un ménagement et une dextérité extrême, du frein et de l’éperon, et plus souvent encore d’une parole douce, d’un toucher de main délicat. […] qu’il aime les doux jeux de l’esprit ! […] » Puis les deux Oiseaux inspirés reprirent ensemble : « Il aime nos douces chansons ; elles entrent dans son cœur, comme la rosée tombe sur nos gazons brûlés par le soleil. […] Virgile, après le christianisme, fut le plus grand auxiliaire de Fénelon dans sa tâche d’humaniser le duc de Bourgogne ; Virgile fut son doux et puissant collaborateur.

232. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Les Saints Évangiles, traduction par Le Maistre de Saci. Paris, Imprimerie Impériale, 1862 »

« Bienheureux ceux qui sont doux, parce qu’ils posséderont la terre ! […] etc. » Sans doute il y a bien des obscurités mêlées aux douces lumières qui sortent de ces paroles. […] Un homme estimable et savant, qui a récemment travaillé sur les Évangiles, et qui n’a porté dans cet examen, quoi qu’on en ait dit, aucune idée maligne de négation, aucune arrière-pensée de destruction, qui les a étudiés de bonne foi, d’une manière que je n’ai pas qualité pour juger, mais certainement avec « une science amoureuse de la vérité », a qualifié heureusement en ces termes la mission et le caractère de Jésus, de la personne unique en qui s’est accomplie la conciliation la plus harmonieuse de l’humanité avec Dieu : « Celui qui a dit : Soyez parfaits comme Dieu, et qui l’a dit non pas comme le résultat abstrait d’une recherche métaphysique, mais comme l’expression pure et simple de son état intérieur, comme la leçon que donnent le soleil et la pluie : celui qui a parlé de la sainteté supérieure qu’il exigeait des siens comme d’un “fardeau doux et léger” ; celui qui, révélant à nos yeux une pureté sans tache, a dit que “par elle on voyait Dieu…”, celui qui, enfin, renonçant à la perspective du trône du monde, a senti qu’il y avait plus de bonheur à souffrir en faisant la volonté de Dieu qu’à jouir en s’en séparant… celui-là, c’est Jésus de Nazareth. » Lui seul, et pas un autre au monde42 ! […] Sa taille est grande et bien formée, son air est doux et vénérable, ses cheveux sont d’une couleur qu’on ne saurait guère comparer : ils tombent par boucles jusqu’au-dessous des oreilles, d’où ils se répandent sur ses épaules avec beaucoup de grâce, et sont partagés sur le sommet de la tête à la manière des Nazaréens.

233. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « APPENDICE. — CASIMIR DELAVIGNE, page 192. » pp. 470-486

A cela près pourtant, tout était bien et aurait continué de l’être, si, le moment de ferveur passé, le poëte, revenant à ses goûts secrets, avait quitté une arène où il ne s’était jeté que par élan ; si, rentrant en quelque sorte dans la vie privée, il avait osé redevenir lyrique, comme il l’avait été d’abord, avec ses impressions personnelles, affections douces, mystérieuses, pudiques, écloses et nourries sous un ciel idéal, dans le calme des bocages sacrés, ou parmi les danses des guerriers et des vierges. […] Ce sont des exclamations, des interrogations sans motifs et sans fin, de brusques dialogues en un ou deux vers : on dirait un qui-vive perpétuel : Enfin l’aube attendue et trop lente à paraître Blanchit le pavillon de sa douce clarté. […] O champs de Pressagni, fleuve heureux, doux coteaux, Alors, peut-être, alors mon humble sépulture Se cachera sous les rameaux Où souvent, quand mes pas erraient à l’aventure, Mes vers inachevés ont mêlé leur murmure Au bruit de la rame et des eaux. […] Ici, tous les mérites du poëte sont retrouvés : style pur, nobles images, douce chaleur, mélodie parfaite.

234. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « L’abbé Barthélemy. — II. (Fin.) » pp. 206-223

L’abbé Barthélemy ne voulait pour son Jeune Anacharsis qu’un succès doux et presque silencieux, assez semblable à la manière dont il avait été composé, et il obtint dès le premier jour un succès d’éclat. […] Il n’a pas non plus, comme Bernardin de Saint-Pierre, cette magie plus douce des mots virgiliens. […] Doux, savant, modeste, né pour la vie académique et pour ses ingénieuses recherches, né pour la vie privée, pour ses plus affectueuses et ses plus agréables élégances, il offre en lui un composé des plus distingués et tout à fait flatteur ; mais il n’eut pas le grand goût, ni même cet autre goût qui n’est pas le plus simple ni le plus pur, mais qui, aux époques avancées, trouve des rajeunissements imprévus. […] Et pourtant, à défaut de puissance, il y a dans sa manière un ton soutenu, une douce mesure, une certaine harmonie qui, aux bons endroits, et quand on s’y prête à loisir, n’est pas sans action ni sans charme.

235. (1887) Études littéraires : dix-neuvième siècle

Mais le passé, cependant, est détruit, qui était si beau, si doux, si plein. […] Il a en lui un feu éternel dont il aime à entretenir la douce chaleur : qu’un coup de vent passe, les flammes jaillissent et bondissent dans l’air. […] qui verra deux fois ta grâce et ta tendresse, Ange doux et plaintif qui parle en soupirant ? […] Passe pour les hommes du second Empire que des cœurs très purs et très doux ont détestés. […] confessant que vous êtes Bon, clément, indulgent et doux, ô Dieu vivant !

236. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XIV. L’auteur de Robert Emmet »

Ainsi, en critique, depuis quelque temps et de plus en plus, le vent est aux femmes, et peut-être, ici, trouveront-elles qu’il n’est pas très doux… J’en suis désespéré pour ces dames, mais aussi pourquoi publient-elles… Pourquoi viennent-elles presque fièrement se placer sous le tranchant de la Critique, si c’est pour lui crier dès qu’elle les effleure : « On ne touche pas à la reine !  […] Jolie peut-être autant que Rosine, qui faisait probablement des fautes d’orthographe dans ses billets doux et qui en faisait certainement une, en conduite, quand elle les jetait par la fenêtre, l’auteur de Robert Emmet n’en fait ni dans ses livres, ni nulle part Pour en faire, elle est trop instruite, elle a été trop bien élevée, elle est trop précieusement correcte. […] Lord Byron qui, comme quelques-uns de ses héros, est resté par bien des côtés un mystère, après ce livre, continuera d’en être un… Il semblait cependant qu’une femme, une nature de femme, ne devait pas être entièrement incapable de comprendre quelque chose à cette âme de lord Byron, à cette âme violente et douce, égoïste et magnanime, contradictoire comme toutes les femmes de la terre, et qui avait les deux sexes comme Tirésias.

237. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Eugène Pelletan » pp. 203-217

Il avait été le Séide doux de ce Mahomet si doux et si peu prophète ! […] ce doux Pelletan, cette brillante couleuvre sans venin, pâmée si longtemps dans la musique de Lamartine, s’est tortillée et retortillée pour remuer la queue et piquer comme ce scorpion de Voltaire Pelletan, ne pouvant se faire puissant, a pris le part de se faire léger contre le grave de Maistre.

238. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Madame de Créqui »

car il joue les marquises, lui, avec une si audacieuse et merveilleuse désinvolture, qu’il faut qu’elles reviennent elles-mêmes, chaperonnées de leurs propres lettres et sur le poing de Sainte-Beuve, — ce doux fauconnier !  […] On dirait qu’elle a été élevée par elle à Saint-Cyr et qu’elle en a contracté et rapporté, dans une mesure modeste, la trempe douce et la solidité puissante. […] Et c’est même là le secret du vif plaisir qu’un esprit comme celui de la marquise de Créqui nous donne : Respirons les parfums même s’ils s’évaporent,         Ils n’en paraissent que plus doux !

239. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Soulary. Sonnets humouristiques. »

J’aime ces doux combats, et je suis patient : Dans l’étroit vêtement qu’à son beau corps j’ajuste, Là serrant un atour et là le déliant, J’ai fait passer enfin tête, épaules et buste ! […] On la trouve partout dans ses Sonnets comme dans la vie ; dans ses Pastels et ses Paysages, comme dans ses Éphémères, quand il est le plus doux de lueur, le plus outremer, le plus rose, quand son verre de Bohême a des nuances si peu attendues qu’on dirait des surprises du prisme. […] L’autre, c’est un baptême : — au bras qui le défend Un nourrisson bégaie une note indécise ; Sa mère, lui tendant son doux sein qu’il épuise, L’embrasse tout entier d’un regard triomphant !

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