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38. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre IV : M. Cousin écrivain »

C’est un fait attesté par l’observation, que, dans cette même conscience où il n’y a que des phénomènes, il se trouve des notions dont le développement régulier dépasse les limites de la conscience et atteint des existences. […] Il faut ou révoquer en doute l’autorité de la conscience en elle-même, ou admettre intégralement cette autorité pour tous les faits attestés par la conscience. […] On ne peut pas dire que les phénomènes ou événements intérieurs soient dans la conscience ; ils sont l’objet de la conscience ; une sensation, un souvenir, ne sont pas dans la conscience ; la conscience ne contient pas ces opérations, elle les aperçoit. On ne peut pas dire non plus que les notions ou connaissances de la raison soient dans la conscience. […] En disant que les axiomes et les notions de la raison sont dans la conscience, et font partie de la conscience, il leur attribue l’autorité et la certitude de la conscience ; comme la conscience a toujours passé pour infaillible, la raison, par contagion, devient infaillible.

39. (1907) L’évolution créatrice « Chapitre II. Les directions divergentes de l’évolution de la vie. Torpeur, intelligence, instinct. »

La conscience est-elle ici, par rapport au mouvement, l’effet ou la cause ? […] De ce point de vue, et dans cette mesure, nous définirions l’animal par la sensibilité et la conscience éveillée, le végétal par la conscience endormie et l’insensibilité. […] Mais il faut signaler ici une différence, trop peu remarquée, entre deux espèces d’inconscience, celle qui consiste en une conscience nulle et celle qui provient d’une conscience annulée. […] C’est une conscience qui s’est déjà, virtuellement, reconquise sur elle-même. […] Tout se passe comme si un large courant de conscience avait pénétré dans la matière, chargé, comme toute conscience, d’une multiplicité énorme de virtualités qui s’entrepénétraient.

40. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre V. Le souvenir du présent et la fausse reconnaissance »

Pour définir ces états, on indiquera purement et simplement ce qui a disparu de la conscience. […] Il est vrai que c’est là une manière vague de s’exprimer, et qu’il faudrait indiquer avec précision, dans des cas où rien de visible n’a disparu de la conscience, en quoi la conscience est diminuée. […] La conscience pratique écartant ce souvenir comme inutile, la réflexion théorique le tient pour inexistant. […] Mais la conscience immédiate saisit tout autre chose. […] L’élan de conscience, qui manifeste l’élan de vie, échappe à l’analyse par sa simplicité.

41. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre sixième. La volonté — Chapitre deuxième. Le développement de la volonté »

Il ne reste qu’une conscience spontanée qui passe comme un éclair et ne produit pas de changement appréciable dans la cœnesthésie. […] Les réflexes mécaniques paraissent s’accomplir dans l’être vivant en dehors de la conscience centrale. […] La volonté implique la conscience de la causalité appartenant au sujet en tant que condition d’existence pour quelque objet. […] De plus, la conscience de la volition présente, en la fixant dans la mémoire, lui assure une influence sur les volitions à venir. […] D’autre part, la conscience enveloppe une infinité de petites perceptions et impulsions dont elle est la fusion originale.

42. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre II. Le Bovarysme comme fait de conscience son moyen : la notion »

Le Bovarysme comme fait de conscience son moyen : la notion I. […] L’image projetée dans la conscience par l’éducation, principal moyen du Bovarysme. — la notion, fortune abstraite et humaine de l’image — III. […] À première vue, la faculté de se concevoir autre apparaît liée au fait de la conscience : il s’agit ici de la conscience psychologique, un miroir où se viennent refléter les images des réalités. […] Voici l’image projetée et miroitant dans la conscience, pourvue d’un pouvoir de causalité : elle fascine, elle est un principe d’hypnose et de suggestion. […] Car les buts inaccessibles sont projetés dans sa conscience en même temps que des buts saisissables, et, dans ce miroir, les uns et les autres sont proposés au choix de son énergie.

43. (1870) La science et la conscience « Chapitre II : La psychologie expérimentale »

Mais, de l’histoire ou de la conscience, qui en fait foi ? Évidemment la conscience. […] Que l’observateur placé en dehors de la conscience en juge ainsi, rien de plus naturel. […] La conscience du genre humain a toujours cru le contraire. […] Si l’école de la conscience soutient la liberté d’indifférence, la volonté sans motifs, par peur du déterminisme, et rejette toute espèce de loi dans la production des phénomènes volontaires, c’est qu’elle prétend tirer la science entière de l’homme des simples données de la conscience.

44. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Bain — Chapitre III : Les Émotions »

Au point de vue subjectif, il tient pour indécomposables et primitives les émotions que l’analyse de la conscience donne comme telles. […] « Elle constitue un appui considérable à la doctrine de l’unité de la conscience. […] La seconde, c’est la tendance à prendre un état de conscience par le moyen des états corporels qui l’accompagnent. […] Quand cette uniformité n’existe pas dans nos perceptions (celles du goût par exemple), alors le critérium manque. « Il n’y a pas plus de conscience universelle que de raison universelle ; la conscience comme la raison est toujours individuelle. […] Les lois promulguées sont donc l’œuvre des consciences individuelles, au lieu d’en être la cause.

45. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre III. “ Fantômes de vivants ” et “ recherche psychique ” »

Je suppose, un instant, que ce phénomène soit dû à l’action de l’une des deux consciences sur l’autre, que des consciences puissent ainsi communiquer sans intermédiaire visible et qu’il y ait, comme vous dites, « télépathie ». […] De fait, nous voyons que la conscience a des rapports avec le cerveau. […] Si la conscience n’est pas une fonction du cerveau, du moins le cerveau maintient-il la conscience fixée sur le monde où nous vivons ; c’est l’organe de l’attention à la vie. […] Entre les diverses consciences pourraient s’accomplir à chaque instant des échanges, comparables aux phénomènes d’endosmose. […] Certes, si le mental était rigoureusement calqué sur le cérébral, s’il n’y avait rien de plus dans une conscience humaine que ce qui est inscrit dans son cerveau, nous pourrions admettre que la conscience suit les destinées du corps et meurt avec lui.

46. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre quatrième. Les conditions physiques des événements moraux — Chapitre II. Rapports des fonctions des centres nerveux et des événements moraux » pp. 317-336

Tyndall155, que tous les grands penseurs qui ont étudié ce sujet, sont prêts à admettre l’hypothèse suivante : que tout acte de conscience, que ce soit dans le domaine des sens, de la pensée ou de l’émotion, correspond à un certain état moléculaire défini du cerveau ; que ce rapport du physique à la conscience existe invariablement, de telle sorte que, étant donné l’état du cerveau, on pourrait en déduire la pensée ou le sentiment correspondant, ou que, étant donnée la pensée ou le sentiment, on pourrait en déduire l’état du cerveau. […] En effet, on a vu que nos sensations ne sont que des totaux composés de sensations élémentaires, celles-ci de même, et ainsi de suite ; qu’à chacun de ces degrés de composition le total se présente à nous avec un aspect tout autre que celui de ses éléments, que par conséquent, plus ses éléments sont simples et reculés loin des prises de la conscience, plus ils doivent différer pour nous du total accessible à la conscience, en sorte que l’aspect des éléments infinitésimaux au bas de l’échelle et celui de la sensation totale au sommet de l’échelle doivent différer du tout au tout. […] On voit par là l’importance de l’événement central ; quel qu’il soit, il communique son caractère au reste. — Or, des deux points de vue par lesquels nous l’atteignons, l’un, qui est la conscience, est direct : connaître une sensation par la conscience, c’est avoir présente son image, qui est la même sensation réviviscente. […] Par la conscience, j’atteins le fait en lui-même ; par les sens, je n’atteins qu’un signe. […] Au premier point de vue, elle est une échelle d’événements moraux, successifs et simultanés, dont la complication va décroissant, si l’on part du sommet dont nous avons conscience, pour descendre jusqu’à la base dont nous n’avons pas conscience.

47. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Bain — Chapitre IV : La Volonté »

Bain, la source de l’effort doit être cherchée dans l’organisme ; la conscience constate l’effort et ne le constitue pas : elle n’en est que la portion accidentelle. […] Un laboureur, le matin, se prépare à labourer un champ : c’est là sa volonté, et dans cette volition il y a une certaine conscience ; mais ce n’est point cette conscience qui, en elle-même, le met en état de labourer. […] « Le sentiment de l’effort est le symptôme d’un déclin d’énergie, la preuve que l’antécédent véritable, c’est-à-dire l’état organique des nerfs et des muscles, est sur le point d’être épuisé. » Dans l’organisme animal, l’énergie peut être produite sans conscience aussi bien qu’avec conscience, mais jamais sans dépense d’éléments nutritifs. […] La conscience, a-t-on dit, est pour nous le dernier et infaillible critérium de lu vérité : affirmer qu’elle se trompe, c’est détruire la possibilité même de toute science certaine. — Remarquons d’abord que la conscience est pour les phénomènes internes-ce que l’observation est pour les faits externes. […] D’ailleurs, en accordant à la conscience le privilège de l’infaillibilité, elle ne peut exister que pendant un court moment, qui ne constitue pas une science.

48. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre deuxième. L’idée de l’espace. Son origine et son action »

Caractère à la fois extensif, intensif et protensif des états de conscience. […] À la conscience pure des kantiens nous substituons ainsi, au début, la conscience incorporée. Si l’on dit qu’il est difficile d’avoir conscience de cette conscience, nous répondrons qu’il est encore plus difficile d’avoir conscience de sa conscience pure, car, après tout, nous nous sentons vivre, et vivre sur terre, corporellement ; il est douteux que nous ayons le pouvoir de nous apercevoir à l’état idéal de pur esprit. […] Il y a là une conscience de répulsion réciproque qui est l’origine de l’idée d’impénétrabilité ; cette conscience établit entre les choses une barrière, une séparation plus profonde que ne le pourraient faire, à eux seuls, les signes locaux. […] Il y a donc là quelque chose de vraiment externe qui se détache de la conscience du moi.

49. (1907) L’évolution créatrice « Chapitre III. De la signification de la vie. L’ordre de la nature et la forme de l’intelligence. »

Plus la conscience s’intellectualise, plus la matière se spatialise. […] Tout ce qu’il y a d’éclairé dans votre conscience est intelligence. […] Radicale aussi, par conséquent, est la différence entre la conscience de l’animal, même le plus intelligent, et la conscience humaine. […] Avec l’homme, la conscience brise la chaîne. […] La conscience, chez l’homme, est surtout intelligence.

50. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre troisième. Le souvenir. Son rapport à l’appétit et au mouvement. — Chapitre premier. La sélection et la conservation des idées dans leur relation à l’appétit et au mouvement. »

Voilà donc la conscience reléguée humblement parmi les accessoires, — la conscience sans laquelle nous ne pourrions penser ni à notre cerveau, ni à l’univers, ni à ses lois mécaniques ou biologiques, et sans laquelle nous ne nous poserions pas le problème de la mémoire. Pour beaucoup de psychologues au contraire, par exemple James Sully, l’acte que l’on considère ainsi comme l’accidentel est précisément l’essentiel : se rappeler le Colisée, c’est avant tout avoir conscience d’une image actuellement présente à l’esprit et la reconnaître identique à un état de conscience passé. […] Il y a dans la conscience un conflit de représentations possibles dont chacune fait effort pour survivre ou revivre. […] Les états de conscience primitifs sont donc ou des actes ou des sensations, et les émotions sont des intermédiaires. […] C’est en effet ce qui a lieu d’ordinaire, mais, selon nous, on peut aussi reproduire incomplètement dans la conscience l’élément pénible du mal de dents.

51. (1884) Cours de philosophie fait au Lycée de Sens en 1883-1884

Il étudie des états de conscience qui sont des faits. […] Tous s’expliquent aussi bien dans le cas d’une conscience extrêmement faible que dans celui d’une conscience absolument nulle. […] Supprimez-le, il n’y a plus d’états de conscience. […] Les états de conscience inconscients qu’admet M.  […] Enlevons par la pensée ces états de conscience.

52. (1870) La science et la conscience « Chapitre III : L’histoire »

Combien en est-il qui aient su faire de grandes choses sans qu’il en coûtât rien à leur conscience ? […] La première doctrine n’est pas moins contredite en histoire qu’en psychologie par la conscience du genre humain. […] La conscience est là, dira-t-on, pour vous commander l’action. […] Car c’est en mettant en jeu des forces sans conscience et sans liberté que tous ces maîtres des peuples ont gouverné leur troupeau humain. […] La première obéit aux lois de la force, la seconde à celles de la conscience et de la raison.

53. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre premier. La solidarité sociale, principe de l’émotion esthétique la plus complexe »

En d’autres termes, l’art de l’expression élargit dans des limites jusque-là inconnues la communicabilité des consciences. […] Tout le perfectionnement de la conscience humaine ne fait donc qu’augmenter la primitive solidarité inconsciente des systèmes nerveux. […] Notre conscience, selon les recherches les plus récentes des psychologues, malgré son unité apparente, est elle-même une société, une harmonie entre des phénomènes, entre des états de conscience élémentaires, peut-être entre des consciences cellulaires. […] La conscience individuelle même est donc déjà sociale, et tout ce qui retentit dans notre organisme entier, dans notre conscience entière, prend un aspect social. […] Aussi l’art joue-t-il un rôle considérable dans cette pénétrabilité croissante des consciences qui marque chaque progrès de l’évolution.

54. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre deuxième. L’émotion, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre premier. Causes physiologiques et psychologiques du plaisir et de la douleur »

« Une manière d’être que nous cherchons à produire dans la conscience et à y retenir », répond Spencer. […] Mais James Ward, comme Herbart et Wundt, concentre trop toute qualité dans la représentation, dans le côté intellectuel de la conscience. […] Au contraire la douleur, venant d’une cause qui offense les nerfs, nous donne la conscience d’une faiblesse et d’une impuissance. […] Pour lui, la vie est un effort continuel, et la conscience de cet effort est, à un degré plus ou moins intense, douleur. […] Ou c’est la perspective d’entrer dans un état futur, ou c’est la simple conscience de quitter l’état présent.

55. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Préface de la seconde édition »

En effet, quoiqu’ils nous soient intérieurs par définition, la conscience que nous en avons ne nous en révèle ni la nature interne ni la genèse. […] Car, à tout le moins, chacun de nous n’y prend part que pour une infime partie ; nous avons une multitude de collaborateurs et ce qui se passe dans les autres consciences nous échappe. […] Ils sont donc, en ce sens, extérieurs aux consciences individuelles, considérées comme telles, de même que les caractères distinctifs de la vie sont extérieurs aux substances minérales qui composent l’être vivant. […] Mais les états de la conscience collective sont d’une autre nature que les états de la conscience individuelle ; ce sont des représentations d’une autre sorte. […] La pression exercée par un ou plusieurs corps sur d’autres corps ou même sur des volontés ne saurait être confondue avec celle qu’exerce la conscience d’un groupe sur la conscience de ses membres.

56. (1870) La science et la conscience « Chapitre I : La physiologie »

La question n’est plus entre la science et la métaphysique ; elle est entre la science et la conscience, entre la science et la morale. […] Dans ce débat entre la science et la conscience, l’opinion du monde savant semble quelque peu complice de la physiologie. […] En tout cas, rien n’est plus contradictoire au témoignage de la conscience qu’une pareille conclusion. […] Mais la conscience proteste contre de telles conclusions. […] Contre les premières, la conscience proteste ; il n’y a pas d’hypothèse, si ingénieuse qu’elle soit, qui ne tombe devant un fait de conscience, tel que le sentiment de notre causalité libre.

57. (1889) L’art au point de vue sociologique « Préface de l’auteur »

La chimie ne faisait que naître avec Lavoisier ; la vraie physiologie était encore à venir : on ne cherchait guère alors à pénétrer dans l’intérieur de l’organisme, à sonder la cellule vivante ou l’atome, encore moins la conscience. […] D’un autre côté l’individu, que l’on considérait comme isolé, enfermé dans son mécanisme solitaire, est apparu comme essentiellement pénétrable aux influences d’autrui, solidaire des autres consciences, déterminable par des idées et sentiments impersonnels. […] De ces cas maladifs, qui sont les plus faciles à connaître, on passera peu à peu aux phénomènes d’influence normale entre les divers cerveaux et, par cela même, entre les diverses consciences. Le dix-neuvième siècle finira par des découvertes encore mal formulées, mais aussi importantes peut-être dans le monde moral que celles de Newton ou de Laplace dans le monde sidéral : attraction des sensibilités et des volontés, solidarité des intelligences, pénétrabilité des consciences. […] C’est ainsi que le déterminisme, qui, en nous déniant cette forme de pouvoir personnel qu’on appelle libre arbitre, semblait d’abord n’avoir qu’une influence morale dépressive, paraît aujourd’hui donner naissance à des espérances métaphysiques, très vagues encore, mais d’une portée illimitée, puisqu’il nous fait entrevoir que notre conscience individuelle pour rait être en communication sourde avec toutes les consciences, et que d’autre part la conscience, ainsi épandue dans l’univers, y doit avoir, comme la lumière ou la chaleur, un rôle important, capable sans doute de s’accroître et de s’étendre dans les siècles à venir.

58. (1911) La valeur de la science « Première partie : Les sciences mathématiques — Chapitre II. La mesure du temps. »

Bien plus, nous voulons y faire rentrer les faits physiques, ces je ne sais quoi dont nous peuplons l’espace et que nulle conscience ne voit directement. […] Voilà deux consciences qui sont comme deux mondes impénétrables l’un à l’autre. […] Quand je dis qu’un phénomène physique, qui se passe en dehors de toute conscience est antérieur ou postérieur à un phénomène psychologique, qu’est-ce que je veux dire ? […] Voilà deux faits qui ont eu pour théâtre deux consciences différentes. […] Notre conscience nous apprend immédiatement que B′ précède C′ et nous admettons que B et C se succèdent dans le même ordre.

59. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « Conclusion »

La psychologie a pour objet les faits de conscience, leurs lois, leurs causes immédiates, leurs conditions. […] Le premier fait fondamental, celui qui constitue la conscience, c’est la perception d’une différence. Le second fait fondamental, celui qui continue la conscience, c’est la perception d’une ressemblance. […] Le rapport de succession est le plus simple : il constitue le fait de conscience primitif. […] Sans doute, puisqu’ils sont le résultat de la totalité des états de conscience qui précèdent la résolution, et que cet ensemble d’états de conscience est notre moi.

60. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre troisième. Les sensations — Chapitre premier. Les sensations totales de l’ouïe et leurs éléments » pp. 165-188

Donc le son qu’elle donne en une seconde, lorsqu’elle est pourvue de toutes ses dents, comprend mille sons pareils, successifs et perceptibles à la conscience. […] Maintenant, dans le passage du grave à l’aigu, que deviennent ces sensations élémentaires dont nous avons conscience ? […] La conscience ne distingue plus même vaguement les petites sensations composantes ; le son total paraît un et uni. — En même temps, il revêt une nouvelle apparence ; il semble aminci et effilé. […] Mais il lui faut toujours une de ces deux unions pour arriver à la conscience ; elle a besoin d’être grossie pour être distinguée. […] Ils peuvent même, comme on vient de le voir pour les sensations du son, avoir divers degrés de composition et de recul au-delà des prises de la conscience.

61. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre II. La parole intérieure comparée à la parole interieure »

qu’est-ce qui distingue, pour le psychologue, un état de conscience trop faible pour être observé d’un état inconscient [ch. […] Elle nous conduit uniquement à considérer comme possible ou probable une conscience infinitésimale de l’image tactile ; or, à ce degré inobservable, nous n’avons jamais nié l’image tactile. […] Un état passé et oublié qui revient à la conscience, s’il est reconnu, est par là même affirmé mien : on ne se souvient que de soi-même. […] Les psychologues ont souvent pris pour des observations de conscience l’analyse logique des notions qui composent la psychologie du sens commun. […] Une conscience décroissante en vertu de l’habitude peut-elle arriver à zéro ?

62. (1913) Le bovarysme « Quatrième partie : Le Réel — III »

De même que la réalité psychologique est un compromis entre un principe d’acte et un principe de contemplation, on peut remarquer tout d’abord, en ce qui touche à l’objet considéré isolément, qu’il apparaît et prend forme sous le regard de la conscience, à la suite d’un compromis entre un principe de mouvement et un principe d’arrêt. […] L’intervention de la mémoire, élément indispensable du fait de conscience, a pour effet de resserrer dans la minute présente et de maintenir unis ensemble deux tronçons de la durée qui tendent à se séparer l’un de l’autre, s’enfuyant vers les directions opposées de l’avenir et du passé. […] L’état de conscience, qui suppose pour se constituer l’intervention de ce principe d’arrêt, persiste, se perfectionne et s’amplifie par l’exercice du même principe. La conscience s’empare des phénomènes et les possède d’autant mieux qu’ils s’écoulent plus lentement : passé un certain degré de véhémence, elle cesse de percevoir, avec le changement qui est le mode du mouvement dans l’objet, l’objet lui-même. […] Elle est du mouvement ralenti, au degré et dans les limites où la perception dans la conscience de l’objet par le sujet devient et demeure possible.

63. (1874) Premiers lundis. Tome II « Jouffroy. Cours de philosophie moderne — III »

Jouffroy, le moi n’y est que pour les sensations qu’il éprouve ; la force vitale y est pour les fonctions qu’elle remplit, et dont le moi n’a pas la conscience ni le secret. […] Ce moi supérieur et complet, cette vie réelle et vraiment vivante, ce sentiment au sein duquel la conscience réfléchie, c’est-à-dire la connaissance, n’est qu’un redoublement plus marqué, échappe aux psychologistes qui se laissent prendre sans cesse à leurs propres abstractions. […] Ils se réduisent à l’intelligence, comme si l’homme n’était que cela ; ils appellent conscience le sentiment que le principe intelligent a de lui-même, comme si c’était là tout le sentiment dans l’homme ; les phénomènes qui se passent hors de la portée de la conscience ainsi définie sont déclarés extérieurs au moi véritable, étrangers à l’homme réel. « Le principe intelligent (le moi, l’homme), disent-ils, ne peut avoir conscience de la contraction musculaire, de la digestion, de la circulation du sang, parce que c’est le muscle qui se contracte, l’estomac qui digère, le sang qui circule et non pas lui. […] Mais la conscience des psychologistes, c’est-à-dire le sentiment que le principe intelligent a de lui-même, n’est qu’un cas particulier, une manifestation concentrée et restreinte de la sensibilité générale et de la vie.

64. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Chapitre I. De la sélection des images, pour la représentation. Le rôle du corps »

D’où vient que cette perception est conscience, et pourquoi tout se passe-t-il comme si cette conscience naissait des mouvements intérieurs de la substance cérébrale ? […] La conscience — dans le cas de la perception extérieure — consiste précisément dans ce choix. […] En ce même point P la conscience perçoit de la lumière. […] Percevoir consciemment signifie choisir, et la conscience consiste avant tout dans ce discernement pratique. […] Dans la seconde, le rôle de la conscience est nettement défini : conscience signifie action possible ; et les formes acquises par l’esprit, celles qui nous en voilent l’essence, devront être écartées à la lumière de ce second principe.

65. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre VII. Le cerveau et la pensée : une illusion philosophique »

Pour l’idéaliste, il n’y a rien de plus, dans la réalité, que ce qui apparaît à ma conscience ou à la conscience en général. […] Il est toujours présent, mais la conscience en détourne son attention tant qu’elle n’a pas quelque raison de le considérer. […] Tous s’accorderont néanmoins à dire qu’à un état cérébral déterminé, correspond un état de conscience déterminé, et que les mouvements intérieurs de la substance cérébrale, considérés à part, livreraient, à qui saurait les déchiffrer, le détail complet de ce qui se passe dans la conscience correspondante. […] La conscience, pour percevoir l’univers sans se déranger, n’a plus alors qu’à se dilater dans l’espace restreint de l’écorce cérébrale, véritable « chambre noire » où se reproduit en réduction le monde environnant. […] Alors, comme il n’y a pas d’état de conscience qui n’ait son concomitant cérébral, comme une variation de l’état cérébral ne va pas sans une variation de l’état de conscience (quoique la réciproque ne soit pas nécessairement vraie dans tous les cas), comme enfin une lésion de l’activité cérébrale entraîne une lésion de l’activité consciente, on conclut qu’à une fraction quelconque de l’état de conscience correspond une partie déterminée de l’état cérébral, et que l’un des deux termes est par conséquent substituable à l’autre.

66. (1913) Le bovarysme « Quatrième partie : Le Réel — II »

Au contraire le poète, qui meurt d’amour ou de jalousie, revient à la vie dès que sa passion, reflétée dans le miroir de sa conscience, s’est objectivée en ses strophes. […] Ainsi une hypertrophie de l’activité de la conscience a pour effet chez l’individu de supprimer l’activité passionnelle. Avec l’abolition totale de cette activité, voici abolie, avec l’objet qui se reflétait dans la conscience, l’activité elle-même de la conscience où plus rien n’apparaît, Nietzsche s’est élevé avec force dans son Zarathoustracontre ces purs contemplatifs, contre ces dévots « de l’immaculée connaissance » qui se posent devant la réalité objective ainsi que des miroirs aux cent faces et ne veulent être que des reflets, renonçant, pour mieux connaître, à se mêler aux acteurs du drame phénoménal et retranchant de leur âme toute passion et tout désir. […] Ils ne témoignent par la suite qu’ils furent pourtant accomplis, que par leurs conséquences, perçues et appréciées en un temps postérieur, alors que la complexité des nouveaux actes à commettre a fait surgir chez l’individu l’apparition de la conscience. […] En idéalisant l’hypothèse on irait jusqu’à imaginer une vie humaine devenue entièrement automatique où la conscience n’apparaîtrait jamais et que l’on ne conçoit, à vrai dire, soustraite au néant, que par l’acte de perception consciente que l’on fait en l’imaginant.

67. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre VII : Théorie de la raison par M. Cousin »

., des jugements et des idées que fournissent les sens et la conscience. […] Donc les axiomes ou jugements nécessaires ne peuvent être tirés des jugements portés par la conscience et les sens. […] J’aperçois mes sensations par la conscience. […] Soit un corps connu par le toucher ou une sensation étendue observée par la conscience. […] Vous avez employé l’expérience des sens ou de la conscience pour former l’idée d’un objet réel étendu.

68. (1904) Essai sur le symbolisme pp. -

Car, tant que le mystique garde en lui, en sa conscience spontanée, son intuition, tout va bien. […] Contempteur de la conscience spontanée, le parnassien demeure à la superficie de son être, ne traduit que des relations. […] Autrement dit, la matière, donnée originellement à notre conscience, est un continu ; mettez en présence de la matière une conscience, aussitôt cette continuité se brise, apparaît sous forme de discontinuité, parce qu’on ne peut se représenter la conscience et la matière se développant avec le même rythme de durée. La matière a comme une respiration intérieure plus rapide que la conscience. […] Essai sur les données immédiates de la conscience, p. 99.

69. (1891) Esquisses contemporaines

La conscience loyalement interrogée s’y refuse. […] La conscience ! […] Toute sa conscience passe dans sa logique. […] L’impératif de conscience s’impose et ne se propose pas. […] Et qu’y peuvent les protestations de la conscience ?

70. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre troisième. Le souvenir. Son rapport à l’appétit et au mouvement. — Chapitre quatrième. L’aperception et son influence sur la liaison des idées »

Pour Kant, l’aperception est l’activité spontanée de l’esprit qui réunit la variété de l’intuition dans l’unité de la conscience. L’aperception empirique, dit Kant, donne l’unité au contenu des sensations, l’aperception transcendantale est une forme pure : c’est la conscience que toutes nos représentations, pour être pensées, doivent être en relation avec le je pense ; c’est la condition fondamentale de toute connaissance. […] Enfin pour Wundt, on s’en souvient, si la perception est l’entrée d’une représentation dans le champ visuel de la conscience, l’aperception est la mise au point de vision distincte, œuvre de la volonté, acte essentiel de la volonté. […] Nous avons vu que Spencer admet une association spontanée de chaque état de conscience avec la classe, l’ordre, le genre, la variété des états de conscience antérieurs et semblables ; cette association est un acte de pensée qui ne peut jamais manquer dans un être doué de cerveau ; elle enveloppe la reconnaissance même de chaque état de conscience : c’est grâce à elle que les changements intérieurs, au lieu d’être une pure succession de changements sans lien, deviennent une combinaison de changements organisés et conscients de leurs rapports. […] La théorie de Wundt sur ce point n’est pas sans analogie avec celle de Renouvier, qui place la liberté dans le pouvoir de maintenir une représentation sous le regard de la conscience ou, au contraire, de la laisser passer sans y faire attention.

71. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Note III. Sur l’accélération du jeu des cellules corticales » pp. 400-404

Cependant je ne me rappelle pas un seul événement de ma vie dont j’aie pu apprécier la durée avec plus de certitude, dont les détails soient mieux gravés dans ma mémoire, et dont j’aie la conscience mieux affermie. » Une troisième observation du même genre m’est communiquée par M.  […] Et ce n’est point ici une impression vague et générale de déplacement, mais une succession de détails très précis et tout aussi nets que ceux d’un voyage réel, sauf certaines lacunes d’idées par suite desquelles mes souvenirs passent d’une situation à l’autre sans avoir conscience de la transition. […] C’était une forêt de sapins dont les branches inférieures n’avaient presque pas de feuilles, étant à moitié desséchées, grisâtres, couvertes de poussière, d’où pendaient de ces lichens gris filamenteux qu’on nomme barbes de capucin, et entre lesquelles étaient tendues beaucoup de toiles d’araignée ; j’y marchais, ayant conscience de suivre un guide que je ne voyais pas. […] Au détour de la roche, je vis s’ouvrir un petit col, dominant une vaste plaine, d’où venait en effet la lumière. — Ici, il y a une lacune, car, sans transition, je me trouve être à cheval au milieu de ; cette plaine, ayant encore conscience d’un guide qui marchait après moi, mais que je ne voyais pas. […] Il y avait déjà du monde et des moutons. — Je m’y trouvai sans avoir conscience d’être descendu de cheval, mais derrière moi était le cheval, que tenait par la bride le guide que je vis alors et qui était vêtu d’une veste bleue.

72. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Chapitre II. De la reconnaissance des images. La mémoire et le cerveau »

Mais le mécanisme en voie de construction ne saurait apparaître à la conscience sous la même forme que le mécanisme construit. […] De degré en degré, on sera amené à définir l’attention par une adaptation générale du corps plutôt que de l’esprit, et à voir dans cette attitude de la conscience, avant tout, la conscience d’une attitude. […] Par hypothèse, en effet, les souvenirs auditifs peuvent être rappelés à la conscience ; par hypothèse aussi les impressions auditives arrivent à la conscience : il doit donc y avoir, dans la conscience même, une lacune, une solution de continuité, quelque chose enfin qui s’oppose à la jonction de la perception et du souvenir. […] Mais qu’est-ce que cette reconnaissance complète, arrivée à la pleine conscience d’elle-même ? […] Mais interrogeons notre conscience.

73. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. James Mill — Chapitre I : Sensations et idées. »

Ce sont les deux états de conscience primitifs. […] Après avoir parlé, dit-il28, des états de conscience simples, nous devons passer aux états complexes. […] La conscience est le nom de nos sentiments pris un à un ; l’imagination est le nom d’une suite de sentiments ou idées. […] Dans l’un et l’autre cas, la reconnaissance du souvenir, comme appartenant au passé, est une idée très complexe qui consiste en ces trois principaux éléments : 1° un état de conscience actuel que nous appelons le moi se souvenant ; 2° un état de conscience que nous appelons le moi qui a perçu ou conçu ; 3° les états de conscience successifs qui remplissent l’intervalle entre ces deux points. […] Quand je dis que je me rappelle l’incendie du théâtre de Drury-Lane ; dire que je me rappelle cet événement et que j’y crois, c’est dire la même chose : ce sont deux états de conscience indiscernables.

74. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre IX. La pensée est-elle un mouvement ? »

Par la conscience, je ne puis saisir en moi ni forme, ni figure, ni mouvement, et par les sens, au contraire, qui me donnent la figure et le mouvement, je ne puis saisir la pensée. […] La chaleur sentie est donc, comme la lumière sentie, un phénomène tout subjectif, qui implique la présence de la conscience, non pas sans doute de la conscience philosophique et réfléchie, mais d’une conscience proportionnée à la sensation même. […] Car si je demande comment un sujet composé peut parvenir à l’unité de conscience, les matérialistes ne peuvent répondre sans une manifeste contradiction ; tandis que je comprends sans difficulté qu’un sujet substantiellement un ait conscience de son unité. […] Quant à ce point que l’unité de conscience suppose une unité effective, nous ne pouvons que renvoyer à ce que nous avons écrit ailleurs74. […] La pensée résulte du conflit qui s’établit entre les forces cérébrales dépositaires des actions extérieures et la force interne ou force pensante, principe d’unité, seul centre possible de la conscience individuelle.

75. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre IV. Comparaison des variétés vives et de la forme calme de la parole intérieure. — place de la parole intérieure dans la classification des faits psychiques. »

Et pourtant l’habitude a pour effet de faire évanouir peu à peu jusqu’au néant tous les phénomènes de conscience ; pour arracher ses phénomènes à cette mort naturelle, l’âme n’a qu’une ressource, l’attention, c’est-à-dire la volonté. […] Un semblable idéal ne saurait être conçu pour l’imagination, car l’innovation expérimentale ne se suffit pas à elle-même ; elle suppose tout au moins des atomes d’états de conscience qui ne sont pas nouveaux et qui se laissent arranger capricieusement. […] Or l’âme (du moins l’âme empirique, qui seule nous occupe ici) est une succession consciente, ou une conscience successivement variée. L’habitude tend à supprimer de l’âme et la succession et la conscience ; l’habitude est donc une puissance destructive des caractères spécifiques de l’âme ; l’habitude est la mort progressive de l’âme apparente. […] Aussi devient-il sans peine une chose de l’âme, et la parole intérieure est bientôt pour la conscience le phénomène principal de la pensée [ch.

76. (1911) L’attitude du lyrisme contemporain pp. 5-466

Vielé-Griffin est cette conscience. […] Chacun de nos actes quotidiens est l’expression de cette conscience de l’absolu. […] L’examen de conscience de toute une génération. […] Aussi bien s’agit-il d’une affaire de conscience. […] Or qu’est-ce que la conscience ?

77. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre deuxième. L’émotion, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre deuxième. Rapports du plaisir et de la douleur à la représentation et à l’appétition »

Il ne suffit pas d’ajouter à l’estimation l’inconscience pour la changer en une conscience de plaisir ou de douleur. […] Supprimez le spectateur, il y aura bien connexion objective des choses l’une avec l’autre, mais point de représentation, sinon virtuelle, point d’expression du multiple dans le simple, point de perception, sinon pour une conscience possible. Une perception non consciente n’est perception que pour une autre conscience qui la perçoit ; sinon, elle n’est plus perception et représentation que par métaphore. […] Une sensation violente enlève la perception et le discernement ; si nous buvons une tasse de café bouillant, nous ne discernons nettement ni le goût du café ni la place où la brûlure a lieu ; la douleur seule remplit la conscience, et non ses relations. […] Point de plaisir, si matériel, si grossier et simple qu’il soit, qui ne renferme une forme rudimentaire d’activité intellectuelle, par cela même qu’il est un fait de conscience et que la conscience ne s’y sent pas isolée, mais en contact avec quelque autre chose qui lui résiste ou lui cède.

78. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « III — Les deux cathédrales »

Et lorsqu’il eut trouvé, la conscience humaine surgit claire, inéluctable, impérieuse, toute puissante. […] On comprend facilement la portée prodigieuse de cette révolution dont la conscience de l’homme fut le théâtre. […] La conscience humaine n’est qu’une infime mais lumineuse parcelle de la conscience de l’Univers. Toute vérité miraculeusement révélée perd sa valeur ; toute réelle vérité provient de la conscience et du cerveau de l’homme. […] Mais les plis du manteau ne dissimulent pas l’anachronisme de sa conscience.

79. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « L’Angleterre depuis l’avènement de Jacques II »

Jacques II, lui, fut chassé pour avoir cru que les concessions avaient perdu son père et pour avoir voulu maintenir la prérogative que, dans sa conscience, il croyait son droit. […] La conscience du peuple n’eut pas raison de la conscience du Roi, mais le Roi tomba et devait tomber. […] Ils n’ont oublié qu’une chose, — la conscience religieuse, qu’ils eurent si forte, eux ! […] Mais la conscience fait aussi une gloire à ceux qui se dévouent pour elle, et elle a revêtu dans son tombeau la race ensevelie des Stuarts d’un suaire incorruptible au temps et lumineux comme une auréole ! […] Peut-être viendra-t-il un jour où Jacques II apparaîtra enfin, aux yeux mêmes de ses ennemis, ce qu’il fut réellement dans l’Histoire, — une conscience.

80. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre X. L’antinomie juridique » pp. 209-222

Après avoir eu tout d’abord exclusivement le caractère d’une institution sociale, d’une force sociale contraignante, le droit est devenu de plus en plus un sentiment de la conscience individuelle. […] Peu importe au fond que l’une des deux parties ou peut-être les deux se sentent et se croient, dans l’intimité de leur conscience, lésées par le jugement rendu. […] Le juge ne peut descendre dans l’intimité des consciences, sonder les reins et les cœurs ; il ne peut apprécier que d’une façon très imparfaite et approximative les conditions, les circonstances, les mobiles d’un acte. […] Aucune évolution du droit ne supprimera non plus l’écart entre le sentiment de la justice, tel qu’il est ressenti par chaque conscience individuelle et la satisfaction que le droit existant donne à ce sentiment. La fin du droit, quoi qu’on fasse, n’est pas de donner satisfaction au sentiment de justice éprouvé par les consciences individuelles, mais de sauvegarder l’ordre social.

81. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre quatrième. Les conditions physiques des événements moraux — Chapitre premier. Les fonctions des centres nerveux » pp. 239-315

Ainsi, par-delà le monde psychologique observable à la conscience, s’étend à l’infini un monde psychologique que la conscience n’atteint pas. […] D’innombrables courants intellectuels cheminent ainsi dans notre intelligence et dans notre cerveau, sans que nous en ayons conscience ; et ordinairement ils n’apparaissent à la conscience qu’au moment où, devenant moteurs, ils entrent dans un autre lit. […] Toute idée, voulue ou non, claire ou obscure, complexe ou simple, fugitive ou persistante, implique un mouvement moléculaire déterminé dans les cellules cérébrales. — Mais, outre les événements moraux perceptibles à la conscience, le mouvement moléculaire des centres nerveux éveille encore des événements moraux imperceptibles à la conscience. […] On le limite d’habitude aux événements dont nous avons conscience ; mais il est clair maintenant que la capacité d’apparaître à la conscience n’est propre qu’à certains de ces événements ; la majorité ne l’a pas. […] D’où il suit que, si nous trouvons ailleurs une structure nerveuse, des excitations, des réactions, bref tous les accompagnements et toutes les indications physiques que nous avons rencontrés autour des événements moraux dont nous avons conscience, nous aurons le droit de conclure là aussi à la présence d’événements moraux que notre conscience n’atteint pas.

82. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre troisième. Les sensations — Chapitre II. Les sensations totales de la vue, de l’odorat, du goût, du toucher et leurs éléments » pp. 189-236

Le nombre n’a pu en être fixé ; il est probablement beaucoup plus grand ; peut-être, pour l’ondulation éthérée comme pour l’ondulation aérienne, il suffit de deux vibrations successives pour produire une sensation perceptible encore à la conscience ; en ce cas, la plus courte sensation de lumière perceptible à la conscience serait composée, comme la plus courte sensation de son perceptible à la conscience, de deux sensations élémentaires imperceptibles à la conscience et douées chacune d’un maximum, d’un minimum et d’intermédiaires. — Sans pousser l’induction si loin, le cas de l’étincelle électrique montre que la sensation de lumière, comme la sensation d’un son très aigu, est composée d’une suite continue de sensations très nombreuses, successives et semblables qui, pour nous, forment un bloc indécomposable et simple. […] « Dès que ces malades cessent de voir leurs membres, ils n’ont plus conscience de leur position ni même de leur existence. […] Une sensation dont nous avons conscience est un composé de sensations plus simples, qui sont elles-mêmes composées de sensations plus simples, et ainsi de suite. […] À son tour, chacune de ces petites sensations est composée de deux sensations élémentaires successives, lesquelles isolées ne sont pas aperçues par la conscience. […] Cette analyse dégage trois principes importants. — Le premier est que deux sensations successives qui, séparées, sont nulles pour la conscience, peuvent, en se rapprochant, former une sensation totale que la conscience aperçoit. — Le second est qu’une sensation indécomposable pour la conscience, et en apparence simple, est un composé de sensations successives et simultanées, elles-mêmes fort composées. — Le troisième est que deux sensations de même nature et qui diffèrent seulement par la grandeur, l’ordre et le nombre de leurs éléments, apparaissent à la conscience comme irréductibles entre elles et douées de qualités spéciales absolument différentes. — Armés de ces trois principes, nous concevons la nature et la diversité des sensations des autres sens.

83. (1828) Introduction à l’histoire de la philosophie

Étudiez l’humanité tout entière, en vous d’abord et dans votre conscience, puis dans cette conscience du genre humain qu’on appelle l’histoire. […] Voilà l’opposition mutuelle dans laquelle nous nous saisissons ; cette opposition est permanente dans la conscience, elle dure tant qu’il y a conscience. […] N’y a-t-il pas autre chose dans la conscience ? […] En effet, la pensée, la conscience exige qu’il y ait toujours dans la conscience quelqu’un des éléments nécessaires de la conscience. […] Dieu, le moi, le non-moi sont les trois objets permanents de la conscience ; non seulement on les trouve dans la conscience, telle qu’elle est développée actuellement, mais on les trouve dans le premier fait de conscience comme dans le dernier.

84. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Avant-propos de la septième édition »

Mais, d’autre part, il envisage corps et esprit de telle manière qu’il espère atténuer beaucoup, sinon supprimer, les difficultés théoriques que le dualisme a toujours soulevées et qui font que, suggéré par la conscience immédiate, adopté par le sens commun, il est fort peu en honneur parmi les philosophes. […] Notre interlocuteur soutiendrait toujours que l’objet existe indépendamment de la conscience qui le perçoit. […] Que l’on considère, en effet, la pensée comme une simple fonction du cerveau et l’état de conscience comme un épiphénomène de l’état cérébral, ou que l’on tienne les états de la pensée et les états du cerveau pour deux traductions, en deux langues différentes, d’un même original, dans un cas comme dans l’autre on pose en principe que, si nous pouvions pénétrer à l’intérieur d’un cerveau qui travaille et assister au chassé-croisé des atomes dont l’écorce cérébrale est faite, et si, d’autre part, nous possédions la clef de la psychophysiologie, nous saurions tout le détail de ce qui se passe dans la conscience correspondante. […] Qu’il y ait solidarité entre l’état de conscience et le cerveau, c’est incontestable. […] Fût-il doué d’une intelligence surhumaine, eût-il la clef de la psychophysiologie, il ne serait éclairé sur ce qui se passe dans la conscience correspondante que tout juste autant que nous le serions sur une pièce de théâtre par les allées et venues des acteurs sur la scène.

85. (1927) Quelques progrès dans l’étude du cœur humain (Freud et Proust)

Autrement dit : Nous ne sommes jamais tout entiers disponibles pour notre esprit, tout entiers objets de conscience. […] Poussant à bout l’idée de Freud, je dirai qu’avoir conscience c’est être hypocrite. […] Un sentiment, un désir n’entrent dans la conscience qu’à la condition de ne pas paraître ce qu’ils sont. […] Représentation merveilleuse du mécanisme par lequel il affleure de temps en temps dans la conscience. […] C’est un hôte de la conscience extrêmement rare et fugitif, mais il existe.

86. (1894) Dégénérescence. Fin de siècle, le mysticisme. L’égotisme, le réalisme, le vingtième siècle

Ils remplissent la conscience, qui les réunit en un jugement. […] La conscience obtient une image défigurée et vague du monde extérieur. […] Une seule aperception ou un seul groupe d’aperceptions remplit la conscience. […] La conscience est comme inondée d’une aveuglante lumière de midi. […] Que l’on ne tue jamais sans motif, c’est ce que sait la conscience.

87. (1890) L’avenir de la science « II »

Pour nous, arrivés au grand moment de la conscience, il ne s’agit plus de dire. […] Ce n’est pas du premier coup que l’homme arrive à la conscience de sa force et de son pouvoir créateur. […] Il semble naturel de croire que la grâce vient d’en haut ; ce n’est que bien tard qu’on arrive à découvrir qu’elle sort du fond de la conscience. […] Aristote est déjà un savant réfléchi, qui a conscience de son procédé, qui fait de la science et de la philosophie comme Virgile faisait des vers. […] Le seul moyen de ramener l’ancien ordre de choses, c’est de détruire la conscience en détruisant la science et la culture intellectuelle.

88. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre IV. Le rêve »

Un contact, une pression arrivent encore à la conscience pendant qu’on dort. […] D’autre part, croyant ne pas dormir, vous n’aviez pas conscience d’être couché. […] Surtout, il y a des fragments de souvenirs brisés que la mémoire ramasse çà et là, et qu’elle présente à la conscience du dormeur sous une forme incohérente. […] Tu choisis parmi tes sensations, puisque tu rejettes de ta conscience mille sensations « subjectives » qui reparaissent aussitôt que tu t’endors. […] , si mon corps recule instinctivement sans que j’aie même conscience d’avoir peur, je pourrai rêver, la nuit suivante, que le tramway m’écrase.

89. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre VI. Le Bovarysme essentiel de l’humanité »

Un acte libre, et qui semble supposer un choix entre plusieurs autres, exige l’intervention de la conscience : il faut admettre qu’en présence d’un acte à accomplir plusieurs réalisations possibles se reflètent par avance dans la conscience. […] Or de quelque ordre de considérations que cet être s’inspire pour prendre parti, qu’il tienne compte d’une idée morale, d’un intérêt ou d’une passion, ne voit-on pas que tous les éléments d’après lesquels il décide, s’ils figurent maintenant dans la conscience, y ont été projetés d’un lieu inconnu, par une force inconnue et que la conscience ne gouverne pas. Ils figurent dans le miroir de la conscience ou n’y figurent pas en raison de causes inappréciables et non pas selon qu’il plaît à la conscience : ils figurent chez celui-ci et sont absents chez celui-là. […] À défaut de preuves plus intimes et que tout homme, accoutumé à s’apprécier sous le jour de la morale traditionnelle, trouvera dans sa conscience, les pénalités de toutes sortes en font foi. […] Il suffit, pour expliquer comment se forme l’illusion d’un moi unique, de montrer le jeu de ces instincts divers dans la conscience.

90. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre V. La parole intérieure et la pensée. — Premier problème : leurs positions respectives dans la durée. »

et reconnaître, n’est-ce pas comprendre qu’un état de conscience a un certain genre de signification, qu’il signifie, bien que présent, un état passé ? […] Toute la doctrine de Bonald repose sur cette thèse, plutôt postulée que démontrée, que la parole intérieure et la pensée qui lui correspond sont simultanées dans la conscience [ch. […] Quels qu’ils soient, les mots qui nous viennent alors à l’esprit ont un sens ; par leur usage et par leur rapprochement, ils éveillent une pensée, et cette pensée venue avec les mots et par eux coexiste un instant dans la conscience avec la pensée qui a suscité les mots. […] IV, § 3] ; certains faits intellectuels apparaissent donc à la conscience sans qu’aucun mot leur corresponde, et si, faute d’une juste discrimination, ils ne passent pas inaperçus, ils doivent attendre un certain temps avant d’obtenir l’expression qui leur est due. […] Les grandes douleurs sont muettes, dit-on ; sans doute elles sont muettes même pour la conscience ; la parole intérieure ne fait que balbutier des monosyllabes incohérents258 ; ce qu’elle pourrait dire n’est pourtant pas absent de la conscience ; bien au contraire, la conscience en est saturée, opprimée ; mais l’âme ne peut analyser ce qu’elle éprouve ; revenue au calme, elle se comprendra elle-même en rattachant son état aux concepts généraux qui préexistaient en elle et aux mots consacrés pour les énoncer.

91. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre VI. L’effort intellectuel »

L’évocation volontaire d’un souvenir, disions-nous, consiste à traverser ces Plans de conscience l’un après l’autre, dans une direction déterminée. […] Quand nous laissons notre mémoire errer au hasard, sans effort, les images succèdent aux images, toutes situées sur un même plan de conscience. […] L’esprit reste, comme nous Le disions, sur un seul et même « plan de conscience ». […] Mais nous en avons la conscience nette quand nous conversons dans une langue étrangère que nous connaissons imparfaitement. […] Mais c’est seulement au cours d’un développement de ce genre que nous avons conscience d’un effort intellectuel.

92. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Préface » pp. 1-22

Dans cette recherche, la conscience, qui est notre principal instrument, ne suffit pas à l’état ordinaire ; elle ne suffit pas plus dans les recherches de psychologie que l’œil nu dans les recherches d’optique. […] De même que la substance spirituelle est un fantôme créé par la conscience, de même la substance matérielle est un fantôme créé par les sens. […] L’un et l’autre sont un courant d’événements homogènes que la conscience appelle des sensations, que les sens appellent des mouvements, et qui, de leur nature, sont toujours en train de périr et de naître. […] À cet égard, les manifestations spirites elles-mêmes nous mettent sur la voie des découvertes, en nous montrant la coexistence au même instant, dans le même individu, de deux pensées, de deux volontés, de deux actions distinctes, l’une dont il a conscience, l’autre dont il n’a pas conscience et qu’il attribue à des êtres invisibles. […] J’ai vu une personne qui, en causant, en chantant, écrit, sans regarder son papier, des phrases suivies et même des pages entières, sans avoir conscience de ce qu’elle écrit.

93. (1900) Taine et Renan. Pages perdues recueillies et commentées par Victor Giraud « Renan — II »

On se rappelle cet Examen de conscience philosophique où l’illustre vieillard revise les principes qui l’ont commandé dans les crises principales de son existence et déclare s’y tenir. Mais pour ceux qui savent combien était haut le sentiment de la responsabilité chez ce parfait honnête homme, il paraîtra que ses dernières préoccupations, — celles où il puisa la paix suprême, — ont été pour un examen de conscience plus intime et où il s’arrêta moins à peser les idées auxquelles il avait lié sa vie qu’à venfier la façon même dont il avait usé de la vie.‌ […] La seconde et la plus grave du suprême examen de conscience auquel M. […] Renan sortit de Saint-Sulpice, ce qu’il emportait de cette austère maison, c’était un sentiment ardent des choses de la conscience ; c’était aussi une solide méthode intellectuelle que lui avaient faite ses travaux de philologie. […] Si nous interrogeons notre conscience, nous lui devons ce témoignage, et, fût-il apporté par le plus humble, je n’en vois pas qui puisse faire un son plus beau parmi tant de paroles qu’on va jeter sur son cercueil.‌

94. (1865) La crise philosophique. MM. Taine, Renan, Littré, Vacherot

Or le plus haut degré de la concentration connu, c’est la conscience. […] Le plus haut degré de divinité que nous connaissions est la conscience humaine ; mais on peut concevoir un plus haut degré de divinité possible, ce serait une concentration de toutes les consciences de l’univers dans une conscience unique, dans une conscience absolue. […] Or dans un tel être je ne comprendrai jamais la conscience de soi-même. […] Les seules sont les données de la conscience. […] Seraient-ce seulement sa conscience et son cœur qui se soulèvent en cette occasion ?

95. (1903) La pensée et le mouvant

Entre notre conscience et les autres consciences la séparation est moins tranchée qu’entre notre corps et les autres corps, car c’est l’espace qui fait les divisions nettes. […] L’intuition nous introduirait dans la conscience en général. — Mais ne sympathisons-nous qu’avec des consciences ? […] Je dis vivants et conscients, car j’estime que le vivant est conscient en droit ; il devient inconscient en fait là où la conscience s’endort, mais, jusque dans les régions où la conscience somnole, chez le végétal par exemple, il y a évolution réglée, progrès défini, vieillissement, enfin tous les signes extérieurs de la durée qui caractérise la conscience. […] Il lui faut une matière, et cette matière ne peut lui venir que des sens ou de la conscience. […] Une conscience qui aurait deux moments identiques serait une conscience sans mémoire.

96. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre premier. Aperçu descriptif. — Histoire de la question »

Elle dirige et prépare nos relations avec nos semblables ; et quant à cette relation de l’homme avec lui-même qui est le mystère et la donnée fondamentale de notre existence, quant à la conscience, elle a pour élément, non pas nécessaire a priori [ch. […] On a parlé quelquefois par métaphore de l’œil de la conscience ; on pourrait dire, en suivant cette image, que la conscience est à la fois un œil lumineux et une oreille sonore, ou, mieux encore, une lumière qui se voit et une parole qui s’écoute elle-même ; des deux parties dont se compose cette métaphore, la première seule serait, à vrai dire, une comparaison ; la seconde, est, à quelques nuances près, la formule adéquate de la réalité. […] Or les passages descriptifs des Recherches que nous venons de citer contredisent le fait invoqué ; car ils impliquent que, dans bien des cas, l’idée précède le mot dans la conscience [ch. […] Alors seulement nous avons la conscience de nos pensées ; alors seulement nous nous idéons nous-mêmes, nous idéons les autres êtres, et les rapports qu’ils ont entre eux et avec nous »50. […] Première affirmation capitale quant à ce nouveau concept de « parole intérieure », mais elle ouvre un débat ultérieur (voir notre présentation) sur la continuité et la part de ce discours intérieur dans la pensée (voir notamment les différences avec le courant de conscience chez William James en 1890).

97. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIVe entretien. Littérature, philosophie, et politique de la Chine » pp. 221-315

La conscience et la morale ont été de vains noms pour eux dans leurs théories de gouvernement. […] Mais de la conscience privée le christianisme devait finir par s’élever dans la conscience publique par l’universalisation de ses principes de justice réciproque. […] C’est lui qui nous dicte ses lois par nos instincts naturels et qui a mis un juge en nous par la conscience. Cette conscience nous inspire et nous impose des devoirs réciproques les uns envers les autres. […] La conscience, cette révélation du sentiment inné en nous, lui donnait aussi volontairement l’autorité.

98. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « Introduction »

Des cerveaux se sont illuminés de conscience, pour lesquels ce qui avait été l’unique vérité devint l’erreur. […] A chacune de ces prises de conscience, l’âme médiévale s’obscurcissait, tandis que la plante humaine s’épanouissait sur sa tige. […] En même temps il a pris conscience de son énergie et librement il s’est mis à vivre. « Au seizième siècle, c’était la terre qui retrouvait sa vraie place dans le ciel ; aujourd’hui c’est l’homme3… ». Affranchissement de l’individu, retour aux voies de nature, acheminement de l’humanité vers sa propre conscience, telles sont les grandes lignes du nouveau devenir. […] Il n’est pas vain de rappeler aux insoucieux et aux dilettantes de la vie que l’avenir du monde est lié à la banqueroute ou au succès des principes dont nous venons de résumer l’esprit : triomphe de la pensée libre, respect de la réalité, élargissement de la conscience.

99. (1858) Du vrai, du beau et du bien (7e éd.) pp. -492

Interrogeons notre conscience. […] Encore bien moins la conscience ne fait-elle ni ces principes, ni les vérités qu’ils nous révèlent ; car la conscience n’a d’autre office ni d’autre puissance que de servir en quelque sorte de miroir à la raison. Les vérités absolues sont donc indépendantes de l’expérience et de la conscience, et en même temps elles sont attestées par l’expérience et la conscience. […] La conscience aperçoit la sensation, la volition, la pensée ; elle n’aperçoit pas leur sujet. […] Nous sommes plus sûrs d’avoir bien fait, lorsqu’au témoignage de notre conscience nous pouvons joindre celui de la conscience de nos semblables.

100. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre V. La Renaissance chrétienne. » pp. 282-410

» Ce sont là les vraies paroles de la loyauté et de la conscience. […] La conscience parlait seule, et son inquiétude était devenue une terreur. […] L’alarme de la conscience. 3. […] « Je ne puis consentir à porter ce surplis ; c’est contre ma conscience. […] Un mot revient sans cesse : Tenderness of conscience.

101. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « III — Bossuet et la France moderne »

Je sais aussi qu’il y aurait mauvaise grâce à exiger de la nation un examen de conscience, si bref fut-il, puisqu’elle a le bonheur envié de posséder la vérité indiscutable et éternelle. […] Les sincères et les probes interrogèrent leur conscience. […] La conscience allait renaître des ruines de l’ancienne foi. […] 82 » Le roi s’en fit son allié, son directeur de conscience et lui confia l’éducation du dauphin. […] Avouez-le donc, s’il reste au fond de vos consciences amères, quelque parcelle de bonne foi : votre attitude est insoutenable.

102. (1907) L’évolution créatrice « Chapitre IV. Le mécanisme cinématographique de la pensée  et l’illusion mécanistique. »

Je vais essayer cependant d’en finir avec cette conscience elle-même. […] à l’instant même où ma conscience s’éteint, une autre conscience s’allume ; — ou plutôt elle s’était allumée déjà, elle avait surgi l’instant d’auparavant pour assister à la disparition de la première. […] Or, la relation du cerveau à la conscience paraît être tout autre chose. […] Elle se communique à nos consciences individuelles, mais elle les dépasse. […] Mais la vie et la conscience sont cette montée même.

103. (1900) Taine et Renan. Pages perdues recueillies et commentées par Victor Giraud « Renan — III »

III La vérité sur la crise de conscience de M.  […] On veut y voir, pour l’ordinaire, un drame de la conscience, une de ces tragédies intérieures qui mirent, certain soir, le pauvre Jouffroy dans un état si propre à la composition littéraire. […] ∾ Maintenant il faut qu’on cesse de nous parler des luttes intimes, des angoisses religieuses, des crises de conscience d’Ernest Renan. […] Renan avait connu une crise de conscience, je crois qu’il faudrait la chercher un peu plus tard, quand il a terminé son essai sur l’Avenir de la Science et qu’après quelques tentatives, il se détermine à se conformer à la conduite dictée par les anciens : « Le philosophe doit sacrifier aux dieux de l’Empire. » Ce que Pascal formulait : « Il faut avoir une pensée de derrière la tête et juger du tout par là, en parlant cependant comme le peuple. » Cet aphorisme constitue le point essentiel du « renanisme » ; c’est à l’adopter que le maître put hésiter, parce qu’il avait l’amour de la vérité et qu’il dut lui en coûter de la taire à demi, comme il fit le plus souvent, dès sa trentième année. Mais quand il chassait de sa conscience le catholicisme qui n’y avait jamais existé, sa correspondance nous démontre jusqu’à l’évidence que ça n’était désagréable qu’à sa mère11.‌

104. (1907) L’évolution créatrice « Introduction »

Elle nous montre, dans la faculté de comprendre, une annexe de la faculté d’agir, une adaptation de plus en plus précise, de plus en plus complexe et souple, de la conscience des êtres vivants aux conditions d’existence qui leur sont faites. […] Sur d’autres voies, divergentes, se sont développées d’autres formes de la conscience, qui n’ont pas su se libérer des contraintes extérieures ni se reconquérir sur elles-mêmes, comme l’a fait l’intelligence humaine, mais qui n’en expriment pas moins, elles aussi, quelque chose d’immanent et d’essentiel au mouvement évolutif. En les rapprochant les unes des autres, en les faisant ensuite fusionner avec l’intelligence, n’obtiendrait-on pas cette fois une conscience coextensive à la vie et capable, en se retournant brusquement contre la poussée vitale qu’elle sent derrière elle, d’en obtenir une vision intégrale, quoique sans doute évanouissante ? On dira que, même ainsi, nous ne dépassons pas notre intelligence, puisque c’est avec notre intelligence, à travers notre intelligence, que nous regardons encore les autres formes de la conscience. […] Toutefois les vues que nous présentons sur ce point, comme sur les questions qui s’y rattachent, sont celles mêmes que nous avions émises, il y a longtemps déjà, dans notre Essai sur les données immédiates de la conscience (Palis, 1889).

105. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Première partie — Chapitre III. Les explications anthropologique, idéologique, sociologique »

N’allons pas jusqu’à ces affirmations mystiques : « C’est la société qui pense dans l’individu. » Seul l’individu pense, seules les consciences particulières ont l’unité, condition de ces synthèses qui sont les idées. Il n’en est pas moins vrai qu’on peut chercher, dans les rapports mêmes de ces consciences, la raison, ou du moins l’une des raisons des idées qu’elles forment. […] Les questions sont distinctes ; quand bien même on aurait, en dehors de toute considération sociologique, montré comment une certaine idée est apparue dans une conscience individuelle, il resterait à montrer comment elle s’est imposée à la conscience publique. On dira : du moment où vous accordez, comme expliquée, l’apparition d’une idée dans une conscience, le reste va de soi, la science l’explique aisément. […] L’expansion de l’idée de l’égalité n’est qu’un cas particulier des « lois de l’imitation49 » : comme de corps en corps les microbes invisibles, elle passe de conscience en conscience et fait ainsi le tour des sociétés.

106. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXIIIe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (4e partie) » pp. 1-63

L’histoire est la conscience du genre humain. Le cri de cette conscience sera la condamnation de Danton. […] En morale, il n’y a pas de partis, il n’y a qu’une conscience. […] La conscience des républicains eux-mêmes se troubla devant cet échafaud. […] L’histoire ne lit que dans la conscience des partis.

107. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre I : Qu’est-ce qu’un fait social ? »

Voilà donc des manières d’agir, de penser et de sentir qui présentent cette remarquable propriété qu’elles existent en dehors des consciences individuelles. […] La conscience publique contient tout acte qui les offense par la surveillance qu’elle exerce sur la conduite des citoyens et les peines spéciales dont elle dispose. […] Par suite, ils ne sauraient se confondre avec les phénomènes organiques, puisqu’ils consistent en représentations et en actions ; ni avec les phénomènes psychiques, lesquels n’ont d’existence que dans la conscience individuelle et par elle. […] Ainsi, dans une assemblée, les grands mouvements d’enthousiasme, d’indignation, de pitié qui se produisent, n’ont pour lieu d’origine aucune conscience particulière. […] Une pensée qui se retrouve dans toutes les consciences particulières, un mouvement que répètent tous les individus ne sont pas pour cela des faits sociaux.

108. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre III : Règles relatives à la distinction du normal et du pathologique »

Les crimes proprement dits y seront inconnus ; mais les fautes qui paraissent vénielles au vulgaire y soulèveront le même scandale que fait le délit ordinaire auprès des consciences ordinaires. […] La conscience morale de la société se retrouverait tout entière chez tous les individus et avec une vitalité suffisante pour empêcher tout acte qui l’offense, les fautes purement morales aussi bien que les crimes. […] Car ce qui leur confère ce caractère, ce n’est pas leur importance intrinsèque, mais celle que leur prête la conscience commune. […] Il faut que l’autorité dont jouit la conscience morale ne soit pas excessive ; autrement, nul n’oserait y porter la main et elle se figerait trop facilement sous une forme immuable. […] Cependant, à ce moment, cette violation était un crime, puisque c’était une offense à des sentiments encore très vifs dans la généralité des consciences.

109. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Chapitre IV. Conclusions » pp. 183-231

De tous ces groupes coexistants, celui-là est le plus important dont l’individu a le plus nettement conscience et auquel il est le plus intimement lié par ses intérêts et par ses sympathies. […] Les groupes de contiguïté, même quand ils sont de même catégorie, diffèrent profondément les uns des autres, selon leur intensité de conscience. […] Le groupe de contiguïté dont l’homme a le plus nettement conscience constitue donc la réalité acquise et actuelle. […] La faute en est à nous, qui avons créé peu à peu un abîme entre la science des faits et la conscience morale, entre le comment de l’existence et le pourquoi de nos efforts. […] Cette voie nous amènera à la conscience, et de là à la liberté en devenir.

110. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre V »

Justement il vient d’acheter un journal, la Conscience publique. […] Nous sommes dans les bureaux de la Conscience publique. […] Mais la conscience de l’homme est atteinte par son agression autant que le rôle de l’écrivain. […] C’est toujours le bohème sceptique et cynique vendant sa conscience en gros et ses opinions en détail. […] L’esprit proteste contre cette prostitution du père livrant sa conscience pour nourrir son fils ; le cœur s’attendrit et ne discute pas.

111. (1870) La science et la conscience « Avant-propos »

Avant-propos Toutes les sciences morales subissent en ce moment une crise dont le signe caractéristique peut se résumer dans cette formule : antinomie des théories de la science et des principes de la conscience. […] Si la liberté ressort des enseignements de la conscience, le déterminisme qui la supprime est la conclusion de toutes les explications de la science. […] La science et la conscience, affirmant le oui et le non sur les attributs essentiels à la nature humaine, deviennent ainsi suspectes, l’une aux savants, l’autre aux moralistes.

112. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre II. L’antinomie psychologique l’antinomie dans la vie intellectuelle » pp. 5-69

« La conscience, conclut M.  […] À la théorie de la conscience épiphénomène de la physiologie, M. Draghicesco substitue la théorie de la conscience épiphénomène de la vie sociale. […] La souplesse et l’indétermination physiologiques ont pour cortège la conscience de soi et la réflexion. […] Bergson, c’est la démarche illusoire autant qu’inévitable par laquelle la conscience pure s’est déroulée dans l’espace.

113. (1902) Le chemin de velours. Nouvelles dissociations d’idées

La conscience ne détermine aucun acte. […] Le mensonge est au contraire le signe même de la conscience, et il ne peut y avoir mensonge que là où il y a conscience pleine et active. […] Mais l’état d’homme est lié à l’existence de la conscience. […] La conscience morale, pour cet esprit simple, est absolue. […] Il n’y a pas de cas de conscience.

114. (1878) La poésie scientifique au XIXe siècle. Revue des deux mondes pp. 511-537

Et de là que de luttes et quel drame dans la conscience des générations nouvelles ! […] D’autre part, comment concilier l’individualité de la conscience avec l’universalité de la substance ? […] Tous ces mots sacrés n’ont de sens que pour l’homme ; la conscience est l’unique autel de la justice. […] Sully-Prudhomme ; il doute, il discute, il fait sa part à la science positive, il fait sa part à la conscience qui proteste. […] Cette révélation de la conscience, non expliquée, reste un mystère.

115. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « II — Se connaître »

Pourront-ils faire que nous ne soyons pas la France, que nous ne soyons pas la conscience du monde ?  […] Un exemple récent tendrait à prouver cependant que des lueurs de conscience peuvent à certains moments jaillir de cervelles bien françaises. […] Ce qui est douloureux à constater, c’est le peu d’effet produit par les avertissements sur la conscience française. […] Il faut lui supposer une conformation particulière de son être intime, pour qu’il puisse concilier le sentiment de sa faiblesse et celle de sa supériorité, la conscience de sa médiocrité et celle de sa prospérité. […] Quelques « bons esprits » penseront sans doute que l’optimisme, lorsqu’il atteint ce degré, prend un autre nom, et que le brusque éveil de la conscience française, somnolente et souriante, pourrait se produire un jour, lorsque toute possibilité de conjurer le péril aura disparu.

116. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre V : Règles relatives à l’explication des faits sociaux »

D’ailleurs, il n’y a rien dans la société que des consciences particulières ; c’est donc dans ces dernières que se trouve la source de toute l’évolution sociale. […] Les uns s’élaborent dans la conscience individuelle et tendent ensuite à s’extérioriser ; les autres sont d’abord extérieurs à l’individu, qu’ils tendent ensuite à façonner du dehors à leur image. […] Sans doute, il ne peut rien se produire de collectif si des consciences particulières ne sont pas données ; mais cette condition nécessaire n’est pas suffisante. Il faut encore que ces consciences soient associées, combinées, et combinées d’une certaine manière ; c’est de cette combinaison que résulte la vie sociale et, par suite, c’est cette combinaison qui l’explique. […] Voilà dans quel sens et pour quelles raisons on peut et on doit parler d’une conscience collective distincte des consciences individuelles.

117. (1903) Le problème de l’avenir latin

Le limes démantelé et désormais inutile, n’en subsiste pas moins dans le monde invisible des consciences.‌ […] En Hermann, la Germanie, surprise et peut-être hésitante, reprend conscience d’elle-même. […] Je crois à la nécessité positive d’une révolution de conscience. […] Ce serait comme le cœur de la communauté, le centre de son existence morale, la conscience du groupe. […] Lorsqu’on a acquis la pleine conscience du mal, on est plus près de comprendre l’exceptionnelle énergie du remède.

118. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Samuel Bailey »

salués d’applaudissements de triomphe, des milliers de savants s’emploieront à des investigations physiques presque infinitésimales ; à rechercher la composition atomique et la structure microscopique du corps ; à explorer les formes innombrables de la vie animale et végétale, invisibles à l’œil tout seul ; à découvrir des planètes qui ont parcouru, inconnues pendant des siècles, leurs orbites obscurs ; à condenser, par la puissance du télescope, en soleils et systèmes, ce qui était regardé récemment encore comme la vapeur élémentaire des étoiles ; à traduire en formules numériques l’inconcevable rapidité des vibrations qui constituent ces rayons, si fermes en apparence que les plus forts vents ne les ébranlent pas ; à mettre ainsi en vue les parties les plus mystérieuses de l’univers matériel, depuis l’infiniment loin jusqu’à l’infiniment petit ; mais l’analyse exacte des phénomènes de conscience, la distinction entre les différences, si fines pourtant et si petites, des sentiments et des opérations ; l’investigation attentive des enchaînements les plus subtils de la pensée, la vue ferme mais délicate de ces analogies mentales qui se dérobent au maniement grossier et négligent de l’observation vulgaire, l’appréciation exacte du langage et de tous ses changements de nuances et de tous ses expédients cachés, la décomposition des procédés du raisonnement, la mise à nu des fondements de l’évidence : tout cela serait stigmatisé comme un exercice superflu de pénétration, comme une perte de puissance analytique, comme une vaine dissection de cheveux, comme un tissage inutile de toiles d’araignées ? […] Bailey ne reconnaît pour les faits de conscience qu’une méthode, celle des sciences de la matière (tom. […] Nous avons vu, dans l’Introduction (§ 8), avec quelle vivacité il combat la doctrine des facultés : aussi ne classe-t-il les faits de conscience qu’en passant et en déclarant bien vite qu’il ne tient guère à sa classification. […] Les phénomènes de conscience. […] Croirait-on qu’il lui reproche d’avoir regardé la perception comme un acte analysable, au lieu d’y voir un fait de conscience indécomposable ?

119. (1913) Le bovarysme « Quatrième partie : Le Réel — V »

Mais ce geste arbitraire sitôt qu’il apparaît sous la conscience prend une signification morale et rationnelle. […] L’état quelconque du mouvement qu’il immobilise apparaît sous le regard de la conscience, comme le seul état parfait ; il emporte la foi absolue en lui-même et fait tenir le nombre illimité des possibles dans les limites qui le définissent. « Je suis, dit-il toujours, la vérité et la vie. » Et la force avec laquelle ce pouvoir d’arrêt s’affirme sous forme de vérité dans le monde moral traduit expressément le degré du pouvoir de réalisation dont il est l’interprète. […] Cet équilibre est-il trop tôt ou trop fréquemment rompu, la force d’arrêt et d’association qui contredit le pouvoir de mouvement et de dissociation s’exerce-t-elle trop faiblement, voici une série d’avatars qui n’aboutissent point à se formuler, qui ne parviennent point à ce degré de fixité où un état de conscience les enregistre. […] Par contre l’immobile, ce qui sous la contrainte d’une vérité trop forte, d’un pouvoir d’arrêt excessif vient à se figer dans la durée hors de tout changement possible, tombe au-dessous de la conscience dans l’automatisme. […] Cette confidence implique, comme loi du changement dans l’homme et sous le regard de la conscience, ce pouvoir de se concevoir autre, qui apparut dans l’œuvre de Flaubert avec un relief pathologique, et auquel on a donné le nom de Bovarysme.

120. (1904) Zangwill pp. 7-90

Par une sorte de sympathie douce, je me figure que je suis leur conscience. […] Je serais fâché que quelque chose manquât au monde ; car j’ai conscience de tout ce qu’il enferme. […] Le cerveau se décomposant, nulle conscience dans le sens ordinaire du mot ne peut persister. […] La conscience a un rapport avec l’espace, non qu’elle réside en un point, mais elle sent en un espace déterminé. […] La cause c’est l’idéal ; le but, c’est la conscience.

121. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre V. Un livre de Renan et un livre sur Renan » pp. 53-59

.) ; diverses chroniques sur d’illustres sujets ; enfin les articles sur la Tentation de saint Antoine, sur Amiel, l’Examen de conscience philosophique et la Préface, ces quatre morceaux diversement considérables. […] L’Examen de conscience philosophique rassemble sur l’univers connaissable, sur les infinis possibles, sur l’amour, lien ombilical avec la nature, sur l’excellence logiquement nécessaire du monde, sur Dieu, — ce Dieu fuyant, improbable, discuté et finalement admis comme après ballottage, — des idées que par ses dialogues, ses essais, préfaces, etc., on savait déjà être celles de ce penseur. […] Celle-ci, pratiquée patiemment, a apporté une unité à sa vie, et une unité non limitée, car dans la science rien ne se perd, et, dans l’effort heureux, on a conscience de continuer, de couronner les efforts du passé, de capitaliser en même temps pour l’avenir. […] C’était son droit ; c’était son devoir, si sa conscience le lui dictait.

122. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préface et poème liminaire des « Châtiments » (1853-1870) — Préface de 1853 »

« Quoi que fassent ceux qui règnent chez eux par la violence et hors de chez eux par la menace, quoi que fassent ceux qui se croient les maîtres des peuples et qui ne sont que des tyrans de consciences, l’homme qui lutte pour la justice et la vérité trouvera toujours le moyen d’accomplir son devoir tout entier. […] « Rien ne dompte la conscience de l’homme, car la conscience de l’homme, c’est la pensée de Dieu.

123. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre premier. Mécanisme général de la connaissance — Chapitre premier. De l’illusion » pp. 3-31

Nous avons conscience de nos états, nous nous en souvenons, nous en prévoyons plusieurs. […] Telle est la question, et on ne la résout pas en disant, comme beaucoup de psychologues, que nous avons telle ou telle faculté, la conscience, la mémoire, l’imagination ou la raison. […] Du même coup, nous comprenons et nous corrigeons l’erreur dans laquelle tombe naturellement la conscience à propos de la perception extérieure. […] D’ordinaire, ils se figurent nos connaissances, perceptions extérieures, souvenirs, actes de conscience ou de raison, comme des actes d’une nature spéciale et simple, desquels on ne peut rien dire, sinon qu’ils sont une action et un rapport, l’action d’un être simple, qui, par eux, entre en rapport avec des êtres étendus différents de lui-même, avec lui-même, avec des événements passés, avec des lois ou vérités supérieures. […] Ici, elle se reproduisait avec une intensité égale à celle de la sensation, à l’improviste, sans appel de la volonté, contre toute résistance de la volonté ; elle ne différait donc plus de la sensation telle que nous la connaissons par la conscience.

124. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « III — La rentrée dans l’ordre »

La science du médecin est dans ce cas complètement inutile, car la guérison dépend de la seule volonté du malade, de son retour à la conscience. […] Sa conscience s’éclaire : « La simple honnêteté ne lui commandait-elle pas de sortir d’une Église, où il niait que Dieu pût se trouver ?  […] Dans le désert intellectuel où il s’épuisait à la poursuite de la Foi il eut conscience d’être lentement mangé, dévoré de Dieu. […] Un être né homme, avec des sens, un sexe, un cœur, un cerveau, une volonté, une conscience. […] Quelle que soit sa valeur individuelle, elle a pour bases, la vie du sexe, la vie de la conscience, la vie de la raison.

125. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Chapitre IV. De la pluralité des temps »

Un temps vécu et compté par une conscience est réel par définition. […] Le mouvement de son horloge est contemporain du flux de sa conscience. […] C’est donc à Paul vivant et conscient que nous devons nous adresser, et non pas à l’image de Paul représentée dans la conscience de Pierre. […] Si, tout à l’heure, regardant à l’intérieur de la conscience de Pierre, nous assistions à un certain flux, c’est exactement le même flux que nous allons constater dans la conscience de Paul. […] Soit ; mais alors ne parlons plus de temps ; disons qu’il s’agit d’une succession et d’une simultanéité qui n’ont rien à voir avec la durée ; car, en vertu d’une convention antérieure et universellement acceptée, il n’y a pas de temps sans un avant et un après constatés ou constatables par une conscience qui compare l’un à l’autre, cette conscience ne fût-elle qu’une conscience infinitésimale coextensive à l’intervalle entre deux instants infiniment voisins.

126. (1906) La rêverie esthétique. Essai sur la psychologie du poète

Pouvons-nous, en dormant, avoir conscience de rêver ? […] Dans la contemplation poétique, nous ne nous contentons pas de jouir de notre propre état de conscience. […] Le trait mélodique dessine son arabesque, reste un instant tout entier présent à la conscience, et s’évanouit. […] J’ai conscience d’être dans ma chambre, un livre en main. […] La poésie en reprend conscience.

127. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Le père Augustin Theiner »

Qui a le cœur d’absoudre un homme coupable ou de vanter un homme funeste, prend sur soi la moitié du mal qu’il a commis et l’applique à froid sur sa conscience. […] Mais il est des conséquences plus vastes que la conscience d’un historien. […] Après cela, que Clément XIV ait souffert ou non de cette abolition qu’il a signée ; qu’il y ait répugné longtemps ou bien qu’il y ait promptement consenti ; qu’il l’ait promise aux cabinets qui la demandaient avant ou après son élection ; qu’il ait pleuré en la signant, qu’il soit tombé par terre après l’avoir signée, ou qu’il soit resté calme et fort comme un homme qui vient de soulager sa conscience en accomplissant un devoir ; qu’il en soit mort fou ou repentant ou qu’il ait gardé la pleine possession de son intelligence et se soit éteint dans cette impénitence finale des pouvoirs qui, comme Œdipe, se sont crevé les yeux, et que d’autres Œdipes aux yeux crevés prennent, comme le P.  […] Elle n’est point une éplucheuse de conscience. […] Faute si grande, qu’il n’importe guères à présent de savoir au juste si le pontife agit par haine ou bien sans haine ; car une pareille faute, au bout d’un certain temps, fait toujours équation à un crime, et le temps à attendre où le crime qui ne s’était pas nettement dressé dans la conscience de Clément XIV a surgi, tout à coup, évident dans la conscience des hommes, ce temps à attendre n’a pas été long !

128. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « F.-A. Cazals » pp. 150-164

L’Art pur, l’Art sans compromissions, sans étiquette de chapelle ; l’Art au service de la souveraine Beauté. » Il parlait de « haines à jamais abolies, de consciences haussées à la divinité » et il concluait : « Nous voilà prêts à fêter au prochain banquet la poésie personnifiée cette fois par Jean Moréas, le plus pur, le plus haut et le plus désintéressé des poètes. » Je lisais ces lignes de Léon Deschamps, lorsqu’un télégramme m’apprit le coup fatal. J’avais encore à mes oreilles le bruit amical de sa voix et son bon franc rire, indice d’une conscience pure. […] On précisait : un chaud et froid contracté à la sortie d’une des séances de la Haute-Cour ; un érysipèle de la face ; trois jours de maladie, de cauchemars, de fièvre délirante, puis soudain le réveil d’une conscience abolie, un regard douloureux qui se reprend et qui jette une dernière lueur consciente sur les êtres chers qui vous entourent, comme pour leur demander pardon de les quitter ; des mains hâtivement pressées dans la chaleur d’une rapide étreinte, d’un adieu suprême, puis la tête qui retombe… et… plus rien ! […] On s’écarte pour laisser passer une masse noire que des femmes soutiennent : c’est la veuve secouée de sanglots, que l’on transporte au fond du hall, et que la barbarie du protocole force à recevoir les poignées de main et les paroles de condoléances, comme si elle avait encore la conscience des choses et la possession d’elle-même. […] Il n’y a ici que des amis sincèrement émus, venus avec la conscience de remplir un dernier devoir.

129. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. James Mill — Chapitre II : Termes abstraits »

Bain et Spencer nous montreront plus tard très clairement : c’est que le fait de conscience primitif consiste d’abord dans l’aperception d’une différence, ensuite dans l’aperception d’une ressemblance. […] Le mot infini, dans ce cas, n’est qu’une marque pour cet état de conscience, dans lequel l’idée d’un de plus est intimement associée à tout nombre qui se présente. […] Deux ou plusieurs objets, physiques ou intellectuels, sont en rapport l’un avec l’autre, en vertu de quelque état de conscience complexe où ils entrent tous deux, quand même cet état de conscience complexe se réduirait simplement à les penser ensemble.

130. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVe entretien. Aristote. Traduction complète par M. Barthélemy Saint-Hilaire (3e partie) » pp. 193-271

Elle peut être plus puissante et plus claire dans telle conscience que dans telle autre ; mais elle est dans toutes à un degré plus ou moins fort. […] Que d’efforts dont lui seul a conscience, et que rien ne divulgue au dehors, pour le ramener au bien ! […] Lui-même, tout sincère qu’il peut être avec sa propre conscience, ne le sait pas. […] C’est un fait qu’elle étudie comme les faits de conscience, et qui n’est pas moins important. […] La conscience l’inspirera toujours mieux que la pratique la plus consommée de la vie.

131. (1909) De la poésie scientifique

C’est-à-dire : la Matière, unité-total, mais total qui n’a pas conscience de soi et la désire, à travers le divers phénomène de son évolution va à cette conscience… Analytique, elle se développe pour se connaître, et aux divers degrés du processus vital se sent, s’éprouve et se pense, et tend à sa Synthèse où se recréer consciente d’elle-même. […] … Philosophiquement, l’homme sera donc dans le sens universel en assumant le plus de science, d’où le plus de conscience de lui-même et de l’univers. […] — Donc, son plus de science (d’où, son plus de conscience) crée son plus de valeur intellectuelle et morale. […] Sociologiquement, le plus de science acquise, c’est-à-dire de conscience, donne le plus de Droit. […] Et parmi ses maîtres, il en est de qui l’attention et la conscience ont secoué le silence, tel M. 

132. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre quatrième. Les conditions physiques des événements moraux — Chapitre III. La personne humaine et l’individu physiologique » pp. 337-356

Comme on l’a montré, cette trame peut être considérée à deux points de vue, soit directement, en elle-même et par la conscience, soit indirectement, par la perception extérieure et d’après les impressions qu’elle produit sur nos sens. — À côté des idées, images et sensations, événements fort composés dont nous avons conscience et que cette particularité distingue des autres événements analogues, sont d’autres événements rudimentaires et élémentaires du même genre, dont nous n’avons pas conscience, et que dénote l’action réflexe : tel est le premier point de vue. — À côté des mouvements moléculaires fort composés qui se passent dans la substance grise des lobes cérébraux et des centres dits sensitifs, sont d’autres mouvements moléculaires analogues et moins composés qui se passent dans la substance grise de la moelle et dans les ganglions du système nerveux sympathique170 ; tel est le second point de vue. — Le premier est le point de vue psychologique ; le second est le point de vue physiologique. — D’après le second, il y a dans l’animal plusieurs centres d’action nerveuse, les ganglions du grand sympathique, les divers segments de la moelle, les divers départements de l’encéphale, plus ou moins subordonnés ou dominateurs, plus ou moins simples ou compliqués, mais tous distincts, mutuellement excitables, et doués des mêmes propriétés fondamentales. — D’après le premier, il y a dans l’animal plusieurs groupes d’événements moraux, idées, images, sensations proprement dites, sensations rudimentaires et élémentaires, tous plus ou moins subordonnés ou dominateurs, plus ou moins simples ou compliqués, mais tous distincts, mutuellement excitables, et plus ou moins voisins de la sensation. — En forçant les termes, on pourrait considérer la moelle comme une file d’encéphales rudimentaires, et les ganglions du système sympathique comme un réseau d’encéphales plus rudimentaires encore171. Par suite, l’on verrait, dans les groupes de sensations rudimentaires dont nous n’avons pas conscience, des âmes rudimentaires ; et, de même que l’appareil nerveux est un système d’organes à divers états de complication, de même l’individu psychologique serait un système d’âmes à divers degrés de développement. […] Le lecteur voit maintenant comment la trame d’événements qui est nous-mêmes et dont nous avons conscience se lie avec le reste. Cette série, qui, selon le point de vue où nous la considérons, est tantôt pour nos sens une série de mouvements moléculaires, tantôt pour notre conscience une série de sensations plus ou moins transformées, n’est que la plus compliquée et la plus commandante dans un groupe d’autres séries analogues. À mesure que nous descendons dans le règne animal, nous la voyons perdre, de sa domination et de sa complexité et se réduire au niveau des autres, pendant que celles-ci, relâchant elles-mêmes leurs attaches mutuelles, se dégradent insensiblement. — Au point de vue de la perception extérieure, elles ont toutes pour condition l’intégrité et le renouvellement du système nerveux dont elles sont l’action propre, et les êtres plus ou moins étroitement associés qu’elles constituent, quels qu’ils soient au point de vue de la conscience, de quelque nom que l’illusion métaphysique ou littéraire les habille, sont assujettis à la même condition.

133. (1913) Le bovarysme « Troisième partie : Le Bovarysme, loi de l’évolution — Chapitre I. Le Bovarysme de l’individu et des collectivités »

Par le pouvoir de la notion chaque individu se conçoit d’une façon supérieure autre qu’il n’est, il voit se refléter dans sa conscience individuelle l’image abstraite de la pensée humaine tout entière. […] Or le pouvoir de se concevoir autre n’intervient que durant la période où ce pouvoir d’évoluer s’exerce sous le regard de la conscience. […] Toute nouveauté sort de l’inconscient et manifeste l’évolution du devenir : mais sitôt que cette nouveauté s’est formulée et a été convertie en notion en une première conscience individuelle, la voici propre. à se refléter dans toutes les intelligences et à être transmise à un grand nombre d’esprits. […] Le Bovarysme est donc la forme que prend la loi du devenir durant toute la part du trajet qu’elle accomplit sous le regard de la conscience. […] C’est par son pouvoir de se concevoir autre que l’homme peut évoquer, sous le regard de sa conscience et utiliser pour son règne sur les autres espèces et sur les choses, la somme de tous les efforts accomplis par les individus de son espèce.

134. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « L’obligation morale »

En général, le verdict de la conscience est celui que rendrait le moi social. […] C’est à peine si nous en avons conscience ; nous ne faisons aucun effort. […] Ces cas sont exceptionnels ; mais on les remarque, parce qu’une conscience intense les accompagne, comme il arrive pour toute hésitation ; à vrai dire, la conscience est cette hésitation même, l’acte qui se déclenche tout seul passant à peu près inaperçu. […] Au premier coup d’œil, la conscience aperçoit entre les deux premiers sentiments et le troisième une différence de nature. […] Ces tendances organiques n’apparaissent pas clairement à notre conscience, je le veux bien.

135. (1904) En lisant Nietzsche pp. 1-362

Votre conscience, votre sainte conscience ! […] Parce que ma conscience me l’indique » comme juste. — Mais pourquoi considères-tu ta conscience comme infaillible ? Pourquoi ne prends-tu pas conscience de ta conscience ? […] Contrôlable par la conscience au-delà de la conscience ; et comme il y a des arrière-mobiles dans le commandement de la conscience considéré comme mobile, il doit y avoir des arrière-consciences pour contrôler ces arrière-mobiles. […] Il devait juger, non point du tout selon sa conscience, mais strictement selon la loi.

136. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre III. Du récit des faits. — Antécédents et conséquents. — Causes et effets »

Dans Corneille, des faits de conscience produisent des actes, qui donnent naissance à de nouveaux faits de conscience, jusqu’à ce qu’on atteigne par ces actions et réactions successives à l’événement final Dans Racine, des faits de conscience engendrent d’autres faits de conscience, pour n’aboutir en général qu’à un seul acte physique, qui est le dénouement. […] Un chrétien ne peut faire son examen de conscience sans lier ses pensées entre elles, sans rapporter ses actes à leurs motifs et à leurs mobiles.

137. (1813) Réflexions sur le suicide

Mais il faut encore ranger sous deux classes principales les causes du déshonneur : celles qui tiennent à des fautes que notre conscience nous reproche, ou celles qui naissent d’erreurs involontaires et nullement criminelles. […] Le Christianisme, au contraire, place le bonheur avant tout dans les impressions qui nous viennent par la conscience. […] Ce qui distingue la conscience de l’instinct, c’est le sentiment et la connaissance du devoir, et le devoir consiste toujours dans le sacrifice de soi aux autres. […] Si Guilford et ma conscience n’étaient pas d’accord, lequel de ces deux pouvoirs me semblerait légitime ? […] Renoncer à la vie qu’on ne pourrait acheter qu’au prix de sa conscience, c’est le seul genre de Suicide qui soit permis à l’homme vertueux.

138. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série «  Paul Bourget  »

Il est, pour beaucoup, le poète par excellence, l’ami, le consolateur, presque le directeur de conscience. […] Car le baudelairisme implique, même dans ses complaisances à la chair, la conscience de son indignité et une vision du péché universel. […] Paul Bourget a bien une de ces consciences-là. […] Vainement le moraliste déclare certains de ces états de conscience criminels, certaines de ces complications méprisables, certains de ces changements haïssables. […] Ses romans (André Cornélis excepté) sont des drames de la conscience, des histoires de scrupules, de remords, de repentirs, d’expiations et de purifications.

139. (1890) L’avenir de la science « VII »

Hâtons-nous de le dire : il sera injuste d’exiger du savant la conscience toujours immédiate du but de son travail, et il y aurait mauvais goût à vouloir qu’il en parlât expressément à tout propos ; ce serait l’obliger à mettre en tête de tous ses ouvrages des prolégomènes identiques. […] En étudiant les origines de chaque science, on trouverait que les premiers pas ont été presque toujours faits sans une conscience bien distincte, et que les études philologiques entre autres doivent une extrême reconnaissance à des esprits très médiocres, qui, les premiers, en ont posé les conditions matérielles. […] Quand on pense que le travail intellectuel de siècles et de pays entiers, de l’Espagne, par exemple, s’est consumé lui-même, faute d’un objet substantiel, que des millions de volumes sont allés s’enfouir dans la poussière sans aucun résultat, on regrette vivement cette immense déperdition des forces humaines, qui a lieu par l’absence de direction et faute d’une conscience claire du but à atteindre. […] Pour moi, je le dis du fond de ma conscience, si je voyais une forme de vie plus belle que la science, j’y courrais.

140. (1900) La culture des idées

Qu’est-ce que cette gloire dont jouirait un homme à partir du moment où il sort de la conscience ? […] La conscience, qui est le principe de la liberté, n’est pas le principe de l’art. […] Ici se présentent les divers rapports entre la conscience et l’inconscience. […] La liberté littéraire, comme toutes les autres, naquit de l’union de la conscience et de la force. […] La conscience d’un peuple, la conscience de l’humanité : métaphores.

141. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XVII. Forme définitive des idées de Jésus sur le Royaume de Dieu. »

La révolution voulue par Jésus est alors celle qui a eu lieu en réalité, l’établissement d’un culte nouveau, plus pur que celui de Moïse  Toutes ces pensées paraissent avoir existé à la fois dans la conscience de Jésus. […] Les premiers chrétiens sont des visionnaires, vivant dans un cercle d’idées que nous qualifierions de rêveries ; mais en même temps ce sont les héros de la guerre sociale qui a abouti à l’affranchissement de la conscience et à l’établissement d’une religion d’où le culte pur, annoncé par le fondateur, finira à la longue par sortir. […] C’était la religion pure, sans pratiques, sans temple, sans prêtre ; c’était le jugement moral du monde décerné à la conscience de l’homme juste et au bras du peuple. […] Qui sait si le dernier terme du progrès, dans des millions de siècles, n’amènera pas la conscience absolue de l’univers, et dans cette conscience le réveil de tout ce qui a vécu ? […] Ces angoisses de la conscience chrétienne se traduisent avec naïveté dans la IIe épître attribuée à saint Pierre III, 8 et suiv.

142. (1895) De l’idée de loi naturelle dans la science et la philosophie contemporaines pp. 5-143

En définitive, la conscience est le seul sentiment de l’être dont nous disposions. […] Car, si la conscience n’atteint pas les forces physico-chimiques, déjà elle saisit la vie. Nous avons conscience de vivre. […] Le moi, en effet, ne serait, à son sens, qu’une série d’états de conscience qui se connaît. […] Que d’idées sont contiguës dans la conscience sans s’associer !

143. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre VII. Le Bovarysme essentiel de l’existence phénoménale »

Comme on s’écarte d’un point de vue pour le contempler, le moi s’écarte de soi-même, et, s’avançant sur la ligne du temps, il ne saisit dans le passé qu’une image dont la conscience a conservé le reflet, une image qu’une mémoire plus ou moins fidèle présente à sa vue, plus ou moins déformée, privée de vie toujours. […] Au lieu de considérer une conscience individuelle dont on ignore le rapport avec tout le reste, on forme ici l’hypothèse d’un être universel hors duquel rien n’existe et dont toutes les formes individuelles ne sont que des manifestations et des dépendances. […] L’unprend conscience de soi-même dans le multipleet l’état de connaissance, mascarade prestigieuse où la vie se délasse, se fonde sur le mensonge d’un être qui, par manière de jeu, se conçoit autre qu’il n’est.

144. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Victor Cousin »

lui, si fort sur les faits de conscience, a dû inévitablement avoir conscience de celui-là ! […] Il parla de l’antagonisme fatal des idées, aussi bien dans l’histoire que dans la pensée, dans la conscience de l’homme que dans l’humanité ; enfin il amnistia la guerre, fit une théorie sur les grands hommes qui leur arrachait ce qu’il y a de plus beau en eux : leur libre individualité ; et, adroitement, se coulant de ces hauteurs où il s’était laissé enlever, au niveau abaissé de son auditoire, sentant bien qu’il avait affaire à un genre de public qui aurait donné toutes les spéculations métaphysiques pour une chanson de Béranger, il arriva en dernier ordre, par une subtilité de dialectique, à la Charte, cette chimère de l’époque d’alors, et posa comme l’idéal de sa philosophie la monarchie constitutionnelle, aux cris d’enthousiasme de tous ces Prudhommes de vingt ans ! […] C’est l’homme des faits de conscience, le psychologue sorti de Descartes, et qui, sans Descartes, n’existerait pas. […] Il s’y justifie à chaque instant de ce reproche de panthéisme, qui fait trembler au fond de sa conscience incertaine de psychologue un déisme dont il n’est pas sûr.

145. (1856) Cours familier de littérature. II « XIIe entretien » pp. 429-507

La conscience juge et gouverne. […] La conscience est une faculté innée, chargée par le Créateur de juger et de gouverner l’âme. […] Cette troisième faculté de l’âme, c’est la conscience. […] De plus, cette faculté de la conscience est plus divine, en quelque sorte, en nous, que les deux autres, car elle est indépendante de nous. […] Mais nous ne pouvons raisonner et sentir qu’avec l’intelligence, le sentiment et la conscience que Dieu nous a donnés pour converser avec nous-même et avec lui.

146. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « III — Un symbole »

Il ne s’agit pas d’enlever un édifice au culte catholique, mais de soustraire la France à l’emprise sacerdotale et papiste, à l’autorité soucieuse de conserver sa proie de consciences et de vies. […] Telle est l’origine du « Vœu » ; il émane de consciences sombrées dans le péril atroce du moment, épouvantées de l’avenir gros de nuages et de sang, n’osant se faire une idée du futur, se demandant même parfois si les races n’allaient pas être englouties dans quelque universelle conflagration. […] Ce que vous cherchez à revivifier dans sa conscience, c’est la foi catholique. […] L’adhésion d’une partie du clergé à la République n’a d’autre but que de ressaisir, par une feinte concession au monde moderne, la direction des consciences qui se dérobent lentement à son étreinte glaciale. […] L’Église en accaparant le sommet de la colline, en y élevant un emblème de sa domination sur les cerveaux et sur les consciences, y a imprimé le cachet de laideur dont sont marquées toutes ses manifestations modernes.

147. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXVe entretien. La Science ou Le Cosmos, par M. de Humboldt (4e partie) » pp. 429-500

Votre science n’est que le néant ayant conscience de lui-même ! […] Quant à la conscience, il n’y en a plus ! Est-ce que la conscience serait éclairée par une énigme ? […] La conscience est le mystère que nous portons en nous. […] Il nous a apporté le mot, non de la science, mais de la conscience.

148. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « De l’influence récente des littératures du nord »

Ainsi  sauf dans deux ou trois pièces où il semble se défier de ses rêves et les railler  les drames d’Ibsen sont des crises de conscience, des histoires de révolte et d’affranchissement, ou d’essais d’affranchissement moral. […] C’est encore et surtout ce qu’on a appelé l’individualisme ; c’est la revendication des droits de la conscience individuelle contre les lois écrites, qui ne prévoient pas les cas particuliers, et contre les conventions sociales, souvent hypocrites et qui n’attachent de prix qu’aux apparences. […] Ce n’était ni l’Église, ni la monarchie, ni la société, ni la réputation, ni les lois qui lui dictaient son sacrifice et son courage, c’était sa conscience. […] Ils offrent cette particularité, que les incidents de leur vie les remuent jusqu’au fond de l’âme et nous révèlent ce fond ; que leurs drames de foyer se tournent tous en drames de conscience, où toute leur vie spirituelle est intéressée. […] Ils font de fréquents examens de conscience ; ils se repentent, ils deviennent meilleurs.

149. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre III. L’antinomie dans la vie affective » pp. 71-87

Draghicesco, la Raison n’est autre chose qu’un système de catégories imposées a priori à l’individu par la conscience sociale. […] Bergson, l’écrasement de la conscience individuelle (par le mot qui en est l’expression impersonnelle et sociale) n’est aussi frappant que dans les phénomènes du sentiment27. » Qu’une émotion profonde, une mélancolie indéfinissable, que le souvenir heureux ou triste d’une heure lointaine émergent du fond de notre passé et envahissent notre être tout entier ; le frisson de cette émotion ne pourra se propager dans l’atmosphère opaque qui nous sépare d’autrui de la même façon que se propage une onde lumineuse ou sonore. L’émotion, quand elle arrive, traduite par le mot, dans la conscience d’autrui, est déjà flétrie et décolorée. Sa loi est de naître, de s’épanouir et de mourir solitaire dans la conscience où elle est née. […] Bergson, Les Données immédiates de la conscience (F. 

150. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre XII. L’antinomie morale » pp. 253-269

L’étude des cas de conscience conduit à individualiser la morale, à reconnaître qu’il y a autant de morales que d’individus, bien plus que le devoir varie avec les situations où l’individu se trouve engagé. […] De plus, les moralistes universitaires, opérant dans l’idéal et dans l’abstrait, n’étant pas d’ailleurs chargés par profession de surveiller et de diriger la pratique morale, ne se sentent pas obligés, comme l’étaient les directeurs de conscience, de rendre leur morale praticable ; de l’adapter à la diversité des circonstances et aux exigences de la faiblesse humaine. […] C’est un scandale pour de tels esprits que de discuter son devoir et jeter par là un doute sur l’infaillibilité de la conscience et la certitude de la loi. […] L’ouvrier pénétré de la conscience de classe se fait de son devoir une conception absolue et intransigeante. […] On aurait vite fait intervenir ici le commode principe de la « direction normale » de la conscience collective et on déclarerait de telles dispositions intérieures peu conformes à la prétendue « direction normale ».

151. (1883) La Réforme intellectuelle et morale de la France

La conscience française est courte et vive ; la conscience allemande est longue, tenace et profonde. […] Le 18 mars 1871 est, depuis mille ans, le jour où la conscience française a été le plus bas. […] C’est ce qu’il faut rechercher, en tenant a priori pour probable qu’une conscience aussi impressionnable que la conscience française aboutira, sous l’étreinte de circonstances uniques, aux manifestations les plus inattendues. […] Le facteur de la conscience slave, c’est la conscience allemande ; la conscience des Slaves grandira et s’opposera de plus en plus à celle des Allemands ; l’inconvénient qu’il y a pour un État à détenir des pays malgré eux se révèlera de plus en plus ; la crise interminable de l’Autriche amènera les péripéties les plus dangereuses ; Vienne deviendra de toute manière un embarras pour Berlin ; quoi qu’on fasse, cet empire est, né bicéphale, il vivra difficilement. […] La conscience d’une nation réside dans la partie éclairée de la nation, laquelle entraîne et commande le reste.

152. (1892) Les idées morales du temps présent (3e éd.)

Zola cette justice qu’il a conscience de l’insuffisance de son apport. […] La conscience, fondement de la morale. […] Il n’a pas vu Dieu se former dans la conscience humaine. […] Et il ne m’est pas même prouvé que toutes les consciences aient besoin de ces appuis. […] « La conscience est comme le cœur : il lui faut un au-delà.

153. (1859) Moralistes des seizième et dix-septième siècles

Ainsi l’on complète la conscience par l’orgueil. […] Pardonnez-moi, dit Montaigne, il y a la conscience. Nous obéissons à la conscience. […] La conscience, objet simple, substance élémentaire, est demeurée intacte. […] La loi primitive, en d’autres termes la loi de la conscience, était insuffisante.

154. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XIV. Moralistes à succès : Dumas, Bourget, Prévost » pp. 170-180

Ce pamphlétaire qui se félicite d’avoir fait abroger ou alléger des lois n’est, à nos consciences, qu’un légiste aveugle et sans autorité. […] S’il tenait à une distinction binaire, il eût plus valablement séparé (bien que dans presque tous les chefs-d’œuvre on doive constater leur concours) le roman de conscience et le roman d’inconscience. […] Le Rouge et le Noir est un roman de conscience et d’action. […] Entre les romans de conscience, M. 

155. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXVIIe entretien. J.-J. Rousseau. Son faux Contrat social et le vrai contrat social (3e partie) » pp. 5-56

Gradation ascendante et descendante dans les rangs et les fonctions des magistrats chargés de l’administration de la justice ou de l’administration des intérêts populaires de l’empire ; spiritualisme qui personnifie la conscience et la providence dans une hiérarchie sans laquelle il n’y a ni autorité distributive, ni ordre, ni stabilité dans les institutions. […] XI Devoir d’adoration envers le Créateur, qui a daigné tirer l’être du néant pour sa gloire ; devoir qui oblige l’homme à se conformer en tout aux volontés du souverain législateur, volontés manifestées à l’homme par ses instincts ; organe de la véritable souveraineté de la nature ; devoir facile, satisfait par son accomplissement, même quand il est douloureux aux sens ; devoir qui donne à l’homme obéissant à son souverain Maître cette joie lyrique de la vie et de la conscience, joie de la vie et de la conscience qui éclate dans tout être vivant comme un cantique de la terre, et que tous les êtres vivants, depuis l’insecte, l’oiseau, jusqu’à l’homme, entonnent en chœur au soleil levant comme une respiration en Dieu ! […] Devoir d’accomplir en conscience toutes les prescriptions du gouvernement de la nation à mesure que le gouvernement chargé du droit de commander par tous et pour tous, a besoin de promulguer des lois nouvelles pour des besoins nouveaux de la société personnifiée en lui. […] La conscience, ce sens invisible, mais absolu, de la vertu et de la moralité, révèle aussi forcément à l’homme intellectuel les besoins de son âme pour satisfaire à ses aspirations divines de perfectionnement moral et d’immortalité. […] Ce serait ainsi qu’une femme inspirée, une sainte Thérèse d’une religion pacifique et unanime, aurait à son insu laissé dans l’âme du philosophe sceptique et mobile de Genève la pensée de ce christianisme primitivement révélé par la conscience, encore sans ombre, à l’humanité, et destiné à réconcilier toutes les morales, tous les schismes et tous les cultes de l’esprit dans une lumière, dans une adoration et dans une charité communes.

156. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre huitième. L’introduction des idées philosophiques et sociales dans la poésie (suite). Victor Hugo »

S’il nous était donné de voir dans la conscience d’autrui, dit. […] Le dieu de Victor Hugo n’est « l’abîme des gnostiques » qu’en tant qu’il est inconnaissable ; mais, en réalité, il est le Dieu de la conscience, le Dieu bon et juste. […] Mais la vraie preuve de Dieu, pour Hugo, c’est la conscience morale. […] Il a son solstice, La conscience ; il a son axe, la justice146. […] Ma conscience en moi, c’est Dieu que j’ai pour hôte.

157. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Première partie. — L’école dogmatique — Chapitre III. — Du drame comique. Méditation d’un philosophe hégélien ou Voyage pittoresque à travers l’Esthétique de Hegel » pp. 111-177

Le chœur, c’est la scène spirituelle192 du théâtre antique ; c’est la conscience sereine des spectateurs. […] Il ne s’ignore pas lui-même dans sa naïveté aveugle et bornée ; il a clairement conscience de tout ce qu’il est. […] Pénétrés de la conscience de leur propre mérite, ils n’ont garde de se confiner tout entiers dans l’étroitesse de leur rôle de gueux, de fripons ou de débauchés. […] C’est au contraire la haute raison des événements, quoiqu’elle ne se manifeste pas encore comme Providence ayant conscience d’elle. […] Cette conscience de la libre personnalité et de ses droits doit s’être manifestée à un plus haut degré encore pour que la comédie puisse apparaître.

158. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXIe entretien. Socrate et Platon. Philosophie grecque (1re partie) » pp. 145-224

La conscience est, parce qu’elle est comme Dieu lui-même ; c’est une faculté innée de notre âme donnée par Dieu, qui est à elle-même sa propre démonstration. Ôtez la logique, l’intelligence est folle ; ôtez la conscience, la moralité est morte ; le crime et la vertu deviennent des choses discutables et douteuses comme des problèmes ordinaires, susceptibles de oui ou de non ; ils ne sont crime et vertu que parce qu’ils sont au-dessus de toute discussion. […] … « Ayant donc la conscience de n’avoir jamais été injuste envers personne, je ne dois pas l’être envers moi-même en avouant que je mérite un châtiment ! […] Ce qui donne par-dessus tout son caractère et son autorité à cette philosophie, c’est la conscience, supérieure encore ici à la philosophie. […] Le moindre mot de repentir, la moindre promesse de renoncer à son apostolat de la raison, l’auraient fait acquitter par les Athéniens, qui ne demandaient qu’à l’absoudre : mais sa conscience se refuse à toute lâche complaisance ; il se précipite de lui-même au supplice, prévu, voulu, imploré, par cette maxime, qui est celle des héros de la philosophie : Obéir à Dieu plutôt qu’à la patrie dans toutes les choses où la patrie, qui commande au citoyen, n’a pas le droit de commander à la conscience.

159. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « II — La solidarité des élites »

Cette conscience de solidarité entre les ouvriers de toutes les cités est une parcelle de cette immense et totale solidarité vers laquelle nous nous acheminons en poursuivant un rêve qui s’incarne. L’éveil d’une autre conscience ou plutôt d’une conscience parallèle au cœur de ces groupes d’êtres que nous nommons les élites, en est une autre parcelle, je ne dirais pas plus précieuse, mais de position plus centrale, pour ainsi dire. […] Mépriser dans l’humanité la foule des êtres et dans la nature la fouie des choses, c’est nier toute intime vérité, toute conscience mondiale, n’est nier le divin, au nom duquel vous insultez la vie. […] N’a-t-on pas conscience de cette tare dont toute notre existence est souillée ? […] Qu’ils prennent de plus en plus conscience de leur action formidable !

160. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « II — L’inter-nationalisme »

La conception de patrie doit se modifier, à mesure que la conscience de l’humanité s’éclaire en s’élevant à l’unité. […] Le jour où, dans un cerveau d’homme, ce doute est né, que l’étranger n’était peut-être pas forcément un ennemi la conscience humaine s’est élargie soudainement. […] Un corps social en faiblesse définitive peut tenter de s’isoler pour reprendre conscience de lui-même ou se laisser peu à peu envahir par les forces du dehors : dans les deux cas, son existence est condamnée. […] J’y vois au contraire un élargissement de conscience chez les individus qui les créent. […] Une conscience collective autre va s’affirmer intensément.

161. (1890) L’avenir de la science « IV » p. 141

Ignorant et inculte, il aspire aveuglément à l’idéal, par l’instinct sourd et puissant de la nature humaine, il est énergique et vrai comme toutes les grandes masses de consciences obscures. […] Quant à l’ascétisme pur, il restera toujours, comme les pyramides, un de ces grands monuments des besoins intimes de l’homme, se produisant avec énergie et grandeur, mais avec trop peu de conscience et de raison. […] Quand on compare les œuvres timides que notre âge raisonneur enfante avec tant de peine aux créations sublimes que la spontanéité primitive engendrait, sans avoir même le sentiment de leur difficulté ; quand on songe aux faits étranges qui ont dû se passer dans des consciences d’hommes pour créer une génération d’apôtres et de martyrs, on serait tenté de regretter que l’homme ait cessé d’être instinctif pour devenir rationnel. Mais on se console en songeant que, si sa puissance interne est diminuée, sa création est bien plus personnelle, qu’il possède plus éminemment son œuvre, qu’il en est l’auteur à un titre plus élevé ; en songeant que l’état actuel n’est qu’un état pénible, difficile, plein d’efforts et de sueurs, que l’esprit humain aura dû traverser pour arriver à un état supérieur ; en songeant enfin que le progrès de l’état réfléchi amènera une autre phase, où l’esprit sera de nouveau créateur, mais librement et avec conscience. […] Il le sait, et de là ses joies et ses tristesses : ses tristesses, car, pénétré de l’amour du parfait, il souffre que tant de consciences y demeurent à jamais fermées ; ses joies, car il sait que les ressorts de l’humanité ne s’usent pas, que, pour être assoupies, ses puissances n’en résident pas moins au fond de son être et qu’un jour elles se réveilleront pour étonner de leur fière originalité et de leur indomptable énergie et leurs timides apologistes et leurs insolents contempteurs.

162. (1904) La foi nouvelle du poète et sa doctrine. L’intégralisme (manifeste de la Revue bleue) pp. 83-87

Plus le poète comprendra profondément le travail de la conscience et de l’imagination créatrice, plus il verra augmenter ses moyens de prise sur la nature. » Rien ne nous semble plus juste. […] Le rôle, de la poésie ayant toujours été d’agrandir la conscience humaine au-delà même des vérités contrôlées, il ne nous est plus permis de tout ignorer de ce qui se passe autour de nous. […] La poésie intervient au sein même de toutes ces correspondances mystérieuses qui sollicitent notre activité intellectuelle, notre mémoire, nos aspirations, notre moi tout entier, et constituent cet état de conscience où, semble-t-il, nous communions dans l’infini. […] Et n’est-ce pas à ces fins que nous ont préparés tous nos glorieux devanciers, grands initiés de tous les âges, prophètes et voyants, grands émancipateurs de la conscience humaine, dont nous ne pouvons évoquer le souvenir sans une étreinte au cœur, mais dont le verbe puissant sonne si haut tout au fond de notre rêve, que nous levons la tête pour les suivre ? […] Elle s’y trouve pêle-mêle, en désordre, sans cohésion ; c’est un chaos de savoir, et dans chaque conscience elle suscite des conflits.

163. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « VIII. M. de Chalambert. Histoire de la Ligue sous le règne de Henri III et de Henri IV, ou Quinze ans de l’histoire de France » pp. 195-211

Elle était bien, comme on le dit avec plus ou moins de force et comme le répète aujourd’hui son nouvel historien avec une tranquillité d’intelligence et d’expression qui croit n’avoir pas besoin d’insister, elle était bien, cette raison supérieure, dans le catholicisme du pays et dans sa conscience religieuse. Mais pour les hommes chez qui la conscience religieuse n’est pas très développée, pour les hommes que le catholicisme trouve hostiles ou seulement indifférents, il aurait été bon de sortir de ces termes devenus trop amples et trop flottants de conscience religieuse et de catholicisme, et, puisqu’on différait de principes, de pensée ou de sensation, de montrer à l’intelligence politique des faiseurs d’histoires, ce que c’était, conscience à part et vérité divine à part, que le catholicisme en France, quand la Ligue se leva pour le défendre. […] Il n’entrait pas en elle, comme une doctrine entre dans la conscience d’un peuple.

164. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre quatrième. Du cours que suit l’histoire des nations — Chapitre IV. Trois espèces de jugements. — Corollaire relatif au duel et aux représailles. — Trois périodes dans l’histoire des mœurs et de la jurisprudence » pp. 309-320

On ne peut croire que Plaute ait voulu mettre sur le théâtre des dieux qui enseignassent le parjure au peuple ; encore bien moins peut-on le croire de Scipion l’Africain et de Lélius, qui, dit-on, aidèrent Térence à composer ses comédies ; et toutefois dans l’Andrienne, Dave fait mettre l’enfant devant la porte de Simon par les mains de Mysis, afin que si par aventure son maître l’interroge à ce sujet, il puisse en conscience nier de l’avoir mis à cette place. Mais la preuve la plus forte en faveur de notre explication du droit héroïque, c’est qu’à Athènes, lorsqu’on prononça sur le théâtre le vers d’Euripide, ainsi traduit par Cicéron, Juravi linguâ, mentem injuratam habui, J’ai juré seulement de la bouche, ma conscience n’a pas juré, Les spectateurs furent scandalisés et murmurèrent ; on voit qu’ils partageaient l’opinion exprimée dans les douze tables : uti linguâ nuncupassit, ita jus esto . […] La loi toute bienveillante y interroge la conscience, et selon sa réponse se plie à tout ce que demande l’intérêt égal des causes. […] Ils conviennent à l’esprit de franchise, qui caractérise les républiques populaires, ennemies des mystères dont l’aristocratie aime à s’envelopper ; elles conviennent encore plus à l’esprit généreux des monarchies : les monarques dans ces jugements se font gloire d’être supérieurs aux lois et de ne dépendre que de leur conscience et de Dieu. — Des jugements humains, tels que les modernes les pratiquent pendant la paix, sont sortis les trois systèmes du droit de la guerre que nous devons à Grotius, à Selden, et à Pufendorf.

165. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XXVII. Sort des ennemis de Jésus. »

Les droits de la conscience, soustraits à la loi politique, arrivent à constituer un pouvoir nouveau, le « pouvoir spirituel. » Ce pouvoir a menti plus d’une fois à son origine ; durant des siècles, les évêques ont été des princes et le pape a été un roi. […] Mais le jour viendra où la séparation portera ses fruits, où le domaine des choses de l’esprit cessera de s’appeler un « pouvoir » pour s’appeler une « liberté. » Sorti de la conscience d’un homme du peuple, éclos devant le peuple, aimé et admiré d’abord du peuple, le christianisme fut empreint d’un caractère originel qui ne s’effacera jamais. […] Comment prendre à l’égard des pauvres gens des airs d’infaillibilité, quand on a sur la conscience la grande méprise de Gethsémani 1231 ?

166. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre III. Variétés vives de la parole intérieure »

S’il parle comme notre conscience, fût-il sévère, il ne nous effrayera pas, car nous comprendrons qu’il a raison. […] Il n’y a pas de cas de conscience pour les âmes simples ; au contraire, pour des esprits fins et instruits, la vie ne présente guère que des cas de conscience ; rarement la loi morale prononce de ces brèves sentences dont l’évidence s’impose et qui brillent dans l’âme comme des éclairs ; presque toujours elle inspire une discussion calme, méthodique ; elle est comme la lumière douce et constante d’un soleil surnaturel. […] Nous n’en trouvons pas seulement la trace dans les fictions conventionnelles de la poésie et de l’éloquence antiques ; nous la rencontrons aussi à l’origine de nombreuses locutions, parmi lesquelles nous avons déjà cité les plus usuelles, comme la voix de la conscience et d’autres semblables. […] Il est incontestable qu’aliéner des faits de conscience sans les externer constitue un état très faiblement anormal, et, sans nul doute, il est à souhaiter « que la nature produise souvent des fous tels que Socrate ». […] Je crois bien que ces paroles involontaires n’expriment ni un sentiment ni une pensée, qu’elles ne correspondent à rien d’intérieur, et que la personne qui les prononce n’a pas conscience de ce qu’elle dit ; elle l’entend seulement et ne l’écoute pas, sachant qu’on sait qui elle est et qu’on lui pardonnera.

167. (1911) La morale de l’ironie « Chapitre II. Le rôle de la morale » pp. 28-80

Je n’ai quelque droit d’appréciation que sur la conscience d’autrui. […] Les défenseurs du devoir absolu n’aiment guère les « cas de conscience ». […] Sans cela il ne s’agira plus de « devoir », de « conscience » et de « révolte du sens moral ». […] Si quelques fidèles s’empressent vainement pour soutenir un trône disloque, c’est leur conscience qui les y pousse ; ils agissent par devoir, et s’ils blâment ceux qui l’ont ébranlé, c’est encore au nom du devoir et de la conscience. Cette conscience, c’est sa faiblesse même qui la rend sacrée, et cela est très remarquable.

168. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre deuxième. L’émotion, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre quatrième. Les émotions proprement dites. L’appétit comme origine des émotions et de leurs signes expressifs. »

L’intensité d’une impression agréable ou pénible est bien la condition ordinaire de l’émotion, mais, à vrai dire, l’émotion proprement dite ne commence qu’avec la modification du mouvement des états de conscience, du cours de nos idées, de nos sentiments, de nos volitions : la colère et la terreur, par exemple, agissent différemment sur le cours de la conscience. […] Ne doit-il pas expliquer par les lois même de la conscience, soit individuelle, soit collective, ces faits d’expression qui sont précisément la continuation du mental dans le physique et du physique dans le mental ? […] A un moment donné, la quantité de force nerveuse qui correspond à l’état de conscience appelé sensation doit nécessairement se dépenser de quelque manière et engendrer quelque part une manifestation équivalente de force. […] Chez les animaux supérieurs, sortes d’états très centralisés, la concentration de la conscience dans la tête ne fait qu’obscurcir le rudiment de sensibilité qui doit subsister encore dans les autres parties. […] Si l’expression est la même pour la sensation physique et le sentiment moral, c’est que les deux ont leur unité non pas seulement, comme a dit Sully-Prudhomme, dans le même « champ de la conscience », mais encore dans un même mouvement de l’appétit et de la volonté.

169. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « Préface »

Il ne croit qu’à la Critique personnelle, irrévérente et indiscrète, qui ne s’arrête pas à faire de l’esthétique, frivole ou imbécile, à la porte de la conscience de l’écrivain dont elle examine l’œuvre, mais qui y pénètre et quelquefois le fouet à la main, pour voir ce qu’il y a dedans… Il ne pense pas qu’il y ait plus à se vanter, d’être impersonnel que d’être incolore, — deux qualités aussi vivantes l’une que l’autre et qu’en littérature, il faut renvoyer aux Albinos ! […] Quant aux principes sur lesquels elle s’appuie… pour clouer, — cette Critique, qui n’est, telle que nous la concevons, ni la Description, ni l’Analyse, ni la Nomenclature, ni la Sensation morbide ou bien portante, innocente ou dépravée, ni la Conscience de l’homme de goût, c’est-à-dire le plus souvent la conscience du sentiment des autres, toutes choses qu’on nous a données successivement pour la Critique, elle les exposera certainement dans leur généralité la plus précise, mais lorsque l’auteur des Œuvres et des Hommes arrivera à cette partie de son Inventaire intellectuel, intitulée : Les Juges jugés ou la Critique de la critique… Seulement d’ici-là, sans les formuler, ces principes auront rayonné assez dru dans tout ce qu’il aura écrit, pour qu’on ne puisse pas s’y tromper.

170. (1856) Cours familier de littérature. II « IXe entretien. Suite de l’aperçu préliminaire sur la prétendue décadence de la littérature française » pp. 161-216

Par lui la prose française, trop molle dans Fénelon, trop brusque dans Bossuet, trop pompeuse dans Buffon, trop légère dans Voltaire, prend une vigueur, une gravité mâle, une majesté digne, mais toujours naturelle, qui donne l’autorité à la pensée, la plénitude à l’oreille, l’émotion à la conscience du lecteur. […] Où la justice a-t-elle été plus faite de la moindre lâcheté de conscience, ou de la moindre goutte de sang livré par cette assemblée ? […] Le crime est précisément l’inverse de toute politique ; car toute politique n’est que la morale divine appliquée par la grande conscience des hommes d’État au gouvernement des nations : le crime au contraire n’est que l’immoralité humaine appliquée par l’impuissance ou par la perversité de la fausse conscience des ambitions au succès de leur cause ou de leur fanatisme. […] Les Machiavel, les Robespierre, les Danton ne sont au fond que des dupes qui ont mis leur génie à la torture pour chercher dans le crime ce que Dieu a caché dans la conscience et dans la vertu. […] La conscience de la France est encore intimidée, ou muette, ou captée ; mais le temps lui déliera les lèvres.

171. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXVe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (6e partie) » pp. 129-176

Il en eut la nature, le génie, l’extérieur, la destinée, la mort ; il n’en eut pas la conscience. […] Ma conscience aujourd’hui m’oblige à avouer que je crains d’avoir chargé sa mémoire d’une horreur qu’il ne mérite peut-être pas. […] Non, ce n’est pas là cette faute que ma conscience me reproche, ce fut plutôt le dévouement par lequel je la rachetai. […] Les blessures de la conscience ne se cicatrisent que par le repentir. […] Les révolutions ne sont pas, comme on l’a dit, l’interrègne de la conscience, elles en sont l’épreuve, et elles ne succombent que pour avoir mêlé dans leur œuvre le crime et la vertu.

172. (1888) Préfaces et manifestes littéraires « Histoire » pp. 179-240

La conscience de n’avoir rien pris au roman et de ne lui avoir rien donné, est notre seule excuse dans une tentative si grande. […] Chacune des périodes de temps, chacune des révolutions d’état et de mœurs qui constituent le siècle, depuis Louis XV jusqu’à Napoléon, a été étudiée par nous, selon notre conscience et selon nos forces. […] Voilà les premières annales, et ce qui succède à ces recueils de vers mnémoniques, hier toute la mémoire de l’humanité, et toute la conscience qu’elle avait, non de sa vie, mais de son âge : l’Histoire commence par un conte épique. […] Il s’élève alors, dans le monde asservi et rempli de silence, un historien nouveau et prodigieux qui fait de l’Histoire, non plus la tradition des fables de son temps, non plus la tribune d’une patrie, mais la déposition de l’humanité, la conscience même du genre humain. […] Il est dans un ancien une grande et magnifique image qui montre à notre conscience de plus hautes espérances, et doit la convier à de plus nobles devoirs.

173. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre septième. Les sentiments attachés aux idées. Leurs rapports avec l’appétition et la motion »

Pas d’intelligence sans la conscience, qui est le sujet ; point d’intelligence, d’autre part, sans un objet auquel elle s’applique et qui n’est vraiment objet adéquat que quand il est conçu comme le tout. […] Un plaisir auquel on ne fait aucune attention, qu’on n’« aperçoit » pas, qu’on n’achève pas en le mettant au point visuel de la conscience, ne s’intellectualise en rien et ne prend pas ce caractère de jouissance intelligente qui est la base du sentiment esthétique. […] Et, comme la jouissance, ainsi intellectualisée, peut pleinement jouir d’elle-même, jouir de sa propre conscience, elle prend un caractère pleinement esthétique.

174. (1875) Premiers lundis. Tome III « De la liberté de l’enseignement »

Nous avons honoré, pour l’avoir vu de près, un ancien membre des assemblées publiques, cet homme de conscience et qui eut le courage de sa conscience le jour du vote dans le procès de Louis XVI, l’intègre et respectable Daunou. […] Sée revendiqua son droit d’être écoulé au nom de la liberté de conscience et du libre examen. […] Le médecin doit faire de la science exacte, expérimentale, constater des faits, sans se préoccuper aucunement des conséquences qu’ils peuvent avoir. — Je ne demanderai pas à mes adversaires, a dit ici le professeur, en insistant avec un accent particulier, ce qu’ils peuvent conclure et penser au fond de leur conscience, mais je demande qu’ils respectent la mienne : s’il y a quelque chose qui doive être muré, c’est la conscience. […] Je maintiens de toute la force de la conscience scientifique que, dans l’enseignement de la physiologie comme des autres sciences, les faits résultant de l’observation et de l’expérience doivent être acceptés, quels qu’ils soient : les déductions dernières à en tirer appartiennent ensuite à chacun. […] J’ai connu bien des jeunes gens qui sont ainsi des idolâtres de leur conscience. » 66.

175. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre III. Combinaison des deux éléments. »

Une masse insensible, un fluide inerte. » Ajoutez-y de la chaleur, tenez le tout dans un four, laissez l’opération se faire : vous aurez un poulet, c’est-à-dire « de la sensibilité, de la vie, de la mémoire, de la conscience, des passions, de la pensée ». […] » L’homme est libre, capable de choisir entre deux actions, partant créateur de ses actes ; il est donc une cause originale et première, « une substance immatérielle », distincte du corps, une âme que le corps gêne et qui peut survivre au corps  Cette âme immortelle engagée dans la chair a pour voix la conscience. « Conscience ! […] La jouissance personnelle ne lui suffit pas ; il lui faut encore la paix de la conscience et les effusions du cœur  Voilà l’homme tel que Dieu l’a fait et l’a voulu ; il n’y a point de défaut dans sa structure. […] Il n’y avait de soulevés que la raison et les appétits ; on révolte encore la conscience et l’orgueil. […] Mais « un pistolet aux mains d’un brigand est aussi une puissance » ; direz-vous qu’en conscience je suis obligé de lui donner ma bourse   Je n’obéis que par force, et je lui reprendrai ma bourse sitôt que je pourrai lui prendre son pistolet.

176. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. Ernest Renan »

C’est ce qu’il appelle la conscience du genre humain, — une sorte de miroir supérieur et mobile où se réfléchissent et se concentrent les principaux rayons, les principaux traits du passé, et qu’à chaque époque le nombre plus ou moins grand des hommes qui pensent promène avec soi et transmet à ceux qui suivent. […] Telle est l’humanité : chaque nation, chaque forme intellectuelle, religieuse, morale, laisse après elle une courte expression qui en est comme le type abrégé et expressif, et qui demeure pour représenter les millions d’hommes à jamais oubliés qui ont vécu et qui sont morts groupés autour d’elle. » Cette conscience, cette mémoire du genre humain, c’est donc comme une Arche de Noë perpétuelle dans laquelle il ne peut entrer que les chefs de file de chaque race, de chaque série. […] Car que peut désirer de plus beau une grande âme, une haute intelligence, si par malheur la vie et la conscience individuelle ne persistent pas à tout jamais et s’évanouissent après cette vie mortelle ? Elle doit désirer que son œuvre du moins subsiste, que cette meilleure part d’elle-même où elle a mis le plus vif de sa pensée et toute sa flamme, entre dorénavant dans l’héritage commun, dans le résultat général du travail humain, dans la conscience de l’humanité : c’est par là qu’elle se rachète et qu’elle peut vivre. […] Certes, l’homme qui s’exprime ainsi n’est pas irréligieux : il me paraîtrait même conserver et introduire dans sa conclusion dernière une légère part de mysticisme ou d’indéterminé sous le nom d’idéal ; et je serais plutôt tenté, quand je considère l’histoire du monde, la vanité de notre expérience, la variété et le recommencement perpétuel de nos sottises ; quand je viens à me représenter combien de lacunes en effet dans ce cabinet des types et échantillons qu’il appelle magnifiquement la conscience du genre humain, combien de pertes irréparables et que de hasard dans ce qui a péri et ce qui s’est conservé, combien d’arbitraire et de caprice dans le classement de ce qui reste, et que ce restant dont nous sommes si fiers, si l’on excepte les tout derniers siècles qui nous encombrent, et dont, nous regorgeons, n’est, en définitive, qu’un trésor composé d’épaves comme après un naufrage ; — quand je me représente toutes ces interruptions, ces oublis, ces brusqueries et ces croquis de souvenirs, ces ignorances complètes ou ces à-peu-près, et à vrai dire, ces quiproquos qui ne sauraient pourtant revenir tout à fait au même, — je serais, je l’avoue, plutôt tenté de trouver que M. 

177. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Bain — Chapitre I : Des sens, des appétits et des instincts. »

Considérées sous leur aspect intellectuel, les sensations musculaires « sont très importantes au point de vue de la connaissance ; d si à un poids de quatre livres que nous tenons dans la main, on en ajoute un autre, l’état de conscience change : ce changement d’état, c’est la discrimination (faculté de discerner), et c’est le fondement de notre intelligence. […] L’état de conscience qui résulte d’une circulation saine peut être considéré comme la sensation caractéristique de l’existence animale. […] Mais si au sens du mouvement s’ajoute le sens du toucher ; si le mouvement a lieu, par exemple, d’un côté d’une boite à l’autre, ici il y a une résistance, et deux états distincts, qui constituent une marque dans la conscience. […] Bain qui le cite : « La chaîne des états de conscience de A à Z produite par le mouvement d’une jambe ou de quelque chose sur la peau, ou de l’œil le long des contours d’un objet, peut être parcourue de Z à A avec une égale facilité. Contrairement à ces états de conscience constituant notre perception de séquence, qui s’opposent irrésistiblement à tout changement dans leur ordre, ceux qui constituent notre perception de coexistence souffrent que leur ordre soit renversé et suivent aussi facilement une direction que l’autre162. » Les sensations combinées de mouvement et de toucher nous donnent les notions de longueur, de surface (étendue à deux dimensions), solidité (étendue à trois dimensions).

178. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Du docteur Pusey et de son influence en Angleterre »

Du moins, dans Luther, on pouvait reconnaître encore, mutilés, il est vrai, par l’orgueil du sectaire, et souillés par d’ignobles concupiscences, les débris de ce qui avait autrefois été une foi et une conscience humaines ; mais chez Henri VIII, rien de pareil ! […] elles n’ont aucun des grands caractères qui marquent ordinairement ces cataclysmes de l’erreur, dans la conscience foudroyée, que l’on appelle des conversions. […] Et le sentiment d’une position que nous appellerions fatale si le mot était plus chrétien, qui n’en a pas la pleine conscience, à l’heure qu’il est, en Angleterre ? […] Quand on le lit, on prend une idée assez juste de la solidité et de la résistance que doit opposer pour un temps à la réaction catholique, cette religion anglicane, ruinée dans la conscience publique, mais debout encore dans le gouvernement du pays. […] … Après l’intérêt sacré de la conscience, — le plus haut intérêt pour les peuples comme pour les individus, — on peut parler de l’intérêt politique à une nation qui entend la puissance et qui n’a pas dit le dernier mot de ses destinées.

179. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 mai 1885. »

Mais il ajoute que cette intuition de l’Idée dans la musique ne serait pas possible, si l’on n’avait, déjà, par la conscience, une intuition subjective de cette Idée. Or, la conscience renferme deux parties : la conscience de soi-même, qui est la Volonté, et la conscience des autres choses, qui est la Représentation (p. 85). La musique, pure de tout concept concret, répond, évidemment, à ce côté de la conscience qui est tourné vers le dedans. Le Rêve, où l’esprit parvient au plein éveil de cette conscience intérieure, peut donner l’idée de ce qu’est la musique. […] L’Innocence, rachetée, se joue avec l’aiguillon inerte du Péché, maintenant expié ; la Conscience, délivrée, se joue avec son Tourment qui, maintenant, l’a quittée.

180. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLIVe entretien. Examen critique de l’Histoire de l’Empire, par M. Thiers » pp. 81-176

Il n’y a pas deux morales, parce qu’il n’y a pas deux consciences dans l’homme ; il n’y en a qu’une. Cette conscience ne change pas de nature en s’appliquant aux grandes choses de la politique ; elle s’agrandit, voilà tout. […] La conscience seule peut être juste. […] Avec l’intelligence seule il est une glace ; avec la pensée, le sentiment, la conscience, le jugement, il est un historien. […] L’esprit a pu en être ébloui, mais il n’y a pas une conscience qui n’en ait été troublée et inquiétée jusqu’à la fin de ce forfait heureux.

181. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre quatorzième. »

. — Examen de conscience sur les devoirs de la royauté. […] Examen de conscience sur les devoirs de la royauté. […] Au lieu de susciter cette foule de menus scrupules et de petites perplexités, où la conscience s’embarrasse, et qui empêchent l’activité, il se contente d’avertir la conscience par des traits frappants. […] Bossuet ne fait pas un examen en quelque sorte calomnieux des consciences royales. […] Fénelon ménage-t-il du moins la conscience du jeune prince sur les querelles théologiques du temps ?

182. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « La religion dynamique »

En traversant la matière, la conscience prit cette fois, comme dans un moule, la forme de l’intelligence fabricatrice. […] L’état où il achemine l’âme est au-delà du bonheur et de la souffrance, au-delà de la conscience. […] L’énergie lancée à travers la matière nous était apparue en effet comme infra-consciente ou supra-consciente, en tout cas de même espèce que la conscience. […] Car si notre corps est la matière à laquelle notre conscience s’applique, il est coextensif à notre conscience, il comprend tout ce que nous percevons, il va jusqu’aux étoiles. […] Tout de suite surgira le tableau des souffrances qui couvrent le domaine de la vie, depuis le plus bas degré de la conscience jusqu’à l’homme.

183. (1923) Paul Valéry

Absence, néant, qui contribuet à ce déficit qu’est la conscience, à cette conscience d’un manque qu’est la vie. […] Mais ce néant comme dans la Jeune Parque prend une figure positive par le désir, et la conscience devient de l’Être. […] De l’autre l’idée de la construction, la conscience de la création technique, architecturale, poétique. […] Il vit dans notre vie et non dans notre mort ; il se confond avec notre conscience, avec la conscience de notre changement, avec le changement de notre conscience. […] Une idée de la poésie pure, dont Mallarmé avait figuré la plus haute et la plus inquiète conscience, s’est imposée.

184. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Le père Monsabré »

Ne crieriez-vous pas au tyran de l’âme, au bourreau des consciences ?  […] La conscience est inviolable : l’homme a le droit de n’être méprisable que devant soi  Mais, au contraire, répond l’orateur, la conscience a besoin de s’épancher : De tous les secrets que nous portons dans le vase trop fragile de notre cœur, aucun ne nous fatigue comme le secret du péché et des peines qu’il enfante. […] Encore la conscience a-t-elle des retours. […] Le mal nous quitte et passe des profondeurs de notre conscience dans des abîmes qui le dérobent aux yeux. […] Je voudrais pouvoir offrir à ceux qui redoutent la curiosité du prêtre dix ou douze heures de confessionnal : j’espère qu’au bout de ce temps il me demanderaient grâce et reconnaîtraient qu’il faut un sentiment moins trivial que la curiosité pour retenir le prêtre enchaîné aux fastidieuses redites de la conscience humaine.

185. (1911) Jugements de valeur et jugements de réalité

La conscience morale moyenne est médiocre ; elle ne sent que faiblement les devoirs même usuels et, par suite, les valeurs morales correspondantes ; il en est même pour lesquelles elle est frappée d’une sorte de cécité. […] Ainsi peut s’expliquer l’espèce de nécessité que nous subissons et dont nous avons conscience quand nous émettons des jugements de valeurs. […] C’est la conscience publique qui nous lie. […] De même, le nombre des adultères, des divorces, des séparations de corps exprime la force relative avec laquelle l’idéal conjugal s’impose aux consciences particulières. […] A ces moments, il est vrai, cette vie plus haute est vécue avec une telle intensité et d’une manière tellement exclusive qu’elle tient presque toute la place dans les consciences, qu’elle en chasse plus ou moins complètement les préoccupations égoïstes et vulgaires.

186. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Rêveries sur un empereur »

D’autre part, il semble bien qu’il soit, de tous les empereurs et de tous les rois qui nous restent, celui qui a le plus nettement conscience de sa mission providentielle, celui qui a la conception la plus mystique de son devoir de pasteur des peuples. […]   Il a commencé par aller visiter, à la file, ses cousins les empereurs et les rois (jusqu’au Grand Turc, qui n’y a rien compris), comme s’il sentait qu’au temps où nous sommes, les souverains que la démocratie n’a pas encore emportés ont des choses graves à se dire, des questions solennelles à débattre, une sorte d’examen de conscience royal à faire ensemble. […] Or  et nous entrons ici dans le rêve  que pourrait-on attendre aujourd’hui d’un monarque absolu qui, un siècle après la Révolution, aurait, au fond, la même notion du pouvoir royal et le même genre de sérieux et de bonne volonté que les rois-prêtres de jadis, qu’un Philippe-Auguste, un Louis IX ou un Charles V, et qui, jeté dans un monde totalement différent du leur, joindrait à cela les lumières auxquelles est parvenue, depuis ces grands princes, la conscience de l’humanité ?

187. (1887) Discours et conférences « Discours à l’Association des étudiants »

Et, dans l’ordre purement scientifique, à quelles vues arrivera-t-on sur la race, l’embryon, l’espèce, l’individu, la vie, la conscience ? […] La gaieté de la conscience suppose une bonne vie. […] J’ai visé par-dessus tout, dans ma vie, à conserver le repos de ma conscience, et j’y ai réussi.

188. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « L’abbé Monnin. Le Curé d’Ars » pp. 345-359

L’abbé Monnin n’a jamais entendu, ni personne que ceux auxquels le Curé d’Ars s’adressait dans ce tête-à-tête sublime de la confession entre le prêtre et son pénitent, les paroles irrésistibles qui ont dû lui tomber des lèvres, à cet Inspiré de la conscience, mais il l’a entendu souvent dans ses instructions et ses catéchismes, et ce qu’il s’en rappelle et en cite est d’une beauté de langage qui défie les plus beaux langages de la terre. Je n’hésite pas à l’affirmer : nul poète, nul orateur, nul écrivain n’est plus magnifique et plus poignant que cet ignorant, incorrect et familier curé de campagne, qui a dans la conscience, cette conscience qui appartient à tous, les mêmes choses qui ne sont que dans le génie, lequel n’appartient, lui, qu’à quelques-uns ! […] La conscience, même à ce point de vue de la beauté, est aussi puissante que le génie, et, comme elle appartient à tous, il ne s’agit que d’y descendre pour en rapporter des choses qui équivalent à du génie et rétablissent l’égalité entre les hommes par la vertu… C’est là ce qui faisait du pauvre curé d’Ars (il faut bien le dire !)

189. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Introduction »

— Autant de problèmes moraux que les tendances égalitaires proposent à notre conscience. […] Mais, que ces maximes soient fondées en raison ou simplement posées par la conscience, ce qui nous importe ici, c’est l’attitude qu’elles impriment à l’esprit : elle reste distincte de l’attitude de la science. […] Les jugements de la conscience, même lorsqu’un système les formule en propositions plus ou moins générales et les enchaîne logiquement, n’impliquent pas le même rapport du sujet à l’objet que les jugements de la science. Et sans doute, il nous est difficile d’empêcher que la conscience se mêle à la science, lorsque l’objet que nous proposons à notre étude scientifique est justement une idée morale.

190. (1913) Le bovarysme « Avertissement »

Pourtant, il s’applique à une matière à laquelle les hommes, plus qu’à aucune autre, se croient tenus d’imprimer eux-mêmes une forme : on y traite de l’évolution dans l’humanité, c’est-à-dire des modes du changement dans cette partie du spectacle phénoménal où le fait de la conscience semblé attribuer à l’être qui subit le changement, avec le pouvoir de le causer, le devoir de le diriger. […] Il résulte de cette croyance que toute constatation de fait tend, en langage humain, à se formuler en règle morale ; car l’illusion engendrée par le reflet de l’activité dans la conscience est si forte qu’elle domine les formes du langage et qu’elle a laissé dans les mots son empreinte.

191. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préfaces des « Odes et Ballades » (1822-1853) — Préface de 1853 »

Dans cette âpre lutte contre les préjugés sucés avec le lait, dans cette lente et rude élévation du faux au vrai, qui fait en quelque sorte de la vie d’un homme et du développement d’une conscience le symbole abrégé du progrès humain, à chaque échelon qu’on a franchi, on a dû payer d’un sacrifice matériel son accroissement moral, abandonner quelque intérêt, dépouiller quelque vanité, renoncer aux biens et aux honneurs du monde, risquer sa fortune, risquer son foyer, risquer sa vie. […] — c’est avec un orgueil plus légitime, certes, et avec une conscience plus satisfaite, qu’on peut montrer ces odes royalistes d’enfant et d’adolescent à côté des poëmes et des livres démocratiques de l’homme fait ; cette fierté est permise, nous le pensons, surtout lorsque, l’ascension faite, on a trouvé au sommet de l’échelle de lumière la proscription, et qu’on peut dater cette préface de l’exil.

192. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre deuxième. La connaissance des corps — Chapitre premier. La perception extérieure et les idées dont se compose l’idée de corps » pp. 69-122

Nous trouvons que les modifications qui ont lieu plus ou moins régulièrement dans nos possibilités de sensation sont pour la plupart tout à fait indépendantes de la conscience que nous en avons et de notre présence ou de notre absence. […] Ainsi il n’y a aucun obstacle psychologique qui nous empêche de former la notion d’un quelque chose qui n’est ni une sensation ni une possibilité de sensation, même lorsque notre conscience ne confirme pas cette opération par son témoignage ; et il est tout à fait naturel que les possibilités permanentes de sensation que nous atteste notre conscience soient confondues dans notre esprit avec cette conception imaginaire. […] Ce sont là des indices, comme les gestes et les cris d’un animal, c’est-à-dire des dehors semblables aux nôtres, d’après lesquels nous affirmons un dedans semblable au nôtre ; nous sommes donc en droit d’attribuer à la balle un changement intrinsèque, analogue à la sensation musculaire de locomotion que par la conscience nous constatons dans nos membres. […] Auquel cas le mouvement le plus simple, tel que nous l’attribuons à un point mobile, serait précisément la série la plus simple de ces événements moraux élémentaires dont nous avons vu les formes dégradées se prolonger, en se dégradant davantage encore, sous les événements moraux composés, sensations et images, dont nous avons conscience. […] Mais ce ne serait là que le point de vue analytique ; en soi, le mouvement ne serait concevable que par les séries de sensations musculaires dont il est l’extrait le plus mince, et, directement, le type de l’existence serait l’événement mental, sensation ou image, tel que la conscience le constate en nous.

193. (1888) Poètes et romanciers

. — L’honneur, c’est la conscience, mais la conscience exaltée. […] Elles expriment une conscience, une âme, une vie. […] Il fait le sien en conscience. […] Et de là que de luttes et quel drame dans la conscience des générations nouvelles ! […] Cette révélation de la conscience, non expliquée, reste un mystère.

194. (1899) Les industriels du roman populaire, suivi de : L’état actuel du roman populaire (enquête) [articles de la Revue des Revues] pp. 1-403

Il traîne en conscience les préliminaires d’un tel suicide. […] Là-dessus, Ponson du Terrail avait la conscience aussi légère que la main. […] En leur intime conscience, ils savent bien qu’ils se sont détachés sans rémission du prestige idéal. […] Quelques pornographes disputent avec eux le privilège spécial d’être la conscience de la patrie française. […] Voir la Conscience Nationale, p. 233-234.

195. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Chapitre VI. L’espace-temps à quatre dimensions »

Le temps se présente d’ailleurs bien à notre conscience comme durée et succession, attributs irréductibles à tout autre et distincts de la juxtaposition. 2° Sur un film, tout serait prédéterminé ou, si vous aimez mieux, déterminé. Illusoire serait donc notre conscience de choisir, d’agir, de créer. […] Mais nous pouvons lui en supposer une troisième, que nos sens n’atteignent pas, et à travers laquelle voyagerait précisément notre conscience quand elle se déroule dans le « Temps ». […] Je vous livre ce qui s’offre à mes sens et à ma conscience : l’immédiatement donné doit être tenu pour réel tant qu’on ne l’a pas convaincu d’être une simple apparence ; à vous donc, si vous voyez là une illusion, d’apporter la preuve. […] Wells avait merveilleusement devancé cette théorie quand il faisait dire à son « voyageur dans le Temps » : Il n’y a aucune différence entre le Temps et l’Espace, sinon que le long du Temps notre conscience se meut  50.

196. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Victor Duruy » pp. 67-94

Car, si l’univers a un but, il faut que ce soit, pour le moins, d’être connu de l’homme et de se réfléchir en lui, puisque, au surplus, les métaphysiciens nous disent que le monde n’existe qu’en tant qu’il est pensé par nous. « Science sans conscience est la ruine de l’âme ». […] Duruy en était énergiquement d’avis ; mais il eût nié que la science, à l’entendre bien, puisse être sans conscience. […] Le « résumé général » de l’Histoire des Romains et celui de l’Histoire des Grecs ressemblent à l’examen de conscience de deux peuples. […] Elles rappellent aux âmes inquiètes que, entre les croyances confessionnelles et le doute ou la négation, il reste à la conscience des refuges ; qu’il est toute une vénérable tradition de postulats moraux, sur qui l’on peut dire que, depuis les temps historiques, ont vécu tous les hommes de bien : car ceux mêmes d’entre eux qui n’y croyaient pas ont agi comme s’ils y croyaient, et ceux, qui croyaient à quelque chose de plus croyaient donc à cela aussi. […] Sans prétendre définir dans la grande rigueur ces idées entrevues par la conscience et sommées par elle d’être des vérités, il croyait en Dieu, à une survie de l’âme et à une responsabilité par-delà la mort, à une signification morale du monde et, malgré sa marche un peu déconcertante, au progrès.

197. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre IV : La philosophie — I. La métaphysique spiritualiste au xixe  siècle — Chapitre III : Le présent et l’avenir du spiritualisme »

D’un côté, le besoin de trouver un point fixe dans la fluctuation universelle des croyances et des consciences rattache les esprits droits à une doctrine déterminée et fixe : d’un autre côté, le besoin de voir de plus en plus clair dans ses pensées, la passion du progrès, à laquelle personne de notre temps ne peut échapper absolument, entraîne plus ou moins les hommes sincères hors des voies réglementaires et consacrées. […] Il y a des catholiques pour qui toutes les grandes conquêtes modernes, liberté de conscience, liberté de pensée, liberté de la presse, liberté politique, ne sont que de grandes et funestes erreurs : c’est la liberté du mal. […] Sans doute cette lutte, si vive et si profonde qu’elle soit dans le fond des consciences, éclate rarement au dehors32 car il est de l’essence du catholicisme de couvrir les dissidences réelles par l’apparence de l’unanimité. […] Je ne suis certainement pas juge de l’importance que peut avoir en théologie dogmatique la croyance à l’Immaculée conception ; cependant il faut avouer que les hommes de nos jours étaient peu troublés par cette question, et qu’ils eussent volontiers attendu l’autre monde pour savoir à quoi s’en tenir à ce sujet ; mais leur conscience d’hommes et de citoyens est tous les jours déchirée par le conflit des anciennes doctrines et des nouvelles, et c’est là-dessus qu’on les laisserait libres, à ce que l’on dit.

198. (1913) Le bovarysme « Troisième partie : Le Bovarysme, loi de l’évolution — Chapitre II. Bovarysme essentiel de l’être et de l’Humanité »

L’esprit s’élève-t-il au-dessus de cette conception contradictoire, il ne trouve un terme et un but à la vie phénoménale que dans la cessation de celle-ci, dans sa résorption en un état d’unité absolue hors de la conscience de soi-même : c’est à quoi aboutissent tous les efforts logiques du souci religieux ou métaphysique, le Boudhisme avec une entière sincérité, le Brahmanisme et le Déisme avec la confusion en Dieu assignée comme but au perfectionnement individuel. […] Dès lors toutes les consciences individuelles et tous les instants d’une même conscience individuelle sont les fenêtres où luisent les yeux avides de la connaissance, contemplant le spectacle, changeant de l’univers.

199. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXVIe entretien. J.-J. Rousseau. Son faux Contrat social et le vrai contrat social (2e partie) » pp. 417-487

Donc, le suprême législateur est celui qui a créé d’avance en nous l’écho préexistant de ses lois, la conscience, cet écho humain de la justice divine ! […] Plus les lois renferment de justice, c’est-à-dire de conscience et de révélation des volontés de Dieu par l’instinct, plus elles sont vraies, utiles, obéies par les peuples qui les adoptent pour règle. […] En d’autres termes, toute justice est pondération ; si la pondération n’est pas exacte, la conscience souffre, bon gré, mal gré, dans l’homme, l’arithmétique divine est violée, le résultat est faux ; l’homme le sent, Dieu le venge, le coupable lui-même le reconnaît : voilà la justice. […] Point de privilège contre la révélation divine manifestée par l’instinct universel : la conscience. Quand bien même l’homme voudrait en créer, de ces privilèges contre Dieu, il ne le pourrait pas : c’est plus fort que lui, ce serait vengé par lui, il trouverait l’insurrection en lui, sa conscience, à lui, se révolterait contre lui : c’est fatal.

200. (1888) Épidémie naturaliste ; suivi de : Émile Zola et la science : discours prononcé au profit d’une société pour l’enseignement en 1880 pp. 4-93

Ces consciences impeccables eurent, un instant, l’intention de faire interdire le volume dans un mouvement de vertueuse indignation. […] Nous lui devons la libération de notre conscience. […] On sourit quand on se reporte par la pensée à l’époque pourrie où des protestations de conscience se produisirent. […] C’est la marche ascendante et fatale dans le mal, c’est la dégradation progressive de la conscience. […] Le véritable but des lettres est de faire monter le niveau de la conscience.

201. (1902) L’observation médicale chez les écrivains naturalistes « Chapitre II »

Chapitre II La clinique objective En toute conscience, les naturalistes devaient donc s’abstraire de leurs œuvres, réduire leur vision des choses à la constatation strictement objective. […] Cette affirmation ne me touche guère parce que j’ai la conscience de l’avoir plus aimé qu’aucun de ceux qui diront cela n’ont jamais aimé aucune créature humaine ; … mais, renfonçant toute sensibilité, j’ai pensé qu’il était utile pour l’histoire des lettres, de donner l’étude féroce de l’agonie et de la mort d’un mourant de la littérature… »16 Et, cette justification achevée, suit une des plus poignantes et douloureuses observations cliniques qui aient jamais été recueillies par un cerveau dressé à l’analyse et tout proche de l’être souffrant : Observation α. […] En dramaturge, en « homme de métier », Shakespeare ne dut avoir conscience, comme artifice scénique, que du premier de ces deux aspects. […] Il était intéressant de savoir à quelle source avisée Wagner avait puisé, surtout s’il avait eu conscience, en ces fresques géantes, d’avoir atteint la précision clinique que nous y admirons aujourd’hui. […] En 1877, où s’achevait le livret de Parsifal, le dédoublement de conscience n’était que mythe et fatras.

202. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre III. Le Bovarysme des individus »

Le point d’honneur, tel que le fixe la coutume de chaque nation, prend sur la plupart des consciences individuelles un empire souverain et on y voit l’opinion, glus forte que la nature, déformer et façonner ce qu’il y a de plus intime dans un être, ses instincts. […] D’excellents poètes ont vécu de mon temps, il y en a eu de meilleurs encore avant moi, et il n’en manquera pas de plus grands parmi ceux qui nous succéderont ; mais que, dans la difficile question de la lumière, je sois le seul de mon siècle qui sache la vérité, voilà ce qui cause ma joie et me donne la conscience de ma supériorité sur un grand nombre de mes semblables. » Ce n’est pas à dire pourtant que Gœthe lut sans valeur au point de vue scientifique. […] Il faut qu’il se reflète dans sa propre conscience autre qu’il n’est, revêtu d’apparences où il prenne le change sur sa propre personne. […] La franc-maçonnerie du signe remplaçant l’acte complexe de l’intelligence sera donc ici toute-puissante, et ce qu’il faut admirer c’est l’étrange puérilité des simulacres qui, fortifiés par la vertu de l’association, suffisent à pénétrer les snobs de la conscience de leur valeur. […] Le snobisme a tout prendre est un Bovarysme triomphant, c’est l’ensemble des moyens employés par un être pour s’opposer il l’apparition, dans le champ de sa conscience, de son être véritable, pour y faire figurer sans cesse un personnage plus beau en lequel il se reconnaît.

203. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Hippolyte Babou »

Soit, en effet, qu’il eût compris qu’il faut plus d’art peut-être pour construire un drame ou un récit dans les proportions de Madame Firmiani ou de la Grande Bretèche que dans celle des Mystères de Paris ou de Monte-Cristo, soit qu’il ne se sentit dans l’esprit, pour chacune de ses conceptions, que le cadre étroit d’une nouvelle et qu’il ne voulût pas trop embrasser pour mal étreindre, il n’en a pas moins donné à la Critique le spectacle de deux choses l’une, auxquelles elle est peu accoutumée : — l’amour désintéressé de ce qui est difficile, et l’exacte conscience de soi. […] Ou bien, dans sa pensée intime, car nous prenons souvent nos prétentions pour notre conscience, le spirituel et amusant satirique se croit-il naïvement des quarts d’heure de justicier et d’oubli de malice dans la justice ? […] La science paraîtra peut-être un mot bien lourd à la légèreté ailée d’Hippolyte Babou ; mais, à défaut de science, la conscience — la conscience littéraire, bien entendu ! […] Cette sensibilité ondoyante, dont parfois les impressions sont justes et vraies, et d’autres fois injustes et fausses, cette sensibilité qui, dans les Lettres satiriques, tourne si brusquement de la haine à l’amour et de l’amour à la haine, tient évidemment trop la place de l’étude attentive d’une conscience sévère, et Babou en a donné une preuve particulièrement malheureuse, et que je me permettrai de citer, parce que je le dois.

204. (1899) La parade littéraire (articles de La Plume, 1898-1899) pp. 300-117

Henry Bérenger, intitulé, la Conscience nationale. Y a-t-il encore une conscience française, telle est la question que se pose M.  […] Leur dieu, c’est l’homme ; leur verbe, c’est la voix de la conscience ; leurs saints impérissables, tous ceux dont l’âme a été belle. […] Leur Verbe, c’est la voix de la conscience ! […] Qu’ils assainissent leur conscience avant de se jeter dans les recherches métaphysiques.

205. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — CHAPITRE XIV »

Et si pourtant elle était sincère, dans cet accès de remords, dans ce réveil en sursaut de la conscience et du cœur ? […] Mais le canon est en péril, elle accourt, la conscience en alarmes, prête à se faire tuer sur sa théorie. […] La conscience étant l’organe essentiel de la vie morale, il se mutilerait s’il la retranchait de son action ou s’il l’enlevait à ses personnages. […] Raymonde tressaille à cette nouvelle : elle se contient d’abord et discute doucement, comme par scrupule de conscience. […] J’ai dû relever ce défaut, parce qu’il est unique dans ce drame profondément vrai et vivant, qui ne laisse une objection ni à l’esprit ni à la conscience.

206. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préface des « Feuilles d’automne » (1831) »

Enfin, au-dehors comme au-dedans, les croyances en lutte, les consciences en travail ; de nouvelles religions, chose sérieuse ! […] C’est le passage de l’unité religieuse et politique à la liberté de conscience et de cité, de l’orthodoxie au schisme, de la discipline à l’examen, de la grande synthèse sacerdotale qui a fait le moyen-âge à l’analyse philosophique qui va le dissoudre ; c’est tout cela ; et c’est aussi le tournant, magnifique et éblouissant de perspectives sans nombre, de l’art gothique à l’art classique. […] Cependant, dans la position indépendante, désintéressée et laborieuse où l’auteur a voulu rester, dégagé de toute haine comme de toute reconnaissance politique, ne devant rien à aucun de ceux qui sont puissants aujourd’hui, prêt à se laisser reprendre tout ce qu’on aurait pu lui laisser par indifférence ou par oubli, il croit avoir le droit de dire d’avance que ses vers seront ceux d’un homme honnête, simple et sérieux, qui veut toute liberté, toute amélioration, tout progrès, et en même temps toute précaution, tout ménagement et toute mesure ; qui n’a plus, il est vrai, la même opinion qu’il y a dix ans sur ces choses variables qui constituent les questions politiques, mais qui, dans ses changements de conviction, s’est toujours laissé conseiller par sa conscience, jamais par son intérêt.

207. (1897) L’empirisme rationaliste de Taine et les sciences morales

Il a conscience de l’écart qu’il y a entre le simplisme naturel à l’entendement et l’énorme complexité des choses, et il en conclut que des opérations purement mentales ne sauraient suffire à nous en faire pénétrer la nature. […] L’humanité a trop conscience qu’il y a beaucoup de choses qu’elle ne comprend pas pour se tromper à ce point sur ses propres forces. […] Car la psychologie expérimentale, dont il a été le principal initiateur en France, repose précisément sur cet axiome que la conscience n’est pas une réalité aussi simple et aussi facile à connaître que le supposait l’école introspectionniste ; qu’elle ne se réduit pas à un petit groupe d’idées claires et d’états distincts dont la formule est facile à trouver ; mais qu’elle a, au contraire, des dessous profonds et obscurs et où, pourtant, il n’est pas impossible de faire progressivement descendre la lumière de la raison.

208. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre VI. Premiers pas hors de Saint-Sulpice  (1882) »

Mais la satisfaction intime de ma conscience me suffisait. […] Quand je me laisse aller à de périlleux abandons, où ma conscience littéraire hésite et où ma main tremble, des milliers me demandent de continuer. […] Dans les malheurs publics oui pourront venir, j’aurai donc ma conscience tout à fait en repos. […] Mon expérience de la vie a donc été fort douce, et je ne crois pas qu’il y ait eu, dans la mesure de conscience que comporte maintenant notre planète, beaucoup d’êtres plus heureux que moi. […] D’ailleurs, la main sur la conscience, s’il y en a un, je ne crois pas l’avoir mérité.

209. (1896) Les idées en marche pp. 1-385

les évolutions ne suppriment pas le souvenir… Au reste, à quoi Renan applique-t-il sa nouvelle conscience, sa conscience uniquement scientifique ? […] Il lui a donné une conscience. […] Elle n’a fait que développer la conscience d’un fatalisme brutal, conscience toujours douloureuse. […] Grâce à ces deux femmes, André prend une conscience plus nette de lui-même. […] La conscience, fatiguée du monde, ne se contente plus de le subir.

210. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. James Mill — Chapitre III : Sentiments et Volonté »

Une idée de plaisir ou de douleur est un état de conscience très net et connu de chacun. […] Quant « à l’anticipation de l’avenir, elle consiste dans la même série d’associations, avec cette différence que, dans la mémoire, l’association des états de conscience qui convertit l’idée en mémoire va du conséquent à l’antécédent, c’est-à-dire à reculons ; tandis que dans le cas d’anticipation, l’association va de l’antécédent au conséquent, c’est-à-dire en avant46. » Quand une sensation agréable est conçue comme future, mais sans qu’on en soit certain, cet état de conscience s’appelle espoir ; si l’on en est certain, il s’appelle joie. Quand une sensation désagréable est conçue comme future, mais sans qu’on en soit certain, cet état de conscience s’appelle crainte ; si l’on en est certain, il s’appelle chagrin (sorrow).

211. (1864) William Shakespeare « Première partie — Livre V. Les âmes »

S’il n’y va point, il reste dans la vie ordinaire, dans la conscience ordinaire, dans la vertu ordinaire, dans la foi ordinaire, ou dans le doute ordinaire ; et c’est bien. […] L’illimité entre dans sa vie, dans sa conscience, dans sa vertu, dans sa philosophie. […] Aussi écoutez la foudroyante affirmation qui jaillit de toutes les consciences. […] Les uns en ont conscience, les autres points.

212. (1900) Le rire. Essai sur la signification du comique « Chapitre III. Le comique de caractère »

entre nous et notre propre conscience, un voile s’interpose, voile épais pour le commun des hommes, voile léger, presque transparent, pour l’artiste et le poète. […] Mes sens et ma conscience ne me livrent donc de la réalité qu’une simplification pratique. […] Je parle d’un détachement naturel, inné à la structure du sens ou de la conscience, et qui se manifeste tout de suite par une manière virginale, en quelque sorte, de voir, d’entendre ou de penser. […] D’ailleurs il ne les trouverait pas : nous ne sommes risibles que par le côté de notre personne qui se dérobe à notre conscience. […] Ou bien encore il aura conscience de parler et d’agir comme à l’ordinaire ; seulement il parlera de lui comme d’un étranger avec lequel il n’a plus rien de commun ; il se sera détaché de lui-même.

213. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre onzième. La littérature des décadents et des déséquilibrés ; son caractère généralement insociable. Rôle moral et social de l’art. »

L’état de fièvre, pour la conscience, se manifeste par le sentiment d’un malaise vague et d’un manque d’équilibre intérieur, et il y a une sorte de gens dont l’état normal est semblable à la fièvre, les névropathes et les délinquants. […] La vanité, la réaction naïve du moi sur les choses croît chez les hommes d’autant plus que leur conscience est plus mal équilibrée et plus mal éclairée. […] La suppression de la vanité vient d’une mesure exacte de soi, d’une coordination meilleure des phénomènes mentaux ; ayez pleine conscience de vous-même, réfléchissez sur vous-même, et vous vous ramènerez pour vos propres yeux à de justes proportions. […] Une société, étant un organisme doué d’une conscience collective et d’une volonté commune, ne peut subsister que par la solidarité et le consensus des individus, qui sont ses organes élémentaires. Cette solidarité s’exprime par l’esprit public, c’est-à-dire par une subordination des consciences particulières à une idée collective, des volontés individuelles à la volonté générale ; et c’est cette subordination qui constitue la moralité civique.

214. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Paul Meurice » pp. 231-241

II Et cette explication légère, facile, impertinente pour le Saint-Esprit, Paul Meurice, qui en a conscience, finit par en avoir un peu honte, et, redevenu modeste tout à coup : « Nous n’avons nulle prétention — dit-il agréablement — de fonder notre petite religion les pieds sur nos chenets. » Malheureusement, ce n’est pas bien long, cette modestie ; il reprend presque aussitôt le ton de sa maison, l’insupportable ton hugolâtre : « Dieu ! […] Tel le sujet du roman de Meurice, et ce sujet, sous une plume virile et suffisamment essuyée des badauderies qui enniaisent la sienne, pourrait, malgré la faiblesse du caractère de son héros, tué par une opinion qu’il prend pour sa conscience, être intéressant, — comme l’est toute lutte ardente et funeste. […] Il cède sa fille à son ennemi, tremble devant la conscience armée de son fils, qui se tait et s’éloigne en emportant respectueusement son mépris, et il meurt de tout cela, comme un homme sans puissance d’ambition et d’idées ; car les grands hommes peuvent bien être tués par leur ambition ou par leurs idées, mais ils ne se laissent pas, comme une jeune fille allemande, mourir !

215. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — chapitre VI. Les romanciers. » pp. 83-171

En vain, à la première tempête, le repentir le prend : il noie dans le vin ces « accès » de conscience. […] Tantôt c’est la conscience qu’on accepte pour souveraine, et tantôt c’est l’instinct qu’on prend pour guide. […] Sa conscience et sa perruque sont intactes. […] Si vous aviez entre les mains son journal, vous y trouveriez des prières ferventes, des examens de conscience et des résolutions de conduite. […] Il est chrétien de cœur et de conscience, de raisonnement et de pratique.

216. (1908) Après le naturalisme

Dira-ton que la simple cellule de protoplasma jouit originellement de la conscience des causes premières. […] Une conscience satisfaite, seule, engendre les plus grandes joies. […] Le parti-pris, car c’en est un, venait du manque de conscience du principe auquel obéissait le réalisme. […] Où elle ne se réalisera plus, plus rien que l’existence matérielle des corps sans conscience. […] C’est désormais devant la Vie, par la conscience de l’absolue Vérité que nous palpiterons.

217. (1888) La critique scientifique « Avant-propos »

Le critique suisse salue cet effort de classement des émotions, inscrit dans le sillage de Spencer et de Wundt, qui a contribué à faire passer l’étude des phénomènes de conscience du « dogmatisme » à « l’observation » ; il signale en outre que « l’auteur ne se sert que modérément de la doctrine de l’évolution, et s’abstient de toute métaphysique ». […] Chez le philosophe évolutionniste anglais, cette catégorie vise l’étude des relations entre les états de conscience et les affections nerveuses.

218. (1920) Essais de psychologie contemporaine. Tome I

Lui-même en avait trop la conscience, puisqu’il a intitulé toute une part de son livre : Spleen et Idéal. […] Les docteurs en santé sociale objectent que cette absence de parti pris aboutit à une anémie de la conscience morale d’un pays. […] Il faut attribuer au caractère de ces deux études la sérénité de sa conscience intellectuelle à l’endroit du problème religieux. […] Nous ne pouvons pas concilier qu’une conscience qui n’est pas sincère avec elle-même soit une véritable conscience. […] Taine a vu profondément qu’un phénomène de conscience, une idée, par exemple, est la cause d’une série d’autres phénomènes de conscience, quelle que soit d’ailleurs la modification physiologique correspondante.

219. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — P — Parodi, D.-Alexandre (1842-1902) »

cette hardiesse à rejeter un sentiment intime, un chagrin de l’âme, un remords de la conscience, M.  […] Il faut une réelle puissance aujourd’hui et une admirable conscience artistique pour tenter un drame qui n’a rien de commun avec les drames à la mode, qui n’est ni « populaire » ni « sentimental », et dont l’intérêt a pour mobiles les sentiments les plus nobles et les plus élevés.

220. (1860) Cours familier de littérature. IX « LIVe entretien. Littérature politique. Machiavel (3e partie) » pp. 415-477

Un seul : c’est de donner à ce pontife irresponsable, s’il n’est que pontife, à ce tribun inviolable, universel et impalpable des consciences dans nos États, c’est de lui donner une responsabilité temporelle, un gage humain dans une possession territoriale quelconque, responsabilité et gage par lesquels nous puissions le modérer, le saisir et le punir temporellement comme prince, s’il viole envers nous les limites de son droit comme pontife. […] Par son droit divin sur les consciences, il nous domine, il nous intimide, il nous tient sous ses bulles et sous ses foudres. […] Nous la donnons ici, cette raison, pour la première fois en explication du passé : elle est irréfutable pour ceux qui admettent les concordats ; elle est sans valeur pour ceux plus religieux qui n’admettent comme nous d’autres concordats entre les gouvernements et les pontifes que le respect mutuel et la liberté absolue des consciences. Cette liberté absolue des consciences est la dignité vraie de la religion ; elle est plus que la liberté humaine, car c’est Dieu qu’elle émancipe des lois de l’homme. […] qu’est-ce que la tranquillité des empires auprès de la liberté de Dieu dans les consciences ?

221. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre II : Règles relatives à l’observation des faits sociaux »

Ce qui achève d’accréditer cette manière de voir, c’est que, le détail de la vie sociale débordant de tous les côtés la conscience, celle-ci n’en a pas une perception assez forte pour en sentir la réalité. […] Il en résulte qu’on prend pour base de la morale ce qui n’en est que le sommet, à savoir la manière dont elle se prolonge dans les consciences individuelles et y retentit. […] C’est pourquoi, quoique, à de certains égards, ils aient préparé l’avènement de la psychologie scientifique, celle-ci n’a vraiment pris naissance que beaucoup plus tard, quand on fut enfin parvenu à cette conception que les états de conscience peuvent et doivent être considérés du dehors, et non du point de vue de la conscience qui les éprouve. […] Ils tendent en vertu de leur nature même à se constituer en dehors des consciences individuelles, puisqu’ils les dominent. […] Tout au moins, si, parfois, la nécessité l’oblige à y recourir, qu’il le fasse en ayant conscience de leur peu de valeur, afin de ne pas les appeler à jouer dans la doctrine un rôle dont elles ne sont pas dignes.

222. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Ernest Feydeau » pp. 106-143

VIII Daniel est un livre de contradiction bien plus que de conscience, et quand je dis conscience, je l’entends dans les deux sens du mot et je parle au double point de vue de la morale et de l’art. […] Ernest Feydeau, lui arrive aussi en littérature, car l’homme est d’une unité effrayante, et là comme ailleurs le pur génie de la conscience a cédé au génie troublé, agité, orageux, de la contradiction. […] Feydeau fait exclusivement dans le plaqué, et ses succès ne peuvent guère être plus durables que ceux des trompe-l’œil parfois émerveillants, mais éphémères, d’un art sans conscience. […] tant mieux que ce contempteur de la société, telle qu’elle est faite et qui pose comme la loi, l’abaissement, le foulement aux pieds de toute loi par la passion désordonnée, n’ait pas le prestige du talent, ne soit pas couvert par cette éblouissante et effrayante magie, et qu’ainsi il ne puisse entraîner les imaginations charmées et troubler le fond des consciences en remuant puissamment le fond des cœurs ! […] Dans le Romuald, de M. de Custine, il y a un sermon tout entier, prêché à la fin du roman, et il ne faut pas même être catholique pour reconnaître la différence de profondeur dans l’accent qui existe entre l’œuvre d’un écrivain catholique de conscience éternelle, et celle de l’écrivain qui ne l’est que par la supposition momentanée de son esprit.

223. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Marie-Antoinette (suite.) »

Je ne sais pas s’il est possible d’être meilleur que lui et d’avoir en tout une conscience plus sévère ; il n’a pas d’autre pensée, j’en suis sûre, que de faire du bien ; mais par quels moyens ? […] Une lettre écrite dans les premiers moments à sa sœur Marie-Christine nous la livre dans tout le feu de sa douleur et dans le cri de sa conscience révoltée (1er septembre 1786) : « Je n’ai pas besoin de vous dire, ma chère sœur, quelle est toute mon indignation du jugement que vient de prononcer le Parlement, pour qui la loi du respect est trop lourde ; c’est une insulte affreuse, et je suis noyée dans des larmes de désespoir. […] En vérité et en conscience, nous ne pouvons pas sacrifier un homme qui nous a fait tous ceux (les sacrifices) de sa réputation, de son existence dans le monde, et peut-être de sa vie, car je crains bien que tout ceci ne le tue. […] D’une part, la reine qui a bien conscience de l’énorme responsabilité qu’elle prend, écrit au comte de Mercy le 25 août 1788 : « L’archevêque est parti. […] Cette négociation avec Mirabeau échoue, on peut le dire, par la faute de Louis XVI toujours timide, toujours empêché par des scrupules de conscience qui lui cachaient les incertitudes de sa propre volonté.

224. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Histoire du chancelier d’Aguesseau, par M. Boullée. (1848.) » pp. 407-427

Sa femme (née d’Ormesson), digne de lui, fit ce jour-là comme une Romaine, et, embrassant son mari au départ, elle l’exhorta à oublier qu’il avait femme et enfants, et à ne songer qu’à son honneur et à sa conscience. […] Or, cette sorte de résumé développé et alternatif et de balance continuelle que l’avocat général faisait en parlant, et qu’aussi le procureur général faisait alors par écrit, avait donné à l’esprit de d’Aguesseau sa forme définitive ; et comme il s’y joignait chez lui une grande conscience et peu de décision naturelle, il ne pouvait se résoudre en quoi que ce fût à conclure, à saisir en définitive ce glaive de l’esprit qui doit toujours en accompagner l’exacte balance pour trancher à temps ce qui autrement courrait risque de s’éterniser. […] S’il lui arrive, dans les commencements, de traiter quelque sujet politique et économique à l’ordre du jour, ce n’est que par acquit de conscience et par manière de passe-temps, et il compare avec une grâce toute chrétienne ce travail inutile à ces corbeilles que tressaient les solitaires de la Thébaïde pour occuper leurs loisirs, et qu’ils jetaient souvent au feu à la fin de la semaine, quand ils ne trouvaient pas à en faire usage. […] D’Aguesseau, comme Platon, comme Cicéron, croit à une certaine idée naturelle de la justice, qui n’est pas l’intérêt ni l’utilité, mais le droit ; il croit, indépendamment de la révélation positive, au triomphe de cette idée dans les lois des grands législateurs et des grands peuples, à la conscience du genre humain. […] On peut lui appliquer ce qu’il a dit de son père, qu’il avait conservé jusqu’à la fin cette précieuse timidité d’une conscience vertueuse et tendre, qui répugne aux partis et même aux paroles sévères.

225. (1860) Ceci n’est pas un livre « Une préface abandonnée » pp. 31-76

Ils ont des maîtresses qu’ils aiment sincèrement, sinon avec constance ; — forcés de se battre continuellement avec la nécessité, ils ne trouvent pas là un motif suffisant de mettre leur conscience aux enchères comme Lousteau, ou de draper « leur gueuserie avec leur arrogance » comme d’Arthez. […] Du reste, Henry Murger semble l’avoir compris ; car, avant la fin même du volume, il est rentré dans son monde d’artistes par une petite nouvelle de vingt pages intitulée Biographie d’un inconnu qui… Je l’appellerais volontiers un chef-d’œuvre, si les camaraderies et les complaisances intéressées n’eussent fait de ce mot une ridicule banalité. — Croyez-moi, quand on prononce de tels actes de contrition, on mérite l’absolution la plus entière, eût-on sur la conscience les deux cents volumes de péchés littéraires de M.  […] … Et ta conscience !!! […] » Et, tout humilié de cette victoire sur-lui-même, Champfleury obéit à sa conscience : en sorte que tous les insulteurs de notre chère langue française sont autorisés à l’appeler publiquement leur maître. Heureusement pour nous, Champfleury n’a pas toujours obéi à sa conscience.

226. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Variétés littéraires, morales et historiques, par M. S. de Sacy, de l’Académie française. » pp. 179-194

Royer-Collard l’a mis en honneur, mais que je n’ai jamais vu pratiquer aussi sincèrement et aussi en conscience que par M. de Sacy. […] En conscience, il ne doit pas les aimer, et il nous dit à merveille pourquoi. […] Je sens qu’elles me flétrissent l’âme et me rabaissent le cœur… » Et il développe sa thèse avec une grande vigueur de conviction, un profond accent de conscience, dans un style animé et tempéré qui est déjà celui d’un jeune et doux vieillard (pardon du mot ! […] On lisait donc cette pièce, un poème fort long, fort dur, fort inégal, où tous les tons se heurtaient et où tout dansait à la fois, et on allait jusqu’au bout par conscience, par égard pour les traces de talent qui s’y révélaient, pour les étincelles qui sortaient de la fumée, pour les éclairs qui sillonnaient la nuit.

227. (1874) Premiers lundis. Tome II « Jouffroy. Cours de philosophie moderne — II »

Pour connaître donc et déterminer la destinée de l’espèce ; il suffit de bien connaître et de bien déterminer la destinée de l’individu ; et pour bien connaître la destinée de l’individu, c’est-à-dire ce qu’il est, d’où il vient, où il va, ou, en d’autres termes, sa nature, son origine et sa fin ; il faut l’observer en lui-même et directement, le soumettre à la méthode expérimentale de Bacon transportée dans les faits de conscience. […] C’est nous donner le change et se payer de mots, que d’identifier le problème de la destinée de l’humanité avec celui de la destinée du moi ; la métaphysique et la psychologie ne détermineront pas l’histoire ; l’individu quelconque, s’observant isolément d’après la méthode expérimentale appliquée aux faits de conscience, n’atteindra que certaines formes constantes de sa nature, certains éléments abstraits de son esprit ; il n’acquerra que des probabilités éloignées sur l’immortalité de son âme, et il ne sera nullement en droit ni en mesure de conclure de là au développement de l’espèce à travers les siècles, à l’explication de sa perfectibilité croissante, de son émancipation progressive, de ses conquêtes au sein de la nature ; à la prédiction de son avenir sur cette terre ; pas plus que le chimiste habile qui aurait décomposé et analysé une portion du lobe gauche ou droit du cerveau humain, qui aurait vu certains gaz se sublimer et certains sels se déposer, ne serait en mesure ni en droit de conclure de cette décomposition morte à la loi physiologique du règne animal et de ses évolutions organiques. […] Il est une molécule vivante, incessamment excitée et modifiée par l’organisme social dont elle fait partie intégrante ; arrêter la molécule, la monade, au point où on la trouve, la détacher du tout, la soumettre au microscope ou au creuset expérimental, la retourner, la décomposer, la dissoudre, et conclure de là à la nature et à la destinée du tout, c’est absurde ; conclure seulement à la nature et à la destinée de la molécule, c’est encore se méprendre étrangement ; c’est supprimer d’abord, dût-on y revenir plus tard et trop tard, c’est supprimer le mode l’influence que l’individu reçoit du tout, à peu près comme Condillac faisait pour les détails organiques de sa statue, qu’il recomposait ensuite pièce à pièce sans jamais parvenir à l’animer ; c’est, comme lui, par cette suppression arbitraire, rompre l’équilibre dans les facultés du moi et se donner à observer une nature humaine qui n’est plus la véritable et complète nature ; c’est décerner d’emblée à la partie rationnelle de nous-mêmes une supériorité sur les facultés sentimentale et active, une souveraineté de contrôle qu’une vue plus générale de l’humanité dans ses phases successives ne justifierait pas ; c’est immobiliser la monade humaine, lui couper la source intarissable de vie et de perfectibilité ; c’est raisonner comme si elle n’avait jamais été modifiée, transformée et perfectionnée par l’action du tout, ou du moins comme si elle ne pouvait plus l’être ; c’est supposer gratuitement, et le lendemain du jour où l’humanité a acquis la conscience réfléchie de sa perfectibilité, que l’individu de 1830, le chrétien indifférent et sans foi, ne croyant qu’à sa raison personnelle, porte en lui, indépendamment de ce qui pourrait lui venir du dehors, indépendamment de toute conception sociale et de toute interprétation nouvelle de la nature, un avenir facile et paisible qui va découler, pour chacun, des opinions et des habitudes mi-partie chrétiennes, mi-partie philosophiques, mélangées à toutes doses. […] Lorsque l’humanité est arrivée à la conscience distincte d’elle-même et à la connaissance de sa propre loi, l’institution se prévoit dès l’origine et se réalise avec bien plus de préméditation qu’aux époques où les choses se développent instinctivement et obéissent à une force d’évolution plus obscure.

228. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Chapitre II. La relativité complète »

Cette conscience qu’il a de mouvements décidés et exécutés, tous les autres hommes et la plupart sans doute des animaux la possèdent également. […] Si nous jugions nécessaire, quant à nous, d’admettre un changement absolu partout où un mouvement spatial s’observe, si nous estimions que la conscience de l’effort révèle le caractère absolu du mouvement concomitant, nous ajoutions que la considération de ce mouvement absolu intéresse uniquement notre connaissance de l’intérieur des choses, c’est-à-dire une psychologie qui se prolonge en métaphysique 14. […] Les couleurs nous apparaîtraient sans doute différemment si notre œil et notre conscience étaient autrement conformés — il n’y en aurait pas moins, toujours, quelque chose d’inébranlablement réel que la physique continuerait à résoudre en vibrations élémentaires. […] Sans doute une multitude de déplacements et de changements se montrent à sa surface et se cachent à l’intérieur d’elle ; mais ces mouvements tiennent dans un cadre fixe : je veux dire qu’on peut trouver sur la Terre autant de points fixes qu’on voudra les uns par rapport aux autres et ne s’attacher qu’à eux, les événements qui se déroulent dans les intervalles passant alors à l’état de simples représentations : ce ne seraient plus que des images se peignant successivement dans la conscience d’observateurs immobiles en ces points fixes.

229. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. LOUIS DE CARNÉ. Vues sur l’histoire contemporaine. » pp. 262-272

M. de Villèle se trouve personnellement traité par l’auteur avec une indulgence qu’expliquent jusqu’à un certain point l’ineptie, les frénésies ou les fourberies de ses successeurs avant et après Juillet ; mais M. de Carné, n’étant pas de ceux qui suppriment la morale et le témoignage de la conscience publique en histoire, n’a pu parler que par une étrange inadvertance de cette page honorable qui serait réservée dans les annales de ce temps au ministre le plus effrontément madré et le plus corrupteur. […] Je citerai surtout l’endroit où, discutant la loi du sacrilége de 1825, il se met lui-même en scène par un brusque mouvement, et se peint tel qu’il était alors sur ces matières avec les agitations de son esprit et les perplexités de sa conscience. Or, c’est là le point remarquable, ne pouvant résoudre ses doutes directement, ni par la logique ni par la conscience, il s’en tirait à l’aide de l’imagination ; il se figurait en idée un grand spectacle, une représentation lugubre de ce que serait le châtiment du sacrilége, et, reculant bientôt épouvanté, il criait non de toutes ses forces à cette loi sanglante qu’il avait presque invoquée d’abord sous sa forme abstraite.

230. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre XI. Troisième partie. Conséquences de l’émancipation de la pensée dans la sphère des idées politiques. » pp. 350-362

Tous les citoyens devant être appelés à coopérer aux jugements criminels, vous ne pouvez éviter que quelques-uns de ceux qui seront obligés de remplir ces redoutables fonctions n’aient, avec le développement des opinions actuelles, une répugnance invincible à prononcer le sinistre arrêt qui va priver de la vie un de leurs semblables, et le jeter ainsi tout à coup en la présence de Dieu ; vous ne pouvez éviter que quelques-uns de ces citoyens d’une haute conscience ou d’une conscience timorée, secouant, comme on est disposé à le faire, le joug de l’autorité, et se croyant ainsi le droit d’examiner les limites du pouvoir de la société, lui refusent ou lui contestent celui d’ôter irrévocablement le repentir au coupable, et peut-être, chose affreuse à penser ! […] Il est évident que le juré qui ne voudra pas appliquer la peine de mort, dans les cas prévus par la loi, sera obligé de trahir sa propre conscience, de mentir à l’évidence du fait, ce qui est un très grand mal, parce que c’est une sorte d’immoralité qu’on ne se reproche point.

231. (1898) XIII Idylles diaboliques pp. 1-243

Au total toutes les voies suivies par la conscience humaine vers la conscience universelle tendent au même but : la transformation de l’espèce en mieux. […] Aujourd’hui tu veux : tu es toi-même. — Je ne te domine pas ; je t’exprime une part de ta propre conscience, jusqu’à ce moment inconnue de toi. […] L’un attire, l’autre repousse et tous deux règlent l’harmonie de ma conscience avec les mondes. […] Ils ont vaguement conscience de leur lâcheté, et c’est là ce qui les rend hargneux. […] Parle selon ta conscience : ce sera très bien.

232. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre III. La Révolution. »

Et les forces ne lui manquent pas dans cette entreprise ; car l’orgueil en lui vient aider la conscience. […] Les inquiétudes de conscience qui l’ont jeté dans cette voie poussent les autres sur sa trace. […] Ils auraient des remords de conscience, s’ils se lançaient sans arrière-pensée dans le libre examen. […] C’est le sens moral qui de la conscience publique le fait passer dans le monde littéraire, et de populaire le rend officiel. […] Il apportait dans la politique une horreur du crime, une vivacité et une sincérité de conscience, une humanité, une sensibilité, qui ne semblent convenir qu’à un jeune homme.

233. (1891) Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle. Première série

C’est la volonté, obscure et diffuse dans le peuple, prenant conscience d’elle-même dans un homme. […] — Il ne veut pas de liberté de conscience, et je reconnais que la liberté de conscience n’était pas loi fondamentale de l’ancienne France. […] Mais elle a été la pleine et lumineuse conscience intellectuelle des hommes de son temps, embrassant et échauffant en elle l’âme de son époque, et ne laissant en dehors que ce qui ne pensait point. […] On pardonne aux fougueux, aux étourdis, aux agités, quand on les voit tellement emportés par les folies de leurs sens et de leurs nerfs qu’ils n’en ont pas conscience. […] L’État s’arrête où la conscience commence ; l’État ne peut me commander ce que ma conscience m’interdit.

234. (1882) Qu’est-ce qu’une nation ? « III »

Une grande agrégation d’hommes, saine d’esprit et chaude de cœur, crée une conscience morale qui s’appelle une nation. Tant que cette conscience morale prouve sa force par les sacrifices qu’exige l’abdication de l’individu au profit d’une communauté, elle est légitime, elle a le droit d’exister.

235. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXIIIe entretien. Cicéron (2e partie) » pp. 161-256

Si Cicéron consul, se dit-on, jugeait en conscience Catilina si criminel et si dangereux pour Rome, pourquoi donc ne l’arrêtait-il pas, et pourquoi se bornait-il à l’invectiver et à le conjurer, à force d’imprécations, de sortir de Rome ? […] Après avoir raconté toute l’histoire des écoles, des sectes, des philosophies grecque et romaine, il combat énergiquement le scepticisme ou la philosophie du doute, et il le combat par le plus beau des arguments : la conscience et la vertu. […] Je demande pourquoi l’homme de bien, qui s’est résolu à souffrir tous les tourments plutôt que de trahir son devoir ou sa conscience, s’est imposé de si dures lois à lui-même lorsqu’il n’avait pour s’immoler ainsi ni motif ni raison. […] Si ces lignes étaient trouvées par vous anonymes dans un volume de vos bibliothèques de Paris ou de Londres, ne les attribueriez-vous pas en conscience à Bacon, à Fénelon, à vos plus pures philosophies, à vos plus éloquentes plumes ? […] L’œil voit et ne voit pas : ainsi notre âme, qui voit tant de choses, ne voit pas ce qu’elle est elle-même ; mais pourtant elle a la conscience de sa pensée et de son action.

236. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre cinquième. Le réalisme. — Le trivialisme et les moyens d’y échapper. »

La vie est une lutte avec des alternatives sans nombre, des froissements, des heurts ; la conscience de la vie a comme corollaire nécessaire la conscience de résistances vaincues ; or, comme nous ne pouvons sympathiser et entrer en société qu’avec des êtres vivants, comme nous ne nous sentons profondément émus que par la représentation de la vie individuelle ou sociale, il s’ensuit qu’une certaine mesure de peine et de dissonance entre comme élément essentiel dans l’art, par cette raison même que l’effort est un élément essentiel de la vie. […] Zola semble oublier que la somme totale des fonctions du mécanisme humain se trouve dans la conscience, non ailleurs, et que le romancier, à l’encontre du sculpteur ou du peintre, aura toujours pour objet d’étude essentiel et presque unique l’état de conscience. […] Qui donc nous donnera ces points fixes nécessaires pour fournir la conscience du changement et la notion du temps ? […] Rousseau, par tempérament, comme beaucoup de détraqués, est insociable, sauvage, porté à la vie solitaire ; mais il n’a eu nulle conscience dès causes pathologiques de cette insociabilité, et ses contemporains, pas davantage. […] En effet, si la vie des choses, — des montagnes, de la mer, du soleil et des étoiles, — pouvait arriver jusqu’à la conscience, jusqu’à la volonté, cette conscience ne saurait être alors identique à la nôtre ni à celle qu’imagine le poète : son drame, quoi qu’il fasse, sera toujours trop mesquin, trop étroit pour contenir la nature, sa force et sa vie.

237. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XIV. M. Auguste Martin »

Jules Simon avec son Devoir, sa Liberté et sa Conscience, était un des philosophes actuels et présentement les plus comptés de cette morale par elle-même, de cet indépendant quelque chose qui s’appelle la morale, sans Dieu et sans sanction ! […] Mais ce moralisme faux qui ne se réclame pas d’une théodicée, — une théodicée, c’est de la théologie philosophique, — ce moralisme facile à comprendre, lavé et brossé de tout mysticisme, brillant et transparent comme le vide, qui prétend n’être rien de plus, que la constatation d’un pur fait de conscience, et comment ne pas admettre un fait ? […] C’est ce qui la distingue des autres civilisations… Chez aucun autre peuple on ne trouve aussi complètement formulées les éternelles lois du beau, du vrai et du juste, inscrites dans la conscience de l’homme.

238. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVIe entretien. Examen critique de l’Histoire de l’Empire, par M. Thiers (3e partie) » pp. 249-336

La conscience reprend ses droits ; c’est un des crimes historiques les plus fortement burinés par un écrivain contre un maître du monde. […] La société est au premier venu quand ce premier venu se dévoue à elle et non à lui-même ; voilà la loi de la conscience quand il n’y a plus que la conscience pour loi. […] Nul dans sa conscience n’osera l’innocenter que par son succès ; mais le succès n’est que l’amnistie de l’audace, il n’en est pas la justification. Un homme de conscience devait le sentir, un historien devait le dire ; M.  […] Ce vide on l’éprouve en fermant ce beau livre ; je ne sais quelle tristesse vous saisit comme après une ivresse de gloire ; on est ébloui, on n’est pas éclairé intérieurement de cette saine lumière qui satisfait la conscience.

239. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Maine de Biran. Sa vie et ses pensées, publiées par M. Ernest Naville. » pp. 304-323

La liberté ne serait-elle autre chose que la conscience de l’état de l’âme tel que nous désirons qu’il soitw, état qui dépend en réalité de la disposition du corps sur laquelle nous ne pouvons rien, en sorte que lorsque nous sommes comme nous voulons, nous imaginons que notre âme, par son activité, produit d’elle-même les affections auxquelles elle se complaît. […] Ce côté duquel il se tourne, il vient de le nommer, c’est une sorte de stoïcisme. — Quelques années après, il avait changé et s’était transformé encore, il était dans sa troisième et dernière phase, et son journal se termine par cette parole qui est un désaveu de la précédente et qui semble indiquer l’entrée définitive dans une autre sphère : Le stoïcien est seul, ou avec sa conscience de force propre le trompe ; le chrétien ne marche qu’en présence de Dieu et avec Dieu, par le médiateur qu’il a pris pour guide et compagnon de sa vie présente et future. […] — L’année suivante en refaisant son mémoire autrefois couronné à l’Académie de Copenhague, il éprouvait de nouveau quelque chose de la même joie intellectuelle, tant il est vrai que ce n’est que le travail régulier et un cours tracé de production qui lui manque pour retrouver toute la conscience de lui-même et son équilibre : « Ce travail, dit-il, a duré un mois. […] Maine de Biran avait des jours où il y était moins mécontent de lui, et où il avait conscience de s’épanouir un peu, de renaître. […] La liberté ne serait-elle autre chose que la conscience d’un état de l’âme tel que nous désirons qu’il soit x.

240. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « GRESSET (Essai biographique sur sa Vie et ses Ouvrages, par M. de Cayrol.) » pp. 79-103

L’observation fine de Gresset venait de prendre sur le fait un travers, un vice particulier à ce moment de société auquel il assistait ; son talent redevenu net, vif, élégant, et à la fois enhardi, avait mis l’odieux objet dans une entière lumière ; sa conscience d’honnête homme l’avait flétri. […] A de telles déterminations, qui tiennent de si près à la conscience et à la morale intime, il n’y a rien à opposer ; l’idée qu’on peut se faire du cœur de Gresset gagne plutôt à le voir ainsi se dérober à ce qui eût tenté la plupart. […] On se le demande encore, lorsqu’en 1759 on voit Gresset, sans nécessité, sans prétexte, s’aviser de publier une Lettre sur la Comédie, dans laquelle il déclare à tous son projet de renoncer au théâtre par scrupule de conscience, et d’après la décision qu’il en a reçue de l’évêque d’Amiens : « Je profite de cette occasion, y disait-il, pour rétracter aussi solennellement tout ce que j’ai pu écrire d’un ton peu réfléchi dans les bagatelles rimées dont on a multiplié les éditions, sans que j’aie jamais été dans la confidence d’aucune. » Ces sentiments sont respectables, même dans leur excès ; mais à quoi bon les proclamer ? […] Chez Gresset, sans qu’il s’en rendît compte, la conscience littéraire, par une de ces ruses d’amour-propre qui sont naturelles au cœur humain, se déguisait ici en conscience morale ; elle lui disait tout haut qu’il ne devait plus rien faire, pressentant tout bas qu’il ne le pourrait plus37.

241. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Le maréchal Marmont, duc de Raguse. — I. » pp. 1-22

Il se plaint de ses alliés, de son beau-père l’empereur François, et là-dessus il se jette sur une distinction entre l’homme de conscience et l’homme d’honneur. Avec l’homme d’honneur, avec celui qui tient purement et simplement sa parole et ses engagements, on sait sur quoi compter, tandis qu’avec l’autre, avec l’homme de conscience qui fait ce qu’il croit être le mieux, on dépend de ses lumières et de son jugement. Et développant sa pensée : Mon beau-père l’empereur d’Autriche, disait-il, a fait ce qu’il a cru utile aux intérêts de ses peuples, c’est un honnête homme, un homme de conscience, mais ce n’est pas un homme d’honneur. Vous, par exemple (et il prenait le bras de Marmont), si, l’ennemi ayant envahi la France et étant sur la hauteur de Montmartre, vous croyiez, même avec raison, que le salut du pays vous commandât de m’abandonner, et que vous le fissiez, vous seriez un bon Français, un brave homme, un homme de conscience, et non un homme d’honneur. […] En plus d’une occasion, notamment à Rosnay (le 2 février) il eut à décider l’affaire de sa personne et à se jeter au fort du péril, comme il avait fait dix-huit ans auparavant à Lodi : Il y a un grand charme, remarque-t-il à ce sujet, et une grande puissance à obtenir un succès personnel, à sentir au fond de la conscience que le poids de sa personne, et pour ainsi dire de son bras, a fait pencher la balance et procuré la victoire.

/ 1833