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2288. (1930) Le roman français pp. 1-197

C’est Taine et Bourget qui l’ont mis à sa place. […] Anna de Noailles avec un talent qui la met hors de pair. […] Attendez que je vous mette une serviette, vous ne sauriez pas vous y prendre. […] Bazin n’y met pas de délicatesse. […] Sartiaux — pour mettre d’accord la raison et la foi, Aristote et saint Augustin.

2289. (1875) Revue des deux mondes : articles pp. 326-349

Émile Carrey, met tout le monde d’accord. […] L’aï fut blessé à la jambe et mis sur le plancher, à peu de distance d’une table. […] Le curare introduit avec le sang va se mettre en contact avec les éléments organiques et paralyser d’une manière successive tous les mouvements volontaires. […] Des observations nombreuses, prises dans les appareils les plus divers, ont mis ces faits hors de doute. […] Lorsque le malade était réveillé, le cerveau faisait de nouveau saillie, et se mettait de niveau avec la surface de la table externe de l’os.

2290. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. RODOLPHE TÖPFFER » pp. 211-255

Je ne sais qui l’a dit le premier : règle générale, la plaisanterie d’une nation ressemble à son mets ou à sa boisson favorite. […] J’ai donc cherché le mets local analogue à l’humour que M. […]  » Molière, dans la scène II du Mariage forcé, fait dire à Sganarelle que Géronimo salue, chapeau bas : « Mettez donc dessus, s’il vous plaît ; » ce qui signifie : Couvrez-vous. […] Je lui laisse pour amusette mes tableaux, mes livres, en lui interdisant toutefois es préfaces, bien qu’il m’en conseille à chaque fois ; mais il est de plus sérieuses choses que j’ai mises à l’abri de ses atteintes. […] O vous qui êtes sage, ne mettez nulle part votre idéal de bonheur sur cette terre, ou, si vous le mettez, ne le dites pas !)

2291. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVIIIe entretien. Littérature latine. Horace (2e partie) » pp. 411-480

Vous ne pourriez pas déplacer un mot ni mettre une mesure longue ou brève dans la strophe sans produire un faux ton dans cette musique de l’oreille et de l’âme. […] Dans l’ode suivante, une des plus décemment amoureuses de toutes ses poésies légères, il redescend avec la souplesse d’un dieu dans les prairies de l’Anio, pour y placer un dialogue digne de Théocrite entre deux amants ; c’est lui-même qu’il met en scène avec Lydie, car nul autre que lui ne pouvait soutenir en vers avec Lydie un si gracieux dialogue. […] Quel plaisir, au milieu de ces simples mets goûtés lentement sur sa table, de voir ses brebis rassasiées rentrer, ses bœufs hâter le pas vers la maison, traîner d’un cou languissant sous le joug, le soc renversé, et un groupe de serviteurs nés dans la maison se presser autour de la flamme éclatante du foyer !  […] Le poète mettait ainsi en action ses préceptes de modération et de médiocrité à son ami. […] Quand on ne peut plus mettre le nom du vicieux sur le vice, la malignité publique éteinte enlève les trois quarts de l’intérêt à la satire ; il n’en reste que quelques traits généraux, quelques imprécations éloquentes comme dans Juvénal à Rome et dans Gilbert à Paris.

2292. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXVIIe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (5e partie) » pp. 145-224

Elle se mit à espérer de toutes ses forces sans savoir pourquoi. […] « Toute la nature déjeunait ; la création était à table ; c’était l’heure ; la grande nappe bleue était mise au ciel et la grande nappe verte sur la terre ; le soleil éclairait à giorno. […] « Cependant le fils mordit la brioche, la recracha, et brusquement se mit à pleurer. […] Misère de l’époux qui voit sécher sur son sein la compagne dans laquelle il a mis toutes ses complaisances ! […] L’enthousiasme peut se mettre en colère ; de là les prises d’armes.

2293. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLVIIIe Entretien. Montesquieu »

Ce père, comme celui de Montaigne, mit tous ses soins à cultiver les dispositions de son fils qui annonça de bonne heure une grande vivacité d’intelligence. […] Ce ne fut que quatre ans après qu’il mit au jour son grand ouvrage sur l’Esprit des Lois, où il donna enfin la mesure complète de son génie. […] Le jeune homme alors soupçonna un nouveau bienfait de l’inconnu et se mit en devoir de le chercher. […] « Un État bien gouverné doit mettre pour le premier article de sa dépense une somme réglée pour les cas fortuits. […] Mettez un homme dans un lieu chaud et enfermé : il souffrira, par les raisons que je viens de dire, une défaillance de cœur très-grande.

2294. (1875) Premiers lundis. Tome III «  Chateaubriand »

Il voulait, de plus, mettre cette passion en contraste et aux prises, à la fin, avec le calme de la religion, — de la religion qui, telle qu’il fallait peindre, devenait une nouveauté aussi, une résurrection et comme une découverte. […] Il l’aura mis partout, parce qu’il a tout manié, et partout où sera ce charme, cette empreinte, ce caractère, là sera aussi un plaisir dont l’esprit sera satisfait.

2295. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Jean Lahor (Henri Cazalis). »

La poésie panthéistique met, si je puis dire, dans chacune de nos sensations, le ressouvenir de l’univers… Des exemples ? […] Après l’avoir relu, je le mets décidément à l’un des meilleurs endroits de ma bibliothèque, non loin de l’Imitation, des Pensées de Marc-Aurèle, de la Vie intérieure et des Épreuves de Sully-Prudhomme  dans le coin des sages et des consolateurs.

2296. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre VII. Le théâtre français contemporain des Gelosi » pp. 119-127

Il fut arrêté et mis dans un cachot (on n’était plus sous Henri IV), et le saisissement qu’il en eut causa sa mort. […] Ce fut la fin de la farce de ces beaux jeux, mais non de ceux que voulurent jouer, après, les conseillers des aides, commissaires et sergents, lesquels, se prétendant injuriés, se joignirent ensemble et envoyèrent en prison MM. les joueurs ; mais ils furent mis dehors le jour même, par exprès commandement du roi, qui appela les autres sots, disant Sa Majesté que, s’il fallait parler d’intérêt, il en avait reçu plus qu’eux tous, mais qu’il leur avait pardonné et pardonnerait de bon cœur, d’autant qu’ils l’avaient fait rire jusqu’aux larmes.

2297. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre III » pp. 30-37

C’est ainsi que, de nos jours, quand le retour de l’ancienne maison de France imposa l’obligation de renier, de détester tout le passé, quand ce n’était pas assez de le mettre en oubli, qu’il fallait en avoir horreur, les romans de Walter Scott, où étaient peintes des mœurs inconnues, acquirent en France une vogue inouïe et contribuèrent au grand changement qui s’opéra alors dans les idées et dans la littérature. […] Toutes ces circonstances étaient propres sans doute à mettre en vogue la première publication de L’Astrée, sans que personne s’en mêlât.

2298. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XVI, les Érynnies. »

L’Espion et le Bourreau ont toujours passé pour des êtres nécessaires à l’ordre social ; ils n’en sont pas moins mis au ban des hommes, excommuniés de toute relation et de tout accueil ; ces satellites du salut public sont les réprouvés de la société qui s’en sert. […] On se figurait donc que les Érynnies mettaient une joie méchante à poursuivre et à torturer les coupables, et que l’habitude de verser le sang leur en avait fait prendre le goût.

2299. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Malherbe, avec différens auteurs. » pp. 148-156

Enfin Malherbe vint ; &, le premier en France, Fit sentir dans les vers une juste cadence, D’un mot mis en sa place enseigna le pouvoir, Et réduisit la muse aux règles du devoir, &c. […] Des expressions dures & forcées, des contresens, des épithètes sans nombre, la raison sacrifiée le plus souvent à la rime, le mettent hors de lui.

2300. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre X. Suite du Prêtre. — La Sibylle. — Joad. — Parallèle de Virgile et de Racine. »

Il semble avoir eu dans sa jeunesse des passions vives, auxquelles ces imperfections naturelles purent mettre des obstacles. […] Il semble qu’en approchant du tombeau, le Cygne de Mantoue mit dans ses accents quelque chose de plus céleste, comme les cygnes de l’Eurotas, consacrés aux Muses, qui, avant d’expirer, avaient, selon Pythagore, une vision de l’Olympe, et témoignaient leur ravissement par des chants harmonieux.

2301. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « I. Historiographes et historiens » pp. 1-8

Évidemment aussi cependant, il n’y a rien d’impossible à réaliser dans cette majestueuse et si simple utopie de l’histoire, et l’État moderne qui l’essayerait, même en laissant le flot méprisé de la libre histoire battre le pied de son monument, aurait du moins mis sous la garde d’une fonction, dont on descendrait en déméritant, le trésor de renseignements et de faits qu’il faut toujours remettre pur aux générations qui nous suivent, et arracherait la Nationalité, cette chose sacrée, aux mains humanitaires et cosmopolites des historiens de la Libre Pensée, qui si on les laisse faire, en auront fini avec cette chose sacrée, demain ! […] Nous souhaiterions qu’en matière d’histoire de France, l’État prît l’initiative d’une réserve, et qu’en créant des fonctions d’Historiographes, ces Gardes-nobles de l’Histoire, il sauvât notre histoire à nous, cette dernière forteresse morale de tout peuple, et empêchât qu’elle ne fût prise d’assaut par la tourbe des pamphlétaires contemporains, démagogues, fonctionnaires expulsés, prétendants anonymes, transfuges colères qui s’y cachent, la mettent au pillage et s’en font un asile !

2302. (1903) Articles de la Revue bleue (1903) pp. 175-627

Bergson a mis en pleine lumière la fausseté de ce point de vue. […] Certes le savant moderne est fondé à sourire des pauvretés qui sont mises en vers aujourd’hui. […] C’est elle qui nous met en rapport avec l’inconnaissable et l’infini. […] Je tiens seulement à en dégager, pour les mettre en valeur, quelques points particuliers, essentiellement caractéristiques. […] Ce qu’il a créé, n’essayons pas de le mettre en poussière.

2303. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIIIe entretien. Poésie lyrique. David (2e partie) » pp. 157-220

« Tu as mis ainsi plus de joie dans mon cœur que dans le cœur de ceux dont tu multiplies le blé et le vin. […] « Dans la bouche des enfants et sur les lèvres qui tètent encore le lait, tu as mis tes louanges à la confusion de tes ennemis. […] Tu as mis l’univers sous la plante de ses pieds ! […] On dirait qu’il a mis une corde de sa pauvre harpe dans tous les chœurs religieux ou seulement sensibles, pour l’y faire résonner partout et éternellement à l’unisson des échos de Bethléem, d’Horeb ou d’Engaddi ! […] Ils passèrent près de nous, étendirent le corps du pestiféré, enveloppé de ses habits, sur la terre, et se mirent à creuser en silence son dernier lit, sous les pieds de nos chevaux.

2304. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXIIe entretien. La Science ou Le Cosmos, par M. de Humboldt (1re partie). Littérature scientifique » pp. 221-288

V Il mit à la voile le 5 juin 1799 ; en approchant de Ténériffe, les voyageurs reçurent un dernier salut de l’Europe. […] Ces impressions ont une influence remarquable sur nos résolutions, et nous cherchons comme instinctivement à nous mettre en rapport avec les circonstances qui, depuis longues années, ont pour nous un attrait particulier. […] Mais le destin, qui depuis avait suscité dans la vie de Humboldt des retards et des déceptions, en le forçant à attendre des occasions plus favorables, voulut mettre à profit pour lui la maladie qui avait éclaté sur le navire, en apportant à ses plans de voyage une diversion fertile en résultats. […] La mort de cette femme fut un événement, car, dans ses voyages, Mme de Humboldt s’était mise en rapports intimes avec les notabilités de la science et des arts. […] J’en suis digne par le prix que j’y mets.

2305. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « M. Paul Verlaine et les poètes « symbolistes » & « décadents ». »

Ceux mêmes qui y ont mis le moins de raison en ont encore trop mis. […] Mets ton front sur mon front et ta main dans ma main, Et fais-moi des serments que tu rompras demain, Et pleurons jusqu’au jour, ô petite fougueuse. […] Il y a dans tout cela bien des mots mis au hasard  Justement, Ils ont le sens qu’a voulu le poète, et ils ne l’ont que pour lui. […] Mais un d’eux est triste ; il propose aux autres de supprimer l’enfer, de se sacrifier à l’amour universel, et alors les démons mettent le feu à la ville, et il n’en reste rien ; mais     On n’avait pas | agréé le Sacritice. […] Aussi bien pourquoi | me mettrais-je à geindre ?

2306. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Mme Desbordes-Valmore » pp. 01-46

Elle était comédienne et chanteuse au théâtre Feydeau ; et c’est une profession qui met peu de garde-fous autour des jeunes personnes. […] C’est Pauline Duchambge et Caroline Branchu qui me content leurs peines ; je me mets à leur place ; et tout ça, c’est de la littérature. » Valmore se laissait convaincre. […] Benjamin Rivière, l’éditeur de la Correspondance intime, une lettre fort intéressante : « Vous ne me faites pas le reproche d’avoir mis Marceline nue devant les siècles » ; je vous en suis reconnaissant. […] Tu n’as pas d’idée de Mars, elle y met du cœur et une volonté qui récompense de tout ce que je lui ai porté d’admiration désintéressée dans ma vie. […] …) Suit cette réflexion : « Plus je lis, plus je pénètre sous les voiles qui me cachaient nos grandes gloires, moins j’ose écrire ; je suis frappée de crainte, comme un ver luisant mis au soleil. » — À propos du retour des cendres : « Les vers de Hugo sont dans le Siècle, 14 décembre.

2307. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre V : Règles relatives à l’explication des faits sociaux »

Le sentiment que nous avons de l’utilité qu’elles présentent peut bien nous inciter à mettre ces causes en œuvre et à en tirer les effets qu’elles impliquent, non à susciter ces effets de rien. […] L’un cherchera à le changer pour le mettre en harmonie avec ses besoins ; l’autre aimera mieux se changer soi-même et modérer ses désirs, et, pour arriver à un même but, que de voies différentes peuvent être et sont effectivement suivies ! […] Par conséquent, pour donner de celle-ci une intelligence satisfaisante, il est nécessaire de montrer comment les phénomènes qui en sont la matière concourent entre eux de manière à mettre la société en harmonie avec elle-même et avec le dehors. […] L’association n’est pas, comme on l’a cru quelquefois, un phénomène, par soi-même, infécond, qui consiste simplement à mettre en rapports extérieurs des faits acquis et des propriétés constituées. […] Ils pèsent, en effet, d’un certain poids sur l’évolution sociale dont la vitesse et la direction même varient suivant ce qu’ils sont ; mais ils n’ont rien de ce qui est nécessaire pour la mettre en branle.

2308. (1913) La Fontaine « VIII. Ses fables — conclusions. »

L’univers tout entier : hommes, bêtes, plantes et même la nature inanimée, à ce point qu’il a mis la montagne même en scène dans ses fables : la Montagne qui accouche. […] Qu’il ait omis le nom de La Fontaine, c’est tout naturel ; il n’a mis, dans l’Art poétique, aucun nom d’homme vivant ; il allait de soi qu’il ne nommât pas La Fontaine. […] On pourrait, sur deux colonnes, mettre Voltaire pour La Fontaine, Voltaire contre La Fontaine. […] Remarquez ceci : c’est un commerce (c’est-à-dire un concert de relations suivies avec quelqu’un) où l’on se propose quelque chose, non pas tout gagner, où l’on met du sien, mais où, certainement, on veut du retour  Je passerais en revue tous les sentiments altruistes et je trouverais que tous ont un mélange d’intérêt. […] Un dernier point, sur lequel je n’insisterai pas, du reste ; comment placer La Fontaine, quel nom, à proprement parler, quelle étiquette mettre sur ce grand nom de La Fontaine ?

2309. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Balzac » pp. 17-61

Et Balzac le sait si bien que, dans son livre, il évoque l’image de Brummell, et met sous l’autorité de son nom bien des aperçus et bien des axiomes, — ce qui, pour le dire en passant, change l’erreur en contradiction. […] Balzac n’aurait retrouvé ce genre de rire qu’il n’eut qu’une fois, — dont une fois il a fleuri sa fantaisie, — ce rouge bourgeon de vigne qu’il a ôté, pour le mettre à sa couronne, d’autour du hanap de Rabelais. […] … Doré, qui est un artiste vrai, a pensé, lui, à bien autre chose qu’à daguerréotyper tout le mobilier d’une époque, armes et bagages, et il s’est mis à peindre, en pied et en esprit, les divers personnages des Contes, puis, s’inspirant des différentes scènes de ce drame multiple, à composer des tableaux. […] Un jeune homme va se mettre à genoux, les mains jointes, aux pieds de sa dame de beauté, pour la requérir d’amour, quand une foudre de fer, l’épée du mari, vu à mi-corps dans l’ombre, s’abat sur le damoiseau et le fend, du haut en bas, comme le couteau d’un enfant partage une pomme. […] Lévy ont promis dans leurs prospectus et dans leurs annonces des richesses inédites, des correspondances, des trésors : tout étant trésor venant de Balzac, qui, dans les trois mots d’un billet, écrit à la hâte le matin, devait mettre pour le moins deux gouttes de lumière !

2310. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre premier. Des principes — Chapitre II. Axiomes » pp. 24-74

C’est là la source inépuisable des erreurs où sont tombés toutes les nations, tous les savants, au sujet des commencements de l’humanité ; les premières s’étant mises à observer, les seconds à raisonner sur ce sujet dans des siècles d’une brillante civilisation, ils n’ont pas manqué de juger d’après leur temps, des premiers âges de l’humanité, qui naturellement ne devaient être que grossièreté, faiblesse, obscurité. […] Au contraire, Josèphe met les Hébreux à l’abri de ce reproche en faisant l’aveu magnanime qu’ ils sont restés cachés à tous les peuples païens . […] Ainsi le droit civil aurait été communiqué aux autres peuples par une prévoyance humaine ; ce ne serait pas un droit mis par la divine Providence dans la nature, dans les mœurs de l’humanité, et ordonné par elle chez toutes les nations ! […] Ils veulent enfin se mettre au-dessus des lois ; et il en résulte une démocratie effrénée, une anarchie, qu’on peut appeler la pire des tyrannies, puisqu’il y a autant de tyrans qu’il se trouve d’hommes audacieux et dissolus dans la cité. […] Il aurait dû être rangé parmi les axiomes généraux ; si nous l’avons mis en cet endroit, c’est qu’on voit mieux dans le droit des gens que dans toute autre matière particulière, combien il est conforme à la vérité, et important dans l’application (Vico).

2311. (1888) Poètes et romanciers

C’est dans des créations idéales qu’il a mis quelque chose de sa passion et de sa douleur. […] Il les aurait mis dans la bouche d’un Lucain, où ils eussent été mieux placés. […] Mettez donc leurs noms près du sien, et pesez les services rendus à la cause de 89. […] Est-ce le sonnet qui a raison, est-ce la triple strophe, mise en balance régulière avec le sonnet ? […] Entre le désespoir et la gaieté, quel intervalle met la vie ?

2312. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « De la poésie de la nature. De la poésie du foyer et de la famille » pp. 121-138

J’omets ce que tout le monde sait, l’éclat que causa sa liaison avec Mme du Châtelet et qui le mit à la mode à la mort de la marquise. […] Ce n’est pas que je les mette à côté l’un de l’autre… Et le 4 avril : Quand je vous dis que votre ouvrage est le meilleur qu’on ait fait depuis cinquante ans, je vous dis vrai. […] Thomson, que d’ailleurs il estime, n’est point, selon lui, à mettre en parallèle avec le poète français, soit pour l’agrément des peintures, soit pour l’utilité philosophique du but. […] Un petit nombre abandonne la foule, demande les yeux levés la richesse du ciel, et gagne les seuls biens réels, vérité, sagesse, grâce, et une paix pareille à celle de là-haut… Alors il se met à examiner les différents jeux, ces cailloux de différentes couleurs que s’amusent à ramasser les hommes et qu’ils continuent souvent de rechercher jusque dans la retraite et la solitude : car la plupart ne la désirent que pour s’y plus abandonner à leurs goûts favoris, et pour mieux caresser leur passion secrète.

2313. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Montaigne en voyage »

Aussi avait-il longtemps différé avant de se mettre aux champs. […] A Bâle, où nos voyageurs sont reçus avec distinction et traités par la seigneurie de la ville avec des marques d’honneur et de cérémonie, Montaigne voit François Hotman, le célèbre jurisconsulte, rival de Cujas, échappé au massacre de la Saint-Barthélemy ; à souper où il l’invite, il le met, lui et un savant médecin de la ville, sur le chapitre de la religion, et il devine que, tout en protestant contre la romaine, ils sont peu d’accord entre eux. […] Là Montaigne regretta d’avoir omis trois choses en son voyage : 1° de n’avoir point emmené avec lui un cuisinier pour s’instruire des recettes allemandes et en pouvoir faire un jour l’épreuve chez lui (car il s’inquiète des mets et de la chère partout où il passe, il ne vit pas seulement de l’esprit) ; 2° de n’avoir pas amené avec lui un valet allemand ou de ne s’être pas donné pour compagnon de route quelque gentilhomme du pays, afin de ne pas se trouver tout à fait à la merci d’un bélître de guide ; 3° enfin, de n’avoir pas lu d’avance ou emporté dans ses coffres les livres et guides du voyageur (comme nous dirions) qui le pussent avertir des choses rares et remarquables à visiter en chaque lieu. […] Quant à l’air, il remerciait Dieu de l’avoir trouvé si doux, car il inclinait plutôt sur trop de chaud que de froid, et en tout ce voyage, jusques lors, n’avions eu que trois jours de froid et de pluie environ une heure ; mais que du demeurant, s’il avait à promener sa fille, qui n’a que huit ans, il l’aimerait autant en ce chemin qu’en une allée de son jardin ; et quant aux logis, il ne vit jamais contrée où ils fussent si dru semés et si beaux, ayant toujours logé dans belles villes bien fournies de vivres, devin, et à meilleure raison qu’ailleurs. » Montaigne, à la veille de quitter l’Allemagne et le Tyrol autrichien, écrit une lettre à François Hotman, ce célèbre jurisconsulte qu’il avait rencontré à Bâle, pour lui exprimer sa satisfaction de tout ce qu’il a vu dans le pays et le regret qu’il avait d’en partir si tôt, quoique ce fût en Italie qu’il allât ; ajoutant qu’excepté quelques exactions à peu près inévitables des hôteliers guides et truchements, « tout le demeurant lui semblait plein de commodité et de courtoisie, et surtout de justice et de sûreté. » Cette première partie de son voyage, dont il se montrait si enchanté, n’avait fait que le mettre en goût et en appétit de découverte.

2314. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Souvenirs de soixante années, par M. Étienne-Jean Delécluze, (suite et fin) »

Il ne manquerait cependant à l’oisiveté du sage qu’un meilleur nom, et que méditer, parler, lire et être tranquille, s’appelât travailler. » Il se flatte aujourd’hui d’avoir à peu près réalisé ce plan qu’il s’était proposé, d’avoir vécu en sage et en philosophe, étranger à ce qu’on appelle succès, indifférent à ce qu’on appelle gloire, et de s’être uniquement « attaché, en cultivant les lettres, à mettre en jeu les ressources de son intelligence, dans l’espoir de prendre une idée de l’ensemble des choses de ce monde où il ne fera que passer, et de purifier, autant qu’il est possible, son esprit et son âme par la méditation et l’étude. » Ce sont ses propres termes, et je n’ai pas voulu affaiblir l’expression de cette satisfaction élevée ; mais il est résulté de cette conscience habituelle de sa propre sagesse et de cette confiance tranquille en soi, qu’il a été enclin à voir les autres plus fous ou plus sots qu’ils n’étaient peut-être ; il se disait, en les écoutant, en les voyant animés de passions diverses : « Est-il possible que tous ces gens-là ne soient point raisonnables et sages comme moi-même ?  […] Il n’est pas difficile, après une vie longue, quand on a entendu tout le monde et vu les dénouements, de venir faire, à propos de chaque personnage célèbre, une espèce de compilation de jugements, une cote tant bien que mal taillée, et de la donner sans y mettre le relief et la façon. […] Eugène Viollet-le-Duc, élevé par lui librement, philosophiquement, mis de bonne heure à même des belles choses, entouré des bons et beaux exemplaires en tout genre, est devenu l’homme distingué que nous savons, le restaurateur le plus actif et le plus intelligent de l’art gothique en France, ayant en toute matière des idées saines, ouvertes, avancées, et maniant la parole et la plume aussi aisément que le crayon ; j’ajouterai qu’à en juger par ses directions manifestes, il n’a guère en rien les doctrines de son oncle ; et c’est en cela que je loue ce dernier de n’avoir point appliqué, dans une éducation domestique qu’il avait tant à cœur de mener à bien, de vue exclusive ni de système personnel et oppressif. […] On est sans rancune, on le met à son rang, mais pas un cran plus haut.

2315. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Le père Lacordaire. Les quatre moments religieux au XIXe siècle, (suite et fin.) »

Chacun s’y mit avec modération et prudence, sous l’égide du héros modérateur, et le Pontife tout le premier, et le Clergé constitutionnel lui-même, heureux en grande partie de se sentir réconcilié avec son chef. […] Elle cheminait à couvert et petit à petit ; mais ce ne fut qu’après la chute du parti modéré et à l’avénement du ministère Villèle que l’affiliation monarchico-religieuse se mit hardiment à l’œuvre, ouvrit la tranchée et marcha de toutes parts à l’assaut du pouvoir qui lui livrait la place. […] On s’était aperçu que l’Église faisait partie du rempart, et chacun alors s’empressait de mettre la main au rempart pour le réparer et le fortifier. […] Mémoires de M. l’abbé Liautard ou Fragments inédits, politiques et religieux, traitant, de l’autel et du trône, etc. ; recueillis et mis en ordre par M. l’abbé A.

2316. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Le mariage du duc Pompée : par M. le comte d’Alton-Shée »

J’arrive un peu tard pour en parler, et sans autre dessein que de mettre par écrit quelques réflexions que m’avait suggérées une première lecture et qu’une seconde vient de confirmer. […] Tel est le sujet abordé et mis en action par M. d’Alton-Shée avec beaucoup de vigueur et de franchise. […] Dans son désir de changer le sujet de conversation, Emma prend le journal des mains de M. de Noirmont et se met à lire le feuilleton à haute voix : « Théâtre-Italien. — Ouverture. — Don Juan […] Mlle Pompéa a par hasard appris du tapissier chargé de meubler l’hôtel du comte, et qui se trouve être le sien, qu’il est de retour en France, qu’il habite à Maran aux environs de Fontainebleau, et elle s’est mise en route sur l’heure pour le revoir : elle arrive, accompagnée d’une vieille cantatrice, la signora Barini, ancien contralto qui a eu ses beaux jours, une manière de duègne très-peu duègne, une utilité, un embarras, le meilleur cœur et la meilleure langue de femme, baragouinant un français italianisé et jargonnant à tue-tête.

2317. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Histoire de la littérature anglaise, par M. Taine, (suite) »

Son livre, dans sa composition, a l’avantage de mettre surtout en lumière les parties les plus difficiles et les plus ardues, les hautes époques antérieures de la littérature anglaise : la Renaissance y est admirablement traitée. La Renaissance, en Angleterre, ne se comporta point comme chez nous ; elle ne mit pas fin brusquement au Moyen-Age ; elle ne produisit point un sens-dessus-dessous dans l’art, dans la poésie, dans le drame, une inondation destructive ; elle trouva un fonds riche, solide, résistant comme toujours : elle le recouvrit par places et s’y mêla en se combinant. […] Le poète compare Cromwell encore modeste, selon lui, et fier seulement d’obéir à la République et aux Communes, au généreux oiseau de proie, docile au chasseur, et qui n’ensanglante les airs que pour lui : « Ainsi, quand le faucon s’abat pesamment des hauteurs du ciel, une fois sa proie mise à mort, il ne pense plus qu’à percher sur la branche verte voisine où, au premier appel, le fauconnier est sûr de le trouver. » Ainsi la République est sûre de son Cromwell. — Rapprochez cette ode du généreux et fervent sonnet que Milton adressait à Cromwell vers le même temps : « Cromwell, notre chef d’hommes, qui, à travers un nuage non seulement de guerre, mais de détractions violentes et de calomnies, guidé par la foi et par une fortitude incomparable, as enfoncé ton glorieux sillon vers la paix et la vérité ! […] Sa précocité comme auteur le mit en rapport dès l’adolescence avec des poètes et des personnages en renom.

2318. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Exploration du Sahara. Les Touareg du Nord, par M. Henri Duveyrier. »

Exempts comme gentilshommes de toute occupation manuelle, ils sont assez occupés, d’ailleurs, à faire la police du territoire dans leur tribu, à assurer la sécurité des routes, à protéger les caravanes, à veiller sur l’ennemi, à le combattre au besoin et à se mettre à la tête des serfs : « Aussi, nous dit M.  […] Othman fait d’abord trois voyages en Algérie, et, entre chacun de ces trois voyages, il conduit des explorateurs français dans son pays ; enfin, pour couronner ses efforts, tendant à des ouvertures de relations, il vient en 1862 à Paris, ville où jamais un Targui n’avait mis les pieds… Homme d’une haute intelligence et d’un grand sens pratique, Othman a surtout remarqué en France ce qui contraste avec le désert : le nombre considérable des habitants, l’abondance des eaux, la richesse et la variété de la végétation, la rapidité et la sécurité des communications, enfin la généreuse hospitalité qu’il y a reçue. […] — Ces hommes, les Touareg, tu les prends pour des lâches ; — cependant ils savent voyager et même guerroyer ; — ils savent partir de bon matin et marcher le soir ; — ils savent surprendre dans son lit tel homme couché ; — surtout le riche qui dort au milieu de ses troupeaux agenouillés ; — celui qui a orgueilleusement étendu sa large tente ; — celui qui a déployé en leur entier et ses tapis et ses doux lainages ; — celui dont le ventre est plein de blé cuit avec de la viande, — et arrosé de beurre fondu et de lait chaud sortant du pis des chamelles ; — ils le clouent de leur lance, pointue comme une épine, — et lui se met à crier, jusqu’à ce que son âme s’envole […] — Nous le laverons de son bien, sans même lui laisser d’eau ; — sa gourmande de femme (celle qui devant un bon mets fait lien, lien, lien, comme le cheval auquel on apporte sa musette pleine d’orge), ne pourra plus supporter son désespoir. »    .

2319. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Correspondance de Louis XV et du maréchal de Noailles, publiée par M. Camille Rousset, historiographe du ministère de la guerre »

À la mort de Louis XIV, le Régent le mit de fait à la tête du Conseil des finances : il eut d’abord la haute main, recourut tant bien que mal à des expédients ou à des palliatifs, eut le mérite de repousser l’idée de banqueroute, mais ne voulut point des États généraux dans le principe et n’en voulut ensuite que lorsqu’il était trop tard, visa sans cesse à être premier ministre, vit tourner la roue et se retira devant la faveur de Law, à la veille des entreprises aventureuses. […] Le duc de Noailles, jeune, brillant, en faveur, est envoyé en Espagne ; il remporte en Cerdagne, en Catalogne, des succès militaires fort célébrés à Versailles, il prend Girone (1711) ; il est partout loué, vanté, lorsque, obéissant à son secret mobile et à cette inquiétude d’ambition qui le piquait, il imagine de concert avec le marquis d’Aguilar, pendant le séjour de la Cour à Saragosse, de donner à Philippe V une maîtresse, de le détacher ainsi de sa femme et dès lors de la princesse des Ursins, comptant bien, lui et son ami, s’emparer de toute l’influence ; en un mot, il noue une intrigue qui, découverte, le fait rappeler et le met à la Cour de Versailles dans une position infiniment moins bonne qu’auparavant. […] Saint-Simon nous l’avoue, il fut charmé, ensorcelé par ce beau diseur : il s’employa à le servir avec feu ; il brisa pour lui la glace et le mit en bons rapports avec M. de Beauvilliers qui était l’entrée de faveur auprès du Dauphin ; plus tard il ne travailla pas moins à l’ancrer auprès du duc d’Orléans et à le faire un des présidents des Conseils pour la prochaine Régence. […] À côté de la peinture de Saint-Simon, j’ai bien envie de mettre le croquis du maréchal de Noailles par le marquis d’Argenson qui, lui, ne peint pas, mais charbonne.

2320. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Idées et sensations : par MM. Edmond et Jules de Goncourt. »

La religion de l’histoire, le numen historiæ de Pline le Jeune et de Tacite, ils n’en ont pas une bien haute idée, ils ne l’admettent pas : « L’histoire, disent-ils, est un roman qui a été ; le roman est de l’histoire qui aurait pu être. » — La tragédie, ils n’en pensent pas mieux que de l’histoire, mais ils la redoutent davantage, et ils lui en veulent comme au fantôme ennemi qu’on évoque de temps en temps et qu’on fait semblant de ressusciter contre les genres vivants et modernes ; ils disent : « Il est permis en France de scandaliser en histoire : on peut écrire que Néron était un philanthrope, ou que Dubois était un saint homme ; mais en art et en littérature les opinions consacrées sont sacrées : et peut-être, au xixe  siècle, est-il moins dangereux, pour un homme de marcher sur un crucifix que sur les beautés de la tragédie. » Artistes jusqu’à la moelle, ils voient le monde par ce côté unique de l’art ; c’est par là qu’ils sont offensés, c’est par là qu’ils jouissent ; c’est à être un artiste indépendant, sincère, absolu et sans concession, qu’ils mettent le courage civil : « Il faut plus que du goût, il faut un caractère pour apprécier une chose d’art. […] Ces Suard, ces Morellet, tout académiciens qu’ils sont devenus, n’étaient ni plats ni serviles ; ils savaient au besoin se faire mettre, comme d’autres, à la Bastille ou dans un château fort. […] La partie pittoresque domine chez MM. de Goncourt ; ils ont eu toute raison de mettre le mot Sensations au titre de leur livre : ce sont de vrais tableaux à la plume qu’ils font. […] qui n’a observé que la pluie, qui est comme tenue en suspension dans l’air tant que le soleil est sur l’horizon, se met souvent à tomber vers six heures du soir !

2321. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE DURAS » pp. 62-80

Je n’entends parler ici que de ce qui, dans l’ordre de l’esprit, n’était pas hostile au principe de la Restauration, de ce qui ne se plaçait pas en dehors, l’attaquant avec audace ou la minant avec ruse, mais de ce qui se développait en elle tout en essayant de la modifier, de ce qui pouvait lui devenir un ornement et un appui, si elle-même la première n’avait pas, un matin, mis le feu aux poudres. […] Le style de Mme de Duras, qui s’est mise si tard et sans aucune préméditation à écrire, ne se sent ni du tâtonnement ni de la négligence. […] Ses souffrances physiques étaient devenues par moments atroces, insupportables ; elle les acceptait patiemment, elle s’appliquait de tout son cœur à souffrir, elle y mettait presque de la passion, si l’on ose dire, une passion dernière et sublime. […] Ce qui met le comble au chagrin, c’est de trouver des torts sans excuse à ceux qu’on aime ; là il y a une excuse : « Ils ne savent ce qu’ils font ! 

2322. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Alphonse Daudet, l’Immortel. »

Alphonse Daudet n’a rien fait de plus brillant, de plus crépitant ni de plus amusant ; rien où l’observation des choses extérieures soit plus aiguë ni l’expression plus constamment inventée ; rien où il ait mieux réussi à mettre sa vision, ses nerfs, son inquiétude, son ironie… Un livre comme celui-là, c’est de la sensibilité accumulée et condensée, une bouteille de Leyde littéraire. […] Nous savons fort bien être décents et polis sans elle, quand on ne nous met pas en colère. […] C’est une continuelle invention de style, si audacieuse, si frémissante et si sûre que, les meilleures pages de Goncourt mises à part, on n’en a peut-être pas vu de pareilles depuis Saint-Simon. […] Au contraire, ce qui manque à son roman, je serais presque capable de l’y mettre, et le père Astier-Réhu lui-même saurait nous le dire et nous le développer… Le seul don de l’expression pittoresque, à un pareil degré, me fait passer aisément sur une psychologie peut-être sommaire et sur un certain manque de renanisme… Et puis, je ne sais plus.

2323. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Pensées, essais, maximes, et correspondance de M. Joubert. (2 vol.) » pp. 159-178

Les Grecs, au contraire, étaient doués d’organes parfaits, faciles à mettre en jeu, et qu’il ne fallait qu’atteindre pour les émouvoir. […] Ainsi donc, vers l’époque de 89, il y avait en France un homme déjà fait, âgé de trente-cinq ans, qui avait huit ans de plus qu’André Chénier, quatorze ans de plus que Chateaubriand, et qui eût été tout préparé à les comprendre, à les unir, à leur donner des excitations et des vues, à les mettre à même chacun d’étendre et de compléter leur horizon. […] « S’il est un homme tourmenté, dit-il, par la maudite ambition de mettre tout un livre dans une page, toute une page dans une phrase, et cette phrase dans un mot, c’est moi. » Sa méthode est de toujours rendre une pensée dans une image ; la pensée et l’image pour lui ne font qu’un, et il ne croit tenir l’une que quand il a trouvé l’autre. […] Il était « de ces esprits méditatifs et difficiles qui sont distraits sans cesse de leur œuvre par des perspectives immenses et les lointains du beau céleste dont ils voudraient mettre partout quelque image ou quelque rayon ».

2324. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Mémoires d’outre-tombe, par M. de Chateaubriand. » pp. 432-452

N’étant lié envers sa haute renommée par d’autre sentiment que celui d’un respect et d’une admiration qu’un libre examen a droit de mesurer, j’ai étudié en lui l’homme et l’écrivain avec détail, avec lenteur, et il en est résulté tout un livre que j’aurais déjà mis en état de paraître, si je ne causais ici beaucoup trop souvent. […] C’est dans cette lutte inextricable entre l’homme naturel et les personnages solennels, dans ce conflit des deux ou trois natures compliquées en lui, qu’il faut chercher en grande partie le désaccord d’impression et de peu d’agrément de cette œuvre bigarrée, où le talent d’ailleurs a mis sa marque. […] Le masque est en partie tombé ; mais l’auteur, à chaque moment, le reprend et se le rajuste sur le visage, et, tout en le reprenant, il s’en moque et veut faire comme s’il ne le mettait pas. […] J’ai pensé me casser le cou en voulant grimper sur une montagne… » Maintenant lisez dans les Mémoires le passage où il raconte ce pèlerinage à la fontaine : Pétrarque et Laure en ont tous les honneurs ; ce ne sont que citations de Pétrarque et hymnes à l’amant de Laure : « On entendait dans le lointain les sons du luth de Pétrarque ; une canzone solitaire, échappée de la tombe, continuait à charmer Vaucluse d’une immortelle mélancolie… » Le crime n’est pas bien grand, mais c’est ainsi que la littérature se met en lieu et place de la vérité première.

2325. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Histoire du chancelier d’Aguesseau, par M. Boullée. (1848.) » pp. 407-427

On raconte qu’un jour Boileau lui ayant récité quelque épître ou satire qu’il venait de composer, d’Aguesseau lui dit tranquillement qu’il la connaissait déjà, et, pour preuve, il se mit à la lui réciter tout entière. […] Mais, tout à coup, cet homme épris de l’antique beauté se mit à courir en descendant la rue de la Harpe, pour arriver plus vite, et aussi de peur que quelque accident imprévu ne vînt, dans l’intervalle du trajet, lui dérober le chef-d’œuvre. […] Ainsi pour les sciences : « Un homme d’esprit, dit-il, veut tout lire et tout savoir ; il y goûte pendant longtemps un plaisir infini : mais après avoir bien lu, plus il a de lumières, plus il fait aussi de réflexions qui corrompent, pour ainsi dire, et qui empoisonnent pour lui toute la douceur de la science. » Et cet homme passe à un excès contraire, et il se met, de dépit, à condamner toutes les sciences en général, comme le misanthrope condamne tous les hommes. […] Au chirurgien La Peyronie, qui voulait qu’on élevât un mur infranchissable de séparation entre la chirurgie et la médecine, il demandait : « Mais de quel côté du mur mettra-t-on le malade ? 

2326. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Boileau. » pp. 494-513

Lorsque sous la Restauration, à cette heure brillante des tentatives valeureuses et des espérances, de jeunes générations arrivèrent et essayèrent de renouveler les genres et les formes, d’étendre le cercle des idées et des comparaisons littéraires, elles trouvèrent de la résistance dans leurs devanciers ; des écrivains estimables, mais arrêtés, d’autres écrivains bien moins recommandables et qui eussent été de ceux que Boileau en son temps eût commencé par fustiger, mirent en avant le nom de ce législateur du Parnasse, et, sans entrer dans les différences des siècles, citèrent à tout propos ses vers comme les articles d’un code. […] Chapelain ne soupçonna rien du déguisement ; mais, à un moment de la visite, le bailli qu’on avait donné comme un amateur de littérature, ayant amené la conversation sur la comédie, Chapelain, en véritable érudit qu’il était, se déclara pour les comédies italiennes et se mit à les exalter au préjudice de Molière. […] C’est un sujet, d’ailleurs, que je me suis mis dès longtemps en réserve pour l’avenir64. […] Boileau retenait de mémoire ses vers, et les récitait longtemps avant de les mettre sur le papier ; il faisait mieux que les réciter, il les jouait pour ainsi dire.

2327. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Saint François de Sales. Son portrait littéraire au tome Ier de l’Histoire de la littérature française à l’étranger par M. Sayous. 1853. » pp. 266-286

Lorsqu’on lui présenta ses feuilles, il se décida pourtant à y mettre quelque liaison et quelque arrangement, et à les lancer dans le monde. […] Il s’attache aux mondains, il les amorce, il les apprivoise par le talent d’images et de similitudes dont la nature l’a doué ; il met force sucre et force miel au bord du vase. […] [NdA] Les éditions de l’Introduction à la vie dévote se multiplièrent à l’infini ; on traduisit le livre dans toutes les langues : on le mit en latin ; on le mit même en vers français.

2328. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Essai sur la littérature merveilleuse des noirs. — Chapitre III. Personnages merveilleux des contes indigènes »

Les êtres surnaturels se distinguent par les traits, le caractère, les mœurs, l’apparence physique que leur prête l’imagination des conteurs ; les hommes d’après leurs professions, certaines de celles-ci étant plus souvent mises en scène que les autres66. […] Ceux même qui sont parvenus à les mettre en fuite gardent longtemps l’esprit égaré et le corps malade et ne se rétablissent que malaisément. […] On les corrige de cette mauvaise habitude en pimentant fortement ce mets. […] — Je n’en ai pas, ai-je répondu — Mets des cailloux dans ta chéchia » Je l’ai fait et après quelques tours de passe-passe il me l’a rendue pleine de kolas.

2329. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Édelestand du Méril »

Seulement, la chèvre et la plupart des hommes tirent sur leur corde, y mettent une ou deux fois leur dent, d’impatience, puis prennent leur parti, broutent et se couchent, tandis que les hommes de génie font des bonds magnifiques dans le rayon de leur corde, comme des lions exaspérés, et voilà l’art ! […] Il n’y a, au fond, dans toute cette histoire, reprise en sous-œuvre par du Méril, que la vieille histoire connue, qui peut s’écrire en quelques mots et qu’il a mise en cinq cents pages, — si brillantes de talent, du reste, qu’il semble ne pas avoir bavardé, — de la comédie, sortant partout de la danse, sa plus profonde racine ; dérivant, en peu de temps, du langage mimique au langage religieux et processionnel ; s’imprégnant plus tard de politique dans des sociétés fortement politiques comme les sociétés grecques, et vivant ainsi jusqu’au moment où l’imagination reconquiert ses droits et crée une autre comédie, la comédie désintéressée de tout ce qui n’est pas l’observation de la nature humaine… Et, vous le voyez ! […] V Le premier volume, en effet, ne nous avait pas mis simplement l’eau à la bouche pour le second. […] Ceux qui le lurent furent surtout saisis, comme d’une charmante nouveauté, de la manière dont du Méril avait envisagé, pénétré et même peint la société chinoise, et ceux-là qui aiment toutes les formes de l’histoire convinrent qu’il avait mis la main sur la plus difficile et la plus piquante.

2330. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Macaulay »

Ces messieurs se sont mis deux à leur traduction comme à un vaudeville, et c’est probablement M.  […] ces cinq essais auxquels Macaulay mit son amour et qu’il crut sa gloire, sont bien tout ce qu’il y a de moins aperçu, de moins approfondi et de moins fortement rendu dans son recueil. […] En obéissant à sa nature, qui était un superbe et fécond tempérament littéraire, Macaulay aurait multiplié des œuvres semblables à ces Essais qu’on a eu raison de mettre à part des autres, gâtés par la politique qui s’y mêle. […] Sous sa main, elle était devenue humaine ; elle écoutait aux portes du cœur ; et pas de doute que si son cœur, à lui, avait souffert, si la destinée lui avait fait goûter à ses savoureuses amertumes, si la divine Marâtre qu’on appelle la Douleur lui avait mis au front ce baiser mordant qui le féconde, pas de doute que comme critique même (comme écrivain, ce n’est pas douteux), il aurait été plus profond et plus grand… L’homme n’est jamais assez intellectuel pour pouvoir se passer de sentiments, et les plus forts sont les sentiments blessés.

2331. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « M. Jean Richepin »

Eh bien, c’est un ensemble encore plus large et plus étreint que celui de Callot, qu’a voulu réaliser, dans un autre genre d’Art et d’expression, un jeune homme qui n’a pas été un bohémien comme Callot, mais tout au plus un bohème comme on l’est quelquefois, quand on a vingt ans, à Paris, au xixe  siècle, et ce jeune homme s’est cru de force à mettre dans un livre de sentiment et d’observation, et de chanter ou de faire chanter en des poésies personnelles ou impersonnelles, toutes les misères de son temps, ces misères invincibles à la philanthropie, et qui, sous le costume et les vices de chaque siècle, forment la Misère éternelle ! […] Mais il n’a pas, malheureusement, il faut bien le dire, le seul sentiment qui l’aurait mis au-dessus de ses peintures, le sentiment qui lui aurait fait rencontrer cette originalité que Villon, Rabelais et Régnier ne pouvaient pas lui donner. […] L’Idée de Dieu ne passe pas une seule fois dans le cœur ou dans la pensée de ces vagabonds et de ces mendiants dont il est le rhapsode, — dont il chante les Odyssées et les Idylles sur ce noir violon de ménétrier, brûlant et sinistre, qui vous émeut tant, et qui met jusque dans les airs de l’amour toutes les férocités de la vengeance contre la misère de la vie. […] c’est facile, et d’autant plus facile que cela doit rester impuni ; car on ne peut pas faire la preuve, qui serait une punition, de la sincérité d’un sentiment ou d’une pensée, si ce n’est par l’accent qu’on met à l’exprimer, les âmes n’étant pas transparentes.

2332. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) «  Œuvres et correspondance inédites de M. de Tocqueville — I » pp. 93-106

J’ai un autre défaut pour le moment présent : je m’habitue difficilement à parler en public ; je cherche mes mots, et j’écoute mes idées ; je vois à côté de moi des gens qui raisonnent mal et qui parlent bien : cela me met dans un désespoir continuel. […] Je sais qu’entre l’arbre et l’écorce il ne faut pas mettre le doigt, ni demander une raison exacte à ces étroites alliances d’âmes, à ces amitiés de Montaigne et de La Boétie ; pourtant, dès qu’on nous livre les secrets de l’intimité, nous devenons plus ou moins des juges. […] Il est l’un des hommes qui s’est le plus adressé de questions, qui s’est le plus mis à la question lui-même.

2333. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Le général Joubert. Extraits de sa correspondance inédite. — Étude sur sa vie, par M. Edmond Chevrier. — II » pp. 161-173

Nous nous mîmes en bataille sous les murs de la ville, et nous envoyâmes un officier prévenir M. le commandant (de la place) que nous allions lui présenter nos devoirs. […] La gloire militaire de Joubert, et qui le mit réellement en vue, il va l’acquérir à Rivoli et dans le Tyrol, c’est-à-dire dans les dernières opérations qui couronnèrent une campagne que rien depuis n’a surpassée. […] C’est pour le coup qu’il avait de quoi se consoler, dans sa modestie, d’avoir été mis à la tête d’une division.

2334. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « HOMÈRE. (L’Iliade, traduite par M. Eugène Bareste, et illustrée par M.e Lemud.) —  premier article .  » pp. 326-341

C’est ce qu’attestent aussi les témoignages des Anciens, et c’est à quoi Pisistrate mit ordre par la révision et la rédaction qu’il ordonna. […] Et d’autre part, depuis lui, il y a eu certainement une postérité d’autres chanteurs ou rhapsodes, qui l’ont récité, copié, amplifié ; c’est à quoi Pisistrate prétendit mettre ordre. […] Ces articles sur Homère ont été mis dans le Journal des Débats.

2335. (1861) Cours familier de littérature. XI « Atlas Dufour, publié par Armand Le Chevalier. » pp. 489-512

Comptez quarante mille Druses, véritables Helvétiens du Liban, peuple fier, industrieux, sédentaire, vivant immémorialement en fraternité avec les Maronites dans le même village, et en parfaite harmonie, malgré leur culte différent, toutes les fois que des médiations étrangères ne leur mettent pas les armes à la main pour défendre leur part de nationalité dans les mêmes montagnes. […] La confédération, c’est l’affranchissement de l’Italie sans danger et avec honneur pour la France ; la monarchie du Piémont, c’est pour l’Italie changer de maître, et c’est pour la France changer de voisins et de frontières ; c’est-à-dire qu’une Italie nouvelle, devenue monarchique, est mise à la disposition de l’Angleterre ; une France nouvelle commence. […] En parcourant d’un œil attentif toutes ces belles cartes réunies par un lien historique, dans cet atlas si admirablement groupé pour mettre l’univers en relief sous vos mains comme dans une exposition plastique du monde à toutes ses grandes époques, où tout ce qui est essentiellement mobile dans la configuration des empires parut un moment définitif, on sait tout de l’homme et tout de la terre politique ; on marche à travers les lieux et les temps avec un interprète qui sait lui-même toutes les langues et tous les chemins.

2336. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre V. Indices et germes d’un art nouveau — Chapitre III. Retour à l’art antique »

La découverte d’Herculanum et de Pompéi616 frappa vivement les imaginations : cette réapparition de villes enfouies depuis dix-sept siècles fut le fait saisissant qui captiva l’esprit mondain, et mit le gréco-romain à la mode. […] L’expérience de Chénier se fond dans son érudition ; et dans ses « vers antiques », ce qu’il met, ce sont, non pas toujours « des pensers nouveaux », du moins des sensations personnelles et de la nature observée. […] Il fut mis à Saint-Lazare, transféré le 6 thermidor à la Conciergerie, jugé et exécuté le 7.

2337. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre I. Publicistes et orateurs »

Ce mouvement de réaction contre le romantisme, malgré l’incompatibilité théorique des formules d’art, fut en fait un effort souvent impuissant pour échapper au romantisme, qui contenait en sa vaste confusion tous les éléments dont la nouvelle école allait s’emparer pour le détruire et le nier : elle eut beau faire, elle mit quelque chose de lui dans presque tous ses chefs-d’œuvre. […] Ce fut un superbe pamphlétaire, dont l’absolu désintéressement, l’humilité profonde, mirent à l’aise le tempérament ; écrivain puissant, nourri des grands maîtres, au commerce desquels il a développé son originalité, ayant une rare intelligence littéraire, il a écrit des pages qui vivront, par la vivacité mordante de l’esprit ou par l’éclat violent de la passion. […] Tout le monde s’y est mis : avocats, professeurs, députés, comédiens, femmes.

2338. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Banville, Théodore de (1823-1891) »

. — Dames et demoiselles et Fables choisies, mises en prose (1886). — Le Forgeron, scènes héroïques (1887). — Madame Robert (1887). — Le Baiser, comédie en vers (1888). — Scènes de la vie : Les Belles Poupées (1888). — Les Cariatides ; Roses de Noël (1889). […] Il a un diamant de gaîté qui rit et lutine de ses feux, et cela le met à part dans l’Heptarchie romantique… La gaîté de M. de Banville rit sans malice. […] Il mit tout son orgueil à devenir savant, à comprendre le murmure des choses.

2339. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Baudelaire, Charles (1821-1867) »

Eugène Crépet et contenant : des fragments des Préfaces des Fleurs du mal ; les scénarios de deux drames ; Le Marquis du 1er Houzards, La Fin de Don Juan, Notes sur la Belgique et Mon cœur mis à nu (1887). — Œuvres complètes (édition définitive) : Les Fleurs du mal ; Curiosités esthétiques ; L’Art romantique ; Petits poèmes en prose (1890). […] Depuis, au long des jours de désir et de haine Dont les soleils couchants meurent au fond du cœur, Celles que tu créas rêvent d’une douleur Étrangement nouvelle et fervemment humaine, Et crient au loin ton nom qui rayonne d’un feu Céleste et souterrain comme une pierre ardente, Ô poète, qui retourna l’œuvre de Dante Et mis en haut Satan et descendis vers Dieu. […] Mais l’opinion finale sera de le mettre enfin au premier rang, où régnent Lamartine et Victor Hugo, qu’on cite toujours en l’omettant.

2340. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « Une soirée chez Paul Verlaine » pp. 18-33

Il s’était créé un style à part qui devait lui aliéner le commun des lecteurs, une langue qui s’adressait à tous les sens, pleine d’onomatopées, d’artifices typographiques, où les adverbes, des majuscules imprévues, se mettaient à chevaucher follement la phrase, où des incidentes répétées revenaient avec l’obsession du leitmotiv ; une langue musicale et orchestrée. […] On eût dit qu’un bon génie l’avait fait descendre des hauteurs du faubourg Saint-Honoré, où il logeait, pour mettre le comble à l’allégresse. […] Ce n’était plus le temps où il partageait la détresse du vagabond Rimbaud et où, chaque soir, il leur fallait se mettre en quête d’un gîte.

2341. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. John Stuart Mill — Chapitre I : De la méthode en psychologie »

Elle aurait atteint la perfection scientifique, idéale, si elle nous mettait en état de prédire avec certitude comment un individu pensera, sentira ou agira dans le cours de sa vie. […] Les notions d’étendue, Solidité, Nombre, Force, etc., quoique acquises par les sens ne sont pas des copies d’impressions faites sur les sens, mais des créations des lois propres de notre esprit mises en action par les sensations. […] L’exemple qui précède met dans tout leur jour les deux principales doctrines de la psychologie à posteriori la plus avancée : 1° Que les phénomènes les plus abstrus de l’esprit sont formés de phénomènes plus simples et plus élémentaires.

2342. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces diverses — Préface du « Rhin » (1842) »

Il faut qu’il sache au besoin rendre un service direct et mettre la main à la manœuvre. […] Il écrivit donc alors, en quelque sorte sans préoccupation littéraire, mais avec le simple et sévère sentiment du devoir accompli, les deux cents pages qui terminent le second volume de cette publication, et il se disposa à les mettre au jour. […] Tels sont les motifs impérieux, à ce qu’il lui semble, qui ont déterminé l’auteur à mettre au jour ces lettres et à donner au public deux volumes sur le Rhin au lieu de deux cents pages.

2343. (1864) William Shakespeare « Première partie — Livre V. Les âmes »

Quel est ce don de l’homme de mettre le feu à l’inconnu ? […] Tout poëte est un critique ; témoin cet excellent feuilleton de théâtre que Shakespeare met dans la bouche d’Hamlet. […] Compléter un univers par l’autre, verser sur le moins de l’un le trop de l’autre, accroître ici la liberté, là la science, là l’idéal, communiquer aux inférieurs des patrons de la beauté supérieure, échanger les effluves, apporter le feu central à la planète, mettre en harmonie les divers mondes d’un même système, hâter ceux qui sont en retard, croiser les créations, cette fonction mystérieuse n’existe-t-elle pas ?

2344. (1904) La foi nouvelle du poète et sa doctrine. L’intégralisme (manifeste de la Revue bleue) pp. 83-87

Ne peuvent-ils enfin se mettre d’accord sur leurs rimes ? […] Suffit-il de s’asseoir sur un banc de mousse, au bord d’un ruisseau, et de mettre la main sur son cœur, en regardant la lune ou quelque étoile favorite ; d’évoquer la maison blanche aux volets verts, pour se dire l’annonciateur des fraternités et des bonheurs futurs ? […] Il faut savoir beaucoup de choses, aux temps présents, pour en apprendre un peu aux hommes, pour en mettre quelque essence dans ses écrits.

2345. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 15, le pouvoir de l’air sur le corps humain prouvé par le caractere des nations » pp. 252-276

Or, si la diversité des climats peut mettre tant de varieté et tant de difference dans le teint, dans la stature, dans le corsage des hommes et même dans le son de leur voix, elle doit mettre une difference encore plus grande entre le génie, les inclinations et les moeurs des nations. […] Chaque nation néanmoins met beaucoup de son caractere particulier dans la pratique de ce culte.

2346. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « L’empire russe depuis le congrès de vienne »

L’histoire, qui met la main sur toutes les artères d’une société, ne saurait naître que quand une société existe assez pour avoir le besoin de se raconter et de se connaître. […] Ils peuvent être des chevaliers de Grammont dans la vie ; c’est un air à prendre, un habit à porter, un propos à tenir, une manière de saluer, de monter à cheval, de mettre ses bottes, ou de se les faire ôter par des princesses, — comme faisait Lauzun. […] Lermontoff et Pouchkine sont des littérateurs français, mis au piquet dans la langue russe, et qui s’impatientent peut-être — comme la chèvre — contre la corde qui les y retient.

2347. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Le capitaine d’Arpentigny »

Celui du capitaine d’Arpentigny, qui s’appelle toujours capitaine et qui a bien raison, a été, par une de ces contradictions qui existent souvent entre nos instincts et notre métaphysique, mis au service d’une philosophie très peu militaire et qu’on regrette de rencontrer sous une plume qui a la beauté mâle d’une arme. […] C’est là, en effet, le mérite incontestable et presque rayonnant de ce livre étrange, souvent forcé, qui ne serait rien de plus qu’un livre excentrique et qui en aurait la destinée si le style n’y mettait pas son âme, et, par le plaisir qu’il nous donne, ne le tirait pas du cercle étroit de la pure curiosité littéraire. […] Stendhal et d’Arpentigny sont des aristocrates de talent qui se sont mis à déroger dans le démocratisme des idées, Stendhal est plus froid, d’Arpentigny plus extérieur et plus ardent.

2348. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Léon XIII et le Vatican »

Elle n’avait point à l’enlever pour le mettre au niveau d’elle. […] À voir le portrait mis en frontispice du volume de Teste, Léon XIII semble porter ses années comme sa tiare, et même cette tiare, alourdie de ce qu’on lui a ôté, doit à son front peser davantage… Il a la maigreur nerveuse des hommes qui sont faits pour résister au temps comme à autre chose. […] Dans ce livre sur Léon XIII, Teste a fait de l’Europe, en proie à cette fièvre de liberté qui est la furie du siècle et qui pourrait bien en être la calamité, un tableau lamentable et tout à la fois effrayant d’exactitude, et, quand on le lit, on se dit que ce suicide des gouvernements, qui mettent plus de temps à se tuer que les hommes, est déjà commencé.

2349. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « VI. M. Roselly de Lorgues. Histoire de Christophe Colomb » pp. 140-156

C’est du moins un sujet unique, car Dieu, qui met parfois des échos dans les circonstances, n’a pas permis aux événements de le répéter. […] C’est la première grande œuvre qu’on ait érigée à la mémoire d’un des plus grands hommes qu’ait eus l’humanité, car il n’y a pas une seule pensée dans la vie de Colomb qui ne soit grande, depuis la pensée de sa découverte jusqu’à celle de ses fers, mis dans son tombeau. […] Roselly de Lorgues a mis debout.

2350. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « VIII. M. de Chalambert. Histoire de la Ligue sous le règne de Henri III et de Henri IV, ou Quinze ans de l’histoire de France » pp. 195-211

Charmant et détestable sorcier, espèce de Circé à sa façon qui changeait les hommes en bêtes, pour peu qu’ils missent le bout des lèvres dans la coupe de ses écrits, Voltaire, sur cette question de la Ligue comme sur tant d’autres questions d’histoire, a perverti le sens public pour un temps qu’on peut prévoir, mais qu’il est impossible de mesurer. […] Or, en la posant, cette question, on sort du vague des mots et des idées, on entre dans le vif des faits, on met la main sur la clef de l’Économique de l’époque, on ressuscite le peuple et tout va facilement s’expliquer… La Ligue, ce n’est plus un parti, c’est le peuple, c’est la défense jusqu’à la mort de son patrimoine menacé, de l’héritage de ses enfants, de ce patrimoine sans lequel il se sent spolié dans ses pratiques, ses salaires, ses achats, ses plaisirs, et déshonoré comme vassal industriel des falsificateurs qui, au nom d’un principe nouveau, viennent rompre les cadres de ses robustes catégories. […] car si vous mettiez saint Louis dans le temps de Henri IV, il serait parmi les ligueurs !

2351. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Léon Gozlan » pp. 213-230

Partout, en effet, quand au lieu d’être journaliste il eût été corsaire, — ce qui, du reste, ne fait pas une si grande différence déjà, — partout, même quand il serait resté marchand d’anchois dans son excellente ville de Marseille, il aurait eu ce génie du mot, qui nous est donné, à pur don, comme tous les autres génies ; cette faculté qui, tout à coup, met une idée sous sa forme la plus concentrée, espèce de cristallisation de l’esprit d’une rapidité foudroyante. […] C’est pour cela qu’Alexandre Dumas, le divertisseur des gens superficiels, est déjà à moitié passé, pendant que Léon Gozlan, l’artiste solitaire apprécié seulement durant sa vie des connaisseurs, qui sont des solitaires aussi, vivra plus longtemps que ces deux gloires bouffies, qui s’aplatiront demain comme des éléphants de baudruche sur lesquels on aura marché, par la seule raison que Gozlan mit dans ses livres cette toute petite chose qu’avait Voltaire, qu’avait Beaumarchais, qu’avait le prince de Ligne, et qui nous fait trouver une volupté si particulière jusque dans une anecdote de trois lignes contée par Chamfort ou un mot lancé par Rivarol ! […] VI Et c’est, du reste, ce qui rachètera tout des défauts de ses livres, dans lesquels il y a des parties éclatantes de chefs-d’œuvre, mais point de chefs-d’œuvre complets qu’on puisse mettre debout devant soi et admirer comme une chose accomplie.

2352. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « L’Abbé Prévost et Alexandre Dumas fils » pp. 287-303

Ne mettons pas une sottise de critique par-dessus… Ce n’est pas Manon qui est un Sphinx, c’est son succès ! […] Il resterait donc ici le poète du détail, du récit, de la mise en scène et du style, qui sont bien aussi de la poésie ; mais ce poète-là n’y est pas davantage. […] Mais on est si heureux de se régaler de l’amour indécent de cette fille et de son… mettez le mot, si vous l’osez !

2353. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Le Comte de Gobineau »

Eh bien, la main sur le cœur, comme l’y mettait Talma dans Manlius (laissez-moi vous l’y mettre !) […] Qu’il écrive même, s’il veut, comme Talleyrand, ses Mémoires ; mais qu’il ne mette pas, comme Talleyrand, trente années à les publier.

2354. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre X. Des Romains ; de leurs éloges, du temps de la république ; de Cicéron. »

Il y a des caractères indécis qui sont un mélange de grandeur et de faiblesse, et quelques personnes mettent Cicéron de ce nombre. […] Je vous félicite donc, ô vous braves guerriers pendant la vie, ombres sacrées après la mort, je vous félicite de ce que votre valeur ne pourra être mise en oubli, ni par votre siècle, ni par la postérité, puisque le sénat et le peuple vous dressent, pour ainsi dire, de leurs propres mains, un monument immortel ; jamais un tel honneur n’a été rendu à aucune armée, et plût aux dieux que nous pussions faire davantage ! […] On l’a blâmé, on le blâmera encore ; je ne l’accuse, ni ne le justifie : je remarquerai seulement que plus un peuple a de vanité au lieu d’orgueil, plus il met de prix à l’art important de flatter et d’être flatté, plus il cherche à se faire valoir par de petites choses au défaut des grandes, et plus il est blessé de cette franchise altière ou de la naïve simplicité d’une âme qui s’estime de bonne foi et ne craint pas de le dire.

2355. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXI. De Thémiste, orateur de Constantinople, et des panégyriques qu’il composa en l’honneur de six empereurs. »

Sais-tu pourquoi tu as mis cet ordre dans les finances de l’empire ? […] Seul de tous les princes, tu n’as pas mis ceux qui manient les deniers de l’État au-dessus de ceux qui le défendent. […] On dit qu’un jour ayant reçu une députation de quatre-vingts prêtres qui venaient pour le fléchir, il les fit embarquer tous ensemble, et ordonna qu’on mît le feu au vaisseau, quand ils seraient en pleine mer.

2356. (1861) Questions d’art et de morale pp. 1-449

Molière et Boileau mettaient sans façon Mignard au-dessus de Raphaël. […] Il y a mis en même temps tout ce que son époque pouvait savoir et sentir de la couleur et des mœurs homériques. […] L’homme n’a pas été mis en ce monde pour être heureux, mais pour être grand. […] Quelque chose de ce symbolisme s’était conservé dans la mise en scène de l’ode pindarique. […] L’utilité d’un objet, loin d’être une des conditions de sa beauté, y met très souvent obstacle.

2357. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Sur Adolphe de Benjamin Constant » pp. 432-438

Je savais dès longtemps beaucoup de ces choses que nous a dites Sismondi : cela me met à l’aise pour le compléter. […] Aussi peut-on leur mettre des noms en passant.

2358. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Chateaubriand — Note »

« Chateaubriand »  Cette lettre, dans son compliment, renfermait le conseil indirect de m’émanciper un peu de Victor Hugo et faisait allusion à un sonnet où j’avais dit, parlant au puissant poëte : Comme un guerrier de fer, un vaillant homme d’armes, S’il rencontre, gisant, un nourrisson en larmes, Il le met dans son casque et le porte en chemin… La Révolution de 1830 interrompit mes relations avec M. de Chateaubriand. […] Il fut le premier à le sentir et à m’en remercier dans une lettre, la dernière que j’aie reçue de lui et que je ne retrouve pas sous ma main ; mais j’en retrouve une autre un peu antérieure et qui se rapporte au temps où je préparais la notice à mettre en tête des œuvres de Fontanes : « 4 octobre 1838.

2359. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. Laurent (de l’Ardèche) : Réputation de l’histoire de France de l’abbé de Montgaillard  »

Laurent, les meneurs de toutes les factions se sont montrés bien modestes, en se réunissant pour proclamer unanimement la nullité de celui qui, sans autre ressource que l’austérité de ses mœurs et de ses principes, parvint à les dompter tous, et ne succomba ensuite que pour avoir tenté de régulariser l’action révolutionnaire, dans un temps où elle ne pouvait céder encore à la prudence des hommes. » Nous avouerons que cette médiocrité absolue de Robespierre nous avait toujours un peu chagriné, et que nous ne pensions point sans quelque embarras que l’homme monstrueux qui a mis son sceau sur la plus épouvantable période de l’histoire du monde, et l’a, pour ainsi dire, frappée à son effigie, n’eût eu d’autre mérite que celui d’un phraseur vulgaire et d’un passable académicien de province. […] S’il eût vécu au milieu de ces circonstances, et s’il eût compris aussi bien qu’aujoud’hui quel devait être le parti libérateur pour la Révolution, il est présumable que son âme, ouverte inévitablement aux impressions de l’atmosphère de ces temps orageux, se serait mise au niveau de sa tête.

2360. (1874) Premiers lundis. Tome II « Deux préfaces »

Toutes les fois qu’on peut les passer sous silence on le fait ; on les pille sans mot dire ; on ne met pas son amour-propre à les citer à tout propos, à les louer à tort et à travers, comme cela a lieu à l’égard de ceux qui ont passé le niveau. […] Mais, contre ce qu’on croyait prévu, la première édition, non épuisée, du premier volume a continué de se débiter de préférence à la seconde, qui n’a été mise qu’incomplètement en circulation, et que l’auteur signale aux gens du métier, parce que c’est en définitive sur elle que, pour ces débuts critiques, il aimerait à être jugé. »

2361. (1875) Premiers lundis. Tome III « Le roi Jérôme »

le prince ordonne au pilote breton de prendre la barre du gouvernail et de mettre le cap sur Concarneau. […] En 1812, Napoléon songea à tirer parti de son zèle, de son dévouement, et à mettre ses talents de chef à l’épreuve, en lui confiant le commandement de toute l’aile droite de la grande Armée qui allait franchir le Niémen.

2362. (1875) Premiers lundis. Tome III «  La Diana  »

Mais il y a dans ce discours une autre idée toute pratique, et qui mérite qu’on la mette en vue et en saillie ; c’est ce que j’appellerai l’idée de centralisation historique provinciale : réunir dans un seul et même local tout ce qui se rapporte à l’histoire de la province sous forme graphique, c’est-à-dire tout ce qui est écrit ou tout ce qui peut se dessiner ; et pour être plus précis, j’emprunterai les termes de M. de Persigny lui-même : « fonder une sorte de cabinet historiographique où soient réunies toutes les sources d’informations ; par exemple, une bibliothèque de tous les livres ou manuscrits qui peuvent concerner le pays ; une seconde bibliothèque de tous les ouvrages faits par des compatriotes ; un recueil des sceaux et médailles de la province, ou fac-similé de ces objets ; une collection de cartes géographiques et topographiques du pays, de plans, dessins, vues, portraits des grands hommes ; des albums photographiques pour la reproduction des monuments archéologiques ; un cabinet de titres, chartes, actes authentiques, originaux ou copiés, et surtout un catalogue suffisamment détaillé de tous les documents qui peuvent intéresser la province, dans les collections publiques ou particulières, dans les archives, bibliothèques, musées et cabinets de Paris, des départements et de l’étranger. » Voilà l’idée dans son originalité, et elle peut trouver son application ailleurs. […] Le ministre de l’instruction publique a, par une fondation heureuse, réuni depuis quelques années, les travaux des diverses Sociétés provinciales et les a fait en quelque sorte comparaître à son ministère pour être, après examen en commission et rapport, analysés ou mentionnés dans la Revue des Sociétés savantes : une solennité annuelle rassemble à Paris sous sa présidence et met en contact, dans une sorte de congrès, les membres de ces Sociétés qui correspondent utilement avec son ministère.

2363. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre VI. De l’envie et de la vengeance. »

La gloire, la vertu, le génie viennent se briser contre cette force destructive ; elle met une borne aux efforts, aux élans de la nature humaine, son influence est souveraine ; car qui blâme, qui déjoue, qui s’oppose, qui renverse, qui se saisit enfin de la force destructive, finit toujours par triompher. […] S’il est une passion destructive du bonheur et de l’existence des pays libres, c’est la vengeance ; l’enthousiasme qu’inspire la liberté, l’ambition qu’elle excite, met les hommes dans un plus grand mouvement, fait naître plus d’occasions d’être opposés les uns aux autres.

2364. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre XI. De l’ignorance de la langue. — Nécessité d’étendre le vocabulaire dont on dispose. — Constructions insolites et néologismes »

De là la monotonie et la sécheresse du style, lorsqu’on veut mettre ses idées par écrit ; de là, lorsqu’on veut faire un effort de pensée, de sentiment, d’expression, l’emploi de tours incorrects, de mots barbares ; de là la création de tours et de mots nouveaux, que l’usage n’autorise pas. […] Quant au vocabulaire, il faut distinguer entre les sens et les mots nouveaux que la mode met en vogue, qui tiennent à ce qu’il y a de plus fugitif, de plus léger dans les mœurs et les idées d’une époque, et les acquisitions définitives du langage, qui répondent aux mouvements décisifs de l’esprit, et aux transformations réelles de la société.

2365. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — P. — article » pp. 439-450

Par ce moyen, nous mettrons le Lecteur à portée de juger des motifs qui ont pu déterminer M. […] Quoique le nôtre fût commencé long-temps avant que le sien parût, nous nous fussions dispensés volontiers de le mettre au jour.

2366. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre VI, première guerre médique »

Les Perses s’enfuirent en déroute vers leurs vaisseaux rangés sur la plage, poursuivis par les Athéniens qui essayèrent d’y mettre le feu. […] La pleine lune étant enfin venue, la lourde armée de Lacédémone s’ébranla et se mit en marche.

2367. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préfaces des « Orientales » (1829) — Préface de l’édition originale »

Mettons-nous à son point de vue, et voyons. […] Il faut se rappeler que c’est elle qui a produit le seul colosse que ce siècle puisse mettre en regard de Bonaparte, si toutefois Bonaparte peut avoir un pendant ; cet homme de génie, turc et tartare à la vérité, cet Ali-pacha, qui est à Napoléon ce que le tigre est au lion, le vautour à l’aigle.

2368. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — L’Empereur Néron, et les trois plus grands poëtes de son siècle, Lucain, Perse & Juvénal. » pp. 69-78

Le philosophe Cornutus, précepteur du poëte, sentit le danger, & lui fit mettre quis non habet ? […] Vous mettrez-vous encore au rang de leurs cliens !

2369. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Voiture, et Benserade. » pp. 197-207

Des antithèses, des pointes, quelques pensées brillantes, des applications & des allusions plus forcées qu’heureuses, un ton continuel de fadeur & de galanterie, le stile le plus enjoué, le plus fleuri, le plus ingénieux, mais le moins naturel ; un stile propre à mettre en réputation un auteur de son vivant, & qui bientôt après le fait oublier. […] Benserade, excité par un nouveau desir de gloire, voulut mettre en rondeaux les métamorphoses d’Ovide ; mais son entreprise fut malheureuse.

2370. (1898) Manuel de l’histoire de la littérature française « Avertissement » pp. -

Avertissement En écrivant ce Manuel de l’Histoire de la Littérature française, qui est en même temps, je n’ose dire la promesse, mais du moins le « programme », d’une Histoire plus ample et plus détaillée, je me suis appliqué particulièrement à quelques points, que l’on verra bien, je l’espère, mais que l’on pourrait aussi ne pas voir, — si je n’avais pas su les mettre en évidence, — et que, pour ce motif, le lecteur m’excusera de lui signaler dans ce court Avertissement. […] Et je me suis mis… à plusieurs, pour ne pas réussir à savoir d’où vient l’adage : Quos vult perdere Jupiter dementat.

2371. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 29, si les poëtes tragiques sont obligez de se conformer à ce que la geographie, l’histoire et la chronologie nous apprennent positivement » pp. 243-254

Il n’est pas possible qu’elle ait été un personnage de l’action qu’il met sur le théatre. […] Poetus se mit en possession de la Commagene, qui fut deslors reduite pour toujours en province de l’empire.

2372. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Le voltairianisme contemporain »

Lui, qu’il serait infâme de mettre aux mains de l’enfance, que toute femme laissera tomber des siennes, et dont le vieillard à cheveux blancs rougira d’avoir eu le goût… autrefois, n’en a pas moins mis sur l’esprit du temps qui a suivi le sien une empreinte qu’une moitié de siècle, avec deux Bonaparte et un Joseph de Maistre, n’a pas pu encore effacer !

2373. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Paria Korigan » pp. 341-349

En tant que si la femme qui a inventé… ou raconté ces histoires charmantes n’y mettait pas son nom, son véritable nom, elle pouvait oublier d’en mettre un.

2374. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Préface » pp. -

Il a supprimé le roman abstrait, l’homme abstrait dont nous nous sommes payés si longtemps, et il a mis à sa place le roman concret et l’homme tout entier ! […] Le nombre est tout, — dit la lâcheté moderne, qui a mis sur le nombre la vérité.

2375. (1900) Taine et Renan. Pages perdues recueillies et commentées par Victor Giraud « Taine — IV »

Mais, d’autre part, il quitte le milieu intellectuel qu’il s’est choisi, auquel il s’est adapté, où la liberté d’esprit est absolue (du moins il le croit), où les préoccupations sont purement abstraites (du moins s’il en est de matérielles, comme il en ressent l’importance, il les excuse), et cette atmosphère, inférieure selon lui, où il se plonge, est encore faite plus médiocre par cette besogne monotone d’examiner des jeunes gens, et par la nécessité de se mettre en relations avec des fonctionnaires de toute sorte.‌ […] Mais ce point acquis, je m’étonne un peu de la persistance que met Taine à vouloir trouver en province un gentleman anglais…‌ Oui !

2376. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXII. Des éloges des hommes illustres du dix-septième siècle, par Charles Perrault. »

Il n’est pas inutile de remarquer que lorsque ces éloges parurent, quelques hommes trouvèrent mauvais qu’on eût déshonoré des cardinaux et des princes, jusqu’à les mettre à côté de simples artistes. […] Les noms d’Apelle et de Phidias étaient peut-être aussi chers à la Grèce que celui de Thémistocle ; et de tous les généraux de l’Italie moderne, quel est celui dont le nom est mis à côté de Raphaël ?

2377. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Charles Nodier »

Vers 1786, en tête d’un Choix de petits romans imités de l’allemand, il avait mis pour son compte une préface où il pousse le cri famélique et orgueilleux des génies méconnus. […] Accusé d’avoir pris part à l’évasion de Bourmont, il s’évada lui-même de la ville, et n’y revint qu’après qu’un jugement rendu l’eut mis à l’abri. […] Il y inséra, sur la langue et la littérature du pays, de nombreux articles dont on peut prendre idée par ceux qu’il mit plus tard dans le Journal des Débats 183. […] Pour mettre un peu d’ordre à notre sujet et éviter (ce qui en est l’écueil) la dispersion des points de vue, nous ne tenterons ni l’analyse des principaux ouvrages en particulier, ni encore moins le dénombrement, impossible peut-être à l’auteur lui-même, de tous les écrits qui lui sont échappés. […] Au moment où cette réimpression (1844) s’achève, la mort, qui se hâte, nous permet d’y faire entrer ces pages, qui ne sont plus consacrées à un vivant : inter Divos habitus. — (Seulement, pour éviter la disproportion entre les volumes, on a mis à la fin du tome premier ce que l’ordre naturel eût fait placer à la fin du second.)

2378. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre II. L’antinomie psychologique l’antinomie dans la vie intellectuelle » pp. 5-69

Chez beaucoup, il est vrai, la faculté intuitive reste silencieuse, étouffée qu’elle est par les notions toutes faites mises en nous presque à notre insu par la société. […] En tant qu’elle dépend de la sensibilité (et n’en dépend-elle pas toujours plus ou moins), elle exprime notre moi individuel ; elle nous éclaire sur les différences ou les oppositions qui nous séparent des autres esprits ; elle peut se mettre au service de fins égoïstes ; elle peut édifier une théorie d’égotisme intellectuel. […] Aux théories qui prétendent mettre l’intelligence au service de la sociabilité s’oppose l’individualisme intellectuel. […] C’est, comme nous l’avons dit, un individualisme à bon marché qui met l’originalité sous le nom d’unicité à la portée de tous les hommes sans exception et qui leur octroie généreusement, qu’ils le souhaitent ou non, ce minimum de génialité. […] Nous y trouvons le passage suivant : « Comment ces écrivains peuvent-ils mettre à si haut prix les vérités qu’ils proclament, que de n’avoir égard, en les répandant, ni au scandale qu’elles soulèvent, ni à ce qu’elles ébranlent d’autres vérités peut-être, ni aux conséquences qui en sortiront !

2379. (1890) L’avenir de la science « III » pp. 129-135

La science vraiment élevée n’a commencé que le jour où la raison s’est prise au sérieux et s’est dit à elle-même : « Tout me fait défaut ; de moi seule viendra mon salut. » C’est alors qu’on se met résolument à l’œuvre ; c’est alors que tout reprend son prix en vue du résultat final. […] Mettez l’esprit au niveau de la science, nourrissez-le dans la méthode rationnelle, et, sans lutte, sans argumentation, tomberont ces superstitions surannées. […] L’orthodoxie met, si j’ose le dire, toute sa provision vitale dans un tube dur et résistant, qui est un fait extérieur et palpable, la révélation, sorte de carapace qui la protège, mais la rend lourde et sans grâce. […] Comme sa prétention est d’être faite du premier coup et tout d’une pièce, elle se met par là en dehors du progrès ; elle devient raide, cassante, inflexible, et, tandis que la philosophie est toujours contemporaine à l’humanité, la théologie à un certain jour devient arriérée. […] Cela n’est pas étonnant, puisque chaque peuple ne fait que mettre en scène dans ses miracles les agents surnaturels du gouvernement de l’univers, tels qu’il les entend ; or, ces agents, chaque race les façonne sur son propre modèle.

2380. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 juin 1885. »

Et je vous prie de le remarquer : lorsque les musiciens nouveaux, se manifestant dans le drame lyrique, voudront se mettre en communication plus directe avec l’âme de tous, cette absence de rationalité leur sera encore plus fatale. […] Et c’est maintenant, comme si, (dans l’Allégro moderato qui suit), le Maître, conscient de son art, s’était mis, de suite, à son travail d’enchantement. […] Tantôt c’est un motif écossais, tantôt russe, tantôt vieux français ; en ces mélodies naïves des paysans, il reconnaissait la noblesse endormie de l’Innocence, et humblement, il mettait à leurs pieds tout son art. […] Wilder, le traducteur des Maîtres Chanteurs, qui a mis en vers le poëme de la Valkyrie. […] Wyzewa s’en fait l’écho sans aucune lecture critique ou mise en perspective.

2381. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Chateaubriand — Chateaubriand, Mémoires »

pourquoi ne pas mettre en circulation jour par jour, pour ainsi dire, ce qui a instruit ou ému, ce qui a appris quelque chose sur l’état de la société ou sur la nature particulière d’un génie ? […] Son silence redouté, sa tristesse profonde et morne, ses brusques emportements, et le rond de sa prunelle qui se détache comme une balle enflammée dans la colère, puis sa mise imposante et bizarre, la grandeur de ses manières, sa politesse seigneuriale avec ses hôtes quand il les reçoit tête nue, par la bise ou par la pluie, du haut de son perron, comme tout cela est marqué ! […] En attendant, on le mit en nourrice au village de Plancoët ; il s’attacha fort à sa bonne nourrice, la Villeneuve, qui seule le préférait ; il s’attacha d’une amitié bien délicate, en grandissant, à la quatrième de ses sœurs, négligée comme lui, rêveuse et souffrante, et qu’il nous peint d’abord l’air malheureux, maigre, trop grande pour son âge, attitude timide, robe disproportionnée, avec un collier de fer garni de velours brun au cou, et une toque d’étoffe noire sur la tête. […] Mis au collége à Dol, où il apprend Bezout, où il sait par cœur toutes ses tables de logarithmes depuis 1 jusqu’à 10,000, où il fait des vers latins si coulamment que l’abbé Egault, son préfet, le surnomme l’Élégiaque, le chevalier revient passer ses vacances non plus à Saint-Malo, mais à Combourg. […] Il est admirable surtout, quand, remontant le torrent qui se jette dans le port, jusqu’à un certain coude, et ne voyant plus rien qu’une vallée étroite et stérile, il tombe en rêverie ; et si le vent lui apporte alors le bruit du canon d’un vaisseau qui met à la voile, il tressaille et pleure.

2382. (1867) Cours familier de littérature. XXIV « CXLIVe entretien. Mélanges »

Il faut dire d’abord, pour expliquer l’empressement que tant de personnages, si au-dessus de moi par l’âge, le rang, la naissance, l’illustration, mettaient à me connaître, que, grâce au comte de Virieu, mon camarade des gardes du corps, et à quelques pièces de vers rapportées de Milly et récitées par mes amis dans les sociétés de Paris, je jouissais déjà d’une sorte de renommée à demi-voix dans le monde. […] Cette fleur de renommée dont on ne voit pas l’éclat, mais dont on devine le parfum comme un mystère, semble être la possession secrète de tous ceux qui la respirent ; on se passionne pour elle comme pour un trésor secret qui mettra bientôt dans l’ombre tous les talents alors en lumière. […] Alors il se levait tout à coup et se mettait à marcher en zigzag dans son appartement avec une volubilité passionnée, mais monotone, qui interdisait la possibilité et même l’idée de le contredire. […] Mais les corps collectifs sont toujours poussés à prendre dans leurs antécédents les règles de leur avenir, M. de Lamennais fut nommé membre de la commission de Constitution: il se mit à l’ouvrage et chercha par la logique brutale du nombre à fonder sa société comme une troupe de sauvages sortis des bois ; il fonda les communes, puis il réunit toutes ces communes, et de leur réunion il fonda l’État, en sorte que l’État social matérialiste et se comptant par chiffre, et non par capacité ni par droits héréditaires et acquis, était l’expression seule du nombre et de l’impôt, abstraction faite de tout le reste, c’est-à-dire de la société tout entière. […] Elle ne vint point quand j’entrai me flairer et me caresser gaiement, comme d’ordinaire, mais en regardant pleurer sa maîtresse à côté du berceau vide de son enfant, elle posa la tête sur les genoux de la pauvre mère, et en contemplant le berceau, elle se mit elle-même à verser de grosses larmes qui mouillèrent mes mains étonnées.

2383. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre I. La littérature pendant la Révolution et l’Empire — Chapitre IV. Chateaubriand »

Presque jusqu’à son entrée dans la vie politique, il n’est pas mis dans la nécessité d’étudier son semblable, de le pénétrer, d’y saisir les mobiles, les ressorts, les modes d’action : et alors il sera trop tard pour faire le métier de psychologue. […] Il n’avait pas l’étoffe d’un ambitieux : il ne savait pas mettre l’orgueil bas. […] Tirer la conclusion définitive de la querelle des anciens et des modernes, montrer qu’à l’art moderne il faut une inspiration moderne (Chateaubriand disait chrétienne), ne pas mépriser l’antiquité, mais, en dehors d’elle, reconnaître les beautés des littératures italienne, anglaise, allemande, écarter les anciennes règles qui ne sont plus que mécanisme et chicane, et juger des œuvres par la vérité de l’expression et l’intensité de l’impression, mettre le christianisme à sa place comme une riche source de poésie et de pittoresque, et détruire le préjugé classique que Boileau a consacré avec le christianisme, rétablir le moyen âge. l’art gothique, l’histoire de France, classer la Bible parmi les chefs-d’œuvre littéraires de l’humanité, rejeter la mythologie comme rapetissant la nature, et découvrir une nature plus grande, plus pathétique, plus belle, dans cette immensité débarrassée des petites personnes divines qui y allaient, venaient, et tracassaient, faire de la représentation de cette nature un des principaux objets de l’art, et l’autre de l’expression des plus intimes émotions de l’âme, ramener partout le travail littéraire à la création artistique, et lui assigner toujours pour fin la manifestation ou l’invention du beau, ouvrir en passant toutes les sources du lyrisme comme du naturalisme, et mettre d’un coup la littérature dans la voie dont elle n’atteindra pas le bout en un siècle : voilà, pêle-mêle et sommairement, quelques-unes des divinations supérieures qui placent ce livre à côté de l’étude de Mme de Staël sur l’Allemagne. C’était en deux mots la poésie et l’art que Chateaubriand ramenait à la place de la rhétorique et de l’idéologie : c’était le sentiment de la nature et l’inquiétude de la destinée qu’il offrait comme thèmes d’inspiration, pour remplacer la description des mœurs de salon et la mise en vers de toutes les notions techniques.

2384. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre cinquième »

Enfin Malherbe vint, et, le premier en France, Fit sentir dans les vers une juste cadence, D’un mot mis en sa place enseigna le pouvoir, Et réduisit la muse aux règles du devoir. […] Le résultat de cette théorie avait été de mettre toute la poésie dans l’érudition et de faire de l’art d’écrire en vers un mécanisme. […] II fallait créer la critique de détail, et en quelque sorte inventer le goût, qui n’est que le jugement appliqué aux détails des ouvrages de l’esprit ; enseigner, comme dit Boileau, le pouvoir des mots mis en leur place ; déterminer la valeur de chacun, en laissant à l’esprit français toute liberté pour combiner sans fin des notes qui devaient rendre toujours le même son. […] Que prétend Malherbe en défendant les rimes du simple et du composé, temps, printemps jour, séjour, ou des mots qui ont quelque convenance, montagne, campagne, ou des dérivés, mettre, permettre, sinon empêcher la poésie de devenir un exercice de mémoire et un vain jeu de mots ? […] Témoin la naissante Académie française, qui mit trois mois à examiner la Prière pour le roi Henri II allant en Limousin ; encore ne toucha-t-elle point aux quatre dernières strophes.

2385. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « II »

Dans une mise en scène convenable, je signale de lamentables exagérations ; ainsi, au premier acte, l’apparition, sous le clair de lune d’un jardin anglais éclairé à giorno ; nous ne réclamons pas des merveilles de scénerie, et sommes plein d’indulgence pour le pont de chemin de fer du second acte ; mais, au troisième, l’incendie final est d’une exubérance inouïe ; comme nous l’avions prévu, c’est un luxe de flammes, de fumées, de feux de bengale, et un tapage de machineries, une féerie laide et bruyante qui détourne de la musique l’attention des neuf dixièmes du public, et qui empêche l’autre dixième de rien entendre distinctement à la symphonie. […] Cette création de Brünnhilde la met nettement et définitivement en lumière. […] Jullien, que c’est de l’art allemand que Wagner a voulu parler, Wagner aurait mis la race allemande au-dessus de toutes les autres races humaines, car il l’a dotée d’un art qui perfectionne ceux qui l’étudient et se l’assimilent, et qui donne aux sens de l’homme susceptible de le percevoir, une supériorité artistique incomparable. […] Wagner supprime, annihile le public, non seulement vis-à-vis de l’œuvre, mais surtout vis-à-vis du public lui-même ; il le met à portée de son œuvre, l’absorbe et le domine au point de lui imposer des synthèses psychologiques moins accessibles que les vérités communes qui effraient tant chez nous. […] Lorsque Paris et Bruxelles mettent en scène la Tétralogie en 1911 et 1903, elle chante les trois Brunhilde.

2386. (1863) Le réalisme épique dans le roman pp. 840-860

Rien ne me met plus de mauvaise humeur qu’une telle négligence. […] Vous avez lu au quatrième livre d’Hérodote la description des peuples de la Libye ; la reconnaissez-vous lorsque l’auteur de Salammbô met en scène « les Voraces qui emportent de la neige dans des sacs de toile », ou bien « les hideux Auséens qui mangent des sauterelles, les Achyrmachides qui mangent des poux, et les Gysantes, peints de vermillon, qui mangent des singes » ? […] Déjà pourtant les rebelles ont mis le siège devant Carthage. […] Les prétendus acteurs que l’écrivain met en scène ne sont pas de chair et de sang, ce sont de misérables marionnettes qui vont et viennent à sa fantaisie et auxquelles il fait exécuter toute sorte de grimaces et de contorsions. […] Philippe de Macédoine se disposait à attaquer les Corinthiens ; aussitôt, dans la ville, chacun se mit à l’œuvre pour la défense commune.

2387. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1856 » pp. 121-159

Je suis sûr qu’on permettrait à Béranger de mettre Justine en couplets. […] Tout amoureux qu’il est de l’exhumation d’infimes personnalités, de petites médiocrités d’art provinciales, et qui condamnent cet esprit distingué et original à des travaux au-dessous de lui, Chennevières caresse toujours, à l’horizon de sa pensée, quelque petit conte normand ou vendéen : un entre autres, qui serait l’histoire d’un jeune homme prenant le fusil dans la levée d’armes en 1832, et jugé et mis au Mont Saint-Michel, et là, développant la politique qu’aurait pu faire prévaloir le parti légitimiste d’alors, la politique de la décentralisation, qui était la politique de la duchesse de Berry. […] À la fin il n’en lisait plus que la moitié, mais ça suffisait pour le mettre en gaieté. « Oui, oui, reprend-il, il faudra que je brûle ces rames de lettres de bourgeoises… Celle-là, qui était cependant de la première catégorie des bourgeoises, me donne un jour un rendez-vous pour dans cinq mois et huit jours. […] Cette Histoire de la société française pendant le Directoire, où nous avons mis tous les moxas, vendue à 500… Après la douce existence de Gisors, une vie de tracas, de courses vaines et déçues, de pensées de découragement. […] Et ce diable d’homme vous met dans le cerveau tant d’images de kaléidoscope et de lanterne magique, et un tel bruit de paroles, et un tel brouillamini de faits prédits, qu’il semble, avec la sonorité de sa voix et la fixité de ses yeux, vous verser de la confusion dans la cervelle et de l’étourdissement dans l’attention.

2388. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre septième. L’introduction des idées philosophiques et sociales dans la poésie. »

Hugo attaque les partisans de l’art pour de l’art, parce qu’ils refusent de mettre le beau dans la plus haute vérité, qui est en même temps la plus haute utilité sociale. […] Il n’y a pas grande originalité dans la philosophie encore trop oratoire de Lamartine : le christianisme et le platonisme en ont fourni l’ensemble et les détails ; mais vouloir que toute idée philosophique mise en vers par le poète lui appartienne toujours en propre serait véritablement trop demander. […] On reconnaît la Profession de foi du vicaire savoyard mise en beaux vers, avec un accent qui rappelle les idées de Swedenborg sur le ciel intérieur à la conscience même, sur l’enfer également intérieur. […] De Vigny y met sa dignité et y voit le fond de l’honneur même. […] On pourra objecter que nul ne se soucie d’une suite de raisonnements mis en vers ; sans doute ; n’oublions pas pourtant que les grandes idées font la grande poésie, et que, pour Musset même, sa réelle valeur n’est pas dans le badinage, si élégant et charmant qu’il soit, mais dans l’expression sincère, poignante parfois, de la souffrance morale et de l’angoisse du doute.

2389. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « I — L’avenir du naturalisme »

A part les progrès considérables qu’elle a fait accomplir au langage et la mise en honneur par elle de penseurs et d’artistes réels, l’apport de ce groupe éphémère est plus que médiocre.‌ […] « Zola passe encore maintenant pour être chaste et pour être sobre — bien que l’on nous ait dit que sa face morose de mélancolie s’éclaire comme celle d’un gourmet au moment de se mettre à table — mais cette ancienne avidité à se repaître des spectacles aussi bien que des sons, et l’on peut ajouter même des odeurs du monde extérieur, s’est à la fin façonné en une méthode de routine. […] On rêve alors toutes sortes de choses folles, on écrit des œuvres où les ruisseaux se mettent à chanter, ou les chênes causent entre eux, où les roches blanches soupirent comme des poitrines de femmes à la chaleur de midi. […] S’il y a une excuse possible à de tels écarts, c’est que nous avons rêvé d’élargir l’humanité et que nous l’avons mise jusque dans les pierres des chemins. » Je n’ai jamais pu croire que la griserie du grand air eût diminué un écrivain, ni que donner une voix aux choses de la nature fût une petitesse pour un romancier : je crois même que cette communion avec la vie universelle est la condition des grandes œuvres. […] Après lui, la « Terre » et la « Joie de vivre » restent encore à décrire, car nous mettons désormais sous ces mots une plus riche compréhension.

2390. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre II. L’âme et le corps »

La zone rolandique, où l’on a localisé le mouvement volontaire, est comparable en effet au poste d’aiguillage d’où l’employé lance sur telle ou telle voie le train qui arrive ; ou encore c’est un commutateur, par lequel une excitation extérieure donnée peut être mise en communication avec un dispositif moteur pris à volonté ; mais à côté des organes du mouvement et de l’organe du choix, il y a autre chose, il y a le choix lui-même. […] Mais, de même qu’il suffit d’un très faible relâchement de l’amarre pour que le bateau se mette à danser sur la vague, ainsi une modification même légère de la substance cérébrale tout entière pourra faire que l’esprit, perdant contact avec l’ensemble des choses matérielles auxquelles il est ordinairement appuyé, sente la réalité se dérober sous lui, titube, et soit pris de vertige. […] D’autre part, si le raisonnement pur suffit à nous montrer que cette théorie est à rejeter, il ne nous dit pas, il ne peut pas nous dire ce qu’il faut mettre à la place. […] L’aphasique devient incapable de retrouver le mot quand il en a besoin ; il semble tourner tout autour, n’avoir pas la force voulue pour mettre le doigt au point précis qu’il faudrait toucher ; dans le domaine psychologique, en effet, le signe extérieur de la force est toujours la précision. […] Si vraiment la philosophie n’avait rien à répondre à ces questions d’un intérêt vital, ou si elle était incapable de les élucider progressivement comme on élucide un problème de biologie ou d’histoire, si elle ne pouvait pas les faire bénéficier d’une expérience de plus en plus approfondie, d’une vision de plus en plus aiguë de la réalité, si elle devait se borner à mettre indéfiniment aux prises ceux qui affirment et ceux qui nient l’immortalité pour des raisons tirées de l’essence hypothétique de l’âme ou du corps, ce serait presque le cas de dire, en détournant de son sens le mot de Pascal, que toute la philosophie ne vaut pas une heure de peine.

2391. (1879) L’esthétique naturaliste. Article de la Revue des deux mondes pp. 415-432

Zola nous rendrait bien grand service à tous en voulant bien mettre une fois les points sur les i pour les pauvres d’esprit qui en ont besoin. […] Quoi que l’on assure, l’artiste ne sera jamais un instrument passif, semblable à l’appareil du photographe qui, mis une fois en face du monde, en reproduit l’image servile : il a beau vouloir abdiquer son individualité, son intelligence, cette intelligence et cette individualité persistent malgré ses efforts ; aucune impression ne pénètre dans un cerveau humain qui n’y soit aussitôt déviée et transformée par ce cerveau même, et le plus tyrannique de tous les systèmes est peut-être de se persuader qu’on n’obéit à aucun système. […] Ce fils est mis au lycée ; il est bon élève, appliqué, content de son maître d’étude, qui est content de lui. […] Il n’est point exact, ainsi qu’il le prétend, qu’il ait le premier essayé de se mettre en face de l’humanité réelle et vivante ; mais ce qui est exact, et il convient de lui accorder cette originalité, c’est qu’il a sa psychologie et son observation particulières, qu’il voit la vie contemporaine et s’efforce de la représenter à sa manière, avec un parti pris, brutal si l’on veut, mais décidé. […] Pour que rien ne manque au spectacle, l’argot dans ce qu’il a de plus sot, de plus abject même, est mis de la partie.

2392. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Chapitre IV. Conclusions » pp. 183-231

La raison universelle reporte sur la terre le but de la vie qu’on avait mis dans l’au-delà ; l’humanité retrouve en elle-même sa raison d’être ; c’est une renaissance, une nouvelle délivrance ; ici encore, le principe universel et absolu ne peut se réaliser que dans la relativité des groupes de contiguïté ; en politique, c’est la royauté absolue, qui donne à la nation française sa forme solide et précise. — Ce travail étant fait, l’autorité passe du monarque au peuple ; autre étape vers la liberté ; la démocratie est à la fois un achèvement de la nationalité, par un acte de volonté et par la participation de chaque citoyen, et déjà une préparation à une unité plus grande, par la solidarité sociale, conséquence directe de la démocratie. […] Dans une pareille étude, malheur à celui qui, dénué d’esprit philosophique et de goût esthétique, se laissera tromper par la ressemblance extérieure des formes, qui confondra la valeur relative avec la valeur absolue, la tradition avec la création, ou qui, dédaigneux des faits de la réalité, voudra mettre l’histoire au service de ses sympathies personnelles ! […] Pour cela, il faut d’abord remonter très haut, plus haut que les époques qui nous touchent de trop près ; il faut étudier aussi des pays divers, s’expliquer les ressemblances et les différences des évolutions ; mettre à part les modes, les copies, les œuvres dépourvues de sincérité tout aussi bien que les cas exceptionnels ? […] Sans doute, ces conflits existent : ils sont même un enrichissement illimité de la vie ; ils mettent la variété infinie des nuances là où la pure logique ne mettrait qu’une teinte uniforme

2393. (1803) Littérature et critique pp. 133-288

On réfutera, en lui répondant, quelques autres écrivains du même parti, qui ont mis plus de méthode dans leurs raisonnements, mais qui n’ont guère mieux prouvé ce qu’ils voulaient établir. […] Leurs disputes avaient en conséquence ce caractère et ces mouvements passionnés que mettent toujours dans leurs débats les membres d’une famille divisée. […] Mettez la main sur ma cuisse, dit le vieil Isaac à son serviteur, et jurez d’aller en Mésopotamie. […] « La Bible, dans tous ses genres, n’a ordinairement qu’un seul trait ; mais le trait est frappant et met l’objet sous les yeux. […] « Virgile a mis la même vérité dans ses peintures.

2394. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 avril 1885. »

« Je me mis à chercher ce qui caractérise cette dissolution si regrettée du grand art grec, et cet examen me tint plus longtemps. […] Donner sur une scène française — ou, tout au moins, sur une scène de langue française — une des œuvres les plus hardies et les plus originales du hardi novateur ; la monter avec un soin jaloux des moindres détails de la mise en scène et de l’interprétation vivante ; commencer à mettre les chanteurs français, enclins à parader dans le style italien, aux prises avec la musique d’action ; obliger les chœurs à prendre part à la comédie, à y jouer franchement un rôle : ce n’est pas seulement plaire aux connaisseurs désintéressés, c’est aussi hâter l’avènement d’un art de sincérité, de liberté, d’émotion et de logique. […] Il se demande ce qu’on mettra à la place du puissant sentiment de la nationalité, du patriotisme. […] Les « violets expirés » et les « roses agonisants » surprirent moins que ne scandalisa la transformation de Vénus en « Sodomita Libido », figure allégorique de la luxure, extraite de la Psychomachie de Prudence qui met en scène plusieurs duels de vices et de vertus. […] On voit se mettre en place un certain découpage de la vie de Wagner, des tournants supposés dans son œuvre comme celui de l’année 1857, avec la découverte de Schopenhauer.

2395. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIVe entretien. Épopée. Homère. — L’Odyssée » pp. 445-524

Pour qui sait voir et sentir, la nature a mis la poésie partout, comme le feu caché dans les éléments ; il ne s’agit que de frapper le caillou pour que la flamme jaillisse ; il ne s’agit que de toucher juste le cœur pour que la poésie en découle à grandes ondes comme le sentiment. […] La femme chargée des provisions dans le palais y dépose des pains et des mets nombreux ; un autre serviteur apporte des plats lourds de diverses espèces de viandes. […] Disposez la farine dans les outres soigneusement cousues ; mettez-y en tout vingt mesures de cette farine pulvérisée par la meule. […] Sa mère dépose dans une corbeille des mets savoureux de toute espèce et verse le vin dans une outre de peau de chèvre. […] Ils se mettent en route ; les bergers et les chiens restent seuls pour la garde des bergeries.

2396. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre VII : Instinct »

Enfin, je les laissai approcher par une Fourmi qui, d’après l’activité avec laquelle elle se mit à aller et venir, me parut parfaitement au fait de la riche trouvaille qui lui incombait. […] Elles nous mettent de plus à même d’évaluer la part respective que l’habitude et la sélection peuvent prendre dans les modifications des facultés mentales de ces animaux. […] Elle se mit aussitôt à l’œuvre, donna la pâture aux survivants et les sauva, construisit quelques cellules, donna ses soins aux jeunes larves, enfin remit toutes choses en bon ordre. […] Mais, aussitôt que les Abeilles s’en aperçurent, elles cessèrent de creuser, et se mirent en devoir d’élever des cloisons de cire parfaitement planes sur chaque ligne de mutuelle intersection entre deux bassins contigus. […] Nous avons vu, dans le chapitre précédent, que la Grande Mésange (Parus major) retient souvent la graine de l’If entre ses pieds sur une branche et la frappe de son bec à coups redoublés jusqu’à ce qu’elle ait mis l’amande à nu.

2397. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Appendices » pp. 235-309

Je ne cite que trois passages ; dans le dernier, D’Annunzio a mis au futur le passé du texte d’Ézéchiel. […] Pour atteindre au chef-d’œuvre, Flaubert s’y reprend à trois fois et met plusieurs années à écrire Madame Bovary ; ce fut toujours la méthode des grands artistes. […] Par un effort magnifique, Corneille y galvanise l’histoire ancienne, en la francisant ; et Racine y met toute la psychologie de son époque. […] En outre, puisqu’il se passe tant de choses entre un acte et l’autre, il faut mettre le spectateur au courant, et c’est dans chaque acte une petite exposition qui suspend l’action. […] Les journées sont toujours consécutives ; Ibsen semble mettre un soin particulier à le faire savoir.

2398. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. Daru. Histoire de la république de Venise. — I. » pp. 413-433

Daru (et avec lui les projets étaient bientôt mis à exécution), il y avait une tragédie de Néron : « Je n’ai rien à dire contre votre plan, lui écrivait le père Lefebvre, mais vous referez, je l’imagine, le récit de la mort d’Agrippine que vous avez volé à Suétone ; c’était Tacite qu’il fallait piller : un voleur honnête ne s’adresse qu’aux riches. » On voit que le goût du père Lefebvre, comme celui des Oratoriens en général, était quelque peu orné et fleuri ; c’était un compromis avec le goût du siècle92. […] Sur la nouvelle de l’assassinat des plénipotentiaires français à Rastadt, Daru composa d’indignation une espèce d’hymne ou de chant de guerre dans le genre de ceux de Marie-Joseph Chénier, et il l’adressa au ministre de l’Intérieur François de Neufchâteau, qui désira le faire mettre en musique et l’envoya, à cet effet, au Conservatoire. […] Rien d’abord ne paraît plus simple ; on se met en campagne ; on trouve bien des chemises de gens qui l’offrent d’eux-mêmes, et qui se piquent de parfait bonheur : aucune n’opère. […] Lorsque Horace nous montre le sage qui sait vivre de peu et qui est content si la salière de ses pères brille sur sa petite table (« cui paternum splendet in mensa tenui salinum »), Daru ne nous nomme pas cette salière, il ne la fait pas luire de sa propreté nette et brillante, il se contente de parler en général de table frugale et de simple mets.

2399. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « William Cowper, ou de la poésie domestique (I, II et III) — III » pp. 178-197

… Ce chant, pour justifier son titre, traite des fleurs, des travaux du jardinage : « Qui aime un jardin aime aussi une serre. » Il y a des préceptes tout particuliers sur l’art d’élever les courges ; le poète y parle d’après sa propre expérience, et comme quelqu’un qui a mis la main à la bêche et à la terre. […] … » Mais il y met son originalité et y ajoute sa flamme, un sentiment moral et religieux qui ne l’abandonne jamais, un éclair de saint Paul et des apôtres, avec l’appréciation toutefois d’un confort et d’un bien-être que les apôtres ne connurent jamais. […] Si vaste et rapide est le coup d’œil de l’esprit, qu’en peu de moments je me retrace (comme sur une carte le voyageur, les pays parcourus) tous les détours de mon chemin à travers maintes années… Il poursuit de la sorte, et, par une association insensible, il arrive à se retracer quelques circonstances émouvantes de son passé ; une allusion directe nous ramène à la perte de son père, dont il se reproche de n’avoir pas assez apprécié l’amitié sous sa forme un peu sévère : « Un ami est parti, peut-être le meilleur ami de son fils, un père dont l’autorité, même quand elle se montrait en apparence le plus sévère et qu’elle rassemblait toute sa force, n’était que la contenance plus grave de la tendresse… » Puis tout d’un coup, et sans autre transition, il se met à tracer cet exquis et mémorable tableau qui a donné son titre au sixième livre, La Promenade d’hiver à midi. […] On trouverait encore de profondes différences morales entre Rousseau et Cowper, en ce que l’un aspire à se passer d’autrui, affecte de s’isoler et de se mettre en guerre ou en divorce avec le genre humain, et que l’autre, au contraire, aime à devoir aux autres, à ceux qu’il aime, et à se sentir leur obligé.

2400. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Œuvres de Frédéric-le-Grand Correspondance avec le prince Henri — II » pp. 375-394

Aussitôt qu’il est quitte d’une guerre si rude, il se réinstalle à Rheinsberg et s’y met à vivre de cette vie qui, sauf de courts intervalles, sera désormais la sienne, vie de luxe, de beaux-arts, de plaisirs raffinés, de conversation libre où les artistes étaient admis sur un pied de familiarité décente. […] Il finit cette même lettre où il a causé métaphysique, en annonçant à son frère la mort de Mme de Pompadour, ou, pour parler comme lui, de la Pompadour, car Frédéric n’y met pas tant de façons. […] Il ne se contentait pas d’appliquer envers la grande souveraine, femme pourtant par bien des côtés, le précepte de conduite que lui donnait crûment son frère : « Les Indiens disent qu’il faut adorer le diable pour l’empêcher de nuire. » Il y mettait plus de façon et d’art. […] Il est curieux de voir, à cette fin de campagne, l’impatience du vieux guerrier qui, arrivé toutefois à son but pour la politique, frémit de colère de n’avoir pu frapper un dernier coup, et de se voir obligé à remettre l’épée dans le fourreau sans s’être vengé une bonne fois de ses ennemis dans une bataille : « En fait de campagne, disait-il en se jugeant avec une sorte d’amertume, nous n’avons fait (cette fois) que des misères55. » Dans les années qui suivent, on retrouve Frédéric et le prince Henri en conversation par lettres, en discussion philosophique sur les objets qui peuvent le plus intéresser les hommes, la religion, la nature humaine et le rang qu’elle tient dans l’univers, les ressorts et mobiles qui sont en elle, et les freins qu’on y peut mettre.

2401. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « I » pp. 1-20

Dans une des lettres de ce temps à Mme de Bernières, il met ce mot à l’adresse de Thieriot : « Et vous, mon cher Thieriot…, je vous demande instamment un Virgile et un Homère (non pas celui de La Motte). […] J’avais cru d’abord que la lettre suivante, qui dans le nouveau recueil est mise à la date de 1724, était de 1726, et devait se rapporter au moment où Voltaire venait d’avoir affaire au chevalier de Rohan et se disposait à quitter la France, ou du moins Paris, avant d’être mis à la Bastille : il y a un accent qui me semblait déceler son âme en cette crise la plus douloureuse de sa vie. […] Mais, tout bien considéré, ces mots, j’ai été à l’extrémité, se rapportent peut-être mieux à une maladie qu’il eut en effet en 1724, après avoir pris les eaux de Forges, et conviennent moins à l’état où l’aurait mis l’indigne guet-apens du chevalier de Rohan.

2402. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Villars — IV » pp. 103-122

Villars étant, on l’a vu, incompatible avec ce prince, on le déplaça et on le mit à la tête de l’armée qui défendait la frontière des Alpes du côté du Dauphiné contre le duc de Savoie. […] Enfin, après les revers de 1708 et le calamiteux hiver qui suivit, Louis XIV se décida, par raison d’économie, à ne plus mettre de princes du sang à la tête de ses armées, et Villars fut envoyé pour commander en Flandre, à la frontière la plus exposée. […] Dès le soir et dans la nuit du 23 juillet, Villars donna ses ordres et mit ses troupes en mouvement. […] Il aurait bien voulu pour récompense l’épée de connétable, cette épée de du Guesclin, trop profanée par de Luynes, enterrée avec Lesdiguières, refusée à Turenne lui-même, et que lui, Villars, poursuivit toujours ; il aurait désiré du moins (car il ne faisait pas fi des pis-aller) être nommé chef du conseil des finances, cette charge étant venue à vaquer en ce temps-là ; mais elle fut donnée au maréchal de Villeroy. « Pour moi, madame, écrivait-il à ce propos à Mme de Maintenon, je me trouve toujours trop heureux quand je songe qu’ayant le bonheur d’approcher le plus grand et le meilleur maître du monde, je ne lui rappelle pas de fâcheuses idées ; qu’il peut penser : Celui-là m’a plusieurs fois mis en péril, et cet autre m’en a tiré.

2403. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « George Sand — Note »

Je voudrais pourtant bien me tenir à la place où vous m’avez mise d’abord ; je la trouve fièrement belle.  […] Je crois qu’être moral, c’est espérer : moi, je n’espère pas ; j’ai blasphémé la nature et Dieu peut-être, dans Lélia ; Dieu qui n’est pas méchant, et qui n’a que faire de se venger de nous, m’a fermé la bouche en me rendant la jeunesse du cœur et en me forçant d’avouer qu’il a mis en nous des joies sublimes ; mais la société, c’est autre chose : je la crois perdue, je la trouve odieuse, et il ne me sera jamais possible de dire autrement. […] Je l’ai donc retirée pour en faire le commencement d’une historiette toute rustique, et j’ai mis dans la bouche de mon secrétaire intime, dans le courant de son séjour à Monteregale, un récit de sa jeunesse où j’ai tâché de tracer son humeur d’une manière qui s’harmonie mieux avec la suite. […] Je ne vous ai pas vu, pour ainsi dire ; ces saints-simoniens se sont mis entre nous ; j’avais pourtant bien à vous parler.

2404. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Victor Duruy » pp. 67-94

Né du peuple et dans le plus large courant de l’esprit de la Révolution française — en sorte qu’il n’eut ni à changer ni à se contraindre pour être « avec son temps », — la vie de Victor Duruy, exemplaire, tout unie dans son fond, mais avec un air de merveilleux, et, au milieu de son cours, un coup de baguette des fées, ressemble à quelque beau récit de la « morale en action », à mettre entre les mains des écoliers, de ces écoliers de France pour qui il a tant travaillé. […] Il étendit la gratuité, amena même plus de six mille communes à voter la gratuité absolue, créa dix mille écoles nouvelles ; fonda les cours d’adultes, les bibliothèques scolaires, la caisse des écoles ; réforma les études dans les écoles normales d’instituteurs ; essaya d’accommoder l’enseignement aux milieux et aux régions ; introduisit des notions industrielles dans les écoles de villes, agricoles dans les écoles de campagne ; mit un peu de maternité dans les salles d’asile ; améliora notablement les traitements des instituteurs et des institutrices… Je m’arrête avant la fin de l’énumération et vous prie de considérer, Messieurs, que ce n’est point ma faute si l’abondance des œuvres de M.  […] Devenu professeur, je me mis à l’œuvre ; mais, en sondant notre vieux sol gaulois, j’y rencontrai le fond romain, et pour le bien connaître je m’en allai à Rome. […] Elle se relèvera si elle reconnaît bien le grand courant du monde, et si elle s’y plonge et s’y précipite… L’humanité, comme Dieu même, n’a que des idées fort simples et en petit nombre, qu’elle combine de diverses manières… » Il marquait alors la suite historique de ces combinaisons et il admirait ce long effort « logique » pour affranchir « le fils du père, le client du patron, le serf du seigneur, l’esclave du maître, le sujet du prince, le penseur du prêtre, l’homme de sa crédulité et de ses passions », pour mettre « légalité dans la loi, la liberté dans les institutions, la charité dans la société, et donner au droit la souveraineté du monde ».

2405. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XVII. Rapports d’une littérature avec les littératures étrangères et avec son propre passé » pp. 444-461

Gloires tardives et posthumes dont la clarté a mis des centaines d’années à franchir quelques dizaines de lieues ! […] Elle est également contre-imitation, j’entends par là que de parti pris les hommes d’une génération font ou disent souvent le contraire de ce qu’ont dit ou fait ceux de la génération précédente ; j’ai déjà montré comment ce développement par opposition est régulier dans la succession des écoles littéraires ; c’est pourquoi aussi la période la plus périlleuse pour la renommée d’un grand homme est le tiers de siècle qui suit sa mise au tombeau. […] Il peut arriver alors que le premier né de ces ouvrages similaires ne soit pas le meilleur, qu’une idée trouvée et mal exploitée par un talent novice ou secondaire soit plus tard mise en valeur par un maître, Molière a profité chacun le sait de trouvailles pareilles. […] C’est ainsi que la lumière, qui met des années et des années à nous arriver des étoiles lointaines, nous en révèle l’histoire ancienne et peut même nous apporter des nouvelles de mondes qui ne sont plus… » Je suis heureux de pouvoir ajouter que la cause de méprise, signalée ici, n’existe plus au même degré qu’en ce temps-là.

2406. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Herbert Spencer — Chapitre I : La loi d’évolution »

L’ethnologie, par ses divisions et subdivisions de races, met hors de doute ce progrès en hétérogénéité. […] Toute science, à l’origine, a été qualitative et a mis quelquefois des milliers d’années pour arriver à sa période quantitative : la chimie n’y est entrée que récemment. […] L’auteur la transportera sans doute quelque jour dans les questions de morale, où il eût été intéressant de le suivre : car l’hypothèse du progrès peut seule mettre d’accord ceux qui soutiennent, contre toute évidence, que la morale ne varie point et ceux qui soutiennent, contre toute raison, qu’elle n’a rien que de mobile et d’arbitraire. […] Dans toutes les directions, ses recherches arrivent à le mettre face à face avec l’inconnaissable, et à lui montrer toujours plus clairement qu’on ne peut le connaître.

2407. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre IV »

Des rideaux fanés, des meubles vieillis, des tentures déteintes… Assise à une table boiteuse, la veuve achève à la hâte le bonnet qu’elle va mettre pour recevoir ses hôtes ; car on reçoit dans cette maison besoigneuse. […] Quelle situation à mettre au théâtre ! […] Je ne sais pas de coup de théâtre plus frappant que l’entrée de cette femme en grande tenue d’adultère, et que sa mise dénonce comme un écriteau. […] Son attitude a tout révélé : le vieillard, mis subitement en face du corrupteur de sa vie, pousse un cri de rage.

2408. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres de lord Chesterfield à son fils. Édition revue par M. Amédée Renée. (1842.) » pp. 226-246

Jeune et dans son premier feu d’ambition, il avait de bonne heure mis tout son enjeu du côté de l’héritier présomptif du trône, qui devint George II ; il était de ceux qui, à l’avènement de ce prince (1727), devaient le plus compter sur sa faveur et sur une part de pouvoir. […] Cette inconséquence, en deux mots, la voici : c’est que lui, Voltaire, qui considérait volontiers les hommes comme des fous ou comme des enfants, et qui n’avait pas assez de rire pour les railler, il leur mettait en même temps dans les mains des armes toutes chargées, sans s’inquiéter de l’usage qu’ils en pourraient faire. […] Or, c’est précisément ce feu sacré, cette étincelle qui fait les Achille, les Alexandre et les César, être le premier en tout ce qu’on entreprend, c’est cette devise des grands cœurs et qui est celle des hommes éminents en tout genre, que la nature avait tout d’abord négligé de mettre dans l’âme honnête, mais foncièrement médiocre, du petit Stanhope : Vous paraissez manquer, lui disait son père, de ce vivida vis animi qui anime, qui excite la plupart des jeunes gens à plaire, à briller, à effacer les autres. — Quand j’étais à votre âge, lui dit-il encore, j’aurais été honteux qu’un autre eût mieux appris sa leçon, l’eût emporté sur moi à aucun jeu, et je n’aurais trouvé de repos que je n’eusse repris l’avantage. […] Sur cet article délicat des femmes, lord Chesterfield brise la glace : « Je ne vous parlerai pas sur ce sujet en théologien, en moraliste, ni en père, dit-il ; je mets de côté mon âge, pour ne considérer que le vôtre.

2409. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Saint-Évremond et Ninon. » pp. 170-191

Une longue lettre de lui, très spirituelle et très malicieuse, sur le traité des Pyrénées et contre le cardinal Mazarin, trouvée dans les papiers de Mme Du Plessis-Bellière lors de l’arrestation de Fouquet, irrita Louis XIV, qui ordonna d’en mettre l’auteur à la Bastille. […] Du temps de Ninon, il n’était encore qu’une audace, une exception tout individuelle, une gageure hardie qu’elle se mit en devoir de soutenir, tout en se livrant à l’inconstance et à la variété de ses goûts. […] Ninon avait fait ses preuves en rendant, après des années, à Gourville, cette fameuse cassette que ce dernier avait mise en dépôt chez elle, et dont elle avait refusé communication à plus d’un amant, successeur de Gourville, et qui aurait été assez disposé à être en tout son héritier. […] On était distingué par une qualité ou par une autre : mais être distingué tout court, c’était à faire au xviiie  siècle et surtout au xixe de mettre en circulation ce mot-là.

2410. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Grimm. — I. » pp. 287-307

Marmontel, dans ses Mémoires, a dit : « Grimm, alors secrétaire et ami intime du jeune comte de Friesen, neveu du maréchal de Saxe, nous donnait chez lui un dîner toutes les semaines, et, à ce dîner de garçon, régnait une liberté franche ; mais c’était un mets dont Rousseau ne goûtait que très sobrement. » Tout en travaillant à se faire Français et Parisien, Grimm avait un fonds de romanesque allemand qu’il dut recouvrir et étouffer. […] Sur ces entrefaites, Mme d’Épinay eut une affaire de famille désagréable : sa probité fut mise hautement en doute par ses proches ; la pauvre femme, qui avait été chargée par une belle-sœur mourante de détruire des lettres compromettantes, était accusée d’avoir brûlé un papier d’affaires important ; ce papier se retrouva depuis. […] Il connaissait à fond cette âme malade, jointe à un si prestigieux talent ; il redressait à chaque instant les fausses vues indulgentes où retombait sa gracieuse et trop prompte amie : « Je suis persuadée, disait de Rousseau Mme d’Épinay, qu’il n’y a que façon de prendre cet homme pour le rendre heureux : c’est de feindre de ne pas prendre garde à lui, et de s’en occuper sans cesse. » Grimm se mettait à rire et lui disait : « Que vous connaissez mal votre Rousseau ! […] Des propositions lui furent faites par une cour du Nord, qu’il ne nomme point, d’entretenir une correspondance avec elle : « Cette occupation me plaît, dit-il, et me convient fort en ce qu’elle me met à portée de montrer ce qu’on sait faire. » Il dut obtenir auparavant le consentement du duc d’Orléans, de qui il dépendait encore.

2411. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « M. Necker. — II. (Fin.) » pp. 350-370

Or, cette idée heureuse et réparatrice, qui remet jusqu’à un certain point l’équilibre, il ne peut la découvrir que dans une obligation de bienfaisance d’une part, de patience et de soumission de l’autre, dans un esprit général de charité mis en recommandation parmi les hommes. […] Courez-vous après les honneurs, après la gloire, après la reconnaissance, partout il y a des erreurs, partout il y a des mécomptes… Si vous laissez votre vaisseau dans le port, les succès des autres vous éblouissent ; si vous le mettez en pleine mer, il est battu par les vents et par la tempête : l’activité, l’inaction, l’ardeur et l’indifférence, tout a ses peines ou ses déplaisirs… Rien n’est parfait que pour un moment… Tout ce motif est développé avec bonheur, et vraiment comme l’eût fait un Bourdaloue. […] Pour mettre sa sensibilité plus à son aise, par un singulier et subtil accommodement il supposait que c’était d’un autre que lui qu’il parlait : C’est d’un moi que je parle, et non pas de moi ; car, loin des hommes, au pied des hautes montagnes, au bruit d’une onde monotone qui ne présente d’autre idée que la marche égale du temps, et sans autre aspect qu’une longue solitude, une retraite silencieuse que bordent déjà les ombres d’une éternelle nuit, je n’ai plus de rapport avec ce ministre naguère emporté par les événements, agité par les passions du monde, et sans cesse aux prises avec l’injustice ; je n’ai plus de rapport avec lui que par les émotions d’une âme sensible… Il revient à chaque instant, avec des cris de David ou de Job, sur cette calamité, qui véritablement n’était pas si grande qu’il le supposait : Quelquefois seulement, au pied de ces montagnes où l’ingratitude particulière des représentants des Communes m’a relégué, et dans les moments où j’entends les vents furieux s’efforcer d’ébranler mon asile, et renverser les arbres dont il est environné, il m’arrive alors peut-être de dire comme le roi Lear : « Blow, winds, … Soufflez, vents impétueux ! […] c’est une certaine façon compliquée, un peu subtile, un peu hautaine, de prendre et de présenter les choses, qui n’est pas à l’usage des esprits ordinaires, ni même des esprits très naturels ; c’est le procédé de gens habitués à regarder intuitivement (comme ils disent quelquefois) au-dedans de leur pensée, plutôt qu’à mettre la tête à la fenêtre et à laisser courir leur parole au-dehors.

2412. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Œuvres de Frédéric le Grand (1846-1853). — I. » pp. 455-475

Pour leur plaire, pour séduire ces princes et meneurs d’Athènes, il s’est mis à leur ton et a développé la veine railleuse, goguenarde, qui était en lui, mais qui n’y était pas aussi essentiellement qu’on le croirait. […] M. de Suhm s’était mis à traduire de l’allemand en français à l’usage de Frédéric, pour qui une lecture allemande était pénible, la Métaphysique de Wolff. […] L’esprit humain, pour sortir de la routine où il est sujet à s’endormir et à se rouiller, a de temps en temps besoin d’un précepteur philosophique nouveau : ce précepteur excitateur, qui doit quelque peu se mettre à la portée des gens du monde, varie beaucoup selon les pays et selon les temps : tantôt ce sera La Sagesse de Charron, tantôt La Logique de Port-Royal ou même Malebranche en ses Entretiens, tantôt Locke qui, pour la France, fut toujours trop long. […] Ce passage a cela de remarquable qu’il définit admirablement à l’avance les caractères du génie et de la destinée du grand Frédéric, lequel en effet a dû s’appliquer à faire naître les circonstances, ou à s’y approprier au fur et à mesure qu’elles naissaient ; qui porte en tout et qui met à tout le cachet de la volonté, du travail et d’un certain effort, et qui ne le recouvre et ne le revêt point de splendeur, de spontanéité et de poésie, comme il arriva plus tard dans l’apparition étonnante et tout d’un jet de Napoléon.

2413. (1888) La critique scientifique « La critique scientifique — Analyse esthétique »

Par une lecture étendue, variée, comprenant la plupart des grandes littératures, l’analyste se sera mis en possession d’un type moyen du genre qu’il examine, — nous prendrons pour exemple le roman. […] En effet, tous les systèmes de classification des émotions mettent à part les émotions esthétiques4, et en forment une division spéciale séparée des émotions ordinairescp. […] Il va de soi que nous mettons à part les émotions de colère ou de dégoût que peut susciter chez certains hommes la vue ou l’audition d’une œuvre d’art qui lui répugne. […] Si Iago émeut une personne du commun, ce n’est pas que celle-ci sente et puisse même comprendre l’art et l’audace que le poète a mis à dresser ce personnage ; cet art et cette audace, on ne les reconnaît qu’après coup, par un examen critique, minutieux et difficile.

2414. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre II : La littérature — Chapitre II : La littérature du xviie  siècle »

C’est une raison qui ne rompt jamais en visière avec le sens commun, sans être esclave cependant d’aucun préjugé ; qui cherche dans le beau l’idéal et le général, sans se payer cependant du servile et du banal, qui met au-dessus de tout intérêt l’homme et le genre humain, et qui obéit à la règle, sans jamais décourager la liberté. […] Ici l’une de ses deux théories est mise en échec par l’autre : son goût naturel, si sûr et si droit, s’est affranchi du joug de ses propres principes, ou du moins de l’un d’entre eux. […] Il met en action les vérités les plus générales du cœur humain exprimées par les plus grands cœurs et par les âmes les plus passionnées. […] Nisard eût été moins préoccupé de défendre dans Bossuet son principe de la discipline, il se serait attaché beaucoup plus à mettre en relief les qualités incomparables de Bossuet que des mérites secondaires et négatifs qui ne peuvent que nous refroidir.

2415. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « X. Ernest Renan »

Il les accuse d’avoir le pédantisme de leur hardiesse, et de ne pas mettre dans la négation de la vérité chrétienne assez de placidité et d’amour. […] « Les légendes des pays à demi ouverts à la culture rationnelle, dit-il page 63 du volume, ont été formées bien plus souvent par la perception indécise, par le vague de la tradition, par les ouï-dire grossissants, par l’éloignement entre le fait et le récit, par le désir de glorifier les héros, que par création pure comme cela a pu avoir lieu pour l’édifice presque entier des mythologies indo-européennes », et, suspendu entre le je ne sais qui et le je ne sais quoi, il ajoute alors cette incroyable phrase qu’il importe de recueillir : « Tous les procédés ont contribué dans des proportions indiscernables au tissu de ces broderies merveilleuses, qui mettent en défaut toutes les catégories scientifiques et à l’affirmation desquelles a présidé la plus insaisissable fantaisie. » Proportions indiscernables ! […] Voilà pourquoi le monde hésite à admettre cette notion de la Critique en dehors du monde, et se soucie médiocrement qu’on le mette à feu sous prétexte de science dans l’intérêt de la plus vaine et de la plus inepte curiosité. […] Renan les met, il est vrai, à l’abri sous cette tolérance chère aux philosophes, sous ce paratonnerre où tombe le mépris !

2416. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Ernest Hello » pp. 207-235

Il met sa couronne sur le front de la foule. » C’est grand. […] … Et pourtant, je l’affirme, rien de plus beau, à quelque point de vue qu’on se mette. […] Il n’a pas cauteleusement usé de cette rubrique de l’impartialité moderne, qui est de mettre les faits miraculeux, embarrassants, sous le couvert lâche et traître de la Légende. […] Sa préface, qui est d’un très grand style, nous met au courant des raisons qui l’ont entraîné à publier sa Physionomie de Saints.

2417. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre III. “ Fantômes de vivants ” et “ recherche psychique ” »

Je suis ce sous-lieutenant, et toujours je me féliciterai de la chance inattendue qui m’aura mis, non pas pour quelques heures mais pour quelques mois, à la tête d’un régiment de braves. […] vous procédez à une espèce d’enquête judiciaire ; vous vous mettez en rapport avec les témoins, vous les confrontez entre eux, vous vous renseignez sur eux. […] On parle indifféremment de la pensée ou du cerveau, soit qu’on fasse du mental un « épiphénomène » du cérébral, comme le veut le matérialisme, soit qu’on mette le mental et le cérébral sur la même ligne en les considérant comme deux traductions, en langues différentes, du même original. […] Toutefois, ne disposant pour le moment que de cette méthode historique ou critique, elle n’eût pu vaincre le scepticisme de ceux qui l’auraient mise en demeure — puisqu’elle croyait à l’existence de ces bateaux miraculeux — d’en construire un et de le faire marcher.

2418. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « APPENDICE. — M. DE VIGNY, page 67. » pp. -542

Rien d’étonnant donc qu’il ait mis ainsi un masque par trop enluminé à ses personnages, puisqu’il ne les a vus qu’à distance. […] Milton y débite en anglais des morceaux du Paradis perdu ; seulement on a eu la précaution de mettre sur la table une traduction à l’usage des académiciens.

2419. (1874) Premiers lundis. Tome I « [Préface] »

Il faut prévoir les objections et les critiques que font naître toujours des publications comme celle-ci : on ne manquera pas de trouver que nous en avons « trop mis », que nous ne nous sommes pas assez souvenu de l’esprit général de cet Avertissement, auquel nous avons pris en commençant une note justificative. […] Sainte-Beuve y raconte succinctement, mais avec précision, ses relations avec la nouvelle rédaction du Globe, jusqu’au moment où le journal devint saint-simonien « Je ne le quittai point pour cela, dit-il, et j’y mis encore quelques articles. » Mais, à partir de l’année 1831, il est tellement impossible de s’y reconnaître, à cause du manque de signatures, que nous avons cru prudent de nous abstenir tout à fait, à défaut d’indications suffisantes sur les véritables auteurs d’articles qui ne laissaient pas d’être très-tentants sur Mérimée, Balzac, Eugène Sue, Charles Nodier, M. 

2420. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. A. Thiers : Histoire de la Révolution française. Ve et VIe volumes. »

Disons néanmoins, et avec regret, que cette pitié pour les innocents n’est pas égalée par son indignation contre les bourreaux ; l’idée que ceux-ci, quels qu’ils aient pu être, ont sauvé la France de l’invasion, a trop arrêté sa plume prête à les flétrir ; il s’est trop répété que le plus énergique alors était aussi le plus digne du pouvoir ; et je souffre qu’il ait dit, en déplorant la mort des Girondins : « On ne pourrait mettre au-dessus d’eux que celui des Montagnards qui se serait décidé pour les moyens révolutionnaires par politique seule et non par l’entraînement de la haine. » Non, nul Montagnard, fût-il tel qu’on le veut, un Carnot ou tout autre pareil, ne pourrait être mis au-dessus des proscrits du 2 juin ; l’assassin n’est jamais plus noble que l’assassiné.

2421. (1902) L’observation médicale chez les écrivains naturalistes « Chapitre V »

Peu à peu, ils se mirent à divaguer dans une langue qu’ils croyaient celle d’Hippocrate et qui n’est qu’un jargon d’officine… Ce fut un grand progrès d’avoir appelé hystérotomotocie l’opération césarienne, scolopomachérion le bec de bécasse, et méningophylax un couteau à pointe mousse pour la chirurgie de la tête ! […] On ne peut — toute question de censure mise à part — dire et faire dire tout ce que l’on écrit : le même mot qui, aperçu avec sa forme propre et son aspect typographique se pardonne ou s’admire, devient vite, entendu et défiguré par l’acoustique artificielle de la rampe, insupportable d’invraisemblance ou de pédantisme. — Et cela même lorsqu’il sort d’une bouche autorisée — Les rôles de médecins sont particulièrement délicats à traiter, car ils oscillent forcément entre la terminologie vague des mentalités moyennes, ou le répertoire magistral de l’enseignement technique.

2422. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section III. Des ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre II. De la philosophie. »

Quand la philosophie s’empare de l’âme, elle commence, sans doute, par lui faire mettre beaucoup moins de prix à ce qu’elle possède et à ce qu’elle espère. […] Je l’ai dit, celui qui veut mettre le suicide au nombre de ses résolutions, peut entrer dans la carrière des passions ; il peut y abandonner sa vie, s’il se sent capable de la terminer, alors que la foudre aura renversé l’objet de tous ses efforts et de tous ses vœux ; mais comme je ne sais quel instinct, qui appartient plus, je crois, à la nature physique qu’au sentiment moral, force souvent à conserver des jours dont tous les instants sont une nouvelle douleur, peut-on courir les hasards, presque certains, d’un malheur qui fera détester l’existence, et d’une disposition de l’âme qui inspirera la crainte de l’anéantir ?

2423. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre V. Figures de construction et figures de pensées. — Alliances de mots et antithèses »

Il faut faire tout ce qui est humainement possible pour exprimer sa pensée par les moyens que la langue et la grammaire mettent à la disposition de tous : si l’on se trouve à l’étroit, il ne faut pas conclure à leur tyrannie, mais à sa propre ignorance, et se remettre à l’école, au lieu de s’insurger. […] Considérée dans son juste emploi, non dans son excès, l’antithèse ramasse dans une phrase courte et condensée les pensées qu’elle oppose : moins il y a de mots, plus le contraste ressort, et il semble qu’en l’étendant on met entre les idées un tampon qui en affaiblit le choc.

2424. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Prosper Mérimée. »

C’est d’abord la vue la plus nette de ce qu’il y a de relatif dans la morale, et des différences foncières que les tempéraments, les siècles et les pays mettent entre les hommes. […] Il est évident que, lorsque l’adjudant met sa montre sous le nez de Fortunato, l’enfant ne peut pas résister à la tentation.

2425. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Guy de Maupassant »

Et cela, parce qu’un jour les microscopiques cellules dont se composait la pulpe tassée sous son front se sont mises, on ne sait pourquoi, à se désagglutiner… Et je vois à quel point je me suis trompé il y a cinq ans, et j’ai presque un remords. […] Nous nous mîmes tous à parler de sa belle « santé ».

2426. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « La Tolérance »

Ce charmant Voltaire, à qui il faut beaucoup pardonner, définissait à merveille et chérissait la tolérance : mais il voulait faire mettre à la Bastille les gens qui n’étaient pas de son avis. […] Et, pour la troisième fois, j’ajouterai : cherchons ce qui nous met d’accord.

2427. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — K — Kahn, Gustave (1859-1936) »

Ils mettent une si belle opiniâtreté à assurer qu’il y a quelque chose au fond de ces énigmes, qu’il faut bien, au moins, exposer leur système. […] Kahn, qu’il veuille « unir la clarté philosophique profonde du xviiie  siècle à la riche ornementation romantique et les mettre au service d’idées imprévues » ; tel est en effet son beau dessein, et insister aujourd’hui serait prématuré.

2428. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre X. Zola embêté par les jeunes » pp. 136-144

D’entre ces reconnaissances de sa gloire, j’en mettrais pourtant deux à part, non suspectes : l’une de M.  […] Si, personnellement, nous nous plaisons à fortifier comme première vertu d’artiste, cette sévérité jamais satisfaite, préservatrice des inutiles accouchements et des relevailles mélancoliques, ne veuillons pas généraliser cette exigence particulière jusque en faire la loi intransgressible de la mise au monde artistique.

2429. (1913) Le bovarysme « Troisième partie : Le Bovarysme, loi de l’évolution — Chapitre II. Bovarysme essentiel de l’être et de l’Humanité »

Si d’ailleurs, on s’enhardit à donner un sens au fait même de l’existence phénoménale, il semble qu’il faille mettre à sa source un désir de connaissance. […] Quant à l’illusion selon laquelle l’homme se flatte d’agir sur le monde pour augmenter son bonheur en pénétrant ses lois et en les exploitant à son profit, on a dit tout ce qu’il en fallait mettre en évidence au cours des développements consacrés au Bovarysme scientifique.

2430. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1851 » pp. 1-9

diable… et notre roman dont la mise en vente doit avoir lieu aujourd’hui ! […] Et nous nous mîmes tous les trois en route pour arriver.

2431. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Dédicace, préface et poème liminaire de « La Légende des siècles » (1859) — La vision d’où est sorti ce livre (1857) »

Ce passage effrayant remua les ténèbres ; Au bruit qu’ils firent, tout chancela ; la paroi Pleine d’ombres, frémit ; tout s’y mêla ; le roi Mit la main à son casque et l’idole à sa mitre ; Toute la vision trembla comme une vitre, Et se rompit, tombant dans la nuit en morceaux ; Et quand les deux esprits, comme deux grands oiseaux, Eurent fui, dans la brume étrange de l’idée, La pâle vision reparut lézardée, Comme un temple en ruine aux gigantesques fûts, Laissant voir de l’abîme entre ses pans confus. […] * De l’empreinte profonde et grave qu’a laissée Ce chaos de la vie à ma sombre pensée, De cette vision du mouvant genre humain, Ce livre, où près d’hier on entrevoit demain, Est sorti, reflétant de poëme en poëme Toute cette clarté vertigineuse et blême ; Pendant que mon cerveau douloureux le couvait, La légende est parfois venue à mon chevet, Mystérieuse sœur de l’histoire sinistre ; Et toutes deux ont mis leur doigt sur ce registre.

2432. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Milton, et Saumaise. » pp. 253-264

Il veut y prouver qu’un tyran sur le trône est comptable ; qu’on peut lui faire son procès ; qu’on peut le déposer & le mettre à mort. […] La représentation de Rodogune, donnée à son profit le 10 mars 1760, est une action qui les met au rang des meilleurs citoyens.

2433. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Première Partie. Des Langues Françoise et Latine. — De la langue Latine. » pp. 147-158

Quelle perfection n’eut il pas mis à ses ouvrages, s’il eut été jaloux de joindre la force & la pureté de Cicéron au choix heureux de ses pensées, à la délicatesse & aux agrémens de sa brillante latinité ? […] voilà sept ans perdus, & vous perdrez encore tout autant d’années que vous en mettrez pour cela, parce qu’il n’est pas possible qu’un moderne soit jamais au fait d’une langue morte, qu’il connoisse parfaitement la propriété des termes, l’harmonie & la grace du discours.

2434. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Seconde Partie. De l’Éloquence. — Éloquence du barreau. » pp. 193-204

Il n’y a point d’invectives qu’il ne mît dans la bouche de ces grands hommes. […] Tous les deux ont mis pour jamais, en France, nos avocats sur la bonne voie ; l’un par son exemple, & l’autre par la guerre qu’il fit, toute sa vie, au verbiage emphatique.

2435. (1867) Le cerveau et la pensée « Avant-propos »

On me dit : Vous paraissez craindre que si certains rapports précis et certains étaient trouvés entre l’intelligence et le cerveau, la doctrine spiritualiste fût par là compromise et l’existence de l’âme mise en péril. […] » Dans le plus beau peut-être de ses dialogues, Platon, après avoir mis dans la bouche de Socrate une admirable démonstration de l’âme et de la vie future, fait parler un adversaire qui demande à Socrate si l’âme ne serait pas semblable à l’harmonie d’une lyre, plus belle, plus grande, plus divine que la lyre elle-même, et qui cependant n’est rien en dehors de la lyre, se brise et s’évanouit avec elle.

2436. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre troisième. Suite de la Poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions. — Chapitre VIII. La religion chrétienne considérée elle-même comme passion. »

C’est en vain qu’on se met en défense : Ce Dieu touche les cœurs lorsque moins on y pense. […] La gravité et la noblesse du caractère chrétien sont marquées jusque dans ces vous opposés aux tu de la fille de Félix : cela seul met déjà tout un monde entre le martyr Polyeucte et la païenne Pauline.

2437. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Lépicié » pp. 275-278

Il faut voir le froid de tous ces personnages ; le peu d’esprit et d’idées qu’on y a mis, la monotonie de cette scène, et puis cela est peint gris et symmétrisé. […] Tout le monde se croit compétent sur ce point, presque tout le monde se trompe, il ne faut que se promener une fois au sallon, et y écouter les jugemens divers qu’on y porte, pour se convaincre qu’en ce genre comme en littérature, le succès, le grand succès est assuré à la médiocrité, l’heureuse médiocrité qui met le spectateur et l’artiste commun de niveau.

2438. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 24, objection contre la solidité des jugemens du public, et réponse à cette objection » pp. 354-365

Vous mettez tout le monde en droit de leur faire leur procès, même sans rendre aucune raison de son jugement, au lieu que les autres sçavans ne sont jugez que par leurs pairs, qui sont encore tenus de les convaincre dans les formes avant que d’être reçus à prononcer leur condamnation. […] Ainsi les géometres, les médecins et les théologiens, ou ceux qui sans avoir mis l’enseigne de ces sciences ne laissent pas de les sçavoir, sont les seuls qui puissent juger d’un ouvrage qui traite de leur science.

2439. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « XI »

A l’en croire, tout grimaud d’école, pourvu qu’il y mît le temps et l’étude, deviendrait un Chateaubriand. […] Uzanne, un style de commande… D’autres ne l’acquièrent qu’au prix d’un labeur effroyable, Buffon a mis cinquante ans à écrire l’Histoire naturelle ; Pascal refait treize fois sa 18e Provinciale ; et Balzac autant de fois sa Pierrette.

2440. (1900) Taine et Renan. Pages perdues recueillies et commentées par Victor Giraud « Taine — VII »

« Son front large et proéminent, ses yeux mobiles, qui ressemblaient à ceux de sa mère, signalaient à tous, comme un être singulier, l’enfant que le professeur désignait comme un modèle. » Qu’on me permette de mettre sous les yeux du lecteur une esquisse que j’ai tracée, jadis, de M.  […] Taine, par exemple, portait volontiers, l’après-midi, une étroite cravate noire, en satin, comme celles que l’on met le soir.

2441. (1907) L’évolution créatrice « Introduction »

Ils sont trop étroits, trop rigides surtout pour ce que nous voudrions y mettre. […] Une théorie de la vie qui ne s’accompagne pas d’une critique de la connaissance est obligée d’accepter, tels quels, les concepts que l’entendement met à sa disposition : elle ne peut qu’enfermer les faits, de gré ou de force, dans des cadres préexistants qu’elle considère comme définitifs.

2442. (1859) Cours familier de littérature. VII « XXXIXe entretien. Littérature dramatique de l’Allemagne. Le drame de Faust par Goethe (2e partie) » pp. 161-232

Viens-tu prier ici pour l’âme de ta mère, Que ta faute a mise au cercueil ? […] Méphistophélès soulève un des coins du voile de la nature ; il met Faust en communication avec les sorciers, les monstres, les feux follets, les esprits secondaires qui peuplent, invisibles, tous les éléments, et il leur fait chanter des rondes bizarres et sataniques sur les vanités et sur les misères de l’humanité. […] D’où me viennent ces angoisses dans tes bras, lorsque, autrefois, tes paroles, tes regards me mettaient tout un ciel dans l’âme et que tu m’embrassais à m’étouffer ! […] j’ai aussi mis à contribution ton armoire : j’ai pris ta belle robe de chambre en fine cotonnade, cette indienne à fleurs si chaudement doublée de flanelle ; je l’ai donnée ; mais tu sais qu’elle est vieille et tout à fait hors de mode. » L’hôte regrette sa vieille robe de chambre, mais il pardonne en pensant au bien-être des infirmes qui s’envelopperont de sa dépouille. […] Allons ensemble lui parler ; nous mettrons dans nos intérêts nos deux voisins qui sont à table avec lui, et le digne pasteur nous secondera. » Elle dit, et ils rentrent en silence à la maison.

2443. (1864) Cours familier de littérature. XVII « XCVIIIe entretien. Alfieri. Sa vie et ses œuvres (3e partie) » pp. 81-152

Des romanciers se sont plu à mettre en scène la femme de quarante ans, et ils ont eu beau se montrer sympathiques pour des souffrances qui ne dépendent pas du nombre des années, on voit percer une secrète ironie dans leurs peintures. […] N’oublions pas cependant que sur un point si délicat des opinions bien diverses se sont produites, et peut-être suffira-t-il de mettre ces opinions en présence pour concilier les devoirs de l’historien avec les justes égards dus à une femme célèbre, dont les dernières années ont laissé un souvenir honorable. […] Il s’apprêtait donc à en parler en poète, comme il l’a fait trois mois après, sous l’impression toute récente de ce douloureux épisode, quand se produisit un incident assez singulier, un incident qui aurait pu le mettre en défiance, s’il y eût arrêté sa pensée. […] « Au reste, monsieur, soyez sûr que je ne publierai rien sur le comte Alfieri qui puisse vous être désagréable, et surtout à son admirable amie, aux pieds de laquelle je vous prie de mettre mes respects. […] Il ne lui reste à quarante-deux ans que des mots dans la tête ; il se met à traduire, ne pouvant plus rien composer.

2444. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — H — Hugo, Victor (1802-1885) »

Nous mettrions volontiers M.  […] Le jour de la mise en vente, les magasins de librairie étaient littéralement assiégés, et il n’a pas fallu plus de vingt-quatre heures pour que la première édition fût épuisée. […] L’enthousiasme et la gaudriole ne doivent pas, à notre avis, s’asseoir à la même table ; la voix entrecoupée par les hoquets met les chastes muses en fuite. […] Ernest Reyer Victor Hugo m’écrivit de Jersey une lettre de quatre pages sur papier pelure d’oignon pour m’autoriser à mettre en musique sa Vieille Chanson du jeune temps. […] Quand les ouvrages mis en honneur s’intitulaient : Les Burgraves, l’Homme qui rit ou la Légende des siècles, c’était au mieux ; mais cela devenait néfaste quand, par la force d’habitude, on exaltait le feuilleton des Misérables ou les tartines politiques des Châtiments.

2445. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 mai 1886. »

Lamoureux a compris que la première qualité d’une interprétation est la précision : la précision, l’exacte observance d’un texte, la fidélité qui met à sa place chaque minuscule intention de l’auteur ! […] Quand il arrive qu’un Anglais est vraiment musicien, il demanda à ses compositeurs de rester dans un chaste et tranquille milieu : ils ne doivent pas passer les limites des convenances en lui offrant des mets nouveaux auxquels son palais n’est pas déjà accoutumé. […] Après avoir appris tout ce que nous pouvions de Richter, nous essayons de le mettre à la porte : heureusement Richter ne se laisse pas si facilement mouvoir. […] L’orchestre était tout ce qu’il y a de mauvais ; la mise en scène aurait perdu un théâtre de province de troisième rang ; les représentations étaient données en allemand : et cependant, l’auditoire tout considérable qu’il fût, était saisi. […] D’autre part, nous n’avons rien à mettre à sa place.

2446. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « III »

Mettons à l’actif du célèbre chef d’orchestre de l’Eden-Théâtre la reprise de cet éblouissant chef-d’œuvre, la Marche de Fête : « Or sur or », la blasonnait un jour le poète d’Hérodiade. […] Pour mettre de la variété dans ces poses, les deux chanteurs, pendant une ritournelle de l’orchestre, vont l’un après l’autre sur le devant de la scène et changent réciproquement de place. » Qui n’a vu, dans les deux opéras-comiques de Paris, les scènes ridicules qui ont lieu lors des duos ? […] Quand Parsifal tombe inanimé, elle ne met plus de brusquerie à lui porter secours, mais elle apporte de l’eau avec un empressement humble. […] A la rigueur inspirée du théâtre antique et la revendication d’un accès populaire au théâtre, se dressent les dorures et les velours, les petites loges intimes et la mise en valeur du corps de ballet, pour le plaisir des bons abonnés qui entretenaient une danseuse. […] Mais Wagner réglait les mises en scène lui-même et n’acceptait pas qu’on ne respectât pas ses indications de façon exemplaire.

2447. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre II, grandeur et décadence de Bacchus. »

Le mythe ici reste clair comme les phénomènes physiques qu’il met en action. […] Les promiscuités de la nature étaient mises en scène par leurs mythes dont Bacchus sera désormais l’agent enthousiaste. […] Qu’il se garde de mettre le pied dans l’initiation qu’on lui offre, la mort est au bout ! […] Les hommes, dans ces conciliabules orgiastiques, hallucinés sans doute par des breuvages incendiaires, étaient pris de contorsions furibondes, et se mettaient à prophétiser. […] Cette école du mal mettait en pratique ses dogmes atroces, Locuste y faisait son apprentissage.

2448. (1920) Action, n° 3, avril 1920, Extraits

Nul effort de mise au point, nul désir de comprendre un peu plus loin que les apparences. […] La présentation de l’œuvre dada est toujours pleine de goût pour l’œil, qu’il s’agisse des tableaux aux couleurs charmantes, très mode, ou des livres et revues toujours délicieusement mis en pages, selon des ordonnances de catalogues de parfumerie. […] Le pathétique de Jésus fut naturel, alors que les stoïciens mettaient de l’orgueil à celer les larmes : lui, ne cachait jamais, les siennes. […] Il envoie son fils se faire occire, laisse sa fille se faire courtisane, se met à confectionner des mensonges au mètre cube, et finira grand croix de la légion d’honneur. […] Jacques des Gachons (1868-1945) tient, dans Femina où Fernand Vandérem écrit lui-même une chronique, la rubrique « La bibliothèque mise à jour ».

2449. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Parny poète élégiaque. » pp. 285-300

Sans y mettre tant de façons, revoyons-la un moment, vivante et dans sa fleur, sous ce règne de Louis XVI, pendant les dix heureuses années qui précédèrent la plus terrible des révolutions. […] Il n’y ajoute rien ; il n’y met pas des couleurs à éblouir et à distraire du fond, il ne pousse pas non plus de ces cris à se tordre les entrailles. […] Que devenir en effet, que faire, en avançant dans la vie, quand on a mis toute son âme dans la fleur de la jeunesse et dans le parfum de l’amour ?

2450. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Bossuet. Œuvres complètes publiées d’après les imprimés et les manuscrits originaux, par M. Lachat »

Lachat, dans l’Introduction qu’il a mise en tête des Sermons au tome VIII de l’édition nouvelle, ne fait que résumer avec assez de soin et de bonne volonté les résultats obtenus par ses devanciers, et il s’applique à suivre, pour la reproduction exacte du texte, les excellents principes critiques qui ont prévalu depuis quelques années, que M.  […] Faugère a mis en pratique pour Pascal, M.  […] Je ne sais qui a dit : l’esprit d’un homme, en définitive, ne fait jamais que ce qu’il est obligé et mis en demeure de faire.

2451. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « La Réforme sociale en France déduite de l’observation comparée des peuples européens, par M. Le Play, Conseiller d’État. »

Des missions spéciales qui lui furent confiées par les gouvernements, par des souverains ou par de très puissants particuliers, le mirent à même de faire des observations comparées approfondies, depuis la Belgique jusqu’aux confins de l’Europe et de l’Asie ; pas une forge importante ne lui a échappé ; il a eu à en diriger lui-même ; il a eu dans les usines de l’Oural jusqu’à 45,000 individus sous ses ordres, une véritable armée d’ouvriers. […] C’est après avoir compulsé et conféré entre eux de pareils tableaux qu’on pourrait, ce semble, se mettre à écrire de L’Esprit des lois et des mœurs. […] On nous apprend à aimer le beau, l’agréable, à avoir de la gentillesse en vers latins, en compositions latines et françaises, à priser avant tout le style, le talent, l’esprit frappé en médailles, en beaux mots, ou jaillissant en traits vifs, la passion s’épanchant du cœur en accents brûlants ou se retraçant en de nobles peintures ; et l’on veut qu’au sortir de ce régime excitant, après des succès flatteurs pour l’amour-propre et qui nous ont mis en vue entre tous nos condisciples, après nous être longtemps nourris de la fleur des choses, nous allions, du jour au lendemain, renoncer à ces charmants exercices et nous confiner à des titres de Code, à des dossiers, à des discussions d’intérêt ou d’affaires, ou nous livrer à de longues études anatomiques, à l’autopsie cadavérique ou à l’autopsie physiologique (comme l’appelle l’illustre Claude Bernard) !

2452. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « De la poésie en 1865. (suite.) »

De la coupe d’exil j’ai bu jusqu’à la lie ; De quel fiel inconnu l’avais-tu donc remplie    Avant de la mettre en mes mains ? […] Je ne puis m’empêcher de mettre en regard des stations idéales de Veyrat à cette royale abbaye le récit qu’a tracé Pierre Leroux d’une visite au même monastère, récit charmant, fin, ironique, auquel je renvoie les curieux53. […] Musset, en son temps, a apostrophé Lamartine et s’est mis à l’aise avec lui, le traitant d’emblée et sans façon d’égal à égal, d’Alfred à Alphonse ; eu égard à la différence des âges, à celle des réputations au moment où cette épître parut, eu égard aussi, j’ose le dire, à l’étoffe et à la portée non comparables des génies, c’était légèrement fat et quelque peu impertinent : M. 

2453. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre premier. Les signes — Chapitre III. Des idées générales et de la substitution à plusieurs degrés » pp. 55-71

Nous ne remplaçons plus tout d’abord par un mot le caractère abstrait et général du groupe mis en expérience, car le groupe en question ne peut être mis avec succès en expérience ; trente-six pions, posés ensemble sur une table, ne nous donneraient qu’une impression de masse et d’ensemble, sans distinction énumérative des individus. — Nous allons plus lentement ; nous prenons d’abord un très petit groupe, proportionné à l’amplitude bornée de notre esprit, et capable d’éveiller en nous une tendance et un nom.  […] Mesurer, c’est mettre à la place d’une grandeur non définie une autre grandeur définie par rapport à l’unité.

2454. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre VII. Induction et déduction. — Diverses causes des faux raisonnements »

Maintes fois, au contraire, par un scrupule excessif, on met tout en doute et l’on s’embarrasse de tout prouver. […] On élargit le sens d’un mot ; on y met ce qui n’y était pas ; et, sans s’apercevoir qu’on a introduit des éléments nouveaux dans la question, on la résout par les principes qui ne conviennent qu’aux premières données. […] On met dans la conclusion ce qui n’est pas dans le principe ; car cette égalité réelle ne peut être la conséquence logique et nécessaire de l’égalité essentielle de tous les hommes que si celle-ci implique l’égalité de bonté, d’intelligence, de travail, de mérite : ce qui n’est pas.

2455. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre III. La commedia dell’arte en France » pp. 31-58

En l’an 1576, au moment où allaient s’ouvrir les États généraux de Blois, quatre ans après la Saint-Barthélemy, Henri III, qui appréhendait la réunion de cette grande assemblée, n’imagina rien de mieux, soit pour l’adoucir, soit pour la distraire, que de mander d’Italie la plus fameuse troupe d’acteurs de la commedia dell’arte qu’il y eût alors : les Gelosi (Jaloux de plaire), à la tête desquels venait de se mettre un homme distingué par sa naissance et par ses talents, Flaminio Scala, dit Flavio au théâtre. […] Je vous dis qu’elle mit au monde un petit roi sur un trône, avec le sceptre et la couronne, et si beau qu’il ne s’en pouvait voir de plus beau ! […] Et ni le sceptre, ni le trône, ni rien ne s’était mis en travers ?

2456. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre XIII. Conclusions » pp. 271-291

Il ne peut être question d’antinomies au sens absolu qu’à propos de thèses et d’antithèses métaphysiques, telles que celles que Kant a mises aux prises, vainement d’ailleurs, dans sa Critique de la raison pure et qui ne sont que des couples de notions contradictoires érigées en absolus, chacune de son côté, par la vertu d’un artifice dialectique. — Pris au sens relatif, le mot antinomie signifie que deux choses sont dans un rapport tel que le développement de l’une se fait aux dépens du développement de l’autre, que la pleine affirmation de l’une contrarie la pleine affirmation de l’autre, que l’une tend à détruire ou du moins à amoindrir et à affaiblir l’autre. […] Il représente une pure attitude d’abstention sociale ou de révolte antisociale, une mise en théorie de la désobéissance et de l’insoumission, un mépris philosophique des conventions sociales, de la morale, du droit, du pacte social tout entier. […] « Je mettais entre les excès toutes les promesses par lesquelles on retranche quelque chose de sa liberté.

2457. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XXI. Dernier voyage de Jésus à Jérusalem. »

Va en Judée, pour qu’on voie ce que tu sais faire. » Jésus, se défiant de quelque trahison, refusa d’abord ; puis, quand la caravane des pèlerins fut partie, il se mit en route de son côté, à l’insu de tous et presque seul 942. […] Ils composent des charges pesantes, impossibles à porter, et ils les mettent sur les épaules des autres ; quant à eux, ils ne voudraient pas les remuer du bout du doigt. […] Néanmoins, il est de tradition évangélique primitive, comme le prouvent les particularités singulières des versets 6, 8, qui ne sont pas dans le goût de Luc et des compilateurs de seconde main, lesquels ne mettent rien qui ne s’explique de soi-même.

2458. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Bain — Chapitre IV : La Volonté »

Un laboureur, le matin, se prépare à labourer un champ : c’est là sa volonté, et dans cette volition il y a une certaine conscience ; mais ce n’est point cette conscience qui, en elle-même, le met en état de labourer. […] C’est, à ma connaissance, le répertoire le plus complet qui existe de psychologie exacte, positive, mise au courant des récentes découvertes : il n’y a rien chez nous qui en approche. […] I, p. 301), a mis en ordre la grande masse des faits découverts par les anatomistes et physiologistes dans ces cinquante dernières années.

2459. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XV, l’Orestie. — les Choéphores. »

C’est Clytemnestre qui les envoie avec Électre, porter au tombeau d’Agamemnon des présents funèbres, n’osant affronter elle-même la présence de l’Ombre que son approche mettrait en fureur. […] Et parfois tu rejetais le vin et les mets dont tu étais rassasié, sur ma poitrine et sur ma tunique, comme font les petits enfants. » D’autres exemples ne seraient pas rares : tel passage, dans les grands poèmes, fait dire au lecteur ce que disaient les disciples devant le sépulcre ouvert de Lazare : « Maître, il sent. » Domine, jam fœtet. […] Le parricide se consomme, et ici encore le talion répète la mise en scène du premier crime.

2460. (1864) William Shakespeare « Deuxième partie — Livre IV. Critique »

Shakespeare, fidèle à l’esprit de son temps, devait ajouter Laërtes vengeant son père à Hamlet vengeant son père, et faire poursuivre Hamlet par Laërtes en même temps que Claudius par Hamlet ; il devait faire commenter la piété filiale de Cordelia par la piété filiale d’Edgar, et, sous le poids de l’ingratitude des enfants dénaturés, mettre en regard deux pères misérables, ayant perdu chacun une des deux espèces de la lumière, Lear fou et Glocester aveugle. […] Sous le nom de Tanaquil, elle est la femme de Tarquin l’Ancien et elle file pour Servius Tullius adolescent la première tunique qu’ait mise un jeune romain en quittant la robe prétexte ; Obéron, qui se trouve être Numa, est son oncle. […] Mets-la à l’école de l’honnête.

2461. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « De Stendhal »

Il a pris un morceau de la lave de ce volcan du xviiie  siècle, qui a couvert le monde de ses scories, et il a mis malheureusement dans cette lave impure la mordante empreinte d’un talent profond. […] On s’imagine que dans cette vie journalière, facile, dénouée, dont cette correspondance est l’histoire, il avait mis son masque sur la table et dit bravement à ses amis, pendant que le monde avait le dos tourné : « Tenez ! […] L’Opinion en toutes choses, Stendhal, qui n’avait pas cent mille livres de rente pour se mettre sans danger au-dessus d’elle, l’a courageusement méprisée ou combattue, souvent à tort, parfois avec raison, mais toujours sans en avoir peur.

2462. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Stendhal » pp. 43-59

Il a pris un morceau de la lave de ce volcan du xviiie  siècle, qui a couvert le monde de ses scories, et il a mis malheureusement dans cette lave impure la mordante empreinte d’un talent profond. […] On s’imagina que, dans cette vie journalière, facile, dénouée, dont cette Correspondance est l’histoire, il avait mis son masque sur la table et dit bravement à ses amis, pendant que le monde avait le dos tourné : « Tenez, Maintenant, regardez-moi !  […] L’Opinion en toutes choses, Stendhal, qui n’avait pas cent mille livres de rentes pour se mettre sans danger au-dessus d’elle, l’a courageusement méprisée ou combattue, souvent à tort, parfois avec raison, mais toujours sans en avoir peur.

2463. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Chapitre II. La relativité complète »

D’autre part, comment mettre sur le même rang l’acte par lequel ces oscillations réelles, éléments d’une qualité et participant à ce qu’il y a d’absolu dans la qualité, se propagent à travers l’espace, et le déplacement tout relatif, nécessairement réciproque, de deux systèmes S et S′ découpés plus ou moins artificiellement dans la matière ? […] Mais quand le physicien met en mouvement son système de référence, c’est qu’il en choisit provisoirement un autre, lequel devient alors immobile. Il est vrai que ce second système peut être mis en mouvement par la pensée à son tour, sans que la pensée élise nécessairement domicile dans un troisième.

2464. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXVII. Des éloges en Italie, en Espagne, en Angleterre, en Allemagne, en Russie. »

Là, le souverain, mis presque toujours en mouvement par la nation, ne fait qu’exécuter la volonté générale ; il pourrait être grand comme particulier, et peu influer comme prince84 ; peut-être même des qualités brillantes pourraient être suspectes à un peuple qui joint l’inquiétude à la liberté ; car il peut calculer les forces d’une puissance qu’il connaît, mais il ne peut calculer l’influence de l’activité et du génie. […] On aurait pu alors mettre sur son tombeau la même inscription qu’on a mise à Londres sur le tombeau de l’architecte (Wren) qui a bâti la célèbre église de Saint-Paul, et qui y est enterré.

2465. (1772) Discours sur le progrès des lettres en France pp. 2-190

Cette préférence, loin de lui nuire, lui servit beaucoup, par l’application que l’on mit à étudier les principes de l’une & de l’autre langue à la fois. […] La simplicité des mœurs, une dévotion peu éclairée, les objets de notre vénération mis en action sous les yeux, tout concouroit à porter dans l’ame la plus vive impression & le plus grand intérêt. […] Un changement si subit fut l’ouvrage de la protection du Prince ; mais la promptitude inexprimable avec laquelle il s’opéra, fut la suite de l’ardeur que l’on mit à étudier les Anciens. […] N’est-il pas aussi plaisant que ridicule, de les entendre, on ne dit pas se comparer modestement à Corneille, à Racine, à Molière, mais se mettre hardiment au-dessus d’eux ? […] mettons-les à l’abri de toute censure, & rendons-les dignes de voir le jour, sans le craindre.

2466. (1929) Dialogues critiques

Paul Mettons que cette façon de faire son chemin ne répond guère à la dignité et à l’intérêt des lettres. […] En attendant le moment favorable, il faut s’agiter, se mettre en avant et en vedette, rechercher les présidences décoratives… M.  […] Le voilà brouillé avec la protectrice et le protégé, rayé de la liste d’invitations, frappé d’ostracisme et mis au ban. […] Certains ont même refusé de lui mettre l’objet en main ! […] Paul Oui, mais comment mettre sur le même pied celles de deux sortes si différentes ?

2467. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre deuxième. La connaissance des corps — Chapitre premier. La perception extérieure et les idées dont se compose l’idée de corps » pp. 69-122

Que nous soyons endormis ou éveillés, le feu s’éteint et met fin à une possibilité particulière de chaleur et de lumière. […] Ceci met le sceau final à la conception par laquelle nous considérons les groupes de possibilités comme la réalité fondamentale dans la Nature. […] À l’aspect d’une fusée qui s’élance, comme à l’aspect d’un oiseau qui prend son vol, nous nous mettons involontairement à la place de l’objet ; nous répétons mentalement son essor ; nous l’imitons par notre attitude et nos gestes. […] Ce qui est indépendant et permanent lui semble seul digne d’attention, et désormais, pour peupler la scène de l’être, il met au premier rang cette Possibilité et les autres semblables. — Par contrecoup, il écarte ou laisse de côté comme peu importantes les sensations fugitives ; à force de les omettre, il oublie que les propriétés, les pouvoirs et les forces n’en sont qu’un extrait. […] Pour que l’analyse soit tout à fait exacte, il faut mettre, je crois : « Si un être quelconque, analogue à moi, était transporté sur les rives de l’Hooghly, il aurait, etc. » La possibilité permanente est absolument générale.

2468. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre VI. La poésie. Tennyson. »

Il y mettait trop d’ornement et de ciselures ; il avait l’air d’être épicurien en fait de style et aussi en fait de beauté. […] Il était comme ces musiciens qui mettent leur archet au service de tous les maîtres. […] Il leur a fait mettre leurs mains dans les siennes, jurer de respecter leur roi comme s’il était leur conscience, et leur conscience comme si elle était leur roi ; de ne point dire de calomnie et de n’en point écouter ; de passer leur douce vie dans la plus pure chasteté ; de n’aimer qu’une jeune fille, de s’attacher à elle ; de lui offrir pour culte des années de nobles actions. » Il y a une sorte de plaisir raffiné à manier un pareil monde ; car il n’y en a point où puissent naître de plus pures et de plus touchantes fleurs. […] D’un côté était l’Océan, de l’autre une grande eau ; et la lune était pleine1540. » Arthur, sentant qu’il va mourir, lui dit de prendre son épée Excalibur ; car il l’a reçue des fées de la mer, et il ne faut pas qu’après lui homme mortel mette la main sur elle. […] Le poëte favori d’une nation, ce semble, est celui qu’un homme du monde, partant pour un voyage, met le plus volontiers dans sa poche.

2469. (1805) Mélanges littéraires [posth.]

La raison en est toute simple : ou ils écrivent comme ils parleraient, persuadés qu’ils parlent comme on doit écrire ; et ils se permettent, en ce cas, une infinité de négligences et d’expressions impropres, qui échappent, malgré qu’on en ait, dans le discours : ou ils mettent, proportion gardée, le même soin à écrire qu’ils mettent à parler ; et, en ce cas, l’affectation dans leur style est, si l’on peut parler ainsi, proportionnelle à celle de leur langage, et par conséquent ridicule. […] Ce n’est point en général la brièveté qui fait qu’on est obscur, c’est le peu de choisi dans les idées, et le peu d’ordre qu’on met entre elles. […] Si une liste de rimes peut quelquefois faire naître une idée heureuse à un excellent poète, en revanche un poète médiocre ne n’en sert que pour mettre la raison et le bon sens à la torture. […] Cependant, malgré cette prononciation barbare et ce renversement de la mélodie et de la mesure, l’harmonie des vers latins nous plaît, parce que, d’un côté, nous ne pouvons détruire entièrement celle que le poète y a mise, et que, de l’autre, nous nous faisons une harmonie d’habitude. […] L’orateur romain compare le style de Thucydide, à qui il ne manque rien que l’harmonie, au bouclier de Minerve par Phidias, qu’on aurait mis en pièces.

2470. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Sénac de Meilhan. — II. (Fin.) » pp. 109-130

Quoique l’auteur ait dit dans une note que ce portrait est le seul qui s’applique réellement à une personne déterminée, je ne saurais croire que le portrait d’Ismène ou de la beauté sans prétention, à qui il n’a manqué pour être célèbre que de mettre enseigne de beauté ; que celui de Glycère, la femme à la mode, et qui « s’est fait jolie femme il y a vingt ans sans beauté, comme on se constitue homme d’esprit sans esprit, avec un peu d’art et beaucoup de hardiesse » ; — je ne puis croire que le portrait d’Herminie si entourée, si pressée d’adorateurs, si habile à les tenir l’un par l’autre en échec, et qui n’aime mystérieusement qu’un seul homme sans esprit, sans figure, qui n’est plus jeune, qui se porte très bien toutefois, et qui est… son mari ; — que le portrait d’Elvire, la femme de cinquante ans, qui s’avise soudainement d’un moyen de se rajeunir en s’attachant à un homme de soixante-quinze ; — que tous ces portraits si nets et si distincts n’aient pas eu leur application dans le monde d’alors. […] Pendant que Salem, qui a été doué tout au rebours d’Aladin et qui est la perfection de l’homme actif et médiocre, fait son chemin méthodiquement et parvient aux plus hautes places du royaume, Aladin, à qui il arrive mainte mésaventure par imprudence, cède aux conseils de ses amis, et se met à voyager en compagnie du Kalender. […] Je ne le rapprocherai ni des Considérations de M. de Maistre, ni de l’Essai de Chateaubriand, mais je le mettrai à côté des écrits de Mallet du Pan à cette date. […] Je laisse perdre le temps, et ensuite je veux tout forcer : voilà la clef de ma conduite… Mon amour-propre est extrême ; mais dans les petits objets, dans la société, il n’est que sur la défensive, il ne demande qu’à n’être pas blessé, sans désir d’être flatté ; dans les grands, il ne me porterait qu’à la gloire la plus éclatante ; mais le dégoût suivrait de près, et le mépris de mon siècle ne me permettrait pas de mettre longtemps du prix à son approbation… Mon amour-propre s’irrite quelquefois dans le tourbillon du monde : il se tait dans la solitude… Je n’aime point à me montrer à mes amis sous un côté défavorable ; je souffre de les voir malheureux de mon malheur, et je suis convaincu que les sentiments diminuent par la perte des avantages… Il faut donc cacher ses plaies, dissimuler les grandes impuissances de la vie : la pauvreté, les infirmités, les malheurs, les mauvais succès… Il ne faut confier que les malheurs éclatants, qui flattent l’amour-propre de ceux qui les partagent et s’y associent.

2471. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Horace Vernet (suite.) »

Il est né voyageur tout autant que peintre, et, dès qu’il se met en route, il nage dans son élément. […] » — On n’est jamais plus à l’aise pour juger que quand on s’est mis à cheval sur un point de vue bien étroit. […] je ne vois que des maisons de bois et des espèces de grosses tourtes entourées plus ou moins de chandelles qu’on appelle mosquées et minarets, mais rien de ce pittoresque, rien de cette originalité de cette belle Syrie, rien de cette brutalité de l’homme qui donne du charme et fait ressortir les œuvres de la civilisation ; tout est rond, tout est mou, c’est le sérail de la pensée ; enfin je me sens énervé, et il ne faudrait pas longtemps pour que mes idées prissent du ventre comme tous les vilains Turcs que je rencontre dans les rues. » Et dans un mouvement lyrique relevé de jurons militaires, il se met tout d’un coup à les apostropher, à les traiter comme à une descente de barrière on traiterait des Turcs de mardi gras ; c’est tout un feu d’artifice d’injures qui se couronne par un bouquet en faveur des Arabes : « Chers Arabes, votre pou, votre puce (quoique souvent incommode), valent mieux que les parfums de vos indignes ennemis !  […] Un jour, à ce qu’on appelle un thé militaire, c’est-à-dire à une réunion de tous les officiers supérieurs dans un jardin où l’impératrice leur offrait un régal, l’empereur, après avoir pris la main d’Horace et la lui avoir tenue pendant un assez long temps, en lui parlant de ce qui venait de se passer pendant les manœuvres, s’était retourné et avait dit aux officiers : « Messieurs, Vernet fait partie de mon État-major, et je mets à l’ordre qu’il sera libre de faire tout ce que bon lui semblera dans le camp. » Prestige de notre gloire militaire qui se réfléchissait jusque sur son peintre !

2472. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. » p. 232

— D’un autre côté, plus je lis, plus je pénètre sous les voiles qui me cachaient nos grandes gloires, et moins ] j’ose écrire ; je suis frappée de crainte, comme un ver luisant mis au soleil. » Et cette autre lettre encore, qui semble résonner et bruire de tous les carillons de ces jolies villes flamandes à toutes les grandes et moyennes fêtes de l’année : « Le 1er novembre 1840. — Bruxelles. — 10 heures du soir. — Je vous écris, mes chères âmes, au milieu de toutes les cloches battantes de Bruxelles qui se répondent pour les Saints et pour les Morts. […] Bien des passages, et qui ne seraient pas les moins piquants pour la curiosité, dans les lettres de Mme Valmore à elle, ne sont pas à donner de quelque temps, à cause des noms propres et de l’entière confidence sur les personnes ; mais on en détacherait, dans les parties de sentiment, des notes ravissantes dont je mettrai quelques-unes ici, un peu pêle-mêle, et sans trop avoir égard à l’ordre des dates. […] Vers la fin, elle y mettait sans doute aussi de la réserve et se privait de les voir, sentant qu’elle vivait d’une tout autre vie. […] Elle était dans une vraie intimité avec Alexandre Dumas, qui mit, en 1838, une préface entraînante au recueil de Pleurs et Pauvres Fleurs, et de qui elle disait, en 1833, à son jeune fils Hippolyte, visité par lui au passage : « M. 

2473. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. J. J. AMPÈRE. » pp. 358-386

Ampère ne l’a pas toute détachée et mise à part dans son Hilda ; cette fleur respire avec discrétion et sentiment en d’aimables passages, comme, par exemple, en ces endroits si bien touchés des chastes mariages chrétiens, où les époux convertis n’étaient plus que frère et sœur. où l’épouse rougissante revenait à la virginité169. […] Les luttes du gnosticisme se passaient au sein du Père en quelque sorte et remettaient en question Jéhovah ; celles de l’arianisme, qui viennent ensuite, s’agitent entre le Père mis hors de cause et le Fils, et comme au sein du Fils. […] Suspect de jansénisme à bon droit, comme auteur du Nécrologe de Port-Royal (1723), dom Rivet ne put obtenir une place dans la communauté de Saint-Germain-des-Prés dont la bibliothèque lui eût été si nécessaire ; c’est au fond de l’abbaye de Saint-Vincent du Mans qu’il se mit à l’œuvre sans jamais s’interrompre. […] Daunou, pût y écrire son beau discours sur le xiiie  siècle, il a fallu que la révolution française et le xviiie  siècle entier vinssent déposer leur définitive expérience au sein du plus prudent successeur de Voltaire, d’un écrivain consommé et sûr, qui s’est mis à introduire la philosophie d’un air de bénédictin et sous le couvert des faits.

2474. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE PONTIVY » pp. 492-514

Lorsqu’il vit chez Mme de Noyon cette jeune nièce, belle et naïve, redevenue ou restée un peu sauvage malgré l’éducation de Saint-Cyr, si entièrement occupée d’un mari qui l’avait mise en de cruels embarras, et apportant un dévouement vrai parmi tant d’agitations factices, il en fut touché d’abord, et demanda à la tante la permission d’offrir à Mme de Pontivy, avec ses hommages, le peu de services dont il serait capable. Il fut agréé et se mit à solliciter, pour elle, dans une affaire de plus en plus désespérée. […] Il s’approcha d’elle, et mit un genou en terre ; elle ne le voyait pas. […] Mais la passion de Mme de Pontivy avait souffert, et elle travaillait sur elle-même, pour la diminuer, disait-elle, et la mettre à ce niveau de raisonnable tendresse.

2475. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXVe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (6e partie) » pp. 129-176

Dompté et lié, il supplia Danton de lui mettre dans la main une boucle de la chevelure de Lucile, qu’il portait sous ses habits, afin de presser quelque chose d’elle en mourant. […] On eût dit qu’en s’éloignant de Paris, où roulaient les charretées de victimes, il voulait mettre de l’espace entre le remords et lui. […] Il prétend se mettre à la place de Dieu. […] Dieu a mis ce prix à la germination et à l’éclosion de ses desseins sur l’homme.

2476. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre II. La première génération des grands classiques — Chapitre II. Corneille »

Cette conception oratoire de l’âme romaine, Corneille s’en est emparé, sans la corriger, sans y mettre aucun élément historique nouveau, si bien que ses rivaux et disciples, Scudéry et Du Ryer, n’auront pas de peine à la saisir. […] Au mannequin glorieux construit par des générations de rhéteurs, il a mis le ressort qui l’anime : et du même coup il a fait de ce type romain un type humain. […] On n’a jamais assez remarqué ce qu’il y a mis de réalité familière. […] J’ai déjà dit que Corneille avait surtout l’imagination mécanique : il ne voit, et son style ne note que les forces qu’il met en action.

2477. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre VIII. L’antinomie économique » pp. 159-192

Par exemple une discussion entre protectionnistes et libre-échangistes ne sera généralement pas aussi passionnée, ne mettra pas en branle des sentiments aussi profonds ni aussi intimes que l’opposition d’un croyant et d’un athée, d’un partisan de la morale traditionnelle et d’un libertaire. […] De même les socialistes d’aujourd’hui mettent à part l’organisation économique d’un côté et de l’autre côté les croyances religieuses et morales, ces dernières considérées comme « choses privées ». […] Mais voici, dans l’ordre de la production, une question qui met aux prises l’individu en tant que tel et le groupe. […] Les inventions seront peut-être examinées et tarifées par la société avant d’être mises en circulation.

2478. (1902) L’œuvre de M. Paul Bourget et la manière de M. Anatole France

Non qu’il put s’agir de bilan — déjà La Duchesse bleue et Le Fantôme étaient annoncés, — mais précisément parce qu’il n’était question que d’une mise au point, on parut surpris de voir M. Bourget, que l’on voulait résigné à sa demi-disgrâce, mettre tant de hâte à en appeler. […] France d’avoir su mettre dans son œuvre autant de symétrie, et d’ordre que d’esthétique, après avoir observé que, si la propension au vrai qui tend à assimiler aux énergies actives les objets, les formes, les degrés et les idées, et à laquelle ceux-ci paraissent devoir d’être assujettis aux mille réfrangibilités modales de l’expression et de l’attitude, — les rend, à notre image, aptes à persuader, — comme nous aussi, au préalable, elle les condamne à ne recevoir d’éclat que de certains accidents, et même à ne parler que dans certains bonheurs d’harmonie. […] France, qui, à vrai dire, ne connaît ou ne veut connaître du scepticisme que sa forme apparente, ce brillant de la nuance négative qui met tout de suite à l’aise, parce qu’il plaide la cause de l’idée générale, contre les prétentions de l’idée personnelle, ou, du moins, parce qu’il a cet air-là, et que d’ailleurs, très certainement, il est altier, impossible à compromettre, à ternir, à humilier, et aristocratique, et encore et surtout spirituel.

2479. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre IV, Eschyle. »

On a dit aussi que le peuple, soulevé par un trait de la tragédie de Sisyphe, qui lui parut lancé contre un dieu, envahit la scène, et aurait mis Eschyle en pièces comme Orphée, s’il n’avait embrassé l’autel de Bacchus. […] Le géant se mit en mouvement : en trois pas, comme les dieux de l’Iliade, il parcourut cette scène élargie, l’agrandit sous lui. […] Mais cette mise en scène titanique, appliquée aux tragédies d’Eschyle, paraît leur mesure exacte, leur forme normale. […] La carrière que d’autres peuples mettent des âges à parcourir, sa jeune génération, partie de Salamine, la franchit d’un bond.

2480. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Rivarol. » pp. 62-84

Voltaire avait mis Rivarol au défi de réussir ; il lui avait dit en plaisantant qu’il ne traduirait jamais Dante en style soutenu, « ou qu’il changerait trois fois de peau avant de se tirer des pattes de ce diable-là ». […] À Paris, on n’en était pas dupe : « En vain les trompettes de la Renommée ont proclamé telle prose ou tels vers ; il y a toujours dans cette capitale, disait Rivarol, trente ou quarante têtes incorruptibles qui se taisent ; ce silence des gens de goût sert de conscience aux mauvais écrivains et les tourmente le reste de leur vie. » Mais, en province, on était dupe : « Il serait temps enfin, conseillait-il, que plus d’un journal changeât de maxime : il faudrait mettre dans la louange la sobriété que la nature observe dans la production des grands talents, et cesser de tendre des pièges à l’innocence des provinces. » C’est cette pensée de haute police qui fit que Rivarol, un matin, s’avisa de publier son Petit almanach de nos grands hommes pour l’année 1788, où tous les auteurs éphémères et imperceptibles sont rangés par ordre alphabétique, avec accompagnement d’un éloge ironique. […] Rivarol n’a été qu’un homme de transition ; mais, à ce titre, il a une grande valeur, et nous osons dire qu’il n’a pas encore été mis à sa place. […] Le Palais-Royal a été puni par où il avait péché ; il a été mis finalement en pénitence, et il est devenu moral.

2481. (1868) Curiosités esthétiques « VII. Quelques caricaturistes français » pp. 389-419

C’est un homme très-artificiel qui s’est mis à imiter les idées du temps. […] Il mit d’abord quelques croquis dans un petit journal créé par William Duckett ; puis Achille Ricourt, qui faisait alors le commerce des estampes, lui en acheta quelques autres. […] Le fait est qu’on y mettait un acharnement et un ensemble merveilleux, et avec quelque opiniâtreté que ripostât la justice, c’est aujourd’hui un sujet d’énorme étonnement , quand on feuillette ces bouffonnes archives, qu’une guerre si furieuse ait pu se continuer pendant des années. […] Il a mis le monde sens dessus dessous.

2482. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXVIII. Des obstacles qui avaient retardé l’éloquence parmi nous ; de sa renaissance, de sa marche et de ses progrès. »

On se mit à étudier les anciens. […] Trop au-dessous de ces grands intérêts, on voulait cependant les égaler ; on voulait mettre de petites choses modernes au niveau de ces grandes choses antiques qui nous étonnent par leur hauteur, et dont la distance augmente encore le respect qu’elles nous inspirent. […] L’un commande à ses égaux par la parole, et fier de sa grandeur, qu’il fait lui-même, court se mettre à la place que lui assignent ses talents ; l’autre, toujours resserré, toujours repoussé par les rangs qui l’environnent et le pressent, porte souvent le poids d’une grande âme déplacée. […] L’imagination a levé le plan de la nature ; la poésie l’offre en relief, ou le met en couleurs.

2483. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Appendice. — Post-scriptum sur Alfred de Vigny. (Se rapporte à l’article précédent, pages 398-451.) »

Ratisbonne, dans une note qu’il ajoute de son chef, paraît tenir à me mettre en contradiction avec moi-même : il insinue qu’ayant aimé et admiré autrefois M. de Vigny, j’ai cessé de l’aimer. […] Cette légère réserve faite, je ne sais rien de mieux raconté. » M. le comte de Circourt enfin, cet homme de haute conscience et de forte littérature, dans une lettre qu’il m’écrivait le 24 avril 1864, reconnaissait la vérité du Portrait et s’exprimait en ces termes par lesquels je terminerai et qui me couvrent suffisamment : « Les grands côtés du talent de M. de Vigny sont mis par vous en relief d’une manière tout à la fois large et fine ; et malgré la sévérité de quelques-unes de vos appréciations, je n’ai rien à souhaiter de mieux pour la mémoire de M. de Vigny, si ce n’est que la postérité s’en tienne sur lui à votre jugement, ce que j’espère ; j’apprends que ses vrais (et par conséquent rares) amis sont tout à fait de ce sentiment. » 79.

2484. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « VICTORIN FABRE (Œuvres mises en ordre par M. J. Sabbatier. (Tome II, 1844.) » pp. 144-153

VICTORIN FABRE (Œuvres mises en ordre par M. […] Mais, plus docile et assez modeste en ce qui le concernait, il n’aurait supporté aucune objection à l’égard de Victorin ; il le mettait sans hésiter entre Montesquieu et Rousseau, si ce n’est au-dessus.

2485. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. Mignet : Histoire de la Révolution française, depuis 1789 jusqu’en 1814. 3e édition. »

  Nous avons déjà eu tant de fois occasion d’exposer le tableau de notre Révolution, et, en le faisant, nous avons avec tant de liberté mis à profit le livre et les idées de M.  […] Dès lors il s’est habitué à les saisir d’un coup d’œil rapide, non plus en eux-mêmes, mais par groupes de partis et comme par rangs de générations ; et ces partis, ces générations, il les a personnifiés en idée et s’est mis à observer leur marche comme il aurait suivi la conduite d’un seul homme.

2486. (1874) Premiers lundis. Tome I « Victor Hugo : Odes et ballades — I »

Oubliant que certaines images difformes, pour être tolérables en poésie, doivent y rester enveloppées du même vague dans lequel elles glissent sur notre âme, il s’est mis, de gaieté de cœur, et avec toutes les ressources du genre descriptif, à analyser les songes d’un cerveau malade ; et il a traîné la chauve-souris au grand jour pour mieux en détailler la laideur. […] L’auteur n’échappe jamais à ce défaut ; déjà dans la belle ode où il fait parler Louis XVII, il s’était mis à chaque instant à la place de son personnage.

2487. (1874) Premiers lundis. Tome I « Walter Scott : Vie de Napoléon Bonaparte — II »

« Des ânes », dit il avec un tour particulier d’atticisme que nous ne pensions pas de mise dans l’illustre Édimbourg, « des ânes, seules bêtes de somme qu’on puisse se procurer facilement en Égypte, servaient de monture  aux savants attachés à l’expédition, et portaient leurs  instruments scientifiques. […] Si, de l’anecdote des ânes, nous passons à la bataille des pyramides, nous reconnaîtrons mieux encore l’intention dénigrante et jalouse qui a dominé l’historien : « Bonaparte fit ses dispositions ; il étendit sa ligne vers la droite, de manière à la mettre hors de la portée du canon, et à n’avoir à soutenir que le choc de la  cavalerie.

2488. (1874) Premiers lundis. Tome II « La Revue encyclopédique. Publiée par MM. H. Carnot et P. Leroux »

Il semble que la chute définitive de l’ancien édifice, qu’on s’obstinait à restaurer, ait, à l’instant, mis à nu les fondements encore mal dessinés de la société future que les novateurs construisaient dans l’ombre. […] Une mise en présence aussi tranchée de deux intérêts différents, de deux portions de la société aussi inégales, de ceux qui ont et de ceux qui n’ont pas, ne nous paraît avoir aucun inconvénient dans une analyse philosophique, et peut même être commode pour manier, pour dégager certaines vérités sociales et les exprimer plus en saillie ; mais il n’en serait pas ainsi, suivant nous, dans la pratique.

2489. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre VII. De la littérature latine, depuis la mort d’Auguste jusqu’au règne des Antonins » pp. 176-187

Une des causes de la destruction des empires dans l’antiquité, c’est l’ignorance de plusieurs découvertes importantes dans les sciences ; ces découvertes ont mis plus d’égalité entre les nations, comme entre les hommes. […] L’esclavage qui mettait une classe d’hommes hors des devoirs de la morale, le petit nombre des moyens qui pouvaient servir à l’instruction générale, la diversité des sectes philosophiques qui jetait dans les esprits de l’incertitude sur le juste et l’injuste, l’indifférence pour la mort, indifférence qui commence par le courage et finit par tarir les sources naturelles de la sympathie ; tels étaient les divers principes de la cruauté sauvage qui a existé parmi les Romains.

2490. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Paul Bourget, Études et portraits. »

Je vois que c’est le peuple le plus rapace et le plus égoïste du monde ; celui où le partage des biens est le plus effroyablement inégal, et dont l’état social est le plus éloigné de l’esprit de l’Évangile, de cet Évangile qu’il professe si haut ; celui chez qui l’abîme est le plus profond entre la foi et les actes ; le peuple protestant par excellence, c’est-à-dire le plus entêté de ce mensonge de mettre de la raison dans les choses qui n’en comportent pas… Nous sommes, certes, un peuple bien malade ; mais, tout compte fait, nous avons infiniment moins d’hypocrisie dans notre catholicisme ou dans notre incroyance, dans nos mœurs, dans nos institutions, même dans notre cabotinage ou dans nos folies révolutionnaires. […] Le Français qui met le pied dans Londres sent, peser sur lui le mépris de tout ce peuple.

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