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443. (1927) Des romantiques à nous

Vue métaphysique qui ne saurait aller, nous en convenons, sans une certaine émotion du cœur. […] Ce rapprochement de vues successives jette des lumières sur le développement du romantisme lui-même à travers le XIXe siècle. […] De son balcon s’offrait sur Paris une vue superbe ayant pour premier plan les verdures et les architectures du Luxembourg. […] Familier avec les tourments d’un grand créateur qu’effraye et qu’exalte tour à tour la vue des terres vierges que son impérieux génie le presse de conquérir, il n’en avait pas moins la vue la plus sage et la plus positive de la vie. […] Par suite, leurs vues, leur intelligence, sans étendue et sans envol. 

444. (1907) L’évolution créatrice « Chapitre III. De la signification de la vie. L’ordre de la nature et la forme de l’intelligence. »

On se la donne et on s’en sert, comme on se sert de la vue pour embrasser l’horizon. […] A première vue, il peut paraître prudent d’abandonner à la science positive la considération des faits. […] Dans une pareille hypothèse, l’atome ou plus généralement le point matériel devient une simple vue de l’esprit, celle où l’on arrive en continuant assez loin le travail (tout relatif à notre faculté d’agir) par lequel nous subdivisons la matière en corps. […] Que si nous prétendons, malgré tout, l’introduire en philosophie, infailliblement nous perdrons de vue sa signification vraie. […] Mais choses et états ne sont que des vues prises par notre esprit sur le devenir.

445. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre quatrième. Les conditions physiques des événements moraux — Chapitre premier. Les fonctions des centres nerveux » pp. 239-315

Pour celles de la vue, ce sont les tubercules quadrijumeaux ou bijumeaux122. […] La vue n’est donc pas abolie ; il y a là un phénomène tout à fait analogue à celui que nous ayons constaté chez le rat privé de ses lobes cérébraux, lorsque nous déterminions un sursaut brusque au moyen de certains bruits produits d’une façon soudaine. […] Mais les vivisections et l’histoire des plaies de la tête apportent ici un nouveau document qui, joint aux précédents, nous permet de jeter sur les fonctions du cerveau une vue d’ensemble. […] Au plus haut degré, dans les lobes, cette action totale, une seconde fois transmise, est répétée indéfiniment par la série des éléments cérébraux mutuellement excitables, et provoque alors ces sensations consécutives et réviviscentes que nous nommons les images. — On conçoit ainsi, pour l’action des centres nerveux comme pour les événements moraux, trois étages de transmission et d’élaboration successives, et l’on peut alors embrasser par une vue d’ensemble la dépendance réciproque et le développement des deux courants. […] Primitivement, une cellule n’est qu’un magasin de force, et tout son emploi consiste à multiplier une impulsion qu’elle transmet à un nerf moteur ; ultérieurement, à mesure que l’animal s’élève dans la série et que les sens deviennent spéciaux, la cellule perfectionnée s’acquitte par surcroît d’un autre office ; selon qu’elle sert à l’audition, à la vue, au goût, à l’odorat, elle traduit une forme particulière d’ébranlement extérieur, des vibrations de l’air, des ondulations de l’éther, des systèmes de déplacements atomiques ; or, pour cela, il faut qu’elle soit construite de manière à exécuter tel type de danse, et non tel autre.

446. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE CHARRIÈRE » pp. 411-457

La femme du meilleur air que j’aie encore vue, la plus polie, la mieux mise, a donné un nombre infini de pères à ses enfants ; elle a une fille qui ressemble à mylord…, et qui est belle. […] Il ne doit point y avoir entre ces gens-là la même hauteur ni la même triste humilité que j’ai vue ailleurs. […] Un vieux tilleul ôte à mes fenêtres une assez belle vue : j’ai souhaité qu’on le coupât ; mais quand je l’ai vu de près, j’ai trouvé moi-même que ce serait grand dommage. […] Les conversations que nous eûmes ces jours passés sur Kant, sur sa doctrine du devoir, m’ont rappelé trois femmes que j’ai vues. — Où ? […] Ce doux jardin du pays de Vaud et la vue de ces pentes heureuses ne l’avaient qu’à demi consolée ; l’anneau mystérieux du bonheur était dès longtemps enseveli pour elle dans l’abîme des lacs tranquilles.

447. (1864) Cours familier de littérature. XVII « CIIe entretien. Lettre à M. Sainte-Beuve (2e partie) » pp. 409-488

XIII Nous nous perdîmes de vue pendant près de quinze ans après la publication de Volupté. […] Nourris et corrompus dans les guerres civiles, ambitieux, exacteurs, intéressés, sans scrupules, n’ayant en vue qu’eux-mêmes, ils avaient bien des vices. […] de renouveler une douleur qu’il faudrait taire…, de repasser sur toutes les misères que j’ai vues, et dont je suis moi-même une part vivante ! […] Sur ce conseil ou cet ordre amical donné par Mécène à Virgile, et dont lui seul pouvait dignement embrasser et conduire le difficile labeur, l’un des hommes qui savaient le mieux la chose romaine, Gibbon, a eu une vue très ingénieuse, une vue élevée : selon lui, Mécène aurait eu l’idée, par ce grand poème rural, tout à fait dans le goût des Romains, de donner aux vétérans, mis en possession des terres (ce qui était une habitude depuis Sylla), le goût de leur nouvelle condition et de l’agriculture. […] « C’est ce sérieux, ce tour de réflexion noble et tendre, ce principe d’élévation dans la douceur et jusque dans les faiblesses, qui est le fond de la nature de Virgile, et qu’on ne doit jamais perdre de vue à son sujet. » XVI La reconnaissance pour Auguste, à qui il doit la restitution de son petit bien aux bords du Mincio, s’exprime bientôt après en vers magnifiques dans le commencement du livre III de son second ouvrage, les Géorgiques.

448. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre quatrième. Éléments sensitifs et appétitifs des opérations intellectuelles — Chapitre deuxième. Les opérations intellectuelles. — Leur rapport à l’appétition et à la motion. »

Et nous croyons, enfin, que c’est le même processus qui s’aperçoit intérieurement, directement, comme volonté de connaître telle chose, et extérieurement, par son contre-coup sur les sens du tact et de la vue, comme mouvement cérébral d’innervation aboutissant à des mouvements musculaires100. […] La deuxième loi de l’attention est que le courant nerveux, plus intense dans une direction déterminée, rend les nerfs plus sensibles à des impressions faibles : l’ouïe, la vue, l’odorat, le goût gagnent en finesse et distinguent des différences qui, sans cela, n’auraient pas été distinctes ; c’est là une loi bien connue. […] Faites croire à des personnes qu’il y a dans un jeu de cartes une carte magnétisée qui leur donnera des sensations électriques, la plupart croiront sentir des frissons, des secousses dans la main, des éblouissements dans la vue. […] Chaque sensation de la vue vient d’elle-même se ranger dans sa classe, elle éveille immédiatement le souvenir des sensations visuelles semblables, parce que l’excitation cérébrale s’irradie dans le centre visuel tout entier. […] Quand je reverrai un feu semblable au premier, la vue de ce feu, renforçant le simple souvenir, me fera retirer ma jambe tout comme si j’avais éprouvé la brûlure.

449. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « Remarques finales. Mécanique et mystique »

Elle exprime simplement le fait qu’une tendance est la poussée d’une multiplicité indistincte, laquelle n’est d’ailleurs indistincte, et n’est multiplicité, que si on la considère rétrospectivement, quand des vues diverses prises après coup sur son indivision passée la composent avec des éléments qui ont été en réalité créés par son développement. […] La vérité est que réflexe et volontaire matérialisent deux vues possibles sur une activité primordiale, indivisible, qui n’était ni l’un ni l’autre, mais qui devient rétroactivement, par eux, les deux à la fois. […] La vérité est qu’une tendance sur laquelle deux vues différentes sont possibles ne peut fournir son maximum, en quantité et en qualité, que si elle matérialise ces deux possibilités en réalités mouvantes, dont chacune se jette en avant et accapare la place, tandis que l’autre la guette sans cesse pour savoir si son tour est venu. […] Il est permis de présumer qu’elles correspondent à deux vues opposées prises sur une tendance primordiale, laquelle aurait trouvé ainsi moyen de tirer d’elle-même, en quantité et en qualité, tout ce qu’elle pouvait et même plus qu’elle n’avait, s’engageant sur les deux voies tour à tour, se replaçant dans l’une des directions avec tout ce qui avait été ramassé le long de l’autre. […] Nous avons montré ci-dessus comment un sens tel que la vue porte plus loin, parce que son instrument rend cette extension inévitable.

450. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Saint-Arnaud. Ses lettres publiées par sa famille, et autres lettres inédites » pp. 412-452

Le général se prend de goût et d’amitié pour ce lieutenant de grenadiers si vif, si spirituel et si amusant ; il le mettra plus tard à l’épreuve et en vue dans toute circonstance de guerre, et le traitera comme son élève préféré. […] Les conceptions générales, les grandes vues viendront après, s’il y a lieu ; mais le grade avant tout : c’est la première condition pour pouvoir montrer à tous ce qu’on est et ce qu’on vaut. […] C’est à cet homme éminent et solide, et qui grandit jusqu’à la fin, que Saint-Arnaud s’attacha avec affection, avec zèle, et qu’il dut d’être assez mis en vue pour être reconnu ensuite, et l’occasion échéant, le plus digne de le remplacer. […] Tout ce pays est décrit par Saint-Arnaud en quelques traits qui donnent bien la vue cavalière des lieux, de l’échiquier parcouru. […] Avec les Arabes, c’est à recommencer toujours : « Cette nation-là naît un fusil à la main et un cheval entre les jambes. » Au point où il est arrivé, Saint-Arnaud sent ses vues s’agrandir, et se multiplier les occasions d’agir comme il l’entend.

451. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre II. L’antinomie psychologique l’antinomie dans la vie intellectuelle » pp. 5-69

Si les vues de M.  […] Les vues de M.  […] À première vue, l’existence d’une vérité objective ne semble pas incompatible avec le pragmatisme. […] Le disciple continuait à penser autrement que son directeur spirituel (de par sa constitution même) ; mais il était entendu qu’il pensait absolument comme lui et qu’il subordonnait absolument ses vues à celles de son directeur. […] Il y a du vrai dans ces vues ; mais elles n’expriment qu’un côté des choses.

452. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « MME DESBORDES-VALMORE. » pp. 124-157

» Elle a une modique pension qu’elle touchait d’abord avec une sorte de pudeur ; elle s’en confesse et s’en humilie : « (26 octobre 1847)… Il y a deux jours enfin, j’ai reçu le trimestre qui me semblait autrefois si pénible à recevoir, par des fiertés longtemps invincibles, et que j’ai vu arriver depuis d’autres temps comme si le Ciel s’ouvrait sur notre infortune… « Ne nous laissons pas abattre pourtant, il faut moins pour se résigner à l’indigence quand on sent avec passion la vue du soleil, des arbres, de la douce lumière, et la croyance profonde de revoir les aimés que l’on pleure… « En ce moment, je n’obtiendrais pas vingt francs d’un volume : la musique, la politique, le commerce, l’effroyable misère et l’effroyable luxe absorbent tout… « Mon bon mari te demande de prier pour lui au nom des pontons d’Écosse. […] » Et qui a connu Mme Valmore en ces longues années d’épreuves, qui l’a visitée dans ces humbles et étroits logements où elle avait tant de peine à rassembler ses débris, qui l’y a vue polie, aisée, accueillante, hospitalière même, donnant à tout un air de propreté et d’art, cachant ses pleurs sous une grâce naturelle et y mêlant des éclairs de gaîté, brave et vaillante nature entre les plus délicates et les plus sensitives, qui l’a vue ainsi et qui lira ce qui précède se prendra encore plus à l’admirer. […] Pour moi, je ne l’ai jamais vue que déjà cendrée. […] En revenant, ma bonne sœur, je me suis vue entourée, presque ensevelie dans des fils de la Vierge.

453. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Edgar Allan Poe  »

À cette imagination minutieuse, qui conçoit avec le même détail des états d’âme directement perçus, et des scènes, des lieux, des suites de pensées imaginaires, — qui est constituée par conséquent plutôt par la vue nette de rapports vraisemblables et logiques, que par une acuité spéciale d’observations, — Poe associe la déduction des incidents, la notion des conséquences probables ou nécessaires que peut ou doit avoir toute donnée. […] Il paraît d’autre part évident au lecteur le moins expert que les plans de Poe ont été préparés avec préméditation en vue d’un effet final vers lequel convergent toutes les parties. […] Que l’on reparcoure encore la galerie de personnages du conteur, ces aines bizarres constituées de manies inconnues, de maladies mentales mal classées et jointes à une lucidité disparate, passionnées et froides, malades et rigide ; que l’on ajoute à ces marques d’originalité artistique une originalité scientifique incontestable, certaines propositions d’ Eurêka , des vues sur la métrique confirmées depuis par les travaux allemands, la vision latérale de l’œil établie il y a peu, la connaissance de l’action délétère de l’oxygène ; il semblera que dans aucune cervelle humaine n’ont jailli plus de visions, de groupes d’images et d’idées intégralement factices. […] En un ensemble d’œuvres, les plus étranges de notre siècle, nous avons noté un ensemble de caractères d’abord externes, puis intérieurs Ces caractères associés selon leur similitude, analysés selon leur signification, nous ont permis de conclure chez celui dont ils marquent les écrits, à certaines propriétés mentales, dont l’existence et les modifications réciproques expliquent pourquoi l’œuvre de Poe est telle que nous l’avons vue. […] Cet homme qui fut faible, nerveux, petit, irascible, rancunier, aimant, enfantin, inconstant et affolé, que la vie ballota, heurta, renversa et prostra sans cesse, qui semble s’y traîner en titubant, incertain et enragé, comme sous une rafale un ivrogne, posséda par un contraste, comble d’ironie, l’intelligence lucide, logique, rectiligne que nous avons admirée, l’aptitude aux bizarres combinaisons de la pensée, la vue de tout ce qui est horrible, avec la faculté de dominer ces imanations, d’en faire éclore des œuvres froides, parfaites, et neutres.

454. (1856) Cours familier de littérature. I « Digression » pp. 98-160

Il n’y a pas de langue humaine à la mesure de ces sensations produites par ces jeux de la toute-puissance divine : la masse d’un fleuve à qui son lit manque tout à coup ; la profondeur incommensurable de l’abîme qui l’engloutit ; la pulvérisation en écume par la seule résistance de l’air qu’il écrase en tombant ; la nappe transformée à vue en vapeurs qui se dispersent au vent de leur propre volatilisation, et qui fuient aux quatre coins du ciel comme une volée d’oiseaux gigantesques, ou qui se cramponnent aux flancs perpendiculaires de la montagne, comme des Titans précipités cherchant à se retenir aux corniches du firmament ; les transparences vertes ou azurées des langues d’eau que la rapidité, l’impulsion et le poids du fleuve arqué en pont sur l’abîme, au moment où elles rencontrent tout à coup le vide, semblent cristalliser ; la lumière du soleil levant qui les transperce, et qui s’y fond en mille éclaboussures avec tous les éblouissements du prisme ; le choc en bas, le bruit en haut, l’orage éternel, la transe sublime qui serre le cœur, et qui ne trouve pas même un cri pour répondre à ce foudroiement de l’esprit. […] VIII Et si l’on ajoute à ce spectacle de la cascade de Terni ce grand jour, cette sérénité d’un ciel d’Italie, ces teintes marbrées du rocher, cette atmosphère cristalline, cette douce tiédeur de l’air tournoyant, qui vous baigne voluptueusement de l’haleine des eaux, choses qui manquent toujours aux cascades des Alpes et même du Niagara ; si l’on considère qu’au lieu de se passer dans les gouffres ténébreux de précipices qui bornent la vue et qui l’attristent, la scène se passe en plein espace, en pleine lumière, en face d’un horizon sans bornes, d’un firmament limpide d’où le Créateur semble assister, derrière le cristal infini du ciel, à ce jeu des éléments en fureur, on n’aura plus seulement la sensation d’une catastrophe des eaux, mais celle d’une fête de la nature, à laquelle Dieu permet à l’homme d’assister en l’adorant. […] Je l’ai aimée jusqu’au tombeau sans jamais songer qu’elle était femme : je l’avais vue déesse à Terni ! […] Je me souviens de l’avoir vue un matin d’une nuit sans sommeil, pendant laquelle elle avait veillé à côté du berceau d’un enfant malade de la comtesse O’Donnel, sa sœur. […] Ceux d’entre eux qui l’ont vue comme moi dans ces derniers temps, étaient frappés du caractère solennel, majestueux et serein qu’avait contracté sa beauté plus mûre.

455. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Le marquis de Lassay, ou Un figurant du Grand Siècle. — II. (Fin.) » pp. 180-203

Élevée à Maubuisson, placée ensuite à l’Abbaye-aux-Bois où elle s’ennuyait, Mlle de Châteaubriant, dès ses premiers pas dans le monde de Chantilly, y sentit se développer des instincts de dissipation, de bel esprit et de coquetterie qui désolèrent Lassay avant même qu’il en fût victime : On est trop heureux, lui disait-il, de trouver une seule personne sur qui l’on puisse compter, et vous l’avez trouvée ; vous devez du moins en faire cas par la rareté ; il me semble pourtant que vos lettres commencent à être bien courtes, et qu’elles ressemblent à celles que vous m’écrivez quand vous êtes désaccoutumée de moi ; vous avez un défaut effroyable, c’est que, dès qu’on vous perd de vue, vous oubliez comme une épingle un pauvre homme qui tout le jour n’est occupé que de vous. […] Il semble y rêver pour la France dans un avenir idéal le gouvernement et le régime anglais, moins les passions et la corruption ; il se prononce contre les conquêtes et n’admet la guerre que dans les cas de nécessité ; il a, sur la milice provinciale, sur la liberté individuelle, sur le droit de paix et de guerre déféré aux assemblées, sur un ordre de chevalerie accordé au mérite seulement, et à la fois militaire et civil, sur l’unité du Code et celle des poids et mesures, sur le divorce, enfin sur toutes les branches de législation ou de police, toutes sortes de vues et d’aperçus qui, venus plus tard, seraient des hardiesses, et qui n’étaient encore alors que ce qu’on appelait les rêves d’un citoyen éclairé ; il est évident que M. de Lassay, s’il avait pu assister soixante ans plus tard à l’ouverture de l’Assemblée constituante, aurait été, au moins dans les premiers jours, de la minorité de la noblesse. […] La supériorité blesse trop pour aimer à passer sa vie avec des gens qui en ont beaucoup sur vous ; les vues d’intérêt et d’ambition cessent, et ce sont les seules raisons qui peuvent engager à vivre avec des personnes à la mauvaise humeur et aux fantaisies desquelles on est exposé à tous les moments, qui ont toujours raison quelque tort qu’ils aient, dont la haine est dangereuse, qui ne se soucient de vous qu’autant que vous pouvez contribuer à leur amusement, et qui croient que tout leur est dû et qu’ils ne doivent rien à personne. […] Les cabales de leurs petites cours et de leurs domestiques qui s’imaginent qu’on leur veut ôter des choses qui leur paraissent grandes, parce qu’elles le sont à leur égard, et dont cependant de certaines gens n’ont aucune envie ; les mauvais offices qu’ils tâchent à vous rendre dans cette vue ; l’insolence de leurs valets avec lesquels il ne faut jamais se commettre et dont il est bien plus sage de souffrir, tout devient insupportable ; on est même honteux de se trouver au milieu de choses si petites ; on veut jouir de l’indépendance et de la liberté dont le désir augmente en vieillissant, et qu’un honnête homme ne peut plus sacrifier avec honneur qu’au service de sa patrie : encore faut-il qu’elle ait besoin de lui.

456. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Charles-Victor de Bonstetten. Étude biographique et littéraire, par M. Aimé Steinlen. — III » pp. 455-479

Bonstetten y part de ce principe que « la poésie chez les anciens était si peu faite pour mentir qu’elle était au contraire comme une révélation de faits trop éloignés pour être aperçus par les yeux du vulgaire » ; elle les ressaisissait en vertu d’une double vue et avec un caractère plus intime de vérité. […] Par malheur, tous ces matériaux se perdirent : « Si j’avais soupçonné le succès du Voyage dans le Latium, disait-il, je les aurais faits tous les quatre. » Personne, en effet, n’était plus que lui capable de rompre la monotonie de semblables monographies par toutes sortes de vues et de diversions agréables. […] Le despote sut tirer parti des lumières d’un siècle nouveau, et comme il était lui-même une lumière, il épargna à ses subordonnés les fausses mesures et les vues étroites de la médiocrité, qui, en faisant le mal du temps présent, préparent encore des maux à la postérité. […] Bonstetten faisait atteler son unique cheval à son petit char genevois et s’en allait sur les coteaux du voisinage, en quête de vues nouvelles, de vieux amis, ou d’étrangers de bonne compagnie, fraîchement installés dans quelque villa.

457. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Appendice. Discours sur les prix de vertu »

Rien ne met d’accord les bons esprits et les bons cœurs comme l’idée et surtout la vue du bien, le bien en action. […] Manquerai-je en ce moment à la discrétion, n’obéirai-je pas plutôt au sentiment le plus impérieux de respectueuse déférence, si je dis que, parmi ceux de nos confrères qui chaque année se consacrent pendant plusieurs mois au dépouillement, à la vérification, à la comparaison des pièces, il en est un dont la vue plus qu’à demi usée ne se lasse pourtant jamais, ne se décourage pas et veut jusqu’au bout se rendre compte des moindres documents qui nous sont adressés ? […] Mais la somme nécessaire, indispensable, dont il est en peine, il la trouve enfin ; il la dépasse aussitôt, il fait faire dans le bâtiment les réparations et Appropriations convenables, en vue d’y établir un pensionnat, un orphelinat et un ouvroir pour les jeunes filles, trop exposées dans les fabriques horlogères et autres dont le pays est couvert. […] Ce spectacle même, à s’en donner un moment la vue, est consolant et beau : sur le trône la bonté dans sa magnanimité ou dans sa grâce ; sur les marches du trône et dans les plus hauts rangs de la société, intelligence, générosité, discernement et activité pour le bien, pour l’allégeance des misères ; à tous les degrés de l’échelle, des associations utiles et secourables : et malgré tout il y a des problèmes insolubles ou non résolus encore, des intérêts rivaux qui semblent ennemis, qui sont certainement contraires et qu’il n’est pas donné aux meilleures intentions, aux résolutions les plus louables, d’accommoder ni de trancher.

458. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Nouvelle correspondance inédite de M. de Tocqueville »

Si nous disions aux Américains qu’il n’y a pas cent personnes en France qui sachent au juste ce que c’est que le système pénitentiaire, et que le Gouvernement français est tellement innocent des grandes vues qu’on lui suppose, qu’à l’heure qu’il est il ignore probablement qu’il a des commissaires en Amérique, ils seraient bien étonnés sans doute. […] Ce chiffon de papier a pour moi un prix inestimable, mais pour moi seul qui ai pu sentir la valeur des demandes et des réponses. » L’idée de publier ces documents de première main, en les développant dans un simple récit, ne souriait nullement à son esprit plus compliqué et plus exigeant, qui aimait à avoir en vue plus d’un but à la fois : « Vouloir présenter un tableau complet de l’Union serait une entreprise absolument impraticable pour un homme qui n’a passé qu’un an dans cet immense pays. […] Ce tableau aurait eu une moindre portée, sans doute, et eût donné une moindre idée de son auteur que le savant ouvrage composé que nous possédons ; mais il n’eût pas été, je le crois, moins instructif ; il l’eût peut-être été davantage. — La première partie de l’ouvrage, pleine de réflexions applicables à notre société, et de vues réversibles sur notre Europe et notre France, réussit complètement et mérita son succès : l’auteur, en le continuant, poussa trop loin sa méthode et l’épuisa, ainsi que son sujet, dans la seconde partie qui parut quelques années après et qui ne répondit pas en intérêt à la première87. […] Royer s’était, en quelque sorte, refusée de bonne heure à lui-même par la hauteur et la difficulté de son goût ; mais, comme homme, Tocqueville était plus faible, moins décisif ; sa complexion physique le disait assez ; la nature, à première vue, ne l’avait pas destiné à une grande autorité actuelle et présente, à une prépondérance imposante dans les Assemblées ; il ne tranchait pas comme l’autre ; il ne se faisait pas écouter.

459. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. VINET. » pp. 1-32

1837 Un ami qui habite le voisinage des montagnes, et à qui je demandais si la vue n’en était pas monotone à la longue, me répondait : « Non, elles ne le sont pas : elles ont, à leur manière, la diversité continuelle de l’Océan, et sans parler des couleurs changeantes, des reflets selon les heures et les saisons, et à n’y voir que les contours et les lignes, elles sont inépuisables à contempler. […] Vue hors de France, et pourtant en pays français encore de langue et de littérature, cette littérature française est comme un ensemble de montagnes et de vallées, observées d’un dernier monticule isolé, circonscrit, lequel, en apparence coupé de la chaîne, y appartient toujours, et sert de parfait balcon pour la considérer avec nouveauté. […] Un autre Bernois du siècle passé, qui tenait au français par le pays de Vaud, avait fait, dans un poëme intitulé Vue d’Anet, ces vers dignes de Chaulieu : Quittons les bois et les montagnes ; Je vois couler la Broye6 à travers les roseaux ; Son onde, partagée en différents canaux, S’égare avec plaisir dans de vastes campagnes, Et forme dans la plaine un labyrinthe d’eaux. […] S’il fallait chercher quelque représentant de la poésie du pays de Vaud, de cette poésie que Rousseau a vue dans les lieux, et qu’il a contestée aux habitants ; que quelques-uns, que plusieurs nourrissent pourtant avec culte ; il faudrait se tourner à côté, vers cette jeunesse de Lausanne qui s’essaye encore, feuilleter ce recueil des Deux Voix dans lequel je puis désigner la pièce du Sapin, entre autres, comme franche impression des hautes cimes ; s’adresser à la conversation de quelques hommes, comme M. le pasteur Manuel, qui se sont plus dirigés à l’étude qu’à la production, et qui, pieux et modérés, savent et sentent, en face de leur lac et de leurs montagnes, toute vraie poésie depuis les chœurs de Sophocle jusqu’aux pages de Mme de Staël23.

460. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre IV. La fin de l’âge classique — Chapitre II. La Bruyère et Fénelon »

Il masque, au contraire, le manque de conclusion et de vues générales. […] En effet, comme il peint le moral par le physique, la description analytique fait place forcément à la vue synthétique des caractères : il recompose l’homme, et il le force à s’exprimer en vivant. […] Dans le Traité de l’existence de Dieu 459, dont la première partie est bien antérieure à la seconde, nous retrouvons cette fécondité de vues qui est un des caractères de Fénelon, et cette souplesse d’intelligence qui s’assimile toutes les connaissances. […] Toutes ces vues sont liées par un fort esprit de réaction contre Louis XIV, que Fénelon a vraiment haï : il ne lui pardonne pas, comme chrétien, les guerres, comme noble, l’abaissement de la noblesse, comme philosophe, la misère des peuples, comme Fénelon enfin, sa disgrâce.

461. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Francisque Sarcey »

Il se mit à raconter tranquillement, de son mieux, les pièces qu’il avait vues, à les juger le plus sérieusement du monde et à motiver avec soin ses jugements. […] Mais, en feuilletant cette encyclopédie du théâtre, j’ai été frappé de l’abondance des vues de détail et de l’unité de la méthode. […] Une vue misanthropique du monde ne fait point son affaire. […] Les plus exactes analyses de sentiments, les vues les plus profondes sur l’âme humaine, les peintures les plus fines ou les plus éclatantes du monde moral ou physique, ce qu’il y a de plus rare dans la littérature contemporaine soit pour le fond, soit pour la forme, c’est chez nos poètes, nos romanciers, nos critiques et nos philosophes qu’il faut le chercher.

462. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Madame de Pompadour. Mémoires de Mme Du Hausset, sa femme de chambre. (Collection Didot.) » pp. 486-511

Je trouvais là, écrit quelque part le président Hénault à Mme Du Deffand, une des plus jolies femmes que j’aie jamais vues ; c’est Mme d’Étiolles. […] Le duc de Richelieu, au contraire, était opposé à celle-ci : il avait un autre candidat en vue, une grande dame ; car il semblait que, pour devenir maîtresse du roi, la condition première fût d’être dame de qualité, et l’avènement de Mme Le Normant d’Étiolles, de Mme Poisson, comme maîtresse en titre du roi, fit toute une révolution dans les mœurs de la Cour. […] Mon impression pourtant, celle qui résulte aujourd’hui d’une simple vue à cette distance, c’est que les choses pouvaient tourner plus mal, et que Mme de Pompadour, aidée de M. de Choiseul, moyennant la conclusion du Pacte de famille, recouvrit encore de quelque prestige ses propres fautes et l’humiliation de la monarchie et de la France. […] La race des maîtresses de roi peut donc être dite sinon finie, du moins très interrompue, et Mme de Pompadour reste à nos yeux la dernière en vue dans notre histoire et la plus brillante42.

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