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262. (1903) Hommes et idées du XIXe siècle

Joseph Bonaparte fut le trait d’union entre les deux adversaires. […] Non seulement, dans ce théâtre, l’antithèse oppose un personnage à un autre, mais dans un même personnage elle oppose les sentiments à la condition et un trait de caractère à un autre trait de caractère. […] Nous ramenons à quelques grandes lignes les traits de sa physionomie intellectuelle. […] Or, la probité de l’esprit est chez Taine un trait de caractère ; c’est même, s’il faut en croire M.  […] C’est un trait à retenir, sans que nous songions d’ailleurs à en exagérer l’importance.

263. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Don Carlos et Philippe II par M. Gachard Don Carlos et Philippe II par M. Charles de Mouy »

L’empereur chercha à lui faire comprendre alors que, s’il y avait un pareil nombre de ses pages qui eussent cherché à s’emparer de lui, il lui aurait bien fallu prendre la fuite : il répliqua tout en colère, au milieu des éclats d’admiration et de rire de l’empereur et des personnes qui étaient présentes, que lui jamais ne se serait enfui. » Je doute que ce trait d’obstination d’un Charles le Téméraire en herbe ait causé autant d’admiration à l’empereur qu’on le dit. […] A ce qu’on dit, il a le teint blanc et les traits réguliers, mais il est d’une pâleur excessive. […] Il est assez bien de figure et ses traits ne sont pas désagréables. […] En égard à son âge de dix-sept ans75, il s’entend très-bien aux choses du monde, et quoique les Espagnols, qui ont coutume d’exagérer leurs faits et de s’émerveiller de tout, exaltent quelques questions qu’il adresse indistinctement à tous ceux qui l’approchent, d’autres, avec plus de fondement peut-être, tirent de l’inopportunité de ces questions un argument peu favorable a son intelligence. » Voilà la triste vérité que notre bon compagnon et compatriote Brantôme vient confirmer et relever de sa manière gaillarde et piquante, ne fut-ce que par ce seul petit trait : « Moi, étant en Espagne, il me fut fait un conte de lui, que son cordonnier lui ayant fait une paire de bottes très mal faites, il les fit mettre en petites pièces et fricasser comme tripes de bœuf, et les lui fit manger toutes devant lui, en sa chambre, de cette façon. » Quand un prince de dix-neuf ans en est là, il me semble qu’il est jugé à jamais et que son avenir est écrit plus clairement que dans les astres. […] Ce portrait, qui se compose tout entier de mots et de traits originaux rapportés, me donne au plus haut degré le sentiment de la vérité et de l’équité historique, et ceux qui ont une fois goûté à ce genre sobre et sain sont guéris à jamais du clinquant, du flambant, du faux enthousiaste, du faux pittoresque, du faux lyrique.

264. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Madame Roland, ses lettres à Buzot. Ses Mémoires. »

Ce n’est point pourtant dans les Mémoires de Mme Roland que je trouverais précisément ce rapport de ressemblance entre l’art et la littérature ; ils sont trop courants, trop naturels, trop vivants ; si l’on excepte deux ou trois traits, elle s’y montre plus fille de Jean-Jacques encore que des vieux Romains. […] un trait contre l’habitant des palais ! […] On force les traits : de là une monotonie fastueuse, un crescendo d’éloges qui finit par impatienter bien des esprits sensés et délicats ¡ ils s’irritent alors et s’insurgent contre ce qui leur paraît une déclamation. […] » De son côté, Riouffe, qui était présent également, a dit en quelques traits rapides, mais heureusement touchés : « Le jour où elle fut condamnée, elle s’était habillée en blanc et avec soin : ses longs cheveux noirs tombaient épars jusqu’à sa ceinture… Elle avait choisi cet habit comme symbole de la pureté de son âme. […] Après le trouble que venaient de jeter les documents nouveaux dans l’idée qu’on se faisait d’elle, il était nécessaire de repasser sur les traits de son caractère et de dresser de nouveau son image.

265. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [V] »

Capefigue à l’occasion de certains passages de son Histoire d’Europe sous l’Empire, Jomini a résumé en termes élégants et dignes la substance des précédents opuscules (février 1841) ; mais les curieux et ceux qui aiment les traits pris sur le vif ne sont point dispensés de les lire. […] Son extérieur était noble, gracieux et imposant : la vivacité de sa conception me parut grande ; il saisissait d’un trait les plus graves questions. […] La Bruyère même eût été embarrassé de le définir exactement… (Et plus loin, après les entretiens d’Erfurt) : Je crus avoir jeté de la poudre aux yeux de mon rival de gloire et de puissance ; la suite me prouva qu’il avait été aussi fin que moi. » Napoléon, obligé de juger lui-même sa campagne de 1812 et de se condamner, se souvient à propos d’un beau mot de Montesquieu : « Les grandes entreprises lointaines périssent par la grandeur même des préparatifs qu’on fait pour en assurer la réussite. » Un trait fort juste sur Napoléon et qu’ont trop oublié ses détracteurs aussi bien que ses panégyristes, c’est que cette volonté de fer était souvent bien mobile comme celle de tous les joueurs passionnés, et qu’elle remettait souvent ses résolutions ultérieures les plus graves aux chances les plus fortuites. […]  » Jomini a glissé ce trait essentiel de caractère dans une note au bas d’une page. […] Étudier sans doute en elle-même une physionomie militaire distinguée et singulière en son genre, un personnage plus cité que connu ; traverser avec lui la grande époque, la traverser au cœur par une ligne directe, rapide et brisée, par un tracé imprévu et fécond en perspectives ; recueillir chemin faisant des traits de lumière sur quelques-uns des grands faits d’armes et des événements historiques auxquels il avait pris part ou assisté.

266. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. DE BARANTE. » pp. 31-61

Il eut ce que Mme de Staël a qualifié heureusement une réserve animée, de la discrétion dans le trait, une justesse prompte, quelque chose de ce que Mlle de Meulan, de son côté, marquait également. […] Pas un trait n’altérait la simplicité touchante, qui seule convenait au témoignage des grandes choses et des hautes infortunes dans la bouche de la noble veuve de Lescure. […] Rien alors ne se fait sans eux, et les plus grands coups, ce sont souvent eux qui les donnent19. » Quoi qu’il en soit des vues nouvelles que ce coin de la question, tardivement démasqué, ne peut manquer d’introduire dans l’histoire finissante de la maison de Bourgogne, l’effet des beaux récits de Jean de Muller et de M. de Barante subsiste ; l’impression populaire d’alors y revit en traits magnifiques et solennels que le plus ou le moins de connaissance diplomatique ne saurait détruire. […] Sa critique diffère essentiellement de celle de Chénier, dans la même forme concise du tableau, en ce que Chénier résume d’un trait le caractère littéraire d’un talent, et que M. de Barante résume d’un mot l’idée de ce talent. […] Arrivé d’hier de Versailles, tout plein des habitudes du bel air, il mettait au service de la cause, les jours de combat, la plus brillante valeur, après quoi il ne se souciait guère de rien de sage ; et, pour ne citer qu’un trait qui le peint, un jour, après ce fatal passage de la Loire, qu’il avait surtout conseillé pour se rapprocher de ses vassaux, ayant trouvé au château de Laval une ancienne bannière de famille, une bannière des La Trémouille, bleu et or, il imagina de la faire porter devant lui.

267. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « La jeunesse du grand Condé d’après M. le duc d’Aumale »

Encore leurs figures pourraient-elles être intéressantes malgré l’insignifiance du rôle qu’ils ont joué, si l’auteur pouvait marquer leurs traits avec une liberté entière. […] Mais peu ou point de traits originaux et significatifs. […] Ici, écoutez le narrateur : … Du point où le duc d’Anguien avait fait halte pour rallier derrière la ligne espagnole ses escadrons victorieux, il ne pouvait saisir les détails de ce tableau ; mais la direction de la fumée, la plaine couverte de fuyards, la marche de la cavalerie d’Alsace, l’attitude de l’infanterie ennemie, tout lui montrait, en traits terribles, la défaite d’une grande partie de son armée. […] Robuste, infatigable, usant force chevaux, très habile à manier ses armes, mais payant peu de mine, petit, replet, le visage osseux et presque carré, ses traits, son regard, annonçaient l’audace et la résolution plutôt que la supériorité de la pensée. […] J’avoue que je lui ai fait çà et là un procès de tendance ; mais j’ai si grand’peur qu’il ne cède à la tentation d’embellir ou d’adoucir les traits du caractère de son héros !

268. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Huet, évêque d’Avranches, par M. Christian Bartholmèss. (1850.) » pp. 163-186

Dans un portrait de Huet, écrit par Mme l’abbesse de Caen, je rencontre le même trait qui est attribué à notre savant et qu’il dut tenir de sa mère : « Vous trouvez fort bien, lui dit-on, le ridicule des choses, et en cela seulement vous avez assez l’esprit de votre pays. » Le père de Huet avait été calviniste, mais s’était converti avec sincérité et même avec zèle. […] La grandeur de vos traits et de votre visage fait que vous avez quelque chose de ces médailles qui représentent les hommes illustres (vous vous doutez bien que j’entends plutôt parler de ces grands philosophes que des conquérants). […] Suivent quelques autres traits que je relève comme tenant au ton de l’homme et au caractère : Vous avez l’âme bonne à l’égard de Dieu, et vous êtes pieux sans être fort dévot. […] Nous touchons ici à l’un des traits essentiels du caractère de Huet, et qui explique toute sa nature, nature forte, persistante et puissante, bien que trop indifférente et impassible. […] Je n’ai pu que l’effleurer en passant, mais j’ai tâché de ne hasarder aucun trait qui ne fut exact et vrai sur un personnage si considérable en son temps et de loin si original.

269. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Chansons de Béranger. (Édition nouvelle.) » pp. 286-308

Dans La Bonne Vieille, le troisième couplet est d’un geste bien déclamatoire encore et bien académique : D’un trait méchant se montra-t-il capable ? […] S’il avait dit aussi bien d’un trait malin, il aurait fallu répondre : Toujours. […] Il n’excelle que là où il faut surtout de l’esprit : ailleurs, là où il faudrait de l’élévation continue, il a des élans, de l’effort, même des traits sublimes, mais aussi des entorses et des faux pas. […] Des quelques chansons composées et publiées par lui depuis février 1848, il n’y a rien à dire, sinon qu’elles n’offrent qu’un petit nombre de traits heureux, et qu’elles sont en général pénibles, rocailleuses et dures. […] C’est là un faible essentiel chez l’homme excellent dont nous parlons, un trait par lequel le Béranger véritable et réel diffère du Béranger de convention et de légende qui court les rues et qu’on voit sur les vignettes.

270. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Mme de Caylus et de ce qu’on appelle Urbanité. » pp. 56-77

Ce n’est pas sa vie que j’ai à raconter, et elle-même dans ses Souvenirs n’a parlé qu’à peine de ce qui a trait à elle. […] Cette plume légère touche tout à point ; elle prend dans chaque personne le trait dominant et saisit ce qu’il faut faire voir en chacun. […] Louis XIV est peint par des traits justes et nets qui le montrent sans exagération et avec tous ses avantages dans la vie habituelle : on y sent bien le roi digne de cette grande époque où l’on pensait et où l’on parlait si bien. […] L’impudence de Mme de Montespan qui s’enhardit à ses grossesses successives, la bassesse des Condés qui ambitionnent de s’allier au roi par toutes ses branches bâtardes, tous ces traits sont touchés hardiment et comme il sied à la petite-fille de d’Aubigné. […] Elle vécut peu et tristement ; elle avait, disait-on, un beau teint pour éclairer sa laideur. » Il faut être Hamilton ou femme pour trouver de ces traits-là.

271. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Biographie de Camille Desmoulins, par M. Éd. Fleury. (1850.) » pp. 98-122

C’est un des traits de sa manière. […] Ces traits, semés dans mon Journal, sont comme des espèces d’estampes dont j’enrichis ma feuille périodique. […] Ce dernier trait est d’un écrivain, mais le reste est d’un boutefeu. […] Il avait dit : « L’Assemblée nationale a fait des fautes parce qu’elle est composée d’hommes… ; mais elle est la dernière ancre qui nous soutienne et nous empêche d’aller nous briser. » Il avait flétri, sans nommer personne, mais en traits énergiques et brûlants, ces faux amis du peuple qui, sous des titres fastueux et avec des démonstrations convulsives, captaient sa confiance pour le pousser ensuite à tout briser ; « gens pour qui toute loi est onéreuse, tout frein insupportable, tout gouvernement odieux ; gens pour qui l’honnêteté est de tous les jougs le plus pénible. […] À ces traits, Camille Desmoulins, le croirait-on ?

272. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « L’abbé de Choisy. » pp. 428-450

C’est là le trait le plus saillant, le plus original de cette vaine et futile nature, et qui trahit à quel point chez lui la coquetterie de femme était innée. […] M. de Lamennaisi, dans l’écrit intitulé Affaires de Rome, racontant le voyage qu’il y fit en 1832, a dépeint en quelques traits satiriques, et plus fins qu’on ne l’attendrait d’une plume si énergique, le caractère du cardinal de Rohan, qui s’y trouvait alors : Extrêmement frêle de complexion et d’une délicatesse féminine, dit M. de Lamennais, jamais il n’atteignit l’âge viril : la nature l’avait destiné à vieillir dans une longue enfance ; il en avait la faiblesse, les goûts, les petites vanités, l’innocence ; aussi les Romains l’avaient-ils surnommé il Bambino. Un homme tel que celui-là est toujours conduit par d’autres qui ne le valent pas… Tous ceux qui ont connu, ou même qui n’ont fait qu’entrevoir le cardinal de Rohan, savent à quel point ces quelques traits sont fidèles. […] à peine ai-je eu prouvé à cet étourdi l’existence de Dieu, que je l’ai vu tout prêt à croire au baptême des cloches. » Pourtant la conversion de l’abbé de Choisy nous offre quelques traits aimables et sincères, et on n’a qu’à les relever dans le Journal qu’il fit, et qu’il publia bientôt après, de son voyage à Siam. […] Mais c’est assez l’avoir fait connaître par ses traits principaux et par ses meilleurs côtés.

273. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Correspondance entre Mirabeau et le comte de La Marck (1789-1791), recueillie, mise en ordre et publiée par M. Ad. de Bacourt, ancien ambassadeur. » pp. 97-120

Les traits de sa figure étaient enlaidis par des marques de petite vérole. […] Je ne ferai que peu de remarques sur ce premier effet que Mirabeau produisit sur les convives, et qui nous est si visiblement rendu ; je ne me permettrai que d’expliquer et de commenter deux ou trois traits, ainsi que l’expression de ridicule qui échappe quelques lignes plus bas, et qui est appliquée à l’extérieur de Mirabeau. […] La statue grandiose, pour que chaque trait n’en paraisse pas trop gros et exagéré, a besoin d’être placée à sa perspective. […] Elles consistent en cinquante notes écrites par Mirabeau pour la Cour, et particulièrement pour la reine, pendant les dix derniers mois de la vie de Mirabeau (juin 1790-avril 1791) ; plus, quantité de lettres et billets qui ont trait aux mêmes sujets, et qui furent échangés soit entre Mirabeau et le comte de La Marck, soit entre l’un des deux et quelque autre correspondant intime. […] Et dessinant la situation en traits de feu, il ne craint pas de prononcer le mot d’échafaud et de montrer la chose fatale dans le lointain.

274. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Madame Necker. » pp. 240-263

Il ne sortait de temps en temps de ce silence que par quelque saillie piquante, par quelque trait malin ou gai, par où il notait au passage un travers ou un ridicule. […] Il y met parfaitement en lumière les deux traits essentiels qui se croisaient en elle et qui la caractérisent, la complication de l’esprit et la rectitude du cœur : Étrangère aux mœurs de Paris, Mme Necker n’avait aucun des agréments d’une jeune Française. […] Peignant le bonheur de deux époux fidèles, et celui du père en particulier qui, se revoyant tout vivant dans les traits de ses enfants, y lit la pudicité de son épouse, la vérité de son émotion la fait arriver à l’expression parfaite et au coloris : Quelquefois même, un époux tendrement aimé se voit seul tout entier dans les traits de ses enfants. […] Elle abuse des comparaisons mythologiques, des traits historiques, de Méléagre, d’Aria et de Paetus.

275. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Rollin. » pp. 261-282

En français, au contraire, il traduit ; il cite, il enchâsse de belles pensées, de jolis traits, de beaux et riches exemples et, au milieu de la bonhomie de son style, cela aussitôt se distingue. […] Rollin n’est pas dénué de finesse et d’esprit quand il parle en son nom ; mais il faut chercher ces rares endroits où son expression s’anime et s’évertue d’elle-même Après avoir cité quelques passages des Éloges de Fontenelle et les avoir loués, il y remarque un défaut : S’il était permis, dit-il, de chercher quelque tache parmi tant de beautés, on pourrait peut-être en soupçonner quelqu’une dans un certain tour de pensées un peu trop uniforme, quoique les pensées soient fort diversifiées, qui termine la plupart des articles par un trait court et vif en forme de sentence, et qui semble avoir ordre de s’emparer de la fin des périodes comme d’un poste qui lui appartient à l’exclusion de tout autre. Ces traits par lesquels Fontenelle aime à terminer ses périodes et ses paragraphes sont trop peu fréquents chez Rollin. […] qui ne jetterait un cri de douleur en la voyant ainsi dépouillée de grâces, de vertus, et même de ces nobles traits de la physionomie qui semblaient héréditaires ! […] Et la caractérisant de plus en plus par les traits qui lui sont propres et qui marquent ceux même qui en sont l’élite, M. 

276. (1694) Des ouvrages de l’esprit

Il avoue que les anciens, quelque inégaux et peu corrects qu’ils soient, ont de beaux traits ; il les cite, et ils sont si beaux qu’ils font lire sa critique. […] Quelques-uns de ceux qui ont lu un ouvrage en rapportent certains traits dont ils n’ont pas compris le sens, et qu’ils altèrent encore par tout ce qu’ils y mettent du leur ; et ces traits ainsi corrompus et défigurés, qui ne sont autre chose que leurs propres pensées et leurs expressions, ils les exposent à la censure, soutiennent qu’ils sont mauvais ; et tout le monde convient qu’ils sont mauvais : mais l’endroit de l’ouvrage que ces critiques croient citer, et qu’en effet ils ne citent point, n’en est pas pire. […] Il y a un terme, disent les uns, dans votre ouvrage, qui est rencontré et qui peint la chose au naturel ; il y a un mot, disent les autres, qui est hasardé, et qui d’ailleurs ne signifie pas assez ce que vous voulez peut-être faire entendre ; et c’est du même trait et du même mot que tous ces gens s’expliquent ainsi, et tous sont connaisseurs et passent pour tels. […] Est-ce l’altération des traits qui nous retient ?

277. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Académie française — Réception de M. Émile Augier » pp. 317-321

Il a dessiné en traits vifs et bien reconnaissables cette physionomie ardente et chevaleresque de M. de Salvandy, de celui que M.  […] Un dernier trait du discours de M. 

278. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre troisième. »

Chacun d’eux résolut de vivre en gentilhomme, Sans rien faire… Voilà un trait de satyre qui porte sur le fond de nos mœurs, mais d’une manière bien adoucie. […] On verra ailleurs qu’il ne traite pas aussi bien l’autorité royale, et que même il se permet un trait de satyre qui passe le but.

279. (1911) Études pp. 9-261

À toute expansion il faut que le trait satisfasse. […] D’ailleurs les différentes parties du trait n’ont aucun besoin d’être rendues compatibles ; le trait ne les recueille pas tour à tour et ne se compose pas de leur addition. […] À chaque instant le trait veut bondir, s’abandonner à son élan. […] Le monde, vu dans l’instant, est un tableau dont chaque trait et chaque nuance est en relation avec tous les autres traits, toutes les autres nuances. […] Les traits s’ajoutent lourdement les uns aux autres, ainsi qu’on lève les bras pour asséner un nouveau coup de bâton.

280. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Gustave Flaubert. Étude analytique » pp. 2-68

La ferme du père Rouault, au début de Madame Bovary, puis le chemin creux par où passe la noce aux notes égrenées d’un ménétrier  un canal urbain, un champs que l’on fauche dans Bouvard et Pécuchet, sont décrits, en quelques traits uniques accidentels et frappants, sans phrase générale qui désigne l’impression vague et entière de ces scènes. […] Mannaëi, le décharné bourreau d’Hérode, la vieille nourrice au profil de bête qui sert Salammbô, sont dépeints en traits dont le lecteur doit imaginer l’ensemble. […] Les courses, l’attaque singulière du poste du Château-d’Eau pendant les journées de Février, qui est exactement ce qu’un passant verrait d’une émeute  une séance de club, l’élégance et le luxueux ennui d’une réception chez un financier, sont décrits de même en traits discontinus et marquants. […] Que l’on joigne à cette médiocrité des lieux et des gens, le mince intérêt des aventures, un adultère diminué de tout l’ennui de la province, la vie campagnarde de deux vieux employés, l’existence sociale de quelques familles moyennes à Paris, que traverse le désœuvrement d’un jeune homme nul, on reconnaîtra dans les romans de Flaubert, tous les traits essentiels de l’esthétique réaliste. […] Sa science des causes qui produisent les grands traits du caractère est merveilleuse, comme le montrent les antécédents parfaitement calculés d’Emma et de Charles Bovary, la vague adolescence de Frédéric Moreau.

281. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Le buste de l’abbé Prévost. » pp. 122-139

Ainsi donc, il dut beaucoup dès le principe à sa famille et à sa race du bon pays d’Artois, comme il l’appelait ; même lorsqu’il affligeait ses proches par ses écarts et qu’il les étonnait par ses aventures, il continuait de leur être fidèle par bien des traits et de leur appartenir d’une manière reconnaissable : et aujourd’hui, après un siècle presque écoulé, lorsque la renommée a fait le choix dans ses œuvres, lorsque l’oubli a pris ce qu’il a dû prendre et que, seule, la partie immortelle et vraiment humaine survit, — aujourd’hui, en leur apportant plus que jamais ce renom de grâce, de facilité, de naturel, de pathétique naïf, qui est son lot et qui le distingue, il trouve encore à leur emprunter de cette estime solide, de cette autorité bien acquise et de cette considération publique universelle qui s’ajoute si bien à la gloire. […] Dubray, s’inspirant du beau portrait de l’abbé Prévost par Schmidt, portrait qui fut placé d’abord en tête du tome Ier de l’Histoire générale des voyages (1746), y a changé ou adouci quelques traits. […] Dans ce premier jet, le style moins correct, moins court, est peut-être encore plus naturel, plus lié, et offre des traits qui se rapprochent davantage de la réalité telle quelle : l’auteur, sans viser ensuite à rien ennoblir, a pourtant songé évidemment à adoucir certains tours ou certains mots qui avaient semblé trop bas. […] Dom Prévost rentrant finalement au bercail et enterré dans le préau ou sous les dalles du cloître, c’est un trait de plus qui achève et clôt les disparates de sa vie.

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