Enfin, là règne le souvenir du roi, et tout autour de la ville, très près, c’est les fameux châteaux, aujourd’hui ouverts aux visiteurs. […] Les souvenirs des scènes précédentes, d’un si bel effet, dans ce morceau peuvent être considérés comme un pastiche du fameux épisode du Final de la neuvième, dont je viens de parler ; Franz Liszt les a splendidement caractérisés et interprétés, comme du reste le rôle entier du motif de l’alto, dans sa célèbre analyse de « Harold »60. […] Et malgré les souvenirs parfois du mal, la discrète joie s’affermit ; des ondées scintillent ; rappel d’heureux passés, imaginations gaies ? […] C’est un drame en cinq actes, le drame émotionnel d’une âme pieuse : Le souvenir de soi-même, d’abord, devant le Dieu ; une plainte, les émois de la honte : ayez pitié, Maître, de moi ! […] Cette critique d’un illustre wagnérien n’est pourtant pas partagée par Wagner lui-même, qui consacra au compositeur français un texte intitulé Souvenirs sur Auber (tome IX de l’édition française des Œuvres en prose, p. 183-287).
Ils en ont conservé un souvenir qui de l’intérieur du temple est passé dans le monde profane. […] Vous me pardonnerez ces souvenirs classiques ou plutôt ces préceptes pour lesquels vous avez professé le plus grand mépris ; mais moi, je suis vieux, et trente succès que je leur dois me donnent bien le droit de regretter mon beau théâtre, que, dès votre entrée dans la carrière, vous avez eu le projet d’anéantir9. […] Retiré d’un monde que je dois connaître, je ne vis plus que dans mes souvenirs ; et comme je n’ai dû mes instants de bonheur et de chagrins qu’aux péripéties de la scène française, il n’est pas étonnant que dans mon intérêt, qui est celui de tous les auteurs et des comédiens, je vous adresse paternellement de justes reproches. […] Aussi ne craignent-elles pas de suivre certaines représentations d’où, après avoir été obligées de rougir du regard malin de certains hommes, elles remportent au moins dans leur intérieur des souvenirs qui ne laissent pas d’avoir quelques charmes. […] Maintenant que l’expérience doit les avoir détrompés, et qu’il ne leur reste de leurs chimères de fortune que quelques lambeaux de décoration et les vieux habits tout neufs du moyen âge16, ils se rappelleront (car le malheur ramène bien des souvenirs) qu’il existait avant vous des hommes de lettres qui, sans frais, sans dépense, aidés du talent de cinq ou six acteurs et par le seul ascendant de leur esprit et de leur éloquence, contribuaient tout à la fois à la fortune et à la gloire du Théâtre-Français.
Ainsi réduit, le souvenir s’appelle réminiscence. […] Le souvenir peut encore s’en tenir à ce second moment. […] Le souvenir complet comprend ces trois moments. […] Tout souvenir peut s’exprimer ainsi : Je me souviens que j’ai vu telle ou telle chose. […] Elle se souvient surtout du général.
Un tel examen ne devient curieux que s’il est tout de raisonnement, que s’il s’applique à la preuve des axiomes, et que s’il n’est pas cousu de lambeaux cités dont le souvenir ne retrace que ce que l’on sait. […] On se souvient de ces deux vers d’une épître au Roi : « Jeune et vaillant héros, dont la haute sagesse « N’est point le fruit tardif d’une lente vieillesse. […] Un petit nombre de doctes appréciateurs conserve lui seul le sentiment fidèle des beautés que remarqua son attention, et l’effet d’une situation fausse ou d’un mot aventuré n’efface pas chez lui le souvenir que lui laisse un beau travail. […] Le souvenir toujours renaissant des batailles de Marathon, de Salamine et de Platéesab, n’est arrivé jusqu’à nous qu’avec le renom qu’il y acquit dans les rangs du soldat. […] Si la fable est trop abrégée, ses situations trop rapides se confondent par leur multiplicité : les événements s’y entassent, et les coups, précipités l’un sur l’autre, ne jettent plus aucun éclat, et ne laissent nulle empreinte durable dans le souvenir.
Pourtant, vous vous en souvenez, elle n’a guère été encouragée, cette pauvre Exposition. […] Cette procession du 8 mai est un de mes plus somptueux souvenirs d’enfance. […] Et, près du souvenir antique, voici le souvenir chrétien. […] Car, vous vous en souvenez, les réformes proposées par M. […] Je me souviens de l’avoir entendue en 1872.
Souvenez-vous des Dante, des Pétrarque, des Médicis, des Capponi, des Strozzi, des Guicciardini, des Michel-Ange, des Mirabeau, des Bonaparte ; poètes, artistes, écrivains, hommes de tribune, hommes d’État, hommes de guerre et de tyrannie, la Toscane est une mère féconde ; Florence a du sang étranger dans les veines. […] « Je resterai donc dans ma misère, écrit-il à son ami Vettori, sans trouver une âme qui se souvienne de mon dévouement ou qui me trouve bon à quelque chose. […] Constantinople se souvient que Rome est sa mère ; mais ces expéditions lointaines avortent ; il n’y a bientôt plus rien de romain dans Rome que le pontificat, tantôt humble délégué municipal de l’empereur d’Orient, tantôt joignant une souveraineté morale à une magistrature urbaine, autour duquel se groupent les restes de nationalité romaine. […] La dynastie bourbonienne rentre en Sicile ; Murat gouverne en héros et en administrateur ce beau royaume ; il y laisse des souvenirs de gloire et de bonté qui ne sont pas un parti, mais une estime. […] L’Irlande regrette le temps qu’il lui a fait perdre en progrès raisonnables à la poursuite de chimères sonores, et le royaume-uni de la grande fédération britannique subsiste et ne se souvient plus de son agitateur.
que le beau, cette rosée du ciel qui tombe en plein sur cette terre, coule à pleine séve de tes recherches classiques dans tes souvenirs, et de tes souvenirs dans tes vers, et de tes vers ou de ta prose dans l’âme charmée de tes lecteurs ! […] L’Athénien qui se rendait de sa maison à l’assemblée du peuple rencontrait partout sur son passage les figures des divinités protectrices de la cité, celles des magistrats et des héros révérés pour leur courage et pour leurs vertus civiques et patriotiques ; il s’avançait au milieu de la majesté de ces souvenirs comme sous les portiques d’un temple ; et la Vénération, comme une muse de la religion et de la patrie, se levait à son approche du pied des statues, et l’accompagnait à travers la ville jusqu’au lieu consacré par la solennité des délibérations populaires. […] Ceci n’a aucun caractère de l’élégance du peuple de Périclès ; cela sent le Romain ; les souvenirs seuls y sont beaux. […] Je voulais emporter pour moi un souvenir vivant, un souvenir écrit de ce moment de ma vie !
Xavier de Maistre I J’entrai au collège des Pères de la foi en 1806 ; les Pères de la foi, pseudonyme des Jésuites, étaient la renaissance d’un ordre religieux, célèbre, qui n’avouait ni ses souvenirs, ni ses prétentions au monopole de l’enseignement de la jeunesse. […] Seulement, il avait la sensibilité vive et maladive, et quand une chose l’avait impressionné fortement à une époque quelconque de sa vie, il se souvenait toujours, et il n’avait point de trêve en lui-même tant qu’il n’avait pas fait éprouver aux autres ce qu’il portait perpétuellement en lui. […] Je ne puis, en vérité, me rappeler sans plaisir le souvenir de mes jeunes écolières. […] Je conçus enfin la résolution d’incendier ma retraite, et de m’y laisser consumer avec tout ce qui aurait pu laisser quelque souvenir de moi. […] Je vis un nuage se répandre sur ma vue, et pendant quelque temps je perdis à la fois le souvenir de mes maux et le sentiment de mon existence.
En lisant la description d’un site connu de Paris par un romancier naturaliste, on pourra croire que le lecteur n’admirera ce morceau que s’il est exact, c’est-à-dire s’il reproduit ses souvenirs, les résidus de ses perceptions. […] Huysmans, dans les Sœurs Vatard) sera jugée bonne par un lecteur non pas simplement en raison de son extrême exactitude, mais si elle correspond à la « manière de voir » de ce dernier, c’est-à-dire à la qualité de ses sens, à sa mémoire des formes et des couleurs, à tout le mécanisme interne qu’il lui a fallu pour transformer ses sensations d’un spectacle analogue, en un souvenir semblable à celui que l’auteur s’efforce d’évoquer. […] Si l’on consulte ses souvenirs, on s’apercevra qu’il y a pour les admirateurs de Mérimée, par exemple, ou de Musset, d’Hugo, de M. […] En 1853, il publie ses Souvenirs d’un naturaliste. […] En 1895, il publia ses Souvenirs d’un auteur dramatique.
Je ne professe pas avec vous, je cause, et si l’abandon de la conversation m’entraîne vers quelques-uns de mes souvenirs, je ne m’abstiens ni de m’y reposer un moment avec vous, ni d’allonger le chemin en prenant ces sentiers, quand ces sentiers ramènent indirectement mais agréablement à la route. […] C’était, je m’en souviens, comme une consonance encore lointaine et confuse, mais comme une consonance enfin, entre mon âme et ces âmes qui me parlaient ainsi à travers les siècles. […] Je me souviens encore du premier de ces essais descriptifs, qui me valut à mon tour l’approbation du professeur et l’enthousiasme de l’école. […] Il y vivait en philosophe, auprès de ses sœurs, suspendu par ses opinions et ses souvenirs entre deux temps ; doué d’un esprit étendu, d’une érudition profonde, d’une éloquence sobre et précise comme les affaires qu’il avait maniées. […] Je ne répéterai pas son long discours, bien qu’il soit aussi présent à mon souvenir que le timbre un peu caverneux de sa voix l’est encore à mes oreilles.
On a conservé le souvenir de quelques scènes violentes qu’il eut avec son confrère l’abbé d’Olivet, qu’il appelait un bon grammairien et un méchant homme, et à qui il n’épargnait pas l’injure en face : « C’est, disait-il, un si grand coquin que, malgré les duretés dont je l’accable, il ne me hait pas plus qu’un autre. » L’abbé d’Olivet n’était pas si impassible que Duclos voulait bien le croire : on a beaucoup dit que sa mort et l’attaque d’apoplexie à laquelle il succomba (octobre 1768) eurent pour cause une dernière altercation violente qu’il avait eue à l’Académie avec Duclos et d’Alembert. […] Je vois que Duclos était à Londres dans le printemps de 1763 ; il alla faire une visite chez Horace Walpole à Strawberry Hill, un jour où il y avait brillante compagnie, et entre autres la comtesse de Boufflers : « Ce dernier, dit Horace Walpole en parlant de Duclos, est auteur de laVie de Louis XI, se met comme un ministre dissident, ce qui est, je suppose, la livrée d’un bel esprit, et est beaucoup plus impétueux qu’agréable. » Le voyage de Duclos en Italie (novembre 1766-juin 1767) a laissé plus de traces et de meilleurs souvenirs. […] Le souvenir qu’on en garde ailleurs nuit souvent au plaisir qu’on aurait de vivre chez soi, si l’on n’en était pas sorti.
De même pour l’immortalité et pour l’avenir des destinées humaines : rendant compte, dans son Éloge de Buffon, des Époques de la nature et rappelant l’hypothèse finale du grand naturaliste lorsqu’il peint la lune déjà refroidie et lorsqu’il menace la terre de la perte de sa chaleur et de la destruction de ses habitants : Je demande, s’écrie-t-il, si cette image lugubre et sombre, si cette fin de tout souvenir, de toute pensée, si cet éternel silence n’offrent pas quelque chose d’effrayant à l’esprit ; je demande si le désir des succès et des triomphes, si le dévouement à l’étude, si le zèle du patriotisme, si la vertu même, qui s’appuie si souvent sur l’amour de la gloire, si toutes ces passions, dont les vœux sont sans limites, n’ont pas besoin d’un avenir sans bornes ? […] Souvenez-vous que la sagesse consiste plus souvent à se taire qu’à parler ; car il est toujours temps de penser, mais il ne l’est pas toujours de dire ce qu’on pense. […] Ceux qui parlent ainsi n’avaient pas présent au souvenir le remarquable passage où Vicq d’Azyr commente ce mot de Buffon : « Voilà ce que j’aperçois par la vue de l’esprit », et où il le montre dans ses diverses théories faisant en effet tout ce qu’on peut attendre de l’esprit, devançant l’observation, et arrivant au but sans avoir passé par les sentiers pénibles de l’expérience.
Mais ces premiers paysages faits à dessein et composés avec art, qui sont relevés d’images et de souvenirs mythologiques ou classiques (Arcadie, épée de Damoclès, autels d’Esculape, etc.), me plaisent moins que ceux qui seront retracés chemin faisant et avec des traits plus naturels, sans que l’auteur ait l’air de se mettre exprès à son chevalet. […] Et il insiste sur ce que ce n’est point là le spectacle et la décoration des montagnes centrales, de ces hauteurs désolées et de ces déserts, où l’œil ne rencontre plus rien qui le rassure ; où l’oreille ne saisit pas un son qui appartienne à la vie ; où la pensée ne trouve plus un objet de méditation qui ne l’accable ; où l’imagination s’épouvante à l’approche des idées d’immensité et d’éternité qui s’emparent d’elle ; où les souvenirs de la terre habitée expirent ; où un sombre sentiment fait craindre qu’elle-même ne soit rien… Ici l’on n’est pas hors du monde ; on le domine, on l’observe : la demeure des hommes est encore sous les yeux, leurs agitations sont encore dans la mémoire ; et le cœur fatigué, s’épanouissant à peine, frémit encore des restes de l’ébranlement. […] Tableau doux et champêtre dont la simple nature a fait les frais, il doit réunir comme elle la vénérable empreinte de l’antiquité aux charmes d’une immortelle jeunesse, et se renouveler au retour de chaque année comme la feuille des arbres et comme l’herbe des prés… Cette rencontre était un heureux hasard pour la troupe dont je faisais partie, et de pareils objets lui présentaient un bien nouveau spectacle ; mais nul ne leur pouvait trouver comme moi ce charme dû à la comparaison et au souvenir, et depuis longtemps ami des troupeaux, seul je les abordais en ami, jouissant de leur curiosité, de leurs craintes et de leur farouche étonnement.
Ici c’est l’antipathie de nature et de talent qui se prononce par la bouche de Bossuet, et qui s’aiguise, à son insu, d’humeur et des souvenirs invétérés de la lutte. […] ce n’est pas seulement les honneurs de la réception qui m’ont charmé, et dont je conserverai toute ma vie le souvenir avec la reconnaissance, mais c’est bien plus ce beau modèle des prélats en qui j’ai vu et admiré plus de choses que la réputation ne m’en avait appris. […] Il écrivait le 11 décembre 1702 à Fleury, non pas à l’abbé, mais à l’évêque de Fréjus, le futur premier ministre de Louis XV, « que l’esprit d’incrédulité gagnait toujours dans le monde ; qu’il se souvenait lui en avoir souvent entendu faire la réflexion ; que c’était encore pis à présent, puisqu’on se servait même de l’Évangile pour corrompre la religion des peuples ».
Il n’y trouvait de comparable et d’égal dans ses souvenirs que ces autres entretiens de la petite société d’Arcueil, groupée autour de Laplace et de Berthollet, et qui, active, régulière, ayant ses jours de réunion et son recueil à elle, tout armée pour le progrès scientifique le plus avancé, avait fini par inspirer quelque jalousie à l’Institut lui-même. […] Stanislas Julien ; animé par le souvenir de son fils enlevé prématurément, et qui s’était occupé de ces mêmes études, il a fait dans l’année qui précéda sa fin une œuvre considérable, tout un livre, qui court risque de ne pas rencontrer un seul contradicteur : car il y a à peine des juges. […] Il lui exprima son approbation, en ajoutant ces mots qui résument, ce me semble, à merveille le genre d’égards qui restent dus aux anciens noms historiques, dans la juste et stricte mesure des idées de 89 : « On vous doit, monsieur, les occasions de vous distinguer ; mais souvenez-vous bien toute votre vie qu’on ne vous doit que cela. » M.
Que d’autres aillent s’amuser et s’éterniser dans ces vieilles contrées usées de Rome, de la Grèce ou de Byzance, lui il était allé choisir exprès un pays de monstres et de ruines, l’Afrique, — non pas l’Égypte trop décrite déjà, trop civilisée, trop connue, mais une cité dont l’emplacement même a longtemps fait doute parmi les savants, une nation éteinte dont le langage lui-même est aboli, et dans les fastes de cette nation un événement qui ne réveille aucun souvenir illustre, et qui fait partie de la plus ingrate histoire. […] Emportée par les souvenirs de Carthage, elle chantait maintenant les anciennes batailles contre Rome ; ils applaudissaient. […] Et puis, comme le Gaulois est né malin et qu’il y en a dans l’armée des Mercenaires, je ne fais qu’imiter leur exemple en y mêlant, vaille que vaille, le souvenir de cette gaie parodie chantante, Paris à cinq heures du matin : L’ombre s’évapore, Et déjà l’aurore De ses rayons dore, etc.
Doré est bien celui d’un artiste qui se souvient du Cid de la légende jusque dans la chute et le délire du dernier et du plus lamentable de ses descendants. […] Le capitaine de sa compagnie, quand il combattit à Lépante, était Diego de Urbina, et il s’est plu à le nommer dans Histoire du Captif, qui n’est pas la sienne, mais qui est toute parsemée de ses souvenirs. […] Les blessures que le soldat porte sur le visage et sur la poitrine sont des étoiles qui guident les autres au ciel de l’honneur et au désir des nobles louanges3… » Cervantes garda toujours un cher souvenir de cette vie d’honneur et de misère qui est la vie du soldat, et à certain jour il l’a célébrée d’une façon toute noble et sérieuse par la bouche de son Don Quichotte.
Souvenirs d’un diplomate. […] Il se loue de lui dans ses Souvenirs ; il se croyait mieux avec ce ministre qu’il ne l’était en réalité, et il suffit pour cela de voir en quels termes peu favorables M. de Senfft s’est exprimé sur son compte. […] Bignon, dans ses Souvenirs, a un avantage sur M. de Senfft dont il ne prévoyait pas les sévérités : il le réfute de la manière la plus propre à faire impression sur des lecteurs impartiaux ; il parle avec justice, et dans une parfaite mesure, de celui qui en a manqué à son égard : « M. de Sentit, dit-il, était en 1811 et est resté jusqu’à la fin de 1812 zélé partisan du système français (on le croyait, et il paraissait tel sans l’être au fond).
Ce volume en fait la réponse naturelle, très en harmonie avec les accords qui l’ont provoquée ; il est, après dix ans, l’expression en poésie de ces saisons déjà anciennes, décorées et embellies encore par le souvenir. […] Et souvenez-vous de moi dorénavant, lorsqu’ici viendra, après bien des travers, quelqu’un des hôtes mortels, et qu’il vous démandera : « O jeunes filles, quel est pour vous le plus doux des chantres qui fréquentent ce lieu, et auquel de tous prenez-vous le plus de plaisir ? […] Mademoiselle Bertin, on le comprend, a serré de moins près les souvenirs classiques, et quelquefois, dans cette plus libre façon, elle ne les a pas moins bien exprimés.
Le séjour au château de Silly chez une amie d’enfance, l’arrivée du jeune marquis, son indifférence naturelle, la scène de la charmille entre les deux jeunes filles qu’il entend sans être vu, sa curiosité qui s’éveille bien plus que son désir, l’émotion de celle qui s’en croit l’objet, son empire toutefois sur elle-même, la promenade en tête à tête où l’astronomie vient si à propos, et cette jeune âme qui goûte l’austère douceur de se maîtriser, cette suite légère compose tout un roman touchant et simple, un de ces souvenirs qui ne se rencontrent qu’une fois dans la vie, et où le cœur lassé se repose toujours avec une nouvelle fraîcheur. […] « Le sentiment qui a gravé ces petits faits dans ma mémoire m’en a conservé, dit l’auteur, un souvenir distinct. » Même en les dépeignant, voyez comme sa sobriété se retrouve ! […] Il est un degré d’expérience et de connaissance du fond, passé lequel il n’y a plus d’intérêt à rien, pas même au souvenir ; il faut se hâter, à cet endroit-là, de tirer la barre, et fermer à jamais le rideau.