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467. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Le marquis de Lassay, ou Un figurant du Grand Siècle. — II. (Fin.) » pp. 180-203

Lassay a pour nous cet avantage, précisément parce qu’il n’est qu’un homme de société et un amateur, non un auteur, de nous représenter au juste le ton de distinction et de bonne compagnie du xviie  siècle, et la langue parlée que ce siècle finissant transmit au xviiie . […] Laissons tous ces côtés fugitifs et évanouis, et ne prenons Lassay que par l’endroit où nous pouvons l’atteindre, le seul aujourd’hui qui nous intéresse : prenons-le comme l’un des hommes qui ont eu le plus de connaissance de la société et des caractères. […] Comme les hommes qui ont beaucoup vécu dans la société intime des femmes, Lassay se laissait aller volontiers à dire tout le bien qu’il pensait de lui. […] Selon Suard, M. de Lassay n’a dit ce mot énergique qu’à l’époque du ministère du duc de Bourbon et des trafics publics de Mme de Prie, et c’est à ce moment de la société seulement qu’il entendait l’appliquer. […] Les écrits dont j’ai parlé ne sont pas proprement de la littérature, ce sont des témoignages de société qui viennent en aide et en ornement aux jugements littéraires.

468. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Nouvelle correspondance inédite de M. de Tocqueville »

Les premières lettres nous le montrent à l’âge de vingt-six ans, partant pour son voyage d’Amérique où il allait, chargé par le Gouvernement français d’une mission, à l’effet d’étudier le système pénitentiaire, mais en réalité pour y observer la société, les lois, les mœurs, et rapporter les éléments du grand ouvrage qui a fondé sa réputation. […] Dans toutes les sociétés où nous allons, la maîtresse de la maison ou sa fille, à côté de laquelle on a bien soin de placer l’un de nous, croirait manquer au savoir-vivre si elle ne commençait par nous parler de pendus et de verrous. […] A ces esprits, si distingués d’ailleurs, il manque, pour connaître tout l’homme et toute la société, d’être allé jusqu’aux dernières limites, d’avoir fait le tour entier des vérités ou des réalités. […] L’état de notre société vous est connu comme si vous étiez vieux. […] Vous représentez, monsieur, un autre temps que le nôtre, des sentiments plus hauts, des idées, une société plus grandes.

469. (1875) Premiers lundis. Tome III «  À propos, des. Bibliothèques populaires  »

Dans ce discours, il dénonçait d’un ton de conviction profonde le danger moral qui, selon lui, menaçait la société. […] « Il n’est pas permis de venir ici faire l’éloge de ces hommes qui portent l’incendie dans la société, en répandant dans les masses des doctrines d’athéisme et d’irréligion. […] Extraire ce qu’il y a de bon dans le socialisme pour le soustraire à la Révolution et pour le faire entrer dans l’ordre régulier de la société, m’a toujours paru une partie essentielle et originale de la tâche dévolue au second Empire. […] Ces calomniés de la veille deviennent les honnêtes gens du lendemain et ceux que la société porte le plus haut et préconise. […] Mais dans l’état de société où nous sommes, le salut et la virilité d’une nation sont là et pas ailleurs.

470. (1895) Histoire de la littérature française « Seconde partie. Du moyen âge à la Renaissance — Livre II. Littérature dramatique — Chapitre II. Le théâtre du quinzième siècle (1450-1550) »

Les acteurs se recrutaient dans toutes les classes de la société, prêtres, avocats, bourgeois, artisans ; les nobles jouaient rarement, les femmes plus rarement, et à une époque très tardive. […] De la fête des fous laïcisée par force, il ne subsista que le principe, l’idée d’un monde renversé qui exprimerait en la grossissant la folie du monde réel : c’est ce que développèrent au gré de leur libre fantaisie nombre de sociétés joyeuses, comme Mère folle à Dijon, et les Sots de Paris. […] Il y eut parmi les Sots des basochiens ; ainsi Clément Marot dans sa jeunesse était des deux sociétés ; il y eut des Sots parmi les écoliers. […] Grâce sans doute aux membres communs qu’elles comptaient, les deux sociétés firent de bonne heure un accord pour mettre en commun leur répertoire. […] Picot, la sottie est une parade, les sots pourraient avoir commencé par imiter plaisamment les bateleurs qui font les niais, les queues rouges et les bobèches du temps, les héritiers des stulti et des derisores de la société antique.

471. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre IV. Le théâtre romantique »

Dans Angelo, Catarina, la Tisbe, c’est « la femme dans la société, la femme hors de la société », donc en deux types, « toutes les femmes, toute la femme » ; en face, deux hommes, le mari et l’amant, le souverain et le proscrit, symboles de « toutes les relations que l’homme peut avoir avec la femme d’un côté, et la société de l’autre ». […] Ténébreux, fatal, amer, il sort on ne sait d’où, il passe enveloppé d’un triple prestige de mystère, de crime et d’amour : le Giaour, Lara, le Corsaire, ces incarnations de la sensibilité misanthropique de Byron, sont les modèles d’après lesquels nos robustes et bien portants poètes, le joyeux Dumas, le solide Hugo, ont dressé le type de leur héros, bâtard ou enfant trouvé, victime ou ennemi de la société, désespéré, magnanime et tout débordant de tendresses séduisantes : Antony est plus brutal, Didier plus pleurard. […] L’objet de Vigny n’est pas une étude de caractère, une analyse de sentiments : c’est de manifester une idée philosophique. « J’ai voulu montrer l’homme spiritualiste étouffé par une société matérialiste, où le calculateur avare exploite sans pitié l’intelligence et le travail. » Chatterton est le symbole (le mot est de Vigny) du poète. […] Le type parfait de cette comédie, c’est Bataille de Daines : cela ressemble aux petits jeux de société, où l’on fait trouver un objet caché : il s’agit d’escamoter, ou de découvrir un proscrit politique. […] Lire toute la page, qui finit ainsi : « Ce serait le rire, ce serait les larmes ; ce serait le bien, le mal, le haut, le bas, la fatalité, la Providence, le génie, le hasard, la société, le monde, la nature, la vie ; et au-dessus de tout cela on sentirait planer quelque chose de grand ! 

472. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre troisième »

Par le dogme de la chute, il amena l’homme à se regarder hors de sa condition extérieure hors du temps et du lieu où il vit ; il lui découvrit tous les mystères de son intérieur, et tout ce fonds de malaise qui couve en lui, sous quelque forme de société qu’il vive, irréparable contre-coup d’une première chute. […] Il abolit l’épiscopat, l’ordre, c’est-à-dire la transmission du ministère ; il fit nommer le pasteur par la société religieuse ; il rendit le baptême facultatif, à la manière des anabaptistes qui pensaient que le caractère s’en transmet des pères aux enfants ; il fit enlever des temples, les fonts baptismaux, affaiblissant le dogme et abolissant la cérémonie. […] La troisième objection en particulier inspire à Calvin une réponse pleine d’éloquence, où l’on voit une première application parfaite de la méthode antique aux idées qui ont le plus profondément remué la société moderne. […] C’est ce style de la discussion sérieuse plus habituellement nerveux que coloré, qui a plus de mouvements que d’images, son objet n’étant point de plaire, mais de convaincre ; instrument formidable par lequel la société française allait conquérir un à un tous ses progrès, et faire passer dans les faits tout ce qu’elle concevait par la raison. […] L’esprit du radicalisme, dans les autres pays, paraît être l’effet du malaise de la société qui aigrit ceux qui en souffrent, et les emporte au-delà des bornes ; en France, ce n’est que l’esprit logique poussé jusqu’à l’absurde.

473. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « André Chénier, homme politique. » pp. 144-169

Par nature, par instinct et par vocation il n’était nullement un homme politique : il aimait avant tout la retraite, l’étude, la méditation, une société d’amis intimes, une tendre et amoureuse rêverie. […] Et il s’attache à définir ce que c’est que l’esprit public dans un pays libre et véritablement digne de ce nom : N’est-ce pas une certaine raison générale, une certaine sagesse pratique et comme de routine, à peu près également départie entre tous les citoyens, et toujours d’accord et de niveau avec toutes les institutions publiques ; par laquelle chaque citoyen connaît bien ce qui lui appartient, et par conséquent ce qui appartient aux autres ; par laquelle chaque citoyen connaît bien ce qui est dû à la société entière et s’y prête de tout son pouvoir ; par laquelle chaque citoyen respecte sa propre personne dans autrui, et ses droits dans ceux d’autrui ?… Et quand la société dure depuis assez longtemps pour que tout cela soit dans tous une habitude innée et soit devenu une sorte de religion, je dirais presque de superstition, certes alors un pays a le meilleur esprit public qu’il puisse avoir. […] Il montre que cette société, et toutes celles qui en dépendent, ces confréries usurpatrices, « se tenant toutes par la main, forment une sorte de chaîne électrique autour de la France » ; qu’elles forment un « État dans l’État » ; que « l’organisation de ces sociétés est le système le plus complet de désorganisation sociale qu’il y ait jamais eu sur la terre ». C’est à cette Société des Jacobins qu’il pensait encore, quand il disait : « Aux talents et à la capacité près, ils ressemblent à la Société des Jésuites. » Il fait sentir la distinction profonde qu’il y a entre le vrai peuple, dont, suivant lui, la bourgeoisie laborieuse est le noyau, et ces sociétés, « où un infiniment petit nombre de Français paraissent un grand nombre, parce qu’ils sont réunis et qu’ils crient : Quelques centaines d’oisifs réunis dans un jardin ou dans un spectacle, ou quelques troupes de bandits qui pillent des boutiques, sont effrontément appelés le Peuple ; et les plus insolents despotes n’ont jamais reçu des courtisans les plus avides un encens plus vil et plus fastidieux que l’adulation impure dont deux ou trois mille usurpateurs de la souveraineté nationale sont enivrés chaque jour par les écrivains et les orateurs de ces sociétés qui agitent la France.

474. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre I. La conscience et la vie »

La société, qui est la mise en commun des énergies individuelles, bénéficie des efforts de tous et rend à tous leur effort plus facile. […] Les sociétés de fourmis et d’abeilles sont admirablement disciplinées et unies, mais figées dans une immuable routine. Si l’individu s’y oublie lui-même, la société oublie aussi sa destination ; l’un et l’autre, en état de somnambulisme, font et refont indéfiniment le tour du même cercle, au lieu de marcher, droit en avant, à une efficacité sociale plus grande et à une liberté individuelle plus complète. Seules, les sociétés humaines tiennent fixés devant leurs yeux les deux buts à atteindre. En lutte avec elles-mêmes et en guerre les unes avec les autres, elles cherchent visiblement, par le frottement et par le choc, à arrondir des angles, à user des antagonismes, à éliminer des contradictions, à faire que les volontés individuelles s’insèrent sans se déformer dans la volonté sociale et que les diverses sociétés entrent à leur tour, sans perdre leur originalité ni leur indépendance, dans une société plus vaste : spectacle inquiétant et rassurant, qu’on ne peut contempler sans se dire qu’ici encore, à travers des obstacles sans nombre, la vie travaille à individuer et à intégrer pour obtenir la quantité la plus grande, la variété la plus riche, les qualités les plus hautes d’invention et d’effort.

475. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre III. La Révolution. »

La haute société valait un peu moins que la basse. […] Ils le défendent tous au même titre, comme lien de la société civile et comme appui de la vertu privée. […] Au commencement de toute société, dit-il, il faut poser l’indépendance de l’homme. […] Leur société ne fonde pas leurs droits, elle les garantit. […] Il raille les badauds, qui, éveillés par les bourdonnements des sociétés démocratiques, se croient sur le bord d’une révolution

476. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre deuxième. Les mœurs et les caractères. — Chapitre I. Principe des mœurs sous l’Ancien Régime. »

Les dieux eux-mêmes sont de leur monde  Enfoncée par l’effort de toute une société et de tout un siècle, l’empreinte de la cour est si forte, qu’elle s’est gravée dans le détail comme dans l’ensemble et dans les choses de la matière comme dans les choses de l’esprit. […] La société du roi. — Officiers de sa maison. — Invités de son salon. […] Si polie que soit la société de Paris, elle n’en approche pas174 ; comparée à la cour, elle semble provinciale. […] Prélats, seigneurs et petite noblesse en province. — L’aristocratie féodale est devenue une société de salon. […] Ils appartiennent à cette société où, avant d’admirer tout à fait un grand général, on demandait « s’il était aimable ».

477. (1839) Considérations sur Werther et en général sur la poésie de notre époque pp. 430-451

C’est, dit-elle, la peinture des maladies de l’imagination dans notre siècle ; et la cause de ces maladies, elle la trouve dans ces pensées qui nous assiègent, et qui ne peuvent se changer en actes, c’est-à-dire dans le contraste de notre développement intellectuel et sentimental, à nous autres modernes, avec la triste vie à laquelle nous condamne la constitution actuelle de la société. […] Nous soutenions donc « que la poésie, comprise en général comme l’a comprise Byron, est la seule qui sorte des entrailles mêmes de la société actuelle, qu’elle découle naturellement de la philosophie du Dix-Huitième Siècle et de la Révolution Française ; qu’elle est le produit le plus vivant d’une ère de crise et de renouvellement, où tout a dû être mis en doute, parce que, sur les ruines du passé, l’Humanité cherche un monde nouveau ». Ainsi, nous trouvions à la fois une confirmation de nos vues sur l’avenir de la société dans l’art actuel, et une explication de cet art même dans l’état de la société. […] Cette religion arrêtée ne le satisfait pas ; cette société arrêtée également ne contente pas ses désirs. […] Mais cette exaltation qu’il porte dans le sentiment de la nature et de l’amour, de même que son dégoût pour la société présente, n’ont rien en soi que de louable et de bon.

478. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « L’abbé de Bernis. » pp. 1-22

Duclos, son ami, l’un de ceux qui ont le mieux parlé de lui, et dont la brusquerie habituelle s’est adoucie pour le peindre, a dit : « De la naissance, une figure aimable, une physionomie de candeur, beaucoup d’esprit, d’agrément, un jugement sain et un caractère sûr, le firent rechercher par toutes les sociétés ; il y vivait agréablement. » Marmontel enfin, moins agréable cette fois que Duclos, et avec moins de nuances, nous dit : « L’abbé de Bernis, échappé du séminaire de Saint-Sulpice, où il avait mal réussi, était un poète galant, bien joufflu, bien frais, bien poupin, et qui, avec le Gentil-Bernard, amusait de ses jolis vers les joyeux soupers de Paris. » Cette figure ronde et pleine, cette belle mine rebondie et à triple menton, qui frappe dans les portraits de Bernis vieilli, il la prit d’assez bonne heure : mais d’abord il s’y mêlait quelque chose d’enfantin et de délicat ; et toujours, jusqu’à la fin, le profil gardera de la distinction et de l’élégance : le front et l’œil sont très beaux. […] Habituellement, c’est plutôt encore un disciple de Nivernais ; comme lui, il n’aspire qu’à des succès rapides et fugitifs, à des faveurs de société. […] Ces vers obtenaient en société un très grand succès, qui, plus tard, devait s’évanouir tout à fait à l’impression. […] Bernis, homme de société, de conversation aimable, d’un commerce brillant et sûr, et qui semblait borner là son ambition, connaissait déjà Mme de Pompadour ; il était dans sa faveur ainsi que dans celle du roi, et il n’avait pu rien obtenir encore pour sa fortune. […] Je tâche, en même temps, qu’elle soit rangée. » Comme tous les absents de Paris, il en ressent aussitôt le vide, se plaint de sa vie languissante, et regrette la société : « Au reste, si l’on est heureux quand on n’a rien à faire, quand on vit avec des gens à qui on n’a rien à dire, je le suis.

479. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « I » pp. 1-20

De son vivant, il a été parfaitement jugé et connu, tant pour ses bonnes qualités que pour ses défauts, pour ses belles et charmantes parties que pour ses folies et ses détestables travers, par des personnes de sa société, et, jusqu’à un certain point, de ses amis. […] Quand on ne songe qu’à l’idéal de l’agrément, à la fleur de fine raillerie et d’urbanité, on se plaît à se figurer Voltaire dans cette demi-retraite, dans ces jouissances de société qu’il rêva bien souvent, qu’il traversa quelquefois, mais d’où il s’échappait toujours. « Mon Dieu, mon cher Cideville, écrivait-il à l’un de ses amis du bon temps, que ce serait une vie délicieuse de se trouver logés ensemble trois ou quatre gens de lettres avec des talents et point de jalousie, de s’aimer, de vivre doucement, de cultiver son art, d’en parler, de s’éclairer mutuellement ! […] Mais, même lorsqu’il fut devenu ce qu’il n’aurait pu dans aucun cas s’empêcher d’être, le roi des poètes de son temps et le chef du parti philosophique, même alors Voltaire avait des regrets et des habitudes d’homme de société, d’auteur de société, et qui n’aurait voulu rester que cela. […] écrivait-il à Thieriot en 1739 ; j’en suis très mortifié : il est dur d’être toujours un homme public. » Ce fut toute sa vie sa prétention d’avoir l’existence d’un écrivain gentilhomme, qui vit de son bien, s’amuse, joue la tragédie en société, s’égaie avec ses amis et se moque du monde : « Je suis bien fâché, écrivait-il de Ferney à d’Argental (1764), qu’on ait imprimé Ce qui plaît aux dames et L’Éducation des filles ; c’est faner de petites fleurs qui ne sont agréables que quand on ne les vend pas au marché. » Je me suis amusé moi-même à recueillir dans la correspondance nouvellement publiée bon nombre de préceptes de vie qui se rapportent à ce régime de gaieté, auquel il dérogea souvent, mais sur lequel aussi il revient trop habituellement pour que ce ne soit pas celui qu’il préfère : Ce monde est une guerre ; celui qui rit aux dépens des autres est victorieux. […] Cette période de la vie de Voltaire, ces trois années d’étude et de silence, où il entra n’étant que le libertin du Temple et le plus charmant homme de société, et d’où il sortit homme et philosophe, sont restées assez obscures et mystérieuses, précisément parce qu’il les passa dans le silence.

480. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Histoire de l’Académie française, par Pellisson et d’Olivet, avec introduction et notes, par Ch.-L. Livet. » pp. 195-217

Il y eut en France, dans la première moitié du xviie  siècle, des essais nombreux de perfectionnement et de culture pour la langue, des essais naturels et spontanés de petites sociétés ou coteries grammaticales et littéraires. […] Une de ces petites sociétés, de laquelle étaient MM.  […] Celui-ci, dès qu’il en fut, par son assiduité, sa politesse, son aimable esprit de société, devint aussitôt un académicien des plus essentiels et des plus chers au cœur de la compagnie. […] Déjà Voiture était comme cela : homme du monde et de Cour, délicat à l’excès et dégoûté, un peu dédaigneux des gens de lettres, il craignait apparemment de s’ennuyer parmi eux ou de retomber en bourgeoisie, et il restait dans ses belles et fines sociétés. […] L’originalité de La Bruyère n’est pas d’avoir fait des portraits tels quels, à la diable, et dessinés plus ou moins couramment à la plume, par manière de jeu de société, comme on les brochait avant lui, mais de les avoir faits serrés, profonds, savants, composés, satiriques, en un mot tels qu’un grand peintre seul les pouvait faire.

481. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Collé. »

Il avait de la causticité tant qu’il vécut avec ses égaux : plus tard, en élargissant son cercle de société, en s’élevant au-dessus de sa sphère et en vivant avec les grands, il s’appliqua à se guérir de cette disposition au sarcasme, et il chercha dans sa plaisanterie à ne mordre sur personne en particulier, il avait de la finesse, et sentait le besoin de plaire. […] Lors même qu’il y eut renoncé, il garda toujours du financier sous le chansonnier, et il ne se considéra point comme déshonoré plus tard d’être récompensé de ses pièces de société pour le duc d’Orléans par un intérêt dans les fermes de ce prince. […] Pendant près de vingt ans on le voit l’ordonnateur principal des fêtes de Bagnolet, et par ses opéras-comiques, ses proverbes, ses jolies comédies, ses parades, il ne cessa de fournir aux plaisirs de ce prince, amateur de théâtre de société et bon acteur lui-même. […] Collé, d’ailleurs, dégoûté pas l’accueil et la morgue des comédiens français, moins accessibles alors qu’aujourd’hui, n’y revint guère, et son théâtre de société, le théâtre du duc d’Orléans, fit, tant qu’il dura, son occupation et ses délices comme il est sa véritable originalité. […] Il ne visait qu’à des succès de société, et il les eut à souhait chez ces princes et grands seigneurs libertins : le public, sauf quelques rares instants, lui a rendu de son indifférence.

482. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre III. Les tempéraments et les idées — Chapitre III. Montesquieu »

Il remonte, pour nous instruire, jusqu’à l’origine des sociétés ; et, suivant sa fantaisie, il nous développe une sorte de mythe à la façon de Platon, qui est comme le rêve d’une intelligence raisonnable et optimiste. […] Et il y avait aussi en lui un causeur brillant, coquet, ne voulant pas en société lâcher un mot qui ne fût une saillie ou une pensée. […] Quand il vient à Paris, il ne va pas seulement faire briller son esprit dans les salons de Mme de Lambert et de Mme de Tencin : il fréquente le Club de l’Entresol, cette société privée d’études politiques, qui finit par donner de l’ombrage au cardinal de Fleury. […] Dès le début de son livre, avant la naissance des sociétés, il essaie de se représenter l’homme de la nature. […] Le sérail et la bastonnade, voilà les caractères saillants de la société turque, telle qu’il l’aperçoit.

483. (1881) Le roman expérimental

Même notre grande étude est là, dans le travail réciproque de la société sur l’individu et de l’individu sur la société. […] C’est lui que est la force de nos productions, le pivot sur lequel tourne notre société. […] Une littérature n’est que le produit d’une société. […] Enfin, ne pleurez pas l’ancien esprit littéraire qu’une société morte a emporté avec elle. […] Il agit dans la société, dans les sciences, dans les lettres et les arts, dans la politique.

484. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Chateaubriand, jugé par un ami intime en 1803 » pp. 2-15

J’eus toutefois la satisfaction de voir que ceux qui avaient le plus anciennement, le plus habituellement vécu dans le même monde et les mêmes sociétés que M. de Chateaubriand, et qui en jugeaient sans prévention, reconnaissaient la vérité de la plupart de mes remarques, et y retrouvaient leurs propres souvenirs dans leur mélange, « de très bons souvenirs, et parfois d’assez mauvais. » C’est ce que m’écrivait l’illustre chancelier M.  […] Joubert était l’âme, le suc et la moelle de cette petite société. […] Un fonds d’ennui, qui semble avoir pour réservoir l’espace immense qui est vacant entre lui-même et ses pensées, exige perpétuellement de lui des distractions qu’aucune occupation, aucune société ne lui fourniront jamais à son gré, et auxquelles aucune fortune ne pourrait suffire s’il ne devenait tôt ou tard sage, et réglé. […] Enfin, dans les épanchements et l’abandon même de la société intime, il ne contrarie ses amis qu’avec une répugnance où l’on sent la résistance à l’habitude.

485. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre IV : La philosophie — I. La métaphysique spiritualiste au xixe  siècle — Chapitre III : Le présent et l’avenir du spiritualisme »

Le dogme paraît donc accepté par tous sans examen et sans discussion ; mais le débat s’engage lorsqu’il s’agit d’appliquer le dogme à la société. […] Ils n’entendent, ne comprennent et ne veulent appliquer que la liberté du bien, c’est-à-dire leur propre domination et le gouvernement de la société tout entière par l’Église catholique. […] Ils voudraient ne rien sacrifier de ce qu’ils ont pensé jusqu’ici et y ajouter quelque chose ; ils cherchent à résoudre le problème que la société elle-même poursuit depuis quatre-vingts ans, perfectionner sans détruire, conserver en transformant. […] Le bruit qui se fait à la surface de notre société agitée ne lui est pas la vraie mesure de ce qui se passe véritablement au fond des esprits.

486. (1811) Discours de réception à l’Académie française (7 novembre 1811)

Les Romains, ayant imité les Grecs, n’ont point eu de théâtre national ; encore les ouvrages de Plaute et de Térence sont-ils d’excellents sujets d’étude pour les historiens ; on y retrouve une foule d’usages qu’eux seuls nous ont transmis, et rien ne nous fait mieux connaître la dissolution de la jeunesse de Rome, les séductions des courtisanes, l’effronterie des parasites, et enfin tous les éléments dont se composait la société sous les maîtres du monde. […] Mais, à mesure que les classes de la société se confondent, les mœurs publiques se pervertissent. […] Tel était, Messieurs, l’état de la société à la fin du dix-septième siècle. […] Ce sont, a dit Chamfort, des coupables dont il a donné le signalement au public, et qui se cachent dans la société sous un autre déguisement.

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