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490. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « L’obligation morale »

En un certain sens il serait faux, et dans tous les sens il serait dangereux, de dire que le devoir peut s’accomplir automatiquement. […] En un sens, c’est la même chose ; en un autre, c’est tout différent. […] Entendons-nous d’abord sur le sens de la question. […] Qu’elle ait une valeur éminente, au sens où une belle oeuvre d’art a de la valeur, on l’accordera également. […] Nous n’hésitons pas à l’appeler religieuse, et même mystique ; mais il faut s’entendre sur le sens des mots.

491. (1913) La Fontaine « VIII. Ses fables — conclusions. »

Dans Un Animal dans la lune, l’anecdote est à peine un prétexte à une véritable leçon de philosophie — comme il y en a tant dans Lucrèce — sur les erreurs des sens rectifiées par l’entendement. […] Tous les deux ont raison ; et la philosophie Dit vrai lorsqu’elle dit que les sens tromperont Tant que sur leur rapport les hommes jugeront. Mais aussi, si l’on rectifie L’image de l’objet sur son éloignement, Sur le milieu qui l’environne, Sur l’organe et sur l’instrument, Les sens ne tromperont personne. […] Songez-y bien, tous les autres amours, toutes les autres affections ont un mélange d’intérêt, ont un mélange « d’amour-propre » dans le sens que La Rochefoucauld donne à ce mot, ont un mélange d’esprit de retour sur soi-même, à commencer par l’amour proprement dit. […] Mesdames et Messieurs, j’ai une petite communication intéressante, et, en certain sens, intéressée, à vous faire.

492. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Duclos. — I. » pp. 204-223

Ses écrits ont du sens, de la fermeté, de la finesse, mais il gardait toute sa chaleur et son intérêt pour la conversation ; il y était lui tout entier, il y avait son style, et bien des mots nous en sont restés. […] Les esprits qui ont une fois cette habitude de crudité franche trouvent moins d’inconvénient à se rudoyer ainsi, que de plaisir à s’exercer et à donner sur n’importe quel sujet et dans quel sens : Je ne suis pas grossier, disait-il, mais trop peu poli pour le monde que je vois. […] Deux grands hommes du siècle, Montesquieu et Buffon, ce dernier surtout, furent aussi très libertins dans leur jeunesse et depuis ; mais l’un et l’autre avaient ce que Duclos ne soupçonnait pas, un idéal : il y avait une partie élevée d’eux-mêmes qui dominait les orages des sens et qui ne s’y laissa jamais submerger. […] Que Duclos ait profité des mœurs qu’il observait de près, des histoires qui se racontaient autour de lui, qu’il ait été en ce sens le secrétaire du monde et du cercle particulier où il vivait, cela est possible et même certain ; mais on n’en peut rien conclure contre sa paternité réelle : il eût été à souhaiter seulement que, secrétaire aussi léger et aussi délicat que l’avait été Hamilton en son temps, il eût rencontré comme lui, pour lui fournir matière, des chevaliers de Grammont. […] Toutes ces remarques faites au milieu du siècle, dans la pleine vogue des gens de lettres et avant toute expérience, témoignent de bien du sens.

493. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Œuvres complètes de Molière »

Sa première vie étant peu connue, on fouille en tous sens, on s’attache aux moindres vestiges, on voudrait lui reconstituer sa jeunesse : on s’inquiète de tout ce qui l’a connu, approché, jalousé même ou rivalisé. […] Enfin sa critique éclectique, au meilleur sens du mot, fait un choix dans tous les travaux antérieurs et y ajoute non-seulement par la liaison qu’il établit entre eux, mais par des considérations justes et des aperçus fins qui ne sont qu’à lui. […] C’est, à mon sens, comme un bienfait public que de faire aimer Molière à plus de gens. […] Aimer Molière, c’est n’être disposé à aimer ni le faux bel esprit ni la science pédante ; c’est savoir reconnaître à première vue nos Trissotins et nos Vadius jusque sous leurs airs galants et rajeunis ; c’est ne pas se laisser prendre aujourd’hui plus qu’autrefois à l’éternelle Philaminte, cette précieuse de tous les temps, dont la forme seulement change et dont le plumage se renouvelle sans cesse ; c’est aimer la santé et le droit sens de l’esprit chez les autres comme pour soi. — Je ne fais que donner la note et le motif ; on peut continuer et varier sur ce ton. Aimer et préférer ouvertement Corneille, comme le font certains esprits que je connais, c’est sans doute une belle chose et, en un sens, bien légitime ; c’est vouloir habiter et marquer son rang dans le monde des grandes âmes : et pourtant n’est-ce pas risquer, avec la grandeur et le sublime, d’aimer un peu la fausse gloire, d’aller jusqu’à ne pas détester l’enflure et l’emphase, un air d’héroïsme à tout propos ?

494. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Correspondance de Louis XV et du maréchal de Noailles, publiée par M. Camille Rousset, historiographe du ministère de la guerre (suite et fin) »

S’il y eut intrigue (et il y en eut, certes, à cette heure, et plus d’une qui se croisait ou se rejoignait dans un sens approchant, et de la part du maréchal, et du côté de Mme de Châteauroux, du duc de Richelieu et des Tencin), elle fut pour un assez bon motif. […] Rousset, c’est qu’on y sent l’esprit mou, la volonté molle, à la mollesse même de la phrase ; le relâchement et l’indécision sont dans la parole comme dans la pensée ; le sens y flotte ; on y passe du pour au contre en un instant. […] Et encore, à la date du 16 août : « Je sens bien l’impossibilité de rien entreprendre de cette campagne, vu notre faiblesse ; mais je vous réponds que j’apporterai tous mes soins pour que tout soit réparé de bonne heure, et que je puisse avoir la consolation de réjouir de bonne heure (au printemps prochain) les dames de Mons… » Ne demandons pas à la plume de Louis XV l’élégance ; il se rencontre ici du moins une petite vivacité. […] Ce roi parle un très bon français, en ce sens que ce français est de souche, mais c’est un français si familier qu’il en est trivial et bas. […] Elle explique et justifie jusqu’à un certain point cette réputation de citoyen qu’il ambitionnait vers la fin, et que Louis XV lui-même lui accorde : « Ce n’est pas d’aujourd’hui que je connais vos bonnes qualités ; celle de citoyen est au-dessus de toutes. » Le mot était décidément en circulation depuis Vauban, et dans le sens de patriotisme, d’amour du bien public.

495. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « THÉOPHILE GAUTIER (Les Grotesques.) » pp. 119-143

Un homme instruit et de qui les recherches allaient en sens inverse des doctrines, M. […] Cela promet toute sorte d’éclats et d’ouvertures dans tous les sens, et c’est le cas, ou jamais, de dire avec M. […] I, p. 156) comme le plus charmant endroit et comme le plus adorable morceau de Théophile une page de prose qui devient parfaitement inintelligible telle qu’il la transcrit, et dans laquelle des lignes indispensables au sens (ligne 16, page 157) ont été omises. […] Je pourrais continuer en bien des sens à épiloguer de la sorte, et harceler l’auteur sur bien des points, tant pour ce qu’il dit que pour ce qu’il ne dit pas. […] dans le sens d’hélas !

496. (1858) Cours familier de littérature. V « XXVe entretien. Littérature grecque. L’Iliade et l’Odyssée d’Homère » pp. 31-64

Une langue n’est pas l’œuvre d’un homme ni d’un jour ; une langue est l’œuvre d’un peuple et d’une longue série de siècles, et quand cette langue, comme la langue employée par Homère, présente à l’esprit et à l’oreille toutes les merveilles de la logique, de la grammaire, de la critique, du style, des couleurs, de la sonorité et du sens qui caractérisent la maturité d’une civilisation, vous pouvez conclure avec certitude qu’une telle langue n’est pas le patois grossier des montagnards ni des marins d’une péninsule encore barbare, mais qu’elle a été longtemps construite, parlée chantée, écrite, et qu’elle est vieille comme les rochers de l’Attique et répandue comme les flots de son Archipel. […] Enfin, le sixième élément nécessaire à cette création intérieure et extérieure qu’on appelle poésie, c’est le sentiment musical dans l’oreille des grands poètes, parce que la poésie chante au lieu de parler, et que tout chant a besoin de musique pour le noter, et pour le rendre plus retentissant et plus voluptueux à nos sens et à notre âme. […] je vous répondrai que je n’en sais rien, et qu’il faut le demander à celui qui a fait les sens et l’oreille de l’homme plus voluptueusement impressionnés par la cadence, par la symétrie, par la mesure et par la mélodie des sons et des mots, que par les sons et les mots inharmoniques jetés au hasard ; je vous répondrai que le rythme et l’harmonie sont deux lois mystérieuses de la nature qui constituent la souveraine beauté ou l’ordre dans la parole. […] On appelait le chant, alors, tout ce qui parle, tout ce qui exprime, tout ce qui peint à l’imagination, au cœur, aux sens, tout ce qui chante en nous, la grammaire, la lecture, l’écriture, les lettres, l’éloquence, les vers, la musique ; car ce que les anciens entendaient par musique s’appliquait à l’âme autant qu’aux oreilles. […] Il lui apprend le patriotisme par le récit des exploits de ses héros, qui quittent leur royaume paternel, qui s’arrachent des bras de leurs mères et de leurs épouses pour aller sacrifier leur sang dans des expéditions nationales, comme la guerre de Troie, pour illustrer leur commune patrie ; il lui apprend les calamités de ces guerres dans les assauts et les incendies de Troie ; il lui apprend l’amitié dans Achille et Patrocle, la sagesse dans Mentor, la fidélité conjugale dans Andromaque ; la piété pour la vieillesse dans le vieux Priam, à qui Achille rend en pleurant le corps de son fils Hector ; l’horreur pour l’outrage des morts dans ce cadavre d’Hector traîné sept fois autour des murs de sa patrie ; la piété dans Astyanax, son fils, emmené en esclavage dans le sein de sa mère par les Grecs ; la vengeance des dieux dans la mort précoce d’Achille ; les suites de l’infidélité dans Hélène ; le mépris pour la trahison du foyer domestique dans Ménélas ; la sainteté des lois, l’utilité des métiers, l’invention et la beauté des arts ; partout, enfin, l’interprétation des images de la nature, contenant toutes un sens moral, révélé dans chacun de ses phénomènes sur la terre, sur la mer, dans le ciel ; sorte d’alphabet entre Dieu et l’homme, si complet, et si bien épelé dans les vers d’Homère, que le monde moral, le monde matériel, réfléchis l’un dans l’autre comme le firmament dans l’eau, semblent n’être plus qu’une seule pensée et ne parler qu’une seule et même langue à l’intelligence de l’aveugle divin !

497. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre IV. L’Histoire »

Le romantisme vulgarisa le sens de l’histoire dont les éléments fondamentaux sont la curiosité des choses sensibles et extérieures, la recherche de l’individualité, de la singularité, de la différence. […] Les vues systématiques et politiques, qui menaient Guizot ou Thierry à forcer le sens des faits, étaient étrangères à Michelet. […] Là, son âme de poète, plus tendre, plus enthousiaste, plus juvénile que jamais, s’ouvre à la grande et divine nature, qui toujours, du reste, avait été la religion de son intelligence, la joie de ses sens. […] et comme il apparaît que cet éperdu visionnaire avait le sens de l’observation, le discernement instantané des réalités suggestives ! […] Importance donnée à la santé de François Ier, de Louis XIV, pour l’explication de la politique française ; interprétation du sens historique des œuvres littéraires du xviie  siècle (l’Amphitryon par exemple), etc.

498. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Les Confessions de J.-J. Rousseau. (Bibliothèque Charpentier.) » pp. 78-97

Je ne m’attacherai point à le rendre uniforme ; j’aurai toujours celui qui me viendra, j’en changerai selon mon humeur, sans scrupule ; je dirai chaque chose comme je la sens, comme je la vois, sans recherche, sans gêne, sans m’embarrasser de la bigarrure. […] Mais Rousseau, avec tous ces désavantages que nous ne craignons pas d’après lui d’indiquer par leur nom, vaut mieux que Chateaubriand en ce sens qu’il est plus humain, plus homme, plus attendri. […] L’autre espèce d’altération et de corruption qu’on peut noter en lui est plus grave, en ce qu’elle tient au sens moral : il ne semble pas se douter qu’il existe certaines choses qu’il est interdit d’exprimer, qu’il est certaines expressions ignobles, dégoûtantes, cyniques, dont l’honnête homme se passe et qu’il ignore. […] L’horizon s’est agrandi dans tous les sens, et le rayon de l’Olympe s’y joue. […] Je n’ai pu indiquer qu’en courant dans l’auteur des Confessions les grands côtés par lesquels il demeure un maître, que saluer cette fois le créateur de la rêverie, celui qui nous a inoculé le sentiment de la nature et le sens de la réalité, le père de la littérature intime et de la peinture d’intérieur.

499. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Vauvenargues. (Collection Lefèvre.) » pp. 123-143

Le métier des armes lui plaisait, il croyait que l’homme est fait pour l’action ; dans un siècle où les frivolités, la mollesse et la corruption envahissaient la jeune noblesse, il attachait un sens précis, un sens antique à ces mots de vertu et de gloire : « La gloire embellit les héros, se disait-il. […] Les observateurs comme La Rochefoucauld, ayant surpris l’homme dans un temps d’intrigue et dans une société corrompue, avaient insisté dans le même sens ; avec cette différence qu’ils ne lui offraient point de remède, de sorte que, sous ce regard également inexorable des moralistes tant chrétiens que philosophes, sous ce double concert déprimant, toutes les vertus naturelles périssaient. […] Pourquoi la misère ne pourrait-elle sur notre cœur ce que fait la vue d’une plaie sur nos sens ? […] Il y rend au mot vertu son sens magnifique et social : Le mot de vertu emporte l’idée de quelque chose d’estimable à l’égard de toute la terre… La préférence de l’intérêt général au personnel est la seule définition qui soit digne de la vertu, et qui doive en fixer l’idée. […] Ces passions aimables dont parle Vauvenargues, et qui, à son sens, dominent le Vertueux même, nous avertissent du rôle que ne cessa de réserver aux passions ce stoïcien aimable et tendre, tourné à l’activité et attentif à nourrir dans l’homme tout foyer d’affection.

500. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Saint François de Sales. Son portrait littéraire au tome Ier de l’Histoire de la littérature française à l’étranger par M. Sayous. 1853. » pp. 266-286

Quand j’ai nommé Montaigne, ce ne peut être que dans un sens : l’auteur des Essais s’est attaché à rendre la philosophie, de sévère et farouche qu’elle était, accessible à tous et riante ; François de Sales fait la même chose pour la dévotion : il la veut rendre domestique, familière et populaire. […] Et à nous-même profane, mais qui tâchons d’étudier notre sujet en plus d’un sens, cela semble ainsi. […] … Considérez qu’alors le monde finira pour ce qui vous regarde ; il n’y en aura plus pour vous ; il renversera sens dessus dessous devant vos yeux… Considérez les grands et langoureux adieux que votre âme dira à ce bas monde, etc. […] … En vérité, je le sens pourtant, mais c’est merveille comme j’accommode tout cela ensemble. […] Pour donner à saint François de Sales tout son beau sens, il suffit souvent de dégager la pensée morale des emblèmes trop nombreux et des comparaisons trop jolies auxquelles il la mêle.

501. (1892) L’anarchie littéraire pp. 5-32

« Le nombre de mes collaborateurs, la variété de leurs connaissances, leur talent était une force qui, utilisée dans le sens de la destruction, eût miné dans sa base l’édifice social. […] Maître de ses sens qu’il a domestiqués, il a le calme, la placidité d’un sage et la vertu d’un stoïcien. […] Parfois il regarde passer les femmes, les petites femmes aux formes voluptueuses : trop soucieux de son hygiène pour négliger la culture du sixième sens, il estime qu’en l’état actuel de notre civilisation, l’amour est une des plus utiles fonctions de l’organisme… ………………………………………………………………………………………………………… « Dans ses heures de loisir il rime ces vers d’une harmonie si moderne qu’il a recueillis en deux recueils intitulés Le Signe et Les Chairs profanes. […] « Le sens esthétique étant le mode le plus élevé de la jouissance et participant du fonctionnement régulier des autres sens, pour en assurer à tous les hommes le développement complet, nous devons réclamer pour chaque individu la plénitude des jouissances matérielles. […] Plusieurs critiques se sont posé la question et chacun l’a résolue dans le sens de ses préférences personnelles.

502. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre X : M. Jouffroy psychologue »

Jouffroy dit quelque part et prouve partout « qu’il avait à un assez haut degré le sens psychologique, et une grande inclination pour la science des faits intérieurs67. » Rien de plus naturel que ce goût dans un homme intérieur. […] Il y a donc une observation intérieure de conscience aussi véridique que l’observation extérieure des sens. […] Ils prennent alors la plante, et, refaisant le travail, finissent par arriver au sens. […] Si vous en voulez une preuve, considérez le sens du verbe, vous verrez que toujours et partout où il se rencontre, l’attribut est une qualité, un abstrait, une portion du sujet. […] Donc quand vous dites : Je souffre, je jouis, je pense, je veux, je sens, la sensation, la résolution, la pensée, la jouissance, la souffrance exprimées dans le verbe, sont des portions du sujet je ou moi.

503. (1890) Nouvelles questions de critique

De même que d’ailleurs l’habitude littéraire émousse le sens philologique, il arrive, il est arrivé fréquemment que le sens littéraire, aussi lui, ne s’avivât point dans les exercices de la philologie. […] Elles en sont indépendantes, et la grandeur que nous leur attribuons n’est qu’une illusion de nos sens. […] De quelles translations de sens a-t-il été l’inventeur ? […] Rabelais et Molière sont des naturalistes, à la fois dans le sens où nous prenons habituellement le mot, dans la langue de tous les jours, et dans le sens où l’emploient les historiens de la philosophie. […] C’est que, comme plus haut les différents sens du mot de naturalisme, les sens différents du mot d’idéalisme se rejoignent et se concilient à leur tour.

504. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Appendice. — [M. de Latena, Étude de l’homme.] » pp. 523-526

De nos jours, je ne vois pas qu’il y ait eu émulation et concurrence dans le sens des ouvrages de pure morale. […] Car, pour louer ensuite plus à mon aise M. de Latena, je veux en passant avouer une disposition de mon esprit qui est peut-être un faible, mais dont je ne puis faire tout à fait abstraction dans mes jugements : je suis (sans être Alcibiade) du goût de celui-ci, à qui Socrate disait : « Vous demandez toujours quelque chose de tout neuf ; vous n’aimez pas à entendre deux fois la même chose. » Je suis de ceux qui, dans cet ordre moral, pencheraient plus volontiers du côté du nouveau (si le nouveau est possible) que du trop connu ; en ce qui est de l’expression, le brillant du tour et la pointe (dans le sens des anciens) ne me déplaisent pas non plus autant qu’à d’autres. […] — Je crois que moyennant deux ou trois corrections que je viens de faire et un ou deux mots où j’ai appuyé, il ne saurait y avoir de doute sur le sens de mon jugement : ce n’est point à titre de nouveau, comme quelques personnes l’ont pensé, que je recommandais ce que j’allais citer, c’est en prenant sur mon goût habituel et non en y cédant que je rendais justice à un moraliste estimableu, sans avoir d’ailleurs le moins du monde l’intention de le rapprocher de M. 

505. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Avertissement »

Ils assoupliront la rudesse de leurs esprits masculins ; ils dépouilleront leur logique d’une certaine âpreté sèche et brutale ; ils comprendront ce qu’a d’efficace pour persuader et convaincre cette force subtile qui ne s’analyse pas, la sincérité d’un cœur ému ; capables de poursuivre méthodiquement la vérité, ils acquerront de plus le sens de ces choses insaisissables, que nulle méthode ne révèle, et qui sont presque toute la beauté, dans la littérature comme dans l’art ; enfin, ils gagneront insensiblement cette politesse de l’esprit, qui ne se rencontre pas toujours avec la culture, et qui rend la science aimable. […] J’ai voulu fournir à de jeunes esprits l’occasion de réfléchir sur les moyens par lesquels ils pourront donner à leurs écrits la bonté qu’ils ont dû rêver souvent et désespérer d’atteindre, sur les meilleures et plus courtes voies par où ils pourront se diriger à leur but et nous y mener ; leur inspirer des doutes, des scrupules, des soupçons d’où leur méditation pourra tirer ensuite des principes et des certitudes, sur toutes les plus importantes questions que l’écrivain doit résoudre et résout, bon gré mal gré, sciemment ou non, par cela seul qu’il écrit d’une certaine façon ; donner le branle enfin à leur pensée, pour que, s’élevant au-dessus de l’empirisme, ils cherchent et conçoivent la nature et les lois générales de l’art d’écrire, pour qu’ils développent en eux le sens critique, et que, mettant la conscience à la place de l’instinct, ils arrivent à bien faire en le voulant et en le sachant. […] C’est, en effet, en vérifiant ces remarques et ces conseils sur les œuvres de la littérature, qu’ils en embrasseront le sens et se rendront capables de les appliquer à leurs propres compositions.

506. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Bilan des dernières divulgations littéraires. » pp. 191-199

Et enfin, parmi cette étrange puissance d’illusion, au travers des confusions qu’elle fait de ses sens avec son cœur, et sous les boursouflures de son inlassable lyrisme, nous avons la joie de retrouver quand même sa bonté et sa bonhomie profonde, et son invincible maternité. […] George s’y confesse ; elle consulte le critique sur les aventures de ses sens, du ton dont elle consulterait un prêtre sur les moyens de parvenir à la sainteté. […] Elle dit, ayant rencontré Mérimée : « Cette fois, c’est pour la vie, car je sens que celui-là est vraiment mon maître ».

507. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Maeterlinck, Maurice (1862-1949) »

Maeterlinck se caractérise en ceci : qu’il s’exprime en phrases très claires, très simples, mais à double ou à triple sens, sens de plus en plus lointains sans cesser jamais d’être cohérents, et de s’amplifier les uns par les autres. […] Son mysticisme traduit par un sens extérieur presque insignifiant, mais symbolique à plusieurs puissances, affecte une forme artistique d’une remarquable pureté, et dont la traduction, par Baudelaire, des Histoires extraordinaires est l’évident prototype.

508. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — Lettre, à Madame la comtesse de Forbach, sur l’Éducation des enfants. » pp. 544-544

On apprécie les incertitudes ; on calcule les chances ; on fait sa part et celle du sort ; et c’est en ce sens que les mathématiques deviennent une science usuelle, une règle de la vie, une balance universelle ; et qu’Euclide, qui m’apprend à comparer les avantages et les désavantages d’une action, est encore un maître de morale. […] On éclaire l’esprit par l’usage des sens le plus étendu, et par les connaissances acquises, entre lesquelles il faut donner la préférence à celles de l’état auquel on est destiné. […] Étendre l’esprit est, à mon sens, un des points les plus importants, les plus faciles et les moins pratiqués.

509. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 46, quelques refléxions sur la musique des italiens, que les italiens n’ont cultivé cet art qu’après les françois et les flamands » pp. 464-478

Au lieu d’imiter et d’exprimer le sens des paroles, elle ne sert qu’à l’énerver, qu’à l’anéantir. […] Si notre musique nous plaît, c’est parce que nous ne connoissons pas rien de mieux, et parce qu’elle chatoüille les sens, ce qui lui est commun avec le ramage des chardonnerets et des rossignols. […] Enfin les sens sont si flatez par le chant des récits, par l’harmonie qui les accompagne, par les choeurs, par les symphonies et par le spectacle entier, que l’ame qui se laisse facilement séduire à leur plaisir, veut bien être enchantée par une fiction dont l’illusion est palpable, pour ainsi dire.

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