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585. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Villars — III » pp. 81-102

Louis XIV, qui connaît les défauts de Villars, et les penchants sur lesquels il faut l’arrêter, lui répond : « Mettez-vous au-dessus des petites choses pour parvenir aux plus grandes. » Il lui recommande aussi la déférence avant tout et l’insinuation : Il ne convient pas d’avoir de la hauteur avec un homme de sa naissance et de sa dignité ; vous devez avoir de la fermeté pour les choses qui seront importantes, mais lui représenter avec honnêteté ; et vous prendrez plus d’autorité sur lui par cette conduite que vous ne feriez en usant autrement. […] Villars, à ce triste événement, eut des accents patriotiques : il hasarda des conseils ; il représenta l’impéritie militaire à lui bien connue, de l’électeur. […] En Italie, il lui faudrait tout d’abord entrer dans un système de guerre qu’il n’a pas conçu et qui n’est pas le sien : Présentement M. le duc de Vendôme a fait toutes ses dispositions, lesquelles je crois être très sages ; mais, quelque respect que j’aie pour ses projets, chacun a sa manière de faire la guerre, et j’avoue que la mienne n’a jamais été de vouloir tenir par des lignes vingt lieues de pays… Encore une fois, monsieur, si quelque chose allait mal en Italie, j’y volerais… Il n’y a qu’à conserver ; et si Sa Majesté, qui m’a dit autrefois elle-même et avec bonté les défauts qu’elle me connaissait, a bien voulu les oublier dans cette occasion, il est de ma fidélité de les représenter.

586. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Histoire de la querelle des anciens et des modernes par M. Hippolyte Rigault — II » pp. 150-171

L’abbé de Pons comme La Motte, en tenant la traduction de Mme Dacier, se disait : « Osons juger à présent L’Iliade. » On avait beau leur représenter, à ces juges si empressés, et Mme Dacier toute la première : « Mais prenez garde ! […] Les mots ne signifient rien par eux-mêmes, c’est le caprice arbitraire des nations qui des sons articulés a fait des signes fixes… Chaque nation a ses signes fixes pour représenter tous les objets que son intelligence embrasse. […] Comment un poème, qui représente une action grande, et qui excite en nous des sentiments tristes ou des affections douloureuses, parvient-il à distraire l’homme, à le désennuyer, et à l’occuper agréablement en lui faisant illusion à la fois sur son malheur et sur sa petitesse ?

587. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Horace Vernet (suite.) »

Au diable le Chateaubriand, le Forbin et autres marchands d’esprit qui n’ont su s’exalter que sur des restes de pierre et qui n’ont pas compris que les scènes qui se représentaient à chaque minute sous leurs yeux étaient la représentation vivante de l’Ancien et du Nouveau Testament !  […] On s’est accoutumé depuis trois siècles à voir les Hébreux représentés à la romaine ; Raphaël, Poussin et les autres grands peintres ont peuplé les imaginations et meublé la mémoire de tous avec ces Hébreux classiques : la place est prise ; les hauteurs sont occupées. […] « Trêve de descriptions sur mes jouissances d’amour-propre ; ce qui vaut mieux que ces fadaises, c’est que l’amiral Lalande, homme charmant par ses manières d’une part et ravissant par son amour pour les arts, sachant que j’avais un tableau à faire de la prise de Lisbonne, m’a fait faire à notre bord un branle-bas de combat à feu dans les conditions voulues pour ce que j’avais à représenter.

588. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. » p. 232

. — La tête d’Aremberg ne représente pas, d’ailleurs, un homme beaucoup plus jeune. — Je crois qu’assez généralement aujourd’hui on la regarde comme un ouvrage de la Renaissance, l’expression très-pathétique paraissant s’écarter des habitudes des anciens. Pour moi, je la crois antique. — Les deux têtes représentent également, ce me semble, un homme dans la force de l’âge. — J’inclinerais à trouver la tête d’Aremberg supérieure, pour l’expression et pour l’exécution, à celle du groupe du Vatican. […] Le bronze des Tuileries (moulé par Primatice pour François 1er) le représente tel qu’il fut trouvé, avant les restaurations. » — Ainsi parle la critique éclairée et réfléchie (la lettre, y a-t-il indiscrétion à le dire, est de M. 

589. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Œuvres françaises de Joachim Du Bellay. [I] »

Ce petit livre représente un moment de la langue. […] Il faut nous représenter Ronsard et sa Pléiade se précipitant, pleins d’ardeur, sur tous les chemins de l’intelligence avec la pensée bien arrêtée qu’ils sont les premiers à y entrer et que personne avant eux n’a connu le printemps ni les fleurs. […] Pour moi, quand je relis aujourd’hui ce petit livre de l’Illustration de Du Bellay, qui nous fait assister à un moment décisif et critique pour la langue et la littérature françaises, je sens le besoin de me bien représenter les circonstances parfaitement claires et définies où il parut et que notre érudition bien récente sur les anciennes sources françaises, sur les regrettables épopées du haut moyen âge, ne saurait, du jour au lendemain, changer et retourner.

590. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. J. J. AMPÈRE. » pp. 358-386

Il y aura bien quelques redites ; il y aura même quelques points plus ou moins excentriques, ou trop sinueux, qui ne seront pas représentés ; mais, après lui, s’il parcourt le reste de la carrière comme il a commencé, il faudra marcher par les chaussées qu’il aura faites : heureux si l’on trouve encore à glaner par quelques sentiers ! […] Plusieurs de ces difficultés se rencontraient dès les chapitres préliminaires de l’Introduction sur les Ibères, les Celtes et les Phocéens ; malgré tout l’esprit de détail et les finesses d’interprétation que l’auteur y a semés, il n’a pu éviter de laisser ce portique de son œuvre assez semblable aux époques incertaines et coupées qu’il y représente, quelques pierres druidiques éparses ou superposées, quelques inscriptions à demi comprises, quelques noms roulés comme des cailloux dans le torrent. […] Il en compare fidèlement l’histoire, dans son continuel antagonisme du barbare et du chrétien, à ces vitraux de la cathédrale de Reims qui représentent constamment un roi et un évêque, et l’évêque toujours au-dessus du roi170.

591. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. CHARLES MAGNIN (Causeries et Méditations historiques et littéraires.) » pp. 387-414

La plus vive tentative qu’il se permit hors du cercle où nous le connaissons, est une petite comédie en un acte et en prose, représentée à l’Odéon le 16 mars 1826 : Racine ou la troisième Représentation des Plaideurs. […] Pourtant l’orage augmente, et l’on parle d’un ordre supérieur obtenu contre le poëte, lorsque tout à coup on apprend que la Champmêlé qui devait, ce soir même, jouer Ariane devant le roi, a feint une indisposition ; que, grâce à ce tour d’adresse, les Plaideurs, représentés pour la troisième fois, ont subitement trouvé faveur et gagné leur cause ; on n’a plus osé siffler, et le roi a ri. […]  — On le voit, c’est là une de ces petites pièces-anecdotes dont le Souper d’Auteuil d’Andrieux représente le chef-d’œuvre, et qui sont comme un bouquet pour les anniversaires de naissance de nos grands poëtes.

592. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Pierre Corneille »

Depuis 1620, époque où Corneille vint pour la première fois à Paris, jusqu’en 1636, où il fit représenter le Cid, il acheva réellement son éducation littéraire, qui n’avait été qu’ébauchée en province. […] Cela aideroit à tromper l’auditeur qui, ne voyant rien qui lui marquât la diversité des lieux, ne s’en apercevroit pas, à moins d’une réflexion malicieuse et critique, dont il y a peu qui soient capables, la plupart s’attachant avec chaleur à l’action qu’ils voient représenter. » Il se félicite presque comme un enfant de la complexité d’Héraclius, et que ce poëme soit si embarrassé qu’il demande une merveilleuse attention. […] » Une fois il s’adresse à Louis XIV qui a fait représenter à Versailles Sertorius, Œdipe et Rodogune ; il implore la même faveur pour Othon, Pulchérie, Suréna, et croit qu’un seul regard du maître les tirerait du tombeau ; il se compare au vieux Sophocle accusé de démence et lisant œdipe pour réponse ; puis il ajoute : Je n’irai pas si loin, et si mes quinze lustres Font encor quelque peine aux modernes illustres, S’il en est de fâcheux jusqu’à s’en chagriner, Je n’aurai pas longtemps à les importuner.

593. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre I. Littérature héroïque et chevaleresque — Chapitre III. L’Histoire »

Elles sont toutes, en vertu de la valeur qu elles représentent, « et bonnes et belles ». […] Même après les diplomatiques confidences du maréchal de Champagne et de Romanie, on peut lire avec intérêt les souvenirs d’un soldat obscur de la quatrième croisade : Robert de Clari, petit gentilhomme de Picardie, nous représente l’état de l’opinion publique dans l’armée, approuvant la direction générale, la déviation de la croisade, critiquant et maugréant sur les détails des opérations, tout émerveillé de ce qu’il voit, et nous mettant au fait de toutes ses remarques avec une vivacité d’enfant. […] La belle, sobre et grave Vie de saint Alexis, un peu antérieure au Roland qui nous est parvenu, nous représente comme la période épique de ces narrations religieuses.

594. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre II. Boileau Despréaux »

Il n’ajoutera rien à sa sensation : car il n’a pas d’imagination ; il réveillera exactement et représentera sa sensation. […] La polémique des satires Mais le critique, pour nous, dépasse le poète, ou l’artiste : et la raison en est qu’ici Boileau ne représente plus dans son œuvre son tempérament personnel, mais le génie de son siècle, et la commune essence des grandes œuvres. […] Même dans l’antiquité, il se représente très confusément, très inexactement, d’après Horace et Aristote, la naissance et les progrès du théâtre : il n’a pas l’idée de ce qu’est une ode de Pindare et de ce qui la différencie d’une ode de Malherbe ; il n’a pas sur Homère les inquiétudes ingénieuses d’un abbé d’Aubignac368 ; Homère est un très grand, très grand monsieur, le plus fort et le plus adroit artiste qu’on ait jamais vu.

595. (1765) Articles de l’Encyclopédie pp. 7761-7767

Florus nous représente en peu de paroles toutes les fautes d’Annibal : « lorsqu’il pouvoit, dit-il, se servir de la victoire, il aima mieux en joüir  » ; cùm victoriâ posset uti, frui maluit. […] C’est ainsi que la Peinture divise en grouppes de trois ou quatre figures, celles qu’elle représente dans un tableau ; elle imite la nature, une nombreuse troupe se divise toûjours en pelotons ; & c’est encore ainsi que la Peinture divise en grande masse ses clairs & ses obscurs. […] Jules Romain dans sa chambre des géans à Mantoue, où il a représenté Jupiter qui les foudroye, fait voir tous les dieux effrayés ; mais Junon est auprès de Jupiter, elle lui montre d’un air assuré un géant sur lequel il faut qu’il lance la foudre ; par-là il lui donne un air de grandeur que n’ont pas les autres dieux ; plus ils sont près de Jupiter, plus ils sont rassûrés ; & cela est bien naturel, car dans une bataille la frayeur cesse auprès de celui qui a de l’avantage. . . .

596. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XII. La littérature et la religion » pp. 294-312

. — Et, en effet, non seulement chaque civilisation, chaque siècle, se représente Dieu à sa façon et le modèle d’après son idéal ; non seulement on peut répéter en ce sens, après Renan : — Dieu n’est pas ; il devient ― ; mais encore le Dieu des catholiques, si bien défini qu’il paraisse par la théologie orthodoxe, s’est incessamment modifié. […] Ce monarque divin, qui trône au ciel, est, comme le roi qui le représente sur terre, jaloux d’hommages et d’adorations. […] Bossuet, dans ses Oraisons funèbres, représente comme des ennemis du Tout-Puissant, comme des rebelles à l’autorité divine, tous ceux-qui en Angleterre ont ébranlé et renversé le trône des Stuarts, tous ceux qui en France ont, au temps de la Fronde, réclamé tumultueusement des libertés ; Dieu apparaît ainsi comme le garant de l’ordre social, comme le protecteur particulier de la royauté de droit divin.

597. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « V »

Lamoureux et Wilder représentent le wagnérisme parisien officiel ; braver ce double veau d’or n’est pas un moyen de fortune, pour qui surtout n’a pas — étant d’ailleurs trop jeune — de pupille millionnaire. […] La veille du jour où Lohengrin devait être représenté, on a demandé à M.  […] Madame Sthamer-Andriessen représente Fricka avec tout l’éclat de sa beauté et toute l’expression de son chant.

598. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — CHAPITRE XIV »

Claude refuse, voulant rester seul maître de son oeuvre, et il laisse Cantagnac discuter, en tête-à-tête avec sa femme, la vente de cette maison qui représente l’apport de sa dot. […] Ce Daniel vous représente un prophète juif, en paletot et en chapeau rond, à la recherche des onze tribus d’Ephraïm égarées dans les sables de Babylone. […] Ou ne pouvait mettre plus de hardiesse et de tact à représenter l’infamie.

599. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Chansons de Béranger. (Édition nouvelle.) » pp. 286-308

Quand je me les représente en idée tous réunis sous la tonnelle autour de l’auteur de tant de couplets narquois, j’appelle cela le Carnaval de Venise de notre haute littérature. […] Lui si amer pour tous, et si en garde avec les hommes de son bord, il ne s’est dit qu’il fallait être en avances avec Béranger et avec Carrel que parce que tous deux lui apportaient pour sa gloire un appoint de popularité : l’un et l’autre représentaient un grand parti ; en le joignant à ce qu’il avait déjà, il augmentait et complétait son armée d’admirateurs. […] Béranger sent bien qu’il représente en personne ce malin esprit, et il soigne ses ouailles. — Lamennais !

600. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Bernardin de Saint-Pierre. — I. » pp. 414-435

Bonpland… Là, tandis que le ciel du Midi brillait de son pur éclat, ou que, par un temps de pluie, sur les rives de l’Orénoque, la foudre en grondant illuminait la forêt, nous avons été pénétrés tous deux de l’admirable vérité avec laquelle se trouve représentée, en si peu de pages, la puissante nature des Tropiques dans tous ses traits originaux. […] Hennin à cette lettre, réponse que les éditeurs ont eu le tort de supprimer, on voit cet homme de sens combattre la détermination de Bernardin, et lui représenter qu’il n’y a rien d’humiliant dans l’offre qui lui est faite ; que le premier pas est l’essentiel, et que le reste ne peut manquer de suivre : « Considérez, monsieur, que dans un pays où les sujets manquent, vous auriez été le premier employé. […] Hennin et Bernardin, dans toute cette correspondance, sont deux hommes représentant des races différentes : l’un représente la race des bons esprits, probes, exacts, laborieux et positifs ; l’autre, celle des chimériques plaintifs, chez qui le roman l’emporte, et qui, à la fin, le talent et la fée s’en mêlant, ont le privilège de se faire pardonner et admirer.

601. (1888) Préfaces et manifestes littéraires « Histoire » pp. 179-240

Qu’elle raconte Hercule ou Roland, elle dit l’homme dans le mouvement et dans les entreprises de son corps ; elle le montre dans l’exercice de sa force ; elle le représente en ses dehors. […] Il ne faut pas oublier que Marie-Antoinette avait quinze ans et demi, lorsqu’elle arrive en France, lorsqu’elle tombe dans ce royaume du papillotage et du Plaisir, parmi cette génération de Françaises qui semblent représenter la Déraison, dans l’agitation fiévreuse de leurs existences futiles et vides. […] Elle représentera cet âge sur son théâtre même, au milieu de ses entours, assis dans ce monde de choses, auquel un temps semble laisser l’ombre et comme le parfum de ses habitudes.

602. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre premier. La solidarité sociale, principe de l’émotion esthétique la plus complexe »

. — Eléments de l’émotion artistique. 1° Plaisir intellectuel de reconnaître les objets par la mémoire ; 2° Plaisir de sympathiser avec l’artiste ; 3° Plaisir de sympathiser avec les êtres représentés par l’artiste. — Rôle de l’expression […] Le troisième élément est le plaisir de sympathiser avec les êtres représentés par l’artiste. […] Si je suis ému par la vue d’une douleur représentée, comme dans le tableau de la Veuve du soldat, c’est que cette parfaite représentation me montre qu’une âme a été comprise et pénétrée par une autre âme, qu’un lien de société morale s’est établi, malgré les barrières physiques, entre le génie et la douleur avec laquelle il sympathise : il y a donc là une union, une société d’âmes réalisée et vivante sous mes yeux, qui m’appelle moi-même à en faire partie, et où j’entre en effet de toutes les forces de ma pensée et de mon cœur.

603. (1860) Ceci n’est pas un livre « Hors barrières » pp. 241-298

Chaque année, Monleau écrit un drame — qu’il fait représenter sur le théâtre de la ville pour flatter les instincts décentralisateurs de la population. […] Pour le moment la littérature française se trouve représentée à Luchon par un artiste pédicure qui rédige ses affiches en vers épiques : quelque lauréat des Jeux Floraux dans le besoin ! […] « C’est étrange, mais il me semble que vous, — le vieux, — vous m’avez offert des couteaux à Châtellerault, il n’y a pas bien longtemps. » Et en effet, après avoir provoqué l’expansion du chef de bande par l’achat d’un poignard que j’avais marchandé jadis au buffet de Châtellerault, j’appris : Que ces Espagnols n’étaient que des Espagnols en strass ; Que ces Castillans étaient nés natifs de la Vienne ; Qu’au lieu de guérilleros sans emploi faisant trafic de bonnes lames de Tolède, j’avais levé trois Français en rupture — de nationalité ; Que le chef Pedro Bobinardino avait été, dans une existence antérieure, coutelier à Châtellerault — et s’appelait Pierre Bobinard ; Que ledit Bobinard avait vu sombrer son industrie à l’époque de la grande débâcle des diligences Laffitte et Gaillard ; Que, sur le point de se jeter sous les roues de la locomotive qui le ruinait, une idée lumineuse lui avait représenté le suicide comme un acte profondément immoral ; Que cette idée consistait à courir les Pyrénées en costume espagnol, pour écouler, sous prétexte de Vieille-Castille, le fonds de Châtellerault ; Que l’idée était une Californie : le touriste se faisant une joie de posséder un couteau espagnol qui ferait, l’hiver prochain, l’admiration et la jalousie de Castelnaudary ; Que les adolescents de dix-huit ans, en bonne fortune à Luchon avec quelque baronne de hasard, donnaient particulièrement dans le couteau espagnol : vu qu’on ne peut, décemment, aux heures des grandes colères passionnées, menacer sa folle maîtresse du couteau français, qui n’a rien de dramatique ; Que le matin même M. 

604. (1759) Réflexions sur l’élocution oratoire, et sur le style en général

Nous ne pouvons lire sans être attendris les péroraisons touchantes de Cicéron pour Flaccus, pour Fonteius, pour Sextius, pour Plancius et pour Sylla, les plus admirables modèles d’éloquence que l’antiquité nous ait laissés dans le genre pathétique : qu’on imagine l’effet qu’elles devaient produire dans la bouche de ce grand homme ; qu’on se représente Cicéron au milieu du barreau, animant par ses pleurs le discours le plus touchant, tenant le fils de Flaccus entre ses bras, le présentant aux juges, et implorant pour lui l’humanité et les lois ; sera-t-on surpris de ce qu’il nous apprend lui-même, qu’il fut interrompu par les gémissements et les sanglots de l’auditoire ? […] C’est par là qu’un orateur, sans être réellement affligé, fera verser des pleurs à son auditoire et en répandra lui-même ; c’est par là qu’un comédien, en se mettant à la place du personnage qu’il représente, agite et trouble les spectateurs au récit animé des malheurs qu’il n’a pas ressentis ; c’est enfin par là que des hommes nés avec une imagination sensible, peuvent inspirer dans leurs écrits l’amour des vertus qu’ils n’ont pas. […] Si l’effet de l’éloquence est de faire passer dans l’âme des autres le mouvement qui nous anime, il s’ensuit que plus le discours sera simple dans un grand sujet, plus il sera éloquent, parce qu’il représentera le sentiment avec plus de vérité.

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