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470. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Histoire du Consulat et de l’Empire, par M. Thiers. (Tome XII) » pp. 157-172

On y voit Ney, « à qui la présence de l’ennemi rendait ses éminentes qualités » ; le plus habile manœuvrier de l’armée ; « héros au cœur infaillible, à la raison quelquefois flottante, inébranlable sur un terrain qu’il pouvait embrasser de ses yeux, moins sûr de lui-même sur un terrain plus vaste qu’il ne pouvait embrasser qu’avec son esprit ». […] On y voit Junot, « malheureusement moins sensé que brave », et à qui une blessure reçue au front n’était pas propre à rendre l’équilibre ; de l’avis de Ney quand il est avec Ney, de l’avis de Reynier quand il est avec celui-ci, et devant Masséna pourtant, n’osant contredire. […] Les vicissitudes et les haltes sanglantes de la retraite sont rendues vivantes par la curiosité et le soin de l’historien à expliquer les détails des moindres actions militaires. […] Le caractère destructif et ruineux de notre lutte prolongée en Espagne est parfaitement décrit et rendu sensible. […] Sire, et j’ose dire votre gloire, ne vous permettent pas de prolonger davantage l’ignominieuse agonie d’un frère sur le trône d’Espagne, exposé, dans un lieu si élevé, aux risées de vos ennemis et à la déconsidération de ses amis… Toute entrave qui nuirait au but que doit se proposer tout prince honnête homme me rend la place que j’occupe insoutenable.

471. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Correspondance diplomatique du comte Joseph de Maistre, recueillie et publiée par M. Albert Blanc » pp. 67-83

Cet homme que j’ai tant lu et (je puis dire) tant connu autrefois à force de le lire, je viens de l’approcher de nouveau, je viens de l’entendre ; la Correspondance qu’on publie me l’a rendu au complet, vivant, parlant, dans ses jets et ses éclairs, dans ses éruptions et ses effusions de chaque jour, et je me suis senti de nouveau sous le charme, sous l’ascendant. […] Il y a un moment très difficile à fixer avec précision où, dans ces luttes du héros nouveau, de ce grand diable d’homme (comme il l’appelle) contre les souverains des vieilles races, le fer insensiblement se transmute et acquiert de l’or : laissons les figures ; il y a un moment où le fait devient droit, où l'utilité publique, la grandeur nationale, l’immensité des services rendus et à rendre, le prestige qui rayonne et ne se raisonne pas, se confondent pour sacrer un homme nécessaire et une race qui fait souche à son tour. […] De Maistre ne put jamais s’y faire ; mais il faut lui rendre cette justice que, tout en résistant à la solution moderne qui, au fond, n’est autre que l’ancienne, sauf qu'elle est moins revêtue de mystère, il s’est toujours posé le problème. […] Ce que de Maistre a de merveilleux, c’est sa langue ; avec toutes ses roideurs et ses tons cassants, elle est incomparable, et on lui rend forcément les armes chaque fois qu’on l’entend ou qu’on le lit. […] [NdA] À cet endroit je me suis rendu coupable, à ce que j’ai appris depuis, d’une bien grave omission ; car, quoiqu’en général il soit vrai de dire que le travail de M. 

472. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « La Grèce en 1863 par M. A. Grenier. »

Rends honneur à tout, à l’antiquité, aux hauts faits du passé, aux fables elles-mêmes…, etc. » Le précepteur et professeur peut continuer longtemps sur ce ton : le spirituel élève d’Athènes, à peine débarqué, songea bien vraiment à ces recommandations de ses maîtres ! […] Mme de Gasparin, âme ardente, promeneuse naïve et originale, et qui se porte elle-même tout entière partout, est par trop occupée, en posant le pied à Corinthe, de rendre grâces en style biblique, et, en face du Parthénon, de discuter pour ou contre l’utilité des missionnaires. […] A un certain endroit de l’lliade, parlant de la blessure d’Agamemnon au bras ou à la main, et des douleurs aiguës qu’elle lui causait, Homère compare ces douleurs à celles qu’éprouverait une femme en travail d’enfant ; sur quoi Plutarque se récrie d’admiration : « Les femmes disent que ce n’est point Homère qui a écrit ces vers, mais la femme Homère, après avoir accouché ou pendant qu’elle accouchait encore » ; tant la douleur lancinante de l’enfantement y est bien rendue ! […] Homère a voyagé, a observé de ses yeux tout ce qu’il a décrit, l’a exprimé au naturel, et a rendu toute chose avec une telle vérité, qu’il semble avoir tout vu et presque avoir tout été lui-même. […] On a délivré le tronc, et on ne lui a pas rendu la liberté des membres.

473. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre premier. De l’amour de la gloire »

La gloire des écrits ou celle des actions est soumise à des combinaisons différentes ; la première, empruntant quelque chose des plaisirs solitaires, peut participer à leurs bienfaits ; mais ce n’est pas elle qui rend sensibles tous les signes de cette grande passion ; ce n’est pas ce génie dominateur, qui, dans un instant, sème, recueille et se couronne ; dont l’éloquence entraînante, ou le courage vainqueur décident instantanément du sort des siècles et des empires ; ce n’est pas cette émotion toute puissante dans ses effets, qui commande en inspirant une volonté pareille, et saisit dans le présent, toutes les jouissances de l’avenir. […] Le genre humain hérite du génie, et les véritables grands hommes sont ceux qui ont rendu leurs pareils moins nécessaires aux générations suivantes. […] Le spectacle de la France a rendu ces observations plus sensibles ; mais, dans tous les temps, l’amant de la gloire a été soumis au joug démocratique ; c’est de la nation seule qu’il recevait ses pouvoirs ; c’est par son élection qu’il obtenait sa couronne ; et quels que fussent ses droits à la porter, quand le peuple retirait ses suffrages au génie, il pouvait protester, mais il ne régnait plus. […] D’abord, je crois que l’amour de l’éclat a rendu moins de service aux hommes, que la simple impulsion des vertus obscures ou des recherches persévérantes. […] n’est plus un bonheur accordé à celui que la passion de la gloire a dominé longtemps ; ce n’est pas que son âme soit endurcie, mais elle est trop vaste pour être remplie par un seul objet ; d’ailleurs, les réflexions que l’on est conduit à faire sur les hommes en général, lorsqu’on entretient avec eux des rapports publics, rendent impossible la sorte d’illusion qu’il faut, pour voir un individu à une distance infinie de tous les autres : loin aussi que de grandes pertes attachent au genre de bien qu’il reste, elles affranchissent de tout à la fois ; on ne se supporte que dans une indépendance absolue, qui n’établit aucun point de comparaison entre le présent et le passé.

474. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLXe Entretien. Souvenirs de jeunesse. La marquise de Raigecourt »

La marquise de Raigecourt I Aymond de Virieu, qui m’aimait comme un frère, parlait souvent de moi dans les maisons de la haute noblesse où sa naissance et ses relations de famille le rendaient familier. […] Il me dit que la poésie rendait égaux tous les hommes et qu’il serait heureux de mon amitié. […] Son peu de goût pour le mariage, qu’on imputait généralement à la mort affreuse de sa femme, le rendait trop compréhensible ; mais les traditions de sa famille, la mémoire de son oncle le cardinal Louis de Rohan, si fameux par l’affaire du collier et de madame de Lamothe, plus fameux par son repentir sincère et par son retour courageux à la royauté de Louis XVI, ses instincts véritablement religieux le prédisposaient ; on peut dire que le mousquetaire était né pontife. […] Ce fut lui qui, dans la nuit fameuse du 7 août, commença cet abatis de priviléges, ce défrichement de la France qui la rendit invincible. […] La résipiscence ne pouvait être complète à ses propres yeux que quand il aurait contribué à rendre un trône aux frères de Louis XVI, auxquels il s’accusait d’avoir involontairement arraché le trône et la vie.

475. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Madame, duchesse d’Orléans. (D’après les Mémoires de Cosnac.) » pp. 305-321

Jamais princesse ne fut si touchante… » De retour en France, elle y fut l’objet de tous les empressements imaginables, y compris ceux de Monsieur, qui « continua, jusqu’à son mariage, à lui rendre des devoirs auxquels il ne manquait que de l’amour ; mais le miracle d’enflammer le cœur de ce prince n’était réservé à aucune femme du monde ». […] Elles avaient l’honneur de la suivre au Cours ; au retour de la promenade, on soupait chez Monsieur ; après le souper, tous les hommes de la Cour s’y rendaient, et on passait le soir parmi les plaisirs de la comédie, du jeu et des violons ; enfin on s’y divertissait avec tout l’agrément imaginable, et sans aucun mélange de chagrin. […] Au lieu de voir la vérité et de s’adoucir par là, il a pris cette occasion de vous faire du mal auprès du roi, et de tâcher à m’y rendre de mauvais offices. […] Mais on ne voit pas que Cosnac ait tiré, de ces lettres à lui adressées, aucune induction précise, ni qu’il leur ait fait rendre aucun mauvais sens. […] Louis XIV, en se liant avec elle d’une amitié si vraie et qui avait dominé l’amour, semblait avoir voulu s’attacher à régler cet heureux naturel et à lui donner de ses propres qualités : « il la rendit en peu de temps une des personnes du monde les plus achevées ».

476. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 24, des actions allegoriques et des personnages allegoriques par rapport à la peinture » pp. 183-212

Quoique Raphael fut très-capable de les rendre reconnoissables, néanmoins on ne trouve pas que cette précaution soit inutile, et l’on souhaite même quelquefois qu’il l’eût poussée jusque à nous donner une explication des symboles dont il les orne. […] Que les choses que vous inventez pour rendre votre sujet plus capable de plaire, soient compatibles avec ce qui est de vrai dans ce sujet. […] Les peintres sont poëtes, mais leur poësie ne consiste pas tant à inventer des chimeres ou des jeux d’esprit, qu’à bien imaginer quelles passions et quels sentimens l’on doit donner aux personnages suivant leur caractere et la situation où l’on les suppose, comme à trouver les expressions propres à rendre ces passions sensibles et à faire deviner ces sentimens. […] Le prince qui avoit conçu une idée si noble, eut en cette occasion un excès de complaisance, et déferant trop à l’art, il permit au peintre d’alterer l’élegance et la simplicité de sa pensée par des figures qui rendent le tableau plus composé, mais qui ne lui font rien dire de plus que ce qu’il disoit déja d’une maniere si sublime. […] Quoique leur action soit feinte ainsi que celle des compositions purement allegoriques, néanmoins comme une partie de leurs personnages se trouvent être des personnages historiques, on peut mettre le sens de ces fictions à la portée de tout le monde, et les rendre ainsi capables de nous instruire, de nous attacher, et même de nous interesser.

477. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Poésies complètes de Théodore de Banville » pp. 69-85

Et en chantant, ils rendaient au vers la trempe de l’acier, et à la strophe le poli, le plein et la jointure habile de l’armure. […] « On m’appelle souvent un fantaisiste, me disait-il un jour, et pourtant, toute ma vie, je n’ai fait que m’appliquer à bien voir, à bien regarder la nature, à la dessiner, à la rendre, à la peindre, si je pouvais, telle que je l’ai vue. » Qu’il y ait eu des excès dans le rendu des choses réelles, je le sais et je l’ai dit quelquefois. […] Rendre à la poésie française de la vérité, du naturel, de la familiarité même, et en même temps lui redonner de la consistance de style et de l’éclat ; lui rapprendre à dire bien des choses qu’elle avait oubliées depuis plus d’un siècle, lui en apprendre d’autres qu’on ne lui avait pas dites encore ; lui faire exprimer les troubles de l’âme et les nuances des moindres pensées ; lui faire réfléchir la nature extérieure non seulement par des couleurs et des images, mais quelquefois par un simple et heureux concours de syllabes ; la montrer, dans les fantaisies légères, découpée à plaisir et revêtue des plus sveltes délicatesses ; lui imprimer, dans les vastes sujets, le mouvement et la marche des groupes et des ensembles, faire voguer des trains et des appareils de strophes comme des flottes, ou les enlever dans l’espace comme si elles avaient des ailes ; faire songer dans une ode, et sans trop de désavantage, à la grande musique contemporaine ou à la gothique architecture, — n’était-ce rien ? […] Il affectionne l’art grec, la sculpture, et nous en rend dans ses rythmes des copies et parfois presque des moulages.

478. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Lettres de Rancé abbé et réformateur de la Trappe recueillies et publiées par M. Gonod, bibliothécaire de la ville de Clermont-Ferrand. »

Cela rend les lettres qu’on écrit plus simples, mais ne contribue pas à les rendre variées. […] Au reste, si l’abbé Nicaise attira plus d’une affaire à son grave et sombre correspondant par les indiscrétions qu’il commit, il lui rendait en revanche mille bons offices, et, pour peu que Rancé eût voulu informer le monde de ses sentiments véritables sur tel ou tel point en litige, il n’aurait eu qu’à s’en rapporter à lui. […] C’est bien là véritablement celui qui a le droit de se rendre avec sincérité ce témoignage : « Ce que je puis vous dire, Monsieur, c’est qu’il y a longtemps que les hommes parlent de moi comme il leur plaît ; cependant ils ne sont pas venus à bout de changer la couleur d’un seul de mes cheveux. » L’abbé Nicaise, toujours aux aguets et le nez au vent, met bien des fois la patience du saint à l’épreuve et agace en quelque sorte sa curiosité. […] Aux seuls chrétiens comme Rancé il appartient de renchérir avec vérité sur cette délicatesse d’expression, et de dire, pour rendre en plein la même chose : S i quid felicius contigerit .

479. (1858) Cours familier de littérature. V « Préambule de l’année 1858. À mes lecteurs » pp. 5-29

Ce n’est pas assez pour le travail d’être le travail, il faut encore qu’il soit un opprobre ; cela le rend plus méritoire aux yeux de cette Providence qui en a fait, pour ceux qui l’acceptent, non seulement une loi, mais une vertu. […] Je vous rends grâces ; en cherchant à me déshonorer, vous avez, à votre insu, glorifié le travail. […] Je ne la leur rendrai jamais ; en fait de haine je veux mourir insolvable. […] Tu regardais la peur en face, en homme libre, Et ta haute raison rendait plus d’équilibre À mon esprit frappé de tes grands à-propos Que le bain n’en rendait à mes membres dispos !

480. (1861) Cours familier de littérature. XI « Atlas Dufour, publié par Armand Le Chevalier. » pp. 489-512

Les services que rend la géographie à la civilisation de l’esprit sont immenses. […] Ne vaut-il pas mieux cent fois imposer la responsabilité de l’ordre dans le Liban aux Ottomans, qui depuis mille ans l’ont laissé chrétien, et le rendre libre et prospère en prêtant force au Grand Seigneur, libéral, quelquefois faible, jamais sciemment oppresseur ? […] Mais si l’on considère de l’humanité son âme, son intelligence, sa moralité, sa destinée évidemment supérieure à cette vie et à cette mort entre lesquelles elle s’agite, sa connaissance de Dieu, l’hommage qu’elle rend à ce maître suprême de ses destinées individuelles ou collectives, la transition entre le fini et l’infini dont elle paraît être le nœud par sa double nature de corps et de pensée, sa conscience, faculté involontaire, révélation, non de la vérité, mais de la justice, son instinct évidemment religieux, son inquiétude sacrée qui lui fait chercher son Dieu, avant tout créature sacerdotale, chargée spécialement par l’Auteur des êtres de lui rapporter en holocauste les prémices de ce globe, la dîme de l’intelligence, la gerbe de l’autel, l’encens des choses créées, la foi, l’amour, l’hymne des créations muettes, la parole qui révèle, le cri qui implore, l’obéissance qui anéantit le néant devant l’Être unique, le chant intérieur qui célèbre l’enthousiasme, qui soulève comme une aile divine l’humanité alourdie par le poids de la matière, et qui la précipite dans le foyer de sa spiritualité pour y déposer son principe de mort et pour y revêtir d’échelons en échelons sa vraie vie, son immortalité dans son union à son principe immortel ! […] Dufour et Le Chevalier a créé, pour abréger le globe et pour l’éclairer sur toutes ses faces, afin que les lieux racontent les choses, que les choses rappellent les hommes, que les hommes retracent leur histoire, que les cosmos soient contenus dans quinze ou vingt pages in-folio, et que ces quinze ou vingt pages, muettes jusqu’ici, mais rendues tout-à-coup plus éloquentes qu’une bibliothèque, soient devenues la photographie parlante du monde où nous passons sans le connaître, mais qui nous dira lui-même, pendant que nous passons, ce qu’il fut, ce qu’il est, ce qu’il sera ? […] Nous espérons que cette infortune de l’éminent géographe plaidera mieux que nous en faveur d’un ouvrage rendu plus intéressant encore par le travail incomparable de l’illustre graveur Dyonnet.

481. (1890) L’avenir de la science « IV » p. 141

Il me semble toutefois qu’une société qui de fait n’encourage qu’une misérable littérature, où tout est réduit à une affaire d’aunage et de charpentage, qu’une société, qui ne voit pas de milieu entre l’absence d’idées morales et une religion qu’elle a préalablement désossée pour se la rendre plus acceptable, qu’une telle société, dis-je, est loin des sentiments vrais et grands de l’humanité. […] Le plus grand service à rendre à l’esprit humain, au moment où nous sommes, ce serait de trouver un procédé pour procurer à tous l’aisance matérielle. […] Inspirez-lui ces chétifs instincts de lucre, vous le rapetissez, vous détruisez son originalité, sans le rendre plus instruit ni plus moral. […] Les jugements que l’on porte sur la vie ascétique partent du même principe : l’ascète se sacrifie à l’inutile ; donc il est absurde ; ou, si l’on essaye d’en faire l’apologie, ce sera uniquement par les services matériels qu’il a pu rendre accidentellement, sans songer que ces services n’étaient nullement son but et que ces travaux dont on lui fait honneur, il n’y attachait de valeur qu’en tant qu’ils servaient son ascèse. […] Comment ces pauvres enthousiastes rendraient-ils la vie à un cadavre et, sans levier, soulèveraient-ils un monde ?

482. (1864) De la critique littéraire pp. 1-13

» Mais ils ne me liront pas, je l’espère ; mon obscurité me rend un peu de confiance. […] Quel poids peuvent avoir des sentences rendues par la passion ou plutôt par toutes les passions réunies dans l’âme d’un jeune homme ? […] Je ne parle pas ici de ceux qui, vivant de la critique, y trouvent une incontestable utilité : Je sais qu’un noble esprit peut, sans honte et sans crime, Tirer de son travail un profit légitime ; mais je voudrais savoir si elle rend quelque service au public, si elle l’élève vers l’art, comme elle le prétend. […] Jamais siècle, en effet, n’a tant critiqué que le nôtre, et il aura fort à faire si les siècles futurs lui rendent la pareille. […] C’est une chose connue que les auteurs ne lisent pas les critiques, et ceux-ci le leur rendent assez souvent.

483. (1874) Premiers lundis. Tome II « Henri Heine. De la France. »

Montaigne, qui fourmille d’images spirituelles à chaque phrase, a soin de rendre son trait aussi court que possible. […] Heine était singulièrement préoccupé de cette figure maladive et moribonde de Casimir Perier, de cette frénésie d’un homme dévoué (sacer) qui, pour rendre à l’État le règne de la paix et d’Astrée, semblait avoir amassé sur sa tête la colère des dieux infernaux. […] Perier sur la foi de sa physionomie douloureuse, il a parfaitement compris et rendu cet autre ministre de camarilla qu’il définit « un jeune homme bien bâti, un bel écolier vu au travers d’un verre grossissant. » Il a dit de M.  […] Heine, semblent être des portraits ; mais le peintre n’a point copié la nature avec le scrupule de beaucoup de ses confrères, ni rendu les traits avec une minutie diplomatique.

484. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre I. La littérature pendant la Révolution et l’Empire — Chapitre I. Influence de la Révolution sur la littérature »

Cela aura pour premier et sensible effet de reporter du dehors au dedans la règle, la loi de la création littéraire, de rendre l’écrivain dépendant de son seul tempérament, de son propre et personnel idéal : à moins — ce qui arrivera aussi — qu’à la tyrannie du monde ne se substitue la tyrannie des écoles, des ateliers, des sociétés professionnelles, imposant d’absolus mots d’ordre, d’exclusives formules, et décriant la concurrence. […] Voici un second et plus grave effet de la même cause : le journal périodique, quotidien surtout, a singulièrement développé la légèreté, la curiosité du public ; il l’entretient dans un état d’excitation, de fièvre ; en lui présentant toujours du nouveau, il le rend plus avide de nouveauté. […] Les comptes rendus des tribunaux, les faits divers assouvissent chaque jour et entretiennent en nous un besoin d’émotions et de sensations brutales : tout ce qu’on craignait jadis de montrer dans les livres ou sur la scène, s’étale là ; et la littérature serait vite insipide à nos palais, si elle ne nous offrait le ragoût auquel les journaux nous ont habitués. […] Camille Desmoulins est une nature généreuse, sensible, aimante, une vraie nature de femme par la tendresse, que la passion politique a pu rendre violente et féroce jusqu’à applaudir aux pires excès, à réclamer les plus cruelles vengeances : une âme avide de bonheur, d’affection, de vie, affolée par la peur et les approches de la mort.

485. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Madame Therbouche » pp. 250-254

Point de vapeur entre le corps lumineux et les objets ; aucun de ces passages, point de ces demi-teintes si légères, qui se multiplient à l’infini dans les tableaux de nuit et dont les tons imperceptiblement variés sont si difficiles à rendre ; il faut qu’ils y soient et qu’ils n’y soient pas. […] Je ne sens rien là de ces ténèbres visibles avec lesquelles la lumière se mêle et qu’elle rend presque lumineuses. […] Elle est si sensible au jugement qu’on porte de ses ouvrages, qu’un grand succès la rendrait folle ou la ferait mourir de plaisir ; c’est un enfant. […] Elle appella les témoins que j’avais écartés, et leur rendit mes observations avec une intrépidité qui m’arracha en faveur de son caractère un éloge que je ne pouvais accorder à son ouvrage.

486. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — C — Chénier, André (1762-1794) »

… On prépare, dit-on, une nouvelle édition des œuvres de ce poète, que plusieurs pièces inédites ont rendue nécessaire. Il serait à souhaiter qu’elle fût revêtue d’un caractère critique que n’ont pas eu les éditions précédentes, qui semblent avoir été entreprises surtout dans un esprit de panégyrique et d’hommage rendu à la mémoire du poète. […] Jusque dans ses essais informes, on trouve déjà tout le mérite du genre, la verve, l’entraînement et cette fierté d’idées d’un homme qui pense par lui-même ; d’ailleurs, partout la même flexibilité de style ; là, des images gracieuses, ici des détails rendus avec la plus énergique trivialité… Il n’y aura point d’opinion mixte sur André de Chénier.

487. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — C — article » pp. 40-47

Toutes ces Pieces ne sont pas égales, à la vérité ; mais on trouve dans ses défauts mêmes, selon l’expression d’Horace, la touche du grand Poëte qui rend respecpectables jusqu’à ses écarts : Invenias etiam disjecti menbra Poëta. […] Tel est le privilége des Grands Hommes : les momens de courte durée ; & leur goût se développant par une impulsion naturelle, ils marchent à pas de géant dans la carriere, devancent bientôt ceux qui les avoient précédés, & se rendent inimitables à ceux qui doivent les suivre. […] Quels motifs ont pu porter un Ecrivain dont la réputation n’a rien de commun avec ce grand Poëte Tragique, à s’acharner contre les hommages rendus de tout temps à sa supériorité ?

488. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XII. Des panégyriques ou éloges des princes vivants. »

Ferme l’oreille à des discours dangereux ; tu mérites sans doute l’hommage qu’on va te rendre, achève de le mériter en le dédaignant ; aujourd’hui la vérité te loue, demain la flatterie t’attend ; de tous côtés l’orgueil te tend des pièges et te poursuit ; l’esclavage en silence te trompe et te flatte ; iras-tu encore permettre à un orateur de te corrompre avec art ? […] As-tu besoin de vains éloges et de panégyriques pour apprendre que tu nous rends heureux ? […] On commença par rendre des actions de grâce au prince, lorsqu’on était nommé consul.

489. (1863) Causeries parisiennes. Première série pp. -419

À cet état de choses il y a deux remèdes : on peut rendre les expositions plus fréquentes ; on peut rendre l’admission plus difficile. […] L’idée de l’immensité y est admirablement rendue. […] D’un autre côté, le tribunal correctionnel de Niort a rendu un jugement tout contraire. […] C’est ton ami qui l’a prise et qui la rend bien malheureuse. […] C’est, en tous cas, celui dont le chroniqueur risque le plus de se rendre coupable.

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