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436. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XII. MM. Doublet et Taine »

Le Catholicisme l’aurait enlevé à la Philosophie, et comme Hercule étouffait Antée en l’arrachant à la terre, la religion aurait étouffé le philosophe dans le ciel ! […] Taine distingue profondément la science, cet objet d’éternelle recherche, de la morale, de la religion, du gouvernement. […] Or, comme il estime que la science doit faire, dans un temps donné, les destinées du genre humain, il se trouve que la religion et la morale, qui ne sont pas la vérité scientifique et sur lesquelles les philosophes ont pris l’avance, s’en iront un jour avec les vieilles lunes.

437. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Le Marquis Eudes de M*** »

Du reste, ce n’est ni une question ni deux que ce livre de cinq cents pages secoue avec puissance, mais c’est tout un ordre de questions qui, résolues au sens de l’auteur, entraîneraient du coup la ruine de toutes les philosophies connues, éclaireraient l’Histoire d’un jour nouveau, et consommeraient enfin et définitivement cette fusion, maintenant entrevue par tous les penseurs un peu forts, de la Religion et de la Science. […] … Elle l’est même pour ceux qui, catholiques conséquents, la croient vraie, mais qui, sensibles comme dans leur chair pour la religion de leurs entrailles, pâliront peut-être de voir un dogme sur lequel la Précaution oubliait son voile à dessein affronter indifféremment la risée. […] Quoiqu’il en puisse être à cet égard, nous, qui sommes de la religion de l’auteur du mémoire, nous constatons du moins pour le catholicisme cet honneur et cet avantage que c’est lui qui pose les questions.

438. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Laurent Pichat »

C’est enfin la religion de l’homme-Dieu moderne, qui n’est plus Notre-Seigneur Jésus-Christ, mais Laurent Pichat et tous les Pichat de la terre ; car, dans ce système, tout homme est égal à Pichat comme X est égale à X. […] … Dans un des plus longs poèmes du recueil de Laurent Pichat, intitulé : Saint-Marc (le Saint-Marc de Venise), où se trouve, plus que partout ailleurs, cette idée qui, au fond, est la seule du livre : c’est que le monde entier, l’Antiquité, le Christianisme, le Moyen Age, toutes les religions, toute l’Histoire enfin, jusqu’à ce moment, ne sont plus qu’une pincée de poussière, un songe évanoui, évaporé, perdu, et qu’il n’en subsiste ni un sentiment, ni une croyance, ni une vérité, tandis que le xixe  siècle seul est la vie ! […] Laurent Pichat vient, parmi eux, de gagner sa place,· — mais, il faut en convenir, Baudelaire, la mâle Ackermann, et, plus près de nous, Jean Richepin, l’auteur de La Chanson des Gueux, — qui couvait son volume des Blasphèmes, — Richepin le toréador, qui prétend traiter Dieu comme le vil taureau auquel on passe une épée à travers le ventre, Richepin qui rirait bien de Pichat avec sa religion du progrès, qui n’est que du Christianisme déplacé, sont des blasphémateurs d’un autre poing montré au ciel et d’un autre calibre de passion impie que Pichat, l’égorgeur de songes, comme il s’appelle, et le pleureur sur les légendes religieuses auxquelles il a cru, et que, du fond de sa stérile et vide raison, il a l’air de regretter encore.

439. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXIV. Siècles de barbarie. Renaissance des lettres. Éloges composés en latin moderne, dans le seizième et le dix-septième siècles. »

Un latin plus que barbare était chez tous les peuples la langue générale des lois, de la religion, des sciences et des arts. […] Enfin, dans le seizième siècle, les querelles de religion vinrent agiter les esprits. […] On sait que de son vivant même elle trouva des censeurs ; les femmes, en France, lui reprochèrent de n’avoir point les manières et les agréments de son sexe ; les protestants, d’avoir changé de religion ; les politiques, d’avoir quitté un trône ; tous ceux qui avaient quelque humanité, d’avoir pu croire que sa qualité de reine pût autoriser un assassinat : mais elle fut l’objet éternel des hommages des savants et des gens de lettres.

440. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre premier. Idée générale de la seconde Partie » pp. 406-413

J’ai essayé de démontrer comment la démocratie de la Grèce, l’aristocratie de Rome, le paganisme des deux nations donnèrent un caractère différent aux beaux-arts et à la philosophie, comment la férocité du Nord se mêlant à l’avilissement du Midi, l’un et l’autre, modifiés par la religion chrétienne, ont été les principales causes de l’état des esprits dans le moyen âge. […] Il me reste maintenant à examiner, d’après l’influence que les lois, les religions et les mœurs ont exercée de tout temps sur la littérature, quels changements les institutions nouvelles, en France, pourraient apporter dans le caractère des écrits.

441. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre XI. Suite des machines poétiques. — Songe d’Énée. Songe d’Athalie. »

Il nous est singulièrement agréable de trouver parmi les poètes chrétiens quelque chose qui balance, et qui peut-être surpasse ce songe : poésie, religion, intérêt dramatique, tout est égal dans l’une et l’autre peinture, et Virgile s’est encore une fois reproduit dans Racine. […] Les deux songes sont pris également à la source des différentes religions des deux poètes : Virgile est plus triste, Racine plus terrible : le dernier eût manqué son but, et aurait mal connu le génie sombre des dogmes hébreux, si, à l’exemple du premier, il eût amené le rêve d’Athalie dans une heure pacifique : comme il va tenir beaucoup, il promet beaucoup par ce vers : C’étoit pendant l’horreur d’une profonde nuit.

442. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Addition au second livre. Explication historique de la Mythologie » pp. 389-392

Elle punit Actéon d’avoir violé la religion des eaux sacrées (qui avec le feu constituent la solennité des mariages). […] Vesta, toujours armée de la religion farouche des premiers âges, continua de garder le feu et le froment.

443. (1867) Cours familier de littérature. XXIV « CXLIe entretien. L’homme de lettres »

Voici comment il qualifiait la religion chrétienne: Ah ! […] Il faut l’entendre parler de cette religion, qui « seule a connu que nos passions infinies étaient d’institution divine. […] si cette religion ne fut faite que pour le bonheur des misérables, elle fut donc faite pour celui du genre humain !  […] Tout gouvernement devait devenir une religion dans ses mains: aussi les sentiments qu’il nous inspirait dans notre jeunesse tenaient-ils d’une religion ; nous ne pouvions, en son absence, parler de lui sans que notre physionomie prît le sérieux un peu sévère de sa figure, et son nom nous est resté comme une relique de ce beau temps représentatif. […] » Elle ajoutait que les idées d’humanité, de vertu, de religion, adoptées par tous les peuples, n’étaient que des inventions de la politique de leurs princes.

444. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLVIe Entretien. Marie Stuart (reine d’Écosse) »

Le protestantisme et le catholicisme commençaient à ajouter à ces divisions le fanatisme des deux religions en présence. […] La communauté de religion pouvait donc seule coïntéresser les papes, l’Italie, l’Autriche, la France, la Lorraine à maintenir à main armée l’indépendance de l’Écosse. […] Nous ne parlons pas religion ; mais, sous le rapport politique, pour Jacques V, s’allier au protestantisme, c’était s’allier à la mort. […] Le protestantisme modéré, mais pieux de Murray, contribuait à cette pacification, en donnant un gage de tolérance et même de faveur à la nouvelle religion ; tout permettait à Marie Stuart un régime heureux pour l’Écosse et pour elle, si son cœur n’avait pas eu d’autres agitations que celle de la politique. […] Tandis que les conjurés la menaçaient, si elle appelait, de la tuer et de la jeter par-dessus les murs, d’autres conjurés disaient aux bourgeois que tout allait bien, que seulement on avait dagué le favori piémontais, qui s’entendait avec le pape et le roi d’Espagne pour détruire la religion du saint Évangile.

445. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLVIIe Entretien. Marie Stuart, (Reine d’Écosse). (Suite et fin.) »

La captivité était son excuse, la religion son prétexte, le malheur son droit ; mais, si elle pouvait alléguer son infortune, elle ne pouvait, sans mentir, alléguer son innocence. […] Élisabeth le pleura comme le protecteur de la religion réformée en Écosse. […] Le fils de Marie, Jacques II, avait été nourri par lui dans l’horreur de la religion de sa mère et dans le mépris de sa mère elle-même. […] Les massacres de la Saint-Barthélemy, ces vêpres siciliennes de la religion et de la politique, firent frémir Élisabeth. […] Deux jésuites de Reims, nommés Allen et Ballard, ne reculèrent pas devant ce régicide ; Ballard vint à Londres, chercha Babington qui y était revenu, l’embaucha pour le salut de la reine d’Écosse et embaucha par lui une poignée de conspirateurs catholiques, prêts à tout pour le triomphe de la religion.

446. (1869) Philosophie de l’art en Grèce par H. Taine, leçons professées à l’école des beaux-arts

A cet égard, considérez leur religion ; ils n’ont point le sentiment de cet univers infini dans lequel une génération, un peuple, tout être borné, si grand qu’il soit, n’est qu’un moment et un point. […] » En effet, ils ont joué avec la vie, avec toutes les choses graves de la vie, avec la religion et les dieux, avec la politique et l’État, avec la philosophie et la vérité. […] Les peuples modernes sont chrétiens, et le christianisme est une religion de seconde pousse qui contredit l’instinct naturel. […] En Grèce, l’orchestrique intervient dans la religion et dans la politique, pendant la paix et pendant la guerre, pour honorer les morts et célébrer les vainqueurs. […] La sagesse nouvelle ne détruisait pas la religion ; elle l’interprétait, elle la ramenait à son fonds, au sentiment poétique des forces naturelles.

447. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. Tissot. Poésies érotiques avec une traduction des Baisers de Jean Second. »

C’est une religion que sa poésie ; la poésie de Béranger est une pensée ou mieux une opinion populaire. […] En religion, en politique, en astronomie, il a prouvé de reste que l’invention ne lui manquait pas ; en littérature, il n’a pas moins tenté, et d’assez admirables monuments sont debout encore pour attester, dans leur rudesse première, ce qu’il a osé et ce qu’il a pu.

448. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Introduction. Origines de la littérature française — 4. Physionomie générale du moyen âge. »

« Le grand événement de la vie, dans cette conception, c’est le péché, il s’agit de l’éviter ou de l’expier. » La religion l’enseigne : mais de son enseignement, trop haut, trop spirituel pour ces rudes âmes, on ne saisit que l’extérieur, les pratiques, tout ce qui est observance matérielle, acte physique. […] Cependant, si elle ne peut encore éveiller les âmes à la vie spirituelle, à la pacifique poursuite de la perfection intérieure, la religion agit puissamment, salutairement, comme un frein.

449. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Préface » pp. -

Renan appartient à la famille des grands penseurs, des contempteurs de beaucoup de conventions humaines, que des esprits plus humbles, des gens comme moi, manquant « d’idées générales » vénèrent encore, et nul n’ignore qu’il y a une tendance chez ces grands penseurs, à voir, en cette heure, dans la religion de la Patrie, une chose presque aussi démodée que la religion du Roi sous l’ancienne monarchie, une tendance à mettre l’Humanité au-dessus de la France : des idées qui ne sont pas encore les miennes, mais qui sont incontestablement dans l’ordre philosophique et humanitaire, des idées supérieures à mes idées bourgeoises.

450. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre premier. Que la Mythologie rapetissait la nature ; que les Anciens n’avaient point de Poésie proprement dite descriptive. »

Or, voilà un côté immense que la religion chrétienne embrasse de plus que l’idolâtrie. […] Le don de prophétie et de sagesse, le mystère et la religion semblent résider éternellement dans leurs profondeurs sacrées.

451. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre XIV. Parallèle de l’Enfer et du Tartare. — Entrée de l’Averne. Porte de l’Enfer du Dante. Didon. Françoise de Rimini. Tourments des coupables. »

C’est encore au christianisme que ce morceau doit une partie de son pathétique ; Françoise est punie pour n’avoir pas su résister à son amour, et pour avoir trompé la foi conjugale : la justice inflexible de la religion contraste avec la pitié que l’on ressent pour une faible femme. […] Si l’on dit qu’un auteur grec ou romain eût pu faire un Tartare aussi formidable que l’Enfer du Dante, cela d’abord ne conclurait rien contre les moyens poétiques de la religion chrétienne, mais il suffit d’ailleurs d’avoir quelque connaissance du génie de l’antiquité, pour convenir que le ton sombre de l’Enfer du Dante ne se trouve point dans la théologie païenne, et qu’il appartient aux dogmes menaçants de notre Foi.

452. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Gabriel Naudé »

Bien qu’en plus d’un passage de ce livre sur les Rose-Croix, la religion chrétienne ne semble pas suffisamment distinguée de ce qui est touché tout à côté, il apparaît assez clairement que l’auteur ne favorise en rien les nouveautés religieuses qui ont troublé le royaume et porté atteinte à la foi des aïeux. […] Il avoit fort peu de théologie et haïssoit toute controverse de religion ; même je l’ai mainte fois vu se moquer de ceux qui s’en mettoient en peine. […] Naudé se pique dès l’abord de se bien séparer de ces auteurs qui, traitant de la politique, ne mettent pas de fin à leurs beaux discours de Religion, Justice, Clémence, Libéralité  ; il laisse cette rhétorique à Balzac et consorts. […] Naudé n’en demandait pas tant aux souverains de son temps, et, dans cette chambre close du cardinal de Bagni, il n’est plus que de la religion de Louis XI, de Philippe de Macédoine, ou du vieil et perfide Ulysse ; il cite à propos Tibère. […] Mais chez Huet on peut dire que le scepticisme a moins l’air encore d’être déguisé qu’enchevêtré dans l’érudition ; on ne sait trop jusqu’où il l’étend et à quel point juste sa religion s’y concilie.

453. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXIe entretien. Mémoires du cardinal Consalvi, ministre du pape Pie VII, par M. Crétineau-Joly (3e partie) » pp. 161-219

Dans son idée, il cherchait à se persuader que j’aurais adhéré à ses volontés plutôt que d’exposer les intérêts de la religion aux dangers de le voir rompre avec Rome. […] Quel est le souverain, quel est le grand ministre en Europe qui eût pu dire : « Je ne suis pas de la religion de Pie VII et de Consalvi ?  […] Ce ne sont ni les hommes de la religion, ni les hommes de la liberté : ce sont les hommes de la personnalité jalouse ; l’amour même n’est chez eux qu’une réaction. […] Ils ne sentent le feu sacré des religions qu’à la chaleur des bûchers qu’elles allument. […] Elle fait jouir de tout ce que la religion ascétique défend de rêver, même à ses saints.

454. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 avril 1886. »

Mais cet appui de la religion la plus pure, la plus divine, ce pouvait être seulement la plus noble des races humaines ; ainsi le pur Christianisme affranchi devint nécessairement la propriété des Aryens, qui en ces temps dominaient l’Europe : dès ce moment il y avait une ère chrétienne, bien qu’il n’y eût pas encore des peuples vraiment chrétiens. […] Jamais peut-être plus qu’en notre temps, depuis la naissance du Christianisme, n’a été aussi nécessaire une telle religion de la foi, de l’amour et de l’espérance. […] Ici non plus la morale n’est pas prêchée ; mais l’esprit de la religion chrétienne y trouve nécessairement sa pleine expression, parce que l’homme idéal sorti de la plus pure nature humaine est, avec une complète force et vérité, représenté dans Parsifal. […] Dans Tristan l’éternelle souffrance de la nature humaine a été élevée à une manifestation de l’art idéal, mais dans Parsifal cette œuvre d’art idéale devient l’expression d’une religion purement humaine. […] Émanant de la religion, elle reçut ses premiers grands mouvements du catholicisme qui a gardé de l’antiquité la plasticité, et du moyen-âge la magnificence des couleurs, et se développa plus tard dans l’Allemagne protestante.

455. (1861) La Fontaine et ses fables « Deuxième partie — Chapitre III. Les dieux »

La religion, purifiée et pompeuse, offre le spectacle le plus correct et le plus noble. […] On bien encore il faut qu’il soit païen s’il n’est mystique ; il faut que la religion lui montre Dieu dans la nature, si elle ne le lui montre pas dans l’âme. […] On vit alors le spectacle le plus extraordinaire et le plus ridicule, la poésie séparée de la religion, dont elle est le fond naturel et l’aliment intime, un ciel païen introduit dans un monde chrétien, l’Olympe restauré, non par sympathie sensuelle comme à la Renaissance, ou par sympathie archéologique comme aujourd’hui, mais par convenance, pour remplir un cadre vide et ajouter une parade de plus à toutes celles dont ce siècle s’était affublé.

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