Le dramatique des scènes, la beauté du spectacle, des tableaux que l’action rend nécessaires, une musique qui ne sent point l’artifice, et qui, étant un religieux usage du lieu où se passe la scène, ajoute à la vraisemblance ; voilà ce que Racine a fait pour le spectateur38.
L’esthétique est ainsi dominée et dirigée, et souvent, plus que la conduite, par les croyances morales, sociales, religieuses — car le style, comme l’accent de la voix, est plus spontané que l’action.
La lucidité et l’énergie obstinée de Carmen ne pouvait qu’éclater davantage dans la surexcitation de la dernière lutte : « Elle aurait pu prendre mon cheval et se sauver, mais elle ne voulait pas qu’on pût dire que je lui avais fait peur. » Dans la lutte intérieure de quelques heures qui précède chez tous deux le dénouement, ce qui surnage seul de tous les sentiments bouleversés, ce sont les croyances religieuses ou superstitieuses de l’enfance ; et cela devait être.
Et, de fait, ce qu’il y a de foi naïve et de terreur religieuse dans Marguerite fait d’elle cette figure qui se grave en vous pour jamais quand on l’a vue passer.
En écrivant ceci, je songe au rédacteur de l’article Vinet dans la dernière Encyclopédie des sciences religieuses ; et je crains que M. […] J’admets d’ailleurs, puisque Vinet a joué son rôle dans l’histoire religieuse de la Suisse, et même du protestantisme contemporain, que l’on en tienne compte, comme l’a fait jadis M. […] Et, indépendamment de toute idée religieuse, ne peut-on pas croire que, de tous les problèmes, le plus important et le plus tragique pour nous, c’est encore celui de notre destinée ? […] En réalité, pendant trois cents ans, la question religieuse a été l’âme de la littérature.
Il va de vallée en vallée, de montagne en montagne, dans le libre élan de la passion satisfaite, content de tout, souriant à tout, joyeux d’un bon gîte, acceptant le mauvais sans murmurer, aussi ravi d’un beau jour que résigné quand il a subi le vent et l’orage, alerte et dispos dès l’aube, tant il sait combien il a de contrées à parcourir ; causant amicalement avec le vieillard et l’enfant et s’instruisant avec tous ; saluant avec gratitude le chêne dont les rameaux l’ont protégé, la cabane du pauvre où il a trouvé un abri ; heureux enfin de cheminer, d’errer, d’admirer l’œuvre de Dieu et l’œuvre de l’homme et d’assister avec un religieux respect aux terribles, aux majestueux, aux imposants spectacles de la nature. […] Dévote par ce besoin quasi hystérique qu’ont certaines femmes de s’agenouiller dans des coins remplis d’odeur d’encens, elle ne détestait pas non plus le parfum de poudre de riz, et menait habilement de front la tendresse religieuse et l’amour mondain. […] Comment Mme Craven n’a-t-elle pas compris qu’en composant un roman aussi exclusivement religieux, elle écrivait un livre qui ne ressort plus de la critique, car il est la dévotion de parti pris ?
Une dame de Florence devient passionnément amoureuse d’un jeune homme qu’elle voit souvent avec un religieux. […] Dans ce moment, se fait leur véritable mariage ; et cet acte imposant, cet acte… pour ainsi dire religieux… ne demande-t-il pas, d’un côté, beaucoup de respect, de l’autre, la plus grande modestie ?
On m’a dit qu’il s’y montrait religieux : si cela est, je l’attends au dernier moment22. […] Les personnages les plus ridicules, les moines, les religieuses, les abbés, les évêques, les présidents à mortier nous sont interdits, tant c’est une chose respectable pour nous qu’une croix et un capuchon. […] Depuis, il a figuré aux répertoires de tous les théâtres de France, et, sous la Restauration, il devint une arme de guerre, entre les mains des libéraux, contre l’intolérance religieuse.
Deux idées avaient soulevé le moyen âge hors de l’informe barbarie : l’une religieuse, qui avait dressé les gigantesques cathédrales et arraché du sol les populations pour les pousser sur la Terre sainte ; l’autre séculière, qui avait bâti les forteresses féodales et planté l’homme de cœur debout et armé sur son domaine ; l’une qui avait produit le héros aventureux, l’autre qui avait produit le moine mystique ; l’une qui est la croyance en Dieu, l’autre qui est la croyance en soi.
C’est une femme qui a vécu, — il y a deux mille quatre cents ans, — et ce redoutable et si lointain passé d’un être, dont nos regards commencent à tâtonner la forme, et dont on va violer l’infini sommeil, semble mettre, en la salle, en la curiosité historique qui est là, je ne sais quoi de religieux dans l’avidité de voir.
XXXIV C’est dans le cours de ces dernières années de la restauration et de ces premières années du règne illettré de 1830 que je fus ébloui ou attiré tour à tour par cette foule de noms éclatants où s’égarent les souvenirs, tant l’esprit, le talent, le génie, y font foule : Casimir Delavigne ; Augustin Thierry ; Michelet, le Shakespeare du récit, qui introduit la comédie dans l’histoire ; Rémusat ; Mignet ; Alexandre Soumet ; Aimé-Martin, qui aurait mérité la gloire par sa passion des lettres ; Henri Martin, qui change les chroniques en histoire ; les deux Deschamps ; Ozanam, qui traduisait la métaphysique du Dante ; Boulay-Paty, qui traduisait l’amour et le platonisme de Pétrarque ; Musset, le Corrège du coloris sur les dessins trop voluptueux de l’Albane ; Alphonse Karr, le Sterne du bon sens et du bon cœur ; Méry et Barthélemy, deux improvisateurs en bronze qui ont fait faire à la langue des miracles de prosodie ; Laprade, qui donne à la poésie religieuse et philosophique la sérénité splendide des marbres de Phidias ; Autran, qui chante la mer comme un Phocéen et la campagne comme Hésiode ; Lacretelle l’historien, qui devint poète avec les années sous les arbres de son jardin voisin du mien, comme le bois de l’instrument à corde qui devient plus sonore et plus harmonieux en vieillissant ; Ségur, le poète épique de la campagne de Russie ; Dargaud, le second Ronsard de Marie Stuart ; Barbier, dont l’ïambe vengeur, en 1830, dépasse en virilité l’ïambe d’André Chénier à l’échafaud ; Saint-Marc Girardin, un de ces esprits délicats qui se trempent au feu des révolutions et qui passent de plain-pied d’une chaire à une tribune, transportant l’homme de lettres dans l’homme politique et l’homme politique dans l’homme de lettres en les grandissant tous les deux ; une foule d’autres, dont je n’ai pas le droit de parler parce que je ne les ai connus que par leurs noms, ou que j’ai trop aimés pour que j’en parle sans partialité !
. — Cette préoccupation des formules de paix est commune à toutes les âmes religieuses.
Voilà pourquoi le sentiment d’une mission sociale et religieuse de l’Art a caractérisé les grands poètes de notre siècle ; s’il leur a inspiré parfois une sorte d’orgueil naïf, il n’en était pas moins juste en lui-même.
Pendant de longues années, la sombre imagination anglaise, saisie de terreurs religieuses, avait désolé la vie humaine. […] Les deux cours étaient alliées presque toujours de fait et toujours de cœur, par la communauté d’intérêts et de principes religieux et monarchiques.
Et je ne nie pas absolument qu’il n’y ait, en effet, quelque chose de sacrilège dans le regard dont Proust nous a doués pour contempler et analyser un sentiment si proche de notre âme, si mélangé à nos aspirations vers l’absolu, si religieux, à certains égards, dans son fond. […] Elle fléchissait le cou comme on leur voit faire à toutes, dans les scènes païennes comme dans les tableaux religieux.
Un luxe de bon goût, plutôt emprunté à l’art religieux de Munich, de bonne musique, et des Pères, toute érudition, toute piété, toute tolérance aussi. […] Élevé avec des principes de piété sincère, un peu trop cependant dans le style du siècle, pour être profondément influencé par les enthousiastes ou les fanatiques en matière religieuse ; élevé de plus, à Paris, et précocement éveillé, il devint de bonne heure courtisan (et combien précieux !)
Il fit son entrée avec beaucoup de faste : c’est un homme fastueux : un religieux qui fait parade de sa vertu, met du faste jusque dans l’humilité même. […] Une populace grossiere & superstitieuse qui ne raisonnoit point, qui ne savoit ni douter, ni nier, ni croire, qui couroit aux temples par oisiveté, & parce que les petits y sont égaux aux grands ; qui portoit son offrande par coutume, qui parloit continuellement de miracles sans en avoir examiné aucun, & qui n’étoit guere au-dessus des victimes qu’elle amenoit ; cette populace, dis-je, pouvoit bien à la vûe de la grande Diane, & de Jupiter tonnant, être frappé d’une horreur religieuse, & adorer sans le savoir la statue même.
Beaucoup d’hommes élevés dans un respect religieux pour d’antiques doctrines s’effraient des progrès de la secte naissante, et semblent demander qu’on les rassure…… Le danger n’est pas grand encore, et l’on pourrait craindre de l’augmenter en y attachant trop d’importance…… Mais faut-il donc attendre que la secte, entraînée elle-même au-delà du but où elle tend, en vienne jusque-là qu’elle pervertisse par d’illégitimes succès cette masse flottante d’opinions dont toujours la fortune dispose35. » Trouvera-t-on de l’inconvenance à voir un homme obscur examiner un peu quels ont été les succès légitimes ou non de la masse flottante qui compose la majorité de cette Académie ?
Grâce aux documents conservés et par des procédés exacts de reconstruction méthodique, nous pouvons aujourd’hui supprimer la distance du temps, nous représenter en spécimens plus ou moins nombreux le Français ou l’Anglais du dix-septième siècle ou du moyen âge, l’ancien Romain, et même l’Indou de l’époque bouddhique, nous figurer sa vie privée, publique, industrielle, agricole, politique, religieuse, philosophique, littéraire, bref, faire la psychologie descriptive de son état moral et mental et l’analyse circonstanciée de son milieu physique et social, puis de ces éléments passer à des éléments plus simples encore, démêler les aptitudes et les tendances qui se retrouvent efficaces et prépondérantes dans toutes les démarches de son esprit et de son cœur, noter les conceptions d’ensemble qui déterminent tout le détail de ses idées, marquer les inclinations générales qui déterminent le sens de toutes ses actions, bref, distinguer les forces primordiales qui, présentes et agissantes à chaque moment de la vie de chaque individu, impriment au groupe total, c’est-à-dire à la société et au siècle, les caractères que l’observation lui a reconnus115.
Vous trouverez le même défaut dans leur critique toujours morale, jamais psychologique, occupée à mesurer exactement le degré d’honnêteté des hommes, ignorant le mécanisme de nos sentiments et de nos facultés ; vous trouverez le même défaut dans leur religion, qui n’est qu’une émotion ou une discipline, dans leur philosophie, vide de métaphysique, et si vous remontez à la source, selon la règle qui fait dériver les vices des vertus et les vertus des vices, vous verrez toutes ces faiblesses dériver de leur énergie native, de leur éducation pratique et de cette sorte d’instinct poétique religieux et sévère qui les a faits jadis protestants et puritains.