À la grandeur historique et réelle de Napoléon il faut donc ajouter le prestige de l’éloignement. […] Derrière l’idéalisation d’un siècle traduit et résumé en une action réelle ou possible il doit toujours y avoir une idée philosophique ; la beauté du rythme et des images ne sera que l’enveloppe plus ou moins éclatante où se cache ce dessein, qui, pour être voilé, n’en est pas moins réel. […] Pour ma part, je ne conçois pas la conciliation du mensonge avec une estime réelle. […] Cette erreur, si d’aventure elle était réelle, ne pourrait entamer la gloire poétique de M. […] Il est donc très important de ne laisser aucun doute sur les dispositions réelles de l’auditoire.
Ce n’est pas que Montaigne, auquel le latin avait été donné pour maternel141, se refusât aucune des libertés du génie spéculatif, si naturel aux Grecs ; mais s’il spécule, c’est sur le réel. […] Cet examen qu’ils font d’eux-mêmes, sans règles, sans croyance, favorise la prépondérance de l’imagination, et la porte, tantôt par les raffinements du travail, tantôt par la négligence, vers ces choses indécises et spécieuses où la pensée est souvent déterminée par des consonnances de mots, et où l’esprit, cessant d’agir sur des objets réels, semble tourner sur lui-même. […] On le lit et on le goûte en secret ; il n’a pas d’influence réelle.
Les Européens ne sont donc point parents parce qu’ils sont tous des hommes : mais parce qu’ils sont parents ils peuvent devenir des hommes, ces hommes idéals que l’art seul peut maintenant réaliser ; et ces hommes idéals, dans la vie réelle, ne pourront être autre chose que des chrétiens. […] Non pas que l’homme devienne maintenant Dieu (homo fiat deus), ce serait une complète confusion d’idées : le devenir (fieri) signifie toujours quelque chose de réel : l’idéal ne peut être que conçu. […] Le théâtre français au contraire a toujours réussi ; car il s’est proposé un but bien défini, celui d’amuser, de divertir, et ce but il l’a atteint ; aussi les auteurs français écrivaient-ils, non pour une nation abstraite, mais pour une « société » réelle et connue, dans un milieu unique, Paris.
Ainsi beaucoup de faits établissant les fonctions sensitives du cordon spinal étaient connus, et même une vague conception de leur sens réel était généralement répandue, jusqu’au moment où la Théorie réflexe vint expliquer ces faits comme le résultat d’un ajustement, mécanique. […] Dans l’état de veille, rien de plus fréquent que de voir des objets, d’entendre des sons qui ne correspondent à rien de réel. […] Pour que ces sensations ne soient pas considérées comme produites par des objets réels, présents, que faut-il ?
Il dit la puissance de renouvellement de la nature, et que l’hiver est la préparation secrète du prochain printemps, et que toute souffrance réelle est le creuset d’une joie de bientôt. […] Mais la vision est toujours précise comme du présent ; le tableau, achevé en quelques vers qui, chez un autre, suffiraient à peine à l’indiquer, s’impose comme un de ces rêves plus obsédants que le réel, parce qu’ils sont du réel condensé.
On continua de dire dans les lois romaines, jura prædiorum, pour désigner les servitudes qu’on appelle réelles, et qui sont attachées à des immeubles. […] Nous l’avons dit dans un axiome : Les enfants sont grands imitateurs ; la poésie n’est qu’imitation ; les arts ne sont que des imitations de la nature, qu’une poésie réelle. […] S’il est vrai, comme le dit Aristote, que les républiques héroïques n’avaient pas de lois pénales , il fallait que les exemples fussent d’abord réels ; ensuite vinrent les exemples abstraits.
Nous nous sommes des êtres réels. […] Mais nous sommes des êtres réels, des hommes réels, assaillis de soucis, battus des vents, battus d’épreuves, rongés de soucis, acheminés à coups de lanières dans cette garce de société moderne. […] Il y a une liaison historique, politique ; réelle, littéraire entre ces trois monuments. […] Elle est réelle, et souveraine, dans le dialogue, dans le détail, dans le détail du dialogue. […] Il s’est commis sous votre nom, sous votre responsabilité réelle, sans rien vous demander.
La grandeur de Bacon est l’œuvre réelle de Joseph de Maistre. […] La pauvreté qu’il avait choisie n’était aucunement figurative ou symbolique ; elle était réelle. […] Encore faut-il, pour cette opération délicate, que l’expert soit mis sur la voie par une expérience directe et réelle d’absorption. […] Qui nous a enseigné (je suppose une ignorance réelle) qu’elles sont purgatives et même dangereuses ? […] Pourquoi donc possède-t-elle tous ces sens, qui, quoique non organisés, sont parfaitement réels ?
Nous ne quittons pas volontiers le réel ; et quand nous le quittons pour un moment, nous avons hâte de revenir vers lui. […] Que leur importe un réel dont ils ne cherchent qu’à s’évader ? […] Coleridge y voyait le triomphe de l’imagination pure ; et le triomphe, aussi, du surnaturel sur le réel. […] Et réelles, en ce sens, elles l’ont été pour tout être humain qui, par suite de quelque erreur des sens, s’est cru à un moment quelconque sous l’empire d’une puissance surnaturelle. […] La poésie, qui est le concret, qui est le réel, qui est la vérité totale.
Il a été un réaliste sans s’astreindre au pur et simple décalque du réel ; il a été un réaliste admettant l’imagination grossissante et amplifiante, mais au fond un réaliste ; bref il a été de l’école de 1660 et même, à mon avis, il a été le chef et le maître de cette école. […] Les plaintes de Lysidas dans la Critique de l’École des femmes, trouvant « honteux pour la France que l’on voie une solitude effroyable aux bons ouvrages lorsque des sottises font courir tout Paris », ne sont que la ‘ traduction de critiques réelles qui pleuvaient sur Molière. […] Dans le réel, Tartuffe-Don Juan, non plus que Don Juan lui-même, ne fait jamais de déclaration. […] Elle s’est vue elle-même dans toutes les héroïnes des aventures d’amour, et transportant cette mentalité dans la vie réelle, elle n’a vu quoi que ce fût qui ne fût un roman dont elle était le personnage principal et homme qui ne fût amoureux d’elle. […] Molière, en construisant un personnage, ne part pas d’une idée, il part d’une observation, il part de la réalité et, la réalité étant toujours complexe, il garde soigneusement, ou instinctivement, dominé par son sentiment de la vie, à son personnage cette marque du réel.
Nous n’avons trouvé ni en France, ni en Allemagne, ni ailleurs, de personnages réels pour représenter parfaitement ces deux écoles275, et nous avons emprunté à Molière deux personnages fictifs, fantastiques : le Chevalier Dorante et Monsieur Lysidas. […] la personnalité du poète s’y révèle ; l’enthousiasme l’élève au-dessus du monde réel ; son style est métaphorique. […] Tout simplement le Misanthrope réel, moins le cent-douzième vers de la cinquième scène de l’acte troisième, et le soixante-treizième vers de la septième. […] Les caractères spéciaux de chaque grand poète et de chaque grand théâtre, voilà la seule chose intéressante, vivante, réelle dans les études de la critique303 ; quant aux caractères généraux qui peuvent être communs à tous les théâtres et à tous les poètes, les prendre pour le grand objet de la critique littéraire, c’est, sous une apparence de profondeur philosophique, s’attacher à ce qui est insignifiant, vide et superficiel ; c’est poursuivre l’ombre pour le corps.
Balzac était digne de se comprendre ainsi lui-même et de se mesurer tout entier devant Dieu et devant sa sœur en 1820 ; il avait tout en lui : grandeur de génie et grandeur morale, immense aristocratie de talent, immense variété d’aptitudes, universalité de sentiment de soi-même, exquise délicatesse d’impressions, bonté de femme, vertu mâle dans l’imagination, rêves d’un dieu toujours prêts à décevoir l’homme…… tout enfin, excepté la proportion de l’idéal au réel ! […] « Le réel est étroit, le possible est immense ! […] Je ressemble, avec ma pauvre tragédie, à Perrette au pot au lait, et ma comparaison ne sera peut-être que trop réelle ! […] … « Oui, tu as raison, mes progrès sont réels, et mon courage infernal sera récompensé.
« Mon occupation, écrit-il à mylord Maréchal, est d’écrire ma vie, non ma vie extérieure, comme les autres, mais ma vie réelle, celle de mon âme, l’histoire de mes sentiments les plus secrets. […] La cause réelle de l’esprit d’utopie n’est pas le désir naturel du mieux, tel que l’éprouvent de très honnêtes gens qui savent se faire estimer, et se rendre relativement heureux dans la société où ils vivent ; c’est en général une fureur de perfection absolue, où s’emportent les gens incapables du bien qui est à la portée de tous. […] Le peu qu’entrevoit des choses réelles ce roi des ours, comme l’appelait spirituellement Mme d’Épinay, les jours où il passait sa tête inquiète hors de la porte de son ermitage, il l’entrevoit d’un œil troublé par la passion ou dépaysé par la solitude. […] L’imagination qui, dans tout le reste, lui a gâté le réel, ici le lui rend plus aimable.
Prendre ainsi le moi pour centre et pour but, c’est méconnaître, somme toute, sa réelle grandeur ; y borner son regard, c’est enfermer la pensée et l’existence dans un cerveau humain, c’est oublier que la loi fondamentale des êtres et des esprits est un perpétuel rayonnement. « Connais-toi toi-même », dit l’antique sagesse ; oui, car se connaître, c’est s’expliquer à soi-même, par conséquent comprendre aussi les autres et se rapprocher d’eux ; le seul moyen que nous ayons de voir, c’est assurément de recourir à nos propres yeux et à notre propre conscience : nous sommes nous-mêmes notre flambeau, et nous ne pouvons que veiller à ce que tout serve en nous à alimenter la petite flamme qui éclaire le reste. […] Même s’il s’agit d’une paysanne italienne, un être bien réel cependant, sa façon de voir restera la même : Ses grands yeux, Qui parfois tournaient, à moitié étourdis, sous Ses paupières passionnées, et comme noyés, quand elle parlait, Avaient aussi en eux des sources cachées de gaieté, Lesquelles, sous les noirs cils, sans cesse S’ébranlaient à son rire, comme lorsqu’un oiseau vole bas Entre l’eau et les feuilles de saule, Et que l’ombre frissonne jusqu’à ce qu’il atteigne la lumière323. […] Qui sait le nombre de débauches réelles que la peinture de la débauche a entraînées ? […] Pour conclure, l’art étant par excellence un phénomène de sociabilité, — puisqu’il est fondé tout entier sur les lois de la svmpathie et de la transmission des émotions, — il est certain qu’il a en lui-même une valeur sociale : de fait, il aboutit toujours soit à faire avancer, soit à faire reculer la société réelle où son action s’exerce, selon qu’il la fait sympathiser par l’imagination avec une société meilleure ou pire, idéalement représentée.
Elle a pour fonction de l’arrêter au passage et de le fouiller, rejetant le chimérique, constatant le réel. […] Homère est un des génies qui résolvent ce beau problème de l’art, le plus beau de tous peut-être, la peinture vraie de l’humanité obtenue par le grandissement de l’homme, c’est-à-dire la génération du réel dans l’idéal. […] Dans l’un comme dans l’autre il y a le possible, cette fenêtre du rêve ouverte sur le réel. Quant au réel, nous y insistons, Sheakespeare en déborde ; partout la chair vive ; Shakespeare a l’émotion, l’instinct, le cri vrai, l’accent juste, toute la multitude humaine avec sa rumeur.
La presse bourgeoise, grisée par les louanges hyperboliques qu’elle jetait à pleines colonnes sur le mort, négligea de mettre en relief le côté représentatif de Victor Hugo, qui sera peut-être son titre le plus réel aux yeux de la postérité. […] Si le poète avait, sans ambages et détours exposé le véritable motif de sa conduite royaliste, il aurait rendu à la poésie française un service plus réel qu’en écrivant Hernani, Ruy Blas et surtout la préface de Cromwell : il aurait doté la France de plusieurs Hugo, bien qu’un seul suffise et au-delà à la gloire d’un siècle. […] Ils n’avaient qu’à rester les maîtres du pouvoir, pour que Hugo conservât jusqu’à sa quatre-vingt-troisième année, la foi au Dieu des prêtres : mais il dût se rendre à l’évidence et suspendre son culte pour ce Dieu qui cessait de révéler sa présence réelle par la distribution de pensions. […] Le vieux Goetheb, que Hugo appelle dédaigneusement « le poète de l’indifférence », l’âme remplie d’un sublime enthousiasme, écoutait raisonner ces deux puissants génies. — Hugo, indifférent à la philosophie et à la science, consacrait son « immense génie » qui « embrassait dans son immensité le visible et l’invisible, l’idéal et le réel, les monstres de la mer et les créatures de la terre… » à basculer la « balance hémistiche » et à rimer nombril et avril, juif et suif, gouine et baragouine, Marengo et lumbago.
Mais les mille pensées qu’éveille la comparaison de la société à ces deux époques, avec ce qu’il y a de ressemblances réelles et de dissemblances profondes, me mèneraient trop loin, et me tireraient surtout des cadres tout littéraires où j’aime à me renfermer, sauf à les agrandir le plus que je puis. […] Mais les Mémoires d’outre-tombe, écrits si longtemps après, et sous l’influence de tant de souvenirs contradictoires et entrecroisés, n’ont pas une grande valeur en ce qui est de la vérité réelle et positive.
Jetons un regard sur nous-mêmes, et demandons-nous si dans notre vie, dans notre cœur, depuis l’âge de la jeunesse jusqu’à celui des dernières années, il n’y a pas de ces distances infinies, de ces abîmes secrets, de ces ruines morales peut-être, qui, pour être plus cachées, n’en sont pas moins réelles et profondes. […] N’est-ce pas là toujours un profit réel ?
. ; il peut se les laisser dire et ne les repousser qu’en badinant ; mais, si on le serre de près, si les événements sont là qui parlent, qui se précipitent impérieux et déchaînés, il a le juste sentiment de son inutilité, et il se confesse de son peu de force d’action et de son peu d’envie d’en faire preuve, dès que l’application réelle commence. […] Il aimait à s’occuper des autres et de leurs affaires ; cela le menait à bien des commérages, à des familiarités moqueuses, mais aussi à des bienfaits très réels.
Tel qu’il apparaît jusque dans son incomplet, et tout mal servi qu’il était par l’instrument insuffisant de la langue poétique d’alors, par cette versification solennelle qui, dans le noble, excluait les trois quarts des mots, presque toutes les particularités de la vie et tous les accidents de l’existence réelle, ce poète en Ducis éclatait assez pour se donner à tout instant la joie de l’air libre et de la grande carrière, tandis que le pauvre Deleyre avec son expression hésitante, ses nuances exquises, suivies d’empêchement et de mutisme, n’était qu’un malade, un romantique venu avant l’heure et cherchant sa langue. […] Mais un grand malheur vient atteindre Ducis ; il est frappé par le côté le plus sensible, il perd une de ses filles, et sous le coup qui l’accable, il écrit à Deleyre une de ces lettres abreuvées d’amertume, où le cœur déborde, et plus faite peut-être que toutes les consolations précédentes pour le guérir par le spectacle de ce que c’est qu’une vraie et réelle douleur : « 4 mai 1783.