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365. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Édelestand du Méril »

Ce n’est pas, il est vrai, tout à fait « le bleu du ciel » que les idées, qui doivent être toujours des notions précises et des réalités ; mais ces seules réalités ne constituent pas, dans notre pays, de critique efficace. […] Qu’importe, en effet, à Sainte-Beuve, qu’on lui dise, avec des velours dans la voix, qu’il n’est, en critique, qu’un « physiologiste », indifférent à la cause première et à la substance, etc. ; qu’on lui dise que « les personnages de ses galeries sont des portraits sur des fonds d’or plus que des réalités historiques » ?

366. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Charles Baudelaire  »

La littérature satanique, qui date d’assez loin déjà, mais qui avait un côté romanesque et faux, n’a produit que des contes pour faire frémir ou des bégaiements d’enfançon, en comparaison de ces réalités effrayantes et de ces poésies nettement articulées où l’érudition du mal en toute chose se mêle à la science du mot et du rhythme. […] Elle a, au contraire, d’horribles réalités que nous connaissons, et qui dégoûtent trop pour permettre même l’accablante sérénité du mépris. […] C’est une organisation d’artiste réfléchie qui sait plonger également dans la rêverie et la réalité à je ne sais combien de brasses, et nous en rapporter parfois des choses effrayantes ou charmantes, inconnues à la lumière des livres communs… Seulement, il n’a besoin de se mettre derrière personne : ni derrière Quincey, ni même derrière Poe.

367. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « Brizeux. Œuvres Complètes »

Wordsworth qui, moins local que Brizeux, a peint comme lui des paysans, des colporteurs, des charretiers, des mendiants, des fileuses, des femmes qui vont au lavoir, tous ces êtres de réalité naturelle, pittoresque et charmante, plus près que nous de la poésie des choses, Wordsworth a des manières de les regarder très-nouvelles, et nous nous permettrons de dire : très-inventées, car on invente pour arriver au vrai. […] … Le génie du poète, c’est de faire vivre l’imagination dans son rêve comme dans la réalité même, et plus, car c’est une réalité supérieure.

368. (1900) La province dans le roman pp. 113-140

On m’objectera ici que plusieurs grands écrivains de notre siècle ont étudié la province, et que, représentants de l’école réaliste, ils n’ont pas dû se borner à suivre une mode, à opiner de la plume parce que les anciens maîtres avaient dit du mal de la province, mais que, s’ils ont persisté à n’en pas écrire favorablement, ils ne l’ont fait qu’après enquête personnelle, scientifiquement et avec le scrupule de la réalité qu’ils apportent en leurs moindres ouvrages. […] Ajoutez l’extrême diffusion des journaux de modes, qui renseignent leurs abonnées et leur fournissent des patrons de papier pelure, les quatre pèlerinages annuels de toutes les modistes et couturières de province, qui vont à Paris s’informer de ce qu’on appelle la « dernière création », bien que la réalité ne corresponde pas toujours à la splendeur du mot, et vous conviendrez que, s’il y a ici un reproche à faire à cette bonne province, ce n’est pas d’ignorer Paris, c’est de le suivre de trop près et de s’habiller précisément comme lui. […] Elles deviennent négligeables, tant à cause de ce que j’appellerai l’usure littéraire d’un pareil moyen, que pour cette autre raison qu’il est tiré de l’histoire ancienne plus que de la réalité présente.

369. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — D — Deschamps, Émile (1791-1871) »

. — Réalités fantastiques (1854). — Œuvres complètes (1879-1874).

370. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 283-284

M. de Méhégan n’avoit sans doute pas lu tous ces Ouvrages où la Morale est si fort défigurée sous le pinceau philosophique ; ces Romans où la vertu n’est rien moins que le but de ceux qui les ont composés ; ces Tragédies où le sentiment a beaucoup plus d’appareil & de machinisme, que de naturel & de réalité ; ces tirades aussi déplacées qu’audacieuses, qui ne peuvent plaire qu’à des esprits gâtés, qui ne peuvent être pardonnées que par des ignorans qui ne sentent pas combien elles sont hors de propos.

371. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Première partie. — L’école dogmatique — Chapitre II. — De la poésie comique. Pensées d’un humoriste ou Mosaïque extraite de la Poétique de Jean-Paul » pp. 97-110

. — L’art n’est pas un plat miroir reproduisant telle quelle la réalité élégante ou vile. […] La réalité a pour symbole une planche partagée en cases sur laquelle le poète peut jouer le vulgaire jeu de dames ou le royal jeu d’échecs, selon qu’il ne possède que de simples morceaux de bois rond, ou des figures artistement taillées164 — Le besoin d’effacer en soi toute originalité pour se faire une surface unie a donné aux Français pour les termes généraux un goût contraire au vrai style comique.

372. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Édouard Fournier »

Quel effet bizarre produit sur nous Fournier, ce singulier racleur de mots, cet effaceur d’esprit, qui semble suspendu sur une planchette d’érudition que je crois très mince et très fragile, mais pourtant avec moins de risques que ses confrères en regrattage, et dont tout le soin est d’enlever le noir et la poussière à l’histoire, d’essuyer incessamment avec son torchon d’érudit cette estompe poétique que les proprets de l’exactitude bien lavée prennent pour une tache, et de s’acharner, jusqu’à ce qu’elles soient abattues, sur ces fleurs tombées on ne sait d’où, ces traditions qui voilent moins l’histoire qu’elles ne l’ornent, et qui ne sont pas contraires à la réalité parce qu’elles sont beaucoup plus belles ! […] Ils sont plus vrais que la réalité même, car s’ils n’ont pas été prononcés tels que l’histoire les a gravés sur son marbre éternel, ineffaçables à tous les regrattiers de bonne volonté ou d’instinct, ils ont dû l’être, et ce n’est pas seulement la patrie qui les tient pour authentiques, comme dit Chateaubriand, c’est l’âme même de l’humanité !

373. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « La Femme au XVIIIe siècle » pp. 309-323

Très modernes, et fous de son art, ils en avaient l’idolâtrie, et de leur livre il sortait clairement un xviiie  siècle plus grand que la réalité. […] Dans leur chapitre consacré à « l’amour » au xviiie  siècle, et quand ils arrivent à la dépravation de ce sentiment tel qu’il est peint dans Les Liaisons dangereuses, par exemple, ce hideux chef-d’œuvre qui n’est pas le conte d’un infernal génie, mais une infernale réalité, ces historiens, sensibles et non impassibles, de la Femme au xviiie  siècle, ont une indignation et un accent superbes, et, pour mon compte, je ne crois pas que leur talent soit allé jamais au-delà !

374. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Eugène Pelletan » pp. 203-217

La réalité du tempérament intellectuel des hommes dont Pelletan nous donne les biographies est, je le veux bien, dans son livre ; mais l’intelligence de leurs opinions, mais la réalité de leur caractère moral, n’y sont pas.

375. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Madame de Créqui »

Nous sommes en pleine réalité historique et littéraire, et cette réalité est telle qu’on s’en servira désormais pour confondre le mauvais plaisant de faussaire, en opposant le nu du spirituel, sérieux et ferme visage, maintenant découvert, au masque animé qui traita la Critique, pendant tant d’années, comme Mercure traite Sosie dans l’imbroglio d’Amphitryon.

376. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Byron »

Comme poète et comme homme, le Lord Byron du bruit que fait son nom n’est pas le Lord Byron de la réalité, le Lord Byron de ceux qui l’aiment et qui, à force de le regarder et de cohabiter avec son génie dans ses œuvres, et dans ses Mémoires avec sa personne, ont vu le vrai Byron sous les attitudes, les affectations et le masque. […] Et c’est ce masque bien plus que la réalité, que la Critique et l’Histoire contemplent toujours.

377. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Ernest Hello »

C’est le crime intellectuel, qui ne s’est jamais accompli qu’au fond de la conscience, et qui sort du fond de ses enfoncements et de ses ténèbres pour devenir extérieurement, par le remords, une réalité, une épouvantante et visible réalité !

378. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Alfred de Musset »

L’aigle de l’Idéal enfonce très bien, sans trembler, ses griffes d’or dans la réalité, et n’en ouvre pas moins ses ailes. Il fallait nous donner la réalité de cette fougueuse et douloureuse vie de poète.

379. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Alfred de Vigny »

Dans ce portrait dont il est question, son front, qui surplombe un visage tranquillement triste, jette l’ombre de sa voûte puissante à ces yeux rêveurs qui cherchent involontairement le ciel, mais qui, dans la réalité, revenaient se tourner vers les vôtres avec des airs fins et spirituels comme nous entendons le regard, nous autres polissons de la terre ! […] quand je lis : Les Destinées, La Mort du Loup, dont les détails sont d’une réalité de description incomparable : Qui, sans daigner savoir comment il a péri, Refermant ses grands yeux, meurt sans jeter un cri !

380. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Ernest Feydeau »

III Rien de pareil ne s’était encore vu, même dans Feydeau, et il a si bien senti lui-même la puanteur de son sujet, choisi probablement par fanatisme d’exactitude, que lui, l’homme de la réalité exacte, et qui persifle si joliment les moralistes dans sa préface, a cru devoir se faire provisoirement moraliste contre l’épouvantable drôle, son héros, et le timbrer, pendant tout le temps que dure son récit, des épithètes de misérable, d’homme affreux, de coquin, comme s’il était, Feydeau, un des vertueux dont il se moque ! […] que les événements de la vie, et qui donnent à l’œuvre de l’art tout le décousu de la réalité.

381. (1857) Réalisme, numéros 3-6 pp. 33-88

On ne lit pas assez les naturalistes, ce sont eux qui font aimer le mieux la réalité. […] Cependant le tumulte du public, qui sortait pendant un entracte, le rappela à la réalité. […] Alors a été poussé ce grand cri : la vie est laide, la nature est laide, la réalité est laide ! […] La réalité est profonde comme un océan, les plongeurs y trouvent des richesses inépuisables. […] Plein qu’il est d’un maximum, il néglige le minimum, seule voie cependant par laquelle toute grande chose arrive à la réalité.

382. (1889) Les artistes littéraires : études sur le XIXe siècle

Faut-il des exemples — sinon dans la réalité où la preuve serait difficile à établir, au moins dans la littérature ? […] Séparés souvent d’une façon abstraite pour les besoins d’une discussion, ils demeurent inséparables, indistincts dans la réalité, et ne procèdent pas d’une double opération de l’intelligence. […] Il s’accoutuma à planer hors des réalités tangibles, hors de l’humanité et du théâtre de son existence, hors de la vie toujours agissante et mobile. […] Des millions d’hommes, possédés d’une sorte de mysticisme, rebelles à toute notion de la réalité, se succèdent de siècle en siècle sans presque appartenir à l’existence terrestre ; ils flottent dans le domaine de la pure abstraction. […] L’idéal, entité abstraite, doit incontestablement, pour devenir saisissable, se concrétiser en une réalité matérielle et sensible, et le beau ne pénétrera dans les âmes que sous la forme du vrai.

383. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article » pp. 113-114

Quand même on en croiroit sur ce point les Auteurs du Nouveau Dictionnaire historique, qui ont copié, à cet égard, les autres Lexicographes ; la réalité de ces connoissances importeroit peu au Public, qui ne fait cas que de celles qui ont pu contribuer à la perfection des Ouvrages qu’on lui présente.

384. (1920) Essais de psychologie contemporaine. Tome II

Et de quoi, sinon de cette même réalité que la science résume dans ses formules ? […] Le premier, qui cherche l’expression, interprète forcément la réalité en la déformant, afin de produire un certain effet ; au lieu que la Science n’admet que cette réalité nue et s’efforce d’en éliminer toute nuance personnelle. […] Eugène Melchior de Vogtié, ont donné d’Ivan Serguiévitch Tourguéniev des portraits d’une saisissante réalité. […] Tourguéniev ne fut jamais l’artiste pur, celui au regard duquel la belle phrase est la seule réalité, — sentiment très sage peut-être, mais au fond duquel se dissimule en fait l’horreur de la réalité. […] Il sort de la réalité pour entrer dans l’abstraction.

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