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468. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « M. Charles Magnin ou un érudit écrivain. »

Lui, il n’avait pas en propre, comme M.  […] Magnin, en propre dans la masse commune ? […] Magnin, et je ne craindrai pas de mettre de côté dans son élégant et ingénieux bagage, ou du moins de rejeter en seconde ligne, ce qui ne lui appartient pas en propre : nous discernerons plus sûrement ensuite ce qui est bien à lui. […] La direction propre de M.  […] hardiment et faire entendre à propos le signal d’arrêt, comme c’est le propre des Boileau, des Johnson, de tous les fermes et vigoureux critiques.

469. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « George Farcy »

George Farcy72 La Révolution de Juillet a mis en lumière peu d’hommes nouveaux, elle a dévoré peu d’hommes anciens ; elle a été si prompte, si spontanée, si confuse, si populaire, elle a été si exclusivement l’œuvre des masses, l’exploit de la jeunesse, qu’elle n’a guère donné aux personnages déjà connus le temps d’y assister et d’y coopérer, sinon vers les dernières heures, et qu’elle ne s’est pas donné à elle-même le temps de produire ses propres personnages. […] Au moment où les forces de son esprit plus rassis et plus mûr se rassemblaient sur l’objet auquel il était éminemment propre et qui allait devenir l’étude de sa vie, la Providence nous l’enleva. […] Viguier, qu’il avait eu pour maître à l’École normale, réclamant de lui un avis sincère, de bonnes et franches critiques, et, comme il disait, des critiques antiques avec le mot propre sans périphrase. […] Parmi le petit nombre d’articles qu’il inséra vers cette époque au Globe, le morceau sur Benjamin Constant est bien propre à faire apprécier l’étendue de ses idées politiques et la mesure de son indépendance personnelle. […] Mais s’il nous est permis de parler un moment en notre propre nom, disons-le avec sincérité, le sentiment que nous inspire la mémoire de Farcy n’est pas celui d’un regret vulgaire ; en songeant à la mort de notre ami, nous serions tenté plutôt de l’envier.

470. (1860) Cours familier de littérature. X « LXe entretien. Suite de la littérature diplomatique » pp. 401-463

II Toute diplomatie avait cessé d’exister pour M. de Talleyrand du jour où Napoléon, promu à l’empire par sa propre volonté et par les victoires de ses armées, avait résolu de substituer les conquêtes aux alliances, et de détruire au profit de la France tout l’équilibre européen. […] Enivrement si on est vainqueur, et proclamation du premier général populaire et victorieux comme dictateur de la république, c’est-à-dire recommencement d’un Napoléon de génie ou sans génie, et destruction de la liberté dans son propre foyer. […] Et pour moyen, l’équilibre ; L’équilibre, maintenu, autant que possible, par la force relative propre, ou par la force des alliances qui mettent le poids des petits États à côté des grands pour égaliser les systèmes. […] L’Autriche n’y possédait donc en propre que la grande Lombardie, ferme opulente de la maison impériale plutôt que royaume. […] Nous voulons parler de son traité secret et séparé, pendant une négociation commune, en faveur de la Saxe ; traité téméraire divulgué par l’indiscrétion des contractants, et propre à donner défiance et jalousie à la Russie contre nous.

471. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIVe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 257-320

Lors même que M. de Lamartine aurait écrit en son propre nom, et comme l’expression de ses propres impressions, ce qu’il n’a écrit que sous le nom d’Harold ; lors même qu’il penserait de l’Italie et de ses peuples autant de mal que le supposent gratuitement ses adversaires, le fragment cité ne mériterait aucune des épithètes qu’on se plaît à lui donner. […] Qu’on rabaisse son talent poétique tant qu’on voudra, il n’y attache pas lui-même plus de prix qu’il n’en mérite ; mais si on veut bien lui accorder au moins le bon sens le plus vulgaire et le plus usuel, comment supposera-t-on que si la haine qu’on lui impute était dans son cœur, que s’il avait prétendu exhaler ses propres sentiments en écrivant les imprécations d’Harold, il eût au même moment demandé à être renvoyé dans ce pays qu’il abhorrait, et qu’enfin il fût venu se jeter seul au milieu des ennemis de tout genre que la manifestation de ces sentiments aurait dû lui faire ? Qui ne sent l’absurdité d’une pareille supposition, et quel homme de bonne foi, en comparant les paroles du poète et ses actions, en opposant tous les vers où il exprime sous son propre nom ses propres impressions à ceux où il exprime les sentiments présumés de son personnage, quel homme de bonne foi, disons-nous, pourra suspendre son jugement ? […] Mais, toi, Seigneur, tu possèdes Ta propre immortalité ; Tout le bonheur que tu cèdes Accroît ta félicité. […] LVII Après les premiers compliments et les premières excuses, ces braves gens, chez qui tout respirait un air d’indigence, mais un air de fête, m’offrirent, sur une table de bois très propre, un repas champêtre : de belles châtaignes conservées en automne dans leur seconde écorce et bouillies dans du lait de chèvre, du fromage, du pain de couvent très blanc et très savoureux, de l’eau de la source.

472. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre quatrième »

Ces poëtes avaient pris pour l’esprit français un tour d’esprit passager, et propre à leur époque. […] Une fois maîtres du terrain, la victoire leur montant au cerveau, la brigade se mit de ses propres mains au ciel, et s’appela la Pléiade. […] Tantôt il enferme, entre un début et une fin traduite d’Horace, de Pindare, de Callimaque ou d’Anacréon, quelques pensées qui lui sont propres ; tantôt c’est le corps qui appartient aux modèles la tête et les pieds sont de l’imitateur. […] Ce qui est propre à Ronsard dans ses odes, est le plus souvent soit dans le goût des « malheureux » poëtes qu’il traitait de « pourceaux souillant le clair des ruisseaux », soit imité du pétrarchisme, auquel il payait tribut tout en protestant. […] C’est surtout dans ce que Ronsard imagina pour enrichir et ennoblir la langue que se faisait voir cette confusion qui est le propre de son école.

473. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Le marquis de Lassay, ou Un figurant du Grand Siècle. — II. (Fin.) » pp. 180-203

Tout en convenant avec lui que les qualités qu’on possède sont loin de se produire toujours ; que c’est l’occasion qui nous révèle aux autres et souvent à nous-même, et que la seule pierre de touche pour bien juger du mérite est qu’il soit mis à sa place, je remarquerai que, dans l’analyse très détaillée et assez naïve qu’il nous donne de son esprit et de son caractère, il nous dit : J’ai un défaut effroyable pour les affaires, qui gâte et qui détruit tout ce que je pourrais avoir de bon : c’est une grande paresse dans l’esprit ; en de certaines occasions, je la peux surmonter par élans ; mais à la longue je prends trop sur moi et j’y retombe toujours ; si bien que je ne serais propre qu’à penser, et encore plus à choisir et à rectifier ; car ce qu’il y a de meilleur en moi, c’est le discernement : mais il faudrait qu’un autre agît. […] Il se pose trop en homme qui a eu une belle douleur, et qui semble dire : « Faites-la-moi oublier, ce sera pour vous une gloire. » Mais c’est ainsi que sont faits les cœurs humains, et une délicate fidélité, ou même un délicat oubli, un ensevelissement profond et respecté, n’est le propre que de bien peu. […] Mais il a beau nous expliquer et nous commenter sa pensée, le vieillard a trahi son faible de vanité : le dernier mot est toujours qu’il n’y a qu’une place dans l’État à laquelle il se soit cru éminemment propre, celle de roi, d’un roi plus ou moins constitutionnel et à l’anglaise sous Louis XIV. […] [NdA] Saisir est ici employé dans son acception propre et la plus forte, prendre avec la main, apprehendere. […] Je veux enfin secouer leur joug, il m’est insupportable ; quand on vient à un certain âge, le commerce familier avec eux ne convient plus : on n’a pas assez de facilité dans l’humeur, et même assez de santé pour être toujours complaisant ; le respect dû à leur naissance, quelque soin qu’ils prennent à l’adoucir, attire une sorte de contrainte dont on ne peut plus s’accommoder ; les commodités de la vie et les bonnes chaises deviennent nécessaires : on est moins propre à leurs plaisirs, et moins sensible aux divertissements qui les entourent ordinairement.

474. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Villars — II » pp. 57-80

Quand Louis XIV, de son propre mouvement, destina Villars à l’armée d’Allemagne, il commençait à ne plus être content des services de Catinat. […] Je sais que vous n’avez pas un corps de troupes suffisant pour présenter la bataille au prince de Bade, s’il est en plaine devant vous ; mais vous n’êtes point assez faible pour lui laisser prendre Landau sans y mettre quelque obstacle, ce qui se peut par plusieurs moyens différents… (Et après un aperçu de ces moyens :) Tout ce que je vous mande n’est que pour vous donner différentes vues, et vous mettre en état de faire un plan qui ne peut être autre que de secourir Landau en cas que je vous envoie suffisamment de troupes… Mais, supposé que je ne le puisse pas faire et que je sois obligé d’abandonner cette place à sa propre défense, ne pourriez-vousc, en ce cas, faire quelque entreprise qui puisse donner lieu à une diversion, ou du moins empêcher le mauvais effet que produirait l’inaction dans laquelle vous demeureriez ? […] Les propres soldats de Villars furent les premiers à le saluer maréchal sur le champ de bataille […] Tel est au vrai Villars nous donnant son secret, et dictant spirituellement les paroles et les moyens les plus propres pour exalter et enlever Villars. […] Je ne crains pas d’insister sur cette étude de Villars, parce qu’il me semble qu’en exprimant à fond, et à l’aide de ses propres paroles, sa brillante nature si décidée et si en dehors, je dépeins peut-être plus d’un homme en sa personne et plus d’un vaillant guerrier· 9.

475. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « M. MIGNET. » pp. 225-256

M ignet en eut surtout la vigueur, qu’il appliqua aussitôt dans toute son intégrité ; il ne laisse apercevoir aucun tâtonnement, aucune dispersion : c’est là un des traits qui lui appartiennent le plus en propre. […] Le lendemain du triomphe, au lieu d’entrer, par un mouvement qui eût semblé naturel, dans la pratique et le maniement politique, il distingua sa propre originalité et se maintint dans une ligne plus d’accord avec ses goûts véritables. […] Appliquant à ses propres travaux les conditions qu’il exige, et s’aidant de toutes les ressources dont il dispose, M.Mignet est ainsi parvenu à réunir pour base de son Histoire de la Réformation jusqu’à 400 volumes de correspondances manuscrites de toutes sortes : il y a là de quoi fixer avec précision bien des ressorts secrets, et couper court à bien des controverses. […] Mais celui qui en est à fond et que M.Mignet a ressuscité tout entier, c’est le chevalier de Gremonville, cet ambassadeur à Vienne, le démon du genre, le plus hardi, le plus adroit, le plus effronté des négociateurs du monarque : Louis XIV lui a décerné en propres termes ce piquant éloge. […] Nul plus que lui ne semble propre à ce genre d’éloquence académique, à la prendre dans sa meilleure et sa plus solide acception.

476. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLVIIe entretien. De la monarchie littéraire & artistique ou les Médicis »

« Il ne faut pas pourtant s’imaginer qu’au milieu de ses études et de ses occupations sérieuses, Laurent fût insensible à cette passion qui, dans tous les temps, a été l’âme de la poésie, et qu’il a représentée dans ses propres écrits avec tant de philosophie et sous des aspects si variés. […] À la promenade, à la danse et dans les autres exercices propres à développer les charmes extérieurs, tous ses mouvements étaient pleins de grâce et de décence. — Ses idées étaient toujours justes et frappantes, et m’ont fourni le sujet de quelques-uns de mes sonnets ; elle parlait toujours à propos, toujours avec tant de convenance, qu’il n’y avait rien à ajouter, rien à retrancher à ce qu’elle avait dit. […] Ces rares perfections me captivèrent au point, que bientôt il n’y eut pas une puissance ou une faculté de mon corps ou de mon âme qui ne fût asservie sans retour ; et je ne pouvais m’empêcher de considérer la dame dont la mort avait causé tant de douleurs et de regrets comme l’étoile de Vénus, dont l’éclat du soleil éclipse et fait disparaître entièrement les rayons. » Telle est la description que Laurent nous a laissée de l’objet de sa passion, dans le commentaire qu’il a fait sur le premier sonnet qu’il écrivit à sa louange16 ; et à moins que l’on n’en mette une grande partie sur le compte de l’amour, toujours partial dans ses jugements, il faut avouer qu’il y a eu bien peu de poëtes assez heureux pour trouver un objet aussi propre à exciter leur enthousiasme, et à justifier les transports de leur admiration. […] On peut juger, d’après le récit qu’il a fait de l’origine de sa passion, que Lucretia était la maîtresse du poëte, et non de l’homme : il cherchait un objet propre à fixer ses idées, à leur donner la force et l’effet nécessaires à la perfection de ses productions poétiques, et il trouva dans Lucretia un sujet convenable à ses vues, et digne de ses louanges ; mais il s’arrêta à ce degré de réalité, et laissa à son imagination le soin d’embellir et d’orner l’idole à son gré. […] Laurent nomma pour présider à cette fête, dans la ville de Florence, François Bandini, que son rang et son savoir rendaient extrêmement propre à figurer dans cette circonstance ; et, le même jour, il se fit à Careggi une autre réunion à laquelle il présidait lui-même.

477. (1895) La musique et les lettres pp. 1-84

Rapprochez, par ouï-dire, des collèges de tout style en une telle communion, l’étude, qu’à leur milieu rien de discordant, moyen-âge, Tudorien, aéré de prairies à vaches et à cerfs, avec eaux vives, propres à l’entraînement : la Grande-Bretagne s’adonne à l’élevage athlétique de ses générations. […] Invention de caractères, de format, illustrations, le papier d’une époque présenté au chef-d’œuvre constitue un apport propre ou monnayable. […] On ne trafique là, pour son propre compte, sans s’exécuter. […] Le vers, aux occasions, fulmine, rareté (quoiqu’ait été l’instant vu que tout, mesuré, l’est) : comme la Littérature, malgré le besoin, propre à vous et à nous, de la perpétuer dans chaque âge, représente un produit singulier. […]   Le vers par flèches jeté moins avec succession que presque simultanément pour l’idée, réduit la durée à une division spirituelle propre au sujet : diffère de la phrase ou développement temporaire, dont la prose joue, le dissimulant, selon mille tours.

478. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre neuvième »

On a fait à ses propres yeux preuve d’instruction ; et, chose qu’on recherche plus que l’instruction, on a loué son propre goût en critiquant un grand écrivain. […] Ce que nous demandons à l’historien, pour en garder une impression durable, ce sont les causes de la guerre exposées et jugées, la situation des deux peuples qui vont en venir aux mains, leurs chefs, les préparatifs de la lutte, les batailles, et, dans les récits de ces batailles, les traits qui caractérisent le commandement chez les généraux et la manière de se battre chez les soldats ; enfin, la justice rendue à tous, avec un peu d’inclination pour tout ce qui peut honorer notre nation à ses propres yeux, et entretenir parmi nous la tradition de la discipline et du courage. […] Il y chante son luxe et son bien-être ; le chant n’est guère propre à toucher ceux qui ne peuvent pas vivre de sa vie ; mais la nature y parle, et les vers sont écrits de verve. […] Il a vu tous ses côtés faibles ; et comme s’il eût trouvé moins dur d’aller au devant de la critique que de l’attendre, il a fait sa propre confession. Il aimait si peu les censeurs qu’il était homme à leur ôter par malice la primeur de leurs critiques, et à garder sur eux l’avantage de voir ses propres défauts avant eux.

479. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « L’expression de l’amour chez les poètes symbolistes » pp. 57-90

Les nouveaux venus auront un sens plus sûr des réalités et cesseront de rendre la femme responsable de leurs propres vices. […] Tout de même, l’interdit de l’Église pèse peut-être moins dans leurs hésitations que la qualité de leur nature et une sorte d’orgueil propre à leur génération. […] du jeune Diafoirus, c’est à lui-même que le poète l’adresse et il n’obtient pas sa propre autorisation. […] D’autres y affichent l’orgueil satanique de damnés et y viennent avec une sorte d’exaspération, de bravade, de défi qui ne fait que renforcer les préventions ambiantes et leur propre discrédit. […] Tous les poètes qui voulaient trancher par une intransigeance individualiste, et ne rien tirer que de leur propre fonds, vivent sur une substance commune et présentent un air de famille.

480. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre VI. Le Bovarysme essentiel de l’humanité »

Une de ces dynasties vient-elle à tomber, est-elle remplacée par un pouvoir nouveau, voici changées les lois divines qui émanaient du moi ; il apparaît aussitôt que tout ce qui fut accompli au nom du pouvoir précédent a servi d’autres fins que celles de la personne humaine, des fins propres à un instinct particulier d’un corps humain déterminé. […] Ainsi la connaissance se donne à l’homme comme un moyen propre à satisfaire son intérêt. […] À bien considérer les choses, il apparaît que le propre de l’homme est une faculté de mécontentement. […] Mu par ce sentiment de malaise qui fait partie de sa constitution la plus intime, l’homme se croit propre à y porter remède en modifiant l’univers : de là tout son effort scientifique pour comprendre et utiliser les lois, son effort philosophique pour les interpréter à son profit, son effort artistique pour se créer des jouissances nouvelles. […] Mais ce qu’il convient d’admirer, c’est qu’avec la médecine, avec ce premier souci qui poussa l’homme à intervenir dans sa propre physiologie, le Génie de la Connaissance semble avoir créé une cause d’effort qui, s’étant une fois exercée, se cause elle-même à l’infini, se légitime et s’engendre avec une force qui va toujours croissant.

481. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre vi »

Mais j’ai hâte d’aller au cœur du parti dont il fallait pourtant que je fisse comprendre les raisons, les conciles, le clergé ; mon objet propre est de chercher comment les doctrines de l’internationalisme et du pacifisme furent elles-mêmes, pour certains combattants, un ressort de guerre, un ravitaillement moral. […] Je l’écoute mieux quand il veut faire la paix entre les Français, car ici son expérience propre est valable.‌ […] Nous avons dit comment le digne ouvrier français respecte en lui-même une qualité de bon travailleur, une aptitude à créer qui est le résultat d’une longue sélection le fruit de sa propre vie et des vies de ses aïeux. […] Appuyant sa tête contre le cœur de ses frères, et puis écoutant son propre cœur, il a constamment chauffé et perfectionné à ce foyer d’humanité une conception fort belle qu’il s’était faite de la sainteté du travail et de la sainteté du peuple qui travaille. […] Je voudrais distinguer ce qu’il y a chez Thierry de propre et de réel, et puis de livresque et d’oiseux.

482. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Sully, ses Économies royales ou Mémoires. — III. (Fin.) » pp. 175-194

Le propre de la nature de Sully est que la louange l’aiguillonne et l’encourage à mieux faire plutôt que de l’enorgueillir et de le rendre nonchalant : plus la charge s’accroît avec la confiance du maître, plus il redouble de zèle et de vigilance. […] Il voit dans cette nouvelle industrie des soies, « plutôt méditative, oisive et sédentaire », une cause d’affaiblissement, même au moral ; il craint que cet emploi d’un nouveau genre ne désaccoutume la population de la vie laborieuse et pénible qui est propre à former de bons soldats. […] C’était un jour, après dîner, que, pensant en quelque sorte tout haut devant ses familiers, il en vint à le comparer avec Sillery et Villeroi, ses autres ministres, deux collègues que Sully souffrait difficilement, et avec qui il eût supporté impatiemment le parallèle ; pourtant Henri IV, qui trouvait à chacun d’eux ses mérites et son utilité propre, disait particulièrement de Sully : De l’un aucuns se plaignent, et quelquefois moi-même, qu’il est d’humeur rude, impatiente et contredisante, l’accusent d’avoir l’esprit entreprenant, qui présume tout de ses opinions et de ses actions, et méprise celles d’autrui ; qui veut élever sa fortune et avoir des biens et des honneurs. […] Henri IV assassiné, Sully fut comme frappé du coup : sa conduite à la nouvelle de l’assassinat, son dessein d’aller au Louvre, puis sa crainte qui lui fait rebrousser chemin et son retour dans ses quartiers (se contentant d’envoyer sa femme à la découverte), nous le montrent peu propre à ces situations extraordinaires où l’on n’a plus de maître, et où il faut prendre en soi seul le conseil, l’initiative en même temps que l’exécution. […] Henri IV mort, Sully manque de chef ; personnage considérable, homme d’État puissant, mais, somme toute, secondaire, il s’est plu lui-même à reconnaître que, dans tout ce qu’il a exécuté et imaginé de bien, il y avait du fait de Henri IV autant et plus que du sien propre ; cet aveu l’honore, mais il a du vrai.

483. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « William Cowper, ou de la poésie domestique (I, II et III) — II » pp. 159-177

Ajoutons vite (car ceci n’est point une biographie que nous prétendons esquisser, et nous ne voulons que faire connaître l’homme et le poète par ses traits principaux) que dès que Cowper s’aperçut que la présence de lady Austen pouvait à la longue chagriner Mme Unwin, et que l’aimable fée apportait dans le commerce habituel un principe trop vif de sensibilité ou de susceptibilité, propre à troubler leurs âmes unies, il n’hésita point une minute ; et sans effort solennel, sans coquetterie, par une simple lettre irrévocable, il sacrifia l’agréable et le charmant au nécessaire, et l’imagination tendre à l’immuable amitié. […] La composition et la publication de son premier recueil n’avaient fait que le mettre en train et en verve ; il sentait que ce n’était qu’en écrivant, et en écrivant des vers, qu’il pouvait échapper complètement à sa mélancolie : Il y a, disait-il vers ce temps, il y a dans la peine et le travail poétique un plaisir que le poète seul connaît : les tours et les détours, les expédients et les inventions de toute sorte auxquels a recours l’esprit, à la poursuite des termes les plus propres, mais qui se cachent et qui ne se laissent point prendre aisément ; — savoir arrêter les fugitives images qui remplissent le miroir de l’âme, les retenir, les serrer de près, et les forcer de se fixer jusqu’à ce que le crayon en ait tiré dans toutes leurs parties une ressemblance fidèle ; alors disposer ses tableaux avec un tel art que chacun soit vu dans son jour le plus propice, et qu’il brille presque autant par la place qui lui est faite, que par le travail et le talent qu’il nous a coûtés : ce sont là des occupations d’un esprit de poète, si chères, si ravissantes pour sa pensée, et de nature à le distraire si adroitement des sujets de tristesse, que, perdu dans ses propres rêveries, heureux homme ! […] Il faut voir ces choses dans l’original, avec l’humour qui y est propre, et être soi-même du cru pour les sentir. […] [NdA] Le mot propre est auburn lock, cette couleur entre le brun et le blond, chère aux Anglais, et qu’ils ont ainsi nommée de l’écorce de certains arbres.

484. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Histoire de la Grèce, par M. Grote »

C’est ainsi que nos anciennes chansons de Geste, où figurent Charlemagne et Alexandre, n’apprennent rien sur les héros mêmes ni sur l’état de la société de leur temps, et elles ne seraient propres qu’à égarer, si on les interrogeait dans une telle pensée de recherche ; mais elles nous représentent avec une vérité naïve les mœurs de l’âge féodal où les trouvères mirent en œuvre ces anciens canevas et les reprirent à l’usage de leurs contemporains. […] Sainte-Croix, le premier, sur la seule annonce du système de Wolf et avant même de le bien connaître10, s’était empressé de crier au paradoxe, et dès 1797 il avait dit : « Il ne faut que sentir et obéir à sa propre imagination, sans aucun effort d’esprit, pour être intimement convaincu que l’Iliade et l’Odyssée sont sorties toutes deux aussi entières de la tête d’Homère que Minerve du cerveau de Jupiter. […] Le génie d’Homère n’est donc pas si morcelé et si épars qu’on l’a dit : c’est un esprit poétique, vaste et exubérant sans doute, mais propre aussi à organiser, et conservant encore, à ce second moment, cette fraîcheur d’observation et cette vivacité de détail qui constitue le charme de la ballade, de la saga, de l’épos primitif. « Il n’y a rien dans l’Odyssée ni dans l’Iliade qui sente le moderne, en appliquant ce terme à l’âge de Pisistrate », et c’est à bon droit que le nom d’Homère reste attaché en propre à ce premier grand travail de composition épique. […] C’est dans le texte infime, dans l’étude des tours, des idiotismes propres à l’improvisateur, de ses artifices, qu’il faut chercher la solution de la question que vous venez d’effleurer. » Ici nous rentrons dans les sentiments et les nuances du goût individuel, dans ce qu’il y a de moins transmissible et de moins démontrable.

485. (1892) Boileau « Chapitre VI. La critique de Boileau (Fin). La querelle des anciens et des modernes » pp. 156-181

Mais aussi, si jamais œuvres ne furent plus robustes, plus pleines, plus solidement édifiées sur le fond humain qui ne change pas, si jamais art ne fut plus sincère, plus probe et plus sûr, si jamais plus de grandeur ne fut unie à plus de clarté, et plus proportionnée à la capacité moyenne des esprits, en sorte que chacun peut trouver à comprendre et de quoi jouir même dans ce qui le dépasse infiniment, et qu’on ne saurait en épuiser la suggestivité ni en limiter la réceptivité, Boileau nous dit ou nous fait deviner comment cela s’est fait : sa doctrine met en lumière et ramène à son principe ce qui fait la beauté propre de la littérature classique et en assure la durée. […] Chez Aristote, Boileau trouvait formulé ce grand principe de l’imitation de la nature, base commune de tous les arts, qui ne diffèrent que par le choix des objets, des moyens, et par le caractère de leur imitation : il est vrai que, ce principe posé, Aristote exposait surtout comment l’art transforme la nature, en vue de nous procurer le plaisir qui lui est propre. […] Perrault donc imagina trois personnages : un Président, savant homme, dit-il, et idolâtre des anciens, à qui il ne put prêter toutefois plus de science qu’il n’en avait lui-même, ni plus d’attachement à l’antiquité, qu’il ne croyait qu’on pût raisonnablement en avoir ; un abbé, savant aussi, mais « plus riche de ses propres pensées que de celles des autres », vraie image de l’auteur qui s’y mire complaisamment, sans se douter que cet autre lui-même a plus d’ignorance que d’esprit, et parmi l’abondance de ses idées une totale absence de sentiment esthétique ; enfin un chevalier, sorte de Turlupin de la critique, plus sot que spirituel, n’en déplaise à Perrault, qui l’a chargé d’avancer toutes les énormités qu’il n’osait faire endosser à son abbé. […] Pendant que Perrault se donnait ainsi carrière, Boileau grognait en a parte, lâchant de temps à autre une épigramme lourdement indignée, dont son adversaire souriait, ou cette fâcheuse ode sur la prise de Namur, qui pouvait faire douter s’il entendait rien à Pindare, et qui donna aux modernes la joie de le battre avec ses propres armes, ou bien ce Discours indigné sur l’ode, qui n’est qu’une diatribe personnelle contre la « bizarrerie » d’un homme insensible aux beautés dont tout le monde convient. […] À Rome, Cicéron et Virgile ont marqué « le point de perfection de la langue » par leurs écrits : mais plus d’un siècle avant eux, la comédie avait trouvé assez de ressources dans cette langue encore imparfaite pour atteindre sa perfection propre, et depuis elle ne faisait que décroître, quoique l’idiome latin et la littérature générale fussent en progrès.

486. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre III. La poésie : V. Hugo et le Parnasse »

Hugo ne pense que par images : l’idée, ramassée en un seul mot, lui apparaît liée à une forme sensible, qui la manifeste ou la représente, qui par ses affinités propres en détermine les relations, en sorte que les associations d’images dirigent le développement de la pensée. […] Toute métaphore dans une telle organisation évolue, s’organise, s’étend : l’objet propre ou l’idée première reculent ; et naïvement, spontanément il retrouve, dans ce pâtre promontoire qui garde les moutons sinistres de la mer 874, la forme d’imagination qui, sur les côtes tourmentées de la Sicile, avait animé l’informe Polyphème et la blanche Galatée. […] Il sent le mot comme son, d’abord ; et de là son goût pour les noms propres, qui, avec un minimum irréductible de sens, font tout leur effet par leurs propriétés sensibles, par la sensation auditive qu’ils procurent. […] Manuel qui tenta d’enfermer dans de petits tableaux, discrètement teintés d’émotion, les mœurs du peuple parisien, les scènes de la rue et de l’atelier ; mais l’idéalisme du poète le condamnait à dérober une partie de ses modèles derrière la noblesse de son propre sentiment. […] Ses changements d’opinions sont tout à fait légitimes : il eut le tort de vouloir les dissimuler, et de recourir à toute sorte de falsifications de ses propres écrits pour mettre après coup l’unité dans sa vie et dans ses convictions.

487. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Le père Monsabré »

On entre et tout de suite on se sent enveloppé de mystère, de paix, de demi-ténèbres très douces éclairées par les pierres précieuses des vitraux, d’où semble rayonner une lumière qui leur est propre. […] Enfin, comme c’est par l’accroissement de leur propre puissance qu’ils cherchent le bien spirituel des âmes, il leur arrive, à leur insu, de s’attacher au moyen plus qu’à la fin et de ne pas paraître entièrement désintéressés. […] Nuit et jour, en face de notre opprobre, nous en sommes accablés jusqu’au découragement, jusqu’à désespérer de nos propres forces. […] Sa vie a des échos dans notre vie ; à la peinture de nos misères il reconnaît sa propre misère. […] D’autres, à l’exemple de Lacordaire, agitent les questions de l’heure présente, combattent le siècle sur son propre terrain, mais à leur façon et sans chercher à imiter la manière du grand dominicain.

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