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1785. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1868 » pp. 185-249

Dieu crée des existences, l’homme d’imagination crée des vies fictives, qui quelquefois, dans la mémoire du monde, laissent un souvenir plus profond, pour ainsi dire, plus vécu. […] Une toux profonde lui ébranle, de temps en temps, la poitrine, et alors la plaisanterie cruelle circule dans le salon, qu’il tousse pour entrer à l’Académie. […] En somme, un homme inquiet, anxieux, profond, compliqué, fuyant, peu lisible.

1786. (1894) Journal des Goncourt. Tome VII (1885-1888) « Année 1887 » pp. 165-228

Une profonde observation de l’humanité-peuple. […] En robe de chambre de soie claire, et molle, et bouffante, et garnie de haut en bas de gros nœuds floches, elle est paresseusement enfoncée dans un profond fauteuil, avec la mobilité fiévreuse de ses deux yeux de velours noir, avec la coquetterie des poses maladives, et ayant sur ses genoux une caniche noire, aux pattes montrant la ténuité d’une petite serre d’oiseau. […] Daudet n’en savait pas plus que moi, du « Manifeste des Cinq » qui ont commis leur méfait dans le plus profond secret.

1787. (1885) La légende de Victor Hugo pp. 1-58

L’Événement prenait cette devise, qui, après juin, était de saison : « Haine à l’anarchie — tendre et profond amour du peuple. » Et pour qu’on ne se méprît pas sur le sens de la deuxième sentence, le numéro spécimen disait que L’Événement « vient parler au pauvre des droits du riche, à chacun de ses devoirs. […] Mais c’est en poursuivant de ses injures, de ses colères et de ses dénonciations les vaincus de juin, que l’Événement donne la mesure de son profond amour pour la République. […] Il serait oiseux de discuter si dans un avenir prochain les œuvres de Victor Hugo vivront dans la mémoire des hommes, comme celles de Molière et de La Fontainec en France ; de Heine et de Goethe, en Allemagne ; de Shakespeare en Angleterre ; de Cervantès, en Espagne ; ou bien si elles dormiront d’un sommeil profond à côté des poèmes du Cavalier Marin, feuilletés avec lassitude, seulement par quelques érudits, étudiant les origines de la littérature classique.

1788. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIIIe entretien. I. — Une page de mémoires. Comment je suis devenu poète » pp. 365-444

La petite ville de Belley, à l’extrémité de la Bresse qui touche à la Savoie, a déjà la physionomie alpestre et recueillie des profondes et noires vallées qui s’engouffrent, vers Chambéry, dans la Maurienne. […] quand j’ai franchi le seuil du temple sombre, Dont la seconde nuit m’ensevelit dans l’ombre ; Quand je vois s’élever entre la foule et moi Ces larges murs pétris de siècles et de foi ; Quand j’erre à pas muets dans ce profond asile, Solitude de pierre, immuable, immobile, Image du séjour par Dieu même habité, Où tout est profondeur, mystère, éternité ; Quand les rayons du soir, que l’Occident rappelle, Éteignent aux vitraux leur dernière étincelle, Qu’au fond du sanctuaire un feu flottant qui luit Scintille comme un œil ouvert sur cette nuit ; Que la voix du clocher en sons doux s’évapore ; Que, le front appuyé contre un pilier sonore, Je la sens, tout ému du retentissement, Vibrer comme une clef d’un céleste instrument, Et que du faîte au sol l’immense cathédrale, Avec ses murs, ses tours, sa cave sépulcrale, Tel qu’un être animé, semble, à la voix qui sort, Tressaillir et répondre en un commun transport ; Et quand, portant mes yeux des pavés à la voûte, Je sens que dans ce vide une oreille m’écoute, Qu’un invisible ami, dans la nef répandu, M’attire à lui, me parle un langage entendu, Se communique à moi dans un silence intime, Et dans son vaste sein m’enveloppe et m’abîme ; Alors, mes deux genoux pliés sur le carreau, Ramenant sur mes yeux un pan de mon manteau, Comme un homme surpris par l’orage de l’âme, Les yeux tout éblouis de mille éclairs de flamme, Je m’abrite muet dans le sein du Seigneur, Et l’écoute et l’entends, voix à voix, cœur à cœur. […] Je marchais à quelque distance derrière lui, cueillant les fleurs, découvrant les nids, écoutant les merles, regardant l’écume des ruisseaux floconner sur les roches de leurs lits profonds, sans m’occuper davantage de lui que je ne m’occupais de l’ombre de mon corps, qui marchait devant moi quand je tournais le dos au soleil couchant.

1789. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Chapitre IV. De la délimitation, et de la fixation des images. Perception et matière. Âme et corps. »

Il faudra donc se rejeter sur le sens métaphysique du mot, et étayer le mouvement aperçu dans l’espace sur des causes profondes, analogues à celles que notre conscience croit saisir dans le sentiment de l’effort. Mais le sentiment de l’effort est-il bien celui d’une cause profonde ? […] Toutes les sensations participent de l’étendue ; toutes poussent dans l’étendue des racines plus ou moins profondes ; et les difficultés du réalisme vulgaire viennent de ce que, la parenté des sensations entre elles ayant été extraite et posée à part sous forme d’espace indéfini et vide, nous ne voyons plus ni comment ces sensations participent de l’étendue ni comment elles se correspondent entre elles.

1790. (1924) Souvenirs de la vie littéraire. Nouvelle édition augmentée d’une préface-réponse

De tous ses Tartarin, son Tartarin sur les Alpes nous semblait le plus amusant et le plus profond. […] Charles Guérin a écrit quelques œuvres de forme parfaite et de sensibilité profonde. […] Il était extérieurement ce qu’il était au plus profond de lui-même. […] Le talent de Jules Lemaître est à la fois si profond et si subtil, qu’il faut beaucoup d’attention pour bien comprendre en quoi il consiste. […] Or, ce style vient uniquement chez lui d’une façon profonde d’exprimer des sensations, une façon spéciale qui rappelle la manière de Pierre Loti.

1791. (1891) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Quatrième série

Et ce n’est pas assurément un observateur bien profond que Le Sage, ni même toujours exact. […] Qui donc a dit qu’il n’y avait pas de philosophie un peu profonde qui n’inclinât au pessimisme ? […] Ce serait aller trop loin peut-être ; et, quoique d’ailleurs ce grand homme ne manquât point de politique — pour un philosophe, — il ne faut point lui prêter de trop profonds calculs. […] Sorel ne laisse pas d’y trouver des traits d’une admiration profonde et sincère de l’antiquité. […] Elle exige, en effet, pour être méritée, deux qualités voisines du génie : un sentiment très sûr, très profond, des ressources d’une langue et un tact très subtil du point d’avancement de l’intelligence publique.

1792. (1926) La poésie de Stéphane Mallarmé. Étude littéraire

Renouveau, Las de l’amer repos, l’Azur, Brise marine, convergent vers un même sentiment, trop répété pour n’être pas sincère et profond. […] Mallarmé n’est pas d’abord un hermétiste qui enferme, de propos délibéré, sous une forme rare, des symboles profonds. […] C’est une des tournures favorites de Mallarmé dans son langage, parce que c’est le pli profond de son esprit. […] ou celles-là qui plus loin encore éveillent sur nos fibres profondes les basses les plus graves du sentiment humain ? […] Il dort au lit profond creusé par les eaux vierges.

1793. (1912) Chateaubriand pp. 1-344

Il a donné du mal de René des définitions autrement précises et profondes. […] Il faut le reconnaître, la tristesse n’est pas un mal ; la tristesse, même profonde, n’est pas une souffrance. […] Enfin, Joseph de Maistre avait publié, en 1796, ses profondes et magnifiques Considérations sur la France, que Chateaubriand avait lues (d’après V. […] L’honneur est le profond respect de soi et de ses ancêtres. […] Et elle est quelquefois profonde.

1794. (1891) La bataille littéraire. Quatrième série (1887-1888) pp. 1-398

Les constructions basses qui achevaient d’enclore le carré de la cour s’enveloppaient dans la paix profonde des hôpitaux et des couvents. […] Paul Bourget d’avoir su nous ouvrir, sans pédantisme, sans robe ni bonnet de professeur, sous une forme intéressante, ces profonds replis du cerveau et du cœur humain, qui recèlent tant de belles et grandes choses, tant de rêves enchantés et aussi tant de désillusions. […] Dans son cou maigre et tendu, des creux profonds se formaient à chaque aspiration. […] Encore un tableau, plus gai d’aspect, mais aussi vrai dans toutes ses parties ; c’est un repas officiel, avec tous les sourires faux, conventionnels, les ennuis profonds qui sont le lot de chaque convive. […] Un froid noir, profond, un froid de puits, passe entre les couverts malgré la tiède nuit de juin dont le souffle venu des jardins par les persiennes entrecloses gonfle doucement les stores de soie.

1795. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Benjamin Constant et madame de Charrière »

Cette idée me paraît la folie la plus spirituelle et la plus profonde que j’aie ouïe, et bien préférable aux folies chrétiennes, musulmanes ou philosophiques, des ier , viie et xviiie  siècles de notre ère. […] Il a beau lui écrire encore de profondes et désespérées tristesses, comme celle-ci : « Je me suis livré à une paresse mélancolique qui m’empêche de faire des visites, et, quand j’en fais, de parler168. […] Il y réussit trop constamment ; de là, malgré de nobles essors et des secousses généreuses, une ruine intime et profonde. […] « La roche est escarpée, l’eau est profonde, et je suis au désespoir ! […] Cette conviction et le sentiment profond et constant de la brièveté de la vie me fait tomber le livre ou la plume des mains, toutes les fois que j’étudie… Nous n’avons pas plus de motifs pour acquérir de la gloire, pour conquérir un empire ou pour faire un bon livre, que nous n’en avons pour faire une promenade ou une partie de whist… » 178.

1796. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre IV. Shakspeare. » pp. 164-280

Je vais décrire une nature d’esprit extraordinaire, choquante pour toutes nos habitudes françaises d’analyse et de logique, toute-puissante, excessive, également souveraine dans le sublime et dans l’ignoble, la plus créatrice qui fut jamais dans la copie exacte du réel minutieux, dans les caprices éblouissants du fantastique, dans les complications profondes des passions surhumaines, poétique, immorale, inspirée, supérieure à la raison par les révélations improvisées de sa folie clairvoyante, si extrême dans la douleur et dans la joie, d’une allure si brusque, d’une verve si tourmentée et si impétueuse que ce grand siècle seul a pu produire un tel enfant. […] Il n’a rien vu, il n’a point « admiré la blancheur des lis, ou loué le profond vermillon de la rose200. » Toutes ces suavités du printemps n’étaient que son parfum et que son ombre. « Je dis à la violette : Où as-tu volé ton parfum qui embaume, —  si ce n’est dans l’haleine de ma bien-aimée ? […] Elle s’arrête immobile, dans l’éblouissement de cette vision subite, au bruit des concerts divins qui s’élèvent du plus profond de son cœur. […] Il se bat comme un portefaix, avec des cris et des injures, et les clameurs sorties de cette profonde poitrine percent le tumulte de la bataille comme les cris d’une trompette d’airain. […] Hamlet, c’est Shakspeare, et, au bout de cette galerie de figures qui ont toutes quelques traits de lui-même, Shakspeare s’est peint dans le plus profond de ses portraits.

1797. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Ducis épistolaire (suite et fin). »

Je ne voudrais pas qu’on se méprît sur ma pensée, ni qu’on crût le moins du monde que j’exclus l’artiste des vraies, sincères et profondes affections de la vie ; tellement que ce qu’il gagne du côté de la tendresse, il le perde du côté de l’art, et que, pour arrondir le domaine de l’un, il faille nécessairement circonscrire l’autre. […] La Révolution vint déranger ses plans de retraite profonde et retarder l’heure désirée.

1798. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre I. La littérature pendant la Révolution et l’Empire — Chapitre IV. Chateaubriand »

En leur médiocrité, elles correspondent à des sentiments intenses, profonds, originaux. […] Ici encore nulle psychologie ; beaucoup de rhétorique, et a travers tout cela, par moments, une vérité profonde, une mélancolie poignante.

1799. (1911) Enquête sur la question du latin (Les Marges)

Les oreilles de nos jeunes camarades doivent entendre des propos encore plus modernes… Si nous poursuivons maintenant notre enquête auprès du grand public, de cette fraction de la société que l’on a pompeusement dénommée « l’élite », le mal est encore plus profond. […] Alfred Mortier Ma réponse sera brève : qui n’est pas latiniste est incapable d’écrire et de parler purement notre langue, car il ne petit connaître le sens profond et la valeur d’un mot.

1800. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre deuxième »

Il y invite ceux qui annoncent le saint Évangile, et qui veulent la foi profonde. […] Si je la regarde dans les parties de ce livre qui ont été inspirées par la Renaissance, que de nouveautés dans ces expressions si profondes et si générales, qui ouvrent comme des horizons infinis à l’esprit du lecteur !

1801. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre septième. »

Quoique ce soit l’œuvre d’érudits, le grief national qui les a inspirés est si vif et si profond, qu’ils en oublient jusqu’à l’érudition, et qu’aucune imitation de l’antiquité ne paraît dans cette explosion de la vraie France blessée dans sa foi, dans son indépendance nationale, dans sa raison. […] La politique, comme science générale du gouvernement, avait suscité de profonds penseurs ; la politique française proprement dite, celle de l’unité nationale, avait inspiré un pamphlet qui est demeuré.

1802. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre dixième. »

On croirait qu’un dessein profond a coupé ou allongé ces vers, et il est telle fable qui supporterait cette analyse effrayante. […] Ne donnons-nous pas ce nom à sa science profonde de la vie, science qui ne condamne ni n’absout, mais qui fait voir toutes choses au vrai, et qui en porte des jugements dont peuvent s’autoriser également les gens sévères pour condamner, les indulgents pour absoudre ?

1803. (1911) La morale de l’ironie « Chapitre IV. L’ironie comme attitude morale » pp. 135-174

Il est sollicité par des forces discordantes qui sont au plus profond de son être. […] L’esprit de l’homme résout aisément bien d’autres contradictions, et de bien plus profondes.

1804. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XII, les sept chefs devant Thèbes. »

Ici, nous n’avons que la fin de la terrible légende ; Œdipe a disparu de l’œuvre tronquée, et cette lacune est profonde. […] Son bouclier est vide d’ornements, aucune sculpture arrogante n’enfle son airain. — « En effet, il ne veut point paraître le meilleur, mais il veut l’être : les sages conseils germent, comme une moisson, des profonds sillons de son âme. » La panoplie tient autant de place que l’homme dans ces portraits belliqueux.

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