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542. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Franklin. — I. » pp. 127-148

S’étant procuré les Dits mémorables de Socrate par Xénophon, il y prit plaisir et s’appliqua à en reproduire la méthode ; il avoue que ce ne fut point sans en abuser quelquefois. […] Lorsqu’un autre avançait quelque chose que je croyais une erreur, je me refusais à moi-même le plaisir de le contredire brusquement et de démontrer à l’instant quelque absurdité dans sa proposition ; et, en répondant, je commençais par faire observer que, dans certains cas ou circonstances, son opinion pouvait être juste, mais que, dans le cas présent, il me paraissait, il me semblait qu’il y avait quelque différence, etc. […] L’horizon tout entier brillera plus vivement à tes regards, et le plaisir jaillira dans chaque recoin de ton cœur. […] Et de même, dit-il, que celui qui a un jardin à sarcler n’entreprend point d’arracher toutes les mauvaises herbes à la fois (ce qui excéderait sa portée et sa force), mais travaille sur un seul carré d’abord, et, ayant fini du premier, passe à un second, de même j’espérais bien avoir l’encourageant plaisir de voir sur mes pages le progrès fait dans une vertu, à mesure que je débarrasserais mes lignes de leurs mauvais points, jusqu’à ce qu’à la fin, après un certain nombre de tours, j’eusse le bonheur de voir mon livret clair et net.

543. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre v »

A voir les avions se chercher, foncer l’un sur l’autre, se mitrailler, reprendre le large, revenir à la charge jusqu’à ce que l’un des deux s’enfuie ou tombe, je retrouve tout pur le plaisir passionnant des courses de taureaux : émotion pareille, l’arène est en haut. »‌ Tout cela se résume dans cette profession de foi :‌ Au risque de vous paraître fou, je déclare en mon âme et conscience que j’aime être ici ; j’aime la tranchée de première ligne, comme un « pensoir » incomparable ; on y est ramassé sur soi-même, toutes ses forces rassemblées ; on y jouit d’une entière plénitude de vie. J’y suis comme sous un réflecteur, je m’y vois dans une clarté toute crue, avec une lucidité qui mieux que n’importe quel bureau de travail facilite l’analyse… Je lis peu, j’ai plus de plaisir à voir autour de moi, à essayer de démêler et de coordonner mes impressions ; travail de prolongement et d’approfondissement, ce que mes hommes font pour les boyaux, je le fais en moi-même.‌ […] Pour ma part, j’ai fait mon service militaire, comme tous les jeunes gens que je connaissais, sans grand plaisir ni enthousiasme, et ne pensais à la guerre que lorsque mon père me racontait sa campagne de 1870.‌ […] avec quel plaisir je le vengerai ainsi que Robert mon frère trop tôt disparu !

544. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Jean-Jacques Ampère »

Ampère avait lu ce livre avec plaisir soit dans son voyage de Rome, soit au retour, et il nous en fait part. […] Ampère) sur la traduction de mon théâtre m’a fait grand plaisir. […] J’ai eu le plaisir de dîner plusieurs fois avec lui en petit comité, et je l’ai entendu parler plusieurs heures de suite avec une présence d’esprit prodigieuse : tantôt avec finesse et originalité, tantôt avec une éloquence et une chaleur de jeune homme. […] Cela vous ferait souffrir, et la vue de cette agitation détruirait de fond en comble tout le plaisir que me ferait sans cela votre présence. […] Il n’aurait plus été aux ordres de l’une ou de l’autre de ses nombreuses et brillantes facultés à toute heure : il n’en aurait pas eu seulement la dépense et le plaisir, il en aurait eu l’économie.

545. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — chapitre VI. Les romanciers. » pp. 83-171

Tout son plaisir fut de penser qu’il y avait un service à rendre, et qu’il le rendait. « Celui qui a la vérité de son côté, dit-il, est un sot aussi bien qu’un lâche, quand il a peur de la confesser à cause du grand nombre des opinions des autres hommes. […] Vous imprimez à la suite de Paméla le catalogue des vertus dont elle donne l’exemple ; le lecteur bâille, oublie son plaisir, cesse de croire, et se demande si la céleste héroïne n’était pas un mannequin ecclésiastique arrangé pour lui débiter une leçon. […] Il y a plaisir à regarder ces puissants estomacs : le roastbeef y descend comme dans sa place naturelle. […] Il aime les nudités, non par sentiment du beau à la façon des peintres, non par sensualité et franchise à l’exemple de Fielding, non par recherche du plaisir, ainsi que les Dorat, les Boufflers et tous les fins voluptueux qui riment et s’égayent en ce moment de l’autre côté de la Manche. […] C’est une dissertation à l’anglaise, toute composée de raisonnements exacts, ayant pour but d’établir que, d’après la nature du plaisir et de la peine, les malheureux souffrent moins que les heureux de quitter la vie, et jouissent plus que les heureux d’obtenir le ciel.

546. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Appendice. — [Rapport sur les primes à donner aux ouvrages dramatiques.] » pp. 518-522

À des degrés inférieurs, il est encore d’honorables places à saisir ; et, quoique le talent se laisse peu conseiller à l’avance, quoiqu’il appartienne à lui seul, dans ce fonds tant de fois remué, mais non pas épuisé, de l’observation naturelle et sociale, de découvrir de nouvelles formes et des aspects imprévus, qu’on nous permette d’exprimer ce seul vœu : c’est qu’il revienne enfin et qu’il s’attache désormais à étudier une nature humaine véritable, une nature saine et non corrompue, non raffinée ou viciée à plaisir, une nature ouverte aux vraies passions, aux vraies douleurs, sujette aux ridicules sincères, malade, quand elle l’est, des maladies générales, et naturelles encore, que tous comprennent, que tous reconnaissent et doivent éviter. […] En se tenant cette fois dans les termes généraux de l’arrêté, la Commission a distingué avec plaisir, parmi les pièces assez nombreuses qui s’offraient à elle en première ligne comme ayant été représentées sur le second Théâtre-Français, et dont quelques-unes se recommandaient par des mérites sérieux, une comédie en cinq actes et en vers, Les Familles, de M. 

547. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Prosper Mérimée. »

C’est un de ses plaisirs de se moquer de la vanité de toutes choses, et de ceux qui ne savent pas que tout est vanité  mais de s’en moquer sans qu’ils s’en doutent, et sans descendre à la satire ni à la bouffonnerie, lesquelles sont indignes du sage par trop de passion ou d’expansion. […] Mystifications, le Théâtre de Clara Gazul, la Guzla, la Vénus d’Ille, Lokis, etc.Autre plaisir.

548. (1900) Taine et Renan. Pages perdues recueillies et commentées par Victor Giraud « Taine — VII »

J’envie mon ami Emile Hinzelin, qui s’est donné le plaisir de chercher, dans cette petite ville des Ardennes, les premières traces de notre maître vénéré. […] Taine, j’éprouve plus de plaisir devant les choses naturelles que devant les œuvres d’art ; rien ne me semble égal aux montagnes, à la mer, aux forêts et aux fleuves. » A mon goût, il n’a écrit sur rien avec un sentiment plus profond et plus passionné que sur les arbres.‌

549. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome I pp. 5-537

On sent aussitôt que les plaisirs vrais de la nature le dédommagent de la perte du pouvoir. […] C’est cette science si difficile de réunir les plaisirs de l’oreille et ceux de l’âme, qui a rendu dans toutes les nations les grands poètes très rares. […] Chaque plaisir a sa place comme son temps. […] Mais telle est l’ingratitude commune, qu’une seule faute dans la plus longue et la plus difficile besogne, fait oublier cent bonnes choses et le plaisir qu’on eut à les entendre. […] J’aime mieux que l’auteur ne l’ait pas rejetée par un timide scrupule que d’être privé du plaisir de l’admirer.

550. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE LONGUEVILLE » pp. 322-357

Sans prétendre retracer une vie si diverse et si fuyante, il y a eu devoir et plaisir pour nous à bien saisir du moins cette physionomie à laquelle s’attache un enchantement immortel, et qui, même sous ses voiles redoublés, nous venait sourire du fond de notre cadre austère. […] La Rochefoucauld, qui eut plus que personne qualité pour la juger, nous a dit déjà, et je répète ici ce passage trop essentiel au portrait de Mme de Longueville pour ne pas être rappelé : « Cette princesse avoit tous les avantages de l’esprit et de la beauté en si haut point et avec tant d’agrément, qu’il sembloit que la nature avoit pris plaisir de former en sa personne un ouvrage parfait et achevé ; mais ces belles qualités étoient moins brillantes, à cause d’une tache qui ne s’est jamais vue en une personne de ce mérite, qui est que, bien loin de donner la loi à ceux qui avoient une particulière adoration pour elle, elle se transformoit si fort dans leurs sentiments, qu’elle ne reconnoissoit plus les siens propres. » La Rochefoucauld ne put d’abord se plaindre de ce défaut, puisqu’il lui dut de la conduire. […] Ce n’est pas que je ne reconnusse bien que l’orgueil avoit été le principe de tous mes égarements, mais je ne le croyois pas si vivant qu’il est, ne lui attribuant pas tous les péchés que je commettois ; et cependant je vois bien qu’ils tiroient tous leur origine de ce principe-là. » Elle reconnaît à présent que, du temps même de ses égarements les plus criminels, le plaisir qui la touchait était celui de l’esprit, celui qui tient à l’amour-propre, les autres naturellement ne l’attirant pas. Ces deux misérables mouvements, plaisir de l’esprit et orgueil, qui n’en sont qu’un, entraient dans toutes ses actions et faisaient l’âme de toutes ses conduites : « J’ai toujours mis ce plaisir, que je cherchois tant, à ce qui flattoit mon orgueil, et proprement à me proposer ce que le Démon proposa à nos premiers parents : Vous serez comme des Dieux ! […] Elle se reproche, en se condamnant elle-même, de désirer out bas de voir ses condamnations condamnées, et de vouloir découvrir, par cette sorte de provocation détournée, si on n’a pas d’elle quelque peu de bonne opinion : « Je me défigure en partie, dit-elle, pour m’attirer le plaisir de connoître qu’on croit plus de bien de moi, et c’est même un artifice de mon amour-propre et de ma curiosité de me pousser à me dépeindre défectueuse, pour savoir au vrai ce que l’on croit de moi, et satisfaire par même voie mon orgueil et ma curiosité. » Toujours la méthode d’esprit de l’hôtel Rambouillet ; c’est l’application seule qui a changé.

551. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre quatrième. La propagation de la doctrine. — Chapitre II. Le public en France. »

Les souverains, au milieu de leur magnificence et au plus fort de leurs succès, l’appellent chez eux pour goûter une fois dans leur vie le plaisir de la conversation libre et parfaite. […] Pour les aimables « oisifs » que décrit Voltaire502, pour « les cent mille personnes qui n’ont rien à faire qu’à jouer et à se divertir », elle est le pédagogue le plus déplaisant, toujours grondeur, hostile au plaisir sensible, hostile au raisonnement libre, brûlant les livres qu’on voudrait lire, imposant des dogmes qu’on n’entend plus. […] Elle semble bien lourde à des hommes de plaisir, aux compagnons de Richelieu, Lauzun et Tilly, aux héros de Crébillon fils, à tout ce monde galant et libertin pour qui l’irrégularité est devenue la règle. […] Mais ce qu’ils goûtent dans le matérialisme nouveau, c’est le piquant du paradoxe et la liberté du plaisir. […] On trouve du plaisir à descendre tant qu’on croit pouvoir remonter dès qu’on veut ; et, sans prévoyance, nous goûtions à la fois les avantages du patriciat et les douceurs d’une philosophie plébéienne.

552. (1864) Cours familier de littérature. XVII « XCVIIIe entretien. Alfieri. Sa vie et ses œuvres (3e partie) » pp. 81-152

Les personnes qui ont vu à Montpellier le portrait de Fabre tel qu’il l’a peint lui-même se demandent comment la veuve de Charles-Édouard, l’adorata donna d’Alfieri, aurait pu effacer comme à plaisir, par cet inexplicable attachement, la poétique auréole qui entourait son nom. […] Les vers blancs sans rime dans lesquels il écrit ses tragédies sont une prose cadencée, qui ne donne pas même à l’oreille le plaisir de la difficulté vaincue et de la complète harmonie des mots. […] Legouvé, par complaisance de talent, pour que l’actrice universelle eût le plaisir d’émouvoir en français les Français. […] « … Vous me feriez grand plaisir de me donner de vos nouvelles, de vous et de vos occupations littéraires. […] J’aurai beaucoup de plaisir à revoir M. et Mme de Luchesini, mais rien n’égalera celui que je sentirai près de vous.

553. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre premier »

En littérature, elle a suivi les créations ; les règles ne sont que les raisons du plaisir que nous prenons aux beautés des lettres. […] Tout ce qui plaît à notre imagination dans la sublimité des fables homériques, tout ce qui touche nos cœurs dans cette première et naïve expression des passions humaines, notre raison l’approuve, et elle y trouve sa part dans la leçon morale qui s’insinue sous le plaisir. […] Une fois acquises et le plaisir de la surprise épuisé, elles ont le tort d’être du connu. […] Le soin même qu’il prend de cacher, sous la forme de conjectures, sa foi si ferme dans l’avenir illimité de la science, nous gagne à cette foi, et ajoute au plaisir d’apprendre des découvertes accomplies une féconde curiosité des découvertes futures. […] Le doute de Bayle ne s’impose pas, ne régente personne, honore dans les opinions la liberté de la pensée, dans les erreurs le droit de chercher la vérité, ne blâme que les persécuteurs, et prend plaisir à tout.

554. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Troisième Partie. De la Poësie. — IV. La Poësie dramatique. » pp. 354-420

Cette révolution s’est faite sous Charles second, qui vivoit dans les plaisirs, & dont la cour, après celle de Louis XIV, étoit la plus galante de l’Europe. […] Les uns condamnent le genre qu’il a suivi ; les autres l’admettent, & ne veulent pas que l’on se prive d’une nouvelle source de plaisirs. […] C’est une des pièces de l’auteur qui fait le plus de plaisir. […] Rire un moment, puis pousser des soupirs, Puis rire encore ; voilà les vrais plaisirs. […] D’ordinaire leur grand mérite n’est que celui des circonstances ; mais celle-ci se soutient toujours : on la revoit aux Italiens avec plaisir.

555. (1898) Impressions de théâtre. Dixième série

Abel Hermant. — Aux « Escholiers » : Le Plaisir de rompre, un acte, de M.  […] Jules Renard : le Plaisir de rompre, qui a extrêmement plu. […] Je serais charmé que le grand succès du Plaisir de rompre fit connaître le rare mérite de M.  […] Je n’y ai aucun plaisir, parce que M.  […] Mais il les développe sous une forme dure, provocante et blessante à plaisir.

556. (1889) Les artistes littéraires : études sur le XIXe siècle

Son sang-froid intellectuel ne le quitte pas, même au milieu des spasmes d’un plaisir convulsif ; quand la femme qu’il possède le serre contre son cœur, à quoi songe-t-il ? […] Il revient simplement à la doctrine antique et biblique : à ses yeux, « la femme est une belle esclave destinée à nos plaisirs, un hochet plus intelligent que s’il était d’ivoire ou d’or ». […] Si le souci des peines infernales l’occupe quelquefois, ce n’est guère aux heures du plaisir. […] Leur ardeur au plaisir monte rapidement jusqu’à un maximum d’intensité, pour faire place sans transition à la satiété et à la lassitude. […] Il est manifeste qu’elle multiplie alors les entraves uniquement pour le plaisir de mettre à l’épreuve la dextérité de l’artiste, et sans profit aucun pour la plus-value artistique de l’œuvre.

557. (1908) Esquisses et souvenirs pp. 7-341

Je me souviens de ceci et de cela, et j’avais plaisir à m’arrêter à des riens. […] Mais quel sombre plaisir de le constater ! […] Fort bien, mais la première fois que j’aurai le plaisir de rencontrer M.  […] Je n’eus jamais par la suite autant de plaisir à rimer. […] Je n’y allai point, je demeurai à Florence avec plaisir.

558. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Le père Lacordaire. Quatre moments religieux au XIXe siècle. »

Moi qui lis cela avec intérêt, qui, bien que de ceux qu’on appelle sceptiques, me tiens pour parfaitement sûr et certain de ce qu’il y a de faux et d’imaginaire dans le point de départ et dans certaines suppositions premières de celui qui écrit ; qui n’en cherche pas moins avec plaisir les preuves de talent, d’élévation, ou les saillies d’esprit, j’en trouve une, de ces saillies, et qui me paraît des plus agréables, dans une lettre à laquelle l’éditeur, qui s’y connaît et qui s’entend à étiqueter les matières, a donné ce titre piquant : Un religieux à cheval. — « Tôt ou tard on ne jouit que des âmes. » Le commencement de la lettre se rapporte à des affaires de l’Ordre, au choix que venait de faire le Chapitre provincial d’un successeur du Père Lacordaire et à d’autres points particuliers ; mais voici le côté aimable, et qui me rappelle, je ne sais trop comment, de jolies lettres de Pline le Jeune : «  Quant à vous, mon bien cher qui montez à cheval dans la forêt de Compiègne avec l’habit religieux et qui le trouvez tout simple, je n’ai rien à vous dire. Certainement un prêtre peut monter à cheval pour l’exercice de son ministère ; il y a des pays de montagnes où c’est la seule manière de voyager, et des évêques même ne se font pas scrupule de parcourir ainsi les parties abruptes de leur diocèse ; mais monter à cheval pour son plaisir, comme les fils de famille riches, qui vont passer la soirée au bois de Boulogne, je vous avoue que la chose me semble hardie dans un religieux. […] Il érige volontiers l’absence de toute critique en précepte et en dogme ; il dira par exemple à un jeune homme qui, selon lui, lit trop, et qui s’adresse à des auteurs de tout bord et de toute opinion, comme il sied à un estomac viril et à tout esprit émancipé : « Je n’ai pas grand plaisir à vous voir lire des livres tels que ceux dont vous me parlez.

559. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Le Brun »

On devine pourtant et l’on rêve à plaisir ce petit monde heureux, d’après quelques épîtres réciproques et quelques vers épars : Abel, mon jeune Abel, et Trudaine et son frère, Ces vieilles amitiés de l’enfance première, Quand tous quatre muets, sous un maître inhumain, Jadis au châtiment nous présentions la main ; Et mon frère, et Le Brun, les Muses elles-mêmes ; De Pange fugitif de ces neuf Sœurs qu’il aime : Voilà le cercle entier qui, le soir quelquefois, A des vers, non sans peine obtenus de ma voix, Prête une oreille amie et cependant sévère. […] Un goût vif des plaisirs les unissait encore. […] Tous deux ont chanté leurs plaisirs et leurs peines d’amour en des élégies qui sont, à coup sûr, les plus remarquables du temps41.

560. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « L’abbé Prevost et les bénédictins. »

Je compte, mon Révérend Père, que sans en venir à ces extrémités, qui ne feroient plaisir ni à vous ni à moi, vous voudrez bien consentir au changement de ma condition. […] C’est avec beaucoup de chagrin que je me suis vu privé ici du plaisir de voir dom Thuillier. […] En revanche, celui-ci nous apprend encore que Prevost s’est donné le plaisir, dans ses Mémoires d’un Homme de qualité, de faire des portraits de ses anciens confrères de Saint-Maur, et de les loger dans la bibliothèque du monastère de Saint-Laurent à l’Escurial.

561. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « M. Rodolphe Topffer »

Avoir vécu, dès l’enfance et durant la jeunesse, de la vie de famille, de la vie de devoir, de la vie naturelle ; avoir eu des années pénibles et contrariées sans doute, comme il en est dans toute existence humaine, mais avoir souffert sans les irritations factices et les sèches amertumes ; puis s’être assis de bonne heure dans la félicité domestique à côté d’une compagne qui ne vous quittera plus, et qui partagera même vos courses hardies et vos généreux plaisirs à travers l’immense nature ; ne pas se douter qu’on est artiste, ou du moins se résigner en se disant qu’on ne peut pas l’être, qu’on ne l’est plus ; mais le soir, et les devoirs remplis, dans le cercle du foyer, entouré d’enfants et d’écoliers joyeux, laisser aller son crayon comme au hasard, au gré de l’observation du moment ou du souvenir ; les amuser tous, s’amuser avec eux ; se sentir l’esprit toujours dispos, toujours en verve ; lancer mille saillies originales comme d’une source perpétuelle ; n’avoir jamais besoin de solitude pour s’appliquer à cette chose qu’on appelle un art ; et, après des années ainsi passées, apprendre un matin que ces cahiers échappés de vos mains et qu’on croyait perdus sont allés réjouir la vieillesse de Goëthe, qu’il en réclame d’autres de vous, et qu’aussi, en lisant quelques-unes de vos pages, l’humble Xavier de Maistre se fait votre parrain et vous désigne pour son héritier : voilà quelle fut la première, la plus grande moitié de l’existence de Topffer. […] Son triple talent d’observateur de caractères, de paysagiste expressif et d’humoriste folâtre, s’y croise et s’y combine presque à chaque page ; le pressentiment fatal à demi voilé s’y fait jour aussi : « Cette fois, en déposant le bâton de voyageur, nous dit-il, celui qui écrit ces lignes se doute tristement qu’il ne sera pas appelé à le reprendre de sitôt… Pour voyager avec plaisir, il faut pouvoir tout au moins regarder autour de soi sans précautions gênantes, et affronter sans souffrance le joyeux éclat du soleil. […] R… m’a apporté des compliments que vous lui aviez remis pour moi et qui m’ont fait un bien grand plaisir.

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