Le Quirinal et le Vatican ne semblent alors être pour vous, en effet, que des positions plus commodes, du haut desquelles vous canonnez et balayez à plaisir le pauvre monde. […] Jusqu’à vingt-quatre ans, il n’avait lu avec plaisir, nous dit-il, que les écrivains du jour, Michelet, Janin, Mme Sand, etc., et il les admirait ou les goûtait assez confusément. […] En fait de journaliste de province, il est impossible de le méconnaître lui-même dans le petit journaliste ministériel, si insolent, si spirituel, si acharné à ses victimes, et à qui il fait dire, parlant de ceux-là mêmes qu’il est chargé officiellement de défendre : « Quel plaisir de dauber sur ce troupeau de farceurs illustres et vénérés ! […] Croyez qu’il n’y a point de Dieu ; mais il y a un journaliste, un gamin… car enfin je ne suis qu’un gamin… « Au fait, je ne sais pas jusqu’à quel point je vaux mieux qu’eux… Je fais un métier de bourreau, et je ne suis pas absolument sûr de le faire par conscience… Ils ont leurs passions, j’ai les miennes ; ils cherchent leurs plaisirs, et moi, en les tourmentant, je cherche le mien… » Voilà des aveux. — La fin du roman me déplaît et déplaira, je crois, à bien du monde ; le parti pris s’y faitsentir.
Jean-Jacques a raconté qu’il assista un jour à une représentation de Bérénice avec d’Alembert, et que la pièce leur fit à tous deux un plaisir auquel ils s’attendaient peu. […] Elles étaient nombreuses dans Bérénice, elles s’y croisaient en mille reflets, et il y a plaisir à croire les deviner encore. […] C’est par lui et par sa lutte sérieuse que le poëte remettait son œuvre sur le pied tragique, et prétendait corriger ce que le reste de la pièce pouvait avoir de trop amollissant : « Ce n’est point une nécessité, disait-il en répondant aux chicanes des critiques d’alors, qu’il y ait du sang et des morts dans une tragédie : il suffit que l’action en soit grande, que les acteurs en soient héroïques, que les passions y soient excitées, et que tout s’y ressente de cette tristesse majestueuse qui fait tout le plaisir de la tragédie. » Geoffroy, qui cite ce passage dans son feuilleton sur Bérénice, s’en fait une arme contre ceux qu’il appelle les voltairiens en tragédie, et qu’il représente comme altérés de sang et et de carnage dramatique. […] Quant à l’Antiochus, il est suffisant. — Ainsi, pour conclure, nous devons à mademoiselle Rachel non-seulement le plaisir, mais aussi l’honneur d’avoir goûté Bérénice, et il ne tient qu’à nous, grâce à elle, de nous donner pour plus amateurs de la belle et classique poésie en 1844 qu’on ne l’était en 1807.
Et plus loin, en des vers d’ailleurs bien élégants, le poëte ajoute : Mais ces riches climats fleurissent en silence ; Jamais un chantre ailé n’y porte sa cadence : Ils n’ont point Philomèle et ses accents si doux, Qui des plaisirs du soir rendent le jour jaloux. […] Les grands poëtes ont en eux de puissantes et aussi de cruelles ressources de consolation ; leur âme, comme une terre fertile, se renouvelle presque à plaisir, et elle retrouve plusieurs printemps. […] Il me parut peiné du délai qu’entraînerait cette délicatesse qu’il juge outrée, puisque c’est seulement à titre de poëte distingué qu’il s’acquitte envers lui du plaisir qu’il a dû à la lecture de ses Idylles. […] …………………… Amours, Plaisirs, troupe céleste, Ne pourrai-je vous attirer, Et le dernier bien qui me reste Est-il la douceur de pleurer ?
On reviendra, si je ne me trompe, à ces femmes du xvie siècle, à ces contemporaines des trois Marguerite, et qui savaient si bien mener de front les affaires, la conversation et les plaisirs : « J’ai souvent entendu des femmes du premier rang parler, disserter avec aisance, avec élégance, des matières les plus graves, de morale, de politique, de physique. » C’est là le témoignage que déjà rendait aux femmes françaises un Allemand tout émerveillé, qui a écrit son itinéraire en latin, et à une date (1616) où l’hôtel Rambouillet ne pouvait avoir encore produit ses résultats253. […] Encore faudrait-il observer, dans la plupart des passages qu’on cite à l’appui de ce défaut, que c’est elle-même qui s’y dénonce à plaisir et qui fait gaiement les honneurs de sa personne. […] La correspondance de Mme de Staal avec Mme du Deffand trahit les misères du fond sous la forme toujours agréable ; on y suit l’habitude de l’esprit et l’ironique gaieté persistant à travers une existence sans plaisir et comblée d’ennui. […] On n’y regardait pas de si près en ce temps-là, quand il s’agissait de s’assurer les plaisirs de l’esprit.
L’école anglaise a excellemment montré comment le désir d’un objet comme tel (de l’or, par exemple) peut se substituer au désir des plaisirs qu’il donne122. On peut de même substituer, mais avec plus de raison, le sujet moi aux plaisirs particuliers et aux objets particuliers qui les causent. […] Par cela même, chez un être sensible, la plus parfaite unité de forces vitales produit un sentiment de vie plus intense, c’est-à-dire un plaisir et, comme conséquence, une tendance croissante à la concentration des forces, un accroissement de gravitation intérieure. […] En même temps que les mouvements se coordonnent ainsi par les actions ou réactions mutuelles de la substance nerveuse et du milieu, la sensibilité devient moins diffuse et moins confuse : la vie, qui n’était d’abord qu’une sorte de bruit non musical, s’enfle en un son rythmé et distinct ; l’être sent plus clairement son plaisir d’être, parce qu’il y a augmentation d’intensité et d’ordre par la convergence des forces.
. — Perfection du style et du goût ; inspiration rare, hors celle du plaisir. — Charme puissant et longue durée de cette poésie. […] Ainsi, sous ce règne d’Auguste, si favorable aux arts, dit-on, dans cette heureuse maturité de l’idiome et du génie romain secondée par la paix de l’empire, chez ce peuple où se réfléchit alors le génie de la Grèce, parmi des conditions tout à la fois d’affinité naturelle et d’imitation, la poésie lyrique, cette belle parure du théâtre d’Athènes et des fêtes d’Olympie, cette voix antique de la religion et de la patrie, n’eut qu’un seul interprète, plus ingénieux que grand, plus ami du plaisir que de la vertu, de la fortune que de la gloire. […] On peut rêver à plaisir le pouvoir absolu ; on peut le prétendre un mal nécessaire, dans certain état du monde. […] L’hymne commencé n’est plus qu’une chanson, et le poëte, un ami du repos et du plaisir qui rend grâce au protecteur de la paix publique.
» Plus loin, l’évêque de Meaux prend la peine d’expliquer à ce malheureux théatin, qui n’y a jamais mis les pieds, l’espèce de plaisir que l’on trouve au théâtre, et jamais commentaire n’a été mieux fait à l’éloge de ce grand plaisir, le premier de tous, peut-être, quand il est complet. […] Évidemment, le public était préoccupé de la comédie, et il écoutait sans trop de plaisir les colères éloquentes d’Hermione ! […] Son activité ne se dément pas un seul instant ; il est patient et rusé comme le renard ; il joue avec ses victimes, et quand il voit une dupe, il dit tout basque c’est plaisir. […] J’aime le jeu, les assemblées, les visites, les cadeaux et les promenades ; en un mot, toutes les choses de plaisir. […] Le poète, il est vrai, les maltraite à outrance, mais toujours comme un homme de bonne compagnie qui se venge à plaisir des fats qui lui ont déplu.
Aussi Mme d’Houdetot disait-elle souvent : Les plaisirs m’ont quittée, mais je n’ai point à me reprocher de m’être dégoûtée d’aucun. — Cette disposition la rendait indulgente dans l’habitude de la vie, et facile avec la jeunesse. […] Jeune, elle eût voulu tout aimer, et ceux de ses goûts qu’elle avait pu garder sur le soir de ses ans embellissaient encore sa vieillesse, comme ils avaient concouru à parer cette heureuse époque qui nous permet d’attacher un plaisir à chacune de nos sensations. […] Il y avait là, nous dit un très-bon juge, un mélange assez pacifique de lumières modernes, de vœux rétrogrades, de goûts d’ancien régime, de mœurs simples amenées par le malheur des temps, de tristes regrets à la suite des douleurs de 93 : il y avait surtout un vif besoin de bonheur, de repos final et de plaisirs de société. […] Quand on regrette si vivement les plaisirs de la conversation (c’est comme pour les scrupules en morale), on est bien près de mériter l’exception heureuse et de rattraper quelques bons moments. […] Il suffit de savoir résister à l’entraînement qui l’accompagne, car il y a bien aussi quelque sorte d’ivresse dans les plaisirs de l’esprit. » — La machination tramée par le ministre, et qui manque de briser l’existence des personnages qui lui restent le plus chers, ne fait que retarder de peu sa chute.
Je ne crois pas qu’on aille tant au théâtre pour le plaisir qu’on y éprouve que pour y puiser un sujet de conversation qui soit commun à toutes les maisons qu’on fréquente. […] Il pourrait être la meilleure et la plus féconde école, s’il n’était asservi à la triste condition d’être un délassement d’hommes fatigués par la journée et un plaisir facile ne détournant pas le sang des organes de la digestion. […] Il ne faut que persévérer, car nous goûtons ainsi le meilleur plaisir. […] On n’arrive par elle au plaisir qu’au prix d’une attention absolue. […] Le théâtre, à Paris, est fréquenté par les étrangers, qui ne sont pas blasés sur les plaisirs faciles, par des jeunes gens, qui, n’ayant pas de famille, tuent leurs soirées dans les salles de spectacle, et par les personnes qui, ayant l’habitude de se coucher tard, se réfugient dans les endroits où il y a de la lumière et du bruit.
On ne combat que de plaisirs. […] Faites-moi part de tout ce qui vous regarde, de vos affaires, de votre économie, de vos plaisirs, de votre société ; rien ne m’est indifférent de votre part. […] M. le colonel Randon me fait beaucoup de plaisir de se ressouvenir de moi : mais je ne sache pas qu’il m’ait écrit. […] Vous ne sauriez croire le plaisir que me font vos lettres. […] Ces ressouvenirs sont mêlés de plaisir et d’amertume ; mais quoi ?
Il ne recevait ses impressions que lentement, mais les retenait opiniâtrement, et il en résultait toujours un plaisir physique des plus prononces. […] Cela s’évanouit promptement dans une extrême quiétude, puis dans un plaisir purement sensuel… Une année s’écoula… Le sentiment de l’être avait à la longue entièrement disparu, et à sa place, à la place de toutes choses, régnaient, suprêmes et éternels autocrates, le Lieu et le Temps. […] Il sent maintenant sa propre vie par une infinité de plaisirs imparfaits, — les plaisirs partiels et entremêlés de peine de ces êtres prodigieusement nombreux que tu nommes ses créatures, mais qui ne sont réellement que d’innombrables individualisations de lui-même… La somme générale de leurs sensations est juste le total du bonheur qui appartient de droit à l’Être divin quand il est concentré en lui-même. […] Son habileté à intéresser par des procédés de style, des âmes factices, des séries d’événements cauteleusement rapprochés, des suggestions et des surprises, perdrait vite tout ascendant, si le conteur n’avait tenu compte par instinct d’une loi de psychologie que l’école allemande a formulé presque mathématiquement et dont on peut saisir l’effet dans la diminution de plaisir à la répétition d’un morceau bissé, dans la lecture de moins en moins fructueuse d’un roman parcouru de suite. […] Il revêt d’une forme littéraire ce froid plaisir, intense chez les spéculatifs, que cause la solution d’un problème en tant que tel, aux géomètres, aux métaphysiciens et aux stratégistes.
Sans doute même les ennemis de ce grand homme virent avec plaisir s’élever un jeune poëte qui allait partager la France et la renommée. […] Combien vous deviez chérir l’écrivain qui paraissait avoir étudié son art dans votre coeur, qui semblait être dans le secret de vos faiblesses, qui vous entretenait de vos penchans, de vos douleurs, de vos plaisirs, en vers aussi doux que la voix de la beauté quand elle prononce l’aveu de la tendresse ! […] Il est vrai que vous n’avez pas pu aveugler long-temps les hommes sur leurs plaisirs ; les deux Phèdres n’ont pu long-temps être en concurrence : toutes deux sont bientôt à leur place. […] Il avait assez fait pour sa gloire, mais que ne pouvait-il pas faire encore pour nos plaisirs ? […] Il s’occupait de l’éducation de ses enfans en homme qui connaît ses devoirs et qui les aime ; et avec quel plaisir on voit dans ses lettres l’auteur de Phèdre et d’ Athalie descendre aux derniers détails de la sollicitude paternelle !
Tous les plaisirs ne se valent-ils point ? […] La variété n’est-elle pas une condition même du plaisir ? […] Si la douleur est réelle, le plaisir ne l’est-il pas aussi ? […] Quels sont leurs plaisirs et leurs peines ? […] C’est que, le plaisir du théâtre étant une forme du plaisir de vivre, et de vivre en société, le théâtre ne saurait s’accommoder d’une esthétique dont le premier mot est la négation ou la dérision de ce plaisir lui-même.
La gloire des autres, vous la verrez non-seulement sans peine, mais avec plaisir ; elle se fera le garant de la vôtre. […] C’est ainsi, pour n’en citer qu’un exemple, qu’il écrivait à Andrieux, au commencement de l’année 1806, — une date qui n’était pas trop ignoble toutefois et trop déshonorante : « Si, chemin faisant, dans vos lectures, dans vos souvenirs, par le bénéfice des occasions, vous pouviez m’indiquer un sujet de poème neuf, intéressant, pathétique, aimable, pastoral, patriarcal, sans héros, — je ne les aime point du tout, — vous me feriez, mon cher ami, un très grand plaisir. […] il n’y a point de fruit qui n’ait son ver, point de fleur qui n’ait sa chenille, point de plaisir qui n’ait sa douleur : notre bonheur n’est qu’un malheur plus ou moins consolé. […] Après une promenade en Sologne : « J’ai fait une lieue ce matin dans des plaines de bruyères, et quelquefois entre des buissons qui sont couverts de fleurs, et qui chantent. » S’il fait une épître (et il en fit en ce temps-là de délicieuses pour la cordialité), et si la veine découle aisément : « Je travaille innocemment et avec plaisir comme un bûcheron qui chante dans ses bois en faisant ses fagots. » « Il y a dans mon clavecin poétique des jeux de flûte et de tonnerre ; comment cela va-t-il ensemble ? […] Elle est très attentive à tout ce qui peut faire plaisir à son mari, et semble toujours chercher à lire dans ses yeux ce qu’elle doit faire… M. de Saint-Pierre nous a accueillis de la manière la plus honnête et la plus affectueuse.
J’ai voulu relire quelque chose de ce gentil maître Clément, et je me suis donné ce plaisir dans l’excellente édition choisie que vient précisément de publier, en la faisant précéder d’une savante étude, un des hommes qui savent et qui sentent le mieux notre ancienne société et notre vieille langue, M. […] Mais le critique littéraire a un autre devoir que celui qui lit pour son plaisir ; il se préoccupe de la suite, de l’avenir de la langue et de la poésie. […] Là est le bien que tout esprit désire, Là le repos où tout le monde aspire, Là est l’amour, là le plaisir encore Là, ô mon Âme, au plus haut ciel guidée, Tu y pourras reconnaître l’Idée De ta beauté qu’en ce monde j’adore. […] S’il les a écrits avec plaisir, on les lit de même, sans fatigue et couramment. […] Bien que de loin, de très loin, et pour la postérité dernière, il ne subsiste que les grandes œuvres et les grands noms auxquels le temps va ajoutant sans cesse ce qu’il retire de plus en plus aux autres, c’est plaisir et devoir pour le critique et l’historien littéraire de rendre justice de près à ces talents réels et distingués, interceptés trop tôt, dans quelque ordre que ce soit, les Vauvenargues, les André Chénier, les Joachim Du Bellay, à ces esprits de plus de générosité que de fortune, qui ont eu à leur jour leur part d’originalité, et qui ont servi dans une noble mesure le progrès de la pensée ou de l’art117.
pense au faux éclat dont nous éblouissent les honneurs, les richesses et les plaisirs qu’on croit les plus propres à nous rendre heureux. […] Plaisir léger, volage, fugitif, qu’accompagnent mille tourments, à travers l’éclat trompeur dont tu nous éblouis, tu caches des maux cruels, et ta riche et brillante parure couvre des monstres hideux. […] C’est une attention que vous devez avoir pour notre saint-père, que de ne pas le fatiguer de prières indiscrètes, de ne l’aborder jamais qu’avec des choses qui lui fassent plaisir ; ou, si vous vous y croyez obligé, une requête humble et modeste lui plaira davantage et sera plus agréable à son humeur et à son caractère. » Voilà l’âme d’un père chrétien et politique unissant le ciel à la terre pour protéger son fils. […] Cette lettre me fait le plus grand plaisir, car j’aime les morceaux de sculpture au-delà de toute expression ; je ne saurais me lasser d’admirer l’habileté d’un artiste qui sait travailler le marbre au point d’imiter la nature elle-même. « Croyez-moi, mon ami, vous ne pouvez pas me faire de plus grand plaisir que de revenir chargé de pareils ouvrages, qui comblent délicieusement tous mes souhaits.
Il semble bien que le « luxe », ce soit essentiellement, non point ce qui coûte cher, mais ce qui est inutile à la société dans les plaisirs que se donne un individu. […] Et d’autre part, la répercussion des plaisirs de luxe est indéfinie, impossible à prévoir. […] Comment et pourquoi blâmera-t-on absolument les formes de l’amour ou du plaisir les plus réprouvées actuellement sinon peut-être les moins pratiquées ? […] Elle peut devenir vraiment morale quand la conscience de la discordance fondamentale et le petit plaisir qui provient de la réaction du moi se joignent au plaisir de la sympathie et au maximum de bienveillance compatible avec la circonstance et l’état social donné. […] Et de même, s’il est plus noble d’écrire une symphonie que de jouer au bridge, nous comprendrons fort bien que le bridge ne soit pas à dédaigner pour celui qui n’a pas de symphonie à écrire, ou qui, en ayant composé une, désire varier ses plaisirs.
C’est à l’Académie de Marseille qu’il adressa plus tard son Éloge de La Fontaine (1774), et, en se voyant couronné, il se donnait le plaisir de faire une malice à La Harpe, pour qui M. […] Ses excès de plaisirs avaient détruit vite en lui sa santé avec sa jeunesse. Ne sachant pas conduire ses passions, il s’y était livré, en se flattant de les étouffer : « J’ai détruit mes passions à peu près comme un homme violent tue son cheval, ne pouvant le gouverner. » On nous dit de cette figure, d’abord si charmante, que le plaisir l’altéra étrangement et que l’humeur finit par la rendre hideuse. […] n’est-il pas suffisamment payé de ses peines et de ses courses par l’honneur de nous fréquenter, par le plaisir de nous amuser, par l’agrément d’être traité par nous comme ne l’est aucun homme de lettres ? […] Chamfort était l’homme qui fournissait le plus d’idées et de vues à ses amis en causant ; il suffisait de le mettre sur un sujet et de l’animer un peu : « Je ne puis me refuser, lui disait Mirabeau, au plaisir de frotter la tête la plus électrique que j’aie jamais connue. » Je n’ose répéter tous les éloges de Mirabeau, qui sembleraient exagérés.
On ne peut pas dire, pour expliquer cette conformité de sentiments, que madame de Staël fut de deux cents ans en arrière de son siècle, ni madame de Rambouillet de deux cents ans en avant du sien ; elles étaient toutes deux de leur temps, de leur sexe, et toutes deux plus sensibles aux plaisirs de l’âme et de l’esprit qu’à tout autre. […] Jamais les plaisirs de l’esprit ne furent mieux goûtés que par ces gens-là. […] n’était-elle pas de celles qui donnent à l’esprit le plus d’étendue et de lumières, qui s’allie ni le plus naturellement et le plus étroitement aux qualités morales, au perfectionnement de la raison, au sentiment du beau et du grand, à la délicatesse du goût, et se prêtent le mieux aux plaisirs d’une imagination sage et réglée ?
Madame de Montespan elle-même, malgré le plaisir qu’elle avait trouvé autrefois dans ces conversations, les tourna après en ridicule pour divertir le roi63. » Il était fort naturel sans doute qu’à la cour, où tant d’intrigues étaient toujours en action, soit pour la galanterie ou pour la fortune, on regardât comme oisifs les gens qui faisaient les plaisir de la conversation, et que le roi et madame de Montespan, dans les ébats d’un double adultère, eussent besoin de donner un nom ridicule aux personnes spirituelles de mœurs régulières et décentes. […] Mais enfin, sans querelle, sans reproche, sans éclat, sans le chasser, sans éclaircissement, sans vouloir le confondre, elle s’est éclipsée elle-même ; et, sans quitter sa maison, où elle retourne encore quelquefois, sans avoir dit qu’elle renonçait à tout, elle se trouve si bien aux Incurables, qu’elle y passe quasi toute sa vie, sentant avec plaisir que son mal n’était pas comme celui des malades qu’elle sert.