/ 2457
1325. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre deuxième. Les images — Chapitre premier. Nature et réducteurs de l’image » pp. 75-128

La seule chose qui en moi se reproduise intacte et entière, c’est la nuance précise d’émotion, âpre, tendre, étrange, douce ou triste, qui jadis a suivi ou accompagné la sensation extérieure et corporelle ; je puis renouveler ainsi mes peines et mes plaisirs les plus compliqués et les plus délicats, avec une exactitude extrême, et à de très grandes distances ; à cet égard, le chuchotement incomplet et défaillant a presque le même effet que la voix. — Mais si, au lieu de prendre pour exemple un homme enclin à remarquer surtout les sentiments, on considère des hommes accoutumés à remarquer surtout les couleurs et les formes, on trouvera des images si nettes qu’elles ne différeront pas beaucoup des sensations. […] Tout à l’heure, pensant à une représentation du Prophète, je répétais silencieusement en moi-même la pastorale de l’ouverture, et je suivais, j’ose dire, je sentais presque, non seulement l’ordre des sons, leurs diverses hauteurs, suspensions et durées, non seulement la phrase musicale répétée en façon d’écho, mais encore le timbre perçant et poignant du hautbois qui la joue, ses notes aigres, tendues, d’une âpreté si agreste, que les nerfs en sursautent, pénétrés d’un plaisir rude comme par la saveur d’un vin trop cru. — Tout bon musicien éprouve à volonté cette impression quand il suit les portées couvertes de leurs signes noirs. […] Lorsqu’on a écouté un beau timbre plein et frappant, par exemple une note haute et prolongée de violoncelle, une note moyenne et prolongée de clarinette ou de cor, si tout d’un coup ce son cesse, on continue pendant quelques secondes à l’entendre mentalement, et quoique, au bout de quelques secondes, son image s’affaiblisse et s’obscurcisse, on continue, pour peu que le plaisir ait été vif, à la répéter intérieurement avec une justesse singulière, sans laisser échapper presque aucune parcelle de son velouté et de son mordant. […] Si l’image est très précise et très intense, ces deux moments sont distincts : au premier moment, elle semble extérieure, située à telle distance de nous quand il s’agit d’un son ou d’un objet visible, située dans notre palais, notre nez, nos membres quand il s’agit d’une sensation d’odeur, de saveur, de douleur ou de plaisir local.

1326. (1859) Cours familier de littérature. VII « XLe entretien. Littérature villageoise. Apparition d’un poème épique en Provence » pp. 233-312

— « C’est bien vrai, Mademoiselle, dit le jeune apprenti ; mais la soif s’étanche aussi bien par l’agacement d’une groseille aux dents que par l’eau de toute la cruche ; et si, pour trouver de l’ouvrage, il faut essuyer les injures du temps, tout de même le voyage a ses moments de plaisir, et l’ombre sur la route fait oublier le chaud. » Le récit que Vincent fait de ses voyages à la jeune fille est incomparable en grâce, en vérité, en nouveauté et cependant en poésie. […] c’est un plaisir d’aller dormir l’hiver, mais à présent, pour dormir, la nuit est trop claire. […] … Le garçon se tut un petit moment, puis reprit : Quand Vincenette était avec nous, et que, toute jeune, elle gardait encore la cabane, pour lors c’était un plaisir ! […] ” Et, folle de plaisir, de mille doux baisers elle les dévore et les caresse.

1327. (1887) Journal des Goncourt. Tome II (1862-1865) « Année 1864 » pp. 173-235

Il nous montre une tête de La Tour achetée, un sou, à un étalage par terre, et nous parle avec désespoir d’une esquisse de Watteau, donnée de la main à la main, à l’ami Saint pour lui faire plaisir, vendue depuis, 25 000 francs en Angleterre. […] Elle était vêtue de loques de modèle, arrangées par Eugène Giraud, et avait la figure couverte d’un affreux masque en fil de fer, qui l’a rendue méconnaissable pour tout le monde… Elle parle, avec une effusion charmante, du plaisir qu’elle a eu de rencontrer des hommes impolis, elle qui est, dit-elle, toujours habituée à les trouver la bouche en cœur, — et de s’entendre dire par les femmes, qu’elle était vieille et laide… Sur la défense que prend le peintre Hébert, d’une femme vivement maltraitée par quelqu’un de la société, le pratique Emile de Girardin lui dit à demi-voix : « Mais vous voulez donc la voir complètement éreintée ? […] Les plaisirs des sens sont pour lui, les seuls. […] 23 octobre Nous avons eu, ce soir, la curiosité d’entrer dans cette cave, que notre oncle de Courmont loue 8 000 francs : le Café des Aveugles, un des derniers débris du Palais-Royal et du vieux Plaisir de Paris.

1328. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1869 » pp. 253-317

Elle est accompagnée d’une Wurtembergeoise à rougeurs, et à baragouin des banquiers allemands de Balzac, une procureuse, ayant la spécialité de fournir des religieuses en imitation à un Crésus de la banque juive ; — enfin une sous-Guimond, une boutique des secrets, des scandales, des horreurs de Paris, une de ces créatures profondes et bredouillantes, que le Rhin nous envoie armées de toutes les ruses et de tous les dessous d’un Metternich en jupon… Entre ces très jeunes gens, le plaisir est bruyant, brutal. […] 3 mars La princesse est aujourd’hui toute charmante, avec des moments comme attendris du plaisir de vous revoir, et en belle veine de causerie. […] Il nous prévenait qu’il nous demandait d’en accepter le plaisir et le déplaisir, que d’ailleurs il entendait que nous répondions, dans le journal même, à ses sévérités. […] Le prince Napoléon dîne ce soir… Il est en veine d’amabilité, il cause avec une mémoire ethnographique merveilleuse, se rappelant les noms et la physionomie de tous les lieux par lesquels il vient de passer, et déclare qu’il n’a plus qu’un seul plaisir au monde : c’est le voyage.

1329. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1874 » pp. 106-168

Et sans s’occuper de ceux qui étaient là, et comme pour se faire plaisir à elles-mêmes, toutes à leur chant, ces femmes ont continué à vous remuer douloureusement l’âme, avec leurs voix. […] Samedi 10 octobre Tout de mon long sur la terre, la joue sur le bras, c’est pour moi un des plaisirs de la chasse au bois, de somnoler, à demi éveillé par le fourmillement de la terre, le susurrement de l’air ensoleillé, les jappements lointains de la meute, dans les profondeurs de la forêt. […] » Cette phrase qui me faisait revenir d’auprès d’un mort, comme de chez un vivant, m’a fait plaisir toute la journée. […] Elle est toute éveillée, ne s’occupant pas de l’heure que marque la pendule, et coloriant et marbrant avec l’appassionnement fiévreux du plaisir de l’enfance.

1330. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre onzième. La littérature des décadents et des déséquilibrés ; son caractère généralement insociable. Rôle moral et social de l’art. »

Lacenaire a chanté le « plaisir divin de voir expirer l’homme qu’on hait ». […] Aussi les plaisirs de l’orgie et ceux de l’amour sensuel (sans marque de pudeur) tendent-ils à dominer leur littérature. […] Or, c’est surtout par la recherche du plaisir individuel que l’égoïsme se manifeste, ainsi que par la concentration de la volonté sur le moi : orgueil, envie, luxure et gourmandise, avarice et luxe, paresse, colère, tous les péchés capitaux de la morale sont aussi les maladies de la société. […] C’est l’orgueil de l’artiste qui songe à son moi plus qu’à la vérité et à la beauté ; qui se manifeste par l’affectation du savoir, par le besoin de se singulariser et de sortir du commun, par la subtilité, par la déclamation ; c’est la recherche du plaisir avec tous ses raffinements, avec son mélange d’amertume et de volupté.

1331. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Troisième Partie. De la Poësie. — III. Le Poëme épique, ou l’Épopée. » pp. 275-353

Mettons aussi les romans qu’elle suppose que j’ai lus, pour les deux cent fois qu’elle a lus avec plaisir quelques pièces du cinique Aristophane. […] Pourquoi trouver à redire à des fictions ingénieuses & vraisemblables qui sont des sources de plaisir ? […] Tous ces ouvrages, & principalement les derniers, font plaisir par la manière dont les passions y sont traitées, par la variété des épisodes habilement liés à l’action principale, par le naturel & les agrémens du stile. […] Ce chevalier, blanchi dans la carrière pour laquelle il combat, soutient qu’un roman n’est pas plus dangereux que le bal, la comédie, la promenade & les jeux d’exercice ; que la voie la plus courte & la plus sûre pour instruire la jeunesse & lui donner le goût des choses solides, c’est de commencer par lui présenter les choses agréables ; que le roman a cet avantage de montrer la vertu récompensée & le vice puni, au lieu que l’histoire offre souvent le contraire, les gens vertueux dans le malheur & les scélérats au faîte des grandeurs & des prospérités ; que l’abus d’un bien, d’un plaisir innocent, n’est pas une raison pour le défendre, tout étant relatif au caractère & ne devenant poison que lorsqu’on est mal disposé.

1332. (1857) Cours familier de littérature. III « XVIe entretien. Boileau » pp. 241-326

Maintenant que le temps a mûri mes désirs, Que mon âge, amoureux de plus sages plaisirs, S’en va bientôt frapper à son neuvième lustre, J’aime mieux mon repos qu’une fatigue illustre. […] Ici, dans ce vallon qui borne mes désirs, J’achète à peu de frais de solides plaisirs : Tantôt, un livre en main, errant dans les prairies, J’occupe ma raison d’utiles rêveries ; Tantôt, cherchant la fin d’un vers que je construi, Je trouve au coin d’un bois le mot qui m’avait fui. […] Parmi les doux plaisirs d’une paix fraternelle, Paris voyait fleurir son antique chapelle ; Ses chanoines vermeils et brillants de santé S’engraissaient d’une longue et sainte oisiveté. […] L’air, qui gémit du cri de l’horrible déesse, Va jusque dans Cîteaux réveiller la Mollesse ; C’est là que d’un dortoir elle a fait son séjour ; Les plaisirs nonchalants folâtrent à l’entour ; L’un pétrit dans un coin l’embonpoint des chanoines, L’autre broie en riant le vermillon des moines.

1333. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Massillon. — I. » pp. 1-19

On raconte qu’en faut, au sortir du sermon, son plus grand plaisir était de rassembler autour de lui ses condisciples et de leur répéter ou de leur refaire le discours qu’ils venaient d’entendre. […] « On peut quelquefois, dit Voltaire, entasser des métaphores les unes sur les autres ; mais alors il faut qu’elles soient bien distinguées, et que l’on voie toujours votre objet représenté sous des images différentes. » Et il cite un exemple de Massillon ; il aurait pu aussi bien citer celui qu’on va lire : Souvenez-vous d’où vous êtes tombé ; … remontez à la première origine de vos désordres, vous la trouverez dans les infidélités les plus légères : un sentiment de plaisir négligemment rejeté ; une occasion de péril trop fréquentée ; une liberté douteuse trop souvent prise ; des pratiques de piété omises : la source en est presque imperceptible ; le fleuve, qui en est sorti, a inondé toute la terre de votre cœur : ce fut d’abord ce petit nuage que vit Élie, et qui depuis a couvert tout le ciel de votre âme : ce fut cette pierre légère que Daniel vit descendre de la montagne, et qui, devenue ensuite une masse énorme, a renversé et brisé l’image de Dieu en vous : c’était un petit grain de sénevé, qui depuis a crû comme un grand arbre, et poussé tant de fruits de mort : ce fut un peu de levain, etc.

1334. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Madame Dacier. — II. (Fin.) » pp. 495-513

Ce qui aujourd’hui nous paraît surtout absent dans la traduction de Mme Dacier n’était point alors ce qui nuisait le plus à Homère, et, si elle avait mis à quelque degré dans son style de ces couleurs et de ces tons homériques que retrouvèrent plus tard, dans leur art studieux, André Chénier et Chateaubriand, il est à croire que de tels passages n’auraient point paru les moins gais à ces chevaliers à la mode dont nous avons des copies chez Regnard ou chez Dancourt, à ces jolies femmes de Marly que la duchesse de Bourgogne guidait au jeu et au plaisir, ou à ces esprits ingénieux et froids que Fontenelle initiait à la philosophie. […] Il présentait l’idée d’Homère, en un mot, comme celle d’un poète qui aurait raconté les désastres de la Ligue et les malheurs des derniers Valois pour faire plaisir et honneur à Henri IV régnant et aux Bourbons.

1335. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Léopold Robert. Sa Vie, ses Œuvres et sa Correspondance, par M. F. Feuillet de Conches. — I. » pp. 409-426

Il remarquait que les sujets de conversation en Italie entre gens du Nord se ressentaient de cette disposition, dans laquelle les Italiens, au contraire, entraient assez peu : Les Italiens, disait-il, ne les conçoivent pas (ces sujets d’entretiens) ; ils sont bien éloignés d’y prendre part avec quelque plaisir. […] En novembre 1825, il félicite son ami Navez du mariage ; c’est une idée qui reviendra souvent et qui tient une grande place dans la réflexion mélancolique et dans le regret moral de Léopold Robert : « Je te félicite d’avoir enfin pris le parti de te marier et d’avoir trouvé surtout une aimable moitié qui trouvera plus son plaisir d’être chez elle que de sortir.

1336. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Charron — II » pp. 254-269

Charron n’entre en rien dans cette intelligence et cette explication vraiment philosophique de l’humanité, qui, pour la mieux comprendre, en suivrait d’abord les directions générales et en reconnaîtrait les vastes courants : il prend l’homme au rebours et dans ses écarts ; il l’observe malade, infirme, le voit toujours en faute, dans une sottise continuelle, dans une malveillance presque constante : « La plupart des hommes avec lesquels il nous faut vivre dans le monde, dit-il quelque part, ne prennent plaisir qu’à mal faire, ne mesurent leur puissance que par le dédain et injure d’autrui. » De ce qu’il y a certains cas où les sens se trompent et ont besoin d’être redressés, il en conclut que ce qui nous arrive par leur canal n’est qu’une longue et absolue incertitude. […] Il y en a bien aucuns et rares, je les vois, je les sens, je les fleure et les haleine avec plaisir et admiration : mais quoi ?

1337. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Henri IV écrivain. par M. Eugène Jung, ancien élève de l’École normale, docteur es lettres. — I » pp. 351-368

Pardonnez mon amour, qui me rend si audacieuse de vous parler si librement… Il vaudrait mieux perdre vingt mille hommes que régner au plaisir des rebelles… Pour l’amour de Dieu, ne dormez plus ce trop long sommeil. […] Ce m’a été un extrême plaisir de savoir le premier ; et vous avez grand tort de demeurer au doute qu’êtes.

1338. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Henri IV écrivain. par M. Eugène Jung, ancien élève de l’École normale, docteur es lettres. — II » pp. 369-387

vous ne m’auriez rien su mander qui me fût plus agréable que la nouvelle du plaisir de lecture qui vous a pris. […] Orateur, grammairien, poète, le plus attique des Latins, quand il écrit des mémoires sur ses guerres, il le fait en un style si simple, si pur, si gracieux dans sa nudité même, qu’en ne voulant que fournir des matériaux aux historiens futurs, il a peut-être fait plaisir, dit Cicéron, aux impertinents et malavisés (ineptis) qui voudront à toute force y mettre des boucles et des frisures ; mais à coup sûr il a détourné à jamais tous les bons esprits d’y revenir (« sanos quidem homines a scribendo deterruit ») ; car il n’est rien de plus agréable en histoire qu’une brièveté nette et lumineuse.

1339. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Préface pour les Maximes de La Rochefoucauld, (Édition elzévirienne de P. Jannet) 1853. » pp. 404-421

Bien des gens, après avoir trouvé ce bonheur en chaire, continuent de se donner ce plaisir en conversation. […] Tout cela me charmait, c’était ce qu’un Dieu m’avait mis dans le cœur : car chaque homme prend diversement plaisir à des œuvres diverses. » (Odyssée, XIV, 228.) — Ce que Virgile a traduit moins gravement par ces mots : « Trahit sua quemque voluptas. » — Et Homère a dit encore par la bouche du même Ulysse parlant à un jeune et beau Phéacien, qui l’avait offensé par ses paroles : « Ainsi donc les dieux ne donnent pas toutes les grâces à tous les hommes, ni la beauté, ni les qualités de l’esprit, ni l’éloquence.

1340. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Le duc de Rohan — III » pp. 337-355

Il en fait assez pour que l’on consente à entendre à une paix générale : « Je fis savoir à la Cour (c’est-à-dire au quartier du roi) que je mourrais gaiement, avec la plupart de tout le parti, plutôt que de n’obtenir une paix générale ; qu’il était dangereux d’ôter tout espoir de salut à des personnes qui ont les armes à la main ; que je ne la traiterais jamais tout seul… » Le roi écoutait les propositions avec plaisir ; mais le cardinal confesse, dans ses mémoires, avoir fort hésité à cette heure sur ce qu’il conseillerait à son maître : tout lui disait qu’on allait avoir raison des rebelles et de leur chef par la force, ce qui était fort de son goût, et qu’ils seraient réduits, après un prochain échec infaillible, à demander merci : la prudence toutefois l’emportant sur l’humeur, et cette idée que Rohan dans sa proposition de paix cette fois était sincère, lui firent conseiller de traiter. […] Rohan vit avec plaisir qu’on prenait confiance en lui, et que les services prochains qu’il pouvait rendre hâtaient l’oubli du passé : il ne quitta point Venise sans s’assurer de l’agrément du Sénat pour la mission où il s’embarquait.

1341. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La Margrave de Bareith Sa correspondance avec Frédéric — II » pp. 414-431

Elle s’en doute bien elle-même, et voudrait que Voltaire vint donner à sa petite société un dernier tour, un dernier poli de civilisation en faisant « un pèlerinage à Notre-Dame de Bareith. » Il promet toujours et ne vient jamais : « Vous me faites éprouver le sort de Tantale : soyez donc archi-germain dans vos résolutions, et procurez-moi le plaisir de vous revoir. » On a joué chez elle le Mahomet : « Les acteurs se sont surpassés, et vous avez eu la gloire d’émouvoir nos cœurs franconiens. » Elle demande décidément au poète philosophe de « la conduire dans le chemin de la vérité » ; et en attendant, elle lui fait des objections, mais des objections dans un sens plus avancé, plus radical. […] Vous pourriez bien, écrit-il à ce Tronchin (27 septembre 1757), me faire un plaisir en vous confiant à mon amitié et à ma discrétion.

1342. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « La princesse des Ursins. Ses Lettres inédites, recueillies et publiées par M. A Geffrot ; Essai sur sa vie et son caractère politique, par M. François Combes » pp. 260-278

La seule difficulté qui reste est pour me faire aller jusqu’à Madrid, car peut-être que Sa Majesté ne voudra pas ôter aux dames espagnoles le plaisir et l’honneur de servir leur reine dès le moment qu’elles le pourront faire. […] Toute femme qu’elle est (notez-le bien), elle n’a pas de nerfs, de vapeurs, ni de ces nuages qui passent ; elle n’a pas cette imagination qui grossit les objets : sur un fond de santé forte, d’humeur heureuse et peut-être d’indifférence, il y a un esprit ferme, adroit et actif, de vives qualités disponibles, dressées de bonne heure à la grande vie, au train des cours, et qui cherchent leur aliment et leur plaisir dans le démêlé des intérêts, dans le maniement des ressorts, dans l’influence et la représentation continue.

1343. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Journal d’Olivier Lefèvre d’Ormesson, publié par M. Chéruel » pp. 35-52

On m’a dernièrement reproché (et ce reproche m’est venu d’un critique très spirituel, mais qui cherche avant tout dans chaque sujet son propre plaisir et sa gaieté personnelle) d’avoir dit du bien du journal du duc de Luynes, comme si j’en avais exagéré l’utilité par rapport à ces premières années du règne de Louis XV ; je ne crois pas être allé trop loin dans ce que j’en ai dit. […] M. d’Ormesson allait toujours recevoir le roi et l’accueillait de bonne grâce : « Sans M. d’Ormesson on ne se réjouirait point dans Paris, dit un jour Henri IV en entrant ; c’est le père de la jeunesse. » Mais quand il avait reçu le roi et l’avait conduit dans la salle du bal, M. d’Ormesson se retirait et s’allait coucher, de bonne heure, laissant son monde en train de plaisirs.

1344. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Mémoires de Mme Elliot sur la Révolution française, traduits de l’anglais par M. le comte de Baillon » pp. 190-206

Mais en ce qui concerne la personne du duc d’Orléans, Mme Elliott nous dit presque dans les mêmes termes que le correspondant de Mirabeau : Ce prince était un homme de plaisir, qui ne pouvait supporter ni embarras ni affaire d’aucun genre ; il ne lisait jamais et ne s’occupait de rien que de son amusement. […] Le trône écroulé, le roi arrêté et mis en jugement, lui, prince du sang, il se figurait qu’il allait continuer de vivre à Paris à son aise, dans les plaisirs et en riche citoyen ; et son amie Mme de Buffon, femme gracieuse, qui montra plus tard bien du dévouement, écrivait au duc de Biron (un autre intime), alors à la tête de l’armée du Rhin, une lettre curieuse, incroyable34, où elle lui racontait à sa manière et sur un ton badin, les événements du 10 août, les arrestations qui en étaient la suite, les exécutions qui devaient commencer le lendemain au Carrousel : Au milieu de ces arrestations, disait-elle, Paris est calme pour ceux qui ne tripotent point. — J’oubliais de vous dire que Mme d’Ossun est à l’Abbaye.

/ 2457