/ 3271
1062. (1884) Propos d’un entrepreneur de démolitions pp. -294

… Voilà toute cette vie, absurde pour la pensée, presque sublime pour le cœur. […] Aucun autre nom de ce siècle, ne pouvait, en pareil cas, précéder celui-là dans ma pensée. […] Le vrai crime serait d’accabler les autres de ce mépris, et c’est évidemment sa pensée. […] Est-ce bien là la pieuse pensée de M.  […] Elle a ce charme suprême, presque divin : la pureté… Jamais une mauvaise pensée n’a frôlé le front de Geneviève.

1063. (1874) Premiers lundis. Tome I « Victor Hugo : Odes et ballades — I »

Le style, qui frappe et enlève le grand nombre des lecteurs, lui a surtout manqué ; et, chez elle, la pensée, souvent belle et vraie, n’a presque jamais pu se dégager de ses voiles. […] Il nous a lui-même retracé fidèlement cette turbulence croissante de ses premières pensées à la vue de tant de grands spectacles. […] Hugo ne s’élève pas jusqu’aux hauteurs de l’ode, il se délasse souvent dans les rêveries les plus suaves, dont nul souffle étranger n’altère la fraîcheur : il se plaira, par exemple, à montrer à son amie le nuage doré qui traverse le ciel, à le suivre de la pensée, à y lire ses destinées de gloire ou d’amour, puis tout à coup à le voir s’évanouir en brouillard ou éclater en tonnerre.

1064. (1874) Premiers lundis. Tome II « Adam Mickiewicz. Le Livre des pèlerins polonais. »

Son but, dans ce petit livre, est de prémunir ses compatriotes contre la dispersion des pensées, contre la perte des coutumes, l’attiédissement de la foi et du dévouement en terre étrangère. […] Pour nous, nous y avons vu surtout un bien noble emploi du génie poétique en des temps de calamité nationale ; nous y avons admiré, grâce à l’exacte et ferme traduction de M. de Montalembert, les beautés d’une pensée grave et mâle, et tout naturellement biblique. […] Nous ne craignons pas de le recommander à tous ceux qui osent étudier et accepter sous ses aspects les plus divers, sous ses vêtements les plus insolites, la pensée de la liberté future.

1065. (1897) La crise littéraire et le naturisme (article de La Plume) pp. 206-208

jamais ils ne prétendirent accorder leur pensée aux sentiments de leur époque, à l’âme de la nation. […] Les amours, les luxures se fondent, le soleil tremblant vacille et soupire, l’émoi effrite les pensées, le sang et la chair flambent dans un brasier, et le vent tournoie. […] Sa beauté est relative aux pensées qu’il exprime.

1066. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre premier. Prostitués »

Délivre mon corps de joie ; délivre mes rêves d’amour : tous les songes libres, toutes les pensées libres de ton esclave seront tournés vers toi. […] Et la pensée, qui se nourrit de liberté, mourut comme l’amour : on décora de son nom la flatterie et le sophisme comme le nom de l’autre dieu était porté par les baisers menteurs et par les comédies de caresses. […] Combien nous sommes peu à montrer le calme courage de la franchise, à mi-côte, à égale distance des saints qui pensent et travaillent et des absolus prostitués qui vendent âprement et habilement des mots vides et des grimaces de pensées.

1067. (1897) Manifeste naturiste (Le Figaro) pp. 4-5

Il faudrait se débarrasser de cette pensée étrangère qui encombre encore notre esprit. […] Leur pensée qui nous accapare défigure l’esprit de la race. […] Dans la pensée de quelques jeunes poètes, les travaux quotidiens de l’homme paraissent mériter une consécration.

1068. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre V. Le mouvement régionaliste. Les jeunes en province » pp. 221-231

Ils revinrent à célébrer la pensée et la politique albigeoise, à l’heure où la Bretagne s’affirmait plus bretonnante et la Provence, plus provençale. […] Sans distinction d’esthétique et de pensée politique, tous ces jeunes hommes sont mus par un même amour envers leur pays, par un même désir de donner une vie propre à leur province. […] Par un échange incessant d’idées et de collaboration entre ces divers groupements et Paris s’est créé un minimum de pensées communes qui suffit à rallier toutes ces revues autour du drapeau de la décentralisation.

1069. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Louandre »

Mais, en fait de pensée, notre époque, livrée aux choses matérielles, croit en avoir toujours trop… Au lieu d’accumuler, elle abrège ; au lieu de concentrer, elle dissout, supprime, affaiblit. […] Nous avions entendu là-dessus le petit sifflet de Voltaire et la parole de cet autre grand génie qui se croyait positif et qui disait : « Cela pourrait être, mais cela n’est pas. » Et voilà qu’à ce moment même, au moment où le rationalisme prenait compendieusement ses conclusions souveraines, la pensée moderne retournait sous d’autres formes à des questions qui paraissaient épuisées, qui paraissaient n’en être plus ! […] Un rare esprit qu’on n’accusera point de mysticité, un des critiques de ce temps qui prend le mieux l’aire de vent de l’esprit humain dans une époque, Philarète Chasles, signalait hier encore ce mouvement singulier de la pensée moderne vers le surnaturel et vers l’infini, et nous prouvait par toute une littérature spéciale, en Angleterre et en Amérique, à quel point ce mouvement actuel est entraînant et accéléré.

1070. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Chateaubriand — Chateaubriand, Mémoires »

Entrons bien dans cette pensée. […] En osant la métaphore comme jamais on ne l’avait fait en français avant lui, M. de Chateaubriand ne s’y livre pas avec profusion, avec étourdissement ; il est sobre dans son audace ; sa parole, une fois l’image lancée, vient se retremper droit à la pensée principale, et il ne s’amuse pas aux ciselures ni aux moindres ornements. […] Pour remonter la vie à partir de ce point où le premier torrent de jeunesse ne pousse plus, il évoque, il embrasse dans son temps quelque vaste pensée religieuse, sociale, politique même, comme ces machines un peu artificielles à l’aide desquelles on remonte les grands fleuves. […] Il enflamme derrière lui des émulations généreuses et des passions qui régénèrent ; il est pour beaucoup dans toutes les nobles pensées de ses contemporains et du jeune avenir.  […] Puis au retour, après le mariage, l’émigration ; la guerre au siège de Thionville, les veilles nocturnes du camp qui ont servi à peindre celles d’Eudore dans les Martyrs ; la blessure, le retour à Namur par les Ardennes où le poëte, qui a ébauché déjà Atala et René, est près de mourir d’épuisement ; Jersey, Londres ; la vie de misère et de noble fierté, l’Essai sur les Révolutions, l’histoire divine de Charlotte, et, à la nouvelle de la mort d’une mère pieuse, la pensée conçue, le vœu du Génie du Christianisme. 

1071. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « François Ier, poëte. Poésies et correspondance recueillies et publiées par M. Aimé Champollion-Figeac, 1 vol. in-4°, Paris, 1847. »

Qu’on me permette une comparaison qui rendra nettement ma pensée. […] L’aveu modeste n’est ici que l’expression d’une rigoureuse vérité : il serait difficile, en effet, de coucher ses pensées en plus mauvais mètre . […] Je ne sais plus quelle dame de la Cour d’Henri III disait à Des Portes, en lui demandant de la faire parler en vers, qu’elle envoyait ses pensées au rimeur . […] On était bien loin d’agir ainsi dans une pensée de plagiat ; mais la lecture, la science, semblait alors une si grande chose, qu’elle se confondait avec l’invention ; tout ce qui arrivait par là était de bonne prise. […] Le talent de l’illustre sœur est incomparablement d’un autre ordre que celui du roi, et, chaque fois que c’est elle qui prend la plume, le lecteur le sent à la fermeté du ton et à une certaine élévation de pensée.

1072. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXVIIe entretien. J.-J. Rousseau. Son faux Contrat social et le vrai contrat social (3e partie) » pp. 5-56

Il a donné à l’homme une âme pour communiquer par la pensée avec Dieu, son créateur, et pour perfectionner cette âme par la vertu, travail surhumain de l’humanité mortelle dont la vie immortelle est le salaire dans un temps qui ne finit pas, c’est-à-dire dans l’éternité rémunératrice. […] Ce livre, par un homme de pensée libre, d’instruction variée, de goût sûr, de recherches patientes, M.  […] Elle renonça au mariage pour garder toutes ses pensées à Dieu. […] À trente-six ans elle prit la plume et elle écrivit ses pensées sur le sujet qui occupait le plus sa vie, la religion. […] Ce serait ainsi qu’une femme inspirée, une sainte Thérèse d’une religion pacifique et unanime, aurait à son insu laissé dans l’âme du philosophe sceptique et mobile de Genève la pensée de ce christianisme primitivement révélé par la conscience, encore sans ombre, à l’humanité, et destiné à réconcilier toutes les morales, tous les schismes et tous les cultes de l’esprit dans une lumière, dans une adoration et dans une charité communes.

1073. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXVIe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (4e partie) » pp. 81-143

Plus d’un songeur à cette époque a laissé bien des fois ses yeux et sa pensée pénétrer indiscrètement à travers les barreaux de l’antique grille cadenassée, tordue, branlante, scellée à deux piliers verdis et moussus, bizarrement couronnée d’un fronton d’arabesques indéchiffrables. […] « Elle attendait tous les jours l’heure de la promenade avec impatience, elle y trouvait Marius, se sentait indiciblement heureuse, et croyait sincèrement exprimer toute sa pensée en disant à Jean Valjean : « — Quel délicieux jardin que le Luxembourg ! […] Cosette découvre dans un pavillon abandonné du jardin, sous une pierre apportée par l’inconnu, un cahier de pensées écrites par une main anonyme, dont quelques-unes sont divines. […] « Ils ne sentaient ni la nuit fraîche, ni la pierre froide, ni la terre humide, ni l’herbe mouillée ; ils se regardaient et ils avaient le cœur plein de pensées. […] Ils se racontèrent, avec une foi candide dans leurs illusions, tout ce que l’amour, la jeunesse et ce reste d’enfance qu’ils avaient, leur mettaient dans la pensée.

1074. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre dixième. »

Vieillards enfin arrivés au terme « du long espoir et des vastes pensées », le fabuliste nous aide à nous souvenir. […] Il l’entendait non seulement des libertés que celui-ci prend avec la césure en la transportant à tous les pieds du vers, mais de cette diversité des mètres par laquelle le vers s’adapte à toutes les allures de la pensée, et se moule en quelque sorte sur chaque sujet. […] La Fontaine n’a pas dû, pour chaque vers, chercher le rapport de la pensée avec la longueur du mètre. […] Il ne voyait pas toute sa pensée d’abord ; ce qu’un premier travail amenait sous sa plume, c’était quelque impression encore vive de ses anciennes lectures ; au lieu d’une grâce qui lui fût propre, c’était peut-être une réminiscence de Voiture. Pour arriver à sa vraie pensée, pour se trouver lui-même, il fallait que le goût vînt lui donner du doute sur ce qu’il avait écrit dans cette première faveur de l’esprit pour ce qu’il vient de produire.

1075. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1858 » pp. 225-262

Puis au revers de cela, comme, dans un album, ou au revers d’un dessin de Decamps se voit une pensée de Balzac, il sort de la bouche de ce diable d’homme, des silhouettes sociales, des aperçus sur l’espèce française et sur l’espèce anglaise, toutes nouvelles, et qui n’ont pas moisi dans les livres, des satires de deux minutes, des pamphlets d’un mot, une philosophie comparée du génie national des peuples. […] * * * — Tous ces temps-ci, détente complète de l’activité physique et morale ; une somnolence qui irait à des nuits de dix-huit heures ; — dans l’éveil les yeux paresseux à voir, à observer ; — notre regard, sans notre pensée, feuilletant les livres et se traînant de l’un à l’autre ; — un grand effroi de faire moins que rien ; — la tête vide et pourtant lourde ; — le sang comme envahi par la lymphe ; — un lâche ennui ; — le remuement de la cervelle et du corps aussi durs pour nous que pour l’aï, qui passe une journée à se dérouler de son arbre ; — un état de l’âme sur lequel tout passe sans la secouer : les distractions, l’orgie, les grattements de vanité. — C’est la maladie qui vient aux activités retraitées, aux têtes qui restent trop longtemps à se reposer, à nous qui, depuis cinq mois, ne vivons pas dans une œuvre et pour une idée. […] » Octobre Ayant ouvert un livre de Gerdy : Physiologie philosophique des sensations, je pense au beau travail qu’il y aurait pour un Michelet, au lieu de mettre sa pensée sur l’Insecte ou l’Oiseau, de prendre, comme sujet d’étude, ce petit monde inconnu : l’Enfant, et de raconter, avec des observations mitoyennes à la médecine, mais planant au-dessus, l’éveil successif de ses sensations et l’éclairage, petit à petit, de la rose intellectuelle de son cerveau. […] Elle était un repos, un déliement des affaires, une excuse de paresse, l’endroit où la conversation échappait aux choses de la vie et de la ville, où la pensée prenait sa récréation. […] Son dilettantisme d’art et de scepticisme se retrouve dans la pensée d’aujourd’hui.

1076. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1877 » pp. 308-348

cette pensée… je ne la dirai à personne… Elle est abominable !  […] Les mauvaises pensées, dans une cervelle de jeune fille, noircissent la transparence de leur regard, comme de l’ombre d’un nuage dans une vague. […] Après tout, peut-être dis-je cela, parce qu’il y a en moi, la conscience que dans quelque affection, que je pourrais rencontrer dans l’avenir, l’affection compréhensive de ma pensée ne sera plus retrouvable. […] » Je suis reconnaissant à la femme de cette phrase qui me la dévoile, dans le fond de sa pensée, comme préoccupée des menaces suspendues sur ma tête. […] Le livre, sans que j’y mène ma pensée fait tout à coup son entrée chez moi par une élévation du pouls et une petite fièvre de la cervelle.

1077. (1898) Les personnages de roman pp. 39-76

Il y a presque toujours un duc dans leurs drames, ou quelque haut personnage qui représente la richesse et l’oisiveté, deux termes tout voisins dans la pensée de la foule, et qui expriment, hélas ! […] Hommes ou femmes, ils ont le droit de rêver, de regretter, de s’analyser eux-mêmes, d’écrire des lettres sans nombre, de tenir un journal sans fin de leurs pensées et de leurs sentiments. […] Les silences qu’elle met entre les idées sont précisément remplis par les pensées secondaires qui servent de lien et qu’il faut deviner. […] Écoutez ces trois pensées écrites sur le même petit cahier par une Parisienne : « J’aime lire un livre qui vient d’être lu par une personne aimée, et celui dont j’ai à couper les pages me donne toujours une première impression sèche. […] À peine s’est-elle formulée dans la pensée, et déjà les lignes générales du roman sont arrêtées.

1078. (1874) Premiers lundis. Tome II « De l’expédition d’Afrique en 1830. Par M. E. d’Ault-Dumesnil, ex-officier d’ordonnance de M. de Bourmont. »

Il avait dès lors la pensée de mettre à profit cette observation de chaque jour et de chaque heure, pour écrire une histoire complète de cette grande entreprise, dont les résultats, tout négligés qu’ils sont, ne doivent pas périr. […] La colonisation lui apparaissait au-delà de la guerre, et tout en lui élargissait cette pensée.

1079. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Première partie. Préparation générale — Chapitre premier. De la stérilité d’esprit et de ses causes »

Il n’y a point d’effort dans cette attente passive du dieu qui souffle les pensées et les phrases : et rien ne s’obtient sans effort. […] On tâche donc au contraire de suspendre son activité ; on arrête en soi la vie, comme si de ce calme et de cette langueur allait soudain jaillir la pensée comme l’eau parmi les sables du désert.

1080. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 58-61

Sa maniere de narrer n’est point un récit ; c’est une déclamation, un amas d’antitheses, un enchaînement de pensées symétriques, une collection de jolis tableaux, qui caractérisent bien plus le pinceau académique, que les vigoureux crayons de la Muse de l’Histoire. […] Il faut sans doute à leurs oreilles des phrases longues, seches, & contournées avec de pénibles efforts ; il faut à leur esprit des pensées emphigouriques, des réflexions froides, des observations équivoques, des contradictions* révoltantes, des vûes minutieuses, le tout énoncé avec le sombre appareil de la morosité ; il faut pour leur amusement, des critiques ameres, des récits scandaleux, des calomnies.

1081. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Rathery »

Seulement, comme rien n’est moins tangible qu’une influence, comme rien ne peut faire plus aisément mirage à la pensée, il faut apporter dans l’étude qu’on s’en propose les qualités des esprits positifs poussées jusqu’à l’outrance. […] Mais aussi pourquoi étrangler sa pensée dans un pareil nœud coulant quand on a assez de talent pour avoir besoin d’indépendance, quand on est fait pour nous donner un livre étoffé et corsé au lieu des maigreurs d’un Mémoire, — fût-il même couronné par l’Académie ?

/ 3271