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945. (1835) Critique littéraire pp. 3-118

Elle souille ses yeux, ses oreilles, ses mains, pour les aguerrir, pour les préserver. […] Jacquemont se jeta sur le précieux bulletin, le dévora des yeux… Oui, c’était bien une révolution ! […] Pendant que les rois absolus se frottaient les yeux, et, comme Jacquemont, croyaient rêver, la révolution de juillet s’établit ; elle prit racine. […] La larme me vient à l’œil, en pensant à ces joies ! […] Mais il avait de très beaux yeux, la main blanche, des dents blanches et des cheveux noirs.

946. (1802) Études sur Molière pp. -355

Pocquelin accompagne Louis XIII à Paris, à Narbonne, dans les camps ; partout il voit l’intérêt prendre les masques variés du courtisan ; son œil philosophique perce à travers, et ce qu’il aperçoit, ou ce qu’il devine, loin de lui faire perdre le goût de la comédie, sert à le ranimer journellement. […] Une histoire non écrite, mais qui, passant de bouche en bouche, transmise d’exemple en exemple, doit conserver à la postérité la plus reculée la manière dont les merveilles de l’art furent rendues d’après les avis et sous les yeux du génie qui les enfanta. […] Fasse le ciel, qu’insensiblement séduit, comme Arnolphe, par les charmes naissants d’une enfant élevée sous ses yeux, il n’ait pas les mêmes raisons que lui pour s’en repentir ! […] Premièrement, louez-le, dans votre journal, d’avoir laissé percer un instant sur son visage, aux yeux des spectateurs, la joie qu’il éprouve lorsqu’Orgon donne sa malédiction à son fils. […] certes le détour est d’esprit, je l’avoue, Ce subtil faux-fuyant mérite qu’on le loue, Et dans tous les romans où j’ai jeté les yeux, Je n’ai rien rencontré de plus ingénieux.

947. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Marivaux. — I. » pp. 342-363

À ses yeux il n’y a pas de grands hommes proprement dits : Il n’y a ni petit ni grand homme pour le philosophe : il y a seulement des hommes qui ont de grandes qualités mêlées de défauts ; d’autres qui ont de grands défauts mêlés de quelques qualités : il y a des hommes ordinaires, autrement dits médiocres, qui valent bien leur prix, et dont la médiocrité a ses avantages ; car on peut dire en passant que c’est presque toujours aux grands hommes en tout genre que l’on doit les grands maux et les grandes erreurs : s’ils n’abusent pas eux-mêmes de ce qu’ils peuvent faire, du moins sont-ils cause que les autres abusent pour eux de ce qu’ils ont fait. […] Que l’observateur ne se laisse point éblouir, même par le génie ; qu’il cherche, tout en l’admirant, à en mesurer la hauteur et ne ferme pas les yeux sur ses défauts, il ne se peut rien de plus légitime et de plus digne d’un esprit indépendant et juste : mais qu’on ne voie entre les génies proprement dits et la médiocrité qui les entoure que du plus ou du moins sans démarcation aucune, sans un degré décisif à franchir, je ne saurais appeler cela que myopie et petite vue qui étudie le genre humain comme une mousse et qui n’entend rien aux esprits d’aigle. […] Jouir d’une mine qu’on a jugée la plus avantageuse, qu’on ne voudrait pas changer pour une autre, et voir devant ses yeux un maudit visage qui vient chercher noise à la bonne opinion que vous avez du vôtre, qui vous présente hardiment le combat, et qui vous jette dans la confusion de douter un moment de la victoire ; qui voudrait enfin accuser d’abus le plaisir qu’on a de croire sa physionomie sans reproche et sans pair : ces moments-là sont périlleux ; je lisais tout l’embarras du visage insulté : mais cet embarras ne faisait que passer. […] C’est ici que commence, à proprement parler, le roman : chaque événement va y être détaillé, analysé dans ses moindres circonstances, et la quintessence morale s’ensuivra : « Je ne sais point philosopher, dit Marianne, et je ne m’en soucie guère, car je crois que cela n’apprend rien qu’à discourir. » En attendant et en faisant l’ignorante et la simple, elle va discourir pertinemment sur toutes choses, se regarder de côté tout en agissant et en marchant, avoir des clins d’œil sur elle-même et comme un aparté continuel, dans lequel sa finesse et, si j’ose dire, sa pédanterie couleur de rose lorgnera et décrira avec complaisance son ingénuité. […] Elle se met donc à l’instant à s’en dépouiller ; mais elle s’en dépouille lentement, et, à mesure qu’elle avance, il lui vient des raisons pour retarder : elle est décidée à aller trouver le bon religieux qui l’a recommandée par mégarde au fourbe, et qui est son seul protecteur ; il faut qu’elle le voie à l’instant, et, pour cela, qu’elle garde sa robe, qu’elle reprenne même cette coiffe galante qui, se dit-elle, déposera à vue d’œil de l’intention perfide du corrupteur : enfin elle trouve bientôt un prétexte tout honnête et naturel pour reprendre au complet cet habit qu’elle venait de quitter et qu’il sera temps de rendre demain.

948. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Saint-Martin, le Philosophe inconnu. — I. » pp. 235-256

Les jambes étaient débiles, la tête paraissait un peu trop grosse pour le corps ; mais il avait une figure charmante, et des yeux dont une femme lui disait qu’ils étaient « doublés d’âme ». Tout annonçait en lui la chasteté et la pudeur : Dans mon enfance et dans ma jeunesse, dit-il, j’ai eu une figure et des yeux assez remarquables pour m’avoir attiré des regards et même des éloges embarrasants pour moi qui étais timide, notamment à Nantes, de la part de Mmes de La Musanchère et de Menou ; et cela en pleine table ; et quelquefois dans les rues de la part des passants. […]   C’est un grand tort aux yeux des hommes que d’être un tableau sans cadre, tant ils sont habitués à voir des cadres sans tableaux. […] Et s’il a rêvé sur ces choses de première vue et où sa rêverie nous saute aux yeux, comment n’aurait-il pas rêvé ailleurs ? […] [NdA] J’en ai eu sous les yeux plus d’un exemple, et le bon Ballanche tout le premier.

949. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Corneille. Le Cid (suite.) »

J’ai souvent pensé que ce serait à un jeune homme plutôt qu’à un critique vieilli d’expliquer le Cid, de le lire à haute voix et de dire ce qu’il en ressent : je me suis donné, une fois, cette sorte de satisfaction et j’ai fait cette épreuve ; je me suis fait lire le Cid par un jeune ami : c’était lui qui me le commentait comme à vue d’œil par la fraîcheur, la vivacité des sentiments qui s’éveillaient, qui se levaient à tout instant en lui. […] Il est facile à chacun de s’en rendre compte, aujourd’hui qu’on a toutes les pièces du procès sous les yeux. […] Tout ce qui est visible, accentué aux sens, tout ce qui parle distinctement aux yeux et qui dessine vivement et même bizarrement le monde extérieur tel qu’il est, il l’absorbe, il l’abstrait en quelque sorte, il le fait passer à l’état de sentiment pur, d’analyse raisonnée et dialoguée ; il le transpose de la sphère visuelle dans celle de l’entendement, mais d’un entendement net, étendu, sans vapeur, non nuageux, de cet entendement clairement défini, bien qu’un peu nu, tel que va le circonscrire et l’éclairer philosophiquement, dans son Discours de la Méthode et ailleurs, Descartes, ce grand contemporain du Cid. […] Il faut convenir que l’épreuve est plus naturelle et plus parlante aux yeux : chez Corneille, on n’a que l’idée, — la pensée de la chose plus que la chose même. […] Tous les seigneurs et les courtisans prenaient parti dans la querelle du Cid ; à ces scènes d’appel et de désobéissance, je me figure qu’un frisson parcourait la salle, et parmi les rangs de la jeune noblesse on devait se regarder dans le blanc des yeux.

950. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Maurice comte de Saxe et Marie-Joséphine de Saxe dauphine de France. (Suite et fin.) »

D’ailleurs elle a de beaux yeux et est fort bien faite ; elle est blanche, a de beaux cheveux ; beaucoup de désir de plaire, remplie d’attentions ; de l’esprit, de la vivacité ; sentant parfaitement tout son bonheur ; souhaitant passionnément de réussir dans cette Cour-ci ; une très bonne santé, point délicate de corps ni d’esprit ; encore un peu enfant ; une extrême envie de bien apprendre le français ; demandant qu’on la reprenne sur les mauvais mots qu’elle pourra dire… » Après l’avoir vue de ses yeux, il adoucit quelques traits et y ajoute en bien : « Un beau teint, assez blanche, de beaux yeux bleu foncé, un assez vilain nez, des dents qui seront belles quand on y aura travaillé, la taille très jolie ; elle se tient un peu en avant en marchant ; un peu plus grande que Madame (Madame Henriette). […] La duchesse de Brancas nous la montre en deux mots, telle qu’elle était après les premières fatigues de ses couches fréquentes : « Son visage est long et ne contient que des yeux. » La dauphine écrivait à son frère, le prince Xavier de Saxe, neuf jours après la mort du dauphin : « Ce 29 décembre 1765. […] Le maréchal au centre, à Bruxelles, avait l’œil à tout et voyait venir.

951. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « LE COMTE XAVIER DE MAISTRE. » pp. 33-63

Il écrit par hasard, il lui communique, il lui abandonne son manuscrit, il lui laisse le soin d’en faire ce qu’il jugera à propos ; il se soumet d’avance, et les yeux fermés, à sa décision, à ses censures, et il se trouve un matin avoir acquis, à côté de son frère, une humble gloire tout à fait distincte, qui rejaillit à son tour sur celle même du grand aîné, et qui semble (ô récompense !) […] J’ai sous les yeux le Lépreux de la Cité d’Aoste, par M. […] Vous ne pouvez vous figurer combien est longue et triste une nuit, etc… » Au lieu de ce cri de nature, la version corrigée lui fait dire : « Oui, je passe bien des nuits sans fermer l’œil et dans de violentes agitations. […] tu les a retrouvées Ces images, de loin toujours, toujours rêvées, Et ces débris vivants de tes jours de bonheur : Tes yeux ont contemplé tes montagnes si chères, Et ton berceau champêtre, et le toit de tes pères ; Et des flots de tristesse ont monté dans ton cœur ! […] Mais, dans ce voyage autour de la chambre de l’œil, il n’y a absolument rien de littéraire ; ce n’est qu’une observation physique minutieuse et ingénieuse.

952. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. CHARLES MAGNIN (Causeries et Méditations historiques et littéraires.) » pp. 387-414

Ou bien c’est le roman qui nous séduit et nous appelle ; on veut se loger dans les plus tendres cœurs et être lu des plus beaux yeux. […] Rien ne va par continuité, surtout aujourd’hui ; les époques historiques se succèdent à vue d’œil, les manières diverses chez les mêmes écrivains se prononcent et se déplacent avec une confondante rapidité. […] J’ai là sous les yeux la onzième édition du Livre des Orateurs de Timon, et ce n’est sans doute pas la dernière. […] Les portraits de Timon ont du relief et du trait, nous en convenons ; ils sautent aux yeux à travers la vitre. […] C’est pour avoir visé au sceptre-férule dont nous parlions et pour en avoir trop joué, qu’il en a coûté cher à La Harpe ; mais quand on a borné son ambition à n’être que des meilleurs, comme Guinguené, Suard, on n’est pas tout à fait déçu dans ses vœux, et ces destinées-là, telles que nous les voyons se dessiner dans un horizon déjà lointain, ont quelque chose qui continue de s’éclairer doucement aux yeux du sage.

953. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE PONTIVY » pp. 492-514

Un voile couvrait sa voix ; un voile couvrait son âme et ses yeux et toutes ses beautés, jusqu’à ce que vînt l’heure. […] Il lui prit une main avec force et respect, et, sans lever les yeux vers elle : « A toujours ! […] Le reste était comme anéanti à ses yeux, ou ne vivait que par là. […] Son esprit si juste allait par moments jusqu’à l’exagération sur ce point, et quand il se la représentait, elle, sa chère idole, comme au milieu d’un arsenal et d’une fournaise théologique, et qu’il lui recommandait de ne pas s’y fausser les yeux, elle n’avait qu’un mot à dire pour lui montrer qu’il se grossissait un peu le fantôme, et qu’il oubliait les du Deffand, les Caylus et les Parabère (sans compter lui-même), qui apportaient parfois à cette monotonie de bulles et de conciles un assez agréable rafraîchissement. […] De subites larmes brillèrent dans leurs yeux, et ils tombèrent aux bras l’un de l’autre.

954. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre premier »

Quoique Marguerite s’en soit tenue au catholicisme réformé d’Érasme, le lettré couvrit toujours à ses yeux le partisan de la Réforme. […] « Jugeant, dit-il39, ses inventions trop basses pour un prince de hault esprit, il les a laissées reposer, et a jeté l’oeil sur les livres latins, dont la gravité des sentences, ajoute-t-il, et le plaisir de la lecture (si peu que je y comprins) m’ont espris mes esprits, mené ma main, et amusé ma muse. » Marot, comme on le voit, n’est pas guéri du goût des pointes ; mais il indique du doigt le genre de beauté que notre littérature allait puiser au trésor des littératures anciennes ; à savoir, cette gravité des sentences que nous appelons les vérités générales. […] Qui reconnaîtrait le beau passage, Os homini sublime dédit, etc., dans cette version Et neanmoins que tout aultre animal Jecte toujours son regard principal Encore bas, Dieu à l’homme a donné La face haulte, et luy a ordonné De regarder l’excellence des cieux, Et d’eslever aux estoiles ses yeux. […] Tant chemina la belle40 qu’elle vint Au fleuve Loire, ou des fois plus de vingt Jecta son oeil dessuz-moi la première Car mes beaulx yeux n’avoient propre lumière Pour regarder les siens premièrement.

955. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre IV, Eschyle. »

Michel-Ange dut toiser du même œil hautain et morose, les premières fresques de Raphaël. […] » Avant lui, les masques étaient inanimés ou informes ; il les fit modeler et peindre, d’après les types consacrés, plus grands et plus accentués que nature, avec ces bouches béantes, ces yeux caverneux, ces traits saillants, ces chevelures étagées et calamistrées qui frappaient chaque personnage à l’effigie d’une tête surhumaine. […] Zeus, avant de se condenser dans la grandiose figure du roi de l’Olympe, errait dans les orages de l’atmosphère, à peine figuré par une idole à trois yeux. […] « J’ai tout pesé, et, à mes yeux, il n’y a que Zeus pour soulager l’homme du fardeau des vaines inquiétudes. […] Un vol de déesses sinistres tournoie sur ses drames, l’œil aux aguets, l’oreille aux écoules.

956. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Huet, évêque d’Avranches, par M. Christian Bartholmèss. (1850.) » pp. 163-186

Quand il sut lire et pas encore écrire, s’il voyait quelqu’un décacheter une lettre et y jeter les yeux, il se figurait avec envie la joie qu’il aurait d’en pouvoir faire autant, et de correspondre par lettres avec quelque petit camarade. […] Vous avez le teint trop blanc et même trop délicat pour un homme ; les yeux bleus, plus grands que petits ; les cheveux d’un blond châtain ; le nez bien fait, la bouche grande, mais aussi propre qu’on la peut avoir, car vous avez les lèvres incarnates et les dents d’un blanc fort éclatant et qui saute aux yeux. […] Cette correspondance, dont j’ai eu sous les yeux soixante-dix-sept lettres, toutes de la main de Huet, de cette petite écriture, nette, fine, serrée, minutieuse et distincte jusque dans les abréviations, et qui se retrouve aux marges de ses livres, s’étend depuis l’année 1660 jusqu’en 1691, avec une lacune toutefois pour les années du milieu (1665-1682). […] Les objets du dehors qui se présentent aux yeux ne sont vus que du côté de l’ombre, qui en dérobe tout l’agrément.

957. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Hégésippe Moreau. (Le Myosotis, nouvelle édition, 1 vol., Masgana.) — Pierre Dupont. (Chants et poésies, 1 vol., Garnier frères.) » pp. 51-75

J’ai sous les yeux quelques pièces de vers manuscrites adressées, vers cette époque, par le jeune homme à M.  […] Didot son Épître sur l’imprimerie, qu’on peut lire dans ses Poésies, et dans laquelle se trouvent quelques jolis vers descriptifs : Au lieu de fatiguer la plume vigilante, De consumer sans cesse une activité lente À reproduire en vain ces écrits fugitifs, Abattus dans leur vol par les ans destructifs ; Pour donner une forme, un essor aux pensées, Des signes voyageurs, sous des mains exercées, Vont saisir en courant leur place dans un mot ; Sur ce métal uni l’encre passe, et bientôt, Sortant multiplié de la presse rapide, Le discours parle aux yeux sur une feuille humide. […] Mon seul beau jour a dû finir,     Finir dès son aurore ; Mais pour moi ce doux souvenir     Est du bonheur encore : En fermant les yeux je revois     L’enclos plein de lumière, La haie en fleur, le petit bois,     La ferme et la fermière ! […] Dès l’abord le poète nous montre le curieux, l’amateur artiste, qui entre à Saint-Étienne regardant et admirant les sculptures et les tableaux : Époussetant de l’œil chaque peinture usée. […] et même, Triste, j’ai tant besoin d’un confident qui m’aime, Me parle avec douceur et me trompe, qu’avant De clore au jour mes yeux battus d’un si long vent, Je veux faire à tes bords un saint pèlerinage, Revoir tous les buissons si chers à mon jeune âge, Dormir encore au bruit de tes roseaux chanteurs, Et causer d’avenir avec tes flots menteurs.

958. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Correspondance entre Mirabeau et le comte de La Marck (1789-1791), recueillie, mise en ordre et publiée par M. Ad. de Bacourt, ancien ambassadeur. » pp. 97-120

Il avait le regard couvert, mais ses yeux étaient pleins de feu. […] La matière et les pièces de la correspondance sont désormais entièrement sous nos yeux. […] Comment croirait-on, si on n’en avait pas sous les yeux les preuves, que les jours même où il semblait le plus ardent et le plus provocateur à l’Assemblée, soit sur l’affaire du pavillon tricolore à arborer sur la flotte, soit sur le pillage de l’hôtel de Castries par le peuple, soit sur d’autres questions brûlantes, ces jours-là même, la veille ou le lendemain, il écrivait pour la Cour des conseils sages, mesurés, tout politiques ? […] Il est certain que le moment est arrivé de se décider entre un rôle actif et un rôle passif ; car celui-ci, tout mauvais que je le crois, l’est moins à mes yeux que cette intercadence d’essais et de résignation, de demi-volonté et d’abattement, qui éveille les méfiances, enracine les usurpations, et flotte d’inconséquences en inconséquences. […] Là est la borne : elle saute aux yeux.

959. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Madame Necker. » pp. 240-263

Sa figure longue et un peu droite s’animait d’une fraîcheur éclatante, et s’adoucissait de ses yeux bleus pleins de candeur. […] Voltaire, en ce temps-là, revenu de Prusse, et avant de se fixer près de Genève, essayait de cette vie nouvelle à Lausanne, où il passa surtout les hivers de 1756, 1757 et 1758 ; il y trouvait avec étonnement un goût pour l’esprit qu’il contribuait à développer encore, mais qu’il n’avait pas eu à créer : On croit chez les badauds de Paris, écrivait-il, que toute la Suisse est un pays sauvage ; on serait bien étonné si l’on voyait jouer Zaïre à Lausanne mieux qu’on ne la joue à Paris : on serait plus surpris encore de voir deux cents spectateurs aussi bons juges qu’il y en ait en Europe… J’ai fait couler des larmes de tous les yeux suisses. […] Elle semblait ne voir certains objets qu’à travers un brouillard qui les grossissait à ses yeux ; et alors son expression s’enflait tellement, que l’emphase en eût été risible, si l’on n’avait pas su qu’elle était ingénue. […] Ainsi, lorsque je considère dans la glace mon teint flétri et mes yeux abattus, et qu’en rentrant en moi-même j’y trouve une raison plus active et plus ferme, si le temps ne m’avait pas ravi les objets d’une tendresse qui ne finira qu’avec ma vie, je ne saurais pas si je dois me plaindre de lui. […] Veille, grand Dieu, sur l’ami, sur l’unique ami qui recevra nos derniers soupirs, qui fermera nos yeux et ne craindra pas de donner un baiser d’adieu sur des lèvres flétries par la mort !

960. (1759) Réflexions sur l’élocution oratoire, et sur le style en général

Allons plus loin ; comparons le poète à lui-même dans le même ouvrage ; et quelque belle que soit la strophe que nous venons de citer, nous ne balancerons point à lui préférer la suivante, par cette seule raison que l’expression y est plus naturelle et moins étudiée : Ainsi de cris et d’alarmes Mon mal semblait se nourrir ; Et mes yeux noyés de larmes Étaient lassés de s’ouvrir. […] Rien ne serait plus beau que cette strophe, si l’original ne l’était davantage, parce qu’il est plus simple : J’ai dit, je ne verrai plus mon peuple ; et mes yeux las de se tourner vers le ciel se sont fermés. […] En un mot, la vérité, la simplicité, la nature, voilà ce que tout écrivain doit avoir sans cesse devant les yeux. […] Dans immolée à mes yeux le concours des voyelles est certainement plus sensible, et par conséquent plus rude que dans immolé à mes yeux.

961. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Pommier. L’Enfer, — Colifichets. Jeux de rimes. »

Les fils, les pères, les aïeux, Se réveillant d’un profond somme, Ébahis, se frottent les yeux. […] Dès le début, le poète de L’Enfer, malgré la beauté de pose de ses strophes et leur roulement sombre, entremêle à l’ensemble pathétique et noir de ses tableaux des touches vulgaires en apparence, qu’on nous permette le mot : des clairs de vulgarité (Ébahis se frottent les yeux ! […] Un autre poète aurait montré peut-être quelque point de vue inconnu, tout en restant ancré et solide dans le dogme : Jésus-Christ, par exemple, s’effaçant devant les saints parvis, mais les coupables n’osant entrer dans l’effrayante lumière, et se damnant eux-mêmes comme ils l’ont fait pendant la vie, se précipitant en enfer pour se cacher à leurs propres yeux, et criant : « Plus noir ! […] Un pas de plus dans le sens de cette poésie, qui est l’extrémité du rayon dont l’âme est le centre ; un pas de plus vers la circonférence des choses, et on trouverait la matière sèche, — sourde-muette inféconde, — la chinoiserie ; et le vers oubliant bientôt sa profonde destinée d’harmonie, ne demanderait plus sa mesure à l’oreille, mais aux yeux ! […] osé nous donner, dans son recueil d’aujourd’hui, une poésie d’yeux, après tant de poésies d’oreilles, et il y a dessiné, physiquement et géométriquement dessiné, en figure de pyramide, taillant pour cela ses vers comme des pierres, la poésie qui porte ce nom !

962. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « I — L’art et la sexualité »

A quel instinct ou à quel sentiment peuvent donc obéir ceux de nos jeunes artistes auxquels je viens de faire allusion, en fermant leurs yeux au monde pour préserver de contacts impurs le développement de leurs consciences, en se livrant à ces jouissances secrètes, à cette culture intensive et exclusive du « moi », qui les sépare de toute humanité ? […] Ce qui peut convenir à la foule des humains perd par cela même toute valeur à leurs yeux. […] Cet homme arrête sur vous deux yeux, qui sont beaux, mais tournés au dedans : ce sont des yeux qui ne regardent pas. […] Mon regard était hébété, mon œil voilé d’un crêpe.

963. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Stéphane Mallarmé »

Tes yeux seulement demeurèrent, ils ne voulurent pas partir   ils ne sont jamais partis encore. » Ainsi le poète de la Vie intérieure : Ô morte mal ensevelie, Ils ne t’ont pas fermé les yeux.

964. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Rodenbach, Georges (1855-1898) »

. — Le Voyage dans les yeux (1893). — Le Voile, un acte, en vers (1894). — Musée de béguines (1894) […] Rodenbach nous satisfait par ses condensations de mots lorsqu’il dépeint, par exemple, des eaux : Une eau candide où le matin se clarifie Comme si l’Univers cessait au fil de l’âme, ou définit des yeux : Reliquaires du sang de tous les soirs tombants ou bien Sites où chaque automne a légué de ses brumes.

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